Quarante-septième journée.
Jeudi 31 janvier 1946.

Audience de l'après-midi.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal. Je voudrais faire savoir que les accusés Kaltenbrunner et Seyss-Inquart, malades, ne paraîtront pas à l’audience cet après-midi.

M. DUBOST

Nous en étions restés, Messieurs, à l’exposé de la politique terroriste pratiquée par l’Armée, la Police allemande, les SS, indistinctement unis dans leur œuvre malfaisante contre les patriotes français.

Les patriotes militants ne furent pas les seules victimes de cette politique terroriste, leurs familles elles-mêmes furent visées. Des menaces de représailles furent faites contre leurs parents et ces menaces furent suivies d’effet.

Nous déposons le document PS-719 sous le numéro RF-406 (page 147 de votre livre de documents) . C’est une copie d’un télétype de l’ambassade d’Allemagne à Paris, à l’usage du ministère des Affaires étrangères à Berlin. L’ambassadeur d’Allemagne rend compte d’une conversation que l’échelon de Vichy a eue avec Laval.

L’auteur de cette note, probablement Abetz, explique que Bousquet, avec lequel Laval se trouvait au moment de cette conversation, a déclaré tout ignorer de la fuite récente du frère de Giraud.

« Madame Giraud, trois de ses filles, sa mère, un autre frère et la belle-fille de Giraud seraient au camp de Vals-les-Bains.

« Je répondis que ces mesures étaient insuffisantes et qu’il ne faudrait pas s’étonner si la Police allemande prenait un jour ces choses en mains, étant donné la carence manifeste de la Police française en de nombreux cas. »

La menace fut suivie d’exécution. Nous vous avons dit que la famille du général Giraud avait été déportée. Nous déposons ce document F-717 sous le numéro RF-407 (page 149) :

« Paris, 10 h. 30 — 101. — Officiel. — État — Paris.

« À Délégation française du T.M.I. Nuremberg. »

Il résulte de ce télégramme que dix-sept personnes de la famille du général Giraud furent déportées en Allemagne.

Madame Granger, fille du général Giraud, âgée de 32 ans, fut arrêtée sans raison à Tunis en avril 1943, ainsi que ses quatre enfants, âgés de 2 à 11 ans, avec leur jeune bonne et son beau-frère, M. Granger.

La famille du général Giraud fut aussi arrêtée le 9 octobre 1943 et déportée à Berlin d’abord, en Thuringe ensuite. Je prie le Tribunal de m’excuser, le style télégraphique n’est pas aisé à interpréter.

« Déportation à Berlin d’abord, en Thuringe ensuite, des femmes et des enfants de M. Granger, à Dachau. » (Je pense qu’il faut comprendre : « ... de la femme de M. Granger et de la bonne qui l’accompagnait.)

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, quel est ce document ?

M. DUBOST

Vous avez l’original, Monsieur le Président ;

c’est un télégramme officiel français, reçu ici. En-tête : « Officiel, Paris, État ; 101. Officiel. État. Paris » sur le texte télégraphique, lui-même imprimé par la machine.

LE PRÉSIDENT

Pouvons-nous recevoir un télégramme adressé au Tribunal ?

M. DUBOST

Il n’est pas adressé au Tribunal, Monsieur le Président, il est adressé à la Délégation française. Il émane de l’État français : « Officiel. État. Paris », et il a été transmis comme télégramme officiel.

LE PRÉSIDENT

Que veut dire : « T.M.I, à Paris ? »

M. DUBOST

Tribunal Militaire International à Paris. C’est notre service à Paris, place Vendôme ; c’est le ministère de la Justice français, c’est un service du ministère de la Justice français et le télégramme commence par « Général Giraud ». C’est donc une déclaration télégraphique, Off., en tête signifiant Officiel.

Je demande pardon au Tribunal d’insister, mais les trois lettres en tête, Off., signifient « Officiel d’État » de Paris. Aucun bureau de poste français ne peut transmettre un tel télégramme qui n’émane d’une autorité officielle et cette autorité officielle est la Délégation française du T.M.I, à Paris, qui a reçu la déclaration du général Giraud et l’a transmise : « Par général Giraud, Délégation française du T.M.I »

LE PRÉSIDENT

Très bien. Le Tribunal recevra ce document en vertu de l’article 21 du Statut.

M. DUBOST

Nous remercions le Tribunal.

Nous lisons plus loin, page 150 :

« Par contre, décès de Madame Granger, 24 septembre 1943, imputable manque de soins et de médicaments, malgré demandes réitérées faites par elle pour avoir les uns et les autres.

« Après autopsie de son cadavre, faite en présence de médecin français, appelé spécialement de Paris après sa mort, autorisation donnée à ce médecin, le Dr Claque, de ramener les quatre enfants en France, puis en Espagne, où ils seraient remis à leur père. Refus opposé par Gestapo Paris à cette libération et renvoi de ces enfants comme otages en Allemagne où leur grand-mère ne les a retrouvés que six mois plus tard ».

Quatre dernières lignes :

« Santé de Madame Giraud, sa fille Marie-Thérèse et deux de ses petits-enfants, gravement altérée par épreuve physique et surtout morale de la déportation. »

Dix-sept personnes furent donc arrêtées, toutes innocentes de l’évasion du général Giraud, en représailles de cette évasion.

J’ai montré à de nombreuses reprises que dans leur volonté de faire régner la terreur, les Allemands ont usé de moyens qui révoltent la conscience des honnêtes gens. Parmi ces moyens, l’un des plus répugnants est l’appel à la délation.

Le document F-278 (b) que nous déposons sous le numéro RF-408 (page 152) reproduit une ordonnance du 27 décembre 1941, si évidemment contraire au droit des gens que le ministère des Affaires étrangères du Reich lui-même s’en émut.

L’ordonnance du 27 décembre 1941 prescrit :

« Quiconque apprend que des instruments, visés par le premier paragraphe, alinéa 1 (ce sont des armes) se trouvent en possession ou sous la garde de personnes non autorisées, est obligé d’en faire la déclaration au bureau de livraison le plus rapproché. »

Le ministère des Affaires étrangères (29 juin 1942, Berlin) fait des objections au projet de réponse à la note française que nous n’avons pas, mais qui devait être une protestation contre cette ordonnance du 27 décembre 1941. Le Tribunal sait que, dans les opérations de guerre qui ont accompagné la libération de notre territoire, un grand nombre d’archives ont disparu. Nous ne pouvons donc pas donner connaissance au Tribunal de la protestation à laquelle se réfère la note du 29 juin 1942 du ministère des Affaires étrangères allemand.

Le paragraphe 2 de cette note résume les arguments de la protestation française. Les Français avaient écrit, semble-t-il : « Un territoire allemand étant occupé par les Français, nous tiendrions sûrement pour un individu sans honneur tout Allemand qui dénoncerait à la puissance occupante une infraction à ses ordonnances » ; et cela a été repris et adopté par le ministère des Affaires étrangères allemand.

Cette note continue :

« Se basant sur ces considérations, le ministre des Affaires étrangères tient pour discutable une sanction pénale applicable, sans aucune instruction, à quiconque s’abstient de dénoncer un détenteur d’armes, connu de lui comme tel.

« Une telle sanction, sous une forme aussi générale, apparaît au ministère des Affaires étrangères d’autant plus inopportune qu’elle offre aux Français la possibilité de faire remarquer que l’Armée allemande exige des Français des actes qu’elle considérerait comme répréhensibles chez des Allemands. »

Cette note allemande, je le répète, émane des Affaires étrangères allemandes ; elle est signée Strack.

Il n’y a pas de condamnation plus sévère portée contre l’Armée allemande que celle qui est portée ici par le ministère des Affaires étrangères allemand lui-même.

Et voici la réponse de l’Armée allemande, page 155 :

« Berlin, 8/12/42.

« Haut Commandement de la Wehrmacht. »

Le Commandement de la Wehrmacht conclut :

« ... Puisqu’il ne semble pas opportun d’entamer avec le Gouvernement français une discussion sur les points de droit évoqués par lui, en conséquence, nous estimons, nous aussi, qu’il n’y a pas lieu de répondre à la note française. »

Cette note commence, d’ailleurs, par affirmer que tout adoucissement aux ordres donnés serait considéré en France et en Belgique comme un signe de faiblesse.

Ce ne sont pas des signes de faiblesse que l’Armée allemande a donnés dans nos pays occupés de l’Ouest.

Elle s’est montrée sous un jour terroriste. Elle a fait régner la terreur dans tous nos pays, et cela pour permettre le développement de la politique d’extermination des nations vaincues, qui, dans l’esprit de tous les chefs nazis, était restée le but principal, sinon le but unique de cette guerre.

Cette politique terroriste, dont le Tribunal vient de voir les exemples à propos de la répression des attaques de nos forces de l’intérieur contre l’ennemi, s’est développée sans aucune nécessité militaire, dans tous les pays de l’Ouest. Les dévastations commises par l’ennemi sont très nombreuses. Nous limiterons notre exposé à la destruction de Rotterdam, alors que la ville avait déjà capitulé et qu’il ne restait plus à régler que les formes de la capitulation, et deuxièmement à la description des inondations auxquelles l’Armée allemande a procédé sans nécessité militaire d’aucune sorte en 1945 à la veille de son anéantissement et alors qu’elle savait déjà que la partie était définitivement perdue pour elle.

Nous avons choisi l’exemple de Rotterdam parce que c’est le premier acte de terrorisme de l’Armée allemande à l’Ouest.

Nous avons choisi les inondations parce que, sans ses digues, sans son eau douée, la Hollande cesse d’être ; la Hollande disparaît le jour où ses digues sont anéanties.

On voit là la réalisation du projet d’anéantissement de l’adversaire, formé de longue date par l’Allemagne ainsi qu’en témoigne la citation de Hitler par laquelle j’ai commencé cet exposé, réalisation qui s’est poursuivie jusqu’aux derniers moments de l’Allemagne, ainsi qu’en témoignent ces inondations inutiles.

Nous déposons le document F-719 sous le n° RF-409, constitué par des rapports hollandais, sur le bombardement de Rotterdam et la capitulation de l’Armée hollandaise.

Pages 38 et 39 du deuxième livre de documents, sont des copies des traductions des documents, échangés entre le commandant des troupes allemandes qui se présentaient devant Rotterdam et le colonel qui commandait les troupes hollandaises défendant la ville.

Le capitaine de génie, Backer, rend compte des incidents de cette soirée qui se termina par l’incendie de la ville.

À 10 h. 30, un parlementaire allemand s’est présenté avec un ultimatum, non signé, sans aucune mention de l’expéditeur, prescrivant aux Hollandais de capituler avant 12 h. 30. Ce document est renvoyé par le colonel hollandais, qui demande à connaître le nom et le rang militaire de l’officier qui le somme de se rendre.

À 12 h. 15, le capitaine Backer se présente aux lignes allemandes et est reçu par un officier allemand. À 12 h. 35 il a un entretien avec eux dans une crémerie.

Un général allemand écrit les conditions de la capitulation sur la réponse que l’émissaire de l’État-Major hollandais vient de lui faire porter.

À 13 h. 20, le capitaine Backer part du point de négociations de cette crémerie, avec les conditions auxquelles il fallait répondre. Deux officiers allemands l’escortent. Cette escorte est survolée par des escadrilles allemandes et des fusées lumineuses rouges sont tirées par elle à 13 h. 22, 13 h. 25. À 13 h. 30, les premières bombes tombent sur Rotterdam qui sera complètement incendiée.

L’entrée des troupes allemandes devait avoir lieu à 18 h. 50 ; elle est avancée à 18 h. 20.

Plus tard, les Allemands ont dit au capitaine Backer que les fusées rouges étaient destinées à éviter le bombardement. Cependant, il y avait eu une très bonne communication de TSF depuis la terre avec les avions. Le capitaine Backer exprime son étonnement que cela fût fait par le moyen de fusées.

L’inondation du polder de Wieringermeer commença les 9 et 10 avril 1945. Je cite un document hollandais :

« Ce jour-là, des militaires allemands parurent sur le polder, donnèrent des ordres et firent garder la digue.

« Le 17 avril 1945, à midi et quart, on fit sauter la digue de sorte que les deux parties de la digue furent détruites jusqu’à une hauteur d’un peu au-dessous de la surface de l’eau du Ijssel-meer...

« La population fut alertée dans la nuit du 16 au 17 avril (c’est-à-dire au moment où l’eau commençait à envahir le polder). On communique à Wieringerwerf, de maison en maison, la nouvelle reçue par le maire, qu’à midi la digue serait détruite. Au total, on ne donnait pour ce grand polder de 20.000 hectares environ, qu’un délai de 8 h. 30 à 9 heures pour l’évacuer.

« Les communications téléphoniques étaient complètement interrompues, et l’on ne pouvait employer de voitures automobiles, ce qui faisait que quelques personnes ne reçurent l’avertissement qu’à 8 heures du matin...

« Le temps donné à la population était donc de trop courte durée pour l’évacuation...

« La rapine dans le polder inondé a déjà été mentionnée. Dans la matinée du 17 avril, le jour du désastre, des sections de soldats allemands commencèrent à voler... ces soldats venaient de Wieringen... En outre, on brisait tout ce qu’on ne prenait pas... »

Ce polder, à lui seul, embrasse la moitié de toutes les terres inondées de la Hollande septentrionale. Il fut inondé le 17 avril, alors que la défaite était déjà acquise pour l’Armée allemande.

Les Hollandais s’efforcent de reconquérir la terre sur l’eau. Leur courage, leur application, leur énergie, font notre admiration, mais c’est une perte immense que l’Armée allemande leur a fait subir le 17 avril.

Terrorisme et extermination sont intimement mêlés dans tous les pays de l’Ouest.

Le document C-45, que nous déposons sous le numéro RF-410, est un ordre du 10 février 1944 et le premier dans le livre de documents. Il nous montre que la répression, dans l’esprit des chefs de l’Armée allemande, devait être faite sans considérations d’aucune sorte :

« Il faut riposter de suite avec les armes à feu. Si, de ce fait, des innocents sont frappés, ceci est à déplorer, mais est uniquement de la faute des terroristes. »

Ces lignes ont été écrites par un officier de l’État-Major du commandement militaire en Belgique et dans le nord de la France. Cet officier n’a jamais été désavoué par ses chefs, ainsi qu’en témoigne le document.

Le document F-665, que nous déposons sous le n° RF-411 (page 2 de votre livre de documents) :

« La fouille de villages suspects demande de l’expérience. Faire appel aux forces du SD et de la Police secrète. Les complices des partisans doivent être démasqués et appréhendés avec toute la dureté possible.

« Toutes ces mesures collectives contre les habitants de villages (parmi celles-ci l’incendie des localités) ne doivent être prises que dans les cas exceptionnels et ordonnés par les commandements de divisions ou des chefs de SS et de Police. »

Ce document est daté du 6 mai 1944 ; il vient du Haut Commandement de la Wehrmacht et il est signé — du moins la lettre qui le transmet est signée — de Jodl. Ce document met d’ailleurs en cause, non seulement l’État-Major de l’Armée, mais les services du travail, c’est-à-dire Sauckel et l’organisation Todt, c’est-à-dire Speer.

En effet, dans l’avant-dernier paragraphe, nous lisons :

« La présente notice... est valable pour toutes les unités de la Wehrmacht et pour tous les organismes exerçant leur activité en territoires occupés (services du travail et organisation Todt, etc.). »

Ces ordres, qui tendent à l’extermination de populations civiles innocentes, seront rigoureusement exécutés, mais au prix d’une collusion constante de l’Armée allemande, des SS, du SD et de la Sipo, que les hommes de tous les pays de l’Ouest englobent dans la même horreur et dans la même réprobation.

On lit dans le journal de marche du général Brodowski, que nous avons déposé ce matin sous le numéro RF-405, un extrait que l’on peut trouver aux pages 3, 4, 5 du livre de documents ; nous lisons dans ce document que des opérations de répression ont été conduites.

« Action contre les terroristes dans le sud-ouest du département de la Dordogne, près de Lalinde, à laquelle participa une compagnie de Géorgiens de la gendarmerie de campagne, des membres du SD... »

14 juin 1944, relation de la destruction d’Oradour-sur-Glane. Je reviendrai sur la destruction de cette ville française. Le général von Brodowski écrit :

« Six cents personnes auraient été tuées » (souligné dans le texte) ; toute la population mâle d’Oradour fut fusillée. Les femmes et les enfants se réfugièrent dans l’église ; l’église a pris feu : des explosifs étaient entreposés dans l’église. Même des femmes et des enfants périrent. »

Nous vous ferons connaître dans un instant les résultats de l’enquête française. Le Tribunal verra à quel point le général allemand Brodowski a menti en relatant en ces termes la destruction d’Oradour-sur-Glane.

Au sujet de Tulle, le 8 juin 1944 :

« La caserne occupée par la 13e compagnie du 95e régiment de sécurité a été attaquée par les terroristes le soir.

« Le combat se termine grâce aux renforts d’éléments de la division blindée « Das Reich ».

« 120 habitants mâles de Tulle pendus et 1.000 remis entre les mains du SD de Limoges pour enquête. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, pourrions-nous voir l’original de ce document ?

M. DUBOST

Je vous l’ai montré, Monsieur le Président, en le déposant ce matin ; vous l’avez vu, c’est un très grand livre, si le Tribunal se souvient.

LE PRÉSIDENT

Continuez, mais nous aimerions le voir.

Dr ROBERT SERVATIUS (avocat de l’accusé Sauckel)

Je veux rectifier rapidement ici une erreur qui s’affirme, avant qu’elle soit établie.

Le représentant de l’Accusation a attiré l’attention sur le fait que certaines personnes ont été mises à la disposition du Service du travail.

Je voudrais éclaircir ce point. Le Service du travail (Arbeitsdienst) ne doit pas être confondu avec la mise en œuvre de la main-d’œuvre (Arbeitseinsatz). L’emploi de la main-d’œuvre était dirigé par Sauckel tandis que F « Arbeitsdienst », le Service du travail n’avait rien à faire avec lui. Je voudrais prier le Tribunal de prendre connaissance de cette distinction.

LE PRÉSIDENT

À la suite d’un incident technique l’audience est interrompue.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Je pense que le défenseur de l’accusé Sauckel s’est adressé au Tribunal.

Dr SERVATIUS

Le représentant de l’Accusation a visiblement confondu l’« Arbeitsdienst » et l’« Arbeitseinsatz » car il a dit que l’« Arbeitsdienst » avait affaire avec Sauckel. Ce n’est pas exact. L’« Arbeitsdienst » était une organisation prémilitaire qui existait déjà avant la guerre pour employer les jeunes gens au travail. Ces jeunes gens étaient en partie incorporés à l’Armée. L’Arbeitseinsatz s’occupait seulement de recruter de la main-d’œuvre pour l’employer dans les fabriques et autres lieux de travail. Par suite, Sauckel n’a rien à voir avec ce qu’on lui reproche. C’était ce que je voulais dire.

M. DUBOST

Les deux mots allemands ont été traduits de la même façon en français. Toutes vérifications faites, l’observation de la Défense est exacte. Sauckel n’est donc pas en cause, mais seulement l’Armée.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. DUBOST

Voici quelques exemples d’extermination terroriste en Hollande, en Belgique et dans les autres pays occupés de l’Ouest.

En Hollande, un exemple entre mille : les massacres de Putten, le 30 septembre 1944. Ils font l’objet du document F-224 que je dépose sous le n° RF-324, page 46 de votre livre de documents. Le 30 septembre 1944, un attentat fut commis par des membres de la résistance hollandaise sur une voiture automobile allemande à Putten. Les Allemands en conclurent que le village était un repaire de partisans, firent des descentes chez les habitants, rassemblèrent la population dans l’église. Un officier allemand blessé avait été fait prisonnier par les résistants hollandais. Les Allemands déclarèrent que si cet officier était relâché dans les 24 heures on ne prendrait aucune mesure... L’officier fut relâché, après avoir été soigné par les soldats de la résistance hollandaise, qui l’avaient capturé. Cependant, en dépit de la promesse donnée, des représailles furent exercées sur le village de Putten, dont les habitants étaient tous innocents.

Je cite maintenant, le paragraphe 2 de l’extrait du rapport hollandais :

« La population qui s’était rassemblée dans l’église fut informée que les hommes seraient déportés, que les femmes devraient quitter le village, que le village serait détruit. Cent cinq maisons furent brûlées, et il est estimé que le centre du village consiste en 2.000 maisons : huit personnes qui tâchaient de se sauver, parmi lesquelles se trouvait une femme, furent tuées à coups de fusil.

« ... Les hommes furent transportés au camp de concentration d’Amersfoort. Parmi eux, se trouvaient bien des gens qui venaient à passer, qui étaient entrés dans le village barré mais qui n’en pouvaient plus sortir. À Amersfoort, on a relâché 50 hommes environ, 12 ont sauté du train pendant le transport et finalement 622 hommes ont été transportés au camp d’Auschwitz. Le plus grand nombre d’entre eux étaient morts après les deux premiers mois. Des 622 hommes qui furent transportés, seulement 32 habitants de Putten et 10 étrangers sont revenus après la libération. »

En Belgique, nous ne citerons que quelques faits, rapportés dans le document F-685 déjà déposé sous le n° RF-394 (page 48 du livre de documents). Il s’agit de l’assassinat d’un jeune homme caché dans un abri, par les Allemands à la recherche de soldats de l’Armée secrète belge.

À Hervé, des Allemands tirent sur un camion plein de jeunes gens, et en tuent deux. Le même jour, des civils sont tués par un tank.

Page 49, ce sont les exécutions sommaires de membres de l’Armée secrète ; je cite :

« À Anhée, des coups de feu ayant été tirés sur eux, les Allemands traversent la Meuse, incendient 58 maisons et abattent 13 hommes.

« À Annevoie le 4, les Allemands traversent la Meuse et incendient 58 maisons... »

Suit un rapport sur les destructions inutiles du point de vue militaire :

« À Arendonck, le 3, 80 hommes tués, 5 maisons incendiées. A St-Hubert, le 6, 3 hommes tués et 4 maisons incendiées. A Hody, le 6, destruction systématique du village, 40 maisons détruites, 16 tués.

« À Marcourt, 10 personnes fusillées, 35 maisons brûlées.

« À Néroeteren, le 9, 9 personnes ; à Oestham, le 10, 5 personnes ; à Balen-Nest, le 11, 10 personnes fusillées. »

Page 50, suit une description des exactions allemandes au moment de la stabilisation momentanée du front.

« À Hechtel, les Allemands s’étant retirés devant une avant-garde anglaise, les habitants pavoisèrent. Mais des troupes fraîches allemandes vinrent contenir les avant-gardes anglaises et ce furent des représailles : 31 fusillés, 80 maisons brûlées. Pillage généralisé.

« À Helchteren, dans les mêmes circonstances, 34 maisons incendiées, 10 tués. A Herenthout, mêmes événements...

« Les circonstances dans lesquelles ces exécutions eurent lieu sont toujours identiques. Les Allemands fouillent les caves, font sortir les hommes, les alignent le long de la route et tirent sur eux, après leur avoir donné l’ordre de courir ; pendant ce temps, des grenades sont jetées dans les caves, blessant femmes et enfants. »

À Lommel, autre exemple : « Un retour imprévu des Allemands trouve le village pavoisé : 17 personnes, cachées dans un abri, furent aperçues par un Allemand. Celui-ci fit signe à un blindé qui vint se mettre sur l’abri et manœuvra jusqu’à l’écroulement de celui-ci, tuant 12 personnes... »

Pour la Norvège, nous extrayons du document déjà déposé sous le n° RF-323 (pages 51 et 52 de votre livre), un premier exemple.

Le 13 avril 1940, deux femmes âgées de 30 ans, furent fusillées à Ringerike. Le 15 avril, quatre civils dont deux garçons de 15 et 16 ans, furent fusillés à Aadal. Une des victimes reçut un coup de feu dans la tête et des coups de baïonnette dans le ventre. Le 19 avril, quatre civils parmi lesquels deux femmes et un petit garçon de trois ans, furent fusillés à Ringsaker.

« Pour venger la mort de deux policiers allemands tués le 26 avril 1942 à Télévaag, la localité entière, c’est-à-dire plus de 90 propriétés, avec 334 bâtiments, fut détruite ; le dommage causé aux immeubles et aux meubles (meubles meublants et matériel de pêche) s’élève à un total de 4.200.000 couronnes. »

Dans ce document, le Tribunal trouvera la suite des descriptions des atrocités allemandes commises en Norvège, sans aucune nécessité militaire, simplement pour y entretenir la terreur.

En France, les massacres, les destructions sans utilité militaire furent très nombreux et tous très étroitement associés. Nous déposons le document F-243 sous le numéro RF-412 (pages 178 à 193 du livre de documents). C’est une longue énumération faite par le Service de recherche des crimes de guerre français des localités détruites et pillées sans aucune nécessité militaire. Le Tribunal sera sans doute suffisamment éclairé par la lecture de ce document. Nous ne donnerons que quelques exemples.

En déposant le document F-909 sous le n° RF-413 nous entendons relater les conditions dans lesquelles fut détruit, à Marseille, un quartier entier de la ville (pages 56, 57, 58 de votre livre de documents). On estime à 20.000 environ le nombre de personnes évacuées. Cette évacuation fut ordonnée le 23 janvier, réalisée sans préavis dans la nuit du 23 au 24.

« Il est estimé que 20.000 personnes furent évacuées. De Fréjus, certaines furent envoyées par les Allemands au camp de concentration de Compiègne...

« Les opérations de démolition commencèrent le 1er février, vers 9 heures du matin. Elles furent exécutées par les troupes du génie allemand...

« La superficie détruite représente 14 hectares, soit environ 1.200 immeubles. »

Une enquête fut faite pour chercher quel était le responsable des destructions. Après la libération de Marseille, le consul d’Allemagne à Marseille, von Spiegel, fut interrogé. Sa déposition fait l’objet du document F-908 que nous déposons sous le n° RF-414 (page 53 de votre livre de documents) ; Spiegel déclare :

« Je sais que, très peu de temps après l’évacuation du vieux port, le bruit a couru que cette mesure avait été provoquée par des intérêts d’ordre financier. Je peux vous affirmer qu’à mon avis, cette hypothèse est erronée. L’ordre est venu des organismes supérieurs du Gouvernement du Reich, qui n’ont invoqué que deux motifs : sécurité des troupes et danger d’épidémies. »

Nous n’entendons pas donner une description complète des forfaits commis par les Allemands, mais simplement quelques exemples suggestifs.

Nous déposons le document F-600 sous le n° RF-415, (page 59) :

« À Ohis, dans l’Aisne, un civil veut donner à boire à un soldat américain. Les Allemands reviennent.

« Le soldat américain fut fait prisonnier et M. Hennebert également fut emmené par les Allemands au lieu dit « La Montagne Noire » — commune d’Origny-en-Thiérache — où son corps a été découvert plus tard, en partie caché sous un tas de fagots. Le cadavre portait la trace de deux coups de baïonnette dans le dos. »

Je dépose le document F-604, sous le n° RF-416 (page 61) »

« À Lagnieu (Ain), un civil est tué dans sa vigne. Des jeunes gens qui se promenaient avec des jeunes filles sont tués sur la route. Motif invoqué : présence du maquis dans la région. »

Toutes ces victimes étaient complètement innocentes.

Je dépose le document F-904 sous le n° RF-417 (page 62) :

À CuLoz : « ... Ces jeunes garçons furent arrêtés parce qu’ils avaient pris la fuite à la vue des Allemands... ont été déportés... Aucun n’appartenait à la résistance. »

Je dépose le document F-906 sous le n° RF-418 (page 63) :

À St-Jean-de Maurienne : « Le 23 août, les gendarmes Chavanne et Empereur en tenue bourgeoise et M. Taravel Albert ont été arrêtés par des soldats allemands, sans motif légitime ; le lieutenant, chef de la Kommandantur, a promis la libération de ces trois hommes à l’officier de gendarmerie. Ce chef allemand, en cachette, a ordonné à ses hommes de fusiller ces prisonniers.

« Le 1er septembre, Mademoiselle Perraud Lucie, 21 ans, bonne au café Dentroux, a été violée par un soldat allemand d’origine russe, sous la menace d’un revolver. » Je ne mentionne pas davantage toutes les atrocités décrites dans ce document.

J’en arrive au Vercors : cette région était incontestablement un centre de rassemblement important de Forces Françaises de l’Intérieur : le document F-611 que je dépose sous le n° F-419 rend compte des atrocités commises sur les populations innocentes de cette région en représailles de la présence des hommes du maquis. Ce document apparaît pages 69 et suivantes de votre livre de documents.

Au paragraphe 3, énumeration des opérations de police dans le Vercors ; opérations de police du 15 juin effectuées dans la région de St-Donat : viols, pillages. Exécution à Portes-les-Valence, le 8 juillet 1944, de 30 otages pris parmi les prisonniers politiques du Fort Montluc, à Lyon ; opérations de police effectuées contre des maquis du Vercors, du 21 juillet au 5 août 1944 : viols et pillages dans la région de Crest, Saillans et Die. Bombardement par avions de nombreux villages du Vercors et, en particulier, de La Chapelle et Vassieux-en-Vercors. Exécution sommaire d’habitants de ces localités. Pillages.

Exécution après jugement sommaire, d’une centaine de jeunes gens à St-Nazaire-en-Royans, déportation en Allemagne de 300 autres de cette région ; assassinat de 50 grands blessés dans la grotte de La Luire.

Le 15 juin 1944, attaque des troupes allemandes à St-Donat. Je cite : « Le maquis avait évacué la ville depuis plusieurs jours ; 54 femmes ou jeunes filles, dont l’âge s’échelonnait entre 13 et 50 ans, ont été violées par les soldats déchaînés. »

Le Tribunal me pardonnera, je passe sur les détails atroces qui suivent.

Bombardements des villages de Combovin, La Baume-Cornillanne, Ourches etc...

Les pertes causées par ces bombardements parmi la population civile sont assez élevées, car dans la plupart des cas, les habitants surpris n’ont pas eu le temps de se mettre à l’abri...

« Deux femmes furent violées à Crest, trois femmes furent violées à Saillans...

« Une fillette de 12 ans blessée, les pieds pris entre les poutres, attendit la mort durant six jours, sans pouvoir ni s’asseoir, ni dormir et sans prendre aucune nourriture, et cela sous les yeux des Allemands qui occupaient le village. »

Certificat du Dr Nicolaides qui examina les femmes violées dans cette région. Je passe.

Je dépose le document F-612 sous le-n° RF-420. Pour terroriser les gens, on pend à Trébeurden en Bretagne, des innocents, mais on les larde de coups de couteau pour que les cadavres saignent. Je passe.

Je dépose le document F-912 sous le n° RF-421 (page 82 de votre livre de documents) : on trouve le récit du massacre de 35 Juifs de St-Amand-Montrond. Ces hommes furent arrêtés et assassinés à coups de pistolet dans le dos par des hommes de la Gestapo et de l’Armée allemande. Ils étaient innocents de tout crime.

Je dépose le document F-913 sous le n° RF-422 (page 96) : « Le 8 avril 1944, des militaires allemands de la Gestapo ont arrêté le jeune Bézillon André, 18 ans, domicilié à Oyonnax (Ain) dont le frère était du maquis. Le cadavre de ce jeune homme a été découvert le 11 avril 1944 à Siège (Jura) affreusement mutilé, nez et langue coupés, traces de coups sur tout le corps et de coups aux jambes. Quatre autres jeunes gens ont été trouvés à Siège en même temps que Bézillon. Tous ont été mutilés de telle façon qu’ils n’ont pas pu être identifiés. Ils ne portaient aucune trace de balles ce qui indique nettement qu’ils sont morts des suites des mauvais traitements subis. »

Je dépose le document F-615 sous le n° RF-423 (page 98) : II relate la destruction du village de Cerizay, dans les Deux-Sèvres ; je cite : « L’incendie n’a pas causé d’accidents de personnes, mais les cadavres des deux personnes tuées par les convois allemands et ceux des deux victimes des bombardements ont été carbonisés ». Ce village a été détruit à coups de canon ; il y a eu 172 immeubles détruits et 559 sinistrés.

Nous déposons maintenant un autre document F-919 sous le n° RF-424 (page 103) : il s’agit de l’assassinat d’un jeune homme de Tourch dans le Finistère. Ses assassins ont obligé sa mère à leur préparer un repas.

Repus, ils font déterrer la victime, la fouillent et la trouvent en possession d’une carte d’identité au même nom et adresse que ses mère, frères et sœurs présents et éplorés. L’un des soldats ne trouvant aucun argument ni excuse pour expliquer ce crime dit sèchement avant de s’en aller : « Ce n’est pas un terroriste, c’est dommage ». Et fait enterrer de nouveau la victime.

Le document F-616 déposé sous le n° RF-425 (page 104) est le compte rendu des opérations de l’Armée allemande dans la région de Nice, vers le 20 juillet 1944 ; je cite : « Ayant été attaqué, à Presles, par plusieurs groupes du maquis de la région, par mesure de représailles, ce détachement mongol, comme toujours commandé par les SS, s’est dirigé vers une ferme où deux résistants s’étaient cachés ; n’ayant pu les faire prisonniers, ces militaires ont alors appréhendé les propriétaires de la dite ferme, le mari et la femme, et après leur avoir fait subir de nombreuses atrocités, coups de couteau, viol, etc. les ont abattus à coups de mitraillette, puis ils se sont emparés du fils de ces victimes, âgé seulement de trois ans, et après l’avoir affreusement torturé, l’ont crucifié sur la porte de la ferme ». Je passe.

Nous déposons le document F-914 sous le n° RF-426 (page 107) : c’est une très longue relation des assassinats commis par l’Armée allemande, rue Tronchet à Lyon, sans aucune excuse. Je lis : « Sans avertissement préalable, sans qu’une tentative ait été faite pour vérifier le caractère exact de la situation, et, le cas échéant, s’emparer des responsables de l’attroupement, des soldats ouvrent le feu : un certain nombre de civils, hommes, femmes, enfants, s’écroulent. D’autres, indemnes ou légèrement blessés, se dispersent à la hâte ».

Le Tribunal trouvera la reproduction des procès-verbaux établis à l’occasion de ces meurtres.

Nous déposons, sans le citer, en demandant au Tribunal d’en prendre acte seulement, le procès-verbal relatant les crimes de l’Armée allemande commis dans la région de Loches (Indre et Loire) qui font l’objet du document F-617 déposé sous le n° RF-427 (page 115).

Le document F-607 que nous déposons sous le n° RF-428 (page 119) relate les pillages, viols et incendies commis à Saillans dans le courant du mois de juillet, et du mois d’août 1944 : « Au cours de leur séjour dans cette région » — il s’agit des soldats allemands — « trois viols ont été commis par les Allemands sur trois femmes de la localité ». Je passe.

Document F-608 déposé sous le n° RF-429 (page 120) : une personne est brûlée vive aux Puisots, au cours d’une expédition punitive ; elle est innocente.

Je dépose le document F-610 sous le n° RF-430 (page 122) : toute la région de Vassieux dans le Vercors est dévastée ; ce document est le rapport de la Croix-Rouge, dressé dès avant la libération.

Je cite : « Nous trouvons dans une ferme un blessé qui a été atteint de 8 balles, dans les circonstances suivantes : les Allemands l’ont contraint à incendier lui-même sa maison et voulaient l’empêcher de sortir des flammes, en lui tirant des coups de revolver. Malgré ses blessures, il a pu s’échapper par miracle ».

Document F-618 déposé sous le n° RF-431 (page 124) : Je cite, à propos de gens exécutés : « Avant d’être fusillées, ces personnes ont été torturées. L’un d’eux, M. Duperrier Francis, avait un bras cassé et la figure tuméfiée, un autre, M. Feroud-Plattet avait été éventré avec un bout de bois taillé en pointe. Il avait également la mâchoire fracassée. »

Le document F-605 déposé sous le n° RF-432 (page 126) relate l’incendie du hameau des Plaines près de Moutiers en Savoie : « Deux femmes, Madame Vve Romanet, 72 ans, et sa fille Marthe âgée de 41 ans sont toutes deux carbonisées dans un petit local de leur habitation où elles avaient trouvé refuge. Un homme, M. Charvaz, ayant la cuisse brisée par une balle, après avoir trouvé refuge dans le même local a été également carbonisé. »

Le document français F-298 déposé sous le n° RF-433 (pages 127 et suivantes) relate la destruction de Maillé, dans l’Indre-et-Loire : ce pays a été entièrement détruit le 25 août 1944, et un grand nombre de ses habitants ont été tués ou grièvement blessés. Ces destructions et ces crimes n’ont été motivés par aucune action terroriste, par aucune action des Forces Françaises de l’Intérieur.

Le document F-907 déposé sous le n° RF-434 (pages 132 et suivantes) relate les incidents qui ont été suivis de crimes allemands à Montpezat-de-Quercy : c’est une lettre écrite à la Délégation française par l’évêque de Montauban, Mgr Théas, le 11 décembre 1945. Ce document explique le document F-673 déjà déposé sous le n° RF-392 et dont je vais donner lecture. La première partie est constituée par une lettre adressée par la Commission d’armistice française, et qui est extraite des archives de la Commission d’armistice allemande de Wiesbaden : « Dans la nuit du 6 au 7 juin dernier, à l’occasion d’une opération dans la région de Montpezat-de-Quercy, des troupes allemandes ont incendié les quatre fermes constituant le hameau dit « Perches » : trois hommes, deux femmes et deux enfants de 14 et 4 ans ont été brûlés vifs, deux femmes et un enfant de 10 ans, disparus, ont probablement subi le même sort.

« Le samedi 10 juin, ayant essuyé des coups de feu de deux réfractaires dans le village de Marsoulas, les troupes allemandes abattirent ces deux hommes. De plus, elles massacrèrent sans explication tous les autres habitants du village qu’elles purent découvrir. C’est ainsi que furent tués sept hommes, six femmes et 14 enfants pour la plupart dans leur lit à l’heure matinale où se déroulèrent ces faits.

« Le 10 juin, vers 19 heures, cinq appareils de la Luftwaffe attaquèrent pendant une demi-heure la ville de Tarbes, à la bombe et à la mitrailleuse. Plusieurs immeubles ont été détruits, dont l’hôtel des Ponts et Chaussées et l’Inspection académique. Il y eut sept morts, et une dizaine de blessés, touchés naturellement au hasard parmi la population civile de la ville. À cette occasion, le général commandant le VS 659, à Tarbes, fit immédiatement connaître au préfet des Basses-Pyrénées que l’opération n’avait pas été provoquée ni commandée par lui. À la suite de chacun de ces événements, le préfet de la région de Toulouse a adressé au général commandant le HVS 564 des lettres dans lesquelles, en termes dignes et mesurés, il protestait contre les actes en question à l’occasion desquels des innocents, femmes et enfants, ont été tués volontairement. Il émettait très justement l’opinion qu’en aucun cas, les enfants au berceau ne pouvaient être considérés comme complices des terroristes. Il demandait enfin que des instructions soient données pour éviter le renouvellement de scènes aussi douloureuses.

« Répondant globalement le 19 juin aux trois lettres du préfet régional de Toulouse, le chef d’État-Major du général commandant l’État-Major principal de liaison 564 fit connaître la position de principe prise par son chef ; celle-ci justifie les actes de répression en cause par les considérations suivantes :

« La population française a le devoir non seulement de fuir les terroristes, mais encore de rendre leur action impossible, ce qui évitera la répression à l’égard des innocents. Dans le combat contre le terrorisme, l’Armée allemande doit employer et emploiera tous les moyens dont elle dispose, même des méthodes nouvelles de combat pour l’Europe occidentale. Les raids de terreur anglo-américains massacrent aussi des milliers et des milliers d’enfants allemands ; là aussi, du sang innocent est versé par la faute de l’ennemi, dont les mesures de soutien du terrorisme ont obligé le soldat allemand à user de ces armes dans le midi de la France.

« J’ai l’honneur de vous demander, concluait le général Bridoux en s’adressant à la Commission allemande, si le Gouvernement français doit considérer l’argumentation résumée ici comme reflétant exactement la position du commandement allemand en présence des faits exposés dans la première partie de la présente lettre ».

Nous déposons maintenant le document F-190 sous le n° RF-435 (page 141 du livre de documents) . Il relate les crimes commis à Ascq par une troupe allemande qui, en représailles de la destruction de la voie ferrée, massacra 77 hommes de toutes conditions et de tous âges, parmi lesquels se trouvaient 22 agents ou gradés de la SNCF, des industriels, des commerçants, des employés et des ouvriers. Je cite :

« La plus âgée de ces victimes, M. Briet, rentier, avait 74 ans, étant né le 3 octobre 1869 à Ascq ; le plus jeune Roques Jean, étudiant, fils du receveur des postes, fusillé également, avait 15 ans, étant né le 4 janvier 1929 à St-Quentin. L’abbé Gilleron, curé d’Ascq, ses deux protégés, M. Averlon père et fils réfugiés de la côte, furent abattus aussi. »

Ce massacre fit l’objet d’une protestation du Gouvernement français de l’époque, à laquelle le commandant en chef Rundstedt, répondit le 3 mai 1944 (document F-673 que nous avons déposé sous le N° RF-392 (page 154) :

« La population d’Ascq porte la responsabilité des suites de sa conduite traîtresse, que je ne puis que fortement condamner ». Le général Bérard, président de la Délégation française auprès de la Commission allemande, ne se tint pas pour satisfait de la réponse de Rundstedt et, le 21 juin 1944, il renouvela la protestation française, en l’adressant cette fois au général Vogl, président de la Commission allemande d’armistice. C’est le document F-673, déposé sous le n° RF-392 que je cite :

« Au total, du 1er octobre 1943 au 1er mai 1944, plus de 1.200 personnes ont été victimes de ces mesures de répression... Ces mesures de répression frappent des innocents et font régner la terreur parmi la population française... Un grand nombre de faits signalés se sont passés au cours d’opérations répressives dirigées contre les populations accusées de relations avec le maquis. Dans ces opérations, jamais n’est intervenu le souci de savoir si les personnes suspectées d’avoir rendu des services aux réfractaires étaient réellement coupables et encore moins, dans ce cas, celui de discerner si ces personnes avaient agi de leur plein gré ou sous la contrainte. Le nombre des innocents exécutés est ainsi fatalement considérable.

« L’opération de répression en Dordogne, du 26 mars au 3 avril 1944, et surtout la douloureuse affaire d’Ascq qui ont déjà motivé l’une et l’autre l’intervention du chef du Gouvernement français, en sont de pénibles exemples : à Ascq, notamment, 86 innocents ont payé de leur vie un attentat qui, d’après les renseignements, n’aurait causé la mort d’aucun soldat allemand...

« De pareils actes ne peuvent que développer l’esprit de révolte dont les ennemis de l’Allemagne sont en définitive les seuls bénéficiaires. »

Réponse de la Commission d’armistice (document F-707 déposé sous le n° RF-436) : Rejet de la requête du général Bérard ; le document est sous les yeux du Tribunal ; je ne crois pas nécessaire de le lire.

Le général, le 3 août 1944, reprend ses protestations (c’est le document F-673 déjà déposé sous le n° RF-392) . A la fin de sa protestation, il écrit : « Un ennemi qui se rend ne doit pas être tué, même s’il est franc-tireur ou espion : ces derniers recevront des tribunaux un juste châtiment ». Mais ceci n’est que le texte des prescriptions allemandes d’ordre intérieur.

Nous déposons le document F-706 sous le n° RF-437 qui est encore une note du secrétaire d’État pour la Défense au général allemand, protestant contre les mesures de destruction prises par les troupes allemandes à Chaudebonne et à Chavroches ; nous ne donnerons pas lecture de ce document, le Tribunal pourra nous donner acte, s’il le juge nécessaire de ce dépôt.

Nous en arrivons à la relation des événements de Tulle au cours desquels 120 Français furent pendus (page 169) :

« Le 7 juin, un groupe important de francs-tireurs attaquait les forces françaises du maintien de l’ordre et parvenait à s’emparer de la plus grande partie de la ville de Tulle. Après un combat qui dura jusqu’à l’aube...

« Le même jour, vers 20 heures, d’importantes forces blindées allemandes, venant au secours de la garnison, pénétrèrent dans la ville : tous les terroristes se retirèrent en hâte. Ces troupes qui reprennent Tulle décident d’exercer des représailles. Les Forces Françaises de l’Intérieur qui avaient pris la ville, se sont retirées. Les Allemands n’ont pas de prisonniers, les représailles s’exerceront sur les civils : indistinctement on les arrête. Les victimes furent choisies sans enquête, sans même un interrogatoire, pêle-mêle : des ouvriers, des étudiants, des professeurs, des industriels ; il y avait même parmi eux des sympathisants miliciens et même des candidats à la Waffen-SS. Les 120 cadavres pendus aux balcons et aux lampadaires de l’avenue de la Gare, sur une longueur de 500 mètres, furent un spectacle d’horreur qui restera bien longtemps dans le souvenir de la malheureuse population de Tulle. »

Nous arrivons au couronnement de ces atrocités allemandes ; la destruction d’Oradour-sur-Glane, au mois de juin 1944. Le Tribunal acceptera nous l’espérons, le dépôt du document F-236 qui devient le document RF-438. Il s’agit d’un ouvrage officiel, édité par le Gouvernement français, qui relate entièrement les événements. Je vais donner une analyse sommaire du rapport que le Gouvernement de l’époque adressa au général allemand commandant en chef dans les régions de l’Ouest :

« Le samedi 10 juin, un détachement de SS, appartenant vraisemblablement à la division « Das Reich » présente dans la région, fit irruption dans le village, après l’avoir entièrement cerné, et ordonne le rassemblement de la population sur la place centrale. Il fut annoncé qu’une dénonciation aurait signalé des explosifs cachés dans le village et que des perquisitions et des vérifications d’identité allaient être faites. Les hommes furent invités à se grouper en quatre ou cinq groupes, qui furent chacun enfermé dans une grange. Les femmes et les enfants furent conduits dans l’église et enfermés ; il était 14 heures environ. Peu après, les mitraillettes commencèrent et le feu fut mis à tout le village ainsi qu’aux fermes environnantes. Les maisons furent incendiées une par une. L’opération dura sans doute plusieurs heures, étant donné l’étendue de la localité. Pendant ce temps, les femmes et les enfants étaient dans l’angoisse, en entendant les échos des incendies et des fusillades. À 17 heures, les soldats allemands pénétrèrent dans l’église et déposèrent sur la table de communion un engin asphyxiant constitué par une sorte de caisse d’où s’échappaient des mèches enflammées. En peu de temps, l’atmosphère devint irrespirable ; quelqu’un put cependant forcer la porte de la sacristie, ce qui permit de ranimer les femmes et les enfants touchés par l’asphyxie. Les soldats allemands se mirent alors à tirer à travers les vitraux de l’église, puis ils pénétrèrent pour achever à la mitraillette les derniers survivants et répandirent sur le sol une matière inflammable.

« Une seule femme put s’échapper, s’étant hissée à un vitrail pour s’enfuir ; les cris d’une mère qui voulait lui confier son enfant attirèrent l’attention d’une sentinelle, qui fit feu sur la fugitive et la blessa grièvement. Elle ne put sauver sa vie qu’en simulant la mort et fut soignée par la suite dans un hôpital de Limoges.

« Vers 18 heures les soldats allemands arrêtèrent le train départemental qui passe dans le voisinage, en firent descendre les voyageurs à destination d’Oradour et, les ayant mitraillés, jetèrent leurs corps dans le brasier. À la fin de la soirée, ainsi que le lendemain, un dimanche matin, les habitants des hameaux environnants, alertés par l’incendie ou angoissés par l’absence de leurs enfants qui étaient allés à l’école d’Oradour, tentèrent de s’approcher, mais ils furent, soit mitraillés, soit écartés de force par les sentinelles allemandes qui gardaient les issues du village. Cependant, l’après-midi du dimanche, certains purent pénétrer dans les ruines et attestèrent que l’église était remplie de corps de femmes et d’enfants recroquevillés et calcinés.

« Un témoin absolument sûr a pu voir, à l’entrée de l’église, le cadavre d’une maman tenant son enfant dans les bras, ainsi que, devant l’autel, le cadavre d’un petit enfant agenouillé et près du confessionnal, ceux de deux enfants encore enlacés.

« Dans la nuit du dimanche au lundi, la troupe allemande revint et tenta de faire disparaître les traces en ensevelissant sommairement femmes et enfants à l’extérieur de l’abside de l’église. La nouvelle du drame commençait à se répandre à Limoges dans la journée du 11 juin.

« Dans la soirée, le général commandant le Verbindungsstab refusa d’accorder le laissez-passer demandé par le préfet régional en personne, pour que lui-même, ainsi que le préfet délégué, puissent circuler dans la région. Seul le sous-préfet de Rochechouart put se rendre à Oradour et rendre compte à son chef, le lendemain, que le village qui comptait 85 maisons, n’était plus que ruines et que la plus grande partie de la population, femmes et enfants compris, avaient péri.

« Le mardi 13 juin, le préfet régional obtint enfin l’autorisation de se déplacer et put se rendre sur les lieux, accompagné du préfet délégué, ainsi que de l’évêque de Limoges. Dans l’église, en partie en ruines, se trouvaient encore des débris humains calcinés, provenant de cadavres d’enfants. Des ossements étaient mêlés aux cendres de boiseries, le sol était jonché de douilles portant la marque de fabrique Stkam et les murs portaient de nombreuses balles à hauteur d’homme.

« À l’extérieur de l’abside, le sol était fraîchement remué, des vêtements d’enfants étaient rassemblés et à moitié brûlés. Sur l’emplacement des granges, des corps humains entièrement calcinés, entassés les uns sur les autres, partiellement recouverts de matériaux divers, constituaient un atroce charnier.

« ... Bien qu’il soit impossible de chiffrer exactement le nombre exact des victimes, il peut être approximativement estimé de 800 à 1.000 morts, parmi lesquels de nombreux enfants évacués des régions menacées par les bombardements. Il ne semble pas y avoir plus d’une dizaine de survivants, parmi les personnes présentes au village d’Oradour au début de l’après-midi du 10 juin. »

Tels sont les faits.

« J’ai l’honneur, mon général » — concluait le général Bridoux en s’adressant à son ennemi — « de vous demander de bien vouloir les communiquer au Haut Commandement allemand en France. Je souhaite vivement que celui-ci les porte à la connaissance du Gouvernement du Reich, en raison de l’importance politique qu’ils revêtent par leur répercussion sur l’état d’esprit de la population française. »

Depuis, une enquête fut faite ; elle est résumée dans le livre que nous venons de déposer. Elle a établi qu’aucun membre des Forces Françaises de l’Intérieur n’était dans le village et qu’il n’y en avait point dans un rayon de plusieurs kilomètres. Il semble même établi. que les causes de massacre d’Oradour-sur-Glane soient lointaines.

L’unité qui a perpétré ce crime l’aurait fait, semble-t-il, en vengeance d’un attentat dont elle aurait été l’objet à plus de 50 kilomètres de là.

L’Armée allemande a ordonné une enquête judiciaire. Le document F-673 déjà déposé sous le n° RF-392 (pages 175 et 176) en fait foi. Ce document est daté du 4 janvier 1945 : il n’y avait plus aucun Allemand à cette époque en France, au moins dans la région d’Oradour-sur-Glane. La version donnée par les autorités allemandes est que les représailles semblent, pour des raisons militaires, absolument justifiées. Le commandant militaire responsable est d’ailleurs tombé dans les combats en Normandie.

Nous nous souviendrons de cette phrase : « Les représailles semblent, pour des raisons militaires, absolument justifiées ». Ainsi, aux yeux de l’Armée allemande, le crime d’Oradour-sur-Glane, dont je vous ai donné le récit dans toute sa sécheresse, est un crime amplement justifié ! La culpabilité de Keitel dans toutes ces affaires est certaine. Il y a donc dans le document F-673 (RF-392) — et ce sera la fin de mes explications — une pièce singulière qui est signée de lui : elle a été rédigée le 5 mars 1945, et elle concerne de « prétendues mises à mort de citoyens français, sans jugement » (page 177). Elle éclairera le Tribunal sur la façon dont, sur ordre, étaient conduites ces enquêtes criminelles faites par l’Armée allemande à la suite d’incidents aussi graves que celui d’Oradour-sur-Glane et qu’il fallait justifier à tout prix.

De ce document, qu’il faudrait citer en entier, nous ne retiendrons que l’avant-dernier paragraphe. Il était de l’intérêt allemand de répondre aussi vite que possible à ces reproches.

LE PRESIDENT

Monsieur Dubost, ceci n’est pas un document dont nous pouvons prendre acte et par conséquent si vous voulez déposer l’ensemble du document, il faut le faire.

M. DUBOST

J’en suis surpris, Monsieur le Président ; vous l’avez déjà accepté ; c’est le document F-673, il a été déposé sous le n° RF-392 et c’est l’ensemble des documents qui proviennent de la Commission allemande de Wiesbaden.

LE PRÉSIDENT

Est-ce un document public ?

M. DUBOST

Je crois comprendre que le Tribunal souhaite que je lise le document en entier.

LE PRÉSIDENT

Si c’est le document F-673, cela semble être une très grosse liasse de documents. Le fragment de cette liasse signé par Keitel est un document privé.

M. DUBOST

C’est un document qui émane de la Commission allemande de Wiesbaden. Il a été déposé il y a plusieurs heures sous le n° RF-392 et votre Tribunal en a accepté le dépôt.

LE PRÉSIDENT

Je sais que nous l’avons accepté, mais cela ne veut pas dire que l’ensemble du document peut être fourni en preuve. Nous avons décidé à plusieurs reprises que les documents que nous ne tenons pas pour acquis doivent être lus, afin qu’ils puissent être traduits en allemand aux défenseurs.

M. DUBOST

Je vais donc en donner lecture, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. DUBOST

« Haut Commandement de la Wehrmacht. Quartier Général du Führer. 5 mars 1945. » Au-dessus : « WFSt Qu. 2 (I) Nr. 01487/45 g. Personne traitant la question : Capitaine Cartellieri. Secret. Concerne de prétendues mises à mort sans jugement de citoyens français :

« 1° Commission d’armistice allemande. « 2° Haut Commandement Ouest.

« 2° Haut Commandement Ouest.

« Au mois d’août 1944, la Commission française auprès de la Commission d’armistice allemande, s’est adressée par une note à cette dernière, donnant un tableau précis d’incidents sur de soi-disant exécutions arbitraires de Français, du 9 au 23 juin 1944.

« Les renseignements donnés par la note française étaient, pour la majeure partie, tellement précis qu’un contrôle du côté allemand était sans aucun doute possible. En date du 26/9/44, le Haut Commandement de la Wehrmacht a chargé la Commission d’armistice allemande de l’étude de cette affaire. La dite commission a, par la suite, demandé au Haut Commandement Ouest une enquête sur les incidents et une prise, de position sur les faits présentés par la note française.

« Le 12 février 1945, la Commission d’armistice allemande a reçu du groupe d’armées B (du président du Tribunal militaire du groupe d’armées), l’information que les pièces se référant à cette affaire se trouvaient depuis novembre 1944, chez le juge d’armée Pz. AOK 6 et que le Pz. AOK 6 et la 2e SS Pz. division « Das Reich » ont, entre temps, été détachés du groupe d’armées B.

« La façon dont l’étude de cette affaire a été faite donne lieu aux remarques suivantes :

« Les Français et notamment la Délégation du Gouvernement de Vichy, ont fait à la Wehrmacht allemande le grave reproche d’avoir procédé à de nombreuses mises à mort, non justifiées par les lois de la guerre, de citoyens français, donc des assassinats. Il était de l’intérêt allemand de répondre aussi vite que possible à ces reproches ; dans la longue période qui s’est passée depuis la note française, il aurait dû être possible, même avec la marche des événements militaires et les mouvements de troupes en relation avec ces événements, de prendre au moins une partie des reproches et de la contester par un examen réel des faits.

« Si seulement une partie des condamnations (cette phrase est capitale) était réfutée, on aurait pu montrer aux Français que la totalité de leurs revendications reposait sur des données douteuses : par le fait que, dans cette affaire, rien n’a été fait du côté allemand, l’adversaire doit avoir l’impression que nous ne sommes pas en mesure de répondre à ces reproches.

« L’étude de cette affaire montre que, très souvent, il existe une méconnaissance totale de l’importance de réfuter tous les reproches faits à la Wehrmacht et d’agir contre la propagande ennemie et de renier aussitôt les soi-disant cruautés allemandes.

« La Commission d’armistice allemande est chargée par la présente de continuer l’étude de l’affaire avec toute l’énergie nécessaire.

« Nous demandons que chacun, pour sa part, fasse le travail nécessaire spécialement en ce qui concerne l’accélération de l’étude.

« La réalité du fait que la Pz. AOK 6 ne fait plus partie du ressort du Haut Commandement Ouest, n’est pas un empêchement pour avoir les renseignements nécessaires à l’éclaircissement et à la réfutation des reproches français.

« Signé : Keitel. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, vous avez déclaré que ce document impliquait Keitel ?

M. DUBOST

Il est signé Keitel.

LE PRÉSIDENT

Il est signé Keitel, mais comment cela l’implique-t-il dans l’affaire d’Oradour ?

M. DUBOST

Monsieur le Président, la Commission française et le Gouvernement de fait de Vichy ont signalé, à de nombreuses reprises aux autorités allemandes, non seulement les atrocités d’Oradour-sur-Glane, mais de nombreuses atrocités. Des ordres ont été donnés par Keitel pour que ces faits, qui constituent des réalités certaines non pas seulement aux yeux des Français mais aux yeux des enquêteurs objectifs et impartiaux qui ont examiné ces affaires, soient examinés dans le but de réfuter une partie de ces reproches. Cette lettre se réfère aux protestations françaises antérieures, dont nous avons donné lecture en partie au Tribunal au cours de cet examen de la question, notamment aux faits signalés dans la lettre du général Bridoux, qui indique l’assassinat de Français à Marsoulas, Haute-Garonne, dont 14 enfants.

LE PRÉSIDENT

Je pensais que vous disiez que c’était le dernier document auquel vous vous référiez.

M. DUBOST

C’est le dernier document.

LE PRÉSIDENT

5 h. 10. Devons-nous suspendre l’audience ? Monsieur Dubost, pourriez-vous nous dire quel est le sujet qui sera traité demain ?

M. DUBOST

Les crimes contre l’humanité par mon collègue M. Faure. Si vous me permettez de présenter ma conclusion ce soir, cela ne durera pas longtemps. Notre travail a été quelque peu retardé cet après-midi.

LE PRÉSIDENT

Combien de temps pensez-vous que votre déclaration finale durera, Monsieur Dubost ?

M. DUBOST

Je pense que nous aurons fini à 5 h 30.

LE PRÉSIDENT

Je pense peut-être que si cela vous convient, nous préférerions vous entendre demain matin. Est-ce que cela vous convient également ?

M. DUBOST

Je suis aux ordres du Tribunal.

(L’audience sera reprise le 1er février 1946 à 10 heures.)