QUARANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Samedi 2 février 1946.

Audience du matin.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal, je désire annoncer que les accusés Kaltenbrunner, Seyss-Inquart et Streicher, étant malades, n’assisteront pas à l’audience de ce matin.

M. FAURE

Messieurs, je demanderai au Tribunal de bien vouloir prendre maintenant le dossier qui est intitulé « Luxembourg ».

Le Tribunal est déjà informé des éléments essentiels de la situation concernant le Luxembourg par le témoignage de M. le président Reuter qui a été entendu à l’audience d’hier. Je pourrai donc raccourcir mes explications sur ce dossier mais il est, néanmoins, indispensable que je présente au Tribunal quelques documents.

L’annexion du Luxembourg présente un caractère tout à fait particulier en ceci qu’elle a comporté l’abolition totale de la souveraineté de ce pays occupé.

Il s’agit donc d’un cas qui correspond à l’hypothèse que l’on appelait en droit classique la debellatio, c’est-à-dire la cessation des hostilités par la disparition de la personne de droit public de l’un des belligérants.

Cette annexion totale du Luxembourg achève de démontrer la préméditation criminelle de l’entreprise du Reich contre cet état, envers lequel il s’était lié par des traités diplomatiques, notamment le Traité de Londres du 11 mai 1867 et le Traité d’arbitrage et de conciliation du 2 septembre 1929. Et le Tribunal sait, par la déposition de M. Reuter, que ces engagements avaient été confirmés, d’abord par une démarche diplomatique spontanée du 29 août 1939, de M. von Radowitz, ministre plénipotentiaire d’Allemagne, et ensuite par une déclaration rassurante, quelques jours encore avant l’invasion, dans les circonstances qui ont été précisées au Tribunal.

Étant donné que le Luxembourg, à la différence de l’Alsace et de la Lorraine qui étaient départements français, étant donné, dis-je, que le Luxembourg constituait un État, les Allemands ont dû prendre et ont pris, pour réaliser cette annexion de fait, des textes spéciaux portant la suppression des institutions publiques, deux ordonnances du 23 août et du 22 octobre 1940 prononçant, d’une part la prohibition des partis politiques luxembourgeois et, d’autre part, la dissolution de la Chambre des Députés et du Conseil d’État.

Ces deux ordonnances sont produites comme documents sous le n° RF-801 et le n° RF-802. Je demande simplement au Tribunal de prendre note de ces textes qui sont des textes publics.

Dès le 26 août 1940, d’ailleurs, une ordonnance allemande avait aboli la formule exécutoire constitutionnelle selon laquelle la justice est rendue au nom du souverain. À cette formule exécutoire avait été à ce moment substituée une formule selon laquelle la justice était rendue au nom du peuple. Le 15 octobre 1941, la formule fut encore modifiée d’une façon plus franche et devint « au nom du peuple allemand ».

Je suivrai maintenant mes explications complémentaires, dans le même ordre d’idées que j’avais adopté pour l’Alsace et pour la Lorraine, et naturellement, je n’insisterai que sur les circonstances qui sont particulières au Luxembourg.

Comme dans le cas de l’Alsace et de la Lorraine, les Allemands ont entrepris d’extirper le sentiment national au Luxembourg et de rendre impossibles toutes les manifestations de la culture traditionnelle de ce pays.

Je citerai ainsi les ordonnances du 28 août 1940 et du 23 octobre 1940 qui proscrivent les associations à but culturel ou éducatif.

Comme en Alsace et en Lorraine, les Allemands ont imposé la germanisation des noms et prénoms. Ceci fait l’objet d’une ordonnance concernant le changement des prénoms et des noms de famille du Luxembourg, en date du 31 janvier 1941 (document RF-803) .

Je signale, en passant, l’interdiction du port du béret qui s’applique également au Luxembourg, selon le décret du 14 février 1941.

En même temps qu’ils supprimaient les institutions nationales, les Allemands avaient installé, selon le mode habituel, leur propre administration et avaient désigné un Gauleiter en la personne de Gustav Simon, précédemment Gauleiter de Coblence-Trêves. Au point de vue administratif, le Grand-Duché de Luxembourg fut administré comme « Bezirk » (territoire) du chef de l’administration civile, mais par des administrations allemandes.

Au point de vue du Parti, parti national-socialiste, il fut officiellement rattaché au Reich, comme dépendant du Mosel-Gau.

Je n’insiste pas sur l’introduction de la législation civile et de la législation pénale allemande qui a été faite dans des conditions identiques à celles que nous avons étudiées pour l’Alsace et pour la Lorraine ; et la preuve à cet égard doit être considérée comme suffisamment fournie par le dépôt du rapport officiel du Gouvernement du Grand-Duché.

En ce qui concerne la nationalité et la conscription, nous observons également le parallélisme entre les dispositions relatives au Luxembourg et celles relatives aux autres pays annexés. À la date du 30 août 1942, deux ordonnances furent promulguées. Il est même à remarquer qu’ici ces deux ordonnances, dont l’une est relative à la nationalité et l’autre au service militaire, portent exactement la même date.

L’ordonnance sur le service militaire est produite comme document RF-804 et l’ordonnance sur la nationalité est produite comme document RF-805. La législation de la nationalité comporte d’ailleurs une disposition qui est particulière au Luxembourg, bien qu’elle soit conforme à l’esprit général de la législation allemande de la nationalité dans les pays annexés.

Les Allemands avaient créé au Luxembourg diverses organisations du type nazi, dont la principale était l’association dite « Volksdeutsche Bewegung ». Et voici la circonstance particulière que je désirais indiquer.

L’ordonnance sur la nationalité, du 30 août 1942, accorde la nationalité allemande aux personnes qui ont donné leur adhésion à ce groupement « Volksdeutsche Bewegung ». Mais cette acquisition de nationalité n’est donnée qu’à titre révocable. Ceci est précisé dans le dernier paragraphe du titre 1 de cette ordonnance, document RF-805. En fait, cette dation de la nationalité, dans ce cas spécial, n’avait de valeur que pour une durée de deux ans, à titre provisoire.

En même temps que les nazis établissaient la conscription, ils rendaient obligatoire pour les jeunes Luxembourgeois le service dans les formations pré-militaires de la Hitler Jugend. Ceci fait l’objet d’une ordonnance du 25 août 1942, sur les camps de la Jeunesse hitlérienne, qui constitue le document RF-806.

Enfin, de même qu’en Alsace et en Lorraine, le travail obligatoire fut imposé au Luxembourg, non seulement pour les hommes mais également pour les femmes et à l’égard de tâches d’intérêt militaire. Ces prescriptions résultent notamment de trois ordonnances, une ordonnance du 23 mai 1941, une ordonnance du 10 février 1943, une ordonnance du 12 février 1943. Ces deux dernières ordonnances sont produites comme documents RF-807 et RF-808.

Je désirerais maintenant citer une autre circonstance particulière au Luxembourg, dont la preuve figure dans le rapport officiel du Gouvernement du Luxembourg qui a déjà été déposé au Tribunal (page 4, paragraphes 7 et 8). La citation est très courte, et je n’ai pas remis dans mon livre de documents tout le rapport du Luxembourg. Je ne cite qu’une phrase qui a la référence que je donne :

« Par ordonnance, parue au Journal Officiel pour le Luxembourg de 1942, page 232, une partie de la population luxembourgeoise fut forcée d’entrer dans les cadres d’un corps appelé « Sicherheits- und Hilfsdienst », formation para-militaire uniforme et comportant des exercices militaires. Une partie fut envoyée de force en Allemagne pour y accomplir des tâches hautement dangereuses lors des attaques aériennes des Forces alliées. »

Les nazis ont fait un effort particulier pour obtenir la nazification du Luxembourg et ils ont imaginé dans ce pays un procédé particulier, un plan dont la conception originale était fondée sur l’élément linguistique. Ils ont développé la thèse officielle que le Grand-Duché de Luxembourg appartenait à l’espace linguistique allemand. Ils ont fait toute une propagande sur ce thème, que le dialecte parlé au Luxembourg était un dialecte franconien de la Moselle, constituant une variante du Haut Allemand. Et c’est après avoir développé ce thème qu’ils ont fait un recensement de la population dont le témoin a parlé hier au Tribunal. Je précise que ce recensement a eu lieu le 10 octobre 1941. J’ai désiré faire entendre le témoin sur ce point car aucune indication sur les résultats du recensement n’était fournie dans le rapport gouvernemental, et le Tribunal sait maintenant pour quelles raisons, puisque le Tribunal a appris que les autorités allemandes avaient interrompu immédiatement le recensement dès qu’elles avaient constaté que le nombre de personnes qui répondaient de façon conforme à leurs désirs était un nombre ridicule.

Après cet échec, les Allemands considérèrent que le dialecte luxembourgeois avait cessé d’être pour eux un ami politique et, par une circulaire du 13 janvier 1942, que je produis comme document RF-809, interdirent aux fonctionnaires l’usage de ce dialecte dans toutes les conversations avec le public, tant oralement que par téléphone, ce qui pouvait-gêner un grand nombre de personnes.

L’entreprise de la nazification s’est poursuivie d’autre part par la création de groupements inspirés de l’esprit habituel. J’ai déjà cité le principal de ces groupements qui était la « Volksdeutsche Bewegung », et je citerai seulement, pour finir sur ce point, une phrase du rapport luxembourgeois qui est ainsi conçue :

« L’adhésion à la « Volksdeutsche Bewegung » fut la condition sine qua non du maintien des fonctionnaires à leur poste, des employés privés à leur place, des personnes des carrières libérales dans l’exercice de leur profession (avocats, médecins, etc.), des industriels dans leurs usines, de tout le monde dans son gagne-pain. La contrainte fut marquée par des congédiements, des déplacements hors du pays et des déportations de familles entières. »

Les sanctions prises contre les Luxembourgeois qui refusaient ces sollicitations étaient accompagnées d’une formule qui est très révélatrice de la mentalité nazie et que je lirai au Tribunal d’après le texte qui est reproduit dans le rapport gouvernemental. C’est une très courte citation :

« En raison de leur attitude, ces personnes n’offrent pas la garantie qu’elles rempliront d’une façon exemplaire, à tous moments et sans réserves, au cours et en dehors de leur activité professionnelle, les devoirs qui trouvent leur fondement dans l’institution de l’administration civile à Luxembourg et dans l’attitude pro-allemande. »

Les nazis ont également cherché à développer au Luxembourg le corps des SA.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous reçu ce rapport gouvernemental ? L’avez-vous déposé ?

M. FAURE

Le rapport du Gouvernement luxembourgeois a été déposé au Tribunal par mon collègue M. Dubost.

LE PRÉSIDENT

Merci.

M. FAURE

Comme je n’en fais que des citations très courtes, je me suis permis de ne pas le joindre à mon livre de documents.

LE PRESIDENT

Entendu, Monsieur Faure. Cela m’aiderait, lorsque vous citez un document qui n’est pas dans le livre de documents, si vous me donniez la page du dossier.

M. FAURE

Les nazis ont encore utilisé, naturellement, toutes sortes de moyens de contrainte pour obtenir des adhésions à ce corps des SA, ainsi qu’au corps motorisé des SA qui est désigné par les initiales NSKK.

Je désirerais maintenant indiquer au Tribunal qu’un effort particulier a été dirigé vers la jeunesse, parce que les nazis ont pensé qu’il serait plus facile de faire accepter leurs préceptes et leurs doctrines par des jeunes gens, et même, je dois le dire, par des enfants.

Je crois pouvoir citer au Tribunal le document RF-810 qui est une circulaire du 22 mai 1941 adressée aux directeurs des écoles supérieures. Ce document est très court, je me permettrai d’en donner lecture.

« Sur ordre du Gauleiter, tous les membres du corps enseignant sont obligés d’acquérir, jusqu’au 1er juin 1941, le livre du Führer, Mein Kampf.

« D’ici au 1er septembre 1941, chaque membre du personnel enseignant doit me faire parvenir une déclaration écrite sur l’honneur, attestant qu’il a lu l’ouvrage. »

Les Allemands pensaient donc que la lecture obligatoire de Mein Kampf, pour laquelle ils prévoyaient un délai de trois mois, nécessaire à l’assimilation de cette doctrine importante, pourrait convaincre les professeurs, et qu’eux-mêmes enseigneraient ensuite leurs élèves dans l’esprit officiel.

Voici maintenant un autre document qui est le document RF-811, que je me permets de lire au Tribunal parce qu’il n’est pas long et qu’il est également très caractéristique :

« Extrait du recueil des circulaires et ordonnances adressées aux élèves de l’Athenœum :

« Luxembourg, le 16/6/41.

« 1. Il sera du devoir de tout élève de se lever lorsque le maître apparaîtra pour commencer son cours et au moment où il quittera la classe, une fois le cours terminé.

« 2. Le salut allemand sera exécuté de la façon suivante :

a) Lever le bras droit tendu à la hauteur de l’épaule ;

b) Crier : « Heil Hitler ».

« 3. Les élèves sont obligés de répondre aux professeurs qui commenceront et termineront leurs cours, par le même salut.

« 4. J’attends aussi de tous les élèves qu’ils saluent à la manière allemande dans la rue, principalement les messieurs dont ils savent qu’ils sont partisans enthousiastes de ce salut. »

Ces méthodes allemandes ont atteint leur point culminant avec l’imposition du serment de fidélité à Hitler, serment qui a été imposé aux gendarmes et aux policiers. Je me réfère sur ce point au témoignage, qui a été donné par M. Reuter, qui a donné cette précision terrible : que les réfractaires avaient été déportés et ensuite, en grande majorité, fusillés. J’offre également en preuve, sur ce point, le rapport du Gouvernement, qui donne les indications correspondantes à la page 12.

Naturellement, comme dans les autres territoires annexés, les Luxembourgeois ne se prêtaient et ne se pliaient point aux entreprises allemandes et, là aussi, on a voulu briser la résistance par la terreur. Je dois mentionner un texte particulier, qui est une ordonnance du 2 juin 1941. Ce sera le document RF-812, qui porte comme titre : « Ordonnance sur la mise en vigueur dans le Luxembourg de la loi du 10 février 1936 sur la Gestapo ». Ce titre suffit à indiquer le sujet.

La Gestapo a institué au Luxembourg des tribunaux d’exception, un tribunal d’exception sommaire appelé « Standgericht », et des tribunaux de SS. Ces juridictions, si l’on peut employer ce terme de « juridiction », ont prononcé de nombreuses condamnations pour raisons politiques. Un tableau complètement détaillé de ces condamnations constitue une annexe du rapport du Gouvernement.

Pour un seul tribunal, le « Standgericht », dont j’ai parlé tout à l’heure, 16 condamnations à mort, 384 condamnations à des peines privatives de liberté. Mais ce tribunal n’était pas le seul et le rapport précise — et le témoin l’a d’ailleurs confirmé — qu’il y a eu environ 500 condamnés à mort dans ce pays, ce qui est considérable, étant donné que sa population n’est pas extrêmement nombreuse.

Il y a lieu, je crois, de mentionner également, au point de vue de la germanisation, les mesures de déportation que le Tribunal connaît déjà par le témoignage de M. Reuter, et qui seront précisées par le rapport. Ces mesures de déportation ont été appliquées systématiquement à l’élite intellectuelle du pays, au clergé et. aux personnes qui avaient servi dans l’Armée. Cette circonstance démontre bien la volonté de supprimer l’armature sociale, intellectuelle et morale de ce pays.

Le rapport luxembourgeois fournit, en annexe, ces listes nominales pour les déportations des officiers, des magistrats, des hommes qui étaient intervenus dans la politique du Grand-Duché, des écrivains, des dirigeants économiques. Je ne citerai qu’un chiffre sur un point, qui est frappant : nous voyons que les Allemands ont expulsé ou déporté 75 ecclésiastiques, ce qui, par rapport à une population telle que celle du Luxembourg, exprime clairement la volonté de paralyser complètement l’exercice du culte.

Le rapport officiel précise d’ailleurs que les biens des ordres religieux avaient été saisis et que la plupart des immeubles consacrés au culte ont été détruits ou profanés.

Sur la colonisation agricole, un seul mot : une association, une organisation, appelée « für Deutsches Volkstum und Siedelung », se chargeait de liquider les biens des déportés luxembourgeois, au profit de Tyroliens du sud qui étaient installés dans le Grand-Duché.

Colonisation industrielle et économique : nous retrouvons ici les mêmes procédés, les mêmes spoliations et par conséquent je ne désire pas revenir sur des explications dont le Tribunal connaît déjà le thème de développement. Mais je désirerais ici citer cependant un exemple concernant le Luxembourg, d’abord parce que sur des points, même généraux, je pense que la bonne méthode consiste à procéder par un exemple documentaire, et aussi parce que de cet exemple, de ce document que je vais citer, je pense que l’on peut déduire des conclusions intéressantes au point de vue de l’accusation.

Le document que je vais citer est relatif à un cas qui s’est produit parmi d’autres, un cas dans lequel les autorités allemandes ont voulu obliger des particuliers, des sociétés économiques, à céder leur actif, à céder le contrôle de leur affaire à des Allemands.

C’est cela la colonisation, cela consiste à installer des nationaux allemands dans des affaires qui ont un actif important et une fonction économique, et le ministère de l’Économie du Reich s’occupait lui-même de ces procédés illicites, destinés à spolier des particuliers et à germaniser l’économie du pays.

Le document que je vais lire au Tribunal porte le n° am31011946 zRF-cil3 ; il est fourni à titre de document par le Gouvernement luxembourgeois ; c’est d’ailleurs l’original, avec la signature ; c’est un document à en-tête.

« Le ministre de l’Économie du Reich. Berlin le 5 janvier 1942. » Cette lettre à en-tête du ministre de l’Économie du Reich est signée : « Par ordre, Dr Saager ». Il s’agit donc d’un subordonné, agissant régulièrement, administrativement, sur l’ordre de son ministre. C’est le document RF-813, l’avant-dernier de mon dossier.

Cette lettre porte la mention : « Secret. Objet : Accumulateurs Tudor, S.A., Bruxelles », et elle est adressée à la fabrique d’accumulateurs, à l’attention de M. von Hoitzendorff, Berlin, Askanischer Platz, n° 3. Le Tribunal comprend que le ministre de l’Économie s’adresse à la firme allemande qui doit être le bénéficiaire de la pression que l’on va exercer sur la firme luxembourgeoise :

« Me référant à nos entretiens réitérés, je vous confirme qu’il est de l’intérêt du Reich, et à considérer comme très désirable, que votre société obtienne une participation dans la Société anonyme des accumulateurs Tudor. Cet intérêt du Reich n’est pas, en dernier lieu, fondé sur des exigences d’économie militaire. Pour l’acquisition de cette participation décisive, les actions appartenant à M. Léon Laval, précédemment à Luxembourg, et actuellement à Bad Mergentheim, entrent en premier lieu en ligne de compte. Il ne s’agit pas uniquement des actions que ce dernier possède personnellement, mais en plus, du paquet de 3.000 actions se trouvant entre les mains de la Sogeco. »

Je viens maintenant au paragraphe très important :

« Je demande, en conséquence, d’entamer immédiatement les négociations nécessaires. Je tiens à faire remarquer que vous aurez, en premier lieu, à solliciter de la Gestapo l’autorisation de la Police d’État de négocier avec M. Laval et ensuite à demander à cette dernière l’accord au transfert de ses actions à votre société dans le cas où M. Laval donnerait son accord.

« J’ai mis la Gestapo au courant de la question. Si le résultat de vos négociations le rendait utile, je serais prêt à attirer, une fois de plus, l’attention de la Gestapo sur l’urgence de votre mission. »

Je dois maintenant faire connaître au Tribunal, comme complément de ceci, le document RF-814 ; c’est la continuation de la manœuvre où nous avons vu s’associer le ministre de l’Économie du Reich avec la Gestapo, pour obtenir une spoliation particulière. Cette lettre est adressée au particulier qu’il fallait obliger à vendre ses actions, le Dr ingénieur Léon Laval, et nous allons voir qui va lui écrire. Voici le texte de cette lettre, qui est datée à Luxembourg le 14 janvier 1942 et qui porte l’en-tête de l’Einsatzkommando de la Police de sûreté et du SD à Luxembourg.

« Vous avez à vous tenir, à la date du 19 janvier 1942, à la disposition du représentant de l’Accumulatorenfabrik AG. Berlin, M. le directeur von Holtzendorff. »

Le Tribunal reconnaît le nom de von Hoitzendorff, qui était le destinataire de la lettre du ministre de l’Économie du Reich, document précédent.

« M. von Hoitzendorff, qui se trouve en possession d’une autorisation spéciale du Reichssicherheitshauptamt, s’entretiendra avec vous de questions d’affaires. Heil Hitler ! Signé : Hartmann. »

Le Tribunal conçoit bien que, si je lui ai lu ces deux documents à titre d’exemple, ce n’est pas parce que je trouve très important, dans le cadre de ce Procès, que les accumulateurs Tudor aient été dépouillés, encore que cette circonstance soit un acte illicite commis à leur préjudice, mais je désirais, et je crois que c’est un point important dans ce Procès, souligner, et je le ferai chaque fois que les documents m’en donneront l’occasion, l’interférence qui existe entre les différents services allemands dont les accusés, ici, étaient les chefs. Certaines personnes ont quelquefois tendance à penser que tous les crimes allemands sont imputables à la Gestapo, et il est certain que la Gestapo est une organisation criminelle caractérisée, mais la Gestapo ne se mettait pas en fonctionnement toute seule, la Gestapo agissait sur la demande et en liaison avec les administrations civiles et avec le commandement militaire.

Nous avons vu hier, à propos des pontificalia de l’évêché de Strasbourg, à propos également de l’université de Strasbourg, ce schéma du recours fait par le ministre civil, ou par son représentant, à l’agent policier d’exécution. Nous voyons encore cette note, à l’occasion des documents d’ordre économique que je viens de lire au Tribunal.

J’ai terminé maintenant le premier chapitre de mon réquisitoire et il me serait agréable de faire connaître que le travail de la documentation et de la préparation de ce chapitre a été réalisé avec le concours de mon assistant, M. Albert Lentin.

Je désirerais maintenant remettre au Tribunal le premier dossier du deuxième chapitre, consacré aux saisies de souveraineté.

Ce premier dossier comprend des idées générales que je crois devoir proposer au Tribunal, avant de les appuyer par les documents. Par conséquent, le Tribunal n’a sous les yeux qu’un dossier intitulé « Exposé », et pour les pages de ce dossier il n’y a pas de livre de documents.

Les Allemands ont occupé les territoires de cinq Puissances, si l’on ne compte pas le Luxembourg annexé, dont j’ai parlé tout à l’heure. Sur ces cinq pays, trois ont conservé des autorités gouvernementales. Il s’agit du Danemark, de la Norvège et de la France. Encore les cas de ces trois pays sont-ils extrêmement différents. Le Gouvernement du Danemark était un gouvernement légitime. Le Gouvernement de la France a été un gouvernement de fait qui, au début, exerçait une autorité réelle sur des territoires non occupés. Le Gouvernement de la Norvège était aussi un gouvernement de fait qui est demeuré le symbole des gouvernements fantoches. Mais deux autres puissances, la Belgique et les Pays-Bas, n’ont point conservé d’autorité à caractère gouvernemental, mais seulement des autorités administratives, dont les plus élevées étaient les secrétaires généraux des départements ministériels. En présence de ces situations, les Allemands, selon le terme que j’ai précédemment employé, ont différencié leurs méthodes de domination ; d’autre part, ils n’ont pas établi une méthode spécifique correspondant à l’organisation interne de chaque pays considéré ; aussi la vue de l’ensemble est-elle, au premier abord, assez complexe.

D’un premier point de vue, l’usurpation de la souveraineté par les occupants a revêtu trois formes différentes ; nous parlons ici du procédé externe.

Première forme. — L’exercice direct du pouvoir législatif ou réglementaire ; en disant cela, nous entendons désigner cet exercice dans toute la mesure où il dépassait les facultés de réglementation limitée dont des armées d’occupation disposent, selon le Droit international.

Deuxième forme. — L’exercice indirect du pouvoir législatif ou réglementaire par l’intermédiaire des autorités locales ; cette notion comprend elle-même deux divisions :

1. L’injonction pure et simple, ce qui est le cas quand les autorités locales sont des autorités administratives.

2. D’autre part, la pression, ce qui est le cas quand les autorités locales sont des autorités à caractère gouvernemental de fait ou de droit.

Il convient d’ailleurs de remarquer que la pression prend parfois un caractère tel qu’elle s’assimile complètement à une injonction pure et simple. Nous comprenons également, dans cette idée de pression, le recours qui est fait à la complicité de traîtres.

Troisième forme. — La troisième forme est la voie de fait pure et simple ; nous entendons par là, naturellement, non pas les voies de fait individuelles, car elles n’intéressent pas notre sujet, mais les voies de fait qui procèdent de l’ordre d’une autorité compétente d’occupation et qui, par conséquent, engagent la responsabilité d’une instance supérieure.

Si nous nous plaçons, maintenant, au point de vue de la détermination des agents de l’usurpation, nous constatons que ces agents peuvent être classés dans cinq catégories.

1. En premier lieu, nous avons l’institution du commissaire du Reich qui a été appliquée seulement à la Norvège et à la Hollande, c’est-à-dire d’une part à un pays qui conservait une autorité gouvernementale, au moins en apparence, et au moins pendant une certaine période ; d’autre part à un pays qui ne conservait que des autorités administratives.

2. En second lieu, nous avons l’administration militaire. Les autorités militaires ont exercé, dans tous les pays, des pouvoirs absolument disproportionnés à ceux qui leur appartenaient régulièrement. Je dois noter ici que seuls ces deux agents, le commissaire du Reich et l’autorité militaire, ont pu exercer des usurpations par l’émission directe d’actes législatifs ou réglementaires.

Dans les deux puissances où il y a eu un commissaire du Reich, il y a eu, naturellement, un partage d’attributions entre ce commissaire du Reich et l’autorité militaire.

3. Un troisième agent d’usurpation est constitué par l’administration diplomatique qui relève du département des Affaires étrangères. Des représentations diplomatiques existent seulement dans les pays qui possèdent des autorités gouvernementales et où il n’existe pas de commissaire du Reich, il s’agit donc du Danemark et de la France. Ces représentants diplomatiques du Reich n’ont pas, à la différence du Reichskommissar et de l’autorité militaire d’occupation, un pouvoir, pouvoir illicite mais formel, de législation ou de réglementation. Cependant, leur rôle, dans l’usurpation de la souveraineté, n’en est pas pour autant secondaire. Il est au contraire important ; leur principale activité s’est exercée, naturellement, dans les pressions dirigées sur les autorités locales, auprès desquelles, ils étaient accrédités.

Je désirerais préciser ici deux points. On pourrait croire, d’un point de vue logique, que, dans un pays occupé comme la France, les interventions des occupants auprès des autorités locales étaient de la compétence exclusive de la représentation diplomatique. Or, il n’en est rien ; l’autorité militaire intervient également, d’une façon fréquente, par contact direct avec des autorités françaises. Inversement, les représentants diplomatiques ne se limitent pas dans les attributions naturelles à leur profession. C’est une des caractéristiques de la méthode nazie que ce dépassement général d’attributions. C’est d’ailleurs, si l’on y réfléchit, une nécessité de l’entreprise. Étant donné que l’usurpation de souveraineté, dans un pays occupé militairement, est une chose illicite et anormale, elle ne rentre pas dans la compétence normale des catégories d’activités publiques, définies dans la conception des nations civilisées.

Il y a donc dépassement d’attributions, pour les diplomates comme pour les militaires, et il y a également chevauchement d’attributions. Les diplomates et les militaires s’occupent des mêmes questions ; nous le verrons à propos de la propagande par exemple, et nous le verrons à propos des persécutions contre les Juifs.

En règle générale, l’autorité militaire agit d’une façon plus apparente, l’administration diplomatique agit, de préférence, dans les domaines qui échappent à la publicité. Il existe entre eux une liaison constante pour toutes les questions qui concernent le pays occupé.

4. Le quatrième agent de l’usurpation est l’administration de la Police. La Police allemande est installée dans tous les pays occupés, souvent sous la forme de plusieurs administrations distinctes, selon les principes qui ont été exposés au Tribunal, lorsque le Ministère Public américain a démontré les rouages de cet immense, complexe et terrible organisme policier du nazisme.

La Police n’a pas non plus d’attributions limitées ou exclusives, elle agit en étroite et constante interférence avec les autres agents que nous avons définis.

5. Le cinquième agent, que nous devons mentionner, est représenté par les filiales locales du parti national-socialiste et par les formations de même inspiration qui cherchaient à grouper des nationaux du pays occupé. Ces organisations servirent d’auxiliaires aux autorités allemandes, et dans un cas déterminé, en Norvège, elles ont fourni la base d’un prétendu Gouvernement.

J’ai tenu à tracer ce tableau, car il m’apparaît que l’on doit en tirer une conclusion intéressante pour l’accusation, dans un ordre d’idées que j’ai déjà effleuré au cours de mon exposé sur le Luxembourg. Nous voyons, en effet, que l’entreprise allemande d’usurpation de souveraineté a été réalisée par l’action d’organes différents qui se sont trouvés associés dans cette action. Dans les pays occupés, et n’oublions pas que cette usurpation a été le procédé de réalisation des crimes, l’usurpation n’a pas été l’oeuvre exclusive d’un fonctionnaire, ou d’un ambassadeur, ou d’un commandant militaire. Dans les pays dotés d’un commissaire du Reich, il existait aussi une administration militaire. Dans un pays placé sous la seule autorité réglementaire de l’Armée, il existait aussi des agents diplomatiques. Dans tous, il existait des autorités policières. Dans tous ces pays occupés, il y a eu, du fait d’occupation et du fait d’usurpation de la souveraineté, des abus et des crimes systématiques. Le Tribunal en connaît déjà beaucoup. Quelques autres lui seront encore indiqués. En conséquence de ce que je viens de dire, nous voyons que la responsabilité de ces abus n’atteint pas seulement l’une ou l’autre de ces administrations que nous avons distinguées : elle les atteint toutes.

Si, par exemple, il est exact qu’il n’y avait pas en Belgique de représentation diplomatique, cette représentation existait en France et au Danemark. Ainsi le département des Affaires étrangères et son chef ne pouvaient ignorer les conditions de l’occupation qui, quant à leurs traits principaux, ont été homologuées dans les différents pays.

Au surplus, ces administrations coexistantes n’avaient pas, comme je le disais tout à l’heure, de partage d’attributions fixes. Même si ce partage d’attributions avait existé, il faut remarquer que la responsabilité et la complicité de chacune dans l’action des autres auraient suffisamment résulté de leur connaissance nécessaire et de leur approbation, au moins implicite, quant à cette action. Mais de surcroît, ce partage n’existe pas et nous démontrerons que toutes étaient associées et complices dans l’action commune.

Or, ce fait même comporte encore une conséquence plus étendue. L’association et la complicité de ces différents organismes entraînent une responsabilité d’ordre général à l’égard de tous les dirigeants et de toutes les organisations qui sont accusés ici. Je vais préciser ma pensée par un exemple.

Si, par exemple, tous les abus et tous les crimes étaient l’œuvre seulement de l’Armée, sans aucune interférence, peut-être serait-il possible pour une personnalité ou pour une organisation qui n’avait pas d’attribution militaire, de prétendre qu’elle ne connaissait pas ces abus et ces crimes.

Je pense que cette thèse serait, même dans ce cas, difficile à soutenir, étant donné que l’ampleur extraordinaire des entreprises que nous dénonçons ne permettait pas qu’elles soient ignorées par quiconque exerçait une autorité à une instance élevée.

Mais, en fait, puisque plusieurs administrations sont conjointement responsables, il en résulte nécessairement que les autres instances sont responsables aussi car l’affaire, à ce point, n’est plus l’affaire d’une administration ou même de trois administrations, mais celle de toutes les administrations, et elle atteint l’élément consubstantiel à toutes les autorités étatiques.

Je parlerai tout à l’heure de l’ordre de déporter les Juifs, et je démontrerai que cet ordre a résulté d’une action commune de l’administration militaire, de l’administration diplomatique et de la Police de sûreté, dans le cas de la France. Il en résulte que, d’une part le chef du Haut Commandement, d’autre part le ministre des Affaires étrangères, en troisième part le chef de la Police de sûreté et du Service de sécurité du Reich, ces trois personnes étaient nécessairement au courant et approuvaient nécessairement cette action, car il est évident que leurs services ne les tenaient pas à l’insu de semblables initiatives concernant des affaires importantes et où, au surplus, les décisions étaient concertées, à chaque échelon, entre trois administrations différentes. Ces trois personnalités sont donc responsables et coupables.

Mais faut-il penser que, par un hasard extraordinaire, parmi les personnes qui dirigeaient le Reich à titre de ministres ou à des titres équivalents, ces trois personnes se trouvaient être des criminels et se trouvaient seules être des criminels, et qu’elles se sont mises d’accord pour cacher aux autres leurs actions criminelles ?

Cette idée est évidemment absurde. Étant donné l’interpénétration de tous les services d’exécution dans un état moderne, tous les dirigeants du Reich ont, nécessairement, connu et accepté les usurpations de la souveraineté dans les pays occupés et les abus criminels qui en ont été la conséquence.

Dans ce chapitre, je parlerai, en premier lieu, du Danemark qui est un cas particulier. Je parlerai, ensuite, de l’administration civile qui a existé en Norvège et en Hollande ; je parlerai, enfin, de l’administration militaire que était le régime de la Belgique et de la France.

Je pense que le moment est favorable pour que l’audience soit suspendue, à moins que le Tribunal ne préfère que je continue mon exposé.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

M. FAURE

Après la suspension, je désirerais faire appeler le témoin dont j’ai parlé hier au Tribunal. Je mentionne cependant un fait : hier, l’avocat de Seyss-Inquart avait demandé d’avoir la possibilité de contre-interroger ce témoin lundi. Or, M. le sénateur Vorrink, qui est mon témoin, se trouve dans l’obligation absolue de quitter Nuremberg ce soir. Je pense donc que l’avocat de l’accusé Seyss-Inquart pourra accepter de le contre-interroger aujourd’hui même. Je désirerais en tout cas le prévenir de cette modification à la proposition que j’avais faite hier.

LE PRÉSIDENT

Sera-t-il possible à l’avocat de Seyss-Inquart d’interroger le témoin, et au témoin de revenir à une autre date, si sa présence est nécessaire ?

M. FAURE

Le témoin pourra revenir à une autre date, naturellement, en cas de nécessité.

LE PRÉSIDENT

C’est ce que je veux dire. Laissez-le partir ce soir, si l’avocat veut le contre-interroger, faites-le revenir, quand cela lui sera possible.

(L’audience est suspendue.)
M. FAURE

Monsieur le Président, je demanderai au Tribunal la permission de faire appeler le témoin Jacobus Vorrink.

LE PRÉSIDENT

Faites-le appeler.

M. FAURE

Ce témoin parlant comme langue le Hollandais, qui n’est pas prévu sur les écouteurs, nous avons proposé qu’il s’exprime en langue allemande, langue qu’il connaît bien.

(On introduit le témoin Jacobus Vorrink.)
LE PRÉSIDENT

Quel est votre nom ?

M. JACOBUS VORRINK

Vorrink.

LE PRÉSIDENT

Votre prénom ?

M. VORRINK

Jacobus.

LE PRÉSIDENT

Vous jurez de parler sans haine et sans crainte, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ?

Voulez-vous lever la main droite et dire : « Je le jure ».

M. VORRINK

Je le jure.

M. FAURE

Asseyez-vous. Monsieur Vorrink, vous êtes sénateur des Pays-Bas ?

M. VORRINK

Parfaitement.

M. FAURE

Vous êtes président du parti socialiste des Pays-Bas ?

M. VORRINK

Oui.

M. FAURE

Vous exerciez ces attributions en 1940, au moment de l’invasion des Pays-Bas par les Allemands ?

M. VORRINK

Oui.

M. FAURE

Je désirerais vous demander de donner quelques explications sur la situation suivante. Il existait aux Pays-Bas, dès avant l’invasion, un parti national-socialiste. Je désirerais que vous exposiez quelle a été la situation, après l’invasion des Allemands et l’occupation, à l’égard des différents partis politiques des Pays-Bas et, notamment, à l’égard du parti national-socialiste, et quelles ont été les interventions de ce parti, en liaison avec l’occupation allemande.

M. VORRINK

Je préférerais faire mes déclarations en Hollandais, et je regrette de ne pas parler assez couramment l’anglais et le français pour me servir de ces langues. Pour ne pas retarder les débats, je ferai donc mes déclarations en allemand, et c’est là l’unique raison qui me fait employer cette langue.

La situation politique en Hollande, après l’invasion par l’Armée allemande, était la suivante : en premier lieu, la Wehrmacht voulait maintenir l’ordre dans les Pays-Bas, mais, tout de suite, les nazis ont suivi les armées et ont immédiatement essayé de diriger le pays et la vie publique d’après leur point de vue, et de l’organiser comme ils l’entendaient.

Il y avait chez les Allemands trois directives, ou trois tendances différentes : d’abord ceux qui voulaient acquérir le pays entier à leur point de vue national-socialiste. Je dois le dire, ce fut en quelque sorte notre malheur, car ces personnes, avec leur théorie du sang et du sol, nous aimaient énormément, mais lorsqu’elles n’ont pas trouvé l’amour de notre côté, leur amour s’est transformé en haine.

La seconde catégorie était composée de ceux qui étaient très exactement avertis du point de vue politique et ceux-là savaient parfaitement que les nationaux-socialistes hollandais ne représentaient qu’une minorité qu’on haïssait profondément.

Aux élections de 1935, ils n’ont obtenu que 8% des voix, mais deux années plus tard, ce pourcentage était réduit de moitié. Ces personnes étaient démunies de tact. Les ruines de Rotterdam fumaient encore qu’ils organisaient une réunion nazie où le chef nazi hollandais, Mussert, remit à Göring une cloche, comme remerciement pour ses actions en faveur de la Hollande. Heureusement, cela ne l’a pas empêché d’être châtié et éliminé.

En troisième lieu, il y avait ceux qu’on appelait les intrigants. C’étaient les personnes qui voulaient détruire l’unité nationale du pays, et ces personnes essayèrent, par Seyss-Inquart, de gagner le peuple hollandais, en le flattant d’abord. Avec Seyss-Inquart, ils ont dit que nous étions un peuple de même souche qu’eux, et que nous devions collaborer. Dans la coulisse, ils ont excité les différents groupes de nazis les uns contre les autres.

En Hollande, il y avait le parti national-socialiste ouvrier, il y avait le mouvement national-socialiste de Hollande et il y avait le Front national. Ces trois mouvements avaient tous des rapports avec certaines autorités allemandes. Les Allemands ont d’abord voulu savoir s’il était possible d’utiliser ces groupes à leurs fins, mais avec le temps, ils se sont aperçus que cela était impossible et qu’on ne pouvait pas se servir de ces groupes. Ils ont ensuite adopté uniquement le mouvement national-socialiste.

Ces nationaux-socialistes ont, peu à peu, occupé des positions-clés dans l’appareil d’État hollandais. Ils furent nommés secrétaires généraux de l’administration interne, ils devinrent commissaires de province, maires.

Comme particularité, je voudrais ajouter qu’il y avait trop peu de personnes qualifiées pour devenir maires à ce moment-là ; alors on a fait des cours abrégés de perfectionnement ; ils ont formé des maires néerlandais. Vous pouvez imaginer ce que ces maires avaient comme capacité.

En plus, ils devinrent administrateurs dans les organismes nazifiés ou dans les commerces nazifiés. De ce fait, ils exerçaient certaines fonctions d’autorité en Hollande et se sont conduits comme des lâches valets nazis. M. Rost van Tonningen a utilisé des millions de florins hollandais pour financer la guerre contre la Russie, au nom de la lutte contre le bolchévisme, comme il l’appelait.

Finalement, en décembre 1942, Seyss-Inquart a déclaré que la NSDAP devait représenter le développement politique du pays — si cela n’était pas aussi tragique, on en aurait ri — et Mussert fut nommé Führer du peuple néerlandais. Il faut ajouter que la NSDAP, du point de vue politique, n’était qu’une ombre, et n’a pu avoir qu’une existence cachée mais, avec la seule exception la plus importante, que ceux qui faisaient partie de cette organisation avaient parfois la possibilité de s’occuper de questions de personnes.

Puis, je voudrais ajouter que, parfois, tout ceci a fait tourner la tête à bon nombre de jeunes gens hollandais. Les Allemands ont trouvé quelques milliers de victimes pour prendre des fonctions dans les SS, et au cours des dernières années, ceci s’est considérablement aggravé. À ce moment-là, ils prirent des mineurs sans autorisation de leurs parents, pour les incorporer dans les SS, voire même des orphelins des maisons d’éducation. Je connais des cas, moi personnellement, où ils ont embrigadé des garçons qui avaient des difficultés avec leurs parents.

Pour être bien au courant de cette question, il faut avoir parlé, comme je l’ai fait souvent, à des enfants emprisonnés dans les camps de Hollande, pour connaître les véritables crimes qui ont été commis vis-à-vis de ces enfants.

M. FAURE

Dois-je bien comprendre que l’ensemble des procédés employés par les Allemands, était destiné à opérer la nazification de la Hollande et que s’il existait, comme vous l’avez dit, plusieurs tendances différentes chez les Allemands, ces tendances ne différaient que sur les moyens et non pas sur le but de germanisation ?

M. VORRINK

La nazification, à proprement parler, s’était étendue à tous les points de la vie publique de notre pays. Les Allemands ont essayé d’introduire, surtout dans notre pays, le principe du Führer et je voudrais par exemple attirer votre attention sur le fait que, contrairement à tout ce que nous attendions, on n’a même pas interdit les syndicats socialistes, on a seulement essayé de les occuper. Ils y ont envoyé un commissaire nazi et ils ont dit à ces gens :

« Le siècle de la démocratie est révolu, vous n’avez qu’à continuer de travailler tranquillement, sous la conduite du commissaire du Reich et dans l’intérêt des ouvriers, vous contribuerez à travailler pour leur bien dans ce sens. Rien ne devra changer. »

Les Allemands ont même essayé cette manœuvre avec les partis politiques hollandais. Au titre de président du parti social-démocrate hollandais, j’ai parlé avec M. Rost van Tonningen qui m’a dit, personnellement, qu’il était dommage que le travail d’éducation culturelle des ouvriers cesse maintenant. Nous voulions ensemble le socialisme, et il n’y avait qu’à collaborer tranquillement.

J’ai refusé cela, lors de cet entretien, en lui disant notamment que, pour nous, la démocratie n’était pas une affaire d’opportunité, mais faisait partie de notre conception de la vie, et que nous n’étions pas prêts à trahir nos convictions. À la suite de cela, ces gens ont encore essayé de retenir les ouvriers dans leurs organisations mais, peu à peu, les ouvriers ont démissionné de ces organisations par milliers ou par dizaines de milliers et, finalement, lorsque les nazis ont créé le Front national avec les syndicats chrétiens, il y avait bien une organisation, mais il n’y avait plus de membres.

M. FAURE

Est-ce que vous pouvez préciser s’il y a eu, dans votre pays, des persécutions contre les Juifs ?

M. VORRINK

C’est un des chapitres les plus tragiques que nous ayons eus dans notre pays. Il s’agit des persécutions de Juifs. Vous le savez, peut-être, en Hollande et particulièrement à Amsterdam, nous avons une forte minorité juive ; ces Juifs ont eu une très grande part dans la vie publique et culturelle de notre pays et l’on peut dire qu’il n’y a jamais eu d’antisémitisme en Hollande.

Au début, quand les Allemands sont venus dans notre pays, ils nous ont donné l’assurance que les Juifs ne risqueraient rien. Malgré cela, il y eut, dès les premières semaines, une vague de suicides. Les mois suivants, il y eut des mesures anti-juives. Les professeurs d’université furent obligés de démissionner, le Président de la Cour suprême des Pays-Bas dut démissionner aussi, et ensuite les Juifs furent obligés de se faire recenser et, enfin, vint le moment où les Juifs furent déportés en masse.

Je suis fier de pouvoir dire que la population hollandaise n’a pas toléré cela sans protester. Les étudiants hollandais ont fait grève lorsqu’on a chassé leurs professeurs juifs, et les ouvriers d’Amsterdam ont fait une grève de plusieurs jours lorsque les premières persécutions de Juifs commencèrent. Mais il faut avoir vu cela, comme je l’ai vu moi-même, pour savoir quel système barbare était le national-socialisme. La police verte a fermé des quartiers entiers de la ville, a forcé les habitations, et alors, jeunes et vieux furent chassés de leurs maisons et déportés dans des camions. On ne faisait aucune distinction entre les jeunes et les vieux. On a vu de vieilles femmes de plus de 70 ans, malades et alitées, qui ne demandaient rien d’autre que de mourir dans leur appartement, être emmenées de chez elles sur des civières et expédiées à Westemburg puis, de là, déportées en Allemagne où elles moururent dans la misère.

Je me rappelle moi-même une mère qui, chassée de sa maison, confia à une femme non juive son enfant, en la priant de s’occuper de ce petit. À l’heure actuelle, la Hollande compte » encore des centaines de familles où ces petits enfants juifs sont élevés, comme les propres enfants de cette maison.

M. FAURE

Pouvez-vous indiquer si, en dehors de ces mesures contre les Juifs, les Allemands se sont occupés des autres confessions ?

M. VORRINK

Dès le début, les Allemands ont cherché à prendre sous leur tutelle les Églises ; toutes les Églises, l’Église catholique et l’Église protestante, ont protesté lorsque les Allemands se sont attaqués aux droits de l’homme ; ces Églises ont protesté contre l’arrestation arbitraire de personnes, contre les déportations massives de nos ouvriers et elles n’ont pas cessé de témoigner en faveur des Juifs.

Naturellement, les pasteurs et les curés en ont payé les conséquences ; des centaines de nos prêtres ont été envoyés dans des camps de concentration et, sur vingt pasteurs et curés que j’ai connus personnellement au camp de concentration de Sachsenhausen, il n’y en a qu’un seul qui soit revenu aux Pays-Bas.

M. FAURE

Pouvez-vous indiquer quelles sont les mesures qui ont été prises, en ce qui concerne la culture, la propagande, l’enseignement par exemple ?

M. VORRINK

Ce qui nous a indignés le plus, c’était en premier lieu, non pas notre défaite militaire, nous étions un petit pays et en cinq jours nous avons combattu comme nous le pouvions, mais je crois qu’il eut été peut-être possible d’avoir avec les occupants des rapports corrects, si les nazis n’avaient voulu, non pas seulement occuper le pays militairement, mais également briser nos esprits et soumettre notre moral. C’est pour cela qu’ils n’ont jamais cessé de s’occuper de toutes les questions de la vie culturelle et d’essayer de nous nazifier.

En ce qui concerne la presse, par exemple, ils ont voulu nous obliger à prendre les articles de fond dans les journaux écrits par les nazis, et ces articles de fond devaient être publiés en première page, en donnant l’impression qu’ils avaient pour auteur le rédacteur en chef de ce journal.

On peut dire que ces mesures ont été des points de départ pour toute la presse illégale de la Hollande, car nous ne voulions pas permettre que les Allemands nous mentent systématiquement et, ainsi, nous étions obligés d’avoir une presse qui, elle, disait la vérité.

De même pour la radio ; il fut très rapidement défendu d’écouter les postes étrangers et les peines les plus dures furent prises contre tous ceux qui, malgré cela — et on le faisait en masse — écoutaient les postes étrangers, et particulièrement la radio anglaise et nous étions toujours très heureux, en Hollande, d’entendre la radio anglaise qui ne s’est jamais gênée de donner, in extenso, tous les discours pathétiques de Hitler et de Göring, alors que nous avions l’interdiction d’entendre les discours de Churchill.

À ces moments, nous savions vraiment pourquoi nous avions créé nos mouvements de résistance et nous comprenions pourquoi nos amis alliés ont fait cet immense effort pour débarrasser le monde de cette tyrannie sans âme.

Les arts furent également touchés ; toute une série de syndicats de peintres, de littérateurs, de musiciens furent obligés de s’organiser : un écrivain n’avait pas le droit de publier un livre avant d’avoir soumis au préalable ce livre à l’approbation d’un analphabète nazi.

Les Allemands se sont efforcés d’influencer les écoles primaires, en ordonnant que des phrases soient biffées dans des livres d’entants de 6 à 12 ans, par exemple cette phrase : « Au moment de la visite de la reine, le peuple a acclamé sa souveraine. » Une phrase de ce genre était défendue. Dans les écoles et dans tous les édifices publics, les Allemands faisaient une véritable chasse aux tableaux représentant les membres de la famille royale.

M. FAURE

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Vous avez terminé votre interrogatoire n’est-ce pas ?

M. FAURE

Oui.

LE PRÉSIDENT

Général Rudenko ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Je n’ai pas de questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Les Ministères Publics britannique et américain ont-ils des questions à poser ?

(Aucune réponse.)

Un membre de la Défense désire-t-il maintenant procéder au contre-interrogatoire du témoin ?

Dr STEINBAUER

Monsieur le Président, pour que le témoin ne soit pas obligé de refaire le long voyage de Hollande, je voudrais, en l’absence de mon client, lui poser quelques questions dès maintenant.

Dites-moi, témoin, lorsque les pouvoirs furent transférés à Seyss-Inquart par l’ordonnance du 18 mai 1940, y avait-il en Hollande la reine ou des membres du Gouvernement néerlandais ? Étaient-ils encore sur le territoire hollandais ?

M. VORRINK

Non, ils n’y étaient plus.

Dr STEINBAUER

Sous le régime du commissaire du Reich Seyss-Inquart, les fonctionnaires du régime ancien ont-ils été conservés ?

M. VORRINK

Oui.

Dr STEINBAUER

Saviez-vous que, des neuf secrétaires généraux dont la nomination datait du temps de la reine, un seul fut révoqué ?

M. VORRINK

C’est possible.

Dr STEINBAUER

Savez-vous que, des onze commissaires de provinces, quatre seulement furent révoqués pour des raisons politiques ?

M. VORRINK

Je ne connais pas le chiffre exact, mais il est possible que le vôtre soit correct.

Dr STEINBAUER

Connaissez-vous le nombre des maires nommés par le Gouvernement royal et, en particulier, est-il exact que plus de la moitié des maires était encore en fonctions ?

M. VORRINK

C’est possible.

Dr STEINBAUER

Vous n’avez pas répondu complètement à la question de M. le Procureur qui vous demandait combien de partis politiques il y avait au Parlement hollandais, au moment de l’invasion ; quels étaient ces partis ?

M. VORRINK

Il y avait le parti catholique, deux partis chrétiens protestants, deux partis libéraux, le parti social-démocrate et le parti communiste, et encore quelques partis mineurs.

Dr STEINBAUER

Nous voudrions traiter maintenant deux sujets dont vous avez parlé : école et Église. Est-il exact que les écoles hollandaises, pendant tout le temps du commissariat de Seyss-Inquart, étaient sous la direction d’un Hollandais, van Hann ?

M. VORRINK

Pendant tout le temps, les écoles étaient dirigées par un Hollandais, mais nous ne le considérions pas comme tel, car en ce moment il est en prison pour avoir trahi sa patrie.

Dr STEINBAUER

En tout cas ce n’était pas un Allemand.

M. VORRINK

C’était un traître hollandais.

Dr STEINBAUER

Est-il exact que Seyss-Inquart montrait beaucoup d’intérêt pour le système scolaire hollandais ?

M. VORRINK

Je ne peux m’en souvenir.

Dr. STEINBAUER

Par exemple Seyss-Inquart a augmenté d’une huitième classe l’école élémentaire.

M. VORRINK

Ce n’est pas exact.

Dr STEINBAUER

Est-il exact qu’il ait ainsi retardé pour le STO le départ des très jeunes gens ?

M. VORRINK

C’est exact.

Dr STEINBAUER

A-t-il montré de l’intérêt pour un vieux désir hollandais concernant l’orthographe de la langue hollandaise ? A-t-il fait nommer une commission à ce sujet ?

M. VORRINK

Il s’est fait renseigner par des personnes incompétentes, sur un sujet qu’il ignorait complètement.

Dr STEINBAUER

Mais il s’en est soucié ?

M. VORRINK

Oui, il s’en est soucié. C’est exact, mais dans une mauvaise direction.

Dr STEINBAUER

Il a même augmenté le nombre des professeurs ?

M. VORRINK

Non, ce n’est pas exact.

Dr STEINBAUER

Il a employé des professeurs débutants, réduisant ainsi les dépenses ?

M. VORRINK

Il l’a fait pour influencer ainsi la jeunesse hollandaise.

Dr STEINBAUER

Savez-vous que Seyss-Inquart, par exemple à Rotterdam, a levé des mesures prises contre l’École de commerce ?

M. VORRINK

Voulez-vous répéter votre question, je ne l’ai pas comprise ?

Dr STEINBAUER

Seyss-Inquart a pris des mesures pour donner suite à la protestation qu’a faite l’École commerciale de Rotterdam ?

M. VORRINK

Je n’en sais rien.

Dr STEINBAUER

Maintenant, je vais vous questionner sur les Églises. Exception faite de la déportation politique, Seyss-Inquart a-t-il créé ou non des difficultés aux Églises catholiques et protestantes ?

M. VORRINK

Des difficultés énormes : les Allemands envoyaient dans les églises des espions qui devaient surveiller les pasteurs et, éventuellement, les dénoncer.

Dr STEINBAUER

Mais cela a eu lieu ailleurs aussi : est-ce que le pasteur ou le curé célébrait le culte librement suivant sa religion et suivant sa conscience ?

M. VORRINK

Certainement pas aussi librement que chacun l’aurait désiré.

Dr STEINBAUER

Savez-vous que, pendant tout le temps de l’occupation, et dans toutes les confessions, la prière pour la reine a été admise ?

M. VORRINK

Elle n’était certainement pas admise, et c’est la raison pour laquelle certains pasteurs ont été arrêtés.

Dr STEINBAUER

Savez-vous que Seyss-Inquart a empêché que 27 couvents, destinés à loger des réfugiés allemands, soient saisis ?

M. VORRINK

Non, je n’en sais rien.

Dr STEINBAUER

Mais vous savez, peut-être, que Seyss-Inquart a empêché que les temples juifs ne soient détruits à Rotterdam et à La Haye ? La police voulait les anéantir et il l’a empêché.

M. VORRINK

Je ne sais pas s’il a voulu empêcher quelque chose mais, en tout cas, les temples ont été détruits, et les gens qui se sont livrés à cette destruction sont toujours restés impunis et ceux qui ont commis cette destruction sont ceux qui, plus tard, se sont livrés à la pire persécution contre les Juifs.

Dr STEINBAUER

Témoin, savez-vous que Seyss-Inquart s’est occupé des prêtres, catholiques et protestants, hollandais, déportés dans le Reich et que les deux tiers ont pu revenir dans leur pays ?

M. VORRINK

Je n’en sais rien.

Dr STEINBAUER

Ne savez-vous pas qu’il a empêché que de précieux trésors d’art, notamment des bibliothèques, qui étaient déjà prêts à être enlevés, ne quittent la Hollande et ne soient envoyés dans le Reich ?

M. VORRINK

Je ne sais pas si c’est lui-même qui s’est employé à cela, je sais seulement que des quantités énormes de nos objets d’art et de nos livres ont été enlevées par les Allemands, et en tout cas il fut impuissant à empêcher cela.

Dr STEINBAUER

Vous avez dit que la radio était interdite parce que cela incitait la résistance à s’organiser ; vous, en tant que chef de mouvement, pouvez-vous admettre une radio qui parle contre vous ?

M. VORRINK

Parfaitement, car on ne peut avoir vraiment une dignité humaine que s’il est possible d’examiner une opinion et une contre-opinion.

Dr STEINBAUER

On n’a pas confié le Gouvernement à Mussert. Est-ce parce que Seyss-Inquart était contre ce projet ?

M. VORRINK

J’ignore ce qui s’est passé exactement dans la coulisse. Mais peut-être avez-vous raison de dire que Seyss-Inquart n’était pas un ami de Mussert. Personnellement, quand j’étais prisonnier, on est venu me prendre dans ma cellule et on m’a chargé d’écrire un article sur le mouvement national-socialiste en Hollande ; on me demanda d’exprimer mon opinion personnelle sur Mussert et comme je répondais : « Pourquoi dois-je faire cela ? Vous savez ce que je pense de lui et de tous les nazis », ils me répliquèrent : « Vous ne pourrez jamais écrire cela de façon assez méchante ». J’ai interprété cela comme une des nombreuses machinations des diverses cliques nazies allemandes qui se disputaient entre elles.

Dr STEINBAUER

Je vous remercie, je n’ai pas d’autre question à poser.

M. BABEL

Témoin, vous avez dit que des jeunes gens hollandais ont dû entrer dans les SS. Pouvez-vous, grosso modo, en citer le chiffre ?

M. VORRINK

Je l’estime à quelques milliers.

M. BABEL

Combien étaient volontaires et combien furent forcés de s’enrôler ?

M. VORRINK

Un chiffre exact à ce sujet est difficile à donner, mais je crois que des jeunes gens mineurs, lorsqu’ils rentrent dans une telle organisation sans l’autorisation de leurs parents, ne sont pas des volontaires ; ils ne se rendent pas compte du tout de la portée de leur geste.

M. BABEL

Mais je vous ai demandé de me dire combien, d’après vous, furent volontaires et combien forcés ? C’est à cette question que je vous demande de répondre et pas à une autre.

M. VORRINK

J’ai déjà dit que je ne peux donner des chiffres précis.

M. BABEL

Mais approximativement ?

M. VORRINK

Certainement quelques centaines ont été forcés...

M. BABEL

Bon, et vous aviez donné le total comme étant quelques milliers.

M. VORRINK

Il y avait, par exemple, des jeunes gens qui, pour certaines raisons, avaient quitté la maison paternelle et des membres du Service de sécurité les ont pris et mis de force dans les SS. La police en a pris aussi ; je les ai vus moi-même sous mes yeux, dans nos camps de concentration hollandais. Et comme ancien chef de jeunes, souvent ces jeunes me racontaient leur vie.

M. BABEL

Vous avez dit « pris de force » ; que voulez-vous dire par là ?

M. VORRINK

Ils étaient menacés de prison s’ils n’étaient pas prêts à entrer dans les SS.

M. BABEL

Vous l’avez entendu vous-même ?

M. VORRINK

Parfaitement.

M. BABEL

Vous avez dit que des milliers d’ouvriers ont quitté leur organisation, vous avez même dit des dizaines de milliers ; il y a eu des démissions volontaires. Pour quelles raisons ont-elles eu lieu ?

M. VORRINK

La raison en est que les ouvriers refusaient de se soumettre aux principes du Führer, pour les organisations nazifiées ; ils voulaient être dans leurs anciens syndicats et participer à la direction de ces syndicats.

M. BABEL

L’expression « démission » implique quelque chose de volontaire ?

M. VORRINK

Oui.

M. BABEL

Vous avez dit, en outre, pour la question juive, qu’on avait d’abord donné des assurances que rien n’arriverait aux Juifs, et, malgré cette assurance, il y eut beaucoup de suicides. Pourquoi ? Quelle en était la cause puisqu’on leur avait dit qu’il ne leur arriverait rien ?

M. VORRINK

Ce furent les plus intelligents parmi les Juifs. En Hollande, nous ne vivions pas sur une île et nous étions au courant de tout ce qui s’était passé, entre 1933 et 1940, en Allemagne ; nous savions qu’en Allemagne les Juifs furent traqués à mort. Personnellement, je possède encore maintenant quelques déclarations de Juifs allemands, faites sous la foi du serment, et dans ces déclarations ces Juifs nous informaient, heure par heure, de la façon dont ils étaient martyrisés par les SS, déjà avant la guerre. Les Juifs hollandais le savaient parfaitement et ils se rendaient bien compte que le même sort les attendait.

M. BABEL

Vous avez dit cela en donnant à croire qu’il y avait eu beaucoup de suicides ; y en eut-il beaucoup ou peu ?

M. VORRINK

Aux Pays-Bas, il y a peut-être eu entre 30 et 50 suicides mais, comme nous apprécions énormément une vie humaine, cela nous paraît beaucoup.

M. BABEL

Ensuite, vous avez employé le mot d’analphabète nazi ; à part votre opinion personnelle, disons — inamicale — avez-vous des données qui justifient cette opinion ? Avez-vous fait la connaissance d’un seul Allemand qui ait été analphabète ?

M. VORRINK

Cette question m’étonne : un analphabète nazi signifie pour moi un homme qui juge d’affaires qu’il ignore, et les personnes qui tenaient le poste où l’on devait juger des travaux d’un écrivain n’exerçaient leur fonction que pour contrôler si, dans son livre, il y avait un Juif ayant un beau rôle ; d’après les concepts nazis, ce livre ne devait pas paraître. Et j’ajoute que le mot « analphabète nazi » est employé par moi depuis que, dans les villes allemandes de Goethe et de Schiller, on a brûlé des livres que nous admirions et que nous lisions en Hollande.

M. BABEL

Je dois comprendre que vous ignorez quelques-uns des faits positifs qui appuient ce terme péjoratif. Je vous remercie.

Dr OTTO PANNENBECKER (avocat de l’accusé Frick)

Je n’ai qu’une seule question à poser. Témoin, vous venez de déclarer que des jeunes gens ont été menacés de prison lorsqu’ils n’entraient pas dans les SS. Dois-je comprendre qu’ils étaient mis en prison pour un crime ou un délit commis antérieurement ou uniquement parce qu’ils ne voulaient pas rentrer dans les SS ?

M. VORRINK

Évidemment, ils devaient subir des peines d’emprisonnement, parce qu’on les en avait menacés, mais je ne sais pas si réellement on les aurait mis en prison. Je ne peux pas le contrôler. C’était une de ces méthodes dont se servaient souvent les nazis. Si vous ne faites pas ceci, ou cela, comme nous le désirons, on vous mettra en prison, et les exemples sont si nombreux que l’on ne se faisait pas d’illusions et que l’on n’avait pas d’illusions à se faire à ce sujet.

Dr PANNENBECKER

Mais, il est exact qu’en général il s’agissait de jeunes gens qui avaient quitté la maison paternelle ?

M. VORRINK

J’en connais personnellement dont c’est le cas.

Dr PANNENBECKER

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Y a-t-il encore d’autres avocats qui désirent poser des questions au témoin ?

(Aucune réponse.)

Alors, Monsieur Faure, désirez-vous reposer quelques questions au témoin ?

M. FAURE

Non, je n’ai pas de questions à poser.

LE PRÉSIDENT

S’il en est ainsi, le témoin peut se retirer.

(M. Vorrink se retire.)
M. FAURE

Je demanderai au Tribunal de bien vouloir prendre le dossier d’exposé et le dossier de documents qui porte le titre « Danemark ».

Le Tribunal sait que le Danemark a été envahi, le 9 avril 1940, en violation, comme dans les autres cas, des traités, et particulièrement d’un traité qui n’était pas ancien puisque c’était un traité de non-agression, conclu le 31 mai 1939. Étant donné que le Danemark ne se trouvait pas en état d’opposer à cette invasion une résistance par les armes, les Allemands ont eu le désir d’établir et de maintenir une fiction selon laquelle ce pays ne serait pas un pays occupé. Ils n’ont donc pas institué une administration civile à pouvoir réglementaire, comme ils devaient le faire en Belgique et en Hollande.

D’autre part, il existait bien un commandement militaire, puisque des troupes y tenaient garnison, mais ce commandement militaire, à la différence de ce qui s’était passé dans les autres pays occupés, n’exerçait pas de pouvoir officiel sous forme d’ordonnances ou de règlements généraux. Malgré cette fiction, les Allemands n’ont pas manqué de commettre dans ce pays qu’ils prétendaient ne pas occuper, des usurpations de souveraineté, et ces usurpations deviennent alors d’autant plus remarquables que justement elles n’avaient, même du point de vue des nazis, aucun commencement de justification juridique. Pendant une première période qui va jusqu’au milieu de l’année 1943, les usurpations allemandes prennent une forme discrète et camouflée. Il y a à cela deux raisons : la première est de tenir compte de l’opinion publique internationale, puisque le Danemark n’est pas officiellement occupé. La deuxième raison est que les Allemands avaient formé le projet de germaniser ce pays par l’intérieur en y développant la propagande politique nationale-socialiste.

Je pense qu’il est intéressant de préciser rapidement que cette entreprise de germanisation interne avait été déjà commencée, même avant la guerre. Elle est exposée d’une façon détaillée et très intéressante dans une partie du rapport officiel du Gouvernement du Danemark, rapport que je dépose au Tribunal comme document RF-901. Ce document RF-901 est l’ensemble du dossier vert que le Tribunal a sous les yeux. Il se compose de plusieurs parties. Le sujet dont je parle en ce moment, est plus particulièrement traité dans le premier document de cette liste. Ce premier document porte, en haut, comme première citation : « Aide-mémoire ». Ce document établit que, avant la guerre, les Allemands avaient organisé un service d’information qui était complété par un habile service d’espionnage. Ils avaient, notamment, développé une filiale du parti national-socialiste où étaient recrutés les Allemands occupant le Danemark. Ceci est une première notion du parti constitué par les Allemands, parce que nous verrons tout à l’heure le parti national-socialiste qualifié de parti danois ; cette filiale directe du parti allemand était intitulée « NSDAP Auslandsorganisation Landeskreis Dänemark ». Elle agissait en liaison avec d’autres institutions, notamment la Deutsche Akademie, la Chambre de commerce dano-allemande, et la société nordique « Nordische Gesellschaft ». Une organisation de Hambourg appelée « Deutscher Fichtebund », qui relevait directement du ministère de l’Instruction populaire et de la Propagande du Reich, avait entrepris une propagande systématique auprès de l’opinion publique danoise.

Je désirerais citer, sur ce point, un passage du document qui est intéressant au point de vue de la préméditation allemande et au point de vue des méthodes.

Ce passage se trouve dans le premier document dont je viens de parler, qualifié « Aide-mémoire », à la page 6 de ce premier document. Je saute la première phrase de ce paragraphe. Je signale au Tribunal — pour le cas où cela lui serait plus commode en raison du volume du document — que ces citations se trouvent reproduites dans le dossier « Exposé » :

« Cette agence d’information, qui opérait à Hambourg avec pas moins de huit adresses différentes, donnait dans une de ses publications les détails suivants sur elle-même. Elle fut fondée, en janvier 1914, en mémoire du philosophe allemand Fichte, et devait être considérée comme une union pour la vérité mondiale. Ses objectifs étaient :

« 1. La promotion de la compréhension mutuelle, par la publication gratuite d’information sur la nouvelle Allemagne.

« 2. La protection de la culture et de la civilisation par la propagation de la vérité sur les forces destructives dans le monde. »

Je saute une phrase et je continue :

« Cette propagande allemande avait comme but essentiel et le plus évident la création au Danemark d’un sentiment national favorable à l’Allemagne et hostile à l’Angleterre. Mais elle pouvait aussi représenter une tentative de préparer le terrain pour l’introduction au Danemark d’un système de gouvernement nazi, en recueillant clandestinement toutes les manifestations de mécontentement, au Danemark, contre le régime démocratique, pour s’en servir comme de preuves documentaires, dans le cas d’une action de libération par la suite. Ainsi, au mois de janvier 1940, la propagande ne se contentait plus d’attaquer l’Angleterre et ses méthodes de conduire la guerre, ni les Juifs et leur mentalité, mais elle passait à des attaques sérieuses contre la mentalité du Gouvernement et du Parlement danois. »

Enfin, le rapport danois donne, sur ce même sujet, une indication très frappante :

« Fin février 1940, la Police danoise put saisir, sur un ressortissant allemand, un document intitulé « Projet de propagande pour le Danemark ».

Je résume, en disant cela, le premier paragraphe de la page 7 du rapport. Dans ce document, on relevait une phrase caractéristique : c’est la dernière phrase de ce paragraphe, qui est entre guillemets en allemand, avec traduction française entre parenthèses :

« La presse quotidienne devrait pouvoir être tenue sous le contrôle de la légation et de ses collaborateurs. »

L’Allemagne ne s’est pas limitée à utiliser ses propres ressortissants comme agents à l’intérieur du pays et à faire de la propagande : les nazis ont également inspiré la constitution de formations politiques danoises apparentées au parti nazi. Cette entreprise a trouvé, tout d’abord, un terrain d’élection dans le Jutland du Sud où existait une minorité allemande. Les Allemands avaient pu ainsi provoquer la création d’un groupement, appelé « Schleswigsche Kameradschaft » ou SK, qui correspond exactement au SA allemand. Les membres de ce groupement recevaient un entraînement militaire. De même un groupement, appelé « Deutsche Jugendschaft Nordschleswig », avait été organisé, sur le modèle de la HitlerJugend.

J’indique au Tribunal que je résume, en ce moment, les indications du rapport danois pour ne pas faire une longue lecture. Ces indications se trouvent développées dans les chapitres suivants du rapport et, notamment, pour ce que je viens de dire, à la page 7. L’emprise allemande était complétée par des institutions sociales, telles que le « Wohlfahrtsdienst », fondé en 1929, à Tinglev, et la « Deutsche Selbsthilfe », fondée en 1935, et par des institutions économiques dont le type est la « Kreditanstalt Vogelgesang », institution de crédit Vogelgesang qui avait réussi, grâce à un financement très habile et secret du Reich, à s’emparer d’importantes propriétés agricoles.

Page 6 et page 7.

Le mouvement créé dans le Jutland du Sud a essayé ensuite de s’étendre à l’ensemble du Danemark ; il a ainsi existé, dès avant la guerre, un parti national-socialiste de Danemark, dont le chef était Fritz Clausen. Nous lisons dans le rapport gouvernemental :

« Pour ce qui est des relations du Parti avec l’Allemagne, avant l’occupation, il y a ceci à dire que tant Fritz Clausen lui-même que les membres du Parti prenaient très assidûment part aux journées du Parti, à Nuremberg et au congrès de Streicher, à Erfurt, et que en tout cas Fritz Clausen personnellement était en relations très intimes avec le ministère des Affaires étrangères allemand ; le processus du développement du nazisme, au Danemark, parti du Jutland du Sud pour s’étendre sur le reste du pays, est illustré par le fait que le journal nazi appelé Das Vaterland, qui avait d’abord été publié dans le Jutland, fut transféré, en octobre 1939, à Copenhague où il fut désormais publié comme journal du matin. »

Telle était donc la situation, au moment du début de l’occupation. Puisque, comme je l’ai dit, les Allemands n’ont pas établi de pouvoir formel d’occupation, on comprend que les deux agents principaux de l’usurpation de souveraineté au Danemark ont été la représentation diplomatique d’une part, et le parti nazi d’autre part.

Le plénipotentiaire du Reich allemand au Danemark fut d’abord le Dr von Renthe-Fink et, à partir d’octobre 1942, le Dr Best.

Les interventions diplomatiques contre la souveraineté danoise ont été nombreuses et ont comporté, quoique sous des formes discrètes au début, des revendications de plus en plus étendues. Je citerai, en exemple, un document qui fait partie du rapport gouvernemental. Ce document est un aide-mémoire, présenté par le plénipotentiaire du Reich allemand, le 12 avril 1941.

Je signale au Tribunal que ce texte se trouve dans le troisième des cahiers qu’il a sous les yeux. Ce troisième cahier est intitulé « Deuxième mémorandum » ; plus exactement, c’est à la suite de ce troisième cahier ; il y a un feuillet qui porte le titre : « Annexe 1 ».

« Le plénipotentiaire du Reich allemand a reçu l’instruction d’exiger du Gouvernement royal de Danemark :

« 1. Une déclaration de forme, faisant connaître si Sa Majesté le roi de Danemark, à laquelle M. de Kauffmann, ministre de Danemark, se réfère, ou un membre quelconque du Gouvernement royal de Danemark, avant sa publication, ont eu quelque connaissance du traité conclu entre M. de Kauffmann et le Gouvernement américain.

« 2. L’exécution immédiate du rappel de M. de Kauffmann, ministre de Danemark, par Sa Majesté le roi de Danemark.

« 3. La remise, sans retard, aux chargés d’affaires américains à Copenhague, d’une note désavouant M. de Kauffmann, communiquant son rappel, déclarant que le traité conclu n’engage pas le Gouvernement danois et élevant les protestations les plus énergiques contre le procédé américain.

« 4. Une communication, publiée dans la presse, par laquelle le Gouvernement royal de Danemark déclare nettement que M. de Kauffmann a agi contre la volonté de Sa Majesté le roi et du Gouvernement royal de Danemark et sans leur autorisation, que son rappel a eu lieu, que le Gouvernement danois considère le traité conclu comme ne le liant pas, et élève les protestations les plus énergiques contre le procédé américain.

« 5. Promulgation d’une loi, en vertu de laquelle la perte de nationalité et la confiscation de fortune peuvent être prononcées à l’égard d’un ressortissant danois qui, à l’étranger, s’est rendu coupable de fautes graves contre les intérêts du Danemark ou contre les dispositions prises par le Gouvernement danois.

« 6. Poursuite en justice, pour crime de haute trahison, de M. de Kauffmann, en vertu de l’article 98 du code pénal, et de l’article 3, de la loi du 18 janvier 1941, et perte de la nationalité, conformément à la loi à rendre, mentionnée dans le numéro 5. »

Je crois que l’on peut voir, par cet exemple bien caractéristique, combien la souveraineté du Gouvernement danois légitime était violée par les Allemands. Ceux-ci donnaient des ordres dans le domaine des relations internationales, alors que la liberté dans ce domaine constitue l’attribut essentiel de la souveraineté et de l’indépendance de l’État.

Ils vont même jusqu’à exiger, comme le Tribunal vient de le voir par les deux derniers paragraphes, qu’une loi soit rendue conformément à leurs désirs et qu’une poursuite en haute trahison soit faite, en vertu de cette loi, quand, par hypothèse elle aura été rendue sur leurs ordres.

Je désirerais lire, pour terminer ce sujet, un passage du rapport gouvernemental danois qui figure dans le deuxième mémorandum supplémentaire, page 4 du deuxième mémorandum supplémentaire, le troisième cahier du dossier vert.

« Au mois d’octobre » — je prends ici au milieu du deuxième paragraphe — « Au mois d’octobre, il s’est produit une crise soudaine ; les Allemands prétendant que Sa Majesté le roi avait offensé Hitler par une réponse trop courte à un télégramme que celui-ci avait adressé. Les Allemands y ont brusquement réagi avec une extrême violence, le ministre d’Allemagne à Copenhague ayant été aussitôt rappelé. Le ministre de Danemark à Berlin a été ensuite rappelé au Danemark. Le ministre von Renthe-Fink a été remplacé par le Dr Best qui est arrivé dans le pays avec le titre de « plénipotentiaire du Reich allemand » et apportant avec lui des revendications étendues de la part du ministre allemand des Affaires étrangères, von Ribbentrop, exigeant une transformation du Gouvernement danois et l’admission dans celui-ci de nationaux-socialistes.

« Ces exigences ont été refusées du côté danois et, le Gouvernement ayant fait traîner l’affaire en longueur, elles ont été abandonnées par le Dr Best. »

LE PRÉSIDENT

Ceci me paraît un moment opportun pour suspendre l’audience.

(L’audience sera reprise le 4 février 1946 à 10 heures.)