CINQUANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Jeudi 7 février 1946.

Audience du matin.

M. MOUNIER

Monsieur le Président, Messieurs les juges. J’avais commencé hier, avant l’interruption de mon exposé, à vous entretenir, très brièvement d’ailleurs, des rapports qui, à nos yeux, unissent deux idées maîtresses de l’Acte d’accusation, à savoir l’accusation de conspiration portée contre certains groupements désignés à l’Acte d’accusation et que j’ai énumérés hier, d’une part, et, d’autre part, les divers faits qui permettent de conclure au caractère criminel de l’activité des conjurés nationaux-socialistes.

Je vous avais dit tout d’abord que ce qui nous paraissait à la base de cette activité criminelle, c’était ce mystère profond, ce mystère absolu qui entourait leurs réunions aussi bien officielles que non officielles, fait qui se trouve corroboré par des déclarations que certains des accusés ont faites à l’instruction et en vertu desquelles il était entendu, à de fréquentes reprises, qu’une partie des ordres donnés en haut lieu devait être supprimée et effacée de façon à ne pas laisser de trace.

Nous considérons également que la preuve du concert frauduleux qui a existé entre les conjurés résulte du caractère criminel des décisions qui étaient arrêtées dans ces conseils secrets et qui tendaient à la conquête, au moyen de guerres d’agression, des pays voisins.

Enfin, la preuve du concert frauduleux découle à nos yeux de la façon dont ces plans criminels ont été exécutés, par l’emploi de toute une série de moyens qui sont condamnés à la fois par la morale internationale et par la loi écrite : par exemple, dans l’ordre international et diplomatique, les complots les plus cyniques, l’emploi dans les pays étrangers de ce qu’on appelle la Cinquième colonne, enfin le camouflage financier, la pression abusive appuyée par des démonstrations de force et enfin, au moment où cette pression abusive ne suffisait plus, le recours à la guerre d’agression.

En ce qui concerne les personnalités qui ont participé régulièrement et de leur plein gré aux réunions d’organes comme ceux qui ont été décrétés d’indignité internationale par l’Acte d’accusation, leur appartenance volontaire à ces groupements ou bien le rôle actif et conscient qu’ils ont joué dans leur fonctionnement suffisent pour démontrer qu’ils avaient bien l’intention de fournir, à ces divers groupements, une participation active et incontestable.

Or, étant donné les buts poursuivis, étant donné les moyens mis en œuvre, cette intention ne pouvait être qu’une intention coupable ; aux yeux du Ministère Public, attaché à la recherche des éléments constitutifs d’un crime, cela suffit, semble-t-il, pour prouver ce que nous appelons le consilium fraudis, pour permettre de constater le lien de causalité existant entre cette volonté du mal, d’une part, et pour que l’on puisse retenir le caractère criminel de l’accord des conjurés, qui est le caractère criminel de leurs actes individuels.

Le chef du Plan de quatre ans, en donnant au plénipotentiaire pour la main-d’œuvre, l’ordre de recruter 1 000 000 de travailleurs étrangers pour le Reich, pouvait-il oublier que ce fait était contraire aux conventions internationales, pouvait-il faire abstraction des conséquences tragiques que cette action, meurtrière dans son exécution, allait entraîner et a entraîné effectivement pour les intéressés eux-mêmes et pour leurs familles ?

Le ministre de l’Armement qui installait, avec l’accord ou sur l’ordre du chef de l’arme aérienne, des usines d’aviation souterraines dans les camps d’internement, pouvait-il ne pas penser qu’employer dans de pareilles conditions des détenus déjà épuisés équivalait à les faire mourir prématurément ? Le diplomate qui, sous des prétextes variés, traitait en chiffons de papier des instruments diplomatiques destinés à assurer la stabilité de la paix du monde, pouvait-il perdre de vue que ses actes allaient entraîner le monde civilisé dans un cataclysme universel ?

Que leur conscience ait été à ce moment-là, troublée par le sentiment plus ou moins obscur qu’ils enfreignaient les lois humaines et divines, c’est là une question qui, certes, sur le terrain juridique où vous allez vous placer, n’a pas à être posée ; mais même en admettant que sur le plan psychologique nous estimions devoir nous poser cette question par scrupule de magistrat, nous nous rappellerions alors une notion essentielle, deux notions essentielles : la première, c’est que l’Allemand, selon le mot d’un écrivain français, réalise parfois en lui l’identité des contraires ; et, en conséquence, il est possible, dans certains cas, qu’il fasse consciemment le mal tout en étant persuadé que son acte est irréprochable au point de vue de la loi morale.

La seconde notion, c’est la règle de l’éthique nationale-socialiste, formulée parfois en termes exprès par certains chefs nazis : le bien, c’est ce qui est conforme à l’intérêt du Parti ; le mal, c’est ce qui n’est pas conforme à l’intérêt et à l’idéologie du Parti.

Et pourtant, en ce qui nous concerne, nous avions eu l’impression, lors du discours magistral prononcé par M. François de Menthon, que quelques-unes de ses paroles, frappantes par leur accent de profonde humanité, avaient remué certaines consciences. Même aujourd’hui, après tant de preuves accumulées, nous nous posons la question de savoir si les accusés admettent leur responsabilité en tant que chefs, en tant qu’hommes, en tant que représentants des organismes incriminés ? La suite des débats le révélera, peut-être.

Monsieur le Président, Messieurs, avec la permission du Tribunal, nous allons aborder le cas de l’accusé Alfred Rosenberg. Messieurs, le jeune étudiant français qui avait, en 1910, la joie de vivre ses vacances dans cette Bavière, alors une des plus heureuses parmi les Allemagnes, ne soupçonnait certes pas que trente-cinq ans plus tard il aurait à requérir l’application de la loi internationale contre les maîtres de ce pays : lorsqu’après une halte à la Bratwurstglöckle il montait jusqu’aux remparts pour contempler du haut du Burg le coucher du soleil, tandis que les vers d’une ballade de Uhiand chantaient dans sa mémoire, il ne pensait pas que de mauvais maîtres et de faux prophètes déchaîneraient par deux fois, en un quart de siècle, la foudre sur l’Europe et le reste du monde et que, par leur faute, tant de trésors d’art et de beauté seraient anéantis, tant de vies humaines sacrifiées, tant de souffrances accumulées !

Certes, il ne saurait être question de romantisme lorsqu’on étudie la genèse de ce drame inouï. Ou plutôt, ce dont il s’agit, c’est d’un romantisme perverti, d’une déformation morbide du sens de la grandeur. Et l’esprit demeure confondu devant la véritable valeur des idées des théoriciens du national-socialisme, idées que je n’effleure au passage que pour montrer simplement comment elles ont conduit l’accusé Rosenberg — puisque c’est de lui que je parle — ainsi que ses co-accusés, à commettre les crimes qui leur sont reprochés.

Cette notion de race d’abord, que l’on voit éclore dans un pays comme les autres d’ailleurs, mais un pays où le brassage des types ethniques les plus divers s’est opéré à travers les siècles sur une échelle gigantesque ; ce confusionnisme anti-scientifique qui mélange les traits physiologiques de l’homme et le concept de nation, ce néopaganisme qui prétend abolir ce que vingt siècles de christianisme ont apporté au monde de règle morale, de justice et de sécurité ;

ce mythe du sang qui tend à justifier les discriminations raciales, avec leurs conséquences d’esclavage, les massacres, les pillages, les mutilations d’êtres vivants.

Je ne m’attarderai pas, Monsieur le Président, Messieurs, sur ce que nous considérons comme un fatras à prétentions philosophiques, où l’on retrouve les oripeaux les plus hétéroclites et de toutes provenances, depuis les concepts mégalomanes de Mussolini en passant par les légendes hindoues jusqu’au Japon des Samouraïs, berceau du fascisme, qui a déferlé sur le monde comme un raz-de-marée ; les exposés précédents ont déjà fait justice de ces conceptions. Je soulignerai simplement aujourd’hui que ces conceptions pseudo-philosophiques tendaient uniquement à ramener l’Humanité à des millions d’années en arrière en restituant la notion de clan, avec comme règles suprêmes : le règne de la force, le Faustrecht déjà énoncé par le Chancelier de fer, le droit de tromper les autres hommes, le droit de prendre le bien d’autrui, le droit de réduire l’homme en esclavage, le droit de tuer, le droit de torturer.

Mais l’homo sapiens refuse de redevenir l’homo lupus. La règle-internationale n’est pas une morale sans obligations ni sanctions ;

Le Statut du 8 août a rappelé et précisé l’obligation ; c’est à vous, Messieurs, qu’il appartiendra d’appliquer la sanction.

Une des conséquences de ces théories de la précellence de la race ou de la prétendue race germanique a été de conduire certains des conjurés, et notamment l’accusé Rosenberg dont nous parlons, à devenir des pillards, et c’est cette forme de l’activité de l’accusé Rosenberg que je voudrais très rapidement souligner, car c’est cette forme qui intéresse la France et les pays occupés de l’Ouest, et a eu, pour leur patrimoine artistique, intellectuel ou simplement utilitaire, des conséquences profondément dommageables ; je veux parler de toutes les mesures édictées ou appliquées par Rosenberg en vue de l’enlèvement, en France et dans les pays occidentaux, de trésors artistiques, d’ouvrages culturels et de biens appartenant à des collectivités ou à des particuliers, et du transport en Allemagne de toutes ces richesses.

Messieurs, étant donné le temps limité dont nous disposons, je me bornerai aujourd’hui à rappeler comment, par des ordres supérieurs, certains organes ont été appelés à collaborer à ce pillage :

J’indiquerai, tout d’abord, l’intervention de la Gestapo, qui a été commandée par un ordre émanant de l’accusé Keitel : c’est l’ordre du 5 juillet 1940, qui porte le n° PS-137, et qui a été produit par la Délégation américaine sous le n° USA-379 du 18 décembre 1945 (document RF-1400).

Je citerai également un second ordre, en date du 30 octobre 1940, qui précisait en les renforçant les ordres qui avaient été donnés en vue du pillage par ce qu’on appelait l’Einsatzstab Rosenberg : il s’agit du n° RF-1304 (PS-140) qui a été cité par le Ministère Public français, section économique.

Ainsi donc, Keitel, Rosenberg, en revenaient à la notion d’un butin prélevé par le peuple allemand triomphateur du peuple juif, vis-à-vis duquel il n’était pas lié par les conditions de l’armistice de Compiègne. Cette intervention du Commandement en chef de l’Armée, qui s’exprimait par les deux ordres que je viens de rappeler, suffirait à mes yeux à démontrer la part importante prise par l’Armée allemande dans ce pillage ; et le Tribunal ne manquera pas de s’en souvenir lorsqu’il aura à statuer sur la culpabilité de l’accusé Keitel et de l’accusé Göring ; et si je mentionne l’accusé Göring, c’est parce qu’un troisième document prouve que cet accusé a appuyé l’opération de tout son poids, en invitant toutes les organisations du Parti, de l’État et de l’Armée à apporter toute la protection et toute l’aide possible au Reichsleiter Rosenberg et à son collaborateur Utikai, qui avait été, le 1er avril 1941, nommé par Rosenberg lui-même chef de l’Einsatzstab : il s’agit de l’ordre du 1er mai 1941 que nous produisons sous notre numéro d’audience RF-1406.

Lorsqu’on examine attentivement le texte de cette ordonnance, on ne peut manquer de tomber en arrêt sur le premier paragraphe ;

le Tribunal me permettra certainement de le relire rapidement :

« La lutte contre les Juifs, les francs-maçons et autres forces idéologiques qui s’allient avec eux et dont les conceptions sont hostiles à la nôtre, est une tâche pressante pour le national-socialisme au cours de la guerre ».

Ainsi, il suffisait d’avoir une conception du monde différente de la Weltanschauung nazie pour être exposé à voir ses biens culturels saisis et transportés en Allemagne. Mais le Tribunal se souvient certainement que, dans les documents qui lui ont déjà été présentés, il ne s’agissait pas seulement de biens culturels, mais que tout ce qui avait une valeur quelconque était emporté.

L’accusé Rosenberg a tenté, sans grande conviction m’a-t-il semblé, au cours de l’information qui a été faite par les officiers supérieurs chargés des enquêtes préalables, de faire admettre que les biens culturels dont il s’agit étaient destinés uniquement à garnir les collections des Hohen Schulen nationales-socialistes : nous verrons dans un moment, par la présentation du texte même de cet interrogatoire, ce qu’il convient de penser de cette position. Mais il est un fait que je tiens, d’ores et déjà, à poser : c’est qu’en l’état du moins des documents que nous possédons, il ne semble pas que l’accusé Rosenberg se soit approprié des œuvres d’art, des pierres précieuses ou d’autres objets de valeur. En conséquence, en l’état des débats, il convient d’écarter de lui toute accusation de cette nature.

Nous n’en dirons pas autant de son co-inculpé Hermann Göring, dont nous parlerons un peu plus tard, et qui, d’après les documents que nous possédons, peut être convaincu d’avoir détourné à son usage personnel une partie des objets d’art soustraits dans les pays de l’Ouest et de l’Est. Messieurs, je ne m’appesantirai pas sur la discussion qui pourrait s’instaurer à propos de ces détournements :

j’aborderai immédiatement l’interrogatoire de l’accusé Rosenberg. Il s’agit du document qui a été produit hier par la section économique du Ministère Public français, qui porte le n° RF-1332 et dont nous nous servons aujourd’hui avec, comme numéro d’ordre d’audience, le n° RF-1403.

Je pense que, dans le silence du cabinet, le Tribunal pourra très utilement se reporter à cet interrogatoire et, en attendant, je voudrais souligner très rapidement les points essentiels qu’il me paraît contenir :

Le colonel Hinkel, en questionnant l’accusé Rosenberg, lui a demandé quelle était la base légale qui pouvait justifier de pareilles soustractions : l’accusé Rosenberg a d’abord répondu que ces soustractions étaient justifiées par l’hostilité que certains groupements avaient manifestée à l’idéologie nationale-socialiste. Mais, un peu plus loin, à la page 4, l’accusé Rosenberg a déclaré textuellement ce qui suit :

« Je les considérais » — il s’agit des mesures prises par lui — « comme une nécessité causée par la guerre et par les raisons qui avaient causé cette guerre. »

Quelques instants après, poussé par le colonel Hinkel, l’accusé Rosenberg a invoqué une nécessité qui constituera très certainement une des pièces maîtresses de sa défense : la nécessité de mettre en sûreté les biens qui étaient ainsi enlevés ; mais le colonel Hinkel a objecté tout d’abord à l’accusé Rosenberg : « Mais enfin, vous aviez l’intention de mettre ces biens en sûreté ; s’il en était ainsi, pourquoi n’avez-vous pas mis tout en sûreté et pourquoi avez-vous mis en sûreté seulement ceux qui vous paraissaient devoir être retenus, alors que vous abandonniez le reste ?

« D’autre part, en ce qui concerne l’entretien des objets, il y avait des objets qui avaient une valeur au moins équivalente à celle des objets qui étaient enlevés, et dont on ne se préoccupait pas. »

Enfin, l’accusé Rosenberg a déclaré et a reconnu que, le plus souvent, il n’était pas délivré de reçu aux intéressés, ce qui anéantissait à l’avance toute idée de restitution éventuelle aux légitimes propriétaires de ces objets. Mais en réalité, ce qui constitue la vérité dans cette affaire, c’est qu’il s’agissait de trésors qui étaient extrêmement importants au point de vue de leur valeur. L’accusé Rosenberg a fini par reconnaître qu’il considérait ces acquisitions comme un fait acquis.

Eh bien, nous considérons, nous, que le fait d’avoir ainsi enlevé des objets d’art et des objets de valeur, constitue purement et simplement ce que l’on appelle dans le droit privé une soustraction frauduleuse, et cette soustraction frauduleuse s’est opérée sur une vaste échelle, avec les moyens grandioses dont disposait le IIIe Reich, moyens qui étaient encore facilités par l’intervention de l’Armée et de la Luftwaffe ; mais il n’en est pas moins vrai que le caractère criminel de ces soustractions subsiste, et nous demandons instamment au Tribunal, lorsqu’il rendra sa sentence, de déclarer que c’est en vertu d’une préhension frauduleuse que l’accusé Rosenberg et ses co-accusés ont soustrait à la France et aux pays de l’Ouest tous les objets de valeur, tous les trésors d’art, tous les trésors de culture dont ils se sont emparés.

En ce qui concerne, Monsieur le Président, Messieurs, la consistance même des objets enlevés, je me permets respectueusement de renvoyer le Tribunal au rapport qui a été déposé par la section économique hier, et qui est le rapport du Dr Scholz, le collaborateur de l’Einsatzstab Rosenberg ; ce compte rendu a été déposé par la section économique sous le n° RF-1323 et le Tribunal y trouvera l’énumération de tout ce que l’Einsatzstab a emporté de France.

A ce propos, je me permettrai d’ouvrir une parenthèse pour répondre à la question que M. le Président a bien voulu poser hier à mon collègue au sujet des collections Rothschild : M. le Président a bien voulu demander à mon collègue : « Avez-vous la preuve que l’on ait détourné, au préjudice des Rothschild, un certain nombre de collections et d’objets précieux ? « Eh bien, Monsieur le Président, je me permets de" vous indiquer qu’il existe à ce propos deux preuves : la première résulte tout d’abord de l’interrogatoire Rosenberg, en date du 23 septembre 1945, dont je viens de parler au Tribunal. En ce qui concerne les questions essentielles posées à l’accusé Rosenberg sur la légitimité et sur la base légale de ces prélèvements, je prie le Tribunal de bien vouloir se reporter à la page 5 de ce procès-verbal ; je lis textuellement la question posée par l’officier américain chargé de l’instruction, le distingué colonel Hinkel, mon éminent ami :

« Question

Comment justifiez-vous la confiscation d’objets d’art appartenant à la famille Rothschild ? » — C’est là une question très précise ; il s’agit des objets d’art qui ont été soustraits à la famille Rothschild par l’organisation Rosenberg.

« Réponse

Toujours du même point de vue général. » Cela signifie que l’accusé Rosenberg prétendait justifier les soustractions opérées au détriment des Rothschild par les raisons que j’ai eu l’honneur d’analyser au Tribunal, il y a quelques instants.

Et deuxième conséquence : l’accusé Rosenberg reconnaissait ainsi, par un aveu sortant de sa propre bouche, que la famille Rothschild figurait parmi les gens qui avaient été spoliés. L’aveu, Monsieur le Président, Messieurs, doit être considéré comme une des preuves par excellence ; c’est par conséquent une première réponse à la question que M. le Président a bien voulu poser hier.

La deuxième preuve que je me permets de soumettre au Tribunal est la suivante : je prie le Tribunal de bien vouloir se reporter au compte rendu du Dr Scholz, auquel j’ai fait allusion à l’instant et qui a été produit hier dans le livre de documents de la section économique.

Il s’agit du n8 RF-1323.

Si le Tribunal veut bien se reporter à ce document, c’est-à-dire le rapport du Dr Scholz, il trouvera au deuxième alinéa, à la page 1, l’indication suivante :

« L’Etat-Major spécial ne s’est pas seulement emparé de très importantes parties de la collection. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Mounier, comme je l’ai dit l’autre jour, nous ne pouvons garder tous les livres de documents devant nous ; il me semble, puisque vous avez montré que l’accusé Rosenberg a reconnu que les collections avaient été spoliées, que cela nous paraît suffisant.

M. MOUNIER

Monsieur le Président, je comprends parfaitement votre observation. Je me permets de vous faire observer respectueusement que je devais prendre la parole immédiatement après mon collègue et, si je l’avais fait, vous auriez eu en main ce livre de documents. Toutefois, il s’est produit un décalage d’un jour, et je m’excuse de n’avoir) pas pensé à vous faire rapporter ce matin ce livre de documents ; mais je demande respectueusement au Tribunal de bien vouloir noter cette petite référence qu’il trouvera aisément ; c’est un passage qui est très court ; je me permets de le lire au Tribunal ; cela ne prendra pas beaucoup de temps.

LE PRÉSIDENT

Certainement.

M. MOUNIER

Le passage de ce rapport est simplement le suivant :

« L’État-Major spécial », c’est-à-dire l’Einsatzstab Rosenberg, ne s’est pas seulement emparé de très importantes parties de la collection que les Rothschild avaient abandonnée dans leur hôtel parisien... ». Je me dispense de lire la suite.

Voici donc, Messieurs, un rapport officiel absolument incontestable qui vous démontre, comme la preuve précédente, que la collection des Rothschild figure bien parmi celles qui ont été pillées. Je n’insiste pas, Messieurs sur ces faits qui sont connus de vous ; il me semble que les deux points sur lesquels je viens de projeter un trait de lumière suffisent pour souligner la réalité des prélèvements illicites, des prélèvements frauduleux opérés par l’accusé Rosenberg au détriment de la France et au détriment également des pays de l’Ouest.

Quant à leur importance, je ne veux pas abuser des instants précieux du Tribunal en lui citant des statistiques ; je lui demande respectueusement de bien vouloir se reporter au rapport Scholz que j’ai cité à deux reprises au cours de mes explications précédentes. Je ne voudrais pas cependant abandonner momentanément le cas de l’accusé Rosenberg sans citer au Tribunal le passage d’un article de l’écrivain français François Mauriac, de l’Académie Française. François Mauriac assistait le 7 novembre 1945 à la séance inaugurale de l’Assemblée Nationale Constituante, au Palais Bourbon ; a ce moment, François Mauriac, a évoqué un souvenir qu’il rappelle en ces termes dans le journal Le Figaro du 6 novembre 1945 :

« Il y a presque cinq ans, jour pour jour, du haut de cette tribune, la plus illustre de l’Europe, un homme a parlé à d’autres habillés en vert-de-gris ; il s’appelait Rosenberg Alfred ; je puis vérifier la date, c’était le 25 novembre 1940. A cette tribune où retentirent la voix de Jaurès et celle d’Albert de Mun, et où, le 11 novembre 1918, le vieux Clemenceau faillit mourir de joie, Rosenberg s’est accoudé et voici les paroles qu’il a prononcées : « Dans un élan « révolutionnaire gigantesque » — disait-il — « la nation allemande « s’est procuré une moisson comme jamais encore dans son Histoire. « Les Français avoueront un jour s’ils sont honnêtes, que l’Allemagne « les a libérés de leurs parasites, dont ils ne pouvaient se défaire par « leurs propres moyens. » Et le philosophe nazi, continue Mauriac, proclama alors la victoire du sang. Il voulait dire — écrit Mauriac — la victoire de la race. Mais il arrive qu’un homme prophétise à son insu et qu’il ignore la portée des mots que Dieu met sur ses lèvres.

« Comme il a été prédit par Rosenberg au Palais Bourbon, le 25 novembre 1940, c’est bien le sang qui a vaincu, c’est le sang des martyrs qui a fini par étouffer les bourreaux. »

Monsieur le Président, avec la permission du Tribunal, je voudrais, suivant la même méthode très rapide — et j’espère que le Tribunal voudra bien apprécier le souci que j’ai de n’abuser point de ses instants — je désirerais dire quelques mots au sujet de l’accusation individuelle qui concerne l’accusé Fritz Sauckel. Messieurs, votre Tribunal a déjà eu connaissance du travail véritablement remarquable, du travail véritablement définitif qui lui a été présenté, il a quelque temps, par mon collègue et ami, Monsieur Jacques-Bernard Herzog ; c’est pourquoi, avec votre permission, je passerai sur les faits eux-mêmes qui sont connus de vous, et je m’en tiendrai à la partie qui commence à la page 3 de mon exposé, et où nous examinerons ensemble, s’il plaît au Tribunal, le bien-fondé des excuses alléguées jusqu’ici par l’accusé Fritz Sauckel.

Une question d’abord doit être posée : Fritz Sauckel a-t-il agi par ordre lorsqu’il procédait à ce recrutement soi-disant volontaire pour partie, forcé pour la plupart des cas, de travailleurs destinés à alimenter les besoins du Reich allemand ?

Selon Sauckel, lorsqu’il a été plénipotentiaire à la main-d’œuvre, le 27 mars 1942, son programme initial ne comportait pas la conscription des travailleurs étrangers, et ce serait Hitler qui serait intervenu à ce moment. Car ceci est frappant, Messieurs, lorsque vous aurez sous les yeux les procès-verbaux des interrogatoires et, j’en suis sûr également à l’avance, lorsqu’il nous sera donné d’entendre la voix des accusés à l’audience, vous verrez les accusés, pour la plupart se retrancher derrière deux grandes ombres : l’ombre de l’ancien Führer, l’ombre de son âme damnée, Himmler. Et ici, c’est Hitler que nous voyons intervenir. Il aurait en effet déclaré à Sauckel que l’emploi des travailleurs étrangers à l’intérieur des territoires occupés n’était pas contraire aux conventions de La Haye, pour deux raisons : d’abord parce que les pays dont il s’agit se sont rendus sans conditions, par conséquent qu’il peut leur être appliqué n’importe quelles conditions de travail ; et la deuxième raison, en ce qui concerne par exemple l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques de Russie, parce qu’elle n’était pas signataire de ces conventions. Par conséquent, vis-à-vis de la Russie, en recrutant par la force des travailleurs, en les utilisant jusqu’à la mort, nous n’enfreignons pas les conventions de La Haye. Voilà, Messieurs, sans y rien ajouter, le raisonnement de l’accusé Sauckel sur ce point.

C’est ainsi que Hitler lui aurait donné l’ordre de procéder au recrutement des travailleurs en usant d’abord de la persuasion et ensuite, de tous les moyens de contrainte que vous connaissez déjà, particulièrement suppression des cartes d’alimentation, qui obligeait les gens qui voyaient leurs femmes et leurs enfants souffrir de la faim, à venir louer leurs bras à des travaux qui devaient se retourner contre leurs propres concitoyens, et contre les soldats des armées alliées, vers qui les portait de loin tout l’élan de leur cœur.

Le Tribunal fera bonne justice d’une pareille excuse car, en premier lieu, Sauckel, en vertu de l’acte qui lui conférait ses fonctions, jouissait des pleins pouvoirs pour tout ce qui concernait la main-d’œuvre nécessaire à l’exécution du Plan de quatre ans.

D’autre part, en assumant ces fonctions de plénipotentiaire à la main-d’œuvre, Sauckel savait qu’il ne pouvait exécuter sa mission qu’en employant tôt ou tard des moyens de coercition.

Sauckel, comme d’ailleurs la plupart de ceux qui sont au banc des accusés, jouissait des pouvoirs les plus étendus, de pouvoirs autonomes ; par conséquent, il n’a pas à se retrancher derrière les ordres qu’il a pu recevoir.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Mounter, excusez-moi de vous interrompre, mais, comme je l’ai fait remarquer hier, me semble-t-il, nous avons déjà un discours d’ouverture qui nous a été présenté et qui contenait tous les arguments des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et de M. de Menthon, au nom de la France.

Jusqu’à maintenant, nous avions limité les autres Procureurs à une présentation des preuves... Est-ce que vous m’entendez bien ?

Je dis qu’après avoir entendu le discours d’ouverture au nom des États-Unis, au nom de la Grande-Bretagne et au nom de la France, nous avons jusqu’à maintenant limité les Procureurs qui suivaient, à une présentation des preuves et des documents, et nous ne les avons pas autorisés à discuter, à présenter les arguments.

Je ne suis pas certain que cette règle ait été observée dans tous les cas. Il est peut-être plus difficile en ce moment de limiter la question, mais à plusieurs reprises, nous avons fait remarquer aux Procureurs qui ont suivi le discours d’ouverture qu’ils étaient tenus de se limiter à une présentation des preuves contenant des faits. C’est pourquoi le Tribunal aimerait que, si possible, vous vous soumettiez également à la même règle et que, par conséquent, vous ne discutiez pas le fait, mais que vous présentiez les preuves ou que vous nous invitiez à nous référer aux preuves, dans la mesure où ces preuves nous ont déjà été soumises par les numéros d’indication, peut-être en nous indiquant quelle est la substance de l’adresse ou du témoignage indiqué.

Veuillez donc en lire les parties qui vous semblent nécessaires.

M. MOUNIER

Monsieur le Président, pour répondre aux désirs du Tribunal, je me bornerai, dans ces conditions, en ce qui concerne l’accusé Sauckel, à me référer à des chiffres qui ne me paraissent pas susceptibles d’une discussion quelconque, puisque ce sont les chiffres indiqués par l’accusé Sauckel lui-même, tout au cours de l’instruction. Ceci ne me semble pas enfreindre la règle que Monsieur le Président vient de me rappeler à l’instant.

Les chiffres qui ont été indiqués sont les suivants : En 1942, il existait déjà 1.000.000 de travailleurs étrangers en Allemagne. En un an, Sauckel a incorporé à l’économie du Reich 1.600.000 prisonniers de guerre environ, afin de répondre aux besoins de l’économie de guerre. Je me permets de renvoyer le Tribunal au document qui porte, à mon livre de documents, le n° d’audience RF-1411. Il s’agit d’un interrogatoire de l’accusé Speer, en date du 18 octobre 1945, qui a été déjà déposé par le Ministère Public des États-Unis, le 12 décembre 1945, sous le n° USA-220.

L’accusé Speer, dans cet interrogatoire, reconnaît que 40% de tous les prisonniers de guerre étaient employés à la production d’armes, de munitions et d’industries annexes.

Je rappelle également, sous le n° d’audience RF-1412, le document USA-225 du 13 décembre 1945, qui est représenté par un mémorandum signé par Lammers, secrétaire de la Chancellerie du Reich, et qui relate les discussions qui se sont produites à une conférence tenue le 4 janvier 1944.

A cette date du 4 janvier 1944, au cours d’une conférence à laquelle assistaient, en plus de l’inculpé Sauckel, le Führer lui-même, Himmler, Speer, Keitel, le maréchal Milch, etc., on fixa à 4.000.000 le nombre de travailleurs frais que Sauckel devait fournir. Je dois mentionner à ce propos qu’au cours de cette réunion, Sauckel ayant émis des doutes sur la possibilité de fournir le nombre de travailleurs si on ne lui donnait pas des forces de police suffisantes, Himmler répliqua qu’il tenterait, grâce à une pression accrue, d’aider Sauckel à atteindre son but.

Par conséquent, lorsque l’accusé Sauckel, comme il est vraisemblable, viendra soutenir qu’il n’avait absolument rien de commun avec cette institution aujourd’hui honnie de tous qui s’appelle la Gestapo, on pourra lui répondre que les documents officiels allemands prouvent qu’en réalité, il se servait des services de police, avec tous les moyens plus ou moins condamnables, blâmables, qui vous ont déjà été exposés, qu’ils savaient employer pour le recrutement de la main-d’œuvre.

Quant à la France seule, la demande de travailleurs au début de 1944 s’élevait à 1 000 000, et ce chiffre s’ajoutait encore au chiffre des travailleurs français, hommes et femmes, déjà transplantés en Allemagne, qui atteignait en juin 1944 de 1 million à 1.500.000 personnes.

L’accusé Sauckel a donc commis, en conséquence, des infractions déjà connues du Tribunal. Nous avons chez nous un vieil adage, un vieux slogan dirons-nous, en vertu duquel « La Cour c’est le Droit », et il convient de ne parler que du fait. Je m’abstiendrai, par conséquent, de lire la partie qui se trouve à la page 9 de mon exposé, et qui contient des articles de loi sous lesquels est tombée l’action condamnable de l’accusé Sauckel.

Monsieur le Président, Messieurs, je voudrais maintenant souligner rapidement l’activité de l’accusé Speer car, en ce qui concerne la France et les pays de l’Ouest, l’accusé Speer encourt des responsabilités qui sont du même ordre que celles de l’accusé Sauckel. Il a commis, comme l’accusé dont je viens de parler, des violations des lois de la guerre, des violations des lois contre la condition humaine, en travaillant à l’élaboration et à l’exécution d’un vaste programme de déportation forcée et d’asservissement des pays occupés.

Speer, Monsieur le Président, a tout d’abord pris part à l’élaboration du programme de travail forcé et il a participé à son adoption ; c’est ainsi qu’au cours de l’information, il a reconnu, sous la foi du serment :

1° Qu’il a participé aux discussions où fut adoptée la décision de recourir au travail forcé ;

2° Qu’il a apporté son concours à l’exécution de ce plan ;

3° Que la base de ce programme était la transplantation en Allemagne, par la force, des travailleurs étrangers, sous l’autorité de Sauckel, plénipotentiaire à la main-d’œuvre, dans le cadre du Plan de quatre ans.

Le Tribunal voudra bien se reporter au n° USA-220 produit par la Délégation des États-Unis le 12 décembre 1945 et que je cite sous le numéro d’audience RF-1411 aujourd’hui.

En ce qui concerne plus particulièrement la France, Hitler et l’accusé Speer tinrent une conférence le 4 janvier 1943, au cours de laquelle il fut décidé que des mesures plus sévères seraient prises en vue d’accélérer le recrutement des travailleurs civils français, sans discrimination entre les travailleurs qualifiés et les manœuvres.

Cela résulte d’une note à laquelle je me permets de demander au Tribunal de se référer. C’est une note signée de la main même de Fritz Sauckel, et qui a été présentée déjà par le Ministère Public américain sous le n° PS-556, numéro français RF-67.

L’accusé Speer savait que le recrutement pour le travail obligatoire, dans les territoires occupés, était opéré par la force et par la terreur. Il a approuvé le maintien de ces méthodes, dès septembre 1942 ; par exemple, il savait que les travailleurs de l’Ukraine étaient déportés par la contrainte pour aller travailler dans le Reich. Il savait également que la grande majorité des travailleurs des régions occupées de l’Ouest étaient envoyés en Allemagne contre leur gré. Il a même déclaré à l’honorable magistrat américain qui l’interrogeait qu’il considérait ces méthodes comme régulières et légales.

Enfin, l’accusé Speer, sachant que les travailleurs étrangers étaient recrutés et déportés en vue du travail forcé en Allemagne, a formulé des exigences pour l’obtention de travailleurs étrangers et a pourvu à leur utilisation dans les diverses branches d’activité placées sous sa direction.

Les paragraphes qui précèdent résument toutes les déclarations faites par l’accusé dans l’interrogatoire qui a déjà été cité, et auquel je viens de me référer.

De plus, Speer, je me permets de le rappeler, était membre du Comité central du Plan. De ce fait, et concurremment avec le maréchal Milch, il n’avait au-dessus de lui, que Hitler et Göring pour tout ce qui avait trait aux demandes de main-d’œuvre. Il prenait part également à ce titre, au cours des discussions avec Hitler, à la fixation des chiffres des travailleurs étrangers. Il savait donc que la plus grande partie de ces effectifs provenait de la déportation par la contrainte et de l’asservissement des pays occupés.

La preuve en est fournie par divers passages des procès-verbaux du Comité central du Plan et des conférences de Speer avec Hitler. Il s’agit des documents n° RF-1414 déjà versés sous le n° USA-179 du 12 décembre 1945.

Enfin, Speer n’a pas hésité à recourir à des méthodes de terreur et, à des brutalités pour porter à son point culminant la production des travailleurs forcés, justifiant l’action des SS et de la Police ; et l’emploi de camps de concentration contre les récalcitrants. Je me permets de rappeler au Tribunal le document déjà cité, relatif aux procès-verbaux de la 21e réunion du Comité central du Plan, 30 octobre 1942, page 1059.

Il s’agit du document que j’ai cité précédemment, RF-1414, document USA-179, du 12 décembre 1945. L’accusé Speer porte également une responsabilité dans l’emploi des prisonniers de guerre dans des opérations militaires dirigées contre leur pays car, en sa qualité de chef de l’organisation Todt, il a obligé les citoyens de nations alliées à travailler pour cette organisation, notamment à la construction des fortifications et entre autres, de la fameuse muraille de l’Ouest.

Il a contraint également des Français, des Belges, des Luxembourgeois, des Hollandais, des Norvégiens et des Danois à fabriquer des armes qui devaient être utilisées contre les alliés des pays auxquels appartenaient ces citoyens.

Enfin, ceci est une question très importante, Messieurs, au point de vue de la responsabilité de l’accusé Speer, il a participé d’une manière directe à l’emploi des détenus des camps de concentration. Il a proposé l’emploi des détenus des camps de concentration dans les usines d’armement. Or, étant donné la triste condition physique des détenus, on ne pouvait attendre de cette mesure aucun rendement, mais uniquement l’extermination des détenus.

Cet emploi des détenus des camps de concentration dans les usines eut pour effet d’augmenter la demande de cette main-d’œuvre et cette demande fut satisfaite en partie tout au moins, par l’envoi dans les camps de concentration de personnes qui, en temps ordinaire, n’y auraient jamais été. Speer en arriva à installer, à proximité des usines, des camps de concentration qui servaient uniquement à les alimenter en main-d’œuvre.

Il connaissait le camp de Mauthausen. Le témoin Boix, ce témoin espagnol que le Tribunal a entendu il y a quelques jours, est venu affirmer, sous la foi du serment, qu’il y avait de ses yeux vu l’accusé Speer visiter le camp de Mauthausen et féliciter les dirigeants du camp. Il a même déclaré qu’il avait travaillé à préparer les photographies de cette scène. Par conséquent, ce fait peut être considéré comme étant absolument indiscutable. Il a donc été à même de constater les conditions barbares dans lesquelles se trouvaient les détenus. Il n’en a pas moins persisté à utiliser la main-d’œuvre provenant du camp de Mauthausen dans les usines qu’il avait sous son autorité.

J’en ai terminé, Monsieur le Président, Messieurs, avec l’accusé Speer.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
M. MOUNIER

Monsieur le Président, Messieurs les juges, étant donné le temps extrêmement limité qui m’est accordé, je me vois contraint, en ce qui concerne l’accusé Göring dont je vais avoir l’honneur de parler, de sauter les pages 1, 2 et 3 de mon exposé. Je prie le Tribunal de bien vouloir se reporter à la page 3 de mon exposé. Je voudrais, en effet, exposer au Tribunal la question de la responsabilité de l’accusé Göring dans les mesures qui ont été prises contre les commandos et les aviateurs alliés tombés aux mains des Allemands au cours de leur mission.

Au cours de ces débats, il a déjà été question, à de nombreuses reprises, d’un ordre donné par Hitler le 18 octobre 1942 — (document RF-1417, produit en premier lieu par la Délégation des États-Unis le 2 janvier 1946 sous le n° USA-501). C’est un ordre qui précisait les mesures qui devaient être prises à l’égard des commandos, sur le lieu des opérations en Europe ou en Afrique. Ils devaient être exterminés jusqu’au dernier homme, même s’ils étaient revêtus de l’uniforme militaire, et quel que soit leur mode de transport, bateau, avion, parachute. Ordre était donné de ne faire aucun prisonnier. Dans les territoires occupés, les membres isolés des commandos qui viendraient à tomber aux mains des forces allemandes devaient être remis immédiatement au Sicherheitsdienst, branche du RSHA.

Cet ordre n’était pas applicable aux soldats ennemis qui seraient capturés ou se rendraient en pleine bataille et dans le cadre des actions de combat.

Il a été notifié, entre autres destinataires, à l’Oberkommando de la Luftwaffe. Par conséquent, l’accusé Göring a eu connaissance de cet ordre, et en qualité de Commandant en chef de l’Armée aérienne et, d’autre part, en sa qualité de Commandant en chef de l’une des trois armes, il participe solidairement à la responsabilité des chefs des autres armes.

On sait également qu’à la même date du 18 octobre 1942, Hitler a diffusé une note commentant les instructions qui précèdent, précisant que si l’on épargnait momentanément un ou deux prisonniers pour obtenir d’eux des renseignements, ils devaient être mis à mort immédiatement après leur interrogatoire.

Je me réfère au document RF-1418 du 9 janvier 1946, la Délégation des États-Unis qui a produit ce document l’a également cité au Tribunal ; je ne reviendrai pas sur ce fait ; un certain nombre de cas d’espèces prouvent que, dans de nombreuses circonstances, cet ordre a bien été exécuté.

D’autre part, le Tribunal sait déjà que de nombreux aviateurs alliés qui se trouvaient sur les territoires allemands, après la perte de leur appareil, furent maltraités et lynchés par les Allemands, avec l’accord et l’aide des autorités. Nous n’en voulons pour preuve que l’ordre du 10 août 1943, par lequel Himmler interdisait à la Police de se mêler de ces lynchages et interdisait également de s’y opposer. Je me réfère au document USA-333 (RF-1419) du 19 décembre 1945.

Goebbels, dans un article du Völkischer Beobachter est intervenu dans le même sens.

Bormann, par une circulaire du 30 mai 1944, confirmait ces instructions et prescrivait la transmission aux autorités administratives, non point par écrit, mais seulement par la tradition orale. Je me réfère au document USA-329 (RF-1420), cité le 17 décembre 1945 par la Délégation des États-Unis.

Ces instructions ont été exécutées à la lettre, à telle enseigne que les Forces américaines ont, depuis la capitulation, traduit en jugement un nombre important de civils allemands qui avaient assassiné des aviateurs alliés désarmés.

Mais l’accusé Göring ne s’est pas contenté de laisser faire. Lors d’une conférence qui s’est tenue les 15 et 16 mai 1944, il a déclaré qu’il proposerait au Führer de mettre à mort, sur place et immédiatement, tant les soldats parachutés que les équipages américains ou anglais qui attaqueraient sans discernement les villes et les trains civils en marche.

Il s’agit du document RF-1421, déjà cité par le Ministère Public américain, le 31 janvier 1946, sous le n° USA-377.

Effectivement, Göring vit Hitler et, entre le 20 et le 22 mai 1944, le général d’aviation Körten envoyait à l’accusé Keitel une note indiquant que Hitler avait décidé que les aviateurs ennemis qui avaient été abattus seraient mis à mort sans jugement, lorsqu’ils auraient participé à des actes caractérisés de terrorisme. Il s’agit du document PS-731 (RF-1407) que nous déposons sous la forme d’une photocopie sur le Bureau du Tribunal. Je demande au Tribunal la permission de ne pas lire ce document. Le Tribunal, je crois, préférera se reporter à sa lecture, mais je suis à sa disposition s’il désire que je le lise.

LE PRÉSIDENT

Non, il a déjà été déposé, n’est-ce pas ?

M. MOUNIER

Oui, Monsieur le Président. Il était convenu, par conséquent, avec l’OKW, que Himmler, Göring et Ribbentrop seraient consultés sur les mesures à prendre en cette matière. Ribbentrop proposait que toute attaque sur les villes allemandes fût considérée comme constituant un acte de terrorisme. De son côté, le général Warlimont, au nom de l’OKW, proposait deux moyens :

le lynchage et ce qu’il appelait la « Sonderbehandlung » (traitement spécial) qui consistait à livrer les intéressés au Sicherheitsdienst où ils étaient soumis à divers traitements dont l’un est le plus notoire :

c’est la fameuse action Kugel, dont il a déjà été parlé au Tribunal, et qui consistait à faire disparaître les intéressés. Je me réfère à ce sujet au document GB-151 (RF-1452), du 9 janvier 1946.

Le 17 juin 1944, Keitel écrivait à Göring pour lui demander d’approuver la définition des actes de terrorisme telle que Warlimont l’avait rédigée et, le 19 juin 1944, Göring faisait répondre par son aide de camp qu’il fallait interdire à la population d’agir comme elle le faisait contre les aviateurs ennemis, et que ceux-ci devaient être traduits en jugement étant donné que les actes de terrorisme étaient interdits par les Gouvernements alliés à leurs aviateurs. Je me réfère ici au document PS-732 que je dépose sur le Bureau du Tribunal sous le n° RF-1405.

Par conséquent, j’attire après cela l’attention du Tribunal sur ce document, à la date du 19 juin 1944, où le Reichsmarschall Göring se déclare partisan d’une action judiciaire contre les aviateurs dont il s’agit. Retenez cette date du 19 juin 1944, Messieurs, car elle est importante. Mais le 26 juin 1944, l’aide de camp de l’accusé Göring téléphonait à l’État-Major des directions de l’OKW, qui avait insisté pour obtenir une réponse précise, et lui notifiait l’accord de son chef, le Reichsmarschall Göring, sur la définition des actes de terrorisme et sur la procédure proposée qui, je le rappelle, comportait l’alternative suivante : soit la livraison à la Sonderbehandlung, soit l’exécution sommaire des intéressés. Je me réfère aux documents PS-733 et PS-740, qui ont été cités le 30 janvier 1946 par le Ministère Public français, sous les n° RF-374 et RF-375 (RF-1423 et RF-1424). Et finalement, Hitler, dans une note du 4 juillet 1944, faisait connaître que les Anglo-Américains ayant décidé, par représailles contre les V. 1, de lancer des attaques aériennes contre les petites villes sans importance militaire, il invitait la radio et la presse à annoncer que tout aviateur ennemi abattu au cours d’une attaque de cette nature serait mis à mort immédiatement après sa capture.

Tels sont les faits qui résultent de documents absolument irréfutables. Si j’ai cité, précisément, la réponse faite le 19 juin 1944 par l’accusé Göring ou plus exactement par son aide de camp, c’est par souci d’apporter aux débats l’intégralité des documents intéressant cette question.

Mais je me vois obligé de conclure, malgré la présence de cet ordre du 19 juin 1944, à la responsabilité pleine et entière de l’accusé Hermann Göring.

En effet, l’accusé Hermann Göring conteste avoir, à aucun moment, donné son accord à ces mesures ; et le capitaine Breuer, qui est celui qui a tenu la conversation téléphonique avec l’État-Major de direction à l’OKW, aurait, d’après l’accusé Göring, agi sans lui en référer au préalable ; Göring a ajouté, dans les déclarations qu’il a faites, qu’il ne saurait être tenu responsable de toutes les choses absurdes ou sans importance accomplies par ses sous-ordres.

Mais, Messieurs, sans même se référer à ce fameux Führerprinzip, j’estime qu’il n’y a pas lieu de faire application aux intéressés d’une disposition quelconque de la loi allemande ; en tout état de cause, l’accusé Göring est responsable en tant que chef. Là où est l’autorité, là commence la responsabilité.

Par ailleurs, qu’a-t-il fait pour mettre un terme au massacre d’aviateurs par des gens à qui il avait commandé le contraire, suivant des ordres qu’il était défendu de rédiger par écrit ?

Et même si nous considérons la position prise par lui dans l’ordre du 19 juin 1944, auquel je me suis référé comme constituant véritablement à cette date sa doctrine concernant les massacres d’aviateurs et de parachutistes, nous sommes bien obligés de constater que le 19 juin 1944, les plus aveugles, même en Allemagne, savaient que les Forces du Reich allaient à brève échéance succomber sous le poids des armées alliées. Or, pendant toute la guerre, on a en Allemagne mis à mort des aviateurs alliés. Au surplus, si l’accusé Hermann Göring soutient que la lettre du 19 juin 1944 est écrite par son aide de camp, il est bien obligé d’admettre que la lettre du 26 juin 1944, écrite par son aide de camp, lui est également opposable, bien que signée par un de ses subordonnés.

Par conséquent, nous considérons que ce document signé par un aide de camp lie l’accusé Göring au même titre que s’il l’avait signé lui-même.

Monsieur le Président, Messieurs, je ne m’étendrai pas sur la responsabilité de l’accusé Hermann Göring en ce qui concerne le travail forcé ; je prie respectueusement le Tribunal de bien vouloir, le moment venu, se référer aux quelques traits de lumière que j’ai indiqués dans mon travail, afin de clarifier la position de l’accusé concernant cette question.

Je ne parlerai pas davantage de l’emploi des prisonniers de guerre et détenus, que j’ai énoncé à la page 10 de mon exposé. Je voudrais simplement dire un mot en ce qui concerne le pillage économique et le pillage artistique. Ces questions sont traitées au bas de la page 11 de mon exposé.

En ce qui concerne le pillage économique, Messieurs, je n’insisterai pas sur la part considérable prise par l’accusé Göring, en tant que chef du Plan de quatre ans, dans toutes les mesures qui ont contribué à vider littéralement de leur substance tous les pays de l’Ouest. Je signalerai simplement un fait qui, je crois, n’a pas encore été porté à votre connaissance, mais qui est énoncé à l’avant-dernier alinéa de la page 12. Ce fait est le suivant :

C’est qu’après l’armistice en 1940, l’accusé Göring avait opéré la cession aux « Hermann Göring Werke », par Roechling qui en était le séquestre, de toutes les usines de Lorraine appartenant à la famille de Wendel.

Ceci se rattache à toutes les opérations de pillage économique au sujet desquelles la section économique du Ministère Public français a déjà fourni au Tribunal toutes les explications désirables.

A ce sujet, le Tribunal ne manquera pas de considérer que l’accusé Göring partage solidairement avec les accusés Rosenberg, Ribbentrop et Seyss-Inquart pour les Pays-Bas, la responsabilité de ces pillages.

En ce qui concerne le pillage des œuvres d’art, nous avons, Messieurs, des documents qui nous permettent de conclure à une chose éminemment déplaisante pour un homme qui a occupé la situation de l’accusé Göring, à savoir le fait qu’une partie des objets d’art et de valeur qui étaient pillés dans les pays de l’Ouest lui était réservée, et cela sans aucune espèce de contre-partie. Je ne discuterai pas la qualification exacte que ce fait aurait en Droit interne ; je laisse le soin au Tribunal, lorsqu’il rendra sa décision, d’employer à ce sujet les termes juridiques appropriés. Mais ce que je tiens à dire aujourd’hui, c’est que cette appropriation privative d’objets d’art par l’accusé Hermann Göring résulte de documents absolument irréfutables, qui ont déjà été produits devant le Tribunal.

Je me réfère particulièrement au document USA-368 (PS-141), du 18 décembre 1945.

Ce document a été produit par la section économique du Ministère Public français, sous le n° RF-1309. Je rappelle rapidement que ce document prescrit que les objets d’art apportés au Louvre feront l’objet d’un certain classement : « En premier lieu les objets d’art dont le Führer s’est réservé lui-même de fixer la destination, les objets d’art destinés à compléter la collection du Reichsmarschall, etc. ». (Je ne lis pas la suite du document.)

Quelle était la suite de ces prélèvements, de ces attributions privatives ? Est-ce que l’accusé Göring payait quelque chose pour cela ?

Il semble qu’il en soit le contraire, car dans l’interrogatoire de l’accusé Rosenberg, qui a été produit sous le n° RF-1332 et auquel je me suis référé au cours de cette audience, il est indiqué que l’accusé Göring faisait un choix parmi les objets d’art rassemblés par l’organisation Rosenberg et qu’il ne versait aucune somme correspondante dans les caisses du trésor du Reich.

Pour ne pas abuser des instants du Tribunal, je lui demande respectueusement de bien vouloir se reporter à la page 10 du procès-verbal ainsi cité, où il verra l’intervention de l’accusé Göring dans des prélèvements d’objets d’art, et le fait qu’aucune somme d’argent n’a été payée en échange.

Je souligne simplement, en passant, qu’au haut de la page 11 nous trouvons cette déclaration, en réponse à la question posée par le colonel Hinkel. Le colonel Hinkel lui dit ceci :...

LE PRÉSIDENT

Vous parlez de la page 10 et de la page 11 de quel document ?

M. MOUNIER

Du document RF-1403 qui a été produit sous le n° RF-1332, à la date d’hier, par mon collègue M. Gerthoffer, et qui ne se trouve pas là pour des raisons que j’ai indiquées précédemment au Tribunal.

Le colonel Hinkel, au bas de la page 10, pose la question suivante :

« Question

N’est-il pas dit, dans le dernier paragraphe de cette lettre, que vous ne pensez pas que Göring devrait payer ces objets, parce qu’il les avait choisis pour les faire mettre dans une galerie d’art ? »

« Réponse

Pas tout à fait. Et j’aimerais ajouter ce qui suit : » — et ce qui suit est à mes yeux, Messieurs, tout de même important — « Je me suis senti assez gêné quand j’ai entendu pour la première fois dire que Göring avait détourné, à son propre usage, une certaine partie des trésors artistiques que l’Einsatzstab avait envoyés en Allemagne... »

C’est tout, Messieurs, je n’en dis pas davantage. Je voulais signaler la gêne que le chef de l’Einsatzstab lui-même ressentait en apprenant ce fait.

Monsieur le Président, Messieurs, en ce qui concerne l’intervention de l’accusé Göring dans les crimes contre l’humanité, et notamment les camps de concentration, je n’insisterai pas ; je demanderai au Tribunal de bien vouloir, lorsqu’il en aura le loisir, se reporter aux quelques paragraphes par lesquels je rappelle rapidement la question. Mais il est un document qui, à ma connaissance, n’a pas encore été remis au Tribunal et que je voudrais produire aujourd’hui. Il concerne des expériences pseudo-médicales dont il n’a pas encore été parlé, je crois.

On vous a beaucoup parlé des expériences du Dr Rascher concernant le refroidissement et le réchauffement de certains sujets, mais il y a une question que je traite à la page 17 de mon exposé, et qui vise le document que je verse aujourd’hui sous le n° RF-1427. C’est un document qui porte à l’origine le n° L-170 et qui constitue un rapport établi par le commandant Leo Alexander, de l’Armée américaine, sur une institution qui s’appelait le « Kaiser Wilhelm Institut ». Le commandant Leo Alexander, au moment de la conquête de l’Allemagne par les Forces alliées, a eu à faire des enquêtes. Il en a fait une sur les expériences du Dr Rascher, il en a fait une également sur les expériences du « Kaiser Wilhelm Institut », et ce rapport que je verse au Tribunal est intitulé :

« Neuropathologie dans l’Allemagne en guerre » ; cet institut « Kaiser Wilhelm » était destiné aux recherches cérébrales. Autrefois, il était installé — page 18 de mon exposé — à Berlin-Buch ; et il était réparti en trois établissements : l’un à Munich (je passe sur celui de Munich) le troisième à Göttingen ; le second, qui m’intéresse, était installé à Dillenburg en Hesse-Nassau, où la section de pathologie spéciale est dirigée par le Dr Hallervorden ; et alors, ce qui est intéressant, Monsieur le Président...

LE PRÉSIDENT

Pourrait-on voir l’original ?

M. MOUNIER

L’original ? Le voici, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Est-ce la série « L » concernant la déclaration sous serment du commandant Coogan ?

M. MOUNIER

Monsieur le Président, je vous ferai remarquer que ce n° L-170 est le même que celui qui concerne le livre de documents du même commandant Leo Alexander, concernant les expériences du Dr Rascher. Le numéro est le même...

LE PRÉSIDENT

Comme ce document a déjà été déposé dans la série « L », n° L-170 je crois, nous pouvons le prendre comme étant déposé et voir plus tard si nous l’acceptons.

M. MOUNIER

En tout cas, je rappelle à Monsieur le Président, qui s’en est déjà certainement aperçu, que je reproduis dans l’exposé même qui a été communiqué à la Défense, le passage que je considère comme intéressant mon exposé. Le passage est cité entièrement.

LE PRÉSIDENT (s’adressant au Dr Stahmer)

Oui, nous vous entendrons tout à l’heure, Docteur Stahmer. (Se tournant vers M. Mounter) De quel passage parlez-vous ?

M. MOUNIER

Pages 20 et 21.

LE PRESIDENT

Voulez-vous les lire ?

M. MOUNIER

Je m’en rapporte à la décision du Tribunal. Si le Tribunal considéré que cette lecture est superflue, je me bornerai à rappeler au Tribunal que ce que je considère comme frappant dans ce document, c’est la façon dont le Dr Hallervorden a commandé la livraison de cervelles qu’il examinait, lorsqu’il dit ceci :

« J’avais entendu dire que les hommes allaient faire cela », c’est-à-dire tuer ces malades qui étaient dans divers établissements, à l’oxyde de carbone. « J’avais entendu dire » — explique le Dr Hallervorden à l’enquêteur américain, le commandant Alexander — « que les hommes allaient faire cela. Je suis allé à eux, et je leur ai dit : « Écoutez, mes amis, si vous allez tuer tous ces gens-là, gardez « au moins les cervelles, pour qu’on puisse s’en servir ». Ils me demandèrent : « Combien pouvez-vous en examiner ? » « Un nombre « illimité, le plus sera le mieux » leur répondis-je. Je leur donnai le fixatif, les récipients, les caisses et les instructions utiles pour fixer le cerveau, etc. »

J’attire l’attention du Tribunal sur le caractère véritablement atroce des mesures que l’on prenait au sujet des gens que l’on devait ainsi tuer pour examiner leur cerveau, « car ils étaient » — dit-il — « prélevés dans les divers services des établissements, suivant une méthode excessivement simple et rapide. La plupart des établissements n’avaient pas assez de médecins ; aussi, soit par excès de travail, soit par indifférence, ils s’étaient déchargés de faire le choix sur les infirmières et les infirmiers. Quiconque paraissait malade, ou était au point de vue des infirmières ou des infirmiers un « cas » était inscrit sur une liste et transporté au lieu de destruction. Le pire dans cette affaire, c’étaient les brutalités exercées par le personnel. Il choisissait ceux qu’il n’aimait pas, les inscrivait sur la liste... »

Je borne là mes citations, Monsieur le Président, mais ce que je voulais ensuite, à moins que le Tribunal donne la parole au Dr Stahmer...

LE PRÉSIDENT

Oui, nous allons maintenant écouter ce que le Dr Stahmer veut dire.

Dr OTTO STAHMER (avocat de l’accusé Göring)

Je suis au regret de contredire ce qui vient d’être dit, car on ne peut prouver que ces faits se sont passés, et que l’accusé Göring en soit responsable. L’accusé Göring déclare que ces choses lui sont complètement inconnues et qu’il n’avait rien à faire avec ce genre de choses. Autant que je sache, l’Accusation elle-même...

LE PRÉSIDENT

Je dois vous interrompre, Docteur Stahmer. Vous aurez toutes les occasions de présenter vos arguments pour démontrer que les preuves qui sont présentées actuellement contre l’accusé Göring, sont inconnues de lui et n’ont rien à voir avec lui. Vous aurez toutes les occasions pour faire cela lorsque vous présenterez la Défense. Il s’agit de savoir si ce document peut être admis ou non. Nous considérons évidemment que ce n’est pas le moment de le faire, que ce document parle de Göring et que Göring ignorait cela. Nous verrons ceci au moment de la Défense. C’est un argument à montrer plus tard, que Göring ignorait ces expériences. Vous comprenez ce que je veux dire ?

Dr STAHMER

Oui, Monsieur le Président.

M. MOUNIER

Monsieur le Président, je voulais simplement en présentant...

LE PRÉSIDENT

Oui, Monsieur Mounier, continuez.

M. MOUNIER

Monsieur le Président, je me permets de vous signaler que mon ami, M. Elwyn Jones, me tait remarquer que cela est admis comme preuve, étant donné les conditions dans lesquelles ceci a été déposé. Il s’agit d’un document qui porte le titre : « Neuropathology and Neurophysiology including Electro-encephalography, in war time, Germany ».

Ces références se trouvent d’ailleurs à la copie anglaise, que j’ai eu l’honneur de déposer dans le modeste livre de documents que je vous ai produit tout à l’heure. Je voulais vous dire, Monsieur le Président, en citant ce court passage...

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal ferait mieux de conserver le document original pour l’instant, de lé garder.

M. MOUNIER

Mon but, Monsieur le Président, en citant ce court passage, est de vous montrer ce qu’il y a de véritablement atroce dans la façon dont on traitait les gens, afin de se procurer la matière nécessaire à ces soi-disant expériences. Ceci concerne, d’après l’Accusation, Hermann Göring, car, comme le Tribunal s’en rendra compte, ces expériences étaient faites en vue de se procurer des renseignements d’ordre scientifique ou pseudo-scientifique, au sujet des effets sur les cerveaux des aviateurs de tous les accidents qui pouvaient leur survenir. Ces expériences sont liées à celles du Dr Rascher, à propos desquelles des correspondances ont été adressées, correspondances qui n’ont pas pu demeurer ignorées de l’accusé Hermann Göring, car elles intéressaient directement l’Armée de l’air dont il était le chef.

Je cite, par exemple, une lettre du 24 octobre 1942 qui a été adressée par Himmler au Dr Rascher, que je dépose aujourd’hui sur le bureau du Tribunal sous le n° RF-1409 (PS-1609). Pour épargner les instants du Tribunal, je ne lirai pas cette lettre, je me référerai simplement à un autre document qui a été déjà cité. C’est le document PS-343, qui a été produit par la Délégation des États-Unis d’Amérique, sous le n° USA-463, du 20 décembre 1945, et qui est une lettre qui prouve que le maréchal Milch a été chargé, dès le 20 mai 1942, par l’accusé Göring, de transmettre aux SS ses remerciements spéciaux pour l’aide qu’ils avaient apportée à la Luftwaffe dans le domaine des expériences pseudo-médicales. Par conséquent, nous considérons que, sur ce point, la responsabilité de l’accusé Hermann Göring se trouve nettement engagée.

Monsieur le Président, Messieurs, j’en ai terminé avec les quelques points concernant l’accusé Hermann Göring sur lesquels je voulais attirer la haute attention du Tribunal. Il existe, dans mon exposé concernant l’accusé Hermann Göring, une conclusion. Je ne la lirai pas, avec la permission du Tribunal. Cette conclusion est un extrait d’un livre ancien qui date de 1669, et qui est connu certainement universellement, du moins en Allemagne, et qui s’appelle Simplizius Simplizissimus, de Grimmeishausen. C’est un ouvrage où l’on voit des personnages évoquer des rêves. Malheureusement, la réalisation semble avoir été le fait du régime national-socialiste.

Je passe donc à l’accusé Seyss-Inquart, dont le cas intéresse plus particulièrement nos amis des Pays-Bas, dont la France s’est faite aujourd’hui l’avocat.

Monsieur le Président, Messieurs, c’est par conséquent en ce qui concerne l’accusé Seyss-Inquart, à la fois au nom du Gouvernement des Pays-Bas et en son nom propre, que le Ministère Public français va tirer, d’une manière aussi brève que possible, les accusations individuelles qui pèsent sur cet accusé.

Le rôle de l’accusé Seyss-Inquart, sa participation à l’annexion de l’Autriche, ont été longuement étudiés au cours de ces débats. Mais son action en Hollande mérite d’être aujourd’hui plus particulièrement mise en lumière.

Le 13 mai 1940, le Gouvernement hollandais quittait les Pays-Bas pour gagner un pays ami et allié, où sa présence marquait sa ferme volonté de n’abdiquer en rien les prérogatives de sa souveraineté.

Le 29 mai 1940, l’accusé Seyss-Inquart, qui avait rang de ministre du Reich sans portefeuille, était nommé commissaire d’État pour les régions néerlandaises, et on a donc considéré qu’à partir de cette date jusqu’au jour de la capitulation de l’Armée allemande, l’accusé Seyss-Inquart, en vertu de sa fonction elle-même, a été responsable de tous les actes du prétendu Gouvernement civil allemand.

Il résulte en effet, à l’évidence, des discours qu’il a prononcés, qu’il était investi non seulement d’attributions purement administratives, mais aussi de pouvoirs politiques ; c’est donc en vain qu’il essaiera, comme il l’a fait devant mon ami, M. Thomas Dodd, qui l’interrogeait, de soutenir qu’en Hollande il n’aurait été en quelque sorte qu’un fonctionnaire chargé de mettre un cachet sur des ordres, de même qu’auparavant, en Autriche, il n’aurait été pratiquement qu’un télégraphiste.

La date de ces interrogatoires est la suivante : 18 septembre 1945, pages 20 et 22. Je n’insiste pas davantage car je n’ai pas voulu produire ces interrogatoires de façon à éviter l’encombrement du Tribunal avec les nombreux interrogatoires qu’il eût fallu citer au moment de l’interrogatoire contradictoire et ces écrits resteront véritablement pour l’édification du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Mounier, l’interrogatoire a-t-il été déposé ?

M. MOUNIER

Non, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Bien, mais les règles de la procédure...

M. MOUNIER

Je m’incline, Monsieur le Président ; je sais d’avance que vous ne pouvez pas prendre ceci comme une preuve, déjà constituée à vos yeux, étant donné la règle...

LE PRÉSIDENT

Vous le pouvez si la règle est observée.

M. MOUNIER

Mon propos, Monsieur le Président, est celui-ci : indiquer...

LE PRÉSIDENT

Il y a un malentendu. D’après un article du Statut, le Ministère Public peut interroger n’importe quel accusé ; et ceci est un interrogatoire d’un des accusés. Si le Ministère Public veut le faire, il peut déposer comme preuve l’interrogatoire ; s’il ne veut pas, il peut s’abstenir.

M. MOUNIER

Monsieur le Président, je n’ai pas fait allusion à cette déclaration de l’accusé. Mon propos est simplement de dire qu’au moment de l’interrogatoire contradictoire nous pourrons, du moins je l’espère, mettre en présence de ses déclarations l’accusé dont je parle maintenant.

Avec la permission du Tribunal, j’aborderai tout d’abord la question de l’activité terroriste de l’accusé Seyss-Inquart. Elle s’est manifestée par les mesures suivantes :

Tout d’abord, par tout un système d’amendes collectives. En mars 1941, il institue un système d’amendes collectives qui frappaient les cités hollandaises, où se manifestaient, à ce qu’il croyait, des éléments de résistance. C’est ainsi que la ville d’Amsterdam dut payer une amende de deux millions et demi.

L’accusé Seyss-Inquart établit également le système des otages. Le 18 mai 1942, il publiait une proclamation où il mentionnait l’arrestation de 450 personnes occupant d’importantes situations et qui étaient simplement suspectes d’être en relations avec la résistance.

En fait, l’accusé a reconnu devant M. Thomas Dodd... Non, je m’arrête, Monsieur le Président, je n’ai pas produit ces interrogatoires. Je passe au-dessus de ce passage, j’indique simplement cela d’une façon générale, et je supplie le Tribunal de ne pas considérer cela comme infraction au Statut. Je lui indique simplement, qu’ici encore, l’accusé Seyss-Inquart s’est retranché derrière l’ombre du Chancelier du Reich, l’ombre du Führer Hitler.

Le 7 juillet 1942, par un décret, l’accusé a ordonné que les tribunaux allemands, dont il désigna lui-même les juges, connaîtraient des causes intéressant non seulement les citoyens allemands en Hollande, mais aussi les citoyens suspects d’activité hostile contre le Reich, contre le Parti ou contre les sujets allemands.

A la même époque d’ailleurs, l’accusé Seyss-Inquart introduisait ] a peine de mort contre ceux qui n’auraient pas accompli convenablement les tâches de sécurité assignées par la Wehrmacht ou la Police de sûreté, ou bien qui auraient omis d’informer les postes de commandement allemands de tous les projets criminels dirigés contre les forces d’occupation et dont ils auraient connaissance.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Mounier, pour la proclamation du 18 mai 1942, vous ne nous avez pas donné de numéro ?

M. MOUNIER

Monsieur le Président, je dois vous indiquer que je me réfère d’une manière générale au rapport officiel du Gouvernement hollandais (RF-1429). Le Gouvernement a déposé un rapport...

LE PRÉSIDENT

C’est déclaré là-dedans ?

M. MOUNIER

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que ceci s’applique aussi au document du 7 juillet 1942 ?

M. MOUNIER

Oui, Monsieur le Président.

L’accusé Seyss-Inquart a également nommé le SS-Obergruppen-führer Rauter, comme commissaire général pour la sécurité. Ce dernier est responsable de tous les meurtres de milliers de Néerlandais, qui ont été exécutés avec l’accord passif de Seyss-Inquart, du fait que la nomination de Rauter a toujours été maintenue et n’a jamais été rapportée.

D’autre part, le Gouvernement des Pays-Bas reproche à l’accusé Seyss-Inquart d’avoir créé toute une série de tribunaux d’exception.

En mai 1943, il a créé une juridiction sommaire de police, et en effet, en vertu d’une ordonnance de Hitler, les prisonniers de guerre hollandais, qui avaient été libérés peu après la cessation des hostilités, furent de nouveau internés. On vit alors se manifester une résistance ferme dans les usines hollandaises, et la nouvelle juridiction sommaire ainsi créée condamna plusieurs citoyens hollandais, qui furent exécutés ; d’ailleurs, l’accusé Seyss-Inquart, au cours d’une réunion de collaborateurs hollandais, ne manqua pas de se glorifier de toutes ces mesures de terreur, et d’en revendiquer la responsabilité.

L’accusé Seyss-Inquart était, en Hollande, le représentant suprême de Hitler. Il doit donc être considéré comme responsable, avec l’accusé Sauckel, de la déportation des travailleurs en masse, de Hollande vers le Reich, de 1940 à 1945, et si les autorités militaires allemandes ont eu pour leur part à intervenir dans la mobilisation de la main-d’œuvre, les fonctionnaires de Sauckel en Hollande se trouvaient normalement placés sous l’autorité du commissaire d’État Seyss-Inquart, et il doit donc être tenu comme responsable de leurs agissements. Et c’est l’accusé Seyss-Inquart qui a signé le décret du Reichskommissar n° 26, 1942, qui se trouve au rapport officiel hollandais, dans une publication officielle qui ordonnait l’envoi obligatoire de la main-d’œuvre néerlandaise en Allemagne. Quiconque ne voulait pas travailler pour l’Allemagne ne mangeait pas, et l’autorité occupante en était arrivée à pratiquer des rafles monstres dans les rues de Rotterdam et de La Haye afin de se procurer la main-d’œuvre destinée aux fortifications de la Wehrmacht.

En ce qui concerne les opérations de pillage économique, sous le commissariat de l’accusé Seyss-Inquart, l’économie de la Hollande, comme celle des autres pays occupés, a été mise au pillage. C’est ainsi que durant l’hiver 1941-1942, sur l’ordre de l’accusé Seyss-Inquart, on réquisitionna les lainages au profit de l’Armée allemande du front de l’Est. En 1943, eut lieu la réquisition des textiles et des objets usuels dans l’intérêt des populations allemandes atteintes par les bombardements. En application de ce que les autorités occupantes appelaient l’« Action Böhm », les Hollandais ont été obligés de vendre, sous la contrainte, du vin et des objets divers qui étaient destinés à faire des cadeaux à la population allemande, à l’occasion de la fête de Noël 1943.

Dans l’organisation du marché noir, même intervention, car dans le but de mettre à exécution le Plan de quatre ans, Seyss-Inquart apportait à l’accusé Göring et à l’accusé Speer une aide efficace dans le pillage de l’économie hollandaise. On peut soutenir qu’un vaste marché noir a été ainsi encouragé et entretenu.

Le « Vierjahresplan » utilisait des accapareurs pour ses prétendus achats, mais lorsque les organes hollandais de poursuite voulaient intervenir, ils en étaient empêchés par la Police allemande.

En 1940, l’accusé Seyss-Inquart promulgua une ordonnance permettant aux autorités allemandes de Hollande de confisquer les biens de toutes les personnes que l’on pouvait accuser d’activité hostile au Reich allemand. Les biens de la famille royale furent, sur l’ordre de l’accusé Seyss-Inquart, confisqués par le commissaire général pour la sécurité. Les troupes d’occupation pouvaient rafler tout ce qui leur était utile. Cette spoliation s’est manifestée d’une façon particulièrement cruelle, en ce qui concerne les enlèvements abusifs de produits alimentaires.

En effet, ainsi que l’indique le rapport officiel du Gouvernement hollandais et le document qui a été déjà déposé par la section économique du Ministère Public français sous les n° RF-139 et RF-140, dès le commencement de l’occupation, les stocks de ravitaillement ont été enlevés systématiquement et avec l’accord de Seyss-Inquart, ainsi que les produits agricoles qui ont été transportés en Allemagne. Lorsqu’on septembre 1944, après la libération du sud de la Hollande, une grève des chemins de fer éclata dans le nord, Seyss-Inquart a défendu, en vue de briser la grève, le transport de tout ravitaillement du nord-est vers l’ouest, et, de ce fait, il a été impossible de constituer des stocks d’hiver dans l’ouest.

En conséquence, la responsabilité de la famine qui a sévi pendant l’hiver 1944-1945 et qui coûta la vie à environ 25.000 Néerlandais, incombe aussi à Seyss-Inquart.

En ce qui concerne les objets d’art, le pillage a sévi de la même façon. L’accusé Seyss-Inquart doit être considéré comme responsable pour avoir organisé l’enlèvement d’objets d’art en Hollande, du fait qu’il appela spécialement auprès de lui son ami, le Dr Muehlmann, qui était spécialisé dans cette branche.

Je me réfère, à ce sujet, au document déposé par la section économique du Ministère Public français, sous les n° RF-1342, RF-1343 et RF-1344. Enfin, l’accusé Seyss-Inquart a pris toute une série de mesures contraires aux lois internationales, et qui ont causé aux Pays-Bas un préjudice considérable.

En 1941, les autorités néerlandaises avaient institué un contrôle des devises, qui permettait de suivre les acquisitions faites en monnaie allemande, soit de marchandises, soit de fonds publics, et ce, dans le but d’éviter que l’économie des Pays-Bas se vît abusivement privée, soit de ses richesses matérielles, soit de ses devises.

Le 31 mars 1941, l’accusé Seyss-Inquart abolissait la frontière « devises » existant entre le Reich et le territoire hollandais occupé. Il ouvrait ainsi la route à tous les abus commis en matière monétaire par la puissance occupante, venant s’ajouter aux inadmissibles exigences allemandes en matière de frais d’occupation : 500.000.000 de Reichsmark, le 24 mars 1941.

Le contrôle de la frontière, entre le territoire hollandais occupé et l’Allemagne, fut également supprimé, sur l’ordre de Göring, afin d’activer encore le pillage de l’économie néerlandaise. Et lorsque la fortune des armes commença d’être contraire à la Wehrmacht, et surtout après le 1er septembre 1944, les destructions devinrent systématiques. Les objectifs que se proposaient les Allemands dans les Pays-Bas étaient les suivants :

1. Démolir ou rendre inutilisables les usines, les chantiers maritimes, les bassins, les installations portuaires, les exploitations minières, les ponts, les installations de chemin de fer.

2. Provoquer des inondations dans la partie ouest des Pays-Bas.

3. S’emparer des matières premières, des produits semi-ouvrés, des produits manufacturés, des machines, tantôt au vu de bons de réquisition, tantôt moyennant paiement, mais, dans de nombreux cas, par le simple vol à main armée.

4. Forcer les dépôts de valeurs, de diamants, etc., et s’en emparer illégalement.

La conséquence de toutes ces mesures, dont l’accusé Seyss-Inquart est responsable ou dont il partage pour une forte part la responsabilité, a été de plonger les Pays-Bas dans une misère indicible et imméritée.

J’en ai terminé, Monsieur le Président avec l’accusé Seyss-Inquart.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Mounier, combien de temps croyez-vous parler cet après-midi ? Si je comprends bien, le cas Hess sera présenté après, et c’est important que ceci soit terminé aujourd’hui afin que le Ministère Public soviétique puisse avoir une journée entière pour sa déclaration d’ouverture.

M. MOUNIER

C’est avec la meilleure grâce, qu’hier comme aujourd’hui, je me suis prêté aux désirs que vous avez bien voulu exprimer. Je comprends parfaitement votre souci d’abréger, dans toute la mesure du possible, ces débats, et c’est pourquoi, ce matin, j’ai écourté les explications que je me réservais de vous fournir. C’est pourquoi également, je déclare, au nom du Ministère Public français, que je renonce à présenter le cas des autres accusés, que je me réservais de vous présenter. Je demande simplement au Tribunal de bien vouloir se reporter aux dossiers que nous avons déposés, sauf pour le cas des accusés Keitel et Jodl pour lesquels, au début de l’audience de cet après-midi, mon confrère et ami, M. Quatre, présentera quelques explications qu’il s’efforcera de rendre aussi brèves que possible. De cette façon, la Délégation britannique disposera des deux heures qui lui sont nécessaires pour présenter le cas de l’accusé Rudolf Hess.

Par conséquent, s’il plaît au Tribunal, M. Quatre prendra la parole à deux heures, pour une heure, et la laissera ensuite à la Délégation britannique.

LE PRÉSIDENT

La seule question que j’aimerais vous poser est la suivante : est-ce que les dossiers concernant les autres accusés que Keitel et Jodl ont été fournis aux accusés ?

M. MOUNIER

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)