CINQUANTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Vendredi 8 février 1946.

Audience du matin.

LE PRESIDENT

Je donne la parole au général Rudenko, Procureur Général soviétique.

GENERAL RUDENKO (Procureur Général soviétique )

Monsieur le Président, Messieurs. Au moment de commencer mon exposé introductif, le dernier qu’aient à vous présenter les principaux représentants du ministère public, J’ai pleine conscience de l’immense portée historique de ce Procès.

C’est la première fois que comparaissent devant un Tribunal des criminels qui ont accaparé un Etat entier et qui ont fait de cet Etat l’instrument de leurs crimes monstrueux.

C’est la première fois que comparaissent devant un Tribunal des criminels qui ont accaparé un Etat entier et qui ont fait de cet Etat l’instrument de leurs crimes monstrueux.

C’est la première fois, enfin, qu’en la personne des inculpés nous jugeons non seulement eux-mêmes, mais encore les institutions et organisations criminelles créés par eux, les « théories » et les « idées » de haine contre l’Humanité qu’ils ont répandues en vue de perpétrer des crimes conçus contre la Paix et contre l’Humanité.

Il y a neuf mois, sous les coups irrésistibles des Forces armées alliées de la coalition anglo-soviéto-américaine est tombée l’Allemagne Hitlérienne, qui a persécuté, pendant plusieurs années de guerre sanglante, les peuples de l’Europe, amis de la liberté. Le 8 mai 1945, l’Allemagne hitlérienne a été obligée de mettre bas les armes après avoir subi une défaite militaire et politique sans précédent.

L’hitlérisme a imposé au monde une guerre qui a apporté aux peuples libres des misères sans nombre et des souffrances incommensurables. Des millions d’hommes sont tombés, victimes de la guerre déclenchée par les bandits nazis qui ont cru pouvoir soumettre les peuples libres des pays démocratiques et établir la tyrannie nazie en Europe et dans le monde entier.

Le jour est venu où les peuples du monde exigent une juste expiation et une peine sévère contre les bourreaux nazis, où ils exigent un châtiment exemplaire des criminels.

Tous les forfaits des principaux criminels de guerre nazis, tous ensemble et chacun en particulier, seront pesés par vous, Messieurs le Juges, avec tout le soin et toute l’attention qu’exigent la loi, le Statut du Tribunal Militaire International, la Justice et notre conscience.

Nous imputons à ces accusés l’organisation, la provocation, l’exécution, la réalisation directe, par eux-mêmes et leurs agents, d’un plan criminel prémédité. Ils ont mis sur pied, pour servir à la réalisation de ce plan, tout le mécanisme de l’État nazi, avec toutes ses institutions et organisations, l’Armée, la Police, ce qu’on nomme les institutions publiques, citées en détail dans l’Acte d’accusation, en particulier dans l’appendice B.

Avant de passer à l’examen des événements et des faits concrets qui forment la base des accusations portées contre les inculpés, j’estime qu’il est indispensable de m’arrêter sur quelques questions générales de droit, en relation avec le Procès actuel. C’est indispensable parce que le Procès actuel est le premier procès dans l’Histoire où la justice est rendue par un organisme de justice internationale :

le Tribunal Militaire International. C’est également indispensable parce que, dans les déclarations écrites et orales adressées au Tribunal, on a spécialement attiré notre attention sur les questions de droit.

Le problème le plus important et le plus général de droit qui mériterait, à mon avis, d’attirer l’attention du Tribunal, est le problème de la légalité. Les grandes démocraties qui ont institué ce Tribunal, et toutes les démocraties du monde, contrairement au système de la tyrannie fasciste et de l’arbitraire fasciste, existent et agissent sur le fondement solide des lois. La nature des lois et la notion de loi ne peuvent être identiques dans le sens national et international. La loi, tout d’abord dans le sens du Droit national, est un acte du pouvoir législatif d’un pays, traduit sous une forme adéquate. Dans la sphère internationale, la situation est autre. Dans la sphère internationale, il n’a jamais existé et il n’existe pas d’organisme législatif compétent pour édicter des règles obligatoires pour tel ou tel pays. Le régime juridique des relations internationales, y compris les relations qui se manifestent par la lutte coordonnée contre la criminalité, repose sur d’autres fondements juridiques.

Dans la sphère internationale, la source fondamentale du droit et son acte légal sont la convention, l’accord entre les États. C’est pour cela que, dans la mesure où, dans la sphère nationale, la loi acceptée par les chambres législatives et promulguée d’une façon adéquate forme la base incontestable et suffisante de l’activité des organisations de justice nationale, dans la même mesure, dans la sphère internationale, l’accord conclu entre les États forme la base juridique incontestable et suffisante pour la constitution et l’activité des organismes de justice internationale, créés par ces États.

Par l’accord conclu à Londres le 8 août 1945 entre les quatre gouvernements, agissant dans l’intérêt de tous les peuples amis de la liberté, a été créé le Tribunal Militaire International, pour juger et punir les principaux criminels de guerre. Faisant partie intégrante de cet accord, l’Acte Constitutif du Tribunal Militaire International est, pour cette raison, une loi incontestable et suffisante, qui définit les fondements et la procédure du jugement et du châtiment des principaux criminels de guerre. Inspirées par la peur de la responsabilité ou tout au moins par l’incompréhension de la nature légale de la justice internationale, les références au principe Nullum crimen sine lege ou au principe « la loi n’est pas rétroactive » sont dénuées de tout sens par suite des faits fondamentaux et décisifs suivant : l’Acte Constitutif du Tribunal existe ; il est efficient et toutes ses prescriptions ont une force incontestable et obligatoire.

Aux termes de l’article 6 du Statut du Tribunal Militaire International, les inculpés sont accusés de crimes contre la Paix, de crimes contre les lois et coutumes de la guerre et de crimes contre l’Humanité. On doit constater, avec une profonde satisfaction, qu’en qualifiant ces actes de criminels, l’Acte Constitutif a donné une forme légale aux idées et principes internationaux qui, au cours de longues années, étaient présentés en défense de la légalité et de la justice dans la sphère des relations internationales.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’agression criminelle.

Au cours de dizaines d’années, les peuples qui avaient intérêt à consolider la paix ont proclamé et soutenu l’idée que l’agression est l’atteinte la plus sévère aux rapports pacifiques entre les peuples, qu’elle est le crime international le plus grave. Ces espoirs et ces exigences des peuples ont trouvé leur expression dans une série d’actes et de documents, reconnaissant officiellement que l’agression est un crime international.

Le 27 août 1928, le pacte Briand-Kellogg a été conclu à Paris. Ce pacte déclare : « Persuadées que le moment est venu de procéder à une franche renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale, convaincues que tous changements dans leurs relations mutuelles ne doivent être recherchés que par des procédés pacifiques,... les Hautes Parties Contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles. »

En 1929, un an après la conclusion du Pacte de Paris, au Congrès de l’Association Internationale de Droit Criminel à Bucarest, on a voté la résolution qui posait directement le problème de la responsabilité pénale à l’égard de l’agression. « Considérant que la guerre est déclarée hors la loi par le Pacte de Paris de 1928, et envisageant la nécessité d’assurer l’ordre et l’harmonie internationale par l’application de sanctions effectives, le Congrès a reconnu indispensables « la création d’une juridiction criminelle internationale » et « l’établissement de la responsabilité pénale des États et des personnes physiques en matière d’agression. »

Ainsi, le principe de la responsabilité pénale pour l’agression criminelle énoncé depuis longtemps, a trouvé une forme légale nette dans le paragraphe a de l’article 6 du Statut du Tribunal Militaire International.

En conséquence, les agresseurs fascistes, les inculpés, savaient qu’en commettant des attaques de brigands contre d’autres États, ils commettaient les crimes les plus graves contre la Paix. Ils le savaient et ils le savent, et c’est pour cela qu’ils essayaient et qu’ils essaient de masquer l’agression criminelle par des allégations fallacieuses de défense. De même, à maintes reprises et catégoriquement, il a été déclaré que la violation des lois et coutumes de la guerre, établies par des conventions internationales, doit entraîner une responsabilité criminelle.

Sous ce rapport, il faut noter tout d’abord que les forfaits les plus graves commis contre les lois et coutumes de la guerre par les nazis — assassinats, violences, incendies et pillages — sont des agissements criminels punissables en vertu de tous les codes du monde entier. Plus encore, dans les conventions internationales conclues spécialement en vue d’établir les lois et les règles de la conduite de la guerre est mentionnée la responsabilité pénale pour la violation de ces lois et règles. Ainsi, l’article 56 de la Convention de La Haye de 1907 statue :

« Les biens des communes, ceux des établissements consacrés au culte, à la charité et à l’instruction, aux arts et aux sciences, même appartenant à l’État, seront traités comme propriété privée.

« Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d’œuvres d’art et de science, est interdite et doit être poursuivie. »

Ainsi, la convention de La Haye non seulement interdit la violation des règles de conduite de la guerre, mais encore stipule que cette violation doit être passible de poursuites, c’est-à-dire entraîner la responsabilité pénale.

Avec une netteté encore plus grande, l’article 29 de la Convention de Genève de 1929 déclare :

« Les gouvernements des Hautes Parties Contractantes prendront ou proposeront également à leurs législatures, en cas d’insuffisance de leurs lois pénales, les mesures nécessaires pour réprimer, en temps de guerre, tout acte contraire aux dispositions de la présente convention. »

Enfin, le principe de la responsabilité pénale pour la violation des lois et coutumes de la guerre est formulé avec une extrême précision dans l’article 3 des stipulations de la « Conférence de Washington sur la limitation des armements et les questions du Pacifique et de l’Extrême-Orient ».

Cet article déclare : « Les Puissances signataires, désireuses d’assurer l’exécution des lois d’humanité déjà reconnues et confirmées déclarent en outre que tout individu au service de quelque puissance que ce soit, agissant ou non sur l’ordre d’un supérieur hiérarchique, qui violera l’une ou l’autre desdites règles, sera réputé avoir violé les lois de la guerre. Il pourra être mis en jugement devant les autorités civiles et militaires... »

En conséquence, en vertu des termes précis de la Convention de La Haye et de la Convention de Genève, en vertu des stipulations de la Conférence de Washington, la responsabilité pénale pour la violation des lois et coutumes de la guerre apparaît comme non seulement possible, mais encore obligatoire.

De cette façon le paragraphe b de l’article 6 du Statut du Tribunal Militaire International, qui prévoit les crimes de guerre, a défini et généralisé les principes et les règles contenus dans les conventions internationales antérieures.

Les inculpés savaient que le mépris cynique des lois et coutumes de la guerre était un crime des plus graves ; ils le savaient, mais ils espéraient que la guerre totale, en leur assurant la victoire, apporterait l’impunité.

La victoire n’a pas suivi le chemin des crimes.

La capitulation de l’Allemagne, complète et sans condition, est survenue. L’heure est arrivée de répondre d’une façon implacable pour tous les forfaits commis.

Moi, au nom de l’Union Soviétique, et mes honorés collègues, les représentants des Ministères Publics des États-Unis d’Amérique, de Grande-Bretagne et de France, nous accusons les inculpés d’avoir, au moyen d’un complot criminel, manœuvré toute la machine allemande civile et militaire, en transformant l’appareil gouvernemental allemand en une machine de préparation et de conduite de l’agression criminelle, en un appareil d’extermination de millions d’innocents.

Quand plusieurs criminels se concertent pour commettre un meurtre, chacun d’eux joue son rôle : l’un dresse le plan du meurtre, le deuxième attend dans l’auto, quant au troisième, il tire sur la victime. Mais quels que soient les rôles des complices, tous sont des assassins et n’importe quel tribunal de n’importe quel pays rejetterait toute tentative d’affirmer que les deux premiers ne sont pas des assassins, puisqu’ils n’ont pas eux-mêmes tiré sur la victime.

Plus le crime projeté est complexe et dangereux, plus les liens qui unissent les divers complices sont embrouillés et ténus. Quand une bande de malfaiteurs fait une attaque, même les membres de la bande qui n’ont pas pris part à cette attaque en portent la responsabilité. Mais quand cette bande atteint des proportions exceptionnelles, quand cette bande se trouve au centre de l’appareil gouvernemental, quand cette bande commet des crimes internationaux extrêmement nombreux et graves, alors évidemment les liens et les rapports mutuels des complices de la bande se compliquent dans une très grande mesure. Alors commence à fonctionner un appareil à branches multiples, composé de tout un système de chaînons et de blocs (Zellenleiter, Blockleiter, Gauleiter, Reichsleiter, etc.) qui relient les fauteuils ministériels aux mains des bourreaux.

C’est un appareil solide et puissant, incapable néanmoins de cacher le fait fondamental et décisif : au centre de tout ce système se trouve une bande de conspirateurs qui mettent en mouvement tout ce mécanisme créé par eux.

Quand des régions florissantes se transformaient en zones désertes et que la terre s’imbibait du sang des suppliciés, c’était leur œuvre, l’œuvre de leur organisation, due à leur instigation et à leur direction. Et, parce qu’il fallait entraîner les masses allemandes à commettre ces forfaits avant de lancer des meutes de chiens et de bourreaux sur des millions d’innocents, les inculpés ont, pendant des années, empoisonné la conscience et la raison de toute une génération d’Allemands, éduquant en eux l’orgueil des « élus », une morale d’anthropophages et une cupidité de pillards : la faute des conspirateurs nazis en est-elle atténuée ou amoindrie ?

Exprimant la volonté des peuples, le Statut du Tribunal Militaire International résout cette question : « Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à .l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes contre la Paix, contre les lois et coutumes de la guerre ou contre l’Humanité, sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan. » (Article 6 du Statut.)

Préparation idéologique des guerres d’agression.

En vue d’exécuter avec succès leur plan criminel, les conspirateurs hitlériens — Göring, Hess, Rosenberg, Fritzsche, Schirach et autres inculpés — ont élaboré l’inhumaine « Théorie de la race supérieure ». Ils comptaient justifier, à l’aide de cette prétendue « théorie », les prétentions du fascisme allemand à dominer les autres peuples, déclarés par cette théorie « peuples de race inférieure ».

De cette « théorie » découlait le fait que les Allemands, en raison de leur appartenance à une race soi-disant supérieure, se sont appropriés le « droit » de bâtir leur bien-être sur les ossements d’autres races ou d’autres peuples. Cette « théorie » a déclaré que les usurpateurs germano-fascistes n’étaient liés ni par les lois, ni par les règles de la morale humaine généralement reconnues. Tout est permis à la « race des seigneurs ». Tous les agissements de ces « seigneurs », si répugnants, éhontés, cruels et monstrueux qu’ils fussent, étaient fondés sur l’« idée » de la supériorité de leur race.

« Nous voulons, disait Hitler, sélectionner une nouvelle classe de maîtres, étrangère à la morale de la pitié, une classe qui aura conscience qu’elle a le droit, en se basant sur sa race meilleure, de dominer : une classe qui saura établir et garder sans hésitation sa maîtrise sur la grande masse. » (Ernst Otwald, Deutschland erwache,1932. page 353.)

Cette « théorie » raciale du nazisme allemand devait servir en même temps de base « scientifique » pour la préparation par les nazis de l’attaque contre les pays démocratiques, pour la justification des guerres d’agression, auxquelles les nazis se préparèrent fiévreusement pendant tout le temps de leur domination sur l’Allemagne.

Le racisme servait ainsi à justifier le complot en vue de réaliser les aspirations de rapaces des cliques impérialistes allemandes.

Par ordre des autorités allemandes nazies, l’enseignement racial fut introduit dans le plan d’éducation comme matière très importante et obligatoire. Les écoles et les universités étaient, entre les mains du fascisme allemand, des centres de déformation intellectuelle et morale extrêmement dangereux pour la civilisation. Toutes les sciences étaient militarisées, tous les aspects de l’art soumis à des buts d’agression.

« Nous allons vers la science, libres du joug de la connaissance et de la culture scientifique », lisait-on dans le journal nazi Politische Wissenschaft n° 3 de 1934. « L’étudiant doit entrer à l’école supérieure en exigeant que la science soit aussi militaire que son instruction militaire à lui, que le professeur possède des qualités de chef et l’instruction militaire. »

« Nous voulons à nouveau des armes, disait Hitler, c’est pourquoi tout, à commencer par l’A. B. C. de l’enfant et jusqu’au dernier journal, chaque théâtre, chaque cinéma, chaque poteau et chaque panneau d’affichage libre, doit se mettre au service de cette unique et grande mission. » (Adolf Hitler, Mein Kampf, Munich, 1933, page 715.)

La géographie servait d’instrument de propagande de la « prépondérance des Allemands dans le monde », « de leur droit » à la domination sur d’autres peuples. On inculquait aux jeunes le sentiment de leur supériorité raciale, l’arrogance, la haine de l’humanité, le mépris et la cruauté à l’égard d’autres peuples.

Dans un chant nazi, on dit :

« Si le monde entier est en ruines,

Au diable, nous nous en moquons,

Nous marcherons en avant tout de même

Car aujourd’hui c’est l’Allemagne que nous possédons,

Demain, ce sera le monde entier. »

L’idéologie nazie a déchaîné les instincts les plus sauvages et les plus bas ; les nazis ont érigé en principe l’arbitraire, la violence, l’avilissement à l’égard des hommes ; ils ont déclaré dangereuses pour la « race des seigneurs » les idées de liberté, les idées de civilisation et les exigences d’humanité. « Moi, disait Hitler, je libère les hommes des bornes de la raison qui pèsent sur eux, des malpropres et humiliantes intoxications dues à des chimères, de la prétendue conscience et moralité, et des exigences de liberté et d’indépendance personnelle, dont seuls quelques-uns peuvent se servir. » (Hermann Rauschning, The Voice of Destruction, 1940, New-York, page 225.)

C’est en vertu de tels « principes » que fut construit tout le système nazi d’éducation du peuple allemand, adapté à la réalisation aveugle des plans et des buts de brigands proposés par les dirigeants nazis de l’Allemagne. Les émanations pernicieuses du chauvinisme et de la haine de l’humanité empoisonnaient systématiquement la conscience des Allemands ; c’était le résultat de la propagande nazie et de tout le système de mesures prises par l’État nazi. Les plans de conquête du nazisme mûrissaient de plus en plus avec chaque nouvelle année de maintien des nazis au pouvoir, pour, finalement, aboutir à la guerre. Cette guerre fut conçue, projetée et commencée par l’Allemagne nazie et ses satellites comme une « guerre-éclair » (Blitzkriep) qui, dans le dessein des conspirateurs, devait apporter à la bande des crapules nazies une victoire rapide et facile et la domination sur tous les pays d’Europe.

Le but de ce complot criminel était d’établir un « ordre nouveau » de bandits en Europe. Cet « ordre nouveau » apparaissait comme un régime terroriste, à l’aide duquel toutes les institutions démocratiques et les droits civiques des populations étaient supprimés dans les pays accaparés par les nazis. Ces pays eux-mêmes étaient pillés et exploités d’une façon rapace. La population de ces pays et, en premier lieu celle des pays slaves, surtout les Russes, les Ukrainiens, les Blancs-Russiens, les Polonais, les Tchèques, les Serbes, les Slovènes, les Juifs étaient exposés à des poursuites implacables et à une extermination en masse.

Les conspirateurs n’ont pas réussi à réaliser ce plan. La lutte courageuse des peuples démocratiques avec, à leur tête, la coalition des trois grandes puissances — l’Union Soviétique, les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne — a conduit à la libération des pays d’Europe du joug nazi. La victoire des armées alliées a démoli les plans criminels des conspirateurs nazis et libéré les peuples de l’Europe de la terrible menace de la domination du nazisme.

Nous, les représentants des Ministères Publics, en vertu de la loi et en vertu de notre devoir à l’égard des peuples des pays démocratiques et de toute l’humanité, nous sommes tenus à formuler et à présenter au jugement du Tribunal Militaire International des preuves pour convaincre les accusés de la perpétration des crimes les plus graves.

Permettez-moi, de pair avec mes collègues, de remplir mon devoir et de présenter au Tribunal Militaire International des preuves qui, avec les documents présentés par les Ministères Publics américain, anglais et français, constitueront la somme totale des preuves apportées à ce Procès.

L’agression contre la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Yougoslavie

Préparatifs et réalisation.

Les inculpés Göring, Hess, Ribbentrop, Keitel, Raeder, Rosenberg, Kaltenbrunner, Frank, Frick, Dönitz, Fritzsche et d’autres inculpés sont accusés de l’organisation du complot qui avait pour but l’établissement par la force de la domination de l’impérialisme allemand et l’implantation du régime nazi dans tous les pays d’Europe, et ensuite du monde entier.

Dans ce plan, une place centrale est occupée par l’organisation des guerres d’agression et le désir de refaire, par la force, la carte du monde entier. Pour mettre à exécution ce plan d’accaparement, le Gouvernement criminel nazi et l’État-Major allemand ont préparé et réalisé la mainmise sur l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Norvège, la Belgique, la Hollande, la France, la Pologne, la Grèce, la Yougoslavie. Ils ont préparé et réalisé une campagne de bandits contre l’Union Soviétique. Mes collègues, les représentants des Ministères Publics américain, britannique et français ont déjà présenté au Tribunal des preuves irréfutables et de grand poids qui établissent les faits de l’agression allemande contre leur pays, ainsi que la Belgique, la Hollande, la Grèce et une série d’autres États, tombés victimes de l’impérialisme criminel nazi. Permettez-moi également de présenter des preuves de crimes monstrueux commis par les inculpés pour préparer et déclencher les guerres d’agression contre les peuples amis de la liberté.

1. — Attaque contre la Tchécoslovaquie.

Dans le document versé aux débats et connu sous le nom de « Cas Vert » est contenu le plan d’attaque contre la République Tchécoslovaque. Ce plan, signé par Hitler, a été distribué avec une note explicative sous la signature de Keitel. Le plan commence par des « Préliminaires politiques », dans lesquels il est dit littéralement ce qui suit : « Ma décision immuable est que la Tchécoslovaquie doit être vaincue dans un très proche avenir ; ceci résulterait d’une seule opération militaire. Attendre ou provoquer un moment politique et militaire propice est l’affaire de la direction politique. L’évolution inévitable des conditions politiques en Tchécoslovaquie même ou d’autres événements politiques en Europe qui, peut-être, ne créeront plus jamais une situation semblable, peuvent m’obliger à attaquer avant le terme prévu. Un choix judicieux et une utilisation décisive du moment favorable paraissent être la garantie la plus sûre d’obtenir le succès. En conséquence, il faut prendre immédiatement les mesures préparatoires nécessaires. »

Passant plus loin à l’exposé des possibilités politiques et des conditions préalables nécessaires pour le début de l’attaque, Hitler développe cyniquement ces conditions préalables :

a) Prétexte militaire adéquat ; et, comme conséquence,

b) Justification politique satisfaisante ;

c) Une action inattendue pour l’adversaire, action qui le prenne au dépourvu, autant que possible. »

Dans la pensée de Hitler, le procédé le plus favorable, du point de vue politique et militaire, serait un coup-éclair, masqué par l’Allemagne, sous le prétexte d’un incident qui pourrait moralement justifier des mesures militaires, aux yeux d’une partie tout au moins de l’opinion publique mondiale.

Le plan prévoyait la préparation concrète de l’attaque contre la Tchécoslovaquie avec l’utilisation de troupes de différentes sortes.

Ainsi le « Cas Vert », datant de mai 1938, parle d’une manière parfaitement claire et concrète de la préparation soigneusement approfondie d’une mainmise sur la Tchécoslovaquie.

Le Ministère Public soviétique présentera des documents tirés des archives du ministère des Affaires étrangères allemand, qui montrent les méthodes criminelles par lesquelles les nazis préparaient leur mainmise sur la Tchécoslovaquie.

Vous, Messieurs les Juges, aussi bien que le monde entier, vous savez bien avec quelle méthode et quelle cruauté ce dessein criminel a été exécuté par le crapuleux impérialisme nazi.

Instituant dans la Tchécoslovaquie occupée un insupportable régime de terreur, les nazis ont emmené en esclavage en Allemagne plusieurs milliers de citoyens tchèques, sans épargner même les enfants, qui étaient envoyés dans les usines, les fermes et les mines.

La jeunesse tchèque était privée de la possibilité de recevoir une instruction. Quand, en 1942, une délégation tchèque s’est adressée à Frank avec une demande d’autorisation d’ouvrir les établissements scolaires tchèques, il répondit avec cynisme : « Si la guerre est gagnée par l’Angleterre, vous ouvrirez vos écoles vous-mêmes. Si l’Allemagne est victorieuse, les écoles primaires de cinq classes vous suffiront. »

Tout le monde a présentes à la mémoire les représailles sanglantes des bourreaux nazis à l’égard de la population tchèque. Un des faits nombreux de ces monstrueuses représailles contre la population pacifique a été publié dans le journal allemand Der Neue Tag du 11 juin 1942 : « Au cours des recherches de l’assassin de l’Obergruppenfuhrer SS, il a été incontestablement démontré que la population du village de Lidice près de Kladno a aidé les coupables du crime et a coopéré avec eux. Le fait a été démontré, bien que la population nie avoir coopéré. L’attitude de la population à l’égard du crime se manifeste aussi par d’autres actes hostiles au Reich. Par exemple, on a découvert une littérature clandestine, des stocks d’armes et de munitions, ainsi que l’existence d’un poste émetteur et d’un dépôt illégal de grandes quantités de produits rationnés. Tous les hommes du village ont été fusillés. Les femmes ont été déportées dans des camps de concentration et les enfants envoyés dans des maisons appropriées pour y être éduqués. Tous les bâtiments de ce village ont été rasés jusqu’au sol et le nom du village supprimé. »

Le Ministère Public possède des documents officiels du Gouvernement tchécoslovaque sur les crimes flagrants commis par les accapareurs nazis sur le territoire de la Tchécoslovaquie. Dans le rapport du Gouvernement tchécoslovaque consacré en grande partie à la description du régime d’occupation nazie en Tchécoslovaquie, on cite des faits nombreux de terreur, exécutions d’otages, déportations massives dans des camps de concentration, assassinats de femmes et d’enfants.

Tel fut le « Cas Vert » dans sa réalisation.

2. — Attaque contre la Pologne.

Le 1er septembre 1939, les agresseurs nazis ont violé perfidement les accords conclus préalablement et ont envahi le territoire de la Pologne. Le peuple polonais a subi des exterminations en masse, tandis que ses villes et ses villages étaient détruits sans pitié.

Il y a, à la disposition du Tribunal, des documents officiels présentés par mes collègues qui dévoilent cette attaque. Parmi ces documents, se trouve tout d’abord une communication très secrète concernant une conférence tenue chez Hitler le 23 mai 1939, où, en dehors de Hitler et d’autres personnes, étaient présents les accusés Göring, Raeder et Keitel.

A cette conférence, Hitler a fait un rapport étendu sur la « situation actuelle et les buts de la politique ». Hitler a dit : « Le Polonais n’est pas un ennemi inattendu... La Pologne sera toujours du côté de nos adversaires. Dantzig n’est pas du tout l’objet du différend. Il s’agit d’étendre notre espace vital à l’Est... d’assurer l’approvisionnement en vivres, et de résoudre les problèmes de la Baltique.

« Ainsi, disait Hitler, il n’est donc pas question d’épargner la Pologne et il nous reste cette décision : attaquer la Pologne à la première occasion. Nous ne pouvons pas nous attendre à une répétition de l’affaire tchèque. Cette fois, il y aura la guerre. »

Hitler dit ensuite : « L’important dans ce conflit avec la Pologne, qui commencera avec l’attaque contre la Pologne, est que le succès n’est possible pour nous que si l’Ouest n’intervient pas. Si cela se trouve être impossible, il vaut mieux attaquer les puissances occidentales, et en même temps détruire la Pologne. »

Dans la deuxième partie de son rapport à cette conférence, Hitler s’arrête en détail sur toute une série de questions militaires et stratégiques relatives à sa décision d’attaquer la Pologne.

C’est ainsi que se préparait à l’avance l’attaque des bandits nazis contre la Pologne, attaque qui a été exécutée en septembre 1939.

Nous présenterons des preuves documentaires des crimes monstrueux perpétrés par les nazis en Pologne.

3. — Attaque contre la Yougoslavie.

Parmi d’autres pays slaves qui ont subi une attaque soudaine de la part de l’Allemagne nazie se trouve la Yougoslavie. On sait que le Gouvernement hitlérien a donné à plusieurs reprises des assurances mensongères affirmant que l’Allemagne n’avait pas de plans agressifs à l’égard de la Yougoslavie. Ainsi, le 28 avril 1939, Hitler a déclaré dans son discours au Reichstag que l’Allemagne était prête à donner à toute une série d’États et en particulier à la Yougoslavie les assurances d’une compréhension mutuelle sur tous les points « car il existe entre elle et ces États des relations d’alliés et des liens étroits d’amitié ».

Antérieurement, le 28 avril 1938, l’agence de Berlin déclarait :

« Des personnes accréditées ont communiqué au Gouvernement yougoslave, au nom de l’Allemagne, que les prétentions de cette dernière ne s’étendent pas au delà de l’Autriche, et que la frontière yougoslave ne subira pas d’atteinte. »

Nonobstant ces déclarations répétées et catégoriques, le 6 avril 1941, l’Armée hitlérienne envahit la Yougoslavie et occupa ce pays. Cette agression n’était inattendue que pour le pays qui en était la victime ; car la clique nazie avait élaboré par avance et avec soin ce plan d’attaque, comme dans les cas cités précédemment.

L’ordre très secret du Grand Quartier du Führer du 27, mars 1941, destiné seulement aux membres du Haut Commandement de l’Armée allemande, déclare : « J’ai l’intention d’envahir la Yougoslavie, en concentrant notre poussée de la région de Fiume-Gratz et de Sofia en direction générale de Belgrade, et plus au Sud, autant en vue d’infliger une défaite décisive aux armées yougoslaves que pour couper la partie méridionale de la Yougoslavie du reste du pays et la transformer en base d’opérations germano-italiennes ultérieures contre la Grèce. Par la promesse de leur restituer la Macédoine et le Banat, des mesures sont prises pour faire participer aux opérations la Bulgarie et la Hongrie. La crise politique intérieure en Yougoslavie sera exacerbée par des garanties politiques données aux Croates. »

Plus loin, cet ordre fixe en détail le plan stratégique de l’envahissement de la Yougoslavie (dans son ensemble ce plan fut dénommé « Marita ») et prévoit une participation active, dans cette agression, des Forces armées allemandes, y compris le Xe corps d’Armée de l’air, qui doit être déplacé du territoire italien en vue de ces opérations.

De la sorte, en nous fondant sur des documents authentiques du Gouvernement nazi et du Haut Commandement de l’Armée allemande, nous pouvons établir que, dans tous les cas d’attaque par l’Allemagne nazie contre les États slaves, elle agissait sur la base d’un plan préalablement élaboré. Ce plan faisait partie du complot général de l’impérialisme criminel germanique contre les peuples amis de la liberté.

La Yougoslavie, comme la Pologne, est tombée victime des rapaces nazis, qui ont couvert de ruines ce pays florissant et qui ont jonché ses prés, ses jardins et ses champs des cadavres de plusieurs milliers de patriotes yougoslaves, tombés dans la lutte héroïque contre les usurpateurs et les oppresseurs étrangers, dans la lutte pour la liberté et l’indépendance de leur patrie.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
GÉNÉRAL RUDENKO

La perfide agression de l’Allemagne hitlérienne contre l’URSS.

1 . — La préparation militaire de l’agression contre l’URSS.

Messieurs les Juges,

J’en arrive maintenant à l’exposé des crimes commis par les agresseurs hitlériens contre mon pays, contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

Le 22 juin 1941, l’Allemagne hitlérienne a traîtreusement attaqué l’URSS.

Cependant, ce n’est pas cette date qu’il convient de considérer comme le début de la réalisation du plan d’agression de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique. Ce qui arriva le 22 juin 1941 fut conçu, préparé et mis au point longtemps auparavant.

Les conspirateurs hitlériens ont mené cette préparation sans aucun répit. Tous les actes d’agression de l’Allemagne à l’égard d’un certain nombre de pays européens, accomplis dans la période s’étendant de 1938 à 1941, n’étaient en somme que la préparation du principal acte d’agression à l’Est.

L’Allemagne fasciste conçut le projet criminel de s’emparer des territoires de l’Union Soviétique en vue du pillage et de l’exploitation des peuples de l’URSS.

Pour le démontrer, point n’est besoin de se référer au livre de Hitler, Mein Kampf, et à d’autres livres et articles des chefs hitlériens, qui contenaient, comme on le sait, une menace directe contre l’URSS et qui indiquaient que l’agression de l’impérialisme germanique devait être dirigée vers l’Est en vue de conquérir ce qu’on appelait l’« espace vital ». Cette tendance de l’impérialisme criminel allemand s’exprime dans la célèbre formule Drang nach. Osten... (la poussée vers l’Est).

J’en fournis les preuves en me référant aux documents officiels du Gouvernement hitlérien ; elles sont pleinement suffisantes pour établir la culpabilité des accusés dans l’accomplissement d’actes criminels, mis à leur charge dans l’Acte d’accusation du présent Procès.

Permettez-moi, avant tout, de me référer au document intitulé Compte rendu de la réunion du 23 mai 1939 ». Ce document montre que la conférence en question eut lieu dans le cabinet de Hitler, à la nouvelle Chancellerie du Reich ; le compte rendu en fut fait par le lieutenant-colonel d’État-Major Schmundt. A cette réunion étaient présents : Hitler, Göring, Raeder, von Brauchitsch, Keitel, le général Milch, le général d’artillerie Halder et d’autres représentants du Haut Commandement allemand. Il est dit dans le procès-verbal que le thème de cette conférence était « l’examen des instructions à donner au sujet de la situation actuelle et des buts de la politique ».

Dans son intervention au cours de cette réunion, Hitler revint sans cesse sur la question de la conquête de territoires à l’Est. Il déclara notamment :

« ... Si le destin nous entraîne à un conflit avec l’Ouest, il serait bon que nous pussions disposer à ce moment d’un espace plus étendu à l’Est... » et, plus loin :

« II s’agit pour nous de l’élargissement de l’espace vital à l’Est, de la garantie de notre approvisionnement alimentaire et de la solution du problème de la Baltique. En ce qui concerne l’approvisionnement alimentaire, on ne peut compter que sur les régions peu peuplées. L’augmentation très importante du rendement découlera de la fertilité du sol et surtout de la conduite rationnelle, par les Allemands, de l’économie. »

Dans un autre document, intitulé « Procès-verbal de la conférence du Führer avec les Commandants en chefs », du 23 novembre 1939, Hitler souligna la nécessité d’apporter une solution au problème de la lutte pour le pétrole, le caoutchouc et les produits du sous-sol. Ici aussi, Hitler résuma les tâches fondamentales qu’il se proposait dans la formule suivante : « Rendre l’espace vital proportionnel au nombre d’habitants... C’est un problème éternel de créer un rapport indispensable entre le nombre des Allemands et le territoire dont ils disposent, de leur procurer l’espace nécessaire. Toute vaine modestie serait ici mal venue. C’est par le glaive seul que ce problème doit être résolu. »

A cette réunion, Hitler parla ouvertement de ses plans de poussée vers l’Est. Se vantant de ses succès en Moravie, en Bohême, en Pologne, il ne cacha même plus ses intentions de procéder à d’autres agressions à l’Est.

« ... Le fait essentiel, c’est que je n’ai pas provoqué la résurrection des Forces armées, disait Hitler, pour qu’elles mollissent dans l’inaction. J’ai eu depuis toujours l’intention d’agir. Tôt ou tard, je voulais donner une solution à ce problème. »

Toutefois, le Gouvernement hitlérien ne retardait aucunement la conclusion du Pacte de non-agression du 23 août 1939, qui fut conclu entre l’Allemagne et l’URSS. D’ailleurs, la phrase cynique de Hitler, d’après laquelle les traités doivent être respectés seulement aussi longtemps qu’ils sont conformes à leur but, est aujourd’hui connue du monde entier.

Dans son discours, mon collègue américain a déjà cité la déclaration de l’accusé Jodl à la réunion des Gauleiter du Reich à Munich, en janvier 1943. Dans cette déclaration, l’accusé Jodl a dit :

« A l’époque où se poursuivait encore la campagne à l’Ouest, Hitler m’avait informé, moi, Jodl, de son intention d’attaquer l’URSS. » A son tour, l’accusé Raeder a déclaré lors de son interrogatoire que l’idée de la campagne contre l’URSS avait pris naissance depuis longtemps dans le cerveau de Hitler, mais qu’elle s’était fortifiée peu à peu, au fur et à mesure que diminuait la probabilité d’un débarquement en Angleterre, en juin 1940.

D’après les témoignages de l’accusé Keitel, Hitler avait l’intention d’attaquer l’URSS à la fin de 1940. Déjà auparavant, au printemps de 1940, fut préparé le plan d’agression contre l’URSS. Des conférences relatives à cette question eurent lieu pendant tout l’été. En juillet 1940, lors d’une conférence militaire à Reichenhall, fut discuté le plan d’agression contre l’URSS.

Ce fait est corroboré également par les déclarations de l’accusé Jodl qui dit, au cours de son interrogatoire, que les plans d’agression contre l’URSS avaient été mis au point de façon concrète en novembre-décembre 1940 et qu’à cette époque il donna les premières directives à l’Armée, à la Flotte et à l’Aviation. En parlant de ces directives, Jodl se réfère au document connu sous le nom de « Cas Barbarossa ». Ce document est signé par Hitler, Jodl et Keitel.

Ces directives, destinées seulement aux chefs suprêmes de l’Armée allemande, contiennent un programme soigneusement établi de l’agression brusquée contre l’URSS. Il y est dit notamment :

« Les Forces armées allemandes doivent être prêtes à l’éventualité que, même avant la fin de la guerre contre l’Angleterre, il faille vaincre par une guerre-éclair la Russie soviétique. A cela, l’Armée devra consacrer toutes les forces mises à sa disposition, avec cette seule limitation que les régions occupées devront être défendues contre toute surprise. »

La directive du « Cas Barbarossa » souligne « qu’il convient d’accorder une attention toute spéciale au fait que l’intention de procéder à une attaque ne devra en aucun cas être percée à jour ».

Il est dit plus loin, dans cette directive, que l’ordre d’attaquer la Russie soviétique sera donné, en cas de nécessité, huit semaines avant le début de l’opération projetée, et que les préparatifs nécessitant un temps plus long « devront être commencés — s’ils n’ont pas encore été commencés — dès maintenant, et terminés le 15 mai 1941 » .

Et enfin, cette directive contient un plan stratégique détaillé de l’agression contre l’URSS, dans lequel est déjà envisagée sous une forme concrète la participation à cette agression de la Roumanie et de la Finlande. En particulier, il y est expressément dit :

« Les alliés probables et leurs tâches.

« 1. Sur les flancs de notre opération, nous pouvons escompter la participation active de la Roumanie et de la Finlande dans la guerre contre la Russie soviétique. »

Il est également indiqué dans cette directive que « l’on peut compter sur le fait que, au plus tard au moment de l’opération, les chemins de fer et les routes de la Suède seront mis à la disposition des troupes allemandes du Groupe d’armées du Nord ».

Ainsi donc, il est indiscutable qu’à cette époque le Gouvernement hitlérien s’était déjà assuré l’accord des Gouvernements de Roumanie et de Finlande pour la participation de ces pays à l’agression contre l’URSS, aux côtés de l’Allemagne.

Le dernier fait découle non seulement du texte de la directive du « Cas Barbarossa », mais également d’autres données dont la preuve est en notre possession. Par exemple, dans la déclaration du général d’infanterie allemand Buschenhagen, que nous présentons au Tribunal, il est dit :

« A la fin de décembre 1940 — environ le 20 — étant chef d’État-Major des troupes allemandes en Norvège, en qualité de colonel, je fus invité à la conférence, qui dura quelques jours, des chefs d’État-Major des armées à l’OKH (Haut Commandement des forces terrestres), à Zossen, près de Berlin, au cours de laquelle le chef d’État-Major, le général Halder, exposa le « Cas Barbarossa » qui prévoyait l’agression contre l’Union Soviétique. A la même époque se trouvait à Zossen le chef d’État-Major de l’Armée finlandaise, le général Heinrichs, qui y menait des pourparlers avec le général Halder... »

Plus loin, dans la déclaration de Buschenhagen, on voit comment il partit en février 1941 pour Helsinki, où, avec la collaboration des représentants de l’Armée finlandaise, il mit au point le plan concret de l’agression contre l’URSS. Le 2 ou le 3 mars 1941, de retour à Oslo, il rédigea et remit à l’OKW un exposé sur son voyage.

« Sur la base de ces données — déclare Buschenhagen — fut établi le plan d’opérations « le Renard Bleu » prévoyant l’attaque du chemin de fer de Mourmansk, de la région Kuusamo-Rovanjemi-Petsamo. Le plan d’opérations de la région Kirkinès-Petsamo fut baptisé « le Renne du Nord », celui de la région de Rovanjemi « le Renard argenté » .

Ensuite, comme le déclare Buschenhagen, à la fin d’avril ou au début de mai 1941, il prit de nouveau l’avion à destination d’Helsinki, où « à l’État-Major finlandais eurent lieu des conversations avec les généraux Heinrichs, Aïro et le colonel Tapola, au cours desquelles nous tombâmes d’accord sur le fait que l’État-Major finlandais était entièrement prêt à prendre part à la guerre projetée contre l’Union Soviétique ».

Dans les dépositions qu’il signa de sa propre main devant les commissions d’enquête de l’Union Soviétique, dépositions qui seront produites au Tribunal, le maréchal Ion Antoneseo raconte ses rencontres avec Hitler en novembre 1940, en janvier 1941, en mai 1941, au cours desquelles furent discutées les questions relatives à la préparation de la guerre contre l’Union Soviétique.

Lors de la première conversation d’Antonesco avec Hitler, à laquelle assistaient Ribbentrop et l’interprète personnel de Hitler, Schmidt, furent traitées les questions en relation directe avec l’agression que projetait l’Allemagne contre l’URSS, et la participation de la Roumanie à cette agression.

A la question posée par les organes de l’instruction judiciaire soviétique, et demandant si l’on pouvait considérer sa première conversation avec Hitler comme le début de son complot avec les Allemands pour préparer la guerre contre l’Union Soviétique, Antoneseo répondit : « Je réponds affirmativement ; Hitler avait certainement en vue cette éventualité au cours de la mise au point des plans d’agression contre l’Union Soviétique. »

Lors de la deuxième rencontre d’Antonesco avec Hitler, en janvier 1941, à laquelle assistaient également les accusés Ribbentrop, Keitel et Jodl, Hitler demanda à Antonesco de laisser traverser le territoire de la Roumanie par les troupes allemandes massées en territoire hongrois, afin de porter secours à l’Armée italienne dans la guerre contre la Grèce.

Antonesco dépose :

« J’ai fait part de mon appréhension que les déplacements des armées allemandes à travers la Roumanie pussent servir de prétexte à des opérations militaires de la part de l’Union Soviétique et que, dans ce cas, la Roumanie se trouvât dans une situation difficile, son Armée n’étant pas encore mobilisée complètement, ce à quoi Hitler répondit qu’il donnerait l’ordre de laisser en Roumanie une partie des troupes allemandes destinées à participer aux opérations contre la Grèce.

« Hitler souligna aussi que les informations en sa possession témoignaient que l’URSS n’avait pas l’intention d’entrer en guerre contre l’Allemagne ni contre la Roumanie.

« Satisfait de cette déclaration de Hitler, je donnai mon assentiment au passage des armées allemandes à travers le territoire roumain.

« Le général Jodl, qui assistait à cette conversation, m’expliqua, dans ses grandes lignes, la position stratégique de l’Armée allemande, en insistant sur la nécessité de frapper la Grèce en partant de la Bulgarie. »

Au cours de sa troisième rencontre avec Hitler, qui eut lieu en mai 1941 à Munich et à laquelle assistait l’accusé Ribbentrop, Antonesco déclara :

« C’est au cours de cette rencontre que nous nous mîmes d’accord, de façon définitive, sur l’agression combinée contre l’Union Soviétique.

« Hitler me fit part de sa décision de lancer une agression militaire contre l’Union Soviétique. Ayant préparé cette agression, dit Hitler, nous devons l’exécuter par surprise sur toute la longueur des frontières de l’Union Soviétique, de la Mer Noire à la Mer Baltique.

« La surprise causée par l’attaque militaire, continue Hitler, donnera à l’Allemagne et à la Roumanie la possibilité de liquider à bref délai l’un des plus redoutables de leurs adversaires. Conformément à ces plans militaires, Hitler me proposa de réserver le territoire roumain à la concentration des troupes allemandes, et, en corrélation avec cela, de prendre une part directe à l’exécution de l’agression militaire contre l’Union Soviétique. »

Entrant dans la conspiration aux côtés de l’Allemagne et se préparant à attaquer l’Union Soviétique, la Roumanie poursuivait ainsi à son tour des buts d’agression.

Antonesco, dans la même déposition, s’exprime ainsi sur les promesses de Hitler :

« Hitler souligna que la Roumanie ne devait pas se tenir à l’écart dans cette guerre, car, pour récupérer la Bessarabie et la Bukovine du Nord, elle n’avait pas d’autre moyen que de faire la guerre aux côtés de l’Allemagne. En outre, il dit qu’en récompense de l’aide qu’elle apporterait à l’Allemagne dans cette guerre, la Roumanie pourrait occuper et administrer également d’autres territoires soviétiques jusqu’au Dniepr. »

Plus loin, Antonesco déclare :

« Comme la proposition de Hitler concernant l’agression concertée contre l’URSS correspondait à mes intentions agressives, je fis part de mon consentement de participer à l’agression contre l’Union Soviétique et souscrivis à l’obligation de mettre sur le pied de guerre la quantité nécessaire de troupes roumaines et d’augmenter en même temps les livraisons de pétrole et de produits agricoles nécessaires à l’Allemagne.

« De retour à Bucarest, après mon voyage à Munich, je commençai la préparation active de la guerre maintenant imminente. »

Ces faits sont également corroborés par les documents trouvés dans les archives d’Antonesco, qui seront soumis au Tribunal.

J’attire l’attention du Tribunal sur le procès-verbal de la conversation entre Antonesco et Dernberg, chef du protocole du ministère des Affaires étrangères allemand, qui eut lieu le 10 février 1942, après leur rencontre à la frontière.

« ... Je déclarai, remarque Antonesco, que la Roumanie était entrée dans l’Axe non pas pour la modification du traité de Versailles, mais dans le but exclusif de la lutte contre les Slaves... »

On voit dans ce procès-verbal que la haine des peuples slaves réunissait Hitler et Antonesco et était à la base de la préparation et de l’exécution de leur agression.

Les documents qui seront produits au Tribunal montreront de toute évidence la participation de la Hongrie dans la conspiration contre la Paix et dans la préparation de la guerre d’agression contre l’Union Soviétique.

La Hongrie s’est vu assigner un rôle déterminé dans la guerre, notamment de prendre à revers l’Armée rouge à travers les Carpates, au moment où les troupes allemandes et roumaines devaient développer leurs opérations offensives contre l’Union Soviétique.

Ainsi se présentait le bloc criminel des agresseurs, ayant l’Allemagne à sa tête, qui conspirait contre les peuples épris de liberté.

Revenant à ce « Cas Barbarossa », je voudrais m’arrêter aux points les plus importants de ce document.

Le « Cas Barbarossa » contient trois parties.

Dans la première, sont exposés les buts généraux de ce plan. Dans la seconde, il est question des alliés de l’Allemagne dans la guerre contre l’Union Soviétique. La troisième partie est consacrée au déroulement des opérations militaires sur terre, sur mer et dans les airs. Une particularité caractéristique de ce document est le fait qu’il n’a été établi qu’en neuf exemplaires afin de rester strictement secret, conformément à la nécessité de garder secrète l’agression que tramait l’Allemagne contre l’Union Soviétique.

Dans la première partie du plan, il est dit : « Les concentrations d’armées russes se trouvant dans la partie occidentale de la Russie doivent être anéanties. Il convient de mettre obstacle à la retraite des unités aptes au combat, dans les vastes espaces du territoire russe. Au moyen d’une rapide poursuite, il faudra ensuite atteindre la ligne au-delà de laquelle l’Aviation russe ne sera plus en mesure d’effectuer des attaques contre les territoires allemands. »

On voit plus loin, dans ce document, que le but final de ce plan est de se fortifier sur la ligne Arkhangelsk-Volga, de paralyser, à l’aide de l’Aviation, la dernière zone industrielle, celle de l’Oural, de mettre hors d’état de combattre la flotte de la Baltique, et d’enlever toute possibilité à l’Armée russe d’entreprendre une action offensive d’envergure.

Dans la troisième partie du document, nous trouvons la directive prescrivant de « s’emparer de Leningrad et de Kronstadt et de continuer les opérations offensives en vue de la conquête du centre de communications et d’économie de guerre le plus important — Moscou » .

« La conquête de cette ville — est-il indiqué dans ce plan — signifie, aussi bien du point de vue politique que du point de vue économique, un succès décisif. »

Tel était le plan de l’agression contre l’URSS, pensé, préparé et mis au point longtemps à l’avance par l’Allemagne hitlérienne.

2. — La préparation des crimes de guerre. Parallèlement à l’exécution des mesures stratégiques et diplomatiques pour préparer l’agression perfide contre l’URSS, le Gouvernement hitlérien avait conçu et préparé par avance les plans des crimes de guerre sur le territoire de l’URSS. Le plan, dénommé « Cas Barbarossa », était un plan stratégique. Mais ce plan se complétait par toute une série d’instructions et d’ordres destinés à former tout un ensemble de mesures liées aux problèmes de l’invasion de l’Union Soviétique. Parmi celles-ci, il convient de citer en premier lieu, une instruction publiée le 13 mars 1941 par le Grand Quartier Général allemand.

Cette instruction concerne une série de problèmes d’organisation de caractère civil et, en particulier, l’organisation des autorités administratives. Il est important de remarquer que cette instruction prescrivait de mettre en vigueur, pour les troupes allemandes, en Prusse orientale et dans ce qu’on appelait le Gouvernement Général (c’est-à-dire en Pologne), au plus tard quatre semaines avant le début des opérations, les lois et les ordonnances destinées aux régions des opérations militaires. Par cette instruction, l’OKW avait pleins pouvoirs pour assumer le pouvoir exécutif et le transmettre aux Commandants en chef des groupes d’armées et des armées.

Il est impossible également de passer sous silence dans cette instruction le point « B », caractéristique des problèmes et des buts que se proposaient les conspirateurs. Au sujet de ce point, il était dit notamment :

« Sur le théâtre des opérations militaires, le Reichsführer SS se voit investi par ordre du Führer de tâches spéciales concernant la préparation du Gouvernement politique, qui découle de la lutte finale et suprême entre deux systèmes politiques opposés. Dans le cadre de ces tâches, le Reichsführer SS agit indépendamment, sous sa propre responsabilité. »

L’humanité sait maintenant ce que signifiaient ces « tâches spéciales », dont la réalisation était entièrement confiée aux mains des généraux et des officiers SS, qui utilisèrent largement ce droit d’agir en pleine autonomie et « sous leur propre responsabilité ». Cela signifiait : un système de terreur sans précédent, les pillages, les actes de violence et les meurtres commis contre les prisonniers de guerre et la population civile.

En outre, cette instruction assignait au commandement, de façon tout à fait concrète, des tâches telles que le pillage et l’exploitation sauvage des régions occupées par les armées allemandes. Cette instruction est signée par l’accusé Keitel.

Dans une autre instruction, destinée à compléter le « Cas Barbarossa », datant du mois de juin 1941 et présentée sous forme de directives de propagande, il est prescrit de liquider impitoyablement tous ceux qui opposeraient une résistance quelconque aux envahisseurs allemands. En ce qui concerne la propagande elle-même, les directives touchant à cette question indiquent ouvertement les méthodes habituelles des hitlériens — la délation ignoble, le mensonge et la provocation — dont devaient se servir les « compagnies de Propagande ».

Il est impossible, enfin, de ne pas mentionner encore une instruction intitulée « Instruction concernant la juridiction militaire dans la région « Barbarossa » et les mesures spéciales à prendre par les troupes ». Cette instruction, qui sanctionne l’arbitraire des autorités et des troupes allemandes envers la population civile des territoires conquis par les Forces armées allemandes, commence par exiger des troupes allemandes une « défense » sans merci contre toute action hostile de la part de la population civile. Ces règles, prescrivant des mesures draconiennes à l’égard de la population civile et des partisans, contiennent des indications en vue d’une répression impitoyable dirigée contre les personnes qualifiées d’ « éléments douteux » .

Avec la permission du Tribunal, je citerai seulement deux points de ces règles, les points 4 et 5 :

« 4. Au cas où il serait trop tard pour prendre de telles mesures ou au cas où elles n’auraient pas pu être appliquées immédiatement, les éléments soupçonnés doivent être sans délai mis à la disposition de l’officier. Ce dernier décide s’ils doivent être fusillés.

« 5. Il est catégoriquement interdit de garder les éléments soupçonnés pour les livrer à la justice, après l’établissement de tels tribunaux pour la population locale. »

Le résultat de ces « Règles » fut que le destin et la vie de chaque détenu dépendaient entièrement de l’officier et, de plus, il était interdit, comme le déclare cyniquement cette instruction, de « garder ] es éléments soupçonnés pour les livrer à la justice », c’est-à-dire qu’on prescrivait délibérément l’anéantissement physique des « éléments douteux ». Dans le cas d’attaques quelconques contre les Forces armées allemandes, cette instruction prescrivait de prendre « des mesures collectives de violence », c’est-à-dire de procéder à l’exécution massive de gens absolument innocents.

On peut voir jusqu’à quel degré allait le cynisme du Commandement militaire allemand dans l’instauration de cette terreur sanglante dans le fait que cette instruction libérait de toute responsabilité les soldats, les officiers et les fonctionnaires allemands pour les crimes commis par eux contre la population civile soviétique. Cette « instruction » prescrivait au Commandement militaire allemand de ne confirmer que les « sentences » qui correspondaient, comme il est dit dans le document en question, aux « intentions politiques du Gouvernement ».

Longtemps donc avant le 22 juin 1941, le Gouvernement hitlérien et le Haut Commandement militaire allemand, dont les représentants se trouvent sur ce banc des accusés, préparèrent et mirent au point méticuleusement les crimes de guerre à commettre sur le territoire de l’URSS, ces crimes mêmes qui furent par la suite perpétrés. Ces plans apportent impitoyablement la preuve que les crimes monstrueux organisés par les accusés étaient préparés par eux de longue date.

3. — Agression criminelle de l’Allemagne hitlérienne contre l’URSS.

Le 22 juin 1941, les conspirateurs hitlériens, violant traîtreusement le Pacte de non-agression germano-soviétique, envahirent sans déclaration de guerre le territoire soviétique, commençant par-là même une guerre d’agression contre l’URSS, sans le moindre motif de la part de l’Union Soviétique.

D’énormes concentrations de troupes allemandes, secrètement massées à l’avance sur les frontières, furent lancées contre l’URSS. Au Nord, comme cela avait été décidé dans les plans d’agression contre l’URSS, les troupes finlandaises prirent part à la guerre, tandis qu’au Sud, les troupes roumaines et hongroises entraient en action et que, voulant provoquer le trouble et la panique, l’Aviation allemande commençait dès les premières heures de la guerre le bombardement de villes paisibles, les vouant ainsi à la destruction.

Moins d’un mois après cet acte perfide, Hitler réunit une conférence à laquelle assistèrent Rosenberg, Göring, Bormann, Lammers et Keitel.

Au cours de cette conférence, Hitler donna pour instructions à ses interlocuteurs de ne pas dévoiler aux yeux du monde les véritables buts de la guerre commencée par les hitlériens. Se référant à la façon dont il avait agi à l’égard de la Norvège, du Danemark, de la Hollande et de la Belgique, Hitler souligna qu’il fallait continuer d’agir de la même façon, c’est-à-dire cacher par tous les moyens les véritables intentions des conspirateurs.

« Ainsi — disait Hitler — nous allons de nouveau souligner que nous avons été contraints d’occuper la région, d’y rétablir l’ordre et d’assurer notre sécurité. C’est de là que découlent nos méthodes d’organisation. On ne doit pas savoir qu’il s’agit d’une organisation définitive. Nous n’en continuerons pas moins à appliquer toutes les mesures indispensables — les exécutions, les déportations, et ainsi de suite... »

Ces fusillades, la déportation de la population civile, envoyée en esclavage en Allemagne, les pillages et les violences de toutes sortes dont fut victime la population civile, s’appelaient dans le langage de Hitler et de ses acolytes, des méthodes « d’organisation ».

Au cours de cette conférence tenue par les conspirateurs furent également précisées les tâches ultérieures du Gouvernement hitlérien à l’égard de l’Union Soviétique.

« Dans ses grandes lignes, le problème est le suivant : premièrement la conquérir, deuxièmement la gouverner, troisièmement l’exploiter... Le point le plus important est qu’il ne doit plus jamais être question de créer une puissance militaire à l’Ouest de l’Oural, dussions-nous pour cela nous battre pendant cent ans. Tous les disciples du Führer doivent savoir que le Reich ne sera en sécurité qu’à partir du moment où il n’y aura plus à l’Ouest de l’Oural de troupes ennemies. Il y a une règle de fer que nous devons observer. On ne doit jamais permettre que quelqu’un porte des armes, si ce n’est un Allemand... Seul un Allemand a le droit de porter les armes, et non pas un Slave, un Tchèque, un Cosaque ou un Ukrainien. » Hitler continue ainsi : « Toute la région prébaltique devra devenir territoire du Reich... De même la Crimée et les régions limitrophes doivent devenir territoire du Reich. Ces régions limitrophes doivent être aussi étendues que possible... Et les colonies de la Volga doivent également devenir une région du Reich, ainsi que la région de Bakou. Elle doit devenir une concession allemande (colonie militaire). Les Finlandais veulent recevoir la Carélie orientale. Cependant, étant donnée son importante production de nickel, la presqu’île de Kola doit revenir à l’Allemagne... Les Finlandais émettent des prétentions sur la région de Leningrad... Aplatir Leningrad au niveau du sol, puis le donner aux Finlandais. »

Les buts de pillage de la guerre commencée par l’Allemagne contre l’URSS sont explicitement formulés dans un article du chef de la propagande fasciste, le célèbre Goebbels, intitulé « Pourquoi ? », et publié dans son livre « Le cœur d’airain« (Joseph Goebbels, Das eherne Herz, Zentralverlag der NSDAP , Munich, 1943, pages 334 à 336) ».

Goebbels écrivait :

« Cette guerre n’est pas pour le trône ou pour l’autel ; c’est une guerre pour les grains et le pain, pour une table abondamment garnie, pour des déjeuners et des dîners abondants... C’est une guerre pour les matières premières, le caoutchouc, le fer et le minerai... »

A son tour, Göring, dans sa déclaration à la Fête de la Moisson, qui eut lieu au Palais des Sports de Berlin, le 5 octobre 1942, déclaration publiée dans le journal Völkischer Beobachter du 6 octobre 1942, s’écriait avec satisfaction : « N’oubliez pas que nous avons ôté aux Russes leurs meilleures régions : les œufs, le beurre et la farine s’y trouvent en quantité telle que vous ne pouvez même pas l’imaginer... Il faudra veiller à ce que tout cela soit convenablement utilisé et convenablement transformé sur place... »

L’accusé Rosenberg « travaillait » fiévreusement à inventer de nouveaux noms pour les villes soviétiques tels que « Gothenburg » au lieu de Simferopol, ou « Theodorichshafen » au lieu de Sébastopol. Rosenberg menait cette action de front avec la direction d’un organisme spécial destiné à « l’assimilation » du Caucase.

Tout cela montre avec une aveuglante clarté les véritables plans de pillage et les intentions des agresseurs hitlériens à l’égard de l’Union Soviétique. Ces desseins criminels avaient en vue, avant tout, la dévastation de l’Union Soviétique, l’asservissement et l’exploitation du peuple soviétique.

En même temps, tout cela ouvrait la voie à l’établissement de la domination hitlérienne en Europe et dans le monde entier. C’est bien pour cette raison que dans le document édité par la « Direction de la guerre sur mer » consacré au plan de conquête de l’Afrique du Nord, de Gibraltar, de la Syrie, de la Palestine et de l’Egypte, le Gouvernement hitlérien faisait dépendre entièrement l’exécution de son plan de l’issue de la guerre contre l’Union Soviétique.

Essayant de masquer ses buts impérialistes, la clique hitlérienne, à son habitude, se plaignait à grands cris d’un prétendu danger que faisait courir à l’Allemagne l’Union Soviétique, appelant la guerre de dévastation déclenchée contre l’Union Soviétique avec des buts d’agression une « guerre préventive ».

Misérables prétextes !

De quelle guerre « préventive » peut-on parler, lorsqu’il est surabondamment démontré par les documents que l’Allemagne avait depuis longtemps préparé et mis au point le plan d’agression contre l’URSS, formulé ses intentions de pillage, indiqué les territoires de l’Union Soviétique dont elle se proposait de s’emparer, établi les méthodes de dévastation systématique de ces territoires et d’extermination de leurs habitants, mobilisé depuis longtemps ses troupes et amené à pied d’œuvre, aux frontières de l’URSS, 170 divisions pleinement préparées qui n’attendaient plus que le signal de passer à l’action.

L’agression commise par l’Allemagne fasciste contre l’URSS — ainsi que les documents authentiques du Gouvernement hitlérien rendus maintenant publics — découvrent de façon définitive, aux yeux du monde et de l’Histoire, la fausseté ridicule des assertions de la propagande hitlérienne au sujet du caractère « préventif » de la guerre déclenchée contre l’URSS.

Le loup fasciste aura beau entrer dans la peau de l’agneau, il ne pourra cacher ses crocs !

Ayant exécuté son agression traîtresse contre l’URSS, le Gouvernement hitlérien escomptait que la longue préparation de cette agression, la concentration de toutes les Forces armées de l’Allemagne pour cette offensive, la participation des armées roumaines et finlandaises, et également d’unités italiennes et hongroises à cette opération, et enfin l’avantage conféré par la soudaineté de l’attaque, assureraient un rapide écroulement de l’URSS. Cependant, tous les projets des agresseurs furent réduits à néant par l’héroïque résistance de l’Armée rouge qui défendit avec abnégation l’honneur et l’indépendance de sa patrie. Les plans de progression des armées allemandes tombèrent les uns après les autres.

Je ne vais pas, ici, vous exposer toutes les étapes de la guerre patriotique du peuple soviétique contre les agresseurs germano-fascistes, la grande et courageuse lutte de l’Armée rouge contre les troupes allemandes, roumaines, finlandaises et autres, qui avaient envahi le territoire de l’Union Soviétique.

Le monde suivait cette lutte avec admiration, elle ne sera jamais oubliée de l’Histoire.

Sur des champs de bataille sans précédent par leur étendue et par l’acharnement des combats qui s’y déroulèrent, le peuple soviétique défendit avec ténacité et courage l’honneur, la liberté et l’indépendance de sa patrie, et, de concert avec les Forces armées des nations alliées, il libéra les peuples épris de liberté, éloigna d’eux la terrible menace de l’esclavage fasciste.

Les crimes de guerre.

Après avoir préparé et exécuté son agression perfide contre les peuples épris de liberté, l’Allemagne fasciste a transformé la guerre en un système de banditisme organisé. Les assassinats de prisonniers de guerre, l’extermination de populations civiles, le pillage des régions occupées et autres crimes de guerre sont devenus partie intégrante du programme de la guerre-éclair conçue par les hitlériens. La terreur fasciste a pris des proportions énormes et de particulière cruauté dans les territoires de l’URSS provisoirement occupés.

1. — Les massacres collectifs de citoyens pacifiques.

Hitler disait à Rauschning : « Nous devons développer la technique de la dépopulation. Si vous me demandez ce que j’entends par dépopulation, je vous répondrai que j’envisage par là la suppression d’unités raciales entières. Et c’est ce que j’ai l’intention de faire. Telle est, dans l’ensemble, ma tâche. La nature est cruelle, et c’est pourquoi nous pouvons aussi être cruels. Si je peux envoyer la fleur de la nation allemande dans la fournaise de la guerre, sans le moindre regret de verser le précieux sang allemand, j’ai évidemment aussi le droit d’exterminer des millions d’êtres de race inférieure qui se multiplient comme des larves. » (Hermann Rauschning, The Voice of Destruction, New-York 1940, pages 137-138.)

L’Accusation soviétique dispose de nombreux documents réunis par la Commission extraordinaire d’État chargée de l’enquête sur les crimes des envahisseurs fascistes allemands et leurs complicités. Ces documents présentent des preuves irréfutables des crimes innombrables commis par les autorités allemandes.

Nous avons à notre disposition un document intitulé « Appendice n° 2 à l’ordre d’opération n° 8 du chef de la Police de sécurité et du SD » daté « Berlin, le 17 juin 194l », et signé par Heydrich, qui remplissait alors les fonctions de suppléant de Himmler. Ce document a été élaboré de concert avec le Haut Commandement des Forces armées allemandes. Des appendices à l’ordre n° 8, ainsi que des ordres n° 5 9 et 14 et de leurs appendices, il ressort que l’extermination systématique des citoyens soviétiques dans les camps de concentration germano-fascistes, sur les territoires occupés par les Allemands en URSS et en d’autres pays, était accomplie sous la forme de « filtrage », de « mesures d’assainissement », « d’épuration », de « mesures spéciales », de « régime spécial », de « liquidation », « d’exécutions », etc.

L’exécution de ces crimes était confiée aux « Sonderkommandos » spécialement créés et recrutés d’un commun accord par le chef du SD d’une part, et par le Haut Commandement des Forces armées allemandes, de l’autre.

De l’appendice 1 à l’ordre n° 14, il ressort que ces équipes opéraient de leur propre initiative, sur la base, dit ce document, « de pouvoirs spéciaux et selon des directives générales données dans le cadre de la réglementation en vigueur dans le camp », en contact étroit avec les commandants des camps et les officiers du contre-espionnage.

Il est à noter que les hitlériens, lors de l’avance sur Moscou, ont créé un « Sonderkommando Moscou » spécial, destiné à l’extermination massive des habitants de Moscou.

Le Gouvernement hitlérien et le Commandement des Forces armées allemandes craignaient que les monstrueux ordres n° 8 et n° 14 ne tombassent entre les mains de l’Armée rouge et du Gouvernement soviétique et prenaient toutes les dispositions afin de garder sur ces ordres le secret le plus absolu. Dans l’ordre n° 14, Heydrich prescrivait littéralement : « Je souligne en particulier que les ordres d’opération n° 8 et n° 14, ainsi que les directives afférentes, doivent être immédiatement détruits en cas de danger imminent. Les rapports sur cette destruction devront m’être adressés personnellement. »

En plus des ordres cités ci-dessus, qui contiennent le programme et le plan d’extermination des citoyens soviétiques par les hitlériens, de nombreux ordres et de nombreuses directives ont été donnés par les hitlériens tant en ce qui concerne le domaine de « l’administration » civile que celui du Commandement militaire allemand, prescrivant une extermination massive des citoyens soviétiques et l’application très étendue de la peine de mort. Dans l’ordre de Keitel en date du 12 décembre 1941, on pouvait lire : « Le Führer estime que les peines privatives de liberté et même les travaux forcés à perpétuité doivent être considérés comme un signe de faiblesse. L’intimidation effective ne peut être obtenue que par la peine de mort ou par des mesures laissant la population dans l’incertitude sur le sort des condamnés. La déportation des criminels en Allemagne sert à cette fin. Les instructions ci-jointes, pour la poursuite des criminels, correspondent aux vues du Führer. Elles ont été ratifiées par lui. « Signé : Keitel. »

Parmi les moyens d’extermination des citoyens soviétiques appliqués par les hitlériens, il faut citer également les contaminations par le typhus, l’asphyxie dans les chambres à gaz, etc. Les enquêtes menées par la Commission extraordinaire d’État de l’Union Soviétique ont établi qu’au front, derrière leurs premières lignes de défense, les hitlériens créaient systématiquement des camps de concentration spéciaux, dans lesquels se trouvaient internés des dizaines de milliers d’enfants, de femmes et de vieillards inaptes au travail. Les abords de ces camps étaient minés.

Aucune baraque ou abri ne se dressait sur le terrain de ces camps et les internés étaient parqués à même le sol. Pour la moindre tentative d’infraction au régime de travaux forcés instauré dans ces camps, les internés étaient fusillés. Dans ces camps, on a découvert des milliers de malades atteints du typhus, qui, en entrant en contact avec la population, emmenée là des villages avoisinants, la contaminaient systématiquement. Dans un document qui sera présenté par l’Accusation soviétique, on décrit en détail ces crimes barbares des occupants germano-fascistes.

L’Accusation possède un document signé par l’« Untersturmführer » Becker, en date du 16 mai 1942. Ce document est un rapport adressé aux autorités supérieures sur l’emploi de camions à gaz. Voici ce que nous pouvons lire dans ce document monstrueux :

« Le lieu des exécutions se trouve à une distance d’au moins

10 à 15 kilomètres des routes fréquentées et est difficilement accessible en raison de son emplacement. Par temps humide ou pluvieux, son accès devient complètement impossible. Que les victimes y soient acheminées à pied ou qu’elles y soient amenées en véhicule, elles s’aperçoivent immédiatement de ce qui doit se passer, et commencent à donner des signes d’inquiétude, ce qui doit être évité.

11 faut les charger dans le camion au point de rassemblement et les emmener ensuite vers le lieu de l’exécution. J’ai donné l’ordre de camoufler les camions du groupe D en roulottes, et, pour cela, j’y ai fait pratiquer de chaque côté, sur les petits camions, une lucarne, et sur les gros camions, deux lucarnes, semblables à celles que nous voyons aux maisons paysannes de la contrée. Bientôt, cependant, ces camions furent si connus qu’avec les autorités, la population elle-même les appelait les « camions de la mort », dès qu’elle les apercevait. A mon avis, il est impossible de les camoufler et de les tenir secrets pendant un laps de temps un peu long. J’ai ordonné, d’autre part, que, lors de l’exécution par les gaz, le personnel fût maintenu à l’écart des camions afin que les gaz qui en émanent ne nuisent pas à sa santé. Ici, je voudrais attirer l’attention sur le fait suivant. Certains chefs d’équipe forcent leurs hommes à décharger ces camions après leur fonctionnement comme chambres à gaz. J’ai attiré l’attention des chefs des « Sonderkommandos » en question sur le danger physique et moral que ce travail peut présenter pour les hommes, sinon sur-le-champ, au moins dans l’avenir. Des hommes venaient se plaindre de maux de tête survenant après chaque déchargement des camions. Cependant, on ne peut pas modifier cette méthode, car on craint que les prisonniers qui seraient appelés à faire ce travail ne profitent d’un moment favorable pour s’évader. Afin de préserver les hommes de ce danger, je demande qu’on donne des ordres appropriés.

« L’empoisonnement par les gaz n’est pas toujours fait comme il devrait l’être. Afin d’en finir au plus vite, les chauffeurs ouvrent à fond la soupape d’admission. A la suite de ces mesures, les condamnés meurent asphyxiés, et non en s’endormant comme il était prévu. Les directives que j’ai données montrent que, avec une position correcte de la vanne, la mort survient plus vite et les condamnés s’endorment alors tranquillement. Les visages convulsés et les excréments, deux symptômes que l’on constatait jusqu’alors, ne se reproduisent plus. Dans le courant de la journée, j’irai visiter le groupe B, d’où j’enverrai mes rapports ultérieurs.« Dr Becker, Untersturmführer. »

On a déjà cité les camps de Maïdanek et d’Auschwitz, avec leurs chambres à gaz où furent exécutés plus de 5.500.000 citoyens totalement innocents ; de Pologne, de Tchécoslovaquie, de l’URSS, des États-Unis d’Amérique, de Grande-Bretagne, de France et d’autres pays démocratiques. Je dois citer les camps de concentration de Smolensk, de Stavropol, de Kharkov, de Kiev, de Lvov, de Poltava, de Novgorod, d’Orel, de Rovno, de Dniepropetrovsk, d’Odessa, de Kamenetz-Podolsk, de Gomel, de Kertch, de la région de Stalingrad, de Kaunas, de Riga, de Mariampos (RSS de Lituanie), de Kioga (RSS d’Estonie), ainsi que de nombreux autres camps où les hitlériens torturèrent à mort des centaines de milliers de civils soviétiques ainsi que des combattants et des chefs de l’Armée rouge.

Les Allemands procédaient également à des fusillades en masse de citoyens soviétiques, dans la forêt de Livennitz, qui se trouve aux abords de Lwow, en direction de Tarnopol. Dans cette forêt, les Allemands emmenaient quotidiennement, à pied ou en camions, des groupes importants de prisonniers de guerre soviétiques. Ils venaient du camp « La Citadelle ». Les Allemands y dirigeaient des détenus du camp de Janosk, de la prison de Lwow, ainsi que de paisibles citoyens soviétiques arrêtés sur les places et dans les rues de la ville de Lwow au cours de rafles nombreuses.

L’enquête de la Commission extraordinaire d’État a établi que les Allemands ont fusillé dans la forêt de Livennitz plus de 200.000 personnes.

Ces assassinats collectifs, ce régime de terreur et d’arbitraire ont été pleinement approuvés dans un discours de l’accusé Rosenberg à la Conférence du Front du Travail allemand en novembre 1942. « II est évident », a déclaré Rosenberg, « que si nous voulons subjuguer tous ces peuples (c’est-à-dire ceux des territoires de l’URSS), l’arbitraire et la tyrannie seront une forme de gouvernement extrêmement adéquate. »

Par la suite, lorsque l’Armée rouge commença à nettoyer des hordes germano-fascistes les territoires de l’URSS provisoirement occupés, et lorsque les organismes du pouvoir soviétique commencèrent à dévoiler les crimes monstrueux des tortionnaires fascistes, en découvrant de nombreuses tombes de citoyens soviétiques, de combattants et d’officiers torturés à mort par les fascistes, le commandement allemand prit des mesures urgentes afin d’effacer et de détruire les traces de ses crimes. A cette fin, le commandement allemand organisa des fouilles de tombes sur une grande échelle et l’incinération des cadavres qui s’y trouvaient. Un ordre spécial de l’Obersturmfuhrer daté de « Rovno, 3 août 1943 — IVAI 35/43 c », et adressé au chef régional de la Gendarmerie de Kamen-Kachirsk, déclarait : « Donner informations immédiates sur l’emplacement et le nombre des fosses communes de la région contenant les cadavres de ceux qui ont été l’objet de mesures répressives spéciales. »

Parmi les documents découverts dans l’édifice de la Gestapo de la région de Rovno, il a été trouvé un rapport sur l’exécution de l’ordre précité, avec une liste d’environ 200 emplacements de pareilles fosses. Cette liste montre que les bourreaux germano-fascistes choisissaient, pour ensevelir leurs victimes, des endroits particulièrement éloignés et d’un abord difficile.

A la fin de cette liste, on peut lire : « La liste mentionne toutes les fosses, y compris celles des équipes qui y ont travaillé. »

Je citerai maintenant un extrait d’un appel adressé à l’opinion publique mondiale par les représentants de plusieurs milliers d’anciens internés d’Auschwitz.

« L’exécution par les gaz de quantités incroyables de personnes avait lieu dès l’arrivée des « transports » en provenance de divers pays : de France, de Belgique, de Hollande, de Grèce, d’Italie, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, d’Allemagne, de Pologne, de l’URSS, de Norvège, etc. Les nouveaux arrivés devaient passer devant le médecin SS du camp ou devant le commandant SS du camp. Ces derniers départageaient les déportés en les plaçant sur la droite ou sur la gauche. A gauche, c’était la mort par les gaz. D’un transport de 1.500 personnes, une moyenne de 1.200 à 1.300 étaient dirigées immédiatement sur les chambres à gaz. Parfois, le pourcentage des déportés admis au camp était plus important. Il arrivait souvent que les médecins SS Mengele et Thilo procédassent à cette « sélection » en sifflotant un air joyeux. Les personnes désignées pour l’exécution par les gaz devaient se déshabiller devant la chambre à gaz où on les faisait entrer ensuite à coups de fouet. Le portillon de la chambre-cave se refermait alors et les victimes étaient asphyxiées. La mort survenait environ quatre minutes plus tard. Au bout de huit minutes, on ouvrait la chambre à gaz et des ouvriers de « l’équipe spéciale », ce qu’on appelait le « Sonderkommando », transportaient les cadavres vers les fours crématoires qui fonctionnaient huit et jour.

« Lors de l’arrivée des transports de Hongrie, ces fours ne suffirent plus et l’on dut avoir recours à d’énormes tranchées crématoires. On y installait des bûchers qu’on arrosait de pétrole. Dans ces tranchées, on entassait des cadavres, mais souvent les SS y jetaient aussi des vivants, enfants et adultes. Les malheureux y périssaient d’une mort horrible. Les graisses nécessaires à l’incinération étaient en partie récupérées sur les cadavres des gazés, afin d’économiser le pétrole. Les cadavres fournissaient aussi des huiles et des graisses destinées à des usages techniques et même à la fabrication du savon. »

Ce document se termine par les mots suivants : « Nous demandons instamment, ainsi qu’environ dix mille rescapés de toutes les nationalités, que les crimes et les monstruosités des hitlériens ne demeurent pas impunis. »

Le monde civilisé, tous les peuples épris de liberté se joignent à cette juste réclamation.

2. — Tortures et assassinats de prisonniers de guerre.

L’un des crimes les plus monstrueux des conspirateurs hitlériens fut l’extermination massive et organisée des prisonniers de guerre.

De nombreux cas de meurtre et de torture dont furent victimes des prisonniers de guerre ont été établis. Les malheureux étaient torturés au fer rouge, on leur crevait les yeux, on leur coupait les membres, etc.

Ces cruautés et ces méthodes d’extermination systématique appliquées aux prisonniers, soldats et officiers de l’Armée rouge, n’étaient ni l’effet du hasard, ni des actes commis par des officiers isolés de l’Armée allemande, ou par des fonctionnaires allemands.

Le Gouvernement hitlérien et le Commandement de l’Armée allemande exterminaient les prisonniers de guerre sauvagement. De nombreux documents, des directives et des arrêtés du Gouvernement nazi, ainsi que les ordres du Haut Commandement allemand, en témoignent.

Dès le mois de mars 1941, comme il ressort de l’interrogatoire du général allemand Oesterreich, une réunion secrète eut lieu à Berlin, au Grand Quartier du Haut Commandement. Des mesures concernant l’organisation des camps pour les prisonniers de guerre russes et les « règles » de traitement auxquels ils devaient être soumis y furent indiquées. Ces « règles » et ces « mesures », comme il ressort du témoignage d’Oesterreich, n’étaient, en somme, qu’un plan d’extermination des prisonniers de guerre soviétiques.

De nombreux prisonniers de guerre soviétiques furent fusillés ou pendus et de même un grand nombre d’entre eux périrent par la famine et par les maladies infectieuses, par le froid et par les tortures que leur appliquaient méthodiquement les Allemands selon un plan prémédité, ayant pour but l’extermination massive des Soviétiques.

Dans l’appendice 3 à l’ordre du chef de la Police de sécurité et du SD, on voit, sous le n° 8, en date du 17 juillet 1944, une liste des camps pour prisonniers de guerre créés sur le territoire de la première région militaire et sur celui du « Gouvernement Général ». En particulier, dans la première région militaire, furent créés les camps de Prokuls, Heidekrug, Schierwinde, Schutzenrode (Ebenrode), Prostken, Suvalki, Fischbor-Tursen, Ostrolenka.

Dans ce qu’on appelle le Gouvernement Général, des camps ont été créés à Ostrove-Mezovetzka, Sedlitz, Bielopodlaska, Kholm, Yaroslav, etc. Dans l’annexe à l’ordre d’opération n° 9, promulgué en addition à l’ordre n° 8 du 17 juillet 1942, on cite des listes de camps pour prisonniers de guerre soviétiques situés sur le territoire des 2e , 4e , 6e , 8e , 10e , 11e et 13e régions militaires, à Hammersfein, à Schneidemühle, et en de nombreux autres points.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il temps de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)