CINQUANTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Vendredi 8 février 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Vous convient-il, et à la Délégation soviétique en particulier, que le Tribunal ne siège demain en audience publique que jusqu’à 11 h. 30, après quoi il se retirera en chambre du conseil afin de régler des questions administratives ? La Délégation soviétique y voit-elle un inconvénient ?

GÉNÉRAL RUDENKO

La Délégation soviétique n’a aucune objection à soulever.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Le Tribunal ne siégera donc en audience publique demain que de 10 à 11 h. 30.

GÉNÉRAL RUDENKO

Dans ces camps de prisonniers de guerre, de même que dans les camps destinés à la population civile, on pratiquait l’extermination et des tortures, appelées par les Allemands « filtrage », « exécution », « traitement spécial ». Le « Gross-Lazarett » construit par les Allemands dans la ville de Slavouta a laissé un sombre souvenir. Le monde entier connaît les atrocités commises par les Allemands sur la personne des prisonniers de guerre soviétiques et des prisonniers des pays démocratiques à Auschwitz, Maïdanek et dans de nombreux autres camps.

Là étaient appliquées les directives de la Police de sécurité allemande et du SD, élaborées en accord avec l’Etat-Major du Haut Commandement des Forces armées dont le chef était l’accusé Keitel.

Dans l’ordre d’opération n° 8, il était dit : « Les exécutions ne doivent pas avoir lieu dans le camp ou dans le voisinage immédiat du camp. Si les camps du Gouvernement Général se trouvent à proximité immédiate de la frontière, il faut autant que possible envoyer les prisonniers pour un traitement spécial dans les anciens districts soviétiques. Si des exécutions deviennent nécessaires par suite de violation de la discipline du camp, le chef de l’équipe d’exécution doit, dans ce cas, s’adresser au commandant du camp. L’activité des « Sonderkommandos », avec la sanction des commandants des arrières de l’Armée (chefs de districts pour les affaires des prisonniers de guerre) doit se passer de façon que le filtrage, dans la mesure du possible, passe inaperçu. La liquidation doit être faite sans délai, et à une distance des camps de triage et des points habités telle que le reste des prisonniers et la population n’en sachent rien. »

Dans l’annexe n° 1 à l’ordre d’opération n° 14 du Chef de la Police de sûreté et du SD, daté de Berlin du 29 octobre 1941, sous le n° 21 B-41 GRS-IV A-I-Z, on recommande le « mode d’exécution » suivant : « Les chefs de groupes d’opération décident sous leur propre responsabilité des questions d’exécution et donnent les instructions correspondantes aux Sonderkommandos. Pour la mise à exécution des mesures arrêtées par les présentes directives, c’est aux équipes d’exiger de la direction des camps la livraison des prisonniers. Le Haut Commandement de l’Armée a donné aux commandants des instructions sur les demandes de ce genre.

« Les exécutions doivent passer inaperçues, dans des endroits propices, et en tout cas non dans le camp même ou dans son voisinage immédiat. Il est indispensable de veiller à l’enterrement immédiat et correct des cadavres. »

Le rapport du commandant d’une équipe d’exécution (rapport de l’Obersturmbannführer Lipper au Brigadeführer Dr Thomas), fait à Vinnitza en décembre 1941, relate comment étaient exécutées les directives indiquées plus haut. Dans ce rapport il est dit que dans le camp de Vinnitza, après un prétendu « filtrage », il ne restait en tout que vingt-cinq hommes que l’on pouvait mettre dans la catégorie des « suspects ».

« Cette faible quantité, dit le rapport, s’explique par le fait que les organisations locales prenaient quotidiennement des mesures indispensables du point de vue de la police de sécurité contre les éléments réfractaires des camps stationnaires de prisonniers de guerre, en liaison avec les commandants ou officiers correspondants du contre-espionnage »

Ainsi, en dehors des exécutions massives faites par des « Sonderkommandos » créés spécialement à cet effet, l’extermination systématique des citoyens soviétiques était largement pratiquée par les commandants des camps de prisonniers de guerre soviétiques et par les équipes sous leurs ordres.

Dans les documents de la Commission extraordinaire d’État pour l’investigation des crimes perpétrés par les Allemands sur les territoires momentanément occupés, de même que dans les notes du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, V. M. Molotov, au sujet de l’extermination des prisonniers de guerre et des traitements cruels à leur égard, de nombreux exemples sont cités de ces crimes monstrueux du Gouvernement hitlérien et du Haut Commandement allemand.

Dans la note du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, V. M. Molotov, du 25 novembre 1941, au sujet des atrocités révoltantes commises par les autorités allemandes à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques, note envoyée à tous les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires des pays avec lesquels l’URSS entretenait des relations diplomatiques, il est indiqué que les soldats de l’Armée rouge étaient soumis de la part du commandement militaire allemand et des troupes à des tortures bestiales et à des assassinats. Les blessés et les malades sans défense de l’Armée rouge se trouvant dans les hôpitaux étaient piqués à la baïonnette et fusillés sur place par les fanatiques fascistes, qui violaient les infirmières et les ambulancières et tuaient férocement les représentants du personnel médical.

Selon des directives du Gouvernement allemand et du Haut Commandement, on tenait un compte spécial des victimes des exécutions. Ainsi, dans l’instruction donnée à l’annexe n° 2 à l’ordre n° 8 de Heydrich, on indique qu’il est indispensable de tenir un compte des « exécutions » faites, c’est-à-dire de l’anéantissement des prisonniers de guerre, de la manière suivante :

1° Numéro matricule ; 2° Nom et prénoms ; 3° Date et lieu de naissance ; 4° Profession ; 5° Dernier lieu de résidence ; 6° Raisons de l’exécution ; 7°  Jour et lieu de l’exécution.

La réalisation ultérieure des tâches des Sonderkommandos pour l’anéantissement des prisonniers de guerre soviétiques a été donnée dans l’ordre d’opérations du chef de la Police de sécurité et du SD n° 14, en date du 29 octobre 1941.

Au nombre des atrocités commises sur les prisonniers de guerre soviétiques, il faut ajouter le fait de les marquer au fer rouge de signes distinctifs particuliers, qui furent arrêtés par une décision spéciale du Haut Commandement allemand, datée du 20 juillet 1942.

Cet ordre prévoit le mode suivant ;

« Faire une incision superficielle de la peau tendue à l’aide d’une lancette chauffée et mouillée à l’encre de Chine. »

La Convention de La Haye de 1907 sur les prisonniers de guerre prescrit non seulement de traiter les prisonniers de guerre avec humanité, mais encore de respecter leurs sentiments patriotiques et de ne pas se servir d’eux dans la lutte contre leur propre patrie. L’article 3 de la Convention sur les lois et coutumes de la guerre interdit aux belligérants d’obliger les citoyens du pays ennemi à prendre part aux actions militaires dirigées contre leur pays, même s’ils étaient à son service avant le début de la guerre. Les hitlériens ont également foulé aux pieds ce principe élémentaire du Droit international. En les rouant de coups et en les menaçant de les fusiller, ils ont obligé les prisonniers à travailler en qualité de conducteurs sur des chariots, sur des voitures et des camions transportant des munitions et autres charges militaires au front. Ils les ont utilisés comme transporteurs de munitions sur les positions de première ligne, en qualité de groupes auxiliaires d’artillerie contre avions, etc.

Dans la région de Leningrad, dans le district de Yelny (région de Smolensk), dans la région de Gomel (RSS de Russie Blanche), dans la région de Poltava et dans d’autres, on a enregistré des cas où, au moment des attaques, le commandement allemand, sous la menace d’exécution, forçait les prisonniers de guerre à marcher en avant des colonnes d’attaque.

L’extermination massive des prisonniers de guerre soviétiques, établie par des enquêtes spéciales conduites par la Commission extraordinaire d’État, est également confirmée dans les documents de la Police et du Haut Commandement allemand, saisis par les troupes soviétiques et alliées sur le territoire allemand.

On constate dans ces documents qu’un grand nombre de prisonniers de guerre soviétiques mouraient de faim, mouraient du typhus et d’autres maladies. Les commandants des camps interdisaient à la population civile de donner du ravitaillement aux prisonniers de guerre, et les condamnaient à mourir de faim.

Dans de nombreux cas, les prisonniers de guerre qui ne pouvaient pas marcher en colonne, par suite de la faim et de l’épuisement, étaient fusillés sous les yeux de la population civile, et leurs cadavres n’étaient pas enlevés. Dans de nombreux camps, on ne s’occupait pas du tout de l’habitation des prisonniers de guerre. Sous la pluie et la neige, ils couchaient en plein air. On ne leur donnait même pas un instrument pour se creuser un trou ou un terrier. On pouvait entendre les réflexions des hitlériens : « Plus il meurt de prisonniers, mieux cela vaut pour nous. »

En raison de tout ce qui a été dit plus haut, au nom du Gouvernement soviétique et au nom du peuple soviétique, je déclare que le Gouvernement criminel hitlérien et le Haut Commandement allemand, dont les représentants sont au banc des accusés, sont responsables de la liquidation sanglante de prisonniers de guerre, en violation de toutes les lois et coutumes de la guerre universellement reconnues.

3. — Travail forcé.

Dans la longue chaîne des crimes honteux commis par les occupants germano-fascistes, une place spéciale revient à l’envoi forcé en Allemagne de la population civile pour un travail de serfs et d’esclaves.

Les documents prouvent que le Gouvernement hitlérien et le Haut Commandement allemand ont pratiqué l’envoi en esclavage, en Allemagne, des citoyens soviétiques, en utilisant l’abus de confiance, la menace et la violence. Ces citoyens étaient vendus par les brigands fascistes, comme esclaves, aux entreprises et aux particuliers allemands ; ceux qui s’y refusaient étaient voués à la faim, aux mauvais traitements et, en fin de compte, à une mort cruelle.

Par la suite, je m’arrêterai sur les directives, dispositions et ordres inhumains et barbares du Gouvernement hitlérien et du Haut Commandement, qui ont été promulgués en vue de réaliser l’envoi de citoyens soviétiques en esclavage en Allemagne, et pour lesquels les accusés du présent Procès portent la responsabilité, en particulier : Göring, Keitel, Rosenberg, Sauckel.

Les documents dont dispose le Ministère Public soviétique, saisis par l’Armée rouge dans les États-Majors détruits des armées germano-fascistes, convainquent les accusés des cruautés qu’ils ont commises.

Dans un rapport présenté au cours de la réunion du Front du Travail allemand, en novembre 1942, Rosenberg a produit des faits et des chiffres confirmant les énormes proportions de l’envoi, organisé par Sauckel, de populations soviétiques en Allemagne, pour un travail d’esclave.

Le 7 novembre 1941, à Berlin, eut lieu une réunion secrète au cours de laquelle Göring a donné à ses auxiliaires des instructions sur l’utilisation des citoyens soviétiques pour ce travail obligatoire.

Nous connaissons maintenant ces instructions, grâce à un document, la circulaire secrète n° 42006/41 de l’État-Major des Affaires économiques du Commandement allemand à l’Est, datée du 4 décembre 1941. Voici ce qu’indiquaient ces instructions :

« 1° II faut utiliser les Russes surtout pour la construction des routes, des voies ferrées, pour des travaux de déblaiement, pour le déminage et pour l’aménagement des aérodromes. Il faudra dissoudre les bataillons de travail allemands, comme par exemple ceux des forces aériennes. Les ouvriers qualifiés allemands doivent travailler dans l’industrie de guerre ; ils ne doivent pas creuser la terre ou casser des cailloux ; pour cela il y a les Russes.

« 2° II est indispensable d’utiliser les Russes, en premier lieu dans les domaines suivants : travaux dans les mines, construction de routes, industrie de guerre (chars, canons, pièces pour avions), travaux des champs, constructions, grands ateliers (fabriques de chaussures), équipes spéciales pour des travaux urgents et imprévus.

« 3° Pour le maintien de l’ordre, la rapidité et la sécurité sont des éléments décisifs. On ne doit appliquer que les punitions suivantes sans autre progression : privation de nourriture et la peine de mort, par décision d’un conseil de guerre. »

L’accusé Fritz Sauckel a été désigné par un ordre de Hitler du 21 mars 1942 comme plénipotentiaire principal pour l’utilisation de la main-d’œuvre.

Le 20 avril 1942, Sauckel envoya par voie rigoureusement secrète aux organismes administratifs et militaires son « Programme du plénipotentiaire principal pour l’utilisation de la main-d’œuvre ». Ce programme ne le cède en rien, par son ignominie, à la circulaire précitée. Voici ce qu’on peut lire dans ce « programme » :

« II est absolument nécessaire d’utiliser dans leur totalité les réserves humaines se trouvant dans les régions occupées de l’URSS. S’il n’est pas possible d’obtenir la main-d’œuvre nécessaire en volontaires, il sera indispensable de procéder immédiatement à une mobilisation ou à la signature forcée de contrats individuels. « A côté des prisonniers de guerre déjà disponibles, dans les régions occupées, il est surtout nécessaire de mobiliser les ouvriers et les ouvrières soviétiques qualifiés des régions soviétiques, à partir de l’âge de quinze ans, afin de les utiliser en Allemagne.

« Afin d’alléger considérablement le travail de la paysanne allemande, qui est surmenée, le Führer m’a confié la tâche de faire parvenir en Allemagne, des régions de l’Est, quelque 400.000 ou 500.000 jeunes filles sélectionnées, saines et solides. »

L’Accusation présente au Tribunal un autre document secret, relatif à l’utilisation, dans l’économie allemande, des ouvrières déportées des territoires de l’Est. Ce document représente des extraits du procès-verbal d’une conférence tenue chez Sauckel, le 3 septembre 1942, dont je citerai quelques passages :

« 1° Le Führer a pris des dispositions pour l’importation immédiate de 400.000 à 500.000 femmes ukrainiennes, de 15 à 35 ans, devant être employées dans l’économie intérieure du pays.

« 2° Sous une forme catégorique, le Führer a émis le désir de germaniser la majeure partie de ces jeunes femmes.

« 3° Par la volonté du Führer, il devra y avoir dans cent ans, en Europe, 250.000.000 d’habitants parlant l’allemand.

« 4° II faut considérer ces travailleuses ukrainiennes comme des ouvrières de l’Est et les marquer « Ost » (Est).

« 5° Le Gauleiter Sauckel a ajouté qu’indépendamment de l’incorporation d’ouvrières dans l’économie allemande, on prévoyait l’utilisation complémentaire de 1 000 000 d’ouvriers en provenance de l’Est.

« 6° L’argument tiré de la difficulté de transporter des réserves de blé des autres pays en Allemagne, ne le touche, lui, Sauckel, d’aucune façon. Il trouvera les moyens nécessaires pour l’utilisation du blé et du bétail ukrainiens en mobilisant tous les Juifs d’Europe et en les transformant en une chaîne vivante pour envoyer le matériel en Ukraine. »

Prévoyant l’échec inévitable des mesures relatives au recrutement par la force des citoyens soviétiques destinés au travail en Allemagne, dans un ordre secret, daté du 31 mars 1942 et enregistré sous le n° FA 578028/729, Sauckel ordonnait : « Le « recrutement », dont vous répondez, doit être poussé par tous les moyens disponibles, y compris l’application très stricte du principe du travail forcé. » Sauckel et ses agents recouraient à tous les moyens d’oppression et de terreur, afin de réaliser les plans de recrutement.

Les citoyens soviétiques condamnés à ce « recrutement » étaient affamés, attirés dans les gares sous le prétexte d’une distribution de pain, et cernés par la troupe. Sous la menace d’être fusillés, ils étaient entassés dans des trains et expédiés en Allemagne. Mais ces mesures de force n’aidaient en rien. Le « recrutement » ne réussissait pas. Alors Sauckel et ses agents eurent recours à la « répartition ». L’ordre du commandement allemand, saisi par les Unités de l’Armée rouge lors de la libération de la partie occupée de la région de Leningrad, en témoigne. Cet ordre déclare :

« A l’attention des bourgmestres de districts... »

« Comme, jusqu’à présent, il n’y a que peu de personnes qui se sont rendues en Allemagne pour y travailler, chaque bourgmestre de district, conjointement avec les anciens des villages, doit fournir quinze personnes, et même davantage, par district, pour le travail en Allemagne. Des personnes saines et âgées de 15 à 50 ans. »

Le chef de la Police de sécurité et du SD à Kharkov, dans son rapport sur la situation à Kharkov du 23 juillet au 9 septembre 1942, dit notamment : « Le recrutement de la main-d’œuvre inquiète les organismes compétents, car, parmi la population, on peut observer une attitude extrêmement hostile au départ pour le travail en Allemagne. Actuellement, la situation est telle que chacun s’efforce d’éviter le recrutement par tous les moyens. Simulation de maladie, fuite dans les forêts, corruption de fonctionnaires, etc. Il y a longtemps qu’il ne peut plus être question de départs volontaires pour l’Allemagne. »

En ce qui concerne les citoyens soviétiques déportés dans les bagnes allemands, un régime des plus féroces fut établi. Une quantité énorme de plaintes et de réclamations, réunies par la Commission extraordinaire d’État chargée de l’enquête sur les crimes des envahisseurs germano-fascistes, en témoigne.

Les citoyens de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Yougoslavie déportés en Allemagne subirent le même sort.

4. — Destruction de villes et de villages. Pillage de biens publics et privés.

En exécutant leurs plans d’envahisseurs et de pillards, les hitlériens ont détruit systématiquement les villes et les villages, anéanti les œuvres de valeur créées grâce au travail de nombreuses générations et pillé la population civile.

En accord avec leurs complices, les Gouvernements criminels de Finlande et de Roumanie, les nazis ont élaboré les plans d’anéantissement des plus grandes villes de l’Union Soviétique. Dans un document, extrait des « Directives pour la guerre sur mer », daté du 29 septembre 1941 et intitulé « Avenir de la Ville de Petersbourg », il est dit :

« Le Führer a décidé d’effacer de la surface de la terre la ville de Petersbourg... La Finlande a, de même, affirmé qu’elle ne s’intéresse pas au maintien d’une ville située à proximité de sa nouvelle frontière. »

Le 5 octobre 1941, Hitler adressa à Antonesco une lettre dont l’objet spécial était de se mettre d’accord sur le plan de la prise et de la destruction de la ville d’Odessa.

Dans un ordre du Haut Commandement allemand, daté du 7 octobre 1941, signé de l’accusé Jodl, il est ordonné d’effacer de la surface de la terre les villes de Leningrad et Moscou. Et, dit cet ordre : « Pour toutes les autres villes, il faut appliquer la règle suivante : avant de les occuper, elles doivent être transformées en décombres par le feu de l’artillerie et les bombardements aériens. Il est inadmissible de risquer la vie d’un soldat allemand pour sauver les villes russes du feu. »

Ces instructions de l’autorité centrale allemande ont été largement suivies par les chefs militaires de différents grades et rangs. Ainsi, dans un ordre signé par le colonel Schittnig, pour le 512e régiment d’infanterie, il était ordonné de transformer les districts et régions occupés par les nazis en « zone désertique ». Pour que cette brutalité donne le résultat destructif maximum, l’ordre développe en détail « le plan de destruction des lieux habités ».

« La préparation à la destruction des lieux habités », est-il dit dans l’ordre, « doit être faite de telle sorte que » :

a) La population n’ait aucun soupçon jusqu’à la dernière minute ;

b) La destruction puisse commencer, aussitôt, d’un seul coup et au moment indiqué

« Au jour dit, il faut, dans les lieux habités, veiller d’une façon particulièrement sévère à ce qu’aucun des citoyens ne quitte l’endroit, en particulier à partir du moment où l’annonce de la destruction aura été promulguée. » L’ordre du 24 décembre 1941 du commandant de la 98° division allemande d’infanterie s’intitule bel et bien : « Programme de destruction ». Dans cet ordre sont données des instructions concrètes pour l’anéantissement d’une série de lieux habités, et on propose ceci : « Brûler les réserves de foin, de paille et de produits alimentaires. Mettre hors d’usage tous les fours se trouvant dans les maisons d’habitation, en y engageant des grenades à main, et rendre de cette façon leur utilisation impossible dans l’avenir. En aucun cas cet ordre ne doit tomber entre les mains de l’ennemi. »

Des sections spéciales d’incendiaires et de lanceurs de torches ont été organisées ; elles livraient au feu les œuvres de valeur, créées grâce au travail de générations.

Je veux attirer votre attention, Messieurs les Juges, sur le document connu sous le nom d’« Instructions pour diriger l’économie dans les régions nouvellement occupées de l’Est ». (Dossier Vert.)

Göring est l’auteur de ces directives. Ce document secret est de Berlin, juin 1941. Je ne ferai que quelques citations de ce document.

Première citation :

« Conformément aux ordres du Führer, il est indispensable, dans l’intérêt de l’Allemagne, de prendre toutes les mesures nécessaires à la prospection immédiate et complète des régions occupées. Obtenir pour l’Allemagne le maximum de ravitaillement et de pétrole, tel est le but économique principal de la campagne. En même temps, d’autres matières premières provenant des régions occupées doivent être fournies à l’industrie allemande... La première question à résoudre est de ravitailler complètement et le plus rapidement possible les troupes allemandes au compte des régions occupées. »

Deuxième citation :

« L’opinion d’après laquelle les régions occupées doivent être remises en état le plus vite possible, et leur économie remise sur pied, est absolument déplacée... La remise en état ne doit avoir lieu que dans celles des régions où nous pouvons obtenir des réserves notables de produits agricoles et de pétrole. Quant aux autres... l’activité économique doit se limiter à l’utilisation des réserves découvertes. »

Troisième citation :

« Toutes les matières premières qui nous sont nécessaires, tous les produits demi-finis et finis, doivent être sortis du commerce par voie d’ordonnances, réquisitions et confiscations. Rassemblement immédiat et envoi en Allemagne du platine, du magnésium et du caoutchouc. Les produits de ravitaillement trouvés sur la ligne du front et dans les régions de l’arrière, ainsi que les ressources de consommation vitale et individuelle et les vêtements, doivent être mis en premier lieu à la disposition des services de l’Intendance Militaire, pour satisfaire aux besoins des armées. Ceux que ces services ne prennent pas passent au plus proche service d’économie de guerre. »

Comme je l’ai déjà dit au début, le but essentiel de l’agression allemande contre l’Union Soviétique a été de piller l’État Soviétique et d’obtenir les ressources économiques indispensables à l’Allemagne hitlérienne, sans lesquelles elle ne pouvait pas réaliser ses projets agressifs et impérialistes.

Le « Dossier Vert » de Göring représentait un vaste programme, prémédité par les conspirateurs nazis, de pillage organisé de l’Union Soviétique.

Ce programme comportait des plans concrets de pillage ; la saisie par la violence des objets de valeur, l’organisation du travail forcé dans nos villes et nos villages, la suppression de la paye dans les entreprises, les émissions sans contrôle de monnaie sans garantie, etc.

Pour réaliser ce plan de pillage, on avait envisagé la création d’un appareil spécial avec ses propres « directions d’Intendance », « état-major économique », avec son « service d’enquête », ses « inspections », ses « troupes armées », ses « détachements pour ramasser les moyens de production », ses « détachements pour ramasser les matières premières », ses « agronomes militaires », ses « officiers chefs de culture », etc.

Avec les troupes allemandes avançaient les détachements des services économiques de l’Armée, dont les fonctions consistaient à constituer des réserves de grain, de bétail, de combustible et autres biens. Ces détachements dépendaient d’une Inspection économique spéciale, située à l’arrière.

Peu après l’agression contre l’URSS, toute la direction du pillage des territoires occupés fut confiée à l’accusé Göring, par un ordre de Hitler du 29 juin 1941. Par cet ordre, Göring recevait pouvoir de prendre « toutes les mesures nécessaires pour utiliser au maximum les réserves trouvées et les ressources économiques, dans l’intérêt de l’économie de guerre allemande ».

L’accusé Göring accomplit sa mission avec le plus grand zèle, grâce aux opérations de pillage des détachements économiques et militaires allemands.

Au cours de la conférence du 6 août 1942 avec les commissaires du Reich et les représentants du commandement militaire, Göring exigea que l’on intensifiât le pillage des régions occupées. « Vous êtes envoyés là-bas, a-t-il déclaré, non pas pour travailler au bien-être des peuples qui vous sont confiés, mais pour en extraire tout ce que vous pouvez. »

Et plus loin : « ... J’ai l’intention de piller d’une façon vraiment efficace. »

Comme l’établit la Commission extraordinaire d’État, l’exécution de ces directives de Göring était faite par des ministres d’État et des représentants de firmes allemandes qui avaient sous leurs ordres différentes sortes d’organes économiques, de bataillons techniques, des états-majors économiques, et des inspections économiques. Les biens de l’Union Soviétique ont été pillés d’une façon particulièrement active par les firmes allemandes : Friedrich Krupp et Cie, Hermann Göring, Siemens-Schuckert, la Société de mines et de métallurgie Ost, la Société Nord, Heinrich Lanz, Landmaschinen-Bauindustrie, I.G. Farbenindustrie et beaucoup d’autres.

En volant et en pillant les biens publics et privés, les envahisseurs nazis ont condamné à la faim et à la mort la population des districts pillés. Dans un ordre du maréchal Reichenau, du 10 octobre 1941, envoyé comme exemple à tous les détachements allemands, en rappelant que Hitler a reconnu cet ordre comme parfait, se trouve cet encouragement au pillage et à l’extermination de la population :

« Le ravitaillement en nourriture de la population locale et des prisonniers de guerre est une mesure humanitaire inutile. »

Dans les « remarques » sur la conférence de Rovno des 26-28 août 1942, trouvées dans les archives de l’accusé Rosenberg, il est indiqué :

« Le but de notre travail consiste en ceci : les Ukrainiens doivent travailler pour l’Allemagne. Nous ne sommes pas ici pour rendre ce peuple heureux. L’Ukraine peut fournir ce qui manque en Allemagne. Cette mission doit être remplie sans tenir compte des pertes. »

Suivant les instructions de l’accusé Göring, les organes locaux de commandement pillaient complètement et impitoyablement la population des territoires occupés. Dans un décret saisi par les troupes de l’Armée rouge dans diverses régions de Koursk et d’Orel, on donne la liste des biens devant être remis à l’autorité militaire. On énumère dans ce décret des objets tels que : balances, sacs, sel, lampes, casseroles, toiles cirées, rideaux, phonographes avec disques. « Tous ces biens », est-il dit dans le décret, « doivent être présentés à la Kommandantur. Ceux qui contreviendront au présent décret seront fusillés. »

5. — Destruction et pillage de biens culturels et scientifiques, monastères, églises et autres établissements religieux.

Dans leur haine violente pour le peuple soviétique et sa culture, les envahisseurs allemands ont anéanti les bâtiments scientifiques et artistiques, les monuments historiques et culturels, les écoles et les hôpitaux, les clubs et les théâtres.

« Aucun bien historique ou artistique à l’Est n’a d’importance », déclarait dans son ordre le Feldmarschall Reichenau.

La destruction des biens historiques et culturels pratiquée par les nazis a pris une grande proportion. Ainsi, dans une lettre du plénipotentiaire général de Russie blanche, adressée à Rosenberg le 29 septembre 1941, il est dit que :

« Conformément au rapport du commandant de la 707e division, qui m’a transmis aujourd’hui le restant des œuvres de valeur, les SS ont laissé le reste des tableaux et œuvres artistiques parmi lesquels des tableaux de valeur certaine, et meubles des XVIIIe et XIXe siècles, des vases, des marbres et des sculptures, etc. pour être pillés par les troupes armées. Le musée historique est aussi complètement détruit.

« Des pierres de valeur, pierres précieuses et de valeur moyenne, ont été dérobées à la section de géologie. Des instruments dont la valeur représente des centaines de milliers de mark ont été détruits ou dérobés, sans raison, à l’Université. »

Sur les territoires des districts de la région de Moscou, momentanément occupés par les fascistes, les occupants ont détruit et pillé 112 bibliothèques, 4 musées et 54 théâtres et cinémas. Les nazis ont pillé et incendié le célèbre musée de Borodino, dont les reliques historiques, se rapportant à la guerre patriotique de 1812, sont particulièrement chères au peuple russe. Les occupants ont pillé et incendié la maison-musée de Pouchkine dans le petit village de Polotniani Zavod. Les Allemands ont anéanti les manuscrits, les livres et les tableaux appartenant à Léon Tolstoï à Yasnaia-Poliana. Les barbares allemands ont profané la tombe du grand écrivain.

Les occupants ont pillé l’Académie des Sciences de Russie blanche et les rarissimes collections de documents historiques et livres qui s’y trouvaient. Ils ont anéanti des centaines d’écoles, de clubs et de théâtres en Russie blanche.

Des meubles de très grande valeur, fabriqués par les meilleurs maîtres du XVIIIe siècle, ont été enlevés du palais Pavlovsk, dans la ville de Sloutsk, et expédiés en Allemagne.

Les Allemands ont enlevé des palais de Peterhof tous les ornements moulés et sculptés qui y étaient restés, les tapis, les tableaux et les statues. Le Grand Palais de Peterhof, construit sous Pierre le Grand, fut brûlé d’une façon barbare après avoir été pillé. Les vandales allemands ont anéanti la bibliothèque populaire nationale d’Odessa qui comptait plus de deux millions de volumes.

La célèbre collection d’antiquités ukrainiennes de Tchemigov a été pillée. Dans le monastère de Kievo-Petchersk, les Allemands se sont emparés des documents, des archives des métropolites de Kiev et des livres de la bibliothèque personnelle de Pierre Moguila, qui avait réuni les monuments de très grande valeur de la littérature mondiale. Ils ont pillé les précieuses collections des musées de Lwow et d’Odessa et les ont expédiées en Allemagne, et ils ont partiellement anéanti les richesses des bibliothèques de Vinnitza, de Poltava, où étaient conservés des exemplaires rarissimes de la littérature manuscrite du moyen âge, les premières éditions imprimées des XVIe et XVIIe siècles et des livres d’église très anciens.

Ce ne sont pas seulement les accusés Göring, Rosenberg et les différents « états-majors » et & commandements » se trouvant sous leurs ordres qui, sous les ordres directs du Gouvernement allemand, dirigeaient les pillages généraux dans les régions occupées de l’URSS. Le ministère des Affaires étrangères, sous la direction de l’accusé Ribbentrop, s’en occupait également, au moyen d’une formation spéciale.

La déclaration de l’Obersturmfuhrer de la 4e section du bataillon de mission spéciale des troupes SS, le Dr Norman Foerster, en témoigne. Cette déclaration fut publiée dans la presse en son temps.

Dans sa déclaration, Foerster dit ceci :

« Me trouvant à Berlin en août 1941, j’ai été muté de la 87e division anti-chars au bataillon de mission spéciale auprès du ministère des Affaires étrangères, grâce à l’intervention d’un vieil ami de l’Université de Berlin, le Dr Fokk. Ce bataillon avait été créé sur l’initiative du ministre des Affaires étrangères Ribbentrop, et agissait sous son autorité... La tâche du bataillon de mission spéciale consistait à s’emparer, immédiatement après la prise des villes importantes, des biens culturels et historiques, des bibliothèques des sections scientifiques, à enlever les éditions de valeur, les films, et, ensuite, à tout envoyer en Allemagne. »

Et plus loin :

« Nous avons saisi de riches trophées dans la bibliothèque de l’Académie des Sciences ukrainiennes, où étaient conservés de rarissimes manuscrits persans, abyssins et chinois, des chroniques russes et ukrainiennes, les premiers exemplaires des livres imprimés par le premier imprimeur russe Ivan Fyodorov et des éditions rares des œuvres de Chevtchenko, Mitzkevitch et Ivan Franko. »

Tout en détruisant et en pillant comme des barbares les villages, les villes et les monuments de la culture nationale, les nazis se moquaient des sentiments religieux. Ils ont incendié, pillé, anéanti et souillé sur le territoire soviétique : 1.760 églises grecques orthodoxes, 237 églises catholiques romaines, 69 chapelles, 532 synagogues et 258 autres édifices affectés à des fins religieuses.

Ils ont détruit l’église « Ouspenskaia » du célèbre monastère de Kievo-Petcherski, construit en 1073, et en même temps huit monastères.

A Tchemigov, les armées germano-fascistes ont détruit la vieille cathédrale de Borissoglebsk, construite au début du XIIe siècle, la cathédrale du monastère de Polotzk Efrossini construite en 1160, et l’église de Parsikova-Piatnitsa-Na-Torgou, monument de grande valeur de l’architecture russe du XIIe siècle. A Novgorod, les nazis ont détruit les monastères Antoniev, Koutinskii, Zverin, Derevia-nitzkii et d’autres vieux monastères, la célèbre église de Spassa-Nereditzi et une série d’autres églises.

Les soldats allemands bafouaient les sentiments religieux de la population. Ils revêtaient les vêtements sacerdotaux, mettaient les chevaux et les chiens dans les églises, faisaient des lits de camp avec les icônes. Dans le vieux monastère de Starizk, les troupes de l’Armée rouge ont découvert les cadavres nus, entassés en masse, de prisonniers de guerre de l’Armée rouge torturés.

Les dommages causés à l’Union Soviétique, résultant des destructions et des pillages des troupes allemandes, sont extrêmement considérables.

Les armées allemandes et les autorités d’occupation, exécutant les instructions du Gouvernement criminel nazi et du Haut Commandement militaire, ont détruit et pillé, dans les villes et les villages soviétiques dont ils s’étaient emparés, les entreprises industrielles et les kolkhozes. Ils ont détruit les monuments artistiques, anéanti, pillé et envoyé en Allemagne les équipements, les réserves de matières premières, de matériaux et de produits finis, les biens artistiques et historiques. Ils ont pratiqué le pillage des populations urbaines et rurales. Sur les territoires de l’Union Soviétique soumis à l’occupation, 88.000.000 d’hommes vivaient avant la guerre. Le rendement brut de la production industrielle représentait 46.000.000.000 de roubles, au cours officiel inchangé de 1926-1927. Il y avait 109.000.000 de têtes de bétail, dont 31.000.000 de bovins et 12.000.000 de chevaux, 71.000.000 d’hectares cultivés, 122.000 kilomètres de voies de chemin de fer.

Les envahisseurs germano-fascistes ont, complètement ou partiellement, détruit et brûlé 1.710 villes et plus de 70.000 villages et hameaux. Ils ont brûlé et détruit plus de 6.000 000 d’immeubles, et privé d’abri près de 25.000.000 de personnes. Parmi les villes détruites et ayant le plus souffert se trouvent de grands centres industriels et culturels : Stalingrad, Sébastopol, Leningrad, Kiev, Minsk, Odessa, Smolensk, Novgorod, Pskov, Orel, Karkov, Voronej, Rostov-sur-le-Don et de nombreux autres.

Les envahisseurs germano-fascistes ont détruit 31.850 entreprises industrielles, dans lesquelles travaillaient près de 4.000.000 d’ouvriers. Ils ont anéanti ou emporté 239.000 moteurs électriques. 175.000 machines-outils.

Les Allemands ont détruit 65.000 kilomètres de voies ferrées, 4.100 stations de chemin de fer, 36.000 bureaux de poste, des centraux téléphoniques, ainsi que d’autres entreprises de liaison. Les Allemands ont détruit ou dévasté : 40.000 hôpitaux et autres établissements sanitaires, 84.000 écoles, institutions professionnelles, universités, instituts de recherche scientifique et 43.000 bibliothèques publiques. Les nazis ont détruit et pillé 98.000 kolkhozes, 1.876 sovkhozes et 2.890 dépôts de tracteurs. Ils ont abattu, enlevé ou expédié en Allemagne 7.000.000 de chevaux, 17.000.000 de bovins, 20.000.000 de porcs, 27.000.000 de moutons et de chèvres, 110.000.000 de volailles.

Les pertes totales occasionnées à l’Union Soviétique par les actes criminels des troupes nazies se chiffrent à 679.000.000.000 de roubles, au cours national de 1941.

Crimes contre l’Humanité

Tous les accusés ont conçu, organisé et commis des crimes indescriptibles et sacrilèges sans précédents dans l’Histoire, contre l’Humanité, les principes de la morale humaine et le Droit international.

Dans la qualification du crime faisant l’objet du quatrième chef d’accusation, l’Acte d’accusation spécifie avec raison que le plan même, ou la conjuration, fut organisé aussi en vue de commettre des crimes contre l’Humanité.

Les conspirateurs nazis ont commencé à commettre des crimes contre l’Humanité à partir du moment où le parti nazi fut formé.

Ces crimes ont pris des proportions énormes après l’arrivée des nazis au pouvoir.

Le camp de concentration de Buchenwald, créé en 1933, et celui de Dachau, créé en 1934, se sont avérés n’être que de pâles précurseurs de Maïdanek, d’Auschwitz, de Slavouta, et de nombreux camps de la mort, établis par les nazis en Lettonie, en Russie blanche et en Ukraine.

L’arrivée même des nazis au pouvoir fut marquée par de nombreuses provocations qui servirent de prétextes pour commettre des crimes graves contre l’Humanité.

La pratique de châtiments illégaux infligés par les nazis à ceux qui ne partageaient pas le « point de vue commun » de la clique fasciste se développa sur une vaste échelle. Dès 1934, Göring écrivait dans un article publié au delà de l’Océan par les journaux de Hearst (Hermann Göring, Reden und Aufsätze, Zentralverlag der NSDAP. Munich 1940, page 159) :

« Nous privons de défense légale les ennemis du peuple... Nous, nationaux-socialistes, nous nous élevons sciemment contre la fausse douceur et le faux humanitarisme... Nous ne reconnaissons pas les inventions fallacieuses des avocats, ni la chinoiserie des subtilités juridiques. »

Dans l’un de ses articles datant de 1933, Göring se félicitait d’avoir remanié toute la direction de la Gestapo, en mettant immédiatement sous ses ordres une police secrète et en organisant des camps de concentration pour lutter contre les adversaires politiques.

« Ainsi, dit Göring, sont nés les camps de concentration, où nous devions bientôt enfermer des milliers de travailleurs des partis communiste et social-démocrate. »

Le Ministère Public soviétique a dans son dossier les « remarques » de Martin Bormann sur la conférence du 2 octobre 1940 chez Hitler, trouvées dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand, et saisies par les troupes soviétiques à Berlin. Ce document concerne la Pologne occupée. Il sera présenté au Tribunal. Pour le moment, je ne citerai que quelques-uns des articles du programme des dirigeants nazis, qui s’y trouvent. La conférence commença par une déclaration de Frank, disant que son activité au Gouvernement Général pouvait être considérée comme très réussie Juifs de Varsovie et des autres villes étaient enfermés dans les ghettos. Bientôt Cracovie devait être complètement débarrassée des Juifs.

« Il ne doit plus exister de seigneurs polonais » est-il dit plus loin dans ce document. « Là où il y en aura, si cruel que cela puisse paraître, ils devront être anéantis... Tous les représentants de l’Intelligentsia polonaise devront être anéantis. Cela peut paraître cruel, mais c’est la loi de la vie... Les prêtres seront payés par nous, et en retour ils prêcheront ce que nous voudrons. Si l’un d’eux agit de façon différente, nous serons brefs. La tâche du prêtre consiste à maintenir les Polonais calmes, sots et bornés. Cela est entièrement dans notre intérêt...

« ... Le dernier ouvrier allemand et le dernier paysan allemand devront toujours se trouver, au point de vue économique, au-dessus de n’importe quel Polonais. »

Parmi les atrocités inouïes commises par les nazis, leur action sanglante contre les peuples slaves et juifs occupe une place particulière.

Hitler disait à Rauschning :

« Après des siècles de pleurnicheries sur la défense des pauvres et des humiliés, le moment est arrivé de nous décider à défendre les forts contre les inférieurs. Ce sera l’une des principales missions de l’action nationale allemande pour tous les temps : prévenir par tous les moyens à notre disposition un accroissement ultérieur de la race slave. L’instinct naturel ordonne à tous les êtres vivants, non seulement de vaincre leurs ennemis, mais encore de les exterminer. Jadis, le vainqueur avait la prérogative d’exterminer des races et des peuples entiers. » (H. Rauschning, The Voice of Destruction, New-York 1940, page 138.)

Vous avez déjà entendu, Messieurs les Juges, les déclarations du témoin Eric von dem Bach-Zelewski sur les objectifs de Himmler, définis par celui-ci dans un discours, au début de 1941.

A la question du représentant du Ministère Public soviétique, le témoin a répondu : « Dans le discours de Himmler, il était rappelé que le nombre des Slaves devait être réduit de 30 millions ». Vous voyez, Messieurs les Juges, à quel degré inouï étaient arrivées les pensées criminelles des fanatiques nazis.

Lez nazis décimaient les intellectuels soviétiques d’une façon particulièrement cruelle.

Les instructions tendant à exterminer impitoyablement les citoyens soviétiques, pour des raisons politiques et raciales, furent préparées avant l’agression contre l’URSS.

Dans l’annexe n° 2, à l’ordre d’opération n° 8 du Chef de la Police de sûreté et du SD, du 17 juin 1941, il est dit : « II est indispensable, avant tout, de relever de leurs fonctions toutes les personnes notoires remplissant une fonction dans le Gouvernement et le Parti, en particulier les révolutionnaires professionnels, les agents du Komintern, tous les agents influents du parti communiste de l’URSS et des organisations qui s’y rattachent dans le Comité central, les comités environnants et régionaux ; tous les commissaires du peuple et leurs adjoints, tous les anciens commissaires politiques de l’Armée rouge ;

le personnel dirigeant de la vie économique ; les intellectuels soviéto-russes et tous les Juifs. »

Dans une instruction adressée aux directions de la Police de sûreté et du SD le 17 juin 1941, il est indiqué qu’il est indispensable de prendre de telles mesures, non seulement contre le peuple russe, mais aussi contre les Ukrainiens, les Blancs-Russiens, les Azerbaïd-janiens, les Arméniens, les Géorgiens, les Turcs et gens d’autres nationalités.

Le Ministère Public soviétique présentera au Tribunal des documents et des faits concrets à ce sujet.

Dans leurs plans, les conspirateurs fascistes ont décidé l’extermination de la population juive mondiale, et ils ont réalisé cette extermination intégrale pendant tout le temps de leur activité concertée en commençant en 1933.

Mon collègue américain a déjà cité la déclaration de Hitler, du 24 février 1924 disant : « Les Juifs seront exterminés ».

Dans un discours de l’accusé Frank, publié dans la Gazette de Cracovie, le 18 août 1942, il était dit : « Celui qui passe aujourd’hui par Cracovie, Lwow, Varsovie, Radom ou Lublin, doit reconnaître en toute justice que les efforts des autorités allemandes ont été couronnés d’un réel succès ; on ne voit presque plus de Juifs. »

Une extermination féroce de la population juive eut lieu en Ukraine, en Russie blanche et dans les États baltes.

Près de 80.000 Juifs vivaient dans la ville de Riga avant l’occupation allemande. Au moment de la libération de Riga par l’Armée rouge, il n’en restait plus que 140.

Il est impossible d’énumérer, dans cet exposé introductif, les crimes contre l’Humanité commis par les accusés.

Le Ministère Public soviétique dispose de matériaux documentaires considérables qui seront présentés au Tribunal.

Messieurs les Juges, je parle ici en tant que représentant de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, qui a porté le poids le plus lourd dans l’attaque des envahisseurs fascistes et qui a contribué énormément à la destruction de l’Allemagne nazie et de ses satellites.

Au nom de l’Union Soviétique, je formule contre les inculpés, une accusation portant sur tous les points de l’article 6 du Statut du Tribunal Militaire International. Avec mes collègues des Ministères Publics américain, britannique et français, j’accuse les inculpés d’avoir préparé et exécuté une agression perfide contre les peuples de mon pays et contre tous les peuples aimant la liberté.

Je les accuse d’avoir, en déclenchant la guerre mondiale, en violation des principes fondamentaux du Droit international et des pactes qu’ils avaient conclus, transformé la guerre en un instrument d’extermination massive de la population civile, en un instrument de pillage, de violence et de banditisme.

J’accuse ces hommes d’avoir créé, partout où pénétrait leur autorité, un régime d’arbitraire et de tyrannie, régime basé sur le mépris des principes élémentaires d’humanité, sous prétexte qu’ils étaient représentants d’une race de seigneurs, imaginée par eux-mêmes.

Aujourd’hui alors que, à la suite de la lutte héroïque soutenue par l’Armée rouge et les Armées alliées, l’Allemagne nazie est brisée et écrasée, nous n’avons pas le droit d’oublier les victimes que nous déplorons. Nous n’avons pas le droit de laisser sans châtiment les coupables et les organisateurs de crimes monstrueux.

Au nom du souvenir sacré dû à des millions d’innocentes victimes du terrorisme fasciste, pour l’affermissement de la paix dans le monde entier, pour la sécurité des peuples dans l’avenir, nous présentons un compte exact et complet qui doit être réglé. C’est un compte dressé au nom de toute l’Humanité, au nom de la volonté et de la conscience des peuples aimant la liberté.

Que justice soit faite !

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre un instant. Général Rudenko, votre Délégation est-elle prête à poursuivre son exposé après la suspension ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, mais j’aimerais qu’il y eût une suspension d’audience.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que vous préféreriez que l’audience fût suspendue jusqu’à demain ? Le Tribunal se propose de suspendre l’audience pendant dix minutes, un quart d’heure et de la reprendre jusqu’à cinq heures. Cela vous convient-il ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Certainement, Monsieur le Président.

(L’audience est suspendue.)
GÉNÉRAL RUDENKO

Monsieur le Président, le colonel Karev annoncera brièvement l’ordre dans lequel le Ministère Public soviétique soumettra ses documents au Tribunal.

COLONEL KAREV (Avocat Général soviétique)

Le Ministère Public soviétique présentera des documents relatifs à tous les chefs de l’Acte d’accusation.

Le Tribunal a déjà pris connaissance d’une grande quantité de documents importants de l’Accusation, présentés par nos honorables collègues américains, anglais et français. Le Ministère Public soviétique, de son côté, dispose de nombreux documents établissant l’activité criminelle des conspirateurs fascistes.

Sur le premier chef d’accusation, crimes contre la Paix, nous présenterons les types de documents suivants : règlements administratifs des autorités allemandes, ordres et plans du commandement militaire allemand, mémoires et archives privés de quelques chefs du parti fasciste et de membres du Gouvernement allemand, ainsi que d’autres documents. Ces documents ont été découverts par des unités de l’Armée rouge, sur des soldats et des officiers allemands, ou dans les camps de concentration et dans les locaux occupés par les autorités allemandes.

En ce qui concerne les deuxième et troisième chefs d’accusation, les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, nous présenterons comme preuves en premier lieu les décisions et rapports officiels de la Commission extraordinaire d’État pour la recherche et la détermination des crimes des envahisseurs germano-fascistes et de leurs alliés. Cette commission a été créée par un décret du Praesidium du Soviet suprême de l’URSS, le 2 novembre 1942. Des commissions auxiliaires, fédérales, provinciales, régionales et municipales furent instituées à leur tour afin de faciliter les travaux de la Commission extraordinaire d’État pour la recherche et l’établissement des atrocités commises par les envahisseurs germano-fascistes. Dans cette Commission extraordinaire d’État, aussi bien à son siège que dans ses ramifications, entrèrent les hommes d’État les plus éminents et les représentants de différentes organisations publiques, scientifiques, culturelles et religieuses.

A l’aide de ses représentants, des représentants des groupes locaux et des autorités gouvernementales locales, la Commission extraordinaire d’État a rassemblé et vérifié les données de fait et établi des rapports sur les atrocités des envahisseurs germano-fascistes et sur le préjudice causé par eux à l’Union Soviétique et à ses habitants.

Sur le seul chapitre des atrocités commises par les monstres germano-fascistes contre les paisibles citoyens de l’Union Soviétique furent composés 54.784 dossiers. Ces dossiers de la Commission extraordinaire d’État constituent, en vertu de l’article 21 du Statut du Tribunal Militaire International, des preuves indiscutables. Mais l’Accusation soviétique ne présentera au Tribunal qu’une partie infime de ces procès-verbaux de la Commission extraordinaire d’État.

Le Ministère Public soviétique a également en sa possession des photographies qui montrent les atrocités et les destructions commises par les envahisseurs allemands lors de l’occupation des territoires de l’URSS. Une partie de ces photographies sera présentée au Tribunal. L’Accusation soviétique présentera également au Tribunal, en qualité de preuves, quelques films documentaires. Au cours de la présentation des preuves des crimes commis par les conspirateurs, le Ministère Public soviétique utilisera aussi plusieurs documents allemands, ainsi que des photographies et des films saisis entre les mains des Allemands.

Le Ministère Public soviétique fera en outre état de preuves relatives aux crimes commis par les accusés et leurs acolytes, en Tchécoslovaquie, en Pologne et en Yougoslavie. Parmi ces preuves, il est indispensable de souligner le rapport officiel du Gouvernement tchécoslovaque intitulé : « Crimes allemands contre la Tchécoslovaquie ». Ce rapport a été dressé, sur l’ordre du Gouvernement tchécoslovaque, par le Dr Bogislav Ecer, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, représentant la Tchécoslovaquie à la Commission des Nations Unies pour la recherche des crimes de guerre. A ce rapport officiel sur les crimes allemands en Tchécoslovaquie sont joints des documents. Citons parmi eux des lois, des ordonnances, des directives émanant des autorités germano-fascistes, promulguées et publiées dans des éditions officielles, des documents tirés des archives du Gouvernement tchécoslovaque, et enfin des témoignages donnés sous la foi du serment par des personnes ayant occupé des postes importants en Tchécoslovaquie pendant l’occupation allemande. Un film sera spécialement consacré à la destruction du village de Lidice. Ce film fut exécuté en son temps par des organismes allemands, et découvert plus tard par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur tchécoslovaque. Le rapport officiel sur les crimes allemands en Tchécoslovaquie et les documents qui lui sont joints constituent, en vertu de l’article 21 du Statut du Tribunal Militaire International, des preuves indiscutables, et seront présentés au Tribunal sous le n° URSS-60.

Le Ministère Public soviétique présentera également des preuves sur les crimes des conspirateurs en Pologne. Le document essentiel, qui sera soumis au Tribunal, est constitué par un rapport du Gouvernement polonais du 22 janvier 1946. Les sources de ce rapport gouvernemental polonais sur les crimes allemands en, Pologne sont constituées avant tout par des documents officiels du Gouvernement polonais. Aussi bien que ce rapport officiel du Gouvernement polonais, les documents qui lui sont joints répondent à toutes les exigences de l’article 21 du Statut du Tribunal Militaire International et constituent par là même des preuves indiscutables.

Enfin la Délégation soviétique présentera au Tribunal des documents relatifs aux crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes sur le territoire yougoslave. L’enquête sur l’activité criminelle du commandement allemand et des autorités d’occupation a été confiée à la Commission d’État yougoslave créée par décision du Comité anti-fasciste de libération nationale de la Yougoslavie, le 20 novembre 1943. Cette commission, présidée en permanence par le Dr Douchan Nedeikovitch, professeur à l’université de Belgrade, a commencé ses travaux quand une partie de la Yougoslavie était encore sous le joug des occupants allemands, italiens, hongrois et autres. En plus de la Commission d’État yougoslave, huit Commissions fédérales, provinciales et régionales ont travaillé à l’établissement des preuves des crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes. Se fondant sur les documents et les renseignements recueillis, la Commission d’État yougoslave a publié cinquante-trois mémoires sur les atrocités des occupants allemands, et a présenté un rapport, le 26 décembre 1945. Ce rapport constitue une preuve indiscutable : nous le soumettrons sous le n° URSS-36.

Il est de mon devoir de signaler que les représentants du Ministère Public soviétique utiliseront, dans une certaine mesure, les preuves documentaires déjà déposées par nos honorables collègues américains, britanniques et français.

Permettez-moi, pour conclure, de vous indiquer l’ordre dans lequel se dérouleront les exposés des représentants du Ministère Public soviétique.

Le colonel Pokrovsky, adjoint au Procureur Général soviétique, traitera des crimes contre la Paix : agression contre la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Yougoslavie.

Le Conseiller d’État de troisième classe à la Justice Zorya développera l’agression contre l’URSS.

Puis le colonel Pokrovsky exposera au Tribunal les crimes commis en violation des lois et coutumes de la guerre, dans le traitement des prisonniers de guerre.

Les crimes contre les populations pacifiques de l’URSS, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la Yougoslavie feront l’objet de l’exposé du Conseiller général à la Justice, Smirnov.

Le Conseiller d’État de seconde classe à la Justice Shenin s’occupera du pillage de la propriété privée et publique et du pillage des biens d’État.

Le Conseiller d’État de seconde classe à la Justice Raginsky s’attachera au pillage et à la destruction des trésors culturels et à la destruction des villes et villages.

Le Conseiller d’État de troisième classe à la Justice Zorya exposera le sujet du travail obligatoire et de la déportation des travailleurs en Allemagne.

Enfin le colonel Smirnov, Conseiller général à la Justice, traitera des crimes contre l’Humanité. J’en ai ainsi terminé avec mes explications.

COLONEL Y. Y. POKROVSKY (Procureur Général adjoint soviétique)

Monsieur le Président, Messieurs, les discours introductifs des Procureurs Généraux ont éclairci la question du développement de la préparation idéologique des guerres d’agression par l’Allemagne fasciste. Le lien entre la propagande hitlérienne et les actes d’agression contre la Paix ressort en particulier des déclarations du Procureur Général soviétique. Aussi me permettrai-je de me limiter à une courte citation du livre de Horst von Metzsch :

La guerre, cette semence (Krieg als Saat), édité à Bresiau, en 1934. Je cite :

« On ne peut se représenter le mouvement national-socialiste sans guerre. La gloire militaire allemande est la mère de ce mouvement ; son meilleur paladin en est le chef ; l’esprit militaire en est l’âme. »

Ce n’est pas une simple phrase échappée à un auteur hitlérien bavard. C’est, à son insu, un programme. Les conspirateurs hitlériens considéraient que la guerre, et la guerre seule, était le moyen le plus efficace d’atteindre leurs buts de politique extérieure. Et il est tout naturel qu’après s’être emparés du pouvoir, les fascistes aient transformé l’Allemagne en camp militaire, et en menace constante pour les États voisins.

L’Est était le premier objectif des conspirateurs fascistes.

Dans le livre de documents, qui est remis au Tribunal en ce moment, vous trouverez un extrait du livre de Hitler, Mein Kampf, tome I, page 1. Il me semble indispensable de préciser au Tribunal que les passages que je cite sont marqués au crayon rouge. Dès 1930 Hitler écrivait, et je cite :

« Le mouvement vers l’Est continue en dépit de tout. La Russie doit être rayée de la liste des puissances européennes. » (Page 732 de l’édition de Mein Kampf de 1930.)

Déclarant hypocritement son amour de la paix, assurant tous ses voisins de ses intentions de vivre en paix avec eux, l’Allemagne hitlérienne essayait de cacher ses intentions réelles, toujours agressives. Les conspirateurs concluaient volontiers n’importe quel traité d’arbitrage, de non-agression, etc. Ils le faisaient, non parce qu’ils espéraient vraiment la paix, mais exclusivement dans l’intention d’attendre le moment favorable, au premier mauvais coup, et d’endormir les nations du monde dans la conviction d’une fausse sécurité. Après avoir exécuté l’agression prévue, ils n’en essayaient pas moins de persuader le monde entier qu’ils n’auraient plus désormais d’intentions agressives. La conjonction de l’hypocrisie et de la fourberie, de la trahison et de l’agression, définissait tout le système de la politique extérieure allemande.

Les conspirateurs fascistes violaient, avec une invraisemblable insolence, n’importe lequel de leurs engagements internationaux, n’importe quels accords internationaux, y compris ceux qui interdisaient expressément le recours à la guerre pour la solution des conflits internationaux. Aucune des guerres déclenchées par les hitlériens ne correspond à la notion de guerre défensive. Dans tous les cas, les fascistes allemands agissaient comme agresseurs. Eux-mêmes reconnaissaient qu’ils n’hésiteraient pas à recourir à une provocation pour avoir le prétexte d’attaquer la victime en vue au moment le plus propice.

Le deuxième chef d’accusation contient toute une liste de guerres qui ont été provoquées, préparées, déclenchées et conduites par les conspirateurs fascistes. L’imagination déréglée des hitlériens leur représentait l’Est comme un paradis construit dans le sang et sur les ossements des millions de ses habitants.

Sir David Maxwell-Fyfe a annoncé au Tribunal que la Délégation soviétique présenterait certaines preuves nouvelles du complot criminel contre la Paix, en même temps qu’il vous prévenait que certaines répétitions seraient inévitables. J’essaierai de diminuer le nombre de ces répétitions, et je me permettrai d’attirer votre attention sur certains documents relatifs à l’agression criminelle des conspirateurs fascistes.

L’une des premières preuves que je dépose devant le Tribunal sous le n° URSS-60 est le rapport officiel tchécoslovaque ; il commence par la phrase significative suivante (je dois signaler que cette phrase se trouve à la page 10 du livre de documents, tome I, première partie, et qu’elle est soulignée au crayon rouge) :

« La Tchécoslovaquie était un obstacle au « Drang nach Osten » de l’Allemagne et à sa domination en Europe. »

Plus loin, ce document renferme l’analyse des aspects stratégiques et politiques de l’action agressive contre la Tchécoslovaquie...

LE PRÉSIDENT

Colonel Pokrovsky, lorsque vous voudrez faire état d’un document, vous en produirez l’original, n’est-ce pas, et le remettrez au secrétaire du Tribunal.

COLONEL POKROVSKY

Dans ce document URSS-60, qui constitue le rapport officiel tchécoslovaque, on trouve plus loin l’analyse des aspects stratégiques et politiques de l’action agressive contre la Tchécoslovaquie. Je cite en commençant à la deuxième phrase du paragraphe a marquée au crayon rouge :

« La Tchécoslovaquie, en effet, avait une réelle importance stratégique en tant qu’obstacle et fortification naturelle contre une poussée, militaire vers le bassin du Danube, en direction de l’Est dans les Carpates et, par la vallée du Danube, vers les Balkans.

Le paragraphe b exprime l’idée que la Tchécoslovaquie était un pays démocratique et, enfin, le paragraphe c fait une analyse de la Tchécoslovaquie au point de vue national. Vous trouverez ce passage dans le tome I, première partie, à la fin de la page 11, et au début de la page 12. Je cite textuellement le paragraphe c :

« c) Au point de vue national, la Tchécoslovaquie était un État slave, dans la plus grande partie de sa population ; elle avait une conscience fortement développée de l’unité panslave. »

Le Tribunal se rappelle que l’un des buts fondamentaux du complot fasciste consistait en la suppression des bases démocratiques et l’extermination des Slaves. Le Tribunal a pu remarquer que les méthodes d’exécution des agressions des conspirateurs hitlériens étaient calquées sur le même schéma : dans tous les cas, la rapidité de l’éclair et la soudaineté dans l’attaque armée étaient considérées comme des conditions essentielles pour assurer la réussite de ces plans. On essayait d’endormir l’adversaire visé par des déclarations traîtresses et hypocrites, des intentions sincèrement pacifiques, et, en même temps, on utilisait largement le système de corruption, de provocation, de chantage, de financement de diverses organisations profascistes, l’introduction d’agents à la solde de l’Allemagne, pris parmi des politiciens sans scrupules et des traîtres à leur patrie.

M. Alderman a commencé la présentation de ses documents, par quelques exemples de ce genre ; il vous a montré à l’aide de documents, comment ont été achetés, avec de l’argent allemand, les représentants du mouvement autonomiste slovaque, en la personne de Hans Karmazin. Il en fut de même du groupe du Premier ministre Dukanski, du fameux Tuka et de beaucoup d’autres chefs du parti Glinka.

Vous savez qu’au début de mars 1939, c’est-à-dire immédiatement avant le jour fixé pour l’entrée définitive des nazis en Tchécoslovaquie, l’activité de la Cinquième colonne atteignit son point culminant. Je crois qu’il convient de faire au Tribunal un court exposé sur les organisations hitlériennes créées en vue du sabotage, ainsi que sur le rôle joué par le SS Lorenz, dont je citerai le nom plusieurs fois au cours de mon exposé.

Himmler assumait en même temps, en personne, la charge de chef suprême des SS et de commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande (Reichskommissar für die Festigung des deutschen Volkstums).

En cette qualité, il détenait à l’intérieur de l’Allemagne la direction de tous les organismes de l’État et du Parti qui s’occupaient des activités des minorités fascistes allemandes à l’étranger et de la réémigration des Allemands en Allemagne. C’est dans ce champ d’activités que fonctionnait son organe d’exécution appelé : « Volksdeutsche Mittelstelle ».

Le chef de cette organisation et le représentant de Himmler dans ce domaine était l’Obergruppenfuhrer SS Lorenz, dont nous parlerons plus tard. Il existait aussi une autre organisation criminelle :

l’organisation de la NSDAP à l’étranger (en abrégé AO), qui joua un rôle important en créant la Cinquième colonne dans les pays étrangers qui devaient éventuellement faire l’objet d’une agression hitlérienne.

L’AO ou Auslandsorganisation réalisait l’union des Allemands membres du parti nazi qui vivaient en dehors de l’Allemagne. En plus d’une large propagande fasciste, l’AO était chargée de l’espionnage politique et d’espionnage de toute nature. Les Allemands vivant en dehors de l’Allemagne recevaient une aide matérielle de l’AO et restaient en rapport avec les différents groupements pro-allemands et réseaux d’espionnage, dans le pays où ils vivaient. Les ramifications du parti nazi à l’étranger se trouvaient sous la direction de missions diplomatiques allemandes et, dans ce but, le chef de l’AO, le Gauleiter Emst Wilhelm Bohle, était installé au ministère des Affaires étrangères, avec le rang de secrétaire d’État.

Il existe plusieurs appendices au rapport officiel tchécoslovaque ;

l’un d’eux, enregistré sous le n° PS-3061, contient des extraits du témoignage de Karl Hermann Frank, ancien adjoint du Protecteur allemand. Je présente ce document au Tribunal et, sans le lire entièrement, je voudrais me reporter brièvement aux passages qui se rapportent à la question de la Cinquième colonne. Lors de l’interrogatoire du 9 octobre 1945, (le Tribunal trouvera ce passage dans le tome I, première partie, page 185 du livre de documents), Frank a déclaré qu’à son avis, le parti de Henlein recevait de l’argent de l’Allemagne depuis 1936. En 1938, les fonds provenaient de ce qu’on appelait la « Volksdeutsche Mittelstelle » de Berlin, par le truchement du ministre allemand à Prague. Frank confirme que plusieurs fois, en compagnie de Henlein, il rendit visite au ministre allemand à Prague, qui leur remit de l’argent destiné au Parti. Frank a reconnu que l’acceptation de cet argent était incompatible avec les devoirs d’un citoyen tchécoslovaque.

Il a avoué également qu’à plusieurs reprises il se rendit seul chez le ministre allemand à Prague pour lui parler de la situation politique intérieure de la Tchécoslovaquie ; si l’on s’en tient au caractère des informations communiquées, il commit là un acte de haute trahison. Frank déclare (tome I, première partie, page 187) :

« Toutes les négociations de l’été de 1938 que j’entrepris avec Henlein d’une part, et avec les autorités du Reich, en particulier avec Adolf Hitler, Hess et Ribbentrop, d’autre part, étaient conduites dans le but de fournir aux autorités du Reich des informations sur le développement de la politique intérieure de la Tchécoslovaquie. Ces entrevues eurent lieu sur l’initiative des autorités du Reich. »

J’ai tiré cet extrait de la page 5 de la traduction russe du document PS-3061. A la page 188 de votre livre de documents, vous trouverez un autre extrait auquel je vais faire allusion.

Frank a déclaré qu’il reconnaît « la trahison commise par le Parti et ses dirigeants puisqu’il recevait de l’argent de l’étranger à des fins contraires à l’État. »

II existait en Bohême et en Moravie, ce qu’on appelait le « Freikorps Henlein » (le corps franc Henlein). Lors de son interrogatoire du 15 août 1945, Karl Hermann Frank déclara que Henlein et son état-major avaient leur quartier général au château de Tandorf près de Reuch. Henlein, lui-même, était à la tête de l’état-major de ce corps franc qui portait le nom de « Freikorps des Führers ». D’après les déclarations de Frank, ce corps avait été créé sur l’ordre de Hitler. Une partie de ce corps, qui se trouvait sur le territoire du Reich, était équipée d’armements légers en petites quantités. Aux dires de Frank, le corps franc se composait d’à peu près 15.000 hommes, Allemands des Sudètes pour la plupart. Vous trouverez ces renseignements à la page 3 de la traduction russe du document PS-3061 et à la page 185 du tome I, première partie de votre livre de documents.

Parmi les trophées de notre héroïque Armée rouge, se trouvent les archives du ministère des Affaires étrangères allemand. C’est pourquoi la Délégation soviétique a actuellement à sa disposition certains documents nouveaux. Il me paraît utile d’en lire quelques-uns pour compléter les informations apportées jusqu’ici au Tribunal. Ils sont particulièrement intéressants si l’on se rappelle que le désir de protéger les intérêts des minorités fascistes a été l’un des prétextes favoris des agressions commises par les conspirateurs fascistes.

Je vais lire un extrait du compte rendu absolument secret de la conférence tenue à midi, le 29 mars 1938, à Berlin, au ministère des Affaires étrangères, au sujet des Allemands des Sudètes. C’est le document URSS-271 ; le passage cité se trouve au tome I, première partie, page 196 et suivantes. Je cite :

« La conférence eut lieu en présence des personnalités énumérées dans la liste ci-jointe. Dans son discours d’ouverture, le ministre du Reich souligna l’importance du secret de cette conférence. Puis, se référant aux instructions que le Führer en personne avait données la veille à Konrad Henlein, il déclara qu’il existait au premier chef deux questions importantes pour l’orientation politique du parti allemand des Sudètes :

« 1. Les Allemands des Sudètes devaient savoir que derrière eux se tenait un peuple de 75.000.000 d’âmes, bien décidé à ne pas souffrir à l’avenir que les Allemands des Sudètes fussent opprimés par le Gouvernement tchécoslovaque.

« 2. Il incombait au parti allemand des Sudètes la responsabilité de formuler au Gouvernement tchécoslovaque certaines demandes dont la réalisation apparaissait nécessaire à l’obtention des libertés désirées.

LE PRÉSIDENT

Je m’excuse de vous interrompre, mais la traduction n’étant pas très claire, nous ne comprenons pas si vous avez déposé l’original de ce document sous une certaine cote, en d’autres termes s’il a déjà été versé au dossier.

COLONEL POKROVSKY

Tous les documents présentés par le Ministère Public soviétique sont soumis au Tribunal en langue russe après avoir, au préalable, été transmis à la section internationale de traduction habilitée à en fournir des traductions. Le document que j’ai cité est enregistré dans nos listes sous la cote URSS-271.

LE PRESIDENT

Si l’original du document n’est pas en russe il doit être déposé dans son état d’origine. J’ignore ce qu’est ce document. Mais s’il s’agit d’une conférence, je suppose, apparemment, que l’original est en allemand.

COLONEL POKROVSKY

L’original de ce document est en allemand.

LE PRÉSIDENT

S’il en est ainsi, nous voudrions voir cet original en allemand.

COLONEL POKROVSKY

La photocopie du document original, en allemand, est en ce moment à la disposition du Tribunal.

Puis-je poursuivre ?

LE PRÉSIDENT

Un instant, je vous prie. Est-ce là l’original ?

COLONEL POKROVSKY

C’est une copie photostatique.

LE PRÉSIDENT

Je crains devoir insister, mais nous voudrions l’original.

COLONEL POKROVSKY

Le document original est entre les mains du Gouvernement soviétique. Si le Tribunal le désire, je puis le faire expédier et le lui présenter ultérieurement. Cette copie photostatique est certifiée conforme.

LE PRÉSIDENT

Je crains devoir encore insister, mais nous voudrions avoir l’original de ce document. Après leur production sous une cote de dépôt, les documents originaux doivent rester à la disposition du Tribunal. La question de traduction n’a naturellement rien à voir avec ce sujet, mais dans le but de nous assurer que les moyens de preuves sont indiscutablement authentiques, les originaux doivent être déposés au Secrétariat général.

COLONEL POKROVSKY

Je prends note des désirs du Tribunal ; toutes instructions seront données pour que ces originaux lui soient remis. En cette matière, cependant, nous n’avons fait que suivre la pratique précédemment établie, selon laquelle le Tribunal se contentait de copies photostatiques certifiées conformes. Nous pourrons soumettre l’original en question, dans quelque temps toutefois, car nous ne l’avons pas pour l’instant à Nuremberg.

LE PRÉSIDENT

Bien, du moment que vous allez le faire. Mais je crois que vous avez tort de dire qu’il s’agit là d’une pratique bien établie. Nous avons demandé aux représentants du Ministère Public français de produire les documents et ils l’ont fait.

COLONEL POKROVSKY

Nous allons prendre les mesures nécessaires pour que le Tribunal reçoive, quoique avec un léger retard, les originaux des documents dont nous présentons en ce moment des copies photostatiques. Puis-je continuer mon exposé ?

LE PRÉSIDENT

Je pense, colonel Pokrovsky, que vous serez à même de nous fournir demain les originaux des documents auxquels vous vous référez aujourd’hui ?

COLONEL POKROVSKY

Je ne puis en prendre l’engagement, puisque ces originaux ne sont pas ici. La plupart d’entre eux ne sont qu’en un seul exemplaire et, pour cette raison, n’ont pas été conservés à Nuremberg. Nous n’avons là qu’une partie de ces originaux. La seule chose que je puisse faire c’est de présenter à l’avenir tous les originaux dont nous disposons. Quant à ceux que nous n’avons pas nous demanderons au Gouvernement soviétique de nous les envoyer en échange de ces photocopies. C’est tout ce que je puis faire.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue pour permettre au Tribunal de délibérer sur ce point.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a étudié la question du dépôt des documents originaux et désire que la procédure suivante soit adoptée :

1. Les documents originaux devront être déposés au Secrétariat général du Tribunal.

2. Si ce dépôt est impossible ou s’avère malaisé, le Tribunal acceptera les copies photostatiques des originaux, à condition qu’un certificat accompagne ce document photostatique, indiquant que c’est une copie véritable d’un original et que cet original est un document authentique. Le certificat indiquera en outre l’origine de ce document et l’endroit où il se trouve actuellement.

3. Le Tribunal acceptera dorénavant des copies photostatiques à condition que les certificats que je viens de mentionner soient fournis à la Défense dès que possible. Est-ce clair, colonel Pokrovsky ?

COLONEL POKROVSKY

Je désirerais demander au Tribunal de bien vouloir me préciser un point. Dois-je comprendre que le Tribunal ne fait que confirmer sa précédente décision et l’usage établi lors de la présentation des documents par mes collègues américains et britanniques, ou apporte-t-il une innovation dans la procédure ? Au cours d’une audience, le Tribunal a accepté, sous la cote USA-95 ou PS-2788 et sous la forme d’une copie photostatique, le même document que celui que je présente aujourd’hui. C’est pourquoi je ne comprends pas très bien s’il s’agit d’une décision nouvelle ou de la confirmation d’une pratique préétablie.

LE PRÉSIDENT

Je crois que ce que vous dites est exact et que ce document, en particulier, n’est accompagné d’aucun certificat, étant donné qu’il est considéré comme une copie conforme. Mais le Tribunal demandera au Ministère Public américain de fournir un certificat déclarant que c’est une copie véritable d’un document original en indiquant son origine et l’endroit où il se trouve actuellement.

COLONEL POKROVSKY

Je vous demande de bien vouloir excuser mon insistance, mais la question que je voudrais éclaircir en ce moment intéresse également tous les Ministères Publics. Dois-je comprendre, avec tous mes collègues qui m’ont précédé, que nous devons produire cette documentation supplémentaire à l’appui de toute copie photostatique, y compris de celles déjà acceptées par le Tribunal, ou bien votre décision ne s’applique-t-elle qu’aux seuls documents dont la Délégation soviétique compte faire état à l’avenir ?

LE PRÉSIDENT

Non. La décision s’applique à tous les Ministères Publics et à tous les documents.

COLONEL POKROVSKY

Déjà acceptés par le Tribunal ?

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement. Si un document a été accepté sous la forme d’une copie photostatique non accompagnée d’un certificat indiquant que c’est une copie fidèle d’un document authentique, il faut que ce certificat soit fourni. Et il devra spécifier qu’il s’agit d’un document authentique et mentionner le lieu du dépôt de l’original. Et cette mesure s’applique à tous les Ministères Publics.

COLONEL POKROVSKY

Je comprends maintenant que le Tribunal veut confirmer la pratique antérieure suivant laquelle nous pouvions présenter des copies photostatiques, à condition de les certifier conformes et soumettre des originaux suivant les possibilités. Vous ai-je bien compris ?

LE PRÉSIDENT

Oui. Nous désirons, si possible, avoir les originaux. En cas d’impossibilité ou en raison d’un inconvénient réel, nous acceptons des photocopies. Pour l’instant et dans un but de commodité — car cette règle n’a peut-être pas été encore fixée d’une façon très nette — nous nous contenterons de photocopies sans certificats, à condition que ces derniers nous soient ultérieurement remis. Est-ce clair ?

COLONEL POKROVSKY

Parfaitement ; c’est donc la pratique adoptée jusqu’ici qui continue à s’appliquer.

Je me permettrai d’attirer l’attention du Tribunal sur ce même paragraphe qui a mené à l’interruption de mes explications. Je parlais des trois dernières lignes de la page 196 du livre de documents qui vous a été remis.

« Le but final des pourparlers qui se poursuivaient entre le parti allemand des Sudètes et le Gouvernement tchécoslovaque, était d’éviter l’entrée des Allemands des Sudètes dans le Gouvernement, en augmentant graduellement le nombre des exigences présentées et en les formulant avec une précision toujours plus grande. Au cours des négociations, on doit clairement faire ressortir que le seul négociateur mis en présence du Gouvernement tchécoslovaque est le parti allemand des Sudètes et non le Gouvernement du Reich... »

Je saute ici quelques lignes et je reprends à la page 199 de votre livre de documents :

« En vue d’une collaboration future, on a prescrit à Konrad Henlein de maintenir le contact le plus étroit possible avec le ministre du Reich et le chef de la « Volksdeutsche Mittelstelle », ainsi qu’avec le ministre allemand à Prague qui représente dans cette ville le ministre des Affaires étrangères du Reich. La tâche du ministre allemand à Prague consistera à soutenir officieusement les exigences du parti allemand des Sudètes et surtout, au cours de conversations privées avec des hommes d’État tchèques, de montrer que ces revendications sont raisonnables, mais sans toutefois exercer la moindre influence sur la portée de ces exigences du Parti.

« On a enfin examiné la question de l’opportunité d’une collaboration du parti allemand des Sudètes avec les autres minorités de Tchécoslovaquie, en particulier avec les Slovaques. Le ministre du Reich a décidé qu’on devait laisser au Parti la liberté d’entrer en contact avec les autres groupements nationaux, dont les activités parallèles aux siennes peuvent paraître avantageuses. Berlin, 29 mars 1938. »

Monsieur le Président, Messieurs, vous trouverez page 200, tome I, première partie, de votre livre de documents, la liste des participants à cette conférence du 29 mars 1938 à Berlin. Je lirai le passage souligné au crayon rouge :

« Le ministre du Reich von Ribbentrop, le secrétaire d’État von Mackensen, le directeur ministériel Weizsacker, le ministre plénipotentiaire à Prague Eisenlohr, le ministre Stiebe, le conseiller d’ambassade von Tvardovsky, le conseiller d’ambassade Altenburg, le conseiller d’ambassade Kordt, du ministère des Affaires étrangères. Étaient aussi présents le SS-Obergruppenführer Lorenz, le professeur Haushofer (Volksdeutsche Mittelstelle), Konrad Henlein, Karl Hermann Frank, le Dr Kunzel, le Dr Kreisel du parti allemand des Sudètes. »

II n’est pas difficile de déterminer les intentions véritables des conspirateurs nazis vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, ne serait-ce qu’en se fondant sur le fait que, parmi les personnes présentes à cette réunion, se trouvaient l’accusé Ribbentrop, deux ministres plénipotentiaires, deux représentants de l’organisme « Volksdeutsche Mittelstelle » et, en outre, un SS-Obergruppenführer, le futur secrétaire d’État du Protectorat de Bohême et Moravie, Karl Hermann Frank et Konrad Henlein, chef du soi-disant parti allemand des Sudètes, agent à la solde de Hitler et provocateur notoire.

Les missions diplomatiques allemandes dirigeaient les activités des ramifications du parti nazi à l’étranger et, dans ce but, le chef de l’AO, le Gauleiter Ernst Wilhelm Bohle fut nommé secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères.

Le 3 juin 1938, le SS Lorenz, qui avait pris part à la conférence sur laquelle je viens d’attirer l’attention du Tribunal, prépara deux documents. Je les lirai tous deux. Le premier, relatif à une interview faite par Ward Price, montre que Henlein était sous le contrôle direct des SS et que c’est à eux qu’il devait rendre compte de ses activités. Ce document contient aussi la menace directe de recourir à une « opération radicale » pour apporter une solution au prétendu problème allemand des Sudètes. Je vais lire en entier ce court document, qui porte le n° URSS-270. Le texte que je vais citer se trouve à la page 202, tome I, première partie, du livre de documents.

« En corrélation avec l’interview de Ward Price publiée dans la presse étrangère, le SS-Obergruppenführer Lorenz demanda une explication à Henlein qui fit la déclaration suivante :

Ward Price était présent aux obsèques des fusillés de la ville d’Eger. Là, il demanda à Sebekoysky, collaborateur de Henlein, de lui ménager une entrevue avec ce dernier. Henlein connaissait les circonstances de l’interview accordée par le Führer à Ward Price ;

il eut une conversation avec Ward Price autour d’une tasse de thé, mais il ne lui donna pas une véritable interview. La conversation sur les Allemands des Sudètes et les problèmes tchèques prit la forme d’un entretien médical sur l’appendicite et Henlein déclara qu’il ne fallait pas temporiser avec les crises périodiques d’appendicite, mais qu’il était préférable d’agir radicalement et d’opérer.

Plus tard, quand Ward Price publia un compte rendu de cette conversation, Henlein décida de le désavouer. Mais à ce moment, par l’intermédiaire de la légation à Prague, un ordre arriva du ministère des Affaires étrangères prescrivant à Henlein d’arranger l’affaire à l’amiable avec Ward Price, parce que ce dernier jouissait de la confiance de Hitler et n’avait pas à être insolemment traité par les Allemands des Sudètes. Quand Henlein rencontra à nouveau Ward Price, il battit en retraite, rejetant le blâme sur les membres du parti allemand des Sudètes ; en outre, il écrivit à Ward Price pour régler cette affaire Lorenz. »

Le deuxième document, que vous trouverez à la page 201 sous la cote URSS-268, montre que, sur ordre des SS et des chefs de la conspiration hitlérienne, Henlein négociait avec le Gouvernement tchécoslovaque pour la solution de la question des Allemands des Sudètes, mais dans l’unique but de créer un incident. Ces négociations étaient suivies de près par les chefs du complot fasciste qui dirigèrent ultérieurement ses pas.

Je me permets de citer ce document :

« Dans un entretien qu’il eut avec le SS-Obergruppenführer Lorenz, Henlein posa la question suivante : « Que devrais-je répondre « si la Tchécoslovaquie, sous la pression des Gouvernements « étrangers, acceptait brusquement toutes mes exigences et demandait en contre-partie une participation au Gouvernement ? »

II apparaissait clairement que cette question, au moment où elle était posée, ne revêtait pas un caractère d’urgence et que, dans l’avenir, de longues et pénibles négociations seraient inévitables. Mais il n’en demandait pas moins des instructions sur sa propre ligne de conduite vis-à-vis de ce problème, au cas où il n’aurait pas la possibilité de communiquer avec l’Allemagne :

« Il répondit lui-même à sa question : « Si la Tchécoslovaquie accepte toutes mes exigences, je répondrai oui, mais j’insisterai sur un changement de sa politique extérieure, et cela, les Tchèques ne l’accepteront jamais. » On promit alors à Henlein que la question serait éclaircie par le ministre des Affaires étrangères Lorenz. »

Tel est le court extrait d’un document d’État très secret...

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’il serait temps de lever l’audience.

(L’audience sera reprise le 9 février 1946 à 10 heures.)