CINQUANTE-SEPTIÈME JOURNÉE.
Lundi 12 février 1946.
Audience du matin.
Général Rudenko, voulez-vous entendre immédiatement le maréchal Paulus que vous avez cité comme témoin afin que les avocats puissent lui poser des questions ?
Oui, suivant le désir du Tribunal, le témoin se trouve au Palais de Justice.
Maréchal Paulus, je désire vous rappeler que vous devez marquer un temps d’arrêt avant de répondre à chacune des questions qui vous seront posées, pour permettre aux interprètes de traduire. Avez-vous compris ce que je vous demande ?
Oui, j’ai compris.
Je voudrais vous poser certaines questions. Le 3 septembre 1940, en qualité d’Oberquartiermeister, vous êtes entré au Haut Commandement de l’Armée de terre ?
C’est exact.
Qui était alors Commandant en chef de l’Armée de terre ?
Vous devez parfaitement savoir que le Commandant en chef de l’Armée était à l’époque le Feldmarschall von Brauchitsch.
Je crois que l’attitude que vous prenez n’est pas justifiée, je n’ai pas posé cette question sans raison, mais simplement pour éclaircir la situation. Nous la connaissons, mais peut-être le Tribunal ne la connaît-il pas ?
Qui était alors le chef d’État-Major général de l’Armée ?
C’était le général Halder.
En tant qu’Oberquartiermeister, étiez-vous le représentant permanent du chef de l’État-Major ?
J’étais le représentant du chef de l’État-Major dans certains cas déterminés. En outre, j’avais à accomplir les missions dont il me chargeait.
Étiez-vous spécialement chargé d’élaborer ce plan nommé, ainsi que nous l’avons appris plus tard, « Cas Barbarossa » ?
Oui, dans la mesure où je l’ai indiqué hier.
Le Feldmarschall von Brauchitsch, votre ancien chef d’État-Major, a parlé dans un affidavit présenté au Tribunal, de plans militaires. Avec l’autorisation du Tribunal, je voudrais vous demander si vous êtes du même avis que le maréchal von Brauchitsch sur le point suivant :
« Quand Hitler se décida, pour atteindre ses buts politiques, à faire usage d’une pression militaire ou à mettre en jeu des moyens militaires, le Commandant en chef de l’Armée de terre, s’il prenait part à ces opérations, devait recevoir des instructions verbales ou un ordre précis ». Est-ce là également votre avis ?
Je ne sais pas, je ne suis pas au courant.
Le Generaloberst Halder, qui était votre supérieur immédiat, a déclaré, au sujet de ces opérations militaires, dans un affidavit qui a été soumis par le Ministère Public :
« Les affaires purement militaires dépendaient des différentes fractions de l’Armée, Armée de terre, Marine et Aviation, placées sous l’autorité du Commandant suprême des Forces armées, qui était en même temps le chef suprême de l’État, c’est-à-dire Hitler. »
Est-ce aussi votre avis ?
Je vous prie de répéter votre question, car je n’ai pas très bien compris de quoi il s’agit.
La question est la suivante : quels étaient les militaires responsables devant Hitler de l’élaboration des plans importants ? M. von Brauchitsch a fait à ce sujet la déclaration que vous venez d’entendre et M. Halder a déclaré ce qui suit :
« Les affaires purement militaires dépendaient des différentes fractions de l’Armée, Armée de terre, Marine et Aviation, placées sous l’autorité du Commandant suprême des Forces armées, qui était en même temps le Chef suprême de l’État, c’est-à-dire Hitler. »
Est-ce exact ?
Les ordres concernant les mesures militaires nous étaient donnés par le Haut Commandement de la Wehrmacht. C’est ainsi que nous fut transmise l’instruction n° 21. Personnellement, je tiens pour responsables les conseillers de Hitler à l’OKW.
Si vous avez lu l’instruction n° 21, vous savez également qui l’a signée. Qui est-ce ?
Je crois me souvenir que cette instruction était signée par Hitler, contresignée par Keitel et Jodl.
De toute façon signée par Hitler, comme tous les ordres. Est-ce exact ?
Certainement. La plupart des ordres étaient signés par lui, à moins qu’ils n’aient été signés par d’autres en son nom.
Je peux donc en conclure que celui qui donnait les ordres était le Commandant en chef des Forces armées, c’est-à-dire Hitler.
C’est exact.
D’après les rapports de von Brauchitsch et de Halder, nous pouvons conclure, du moins je le suppose, que l’État-Major général de l’Armée de terre était chargé de mettre à l’étude, dans tous ses services, les idées de Hitler. N’est-ce pas votre avis ?
C’est exact. Nous recevions les ordres provenant des autorités supérieures et nous devions en régler l’application.
Il est donc exact que ces ordres ont été communiqués au Commandement suprême de la Wehrmacht. En somme, tous les projets élaborés en vue de la guerre d’agression et sur lesquels vous nous avez donné des indications étaient le résultat d’une collaboration étroite entre Hitler, en tant que Chef suprême des Forces années, et l’État-Major général de l’Armée de terre. Est-ce exact ?
Cette collaboration existe entre le Commandement suprême et toutes les fractions de l’Armée chargées de l’exécution des ordres du Commandement suprême.
Je crois comprendre, d’après votre déclaration, que vous avez travaillé sur le projet du plan qui vous a été remis le 3 septembre 1940, et qu’après l’avoir complété dans une certaine mesure, vous l’avez remis, vous même, ou par l’intermédiaire du général Halder, au Commandement suprême, c’est-à-dire à Hitler ?
Ce travail qui constituait ma participation fut présenté par le chef d’État-Major général de l’Armée de terre ou par le Commandant en chef de l’Armée de terre, et ensuite accepté ou refusé.
Ce travail devait être accepté ou refusé par Hitler ?
Parfaitement.
Si j’ai bien compris, vous avez dit hier que vous saviez dès octobre 1940 que Hitler voulait attaquer l’Union Soviétique ?
J’ai déclaré hier que ce plan constituait la préparation d’une agression.
Vous saviez que c’était bien là l’intention de Hitler ?
De la façon dont cet ordre nous a été donné, nous devions conclure que ce travail théorique serait suivi d’une mise à exécution.
D’autre part, vous avez dit hier, si je vous ai bien compris...
Voulez-vous parler plus lentement.
En outre, vous avez dit hier, si je vous ai bien compris, qu’aucune information du service de contre-espionnage ne pouvait faire supposer que l’Union Soviétique avait l’intention d’attaquer ?
Parfaitement.
Quelqu’un a-t-il abordé ces questions dans les milieux de l’État-Major ?
Oui, on en a parlé. On a également élevé de sérieuses objections à ce sujet, mais aucun renseignement concernant des préparatifs de guerre du côté de l’URSS n’a été porté à ma connaissance.
En somme, vous étiez parfaitement convaincu qu’il s’agissait là d’une attaque prochaine contre l’Union Soviétique ?
C’était une perspective, qui n’était pas exclue.
Le témoin devrait parler plus lentement.
D’après la déposition du témoin, tout semblait faire conclure à une attaque prochaine.
L’ordre d’étudier les possibilités théoriques d’attaque était considéré, non seulement par moi, mais par toutes les personnes qui en étaient informées, comme la préparation d’une attaque, d’une agression contre l’URSS.
Quand vous vous en êtes rendu compte, avez-vous, vous-même ou l’État-Major de l’Armée, ou le Commandement en chef de l’Armée, présenté des objections à Hitler ?
Personnellement, je ne sais sous quelle forme le Commandant en chef de l’Armée de terre a présenté des objections, ni même s’il en a présenté.
Avez-vous vous-même exposé au Commandant en chef von Brauchitsch ou au général Halder vos objections à ce sujet ?
Si je comprends bien, je dois être entendu ici en qualité de témoin sur les événements dont sont responsables ces accusés. Je prie donc le Tribunal de me permettre de refuser de répondre à cette question qui me vise personnellement.
Feldmarschall, vous semblez oublier que vous faites aussi partie du groupe des accusés et que, comme eux, vous apparteniez à l’organisation déclarée criminelle du Commandement en chef de l’armée.
C’est précisément parce que je suis entendu ici en qualité de témoin afin d’expliquer les événements qui ont conduit à l’accusation portée contre ces accusés, que j’ai demandé au Tribunal de m’autoriser à ne pas répondre à cette question qui me vise personnellement.
Je prie le Tribunal de bien vouloir prendre position.
Le Tribunal estime que vous devez répondre aux questions qui vous ont été posées jusqu’à présent.
Dans ce cas, je vous prie de répéter la question.
Je vous ai demandé si vous avez fait part de vos objections à votre chef Halder ou au Commandant en chef von Brauchitsch ?
Je ne me souviens pas d’avoir parié à ce sujet avec le chef de l’OKH, mais j’en ai parlé au chef de l’État-Major général Halder, qui était mon supérieur.
Je n’ai pas compris, vous avez...
J’en ai parlé au chef de l’État-Major général Halder.
Il vous a fait part de son opinion ?
Oui, et il m’a dit qu’il craignait beaucoup une telle entreprise.
Pour des raisons militaires ou pour des raisons morales ?
Pour les raisons les plus diverses.
Pardon ?
Autant pour des raisons militaires que pour des raisons morales.
Il est donc exact que vous-même, ainsi que le chef d’État-Major Halder, connaissiez les faits qui permettaient de considérer la guerre contre la Russie comme une attaque criminelle et que, malgré cela, vous n’avez rien entrepris. Dans votre déclaration, vous avez dit que vous êtes devenu plus tard Commandant en chef de la 6e armée. Est-ce exact ?
Oui.
C’est donc en connaissance de ces faits que vous avez pris le commandement de l’Armée qui a été engagée à Stalingrad. N’aviez-vous pas de scrupules à vous taire l’instrument d’une attaque que vous considériez comme criminelle ?
Étant donné la situation militaire à l’époque et l’extraordinaire propagande à laquelle nous étions soumis, j’ai cru alors, comme bien d’autres, faire mon devoir vis-à-vis de ma patrie.
Vous connaissiez pourtant les faits ?
Je ne connaissais pas à l’époque les faits qui ne m’ont été révélés que plus tard, du fait que je commandais la 6e armée, et qui ont atteint leur point culminant à Stalingrad. De même, le caractère criminel de cette agression ne m’est apparu que plus tard, quand j’eus l’occasion de réfléchir sur l’ensemble des événements, dont je n’avais eu jusqu’alors qu’une vue fragmentaire.
Je dois donc comprendre que l’expression « agression criminelle » et autres expressions du même ordre que vous avez employées pour désigner les fauteurs de guerre sont le résultat de vos réflexions ultérieures ?
Parfaitement.
Donc, malgré vos scrupules et malgré la connaissance des faits qui faisaient apparaître cette guerre contre la Russie comme une guerre d’agression et une entreprise criminelle, vous avez estimé qu’il était de votre devoir de commander la 6e armée et de défendre Stalingrad jusqu’au dernier moment ?
Je viens justement de dire qu’à l’époque où je pris le commandement de la 6e armée, je ne pouvais me rendre compte de toute la portée du crime que constituait le fait d’entreprendre et d’exécuter une guerre de conquête, ce qui ne m’est apparu que plus tard, avec mon expérience de chef de la 6e armée à Stalingrad.
Vous parlez de la portée du crime. Mais vous n’avez pas parlé du fait que vous en connaissiez les causes, que peut-être vous étiez un des seuls à les connaître.
Je ne les connaissais pas ; je savais, d’après l’attitude de beaucoup d’officiers, que cette guerre avait un caractère d’agression. Je ne voyais rien d’extraordinaire à ce que le destin du peuple et du pays reposât sur une politique de puissance.
Vous approuviez donc ces idées ?
Pas avec la tendance qu’elles ont revêtue plus tard, mais je ne considérais pas comme impossible que le sort d’un pays pût reposer sur une politique de puissance. C’était une politique, mais elle méconnaissait le fait qu’au XXe siècle seuls la démocratie et le principe des nationalités sont des facteurs décisifs.
Reconnaissez-vous aussi la bonne foi des autres, ceux qui n’étaient pas aussi près des sources et qui voulaient faire de leur mieux pour leur patrie ?
Parfaitement.
Témoin, dans votre déclaration d’hier vous avez dit que vous rendiez responsable de cette guerre le Gouvernement hitlérien. Est-ce exact ?
Oui, je l’ai dit.
Dans votre déclaration écrite, faite le 8 janvier 1946 alors que vous étiez prisonnier, il n’en est pas question ; du moins je n’y ai rien trouvé à ce sujet.
Cette déclaration n’a aucun rapport avec cela. C’est un document adressé au Gouvernement de l’URSS, dans lequel je traitais de questions se rapportant à la 6e armée en Russie et où je parlais de mes expériences personnelles.
Dans cette lettre du 8 janvier 1946 vous dites exactement ceci ; je cite :
« Aujourd’hui sont jugés les crimes de Hitler et de ses acolytes par le Tribunal des Nations, et je me sens obligé de dire au Gouvernement soviétique tout ce qui m’est connu en raison de mes activités, et qui pourra servir de preuve contre les criminels de guerre jugés à Nuremberg. »
Pourtant il n’y a rien de semblable dans votre déclaration écrite, qui est cependant très détaillée.
Dr Sauter, si vous interrogez le témoin sur le contenu de cette lettre, vous devez déposer toute cette lettre comme preuve.
C’est la déclaration faite par le témoin, le...
Je n’ai là-dessus aucun doute, mais je dis seulement que si vous interrogez le témoin sur cette lettre, vous devez la déposer comme preuve. Avez-vous une copie de cette lettre ?
Oui. C’est la déclaration que le Ministère Public soviétique a présentée hier au témoin et que celui-ci a déclaré être prêt à renouveler.
Oui, je comprends. Je ne savais pas si elle avait été déposée comme preuve ou si elle avait été retirée en vue de la déposition du témoin. La lettre a-t-elle été déposée ?
Le témoin, sur la demande du Ministère Public russe, a répété sa déclaration.
Monsieur Willey, la lettre a-t-elle été déposée comme preuve, oui ou non ?
Non.
Bien. Vous pouvez continuer à interroger le témoin à ce sujet, mais ce document doit être déposé comme preuve. C’est tout.
Témoin, il m’intéressait de savoir ce que vous entendez par « Gouvernement hitlérien ». Voulez-vous dire la direction du Parti, le Cabinet du Reich, ou autre chose ?
Je veux dire tous les responsables.
Pouvez-vous répondre d’une façon plus précise ?
Hier, dans mes déclarations, j’ai dit ce qui était de ma compétence, ce que j’ai vu personnellement. Je n’ai pas voulu parler individuellement de membres du Gouvernement car je n’ai pas de données à ce sujet.
Oui, mais vous parliez du Gouvernement hitlérien.
Je veux désigner par là la direction hitlérienne de l’État.
Donc, en premier lieu, le Cabinet du Reich ?
Oui, dans la mesure où il est responsable de directives données par le Gouvernement.
La question qui m’intéresse est donc celle-ci :
l’accusé Funk, qui est assis ici, était membre du Cabinet du Reich et l’accusé von Schirach est également considéré par l’Accusation comme ayant fait partie du Cabinet. Savez-vous si l’accusé Funk et l’accusé von Schirach étaient, comme vous par exemple, au courant des plans de Hitler ?
Je n’en sais absolument rien.
Savez-vous si pendant la guerre, puisque vous faisiez partie de l’OKW, il y eut des séances du Cabinet ?
Je n’en sais rien non plus.
Savez-vous que Hitler, dans l’intérêt du secret de ses plans de guerre, avait ordonné que lors des discussions entre lui et ses conseillers militaires, les membres du Cabinet du Reich, tels que Funk, ne fussent pas présents ?
Je n’en sais rien.
Avez-vous su, par Jodl ou par Keitel par exemple, que Hitler avait interdit également que les membres du Cabinet du Reich, les membres civils, prissent part aux séances militaires ?
Je n’ai aucune connaissance à ce sujet.
Une autre question. Quand Stalingrad fut encerclée et que la situation fut devenue sans espoir, savez-vous que les défenseurs de la forteresse adressèrent à Hitler plusieurs télégrammes lui exprimant leur dévouement ?
Puisque vous parlez de ces télégrammes, je sais qu’à la fin l’on fit un grand effort pour donner un sens à la catastrophe qui s’approchait, aux souffrances et aux massacres de tant de soldats. C’est pourquoi ces télégrammes en ont fait des actes d’héroïsme qui devaient rester gravés dans les mémoires. Je regrette de ne pas les avoir arrêtés à cette époque.
Ces télégrammes émanaient de vous ?
Je ne sais pas de quels télégrammes vous voulez parler.
Plusieurs télégrammes promettant de tenir jusqu’au dernier homme et qui ont terrifié le peuple allemand. Ils portent tous votre signature.
Je n’ai pas connaissance de ces télégrammes. Je demande qu’ils me soient présentés.
Vous n’en avez pas connaissance ?
Non, pas de ces télégrammes dont vous parlez, à l’exception du tout dernier.
Savez-vous ce qu’il y avait dans le dernier ?
Le dernier télégramme décrit les performances de l’Armée, soulignant que ce refus de capituler était un exemple pour l’avenir de notre peuple.
Et la réponse a été, je crois, votre nomination au poste de Feldmarschall ?
Je ne sais pas si c’en fut la réponse.
Pourtant vous avez été nommé General feld-maréchal et vous en portez encore le titre, car la déclaration que j’ai déposée est signée « Generalfeldmarschall Paulus ».
Je dois dire à ce sujet que... S’agit-il de cette déclaration ?
Oui.
Je dois prendre le titre auquel j’ai droit et qui m’a été conféré.
Dans cette déclaration que je présente au Tribunal comme preuve, il y a cette phrase finale :
« Je porte la responsabilité de n’avoir pas suffisamment considéré le point de vue russe dans l’application de mon ordre du 14 janvier 1943 concernant la remise de tous les prisonniers de guerre (c’est-à-dire de tous les prisonniers de guerre russes)... »
Oui.
« ... et de n’avoir pas pris plus de soin des prisonniers (toujours des prisonniers russes). »
Pouvez-vous m’expliquer le point suivant ? Pourquoi, dans une lettre aussi détaillée, n’avez-vous pas parlé des centaines de milliers de soldats allemands qui, sous votre commandement, ont perdu la liberté, la santé et la vie ? Il n’en est pas question.
Cette lettre se rapporte à une tout autre question ; elle est adressée au Gouvernement de l’URSS et concerne le traitement infligé à la population civile et aux prisonniers de guerre russes à Stalingrad. Je ne pouvais pas y parler de mes soldats...
Pas un mot ?
Non. Je ne pouvais pas en parler ici, il fallait le faire ailleurs. C’est ainsi que tous les ordres d’opération qui ont amené les terribles événements de Stalingrad ont été donnés en dépit des objections que j’ai présentées le 20 janvier, et qui n’étaient qu’un résumé de mes descriptions antérieures : l’état de choses était devenu intolérable à la suite des souffrances causées par le froid, la faim et les épidémies, continuer la lutte était au-dessus des forces humaines ; la réponse de l’OKW a été : « Capitulation exclue. La 6e armée doit jouer son rôle historique en tenant jusqu’au bout pour rendre possible le renforcement des lignes sur le front Est. »
Et c’est pourquoi vous avez continué à exécuter jusqu’au bout des ordres que vous qualifiez de criminels ?
C’est exact.
D’après vos propres déclarations, vous avez eu dès le début clairement conscience du caractère criminel de ces opérations ?
Je n’ai pas dit que j’avais reconnu que c’était un crime, mais j’en ai eu l’impression plus tard, en faisant le bilan des événements de Stalingrad. J’ai été instruit par ce que j’ai vu à Stalingrad.
Je voudrais encore savoir une chose. N’avez-vous pas vu dès le début, lorsque vous avez été chargé, en tant que technicien, de la mise au point des plans d’agression contre la Russie, que cette attaque contre la Russie ne pourrait être lancée qu’en violation du droit des gens et des conventions qui liaient l’Allemagne ?
En violation du Droit international, oui, mais les conditions dans lesquelles ceci s’est effectivement passé étaient imprévisibles.
Je vous demande si vous avez vu clairement qu’il s’agissait d’atteinte au droit des gens et de violation de traités ?
Je savais qu’une agression ne pouvait avoir lieu qu’en violation du traité conclu avec la Russie à l’automne 1939.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Docteur Exner, j’ai déjà expliqué plusieurs fois au témoin et aux avocats qu’il est d’une importance essentielle de parler lentement, de ne poser qu’une question à la fois et de marquer un temps d’arrêt entre la question et la réponse, puis entre la réponse et la question suivante. Voulez-vous essayer d’observer cette règle ?
Témoin, vous avez entrepris en septembre 1940, à l’OKW, l’élaboration d’un plan d’opérations contre la Russie, c’est-à-dire que vous avez été chargé de mettre au point un travail déjà commencé. Savez-vous quel était à peu près à cette époque l’effectif des forces allemandes à l’Est ?
C’est à l’OKH que j’ai travaillé.
Oui, à l’OKH.
Je ne me souviens pas très bien des effectifs à l’Est. C’était peu après la campagne de France.
Vous ne savez pas combien il pouvait y avoir de divisions pour protéger les frontières allemandes à l’Est ?
Non, je ne m’en souviens plus.
En février 1941, on a commencé à faire des transports de troupes vers l’Est. Pouvez-vous nous dire alors quelles étaient les forces russes le long de la ligne de démarcation germano-russe et de la frontière roumaine ?
Non, je ne peux pas le dire. Les renseignements sur la Russie et sur les forces soviétiques étaient rares et incomplets, et pendant longtemps nous n’avons rien su à ce sujet.
Halder n’a-t-il pas, à plusieurs reprises, présenté des rapports au Führer sur les effectifs et la répartition des forces russes ?
C’est possible, je ne m’en souviens plus. A ce moment, ces questions n’étaient pas de mon ressort, je n’avais pas à m’occuper de ces projets tant qu’ils restaient théoriques. Le Service des opérations de l’Armée de terre fut chargé en décembre de leur mise au point.
Vous faisiez des manœuvres à ce moment ?
C’était au début de décembre.
Vous vous êtes sans doute basé sur les renseignements que vous aviez sur les forces de l’adversaire ?
Nous ne pouvions faire que des suppositions.
Vous avez activement coopéré à ce plan d’opérations, vous l’avez mis à l’essai par des manœuvres. Voulez-vous nous dire en quoi se différencie votre activité, par exemple, de celle de Jodl ?
Je ne crois pas que ce soit à moi de répondre à cette question.
Je ne comprends pas. Ce travail était bien du ressort de l’État-Major ?
Oui, c’était une tâche d’état-major qui me fut confiée par le chef de l’État-Major.
Oui, et l’activité de Jodl, en sa qualité de chef de l’État-Major de la Wehrmacht...
La différence réside, je crois, en ce qu’il avait un aperçu général, alors que je ne pouvais voir que des fragments, à savoir les détails indispensables à mes travaux.
Mais il s’agissait dans les deux cas d’une préparation d’état-major en vue de la guerre ?
Oui.
Je voudrais encore savoir quelque chose au sujet de Stalingrad. Dans votre déclaration écrite, vous prétendez que Keitel et Jodl étaient responsables de l’interdiction de capituler, qui eut de si tragiques conséquences. Comment le savez-vous ?
J’ai voulu dire que l’OKW était responsable de cet ordre. Peu importe qu’il émanât directement d’une personnalité quelconque. En tout cas, ils sont responsables de leur service.
En tout cas, vous ne savez pas si les deux officiers s’en sont occupés personnellement ? Vous pensez seulement que c’était...
L’OKW, qui est représenté par ces deux personnalités.
Une minute. L’interprète voudrait-il ne pas dire chaque fois « Question » et « Réponse », mais simplement donner les termes de la question et de la réponse. Le fait d’insérer « Question » et « Réponse », à mon avis, perd inutilement du temps et complique la traduction.
Pourquoi, quand la situation à Stalingrad devint sans espoir, comme vous l’avez déjà dit aujourd’hui, n’avez-vous pas capitulé, malgré l’ordre contraire du Führer ?
Parce qu’on m’avait dit que le fait de tenir avec mon armée décidait du sort du peuple allemand.
Saviez-vous que vous jouissiez de la confiance spéciale de Hitler ?
Je ne le savais pas.
Savez-vous qu’il avait décidé que vous succéderiez à Jodl en cas de succès à Stalingrad, parce qu’il ne voulait plus travailler avec Jodl ?
Sous cette forme, je n’ai jamais eu connaissance de ce dessein, mais une rumeur a circulé vers la fin de l’été ou en automne 1942 disant qu’on prévoyait un changement dans la direction. C’est une rumeur dont m’a parlé le chef de l’État-Major général de la Luftwaffe, mais je n’en ai jamais eu connaissance officiellement.
Par contre, j’ai appris que j’allais quitter mon armée pour prendre le commandement d’un nouveau groupe d’armées qui devait être constitué.
Vous souvenez-vous du télégramme que vous avez adressé au Führer lorsque vous avez été nommé maréchal à Stalingrad ?
Je n’ai pas envoyé de télégramme après ma nomination.
Vous n’avez absolument pas exprimé votre gratitude ?
Non.
Cela contredit les déclarations faites par d’autres personnes. On dit que vous êtes ou que vous avez été professeur à l’Académie de Guerre de Moscou. Est-ce vrai ?
Ce n’est pas vrai non plus.
Avez-vous eu une autre position à Moscou ?
Je ne suis jamais allé en Russie avant la guerre.
Mais maintenant, en captivité ?
J’ai été, comme mes camarades, dans un camp de prisonniers.
Étiez-vous membre du Comité de libération allemand ?
J’ai été membre d’un mouvement allemand comprenant des militaires de tous grades et des hommes de toutes les classes sociales, qui s’étaient donné pour tâche de retenir le peuple allemand au bord de l’abîme au dernier moment et de le pousser à détruire ce Gouvernement hitlérien qui a causé le malheur de tant de nations et de notre peuple en particulier.
Je l’ai fait dans un appel du 8 août 1944.
En août 1944 ?
Oui.
Auparavant, y aviez-vous eu une activité quelconque ?
Non, je n’y avais jamais eu d’activité auparavant.
Bien, je vous remercie.
Je n’ai que peu de questions à poser au témoin.
Témoin, lorsque vous avez pris votre poste en qualité de O.Q.-L, ne pensiez-vous pas que les préparatifs entrepris par le Generalmajor Marx et que vous deviez poursuivre, ne l’avaient été que pour répondre à une éventualité ?
Évidemment, on pouvait le penser. Mais bien vite, au cours du travail, il y eut des faits qui laissaient penser que ces préparatifs théoriques devaient trouver une utilisation pratique. En liaison avec l’élaboration du plan théorique dans lequel on envisageait dès le début l’exploitation du territoire roumain, on envoya à cette époque une importante mission militaire comprenant les groupes d’études d’une division blindée complète, et justement dans le territoire qui avait fait l’objet d’études théoriques. C’est ainsi que, peu à peu, nous avons eu l’assurance que ce plan serait certainement mis à exécution par la suite.
La raison de ma question est la suivante :
quand vous avez dit que le plan d’attaque existait déjà dès l’automne 1940, n’avez-vous pas indiqué une date un peu prématurée ?
J’ai fait hier une analyse détaillée des documents qui m’avaient été donnés pour ce plan d’offensive. Ces documents existaient dès le 3 septembre. Tout a été tiré de ces bases, et les événements se sont effectivement déroulés comme prévus.
Je veux dire ceci : ce plan aurait été tout d’abord préparé pour une attaque éventuelle, puis plus tard, la réalisation en aurait été décidée ?
Un examen rétrospectif prouve que les travaux préparatoires théoriques furent simplement mis en application.
Connaissez-vous l’ordre n° 18 de l’ancien Commandant en chef des Forces armées, du 12 novembre 1940 ?
Non, je ne m’en souviens pas.
Monsieur le Président, je me réfère au document qui m’a été remis par le Ministère Public américain, document PS-444. Témoin, je vous montre ce document, c’est à la page 8.
Je ne me souviens pas d’en avoir eu connaissance.
Témoin, voudriez-vous répéter votre réponse ?
Je ne me souviens pas d’avoir eu connaissance de ce document antérieurement.
Pour renseigner le Tribunal, je lis le passage que je viens de présenter au témoin, il est très court ; il s’agit de la page 8 du document PS-444.
Continuez, je vous en prie.
Ce paragraphe est ainsi conçu :
« 5. Russie. Des conférences politiques ont lieu dans le but d’éclairer l’attitude politique que peut prendre la Russie dans un prochain avenir. »
Témoin, quand vous aurez pris connaissance de ce passage, vous devez vous ranger à mon opinion, à savoir que la date à laquelle fut décidée l’agression contre la Russie devait être postérieure à celle que vous indiquez.
Je ne peux donner que le résultat de mon expérience personnelle et ma conception personnelle, basée sur un examen rétrospectif des faits, et je dois déclarer que, en reprenant toute l’évolution, je vois qu’il s’agissait d’un plan clair et continu, depuis la mise sur pied du projet, le 3 septembre 1940, jusqu’à sa réalisation pratique, en passant par l’ordre du 21 décembre. Quant à savoir à quel moment précis la décision définitive a été prise, cela sort évidemment du domaine de ma compétence.
Savez-vous qu’en 1939, l’Union Soviétique — d’après des experts militaires allemands — avait concentré en Pologne de très grandes forces qui — toujours d’après les experts allemands — étaient absolument disproportionnées à la tâche qu’elles avaient à accomplir ?
Je n’avais aucune idée des effectifs de l’Armée d’invasion. Je savais seulement que l’Union Soviétique a envahi la Pologne. Mais je n’ai jamais entendu parler d’étonnement provoqué par l’importance des forces engagées.
Savez-vous qu’avant que les armées allemandes aient franchi la frontière de l’Est, il y avait déjà des forces russes massées à la frontière, surtout d’importantes forces de blindés du côté de Bialystok ?
Non, je ne l’ai jamais su sous cette forme.
Les premières divisions transférées de l’Ouest à l’Est ne l’ont-elles pas été seulement après que des forces russes eurent été massées à la frontière ?
Je ne sais rien des rapports entre les mouvements de troupes de l’Ouest à l’Est et l’exécution pratique de ce plan, car je n’ai pas pris part moi-même à cette exécution. D’ailleurs, pendant les mois d’avril et de mai, je n’ai été que très peu de temps à l’OKH, car j’avais alors d’autres fonctions.
Témoin, vous disiez hier qu’au cours d’une conférence qui eut lieu à la fin du mois de mars 1940 à la Chancellerie du Reich, le général Halder vous avait donné plusieurs raisons d’attaquer la Yougoslavie.
Vous avez indiqué comme premier point la suppression du danger menaçant l’aile droite ; deuxièmement, la prise de la ligne de chemin de fer de Nish et troisièmement la libération de l’aile droite en cas d’une attaque contre la Russie. N’y avait-il pas d’autres raisons à cette attaque, des raisons beaucoup plus importantes que celles que vous avez indiquées ?
Je n’en connais pas d’autres.
Par cette attaque contre la Yougoslavie, ne voulait-on pas soulager l’Italie ?
Oui, naturellement, et c’était aussi le point de départ d’une opération contre la Grèce. On voulait écarter le danger menaçant les flancs, en cas d’une invasion de la Grèce partant de la Bulgarie.
N’y avait-il pas à craindre une collusion de la Yougoslavie et de la Grèce qui eût permis aux Anglais de débarquer sur les côtes grecques et d’atteindre les terrains pétrolifères de Roumanie ?
Oui, rendre impossible l’exécution du « Cas Barbarossa » en menaçant le flanc droit.
J’ai reçu des informations différentes au sujet du « Cas Barbarossa » qui n’aurait pas joué dans la décision de l’attaque de la Yougoslavie le rôle essentiel que vous lui attribuiez hier ?
Il n’était pas exécutable après un débarquement anglais et l’occupation des territoires grec et yougoslave par l’ennemi.
Nous pourrions maintenant suspendre l’audience.
On vient de m’informer que les interprètes répétaient les mots « Question » et « Réponse » avant de donner les citations pour aider les sténotypistes et la presse ; les interprètes peuvent donc continuer à employer les mots « Question » et « Réponse » avant d’en donner le texte. Ce fait rend encore plus évident que le seul moyen d’éviter les difficultés présentes consiste à faire une pause entre les questions et les réponses. Il nous semble que le Procureur et le témoin ont la possibilité de saisir le moment où l’on traduit la question, et le témoin doit donner sa réponse quand la traduction sera terminée. Après la traduction de la réponse que le Procureur a pu entendre, il peut poser la question suivante. M’avez-vous compris ?
Témoin, nous venons de parler de l’attaque contre la Yougoslavie. Si je vous ai bien compris, vous avez dit que cette attaque devait être exécutée à tout prix avant le début de l’opération « Barbarossa » afin de protéger les flancs ?
Oui.
Vous avez dit hier que la révolution en Yougoslavie obligea Hitler à attaquer ce pays. Savez-vous si de tels plans d’attaque existaient avant cette révolution ?
Je n’en sais rien.
Savez-vous que l’opération d’agression contre la Yougoslavie était inopportune et fut la cause du retard que subit l’attaque contre l’URSS ?
Je l’ai dit moi-même hier. Le début de l’attaque, qu’on avait prévue pour mi-mai, si les conditions atmosphériques le permettaient, fut en effet repoussé.
Mais il y a une certaine contradiction à dire que l’attaque contre la Yougoslavie a été exécutée à cette époque quoiqu’elle ne soit pas bien venue, puisqu’elle retardait l’agression contre l’URSS.
Je n’y vois aucune contradiction. Autant que j’ai pu le savoir, le Gouvernement yougoslave avait signé un accord mettant à notre disposition la ligne de chemin de fer de Belgrade à Nish, mais qu’après la signature de cet accord eut lieu en Yougoslavie un changement de politique ; cependant, on croyait exclure ce danger en ayant recours à l’agression. La décision d’attaquer la Yougoslavie et de retarder l’opération « Barbarossa » n’est pas en contradiction avec le « Cas Barbarossa », c’est au contraire une condition préliminaire de l’exécution de celui-ci.
Témoin, étiez-vous présent à la conférence de l’État-Major général du 3 février 1941, à l’Obersalzberg ?
Oui.
Saviez-vous qu’à cette époque les forces soviétiques étaient évaluées à 100 divisions d’infanterie, 25 divisions de cavalerie et 30 divisions motorisées, d’après le rapport du général Halder ?
Je ne m’en souviens pas et je ne suis pas certain que le général Halder ait été présent à cette conférence.
Témoin, une telle conférence était certainement exceptionnelle ?
Oui.
Je crois que cette conférence a dû au moins donner l’impression qu’il s’agissait d’une très importante concentration de troupes sur le front de l’Est ?
Dans mon souvenir, je n’ai pas cette impression.
Au début de l’attaque contre l’URSS, vous étiez encore O.Q.-I. ?
Oui.
Comme on me l’a signalé entre temps, les fonctions de ce service consistaient, entre autres, à présenter des suggestions positives pour les opérations militaires.
Ce fut le cas à un moment où les tâches étaient réparties différemment. Mais, lorsque j’étais quartier-maître général, je n’assurais pas ces fonctions. Le service d’opérations ne dépendait pas de moi, mais directement du chef de l’État-Major. J’ai été d’abord chargé du service d’instruction, puis du service d’organisation en automne 1941. Il n’entrait pas dans mes attributions de faire des suggestions au chef de l’État-Major général concernant les opérations en cours ou autres. Je devais uniquement exécuter les ordres qu’il me donnait.
Témoin, pouvez-vous nous renseigner sur la façon dont furent traités les prisonniers de guerre allemands dans l’Union Soviétique ?
C’est une question autour de laquelle on fit cette propagande incroyable qui a amené le suicide à Stalingrad de tant d’hommes et d’officiers allemands, et je me suis promis de la considérer dans l’intérêt de la vérité.
Un moment. Le contre-interrogatoire doit consister en questions pertinentes pour les problèmes que nous avons à juger ou concernant le crédit que nous devons accorder aux déclarations du témoin. Le traitement des prisonniers de guerre allemands par l’Union Soviétique n’a absolument rien à voir avec l’objet du présent Procès et le crédit que nous devons accorder au témoin. Le Tribunal écarte donc la question.
Monsieur le Président, puis-je faire une déclaration justifiant ma question ?
Oui.
Je ne voulais poser cette question que pour la raison suivante : savoir quel était réellement le traitement des prisonniers allemands pour que beaucoup de familles qui s’inquiètent à ce sujet aient des renseignements qui les rassurent.
Le Tribunal pense que c’est un sujet qui ne l’intéresse pas.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Témoin, connaissez-vous l’accusé Fritzsche ?
Oui.
Savez-vous qu’au cours de l’été et de l’automne 1942 il était dans votre armée ?
Oui.
Témoin, au cours de ce Procès, on a parlé de l’ordre de l’OKW que, d’après ce que je viens d’entendre, vous aviez vivement critiqué et d’après lequel tous les commissaires de l’Armée rouge devaient être exécutés. Avez-vous vu cet ordre ?
Oui, j’en ai eu connaissance.
Vous souvenez-vous si l’accusé Fritzsche, après avoir pris connaissance de cet ordre pendant son service, vous a proposé ainsi qu’à votre adjoint de faire lever cet ordre pour votre armée ?
Je ne peux me souvenir de ce fait. Il est tout à fait possible que Fritzsche ait discuté de cette question à l’OKH, mais, au moment où j’ai pris le commandement de mon armée le 20 janvier, cet ordre n’avait pas été mis à exécution dans mon ressort. Autant que je sache, cet ordre, qui pratiquement n’a pas été mis en exécution, a été effectivement annulé.
Je voudrais vous poser une autre question, qui peut-être vous rafraîchira la mémoire, vous vous souvenez peut-être que Fritzsche vous a proposé, à vous ou à votre officier d’ordonnance, de distribuer sur le front russe des tracts dont le texte exprimait la même idée ?
Personnellement, je ne puis m’en souvenir, mais il est tout à fait possible qu’il ait eu cet entretien avec l’officier d’ordonnance, qui était d’ailleurs compétent.
Une dernière question : d’après ce que vous connaissez du caractère de Fritzsche, croyez-vous possible et probable qu’il ait fait cette proposition ?
Oui, certainement.
Dans vos fonctions, vous avez soutenu Hitler jusqu’au bout, quoique vous ayez su qu’il allait engager une guerre d’agression. Dans quelle mesure les chefs politiques étaient-ils au courant de tous ces faits ?
Je ne puis répondre à cette question car je ne suis pas compétent.
Qu’entendez-vous par chefs politiques ?
Puis-je vous répondre par une autre question : que sont pour vous-même ces « chefs politiques » au sujet desquels vous me questionnez ?
Témoin, il me semble que vous ne connaissez pas l’organisation du Parti. Il s’agit d’une organisation de chefs politiques qui est poursuivie devant ce Tribunal. Ils sont déclarés criminels, des Reichsleiter aux Blockleiter et peuvent être condamnés pour avoir participé au complot organisé en vue de commettre les actes qui sont jugés ici. Cette organisation de chefs politiques est composée de telle sorte que 93 % sont des chefs de groupes locaux avec leurs états-majors et leurs subordonnés.
Je ne pense pas que vous puissiez interroger le témoin sur un sujet dont il ne connaît rien. L’accusation contre les dirigeants politiques ne le concerne pas. D’autre part, je ne crois pas que cet interrogatoire soit mené d’une façon régulière.
Monsieur le Président, je voulais lui demander dans quelle mesure les chefs politiques avaient connaissance de ces faits, puis je voulais encore lui demander s’il avait conscience d’avoir contribué à créer un état de fait, les chefs politiques soutenant Hitler parce qu’ils croyaient à la structure factice que le témoin lui-même avait aidé à édifier.
Il vous a déjà dit qu’il ne savait pas ce que les chefs politiques pouvaient connaître de la situation.
Alors, j’ai une autre question à poser. Je représente aussi l’accusé Sauckel qui est responsable du recrutement de la main-d’œuvre. Savez-vous si des prisonniers allemands ont été employés dans les usines d’armement russes ?
Je n’ai pas de renseignements authentiques ou personnels sur ce point. Les prisonniers que j’ai vus dans les camps où je suis passé travaillaient pour les besoins immédiats de ce camp ou à proximité. Ils étaient employés à des travaux agricoles ou forestiers. J’ai appris également par les journaux que des unités de travailleurs volontaires travaillaient dans l’industrie, ils étaient fiers de leur rendement. J’ignore cependant dans quelle branche de l’industrie ils étaient employés.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
A la suite d’une déclaration que vous avez faite hier, on vous a demandé aujourd’hui dans quelle mesure chaque membre du Gouvernement pouvait être au courant des décisions importantes. J’ai conclu de vos réponses que le Gouvernement du Reich ne constituait pas pour vous un organisme homogène. Dans ce Procès, nous nous heurtons toujours à une difficulté. On pense, en particulier, que les décisions militaires ou politiques sont prises ordinairement au sein d’un organisme gouvernemental groupant des personnalités importantes ou, en d’autres termes, à l’État-Major général, que les questions sont discutées et résolues au sein d’un petit groupe qui est partie intégrante d’un plus vaste organisme. Témoin, d’après les connaissances que vous avez pu acquérir en raison de l’importante position que vous occupiez, pouvez-vous nous dire s’il en est bien ainsi du Gouvernement d’Adolf Hitler ? Adolf Hitler, étant dans sa personnalité et ses méthodes — pour parler poliment — un homme « singulier », a-t-il employé un système absolument différent ? N’a-t-il pas pris lui-même toutes les décisions, du moins en collaboration étroite avec très peu de collaborateurs, et ne pourrions-nous pas déduire que des personnalités dirigeantes politiques ou militaires n’avaient pas connaissance d’événements imminents ?
Je dois dire à ce sujet que mes fonctions à l’État-Major général de l’Armée ne m’ont pas donné l’occasion de savoir ce qui se passait au sein du Cabinet allemand. J’imagine le corps des dirigeants d’une nation comme un groupe qui, indépendamment des méthodes employées par l’État, se considère comme responsable vis-à-vis du peuple des actes du Gouvernement et n’accepte pas de couvrir n’importe quels agissements, même du chef de l’État (dans le cas qui nous occupe, Hitler, avec ses brutales méthodes d’autocratie), mais qui devrait intervenir, même si on ne l’exige pas de lui, en prenant à temps les mesures nécessaires, au plus tard quand il devient évident pour tout le monde que le Gouvernement est dirigé par un fou criminel.
Témoin, vous appartenez à ce que j’ai appelé le deuxième cercle du peuple. Or, il est de fait que vous n’êtes pas intervenu, et vous aviez sans doute des raisons très importantes de ne pas le faire. Je crois qu’il vaut mieux que vous ne portiez pas de jugement sur les personnalités, mais que vous répondiez aux questions que je vous pose et qui se rapportent à des faits.
Je vous demanderais donc si, d’après ce que vous avez appris, non seulement dans l’Armée, mais aussi dans la vie publique où vous aviez une position importante — et nous n’avons pas ici à porter de jugement sur ce point — vous saviez ce qu’étaient ces méthodes dans les domaines politique et militaire. D’après ce que vous savez, les décisions étaient-elles prises après consultation d’un groupe important de personnalités politiques ou militaires, ou dans un cercle beaucoup plus restreint, et quelquefois sans doute par Hitler seul ?
Je ne sais pas comment étaient prises les décisions du Gouvernement du Reich. Par conséquent, je n’ai donné dans ma précédente réponse que mon opinion personnelle à ce sujet et je crois avoir ainsi répondu à la question. Je ne peux pas imaginer qu’un homme ait pu faire seul tout ce qui a été fait. Pour dominer même dans un cercle restreint, il lui fallait l’aide de ses collaborateurs directs. En d’autres termes, il lui eût été impossible de réaliser ses buts d’une autre manière.
Quand vous parlez de ses collaborateurs les plus intimes, pensez-vous qu’un ministre compétent, le ministre du Travail ou un autre spécialiste, ait pu être consulté par Hitler au sujet des plans d’agression ?
Avocat, le témoin a déjà dit qu’il ne sait pas comment étaient prises les décisions du Gouvernement du Reich. Ce qu’il peut penser à ce sujet n’est pas pertinent. Il ne sait rien.
Témoin, avez-vous l’impression que les plans d’attaque de Hitler avaient été projetés plusieurs années à l’avance, ou pensez-vous que Hitler les ait établis sous la pression des événements, grâce à l’intuition que vous lui reconnaissez ?
Je l’ignore absolument. Mes observations portent sur la période qui va du 3 septembre 1940 à janvier 1942. J’ai exposé hier ce que j’avais observé durant cette période. Je ne sais rien de la période antérieure.
Témoin, vous venez de dire que vous étiez membre d’une organisation qui avait pour but de sauver l’Allemagne du désastre. Je vous demande donc quels moyens vous aviez à votre disposition, vous et vos camarades de ce groupe, pour réaliser ces desseins ?
Nous avions la possibilité de nous faire entendre du peuple allemand. Nous avons estimé qu’il était de notre devoir de lui faire savoir ce que nous pensions non seulement des événements militaires, mais aussi des événements du 20 juillet, et de lui exposer les convictions auxquelles nous étions arrivés.
Cette initiative provenait surtout des rangs de l’armée que j’ai commandée à Stalingrad. Là, nous avons vu comment les ordres de ces chefs politiques et militaires que nous désavouions ont fait périr de faim et de froid plus de 100.000 soldats. Là, nous avons connu toutes les horreurs et les terreurs de la guerre de conquête.
Aviez-vous, en dehors de la propagande, d’autres possibilités d’intervenir ?
En dehors de la propagande par la radio et les journaux que nous avions créés, nous n’avions pas d’autres possibilités d’atteindre le peuple allemand.
En quoi cela concerne-t-il le présent Procès ?
Je voulais seulement préciser les conclusions que j’en peux tirer quant au crédit à accorder à ce témoin.
Je ne vois pas quel rapport cela peut avoir avec la bonne foi du témoin.
Peut-être savons-nous que le témoin disposait d’autres possibilités dont il n’a pas voulu parler.
Le Tribunal estime que ce que le témoin a pensé ou a fait, lorsqu’il était prisonnier de guerre aux mains des Russes, n’a rien à voir avec sa bonne foi, du moins en ce qui concerne les questions qui lui ont été posées, il n’autorise pas à poser ces questions.
Puis-je avoir l’autorisation de poser encore une question au témoin ?
Certainement.
Avez-vous, pendant votre captivité, eu l’occasion de mettre vos connaissances militaires à la disposition d’une puissance quelconque ?
D’aucune façon, et en aucun cas.
Je vous remercie.
Il me semble que cela termine le contre-interrogatoire. Le Ministère Public soviétique désire-t-il encore poser quelques questions au témoin ?
Non, Monsieur le Président, nous estimons que toutes les questions sont éclaircies.
Général, vous avez dit que, lorsque vous êtes devenu quartier-maître général de l’Armée de terre, le 3 septembre 1940, vous avez trouvé un plan d’agression contre l’Union Soviétique encore inachevé. Savez-vous depuis combien de temps on travaillait à ce plan, avant que vous l’ayez vu ?
Je ne peux pas indiquer avec précision la durée de la période de préparation, mais j’estime qu’elle devait être de deux à trois semaines.
Savez-vous qui avait donné les ordres pour la préparation de ce plan ?
Je suppose qu’ils émanaient de la même source, à savoir l’OKW, en passant par l’OKH. Le chef de l’État-Major général avait présenté au Generalmajor Marx les documents qu’il m’avait remis à moi-même.
Aux conférences sur le « Cas Barbarossa », combien de membres de l’État-Major général et de l’OKW étaient généralement présents ?
Les services intéressés étaient représentés, le département des opérations, le département des « Armées étrangères », le général chargé du service des approvisionnements et le chef du département des transports. C’étaient en général les principaux départements intéressés.
Combien de membres de l’État-Major allemand et du Haut Commandement des Forces armées allemandes étaient au courant des ordres et des directives, au moment de leur signature ?
Durant la période de préparation des ordres de marche effectifs, c’est-à-dire jusqu’en décembre, à peu près tous les officiers d’État-Major furent mis au courant de ce plan. Combien d’entre eux le connaissaient auparavant, je ne peux plus l’indiquer avec précision.
C’est tout ce que je voulais demander.
Que représentait exactement l’État-Major de l’Armée allemande ? S’occupait-il seulement de l’examen des questions techniques, et était-il un appareil chargé d’examiner les problèmes techniques, d’après les instructions du Haut Commandement, ou bien formait-il un organisme indépendant qui préparait et étudiait ses propres plans pour les soumettre ensuite au Haut Commandement ?
A mon avis, c’était un organisme d’exécution technique, chargé d’exécuter des instructions données.
Ainsi, l’État-Major était simplement un appareil technique ?
Oui, pratiquement. L’État-Major était un organisme consultatif auprès du chef suprême et non un organisme exécutif.
L’État-Major exécutait-il consciencieusement les indications qu’il recevait du Haut Commandement ?
Je n’ai pas très bien compris la première partie de cette question. Pouvez-vous la répéter ?
Dans quelle mesure l’État-Major remplissait-il les instructions qu’il recevait du Haut Commandement ?
Il exécutait complètement ces instructions.
Existait-il des divergences entre l’État-Major et le Haut Commandement ?
Il y avait certaines divergences de vue, sans que je puisse maintenant les préciser. Dans tous les cas, je sais par mon chef direct qu’il avait eu très souvent des divergences de vue avec l’OKW.
Les officiers qui n’étaient pas d’accord avec la politique du Haut Commandement pouvaient-ils, sont-ils en fait restés au service de l’État-Major ?
La question politique n’entrait pas en jeu dans ces cas-là. En général, on ne discutait pas de questions politiques à l’État-Major général de l’Armée.
Je ne parle pas de questions politiques dans un sens étroit, je parle de la politique de préparation à la guerre, de la politique d’agression et de conquête : voilà ce que je voulais dire. Saviez-vous que cette politique visait à transformer la zone de l’URSS occupée par les troupes allemandes...
Je n’ai jamais été au courant des plans détaillés. Mes connaissances se bornaient aux projets de ce qu’on appelait le « Dossier Vert », pour l’exploitation du pays.
Qu’entendez-vous par exploitation ?
L’exploitation économique du pays, pour se servir de ses ressources, afin de terminer la guerre à l’Ouest et d’assurer à l’avenir l’hégémonie en Europe.
Le caractère de cette exploitation était-il différent de celui de l’exploitation des ressources économiques à l’intérieur de l’Allemagne ?
Je n’ai pas d’impression personnelle à ce sujet, car je n’ai commandé l’Armée en Russie que pendant neuf mois, ayant été fait prisonnier dès janvier 1943.
Que savez-vous des directives données par certains organismes gouvernementaux en Allemagne et par le Haut Commandement concernant les relations entre l’Armée et la population soviétique ?
Je me souviens que nous avons reçu des instructions à cet effet, mais je n’en sais plus très bien la date. Ces instructions donnaient des directives générales pour la conduite de la guerre à l’Est. Je crois que cette ordonnance générale était contenue également dans le « Dossier Vert », mais il peut y avoir eu d’autres ordres particuliers, donnés séparément, spécifiant qu’il ne fallait pas avoir d’égards spéciaux envers la population.
Qu’entendez-vous. par les termes « ne pas avoir d’égards spéciaux... » ? Peut-être la traduction n’est-elle pas exacte ?
Cela voulait dire que seules les nécessités militaires devaient être prises en considération lorsqu’on avait des mesures à prendre.
Aviez-vous, sous votre commandement, des divisions exclusivement formées de troupes SS ?
Durant toute la période où je commandais mon armée, je n’ai jamais eu de troupes SS sous mon commandement, autant que je m’en souvienne. A Stalingrad, j’avais vingt divisions motorisées, blindées et d’infanterie allemandes, et deux divisions roumaines, mais pas d’unités SS.
Je suppose que les SA ne constituaient pas des unités militaires ?
Je n’ai jamais entendu parler d’unités SA, mais l’existence d’unités SS est bien connue.
Est-ce que vous aviez des unités de la Gestapo attachées à votre armée ?
Non, je n’en avais pas non plus.
Général Rudenko, je vous ai bien demandé, n’est-ce pas, si vous aviez encore des questions à poser au témoin, et vous avez répondu non ?
C’est exact.
Le témoin peut se retirer.
Je me suis arrêté hier à la question des rapports entre les conspirateurs fascistes et les agresseurs roumains. Il me semble que le moment est venu de lire les dépositions de Ion Antonesco, qui se trouvent entre les mains du Ministère Public soviétique. L’interrogatoire d’Antonesco a été mené conformément aux lois en vigueur dans l’Union Soviétique, et je présente ce document au Tribunal sous le n° URSS-153. Le texte de cette déposition présente un intérêt tout particulier en révélant la nature des rapports entre l’Allemagne et ses satellites. Je crois indispensable de lire la plus grande partie de cette déposition, à partir du deuxième alinéa de la page 1 du procès-verbal. Dans le livre de documents, cela correspond aux pages 63 et 64. Je cite :
« Pendant tout le temps que je fus au pouvoir en Roumanie — déclare Ion Antonesco dans sa déposition — je poursuivis la politique de consolidation des liens avec l’Allemagne pour reprendre avec son aide l’entraînement et l’armement de l’Armée roumaine. A cet effet je rencontrai plusieurs fois Hitler.
« La première rencontre avec Hitler eut lieu en novembre 1940 ;
j’étais depuis peu chef du Gouvernement roumain. Cette rencontre eut lieu sur mon initiative, à Berlin, dans la résidence officielle de Hitler, en présence du ministre des Affaires étrangères allemand Ribbentrop et de l’interprète personnel de Hitler, Schmidt.
« L’entretien avec Hitler dura plus de quatre heures. J’assurai Hitler que la Roumanie demeurait fidèle à l’accord conclu antérieurement, qui prévoyait l’adhésion de la Roumanie au Pacte Tripartite. En réponse à ces assurances de fidélité et d’alliance avec l’Allemagne, Hitler déclara que les soldats allemands garantiraient les frontières de la Roumanie. En même temps, Hitler me laissa entendre que l’arbitrage de Vienne ne devait pas être considéré comme définitif et me fit comprendre ainsi que la Roumanie pouvait compter sur une révision de la décision prise à Vienne au sujet de la Transylvanie.
« Je me mis d’accord avec Hitler pour que la mission militaire allemande en Roumanie continuât son travail de réorganisation de l’Armée roumaine sur le modèle allemand ; je conclus également un accord économique aux termes duquel les Allemands livreraient à la Roumanie des avions Messerschmitt 109, des chars de combat, des tracteurs, des canons anti-aériens et anti-chars, des armes automatiques et d’autres armements et recevraient en contre-partie de la Roumanie du blé et de l’essence pour les besoins de l’Armée allemande.
« A la question posée : peut-on considérer ce premier entretien avec Hitler comme le commencement de mon accord avec les Allemands pour la préparation de la guerre contre l’Union Soviétique ? Je réponds affirmativement. En élaborant les plans d’agression contre l’Union Soviétique, Hitler tenait certainement compte de cette circonstance.
« En janvier 1941, je fus invité, par l’intermédiaire de l’ambassadeur allemand en Roumanie, Fabricius, à me rendre en Allemagne, pour rencontrer une seconde fois Hitler à Berchtesgaden. Étaient présents : Ribbentrop, Fabricius et Killinger, qui venait d’être nommé ambassadeur allemand à Bucarest. Y assistaient en outre le maréchal Keitel et le général Jodl, comme représentants de la Wehrmacht.
« Au début de la conversation, quand il me présenta Killinger, Hitler souligna que ce dernier était un de ses amis intimes. Là-dessus, Hitler, examinant la situation militaire dans les Balkans, déclara que Mussolini, à la suite de l’échec italien dans la guerre contre la Grèce, avait fait appel à lui pour qu’on le secourût et que lui, Hitler, avait l’intention d’accorder assistance à l’Italie. A cet effet, Hitler me demanda de laisser passer par la Roumanie les troupes allemandes concentrées sur le territoire hongrois afin qu’elles puissent rapidement porter secours aux Italiens.
« Considérant que le passage de troupes allemandes à travers la Roumanie en direction des Balkans constituerait un acte d’hostilité envers l’Union Soviétique, je demandai à Hitler quelle serait, selon lui, la réaction du Gouvernement soviétique.
« Hitler me rappela que, lors de notre première rencontre, en novembre 1940, il avait déjà donné à la Roumanie des garanties, en prenant l’engagement de la défendre par la force des armes. J’exprimai la crainte que le passage des troupes allemandes à travers la Roumanie pût servir de prétexte à une opération militaire de la part de l’Union Soviétique ; la Roumanie se trouverait alors dans une position difficile, car la mobilisation de l’Armée roumaine n’était pas achevée.
« Hitler rétorqua qu’il donnerait l’ordre de laisser en Roumanie une partie des troupes allemandes destinées à participer aux opérations contre la Grèce. Hitler souligna également que les renseignements qu’il avait reçus prouvaient que l’Union Soviétique n’avait l’intention de mener une guerre ni contre l’Allemagne ni contre la Roumanie.
« Satisfait de cette déclaration de Hitler, je consentis à laisser passer les troupes allemandes à travers le territoire roumain.
« Le général Jodl, qui était présent à la conférence, me définit la situation stratégique de l’Armée allemande, en soulignant la nécessité de porter un coup à la Grèce du côté de la Bulgarie.
« Ma troisième rencontre avec Hitler eut lieu en mai 1941 à Munich. Au cours de cet entretien, auquel assistaient également Ribbentrop et l’interprète personnel de Hitler, Schmidt, nous nous mîmes définitivement d’accord pour lancer une attaque concertée contre l’Union Soviétique.
« Hitler me fit part de sa décision d’attaquer par les armes l’Union Soviétique. Une fois les préparatifs d’attaque terminés, dit Hitler, nous devrons l’exécuter brusquement, sur toute l’étendue des frontières de l’Union Soviétique, de la mer Noire à la Baltique.
« La soudaineté de l’agression militaire, poursuivit Hitler, donnera à l’Allemagne et à la Roumanie la possibilité de se débarrasser rapidement de l’un de nos plus dangereux adversaires.
« En accord avec ses plans militaires, Hitler me demanda de permettre la concentration de troupes allemandes sur le territoire roumain et de participer directement à l’agression contre l’Union Soviétique. Hitler souligna que la Roumanie ne devait pas rester en dehors de cette guerre car, si elle désirait le retour de la Bessarabie et de la Bukovine du nord, elle n’avait pas d’autre choix que de combattre aux côtés de l’Allemagne. En retour de notre aide militaire, déclara-t-il en outre, la Roumanie pourrait occuper et administrer d’autres territoires soviétiques s’étendant jusqu’au Dniepr.
« Comme la proposition que me faisait Hitler de déclencher une guerre commune contre l’URSS correspondait à mes intentions agressives, je consentis à prendre part à l’attaque contre l’Union Soviétique, en m’engageant à fournir le nombre requis de troupes roumaines et à augmenter, en même temps, les livraisons de pétrole et de produits agricoles nécessaires à l’Armée allemande.
« Avant de prendre la décision d’attaquer la Russie, je demandai à Hitler s’il existait un accord avec la Hongrie, au sujet de sa participation à la guerre. Hitler répondit que les Hongrois avaient déjà signifié qu’ils consentaient à participer avec l’Allemagne à la guerre contre l’URSS. Hitler ne me dit pas quand avait été conclu cet accord.
« Dès mon retour de Munich à Bucarest, j’entrepris activement les préparatifs de cette campagne prochaine. »
Antonesco termine sa déposition comme suit (voir la page 67 du livre de documents, au dernier paragraphe) :
« Après l’invasion du territoire soviétique, les troupes roumaines, sous mon commandement suprême, prêtèrent une aide considérable aux Allemands. Hitler m’adressa par la suite une lettre exprimant sa gratitude à l’Armée roumaine et à moi-même. »
La date du début des préparatifs de guerre de la Roumanie contre l’Union Soviétique peut être précisée d’après les dépositions de l’ex-vice-ministre du Gouvernement roumain, Michel Antonesco, qui fut également interrogé par les autorités soviétiques, sur la demande du Ministère Public soviétique. Je présente maintenant son témoignage au Tribunal sous le n° URSS-152. Je ne citerai pas en détail le contenu de ces déclarations car, sur la plupart des points, elles répètent les dépositions de Ion Antonesco. Je vais me référer simplement à quelques articles de ces déclarations. A la page 1 du texte russe, j’attire votre attention sur les paragraphes 1, 2 et 5. Dans le livre de documents, ceci correspond à la page 68 :
« Au mois de novembre 1940, le maréchal Antonesco, accompagné du ministre des Affaires étrangères, le prince Struza, se rendit en Allemagne où il eut un entretien avec Hitler. Au cours de cette conversation avec Hitler, le maréchal Antonesco signa un accord aux termes duquel la Roumanie adhérait au « Pacte Tripartite » et reçut de Hitler la promesse d’une révision ultérieure, en faveur de la Roumanie, du Traité d’arbitrage de Vienne. Ce premier voyage du maréchal Antonesco inaugura la politique qui conduisit finalement à l’agression concertée de l’Allemagne et de la Roumanie contre l’Union Soviétique. »
Messieurs les Juges, les déclarations du témoin Paulus et celles de Ion Antonesco et de Michel Antonesco, qui viennent d’être présentées au Tribunal, justifient les affirmations suivantes du Ministère Public soviétique :
1. La décision d’envoyer en Roumanie une mission militaire de l’État-Major allemand pour la réorganisation de l’Armée roumaine en vue d’une agression contre l’URSS fut prise dès le 1er septembre 1940, c’est-à-dire au moins neuf mois avant l’agression contre l’URSS.
2. Au mois de novembre de cette même année, les préparatifs militaires de la Roumanie étaient en plein développement.
Je crois qu’il est temps de suspendre l’audience.