CINQUANTE-SEPTIÈME JOURNÉE.
Lundi 12 février 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, en poursuivant mon exposé, j’avais l’intention de lire au Tribunal la déposition du général de l’ex-année allemande Buschenhagen. Je remets à plus tard la lecture de cette déposition, étant donné que le Ministère Public soviétique a la possibilité d’interroger ce témoin à l’audience même. En conséquence, je demande au Tribunal l’autorisation d’introduire ce témoin et de l’interroger ici-même.
Voulez-vous l’appeler maintenant ?
Ce serait préférable pour des raisons techniques et en même temps, cela faciliterait le travail du Ministère Public.
C’est entendu.
Quel est votre nom ?
Erich Buschenhagen.
Voulez-vous répéter après moi les paroles du serment : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient de dire toute la vérité, rien que la vérité, de ne rien celer et de ne rien ajouter. »
(Le témoin prête serment en allemand.)Témoin, veuillez dire au Tribunal où et quand vous êtes né ?
Je suis né le 12 décembre 1895 à Strasbourg, en Alsace.
Voulez-vous préciser quel était votre dernier grade militaire ?
J’étais général d’infanterie de l’Armée allemande, mon dernier grade était celui de général commandant le 52e Corps d’armée.
Voulez-vous me dire, je vous prie, si vous avez demandé, le 26 décembre 1946, à faire une déclaration au procès de Helsinki ?
Oui.
Confirmez-vous maintenant cette déposition ?
Oui.
Dites-nous, je vous prie, ce que vous savez sur la préparation de l’agression allemande contre l’Union Soviétique.
A la fin décembre 1940, en tant que chef d’état-major des troupes allemandes en Norvège, je fus mandé à l’OKH, par le chef de l’État-Major général Halder, pour une conférence avec le chef de l’État-Major des groupes d’armées et armées autonomes, dont dépendait ma propre armée. Au cours de cette conférence, on nous fit part de la directive n° 21 de l’OKW, le « Cas Barbarossa », daté du 18 décembre 1940. On nous indiqua, en plusieurs séances, les raisons fondamentales des opérations projetées contre la Russie Soviétique.
Cette directive m’apprit que certains effectifs de mon armée prendraient part à cette offensive. Je m’intéressai donc vivement à un certain exposé que fit le chef d’État-Major de l’Armée finlandaise, le général Heinrichs, qui se trouvait alors à l’OKH. Il décrivit à cette occasion, les opérations de la campagne d’hiver dans la guerre entre la Finlande et l’Union Soviétique. Il fit un récit des méthodes de combat de l’Armée rouge et de la valeur combative des deux Armées.
Le général Heinrichs eut aussi des entretiens avec le général Halder, auxquels je ne fus pas présent, mais je suppose qu’ils étudièrent les possibilités de coopération entre les Armées allemande et finlandaise, en cas de conflit germano-soviétique. Depuis l’automne 1940, il existait une collaboration militaire germano-finlandaise. L’Aviation allemande avait conclu un accord avec l’Etat-Major général finlandais, permettant le transit de troupes et de matériel du nord de la Norvège aux ports finlandais. A la suite de négociations, qui furent menées par l’attaché militaire allemand à Helsinki, sur l’ordre de l’OKW, cette permission de transit s’étendit pendant l’hiver 1940 et devint une liberté complète de transit pour la Wehrmacht, du nord de la Norvège aux ports finlandais. Pour régler ce trafic, un centre administratif militaire allemand fut créé dans la capitale de la Laponie, Rovanjemi, et un détachement de transport de l’Armée allemande fut stationné sur les bords du détroit arctique de Rovanjemi et de Petsamo-Rovan-jemi. En outre, des dépôts d’approvisionnement furent établis sur cette voie qui longe la mer arctique et le long de la voie ferroviaire qui relie Rovanjemi à la côte sud de la Finlande. En décembre ou janvier 1941, j’eus des entretiens avec l’OKW sur la coopération de troupes finlandaises dans certaines attaques dirigées contre l’Union Soviétique.
Avez-vous eu, à l’occasion, des entretiens avec l’État-Major général finlandais au sujet d’opérations combinées contre l’Union Soviétique ?
Je n’ai pas compris la dernière question.
Avez-vous eu l’occasion de vous entretenir avec l’État-Major général finlandais au sujet d’opérations combinées contre l’Union Soviétique ?
Oui, certainement.
Dites-nous qui vous a chargé de mener ces entretiens et comment se déroulèrent-ils ?
Je recevais des ordres et les pouvoirs de négocier de l’OKW, qui représentait pour moi et pour mon armée l’autorité supérieure immédiate. En février 1941, après que la situation se fut éclaircie, en ce qui concernait la participation des troupes de Norvège stationnées en Finlande, je reçus l’ordre d’aller à Helsinki pour y prendre contact personnellement avec l’État-Major général finlandais, afin de discuter des opérations basées sur le centre et le nord de la Finlande. J’atteignis Helsinki le 18 février 1941, et pendant deux jours, j’eus des conversations avec le chef de l’État-Major général de la Finlande, le général Heinrichs, son adjoint le général Airo et le chef de la section d’opérations de l’État-Major général finlandais, le colonel Tapola.
Au cours de ces conversations, on examina la possibilité d’opérations partant de la Finlande centrale et de la Finlande septentrionale et en particulier des régions de Kuusamo et de Rovanjemi, ainsi que de la région de Petsamo, en Finlande septentrionale. Ces conversations aboutirent à un accord complet. Après quoi, je me mis en route avec le chef de la section d’opérations de l’État-Major général finlandais, le colonel Tapola, pour la Finlande centrale et septentrionale vers la région de Urinsalmo-Kuusamo, et la région située à l’est de Rovanjemi-Petsamo, afin d’étudier le terrain en vue des possibilités de déploiement et d’approvisionnement, ainsi que comme base d’opérations dans ce secteur.
Au cours de cette tournée de reconnaissance, je rencontrai les chefs locaux finlandais. Le voyage se termina le 28 février à Torneo, à la frontière finno-suédoise. Nous eûmes une dernière conversation au cours de laquelle il fut décidé qu’une opération partant de la région de Kuusamo et de Helsinki et une opération partant de la région de l’est de Rovanjemi en direction de Rasikamo auraient de bonnes chances de réussite et que, par contre, des opérations de Petsamo en direction de Rovanjemi seraient très difficiles à cause du terrain. C’est ainsi que se terminèrent mes premières conversations avec l’État-Major général finlandais.
A la suite de ces conversations, un plan d’opérations dans ces régions fut arrêté par le Commandement suprême en Norvège. Il fut soumis et approuvé par l’OKW et fut baptisé du nom de « Blaufuchs ».
Le 24 mai, je rencontrai le chef d’État-Major général finlandais Heinrichs, qui avait été invité au Quartier Général du Führer à Brandenburg, et je l’accompagnai en avion à Munich où j’eus avec lui et avec son chef de la section d’opérations, le colonel Tapola, une conversation en vue de préparer une autre conférence à Salzbourg.
Le 25, il y eut à Salzbourg, à l’OKW, une conférence avec le maréchal Keitel et le général Jodl, d’une part, et le général Heinrichs et le colonel Tapola, d’autre part, au cours de laquelle on détermina les principes fondamentaux de la coopération des troupes allemandes et finlandaises. Après cette conversation, je partis avec le général Heinrichs pour Berlin. Il y eut là d’autres conversations à l’Office économique des armements, au sujet de livraisons à l’Armée finlandaise, et avec l’État-Major de l’Aviation au sujet de la guerre aérienne et du renforcement en matériel de l’Aviation finlandaise. Le général Heinrichs, à la suite de ces entretiens, rencontra également le général Halder, mais je ne participai pas à cette discussion.
Le 2 juin, je rencontrai pour la troisième fois l’État-Major général finlandais. Dans ma déclaration du 26 septembre, j’ai indiqué que cette conversation eut lieu entre le 20 avril et le début de mai, mais c’est une erreur : ce fut le 2 juin. Dans ces nouvelles conversations entre le général Halder, le général Heinrichs et le colonel Tapola, on fixa les détails de cette coopération, à savoir : la marche des opérations et les mesures à prendre pour assurer le secret de la mobilisation finlandaise ; il fut décidé que celle-ci prendrait d’abord la forme de renforcement des patrouilles de frontières, puis celle de nouveaux recrutements, pour l’entraînement des réservistes et des officiers de réserve. En outre, on détermina la concentration et le déploiement des troupes germano-finlandaises, de telle sorte que le gros de l’Armée finlandaise, sous le commandement du maréchal Mannerheim, dans le Sud, agirait avec le groupe d’armées allemandes « Nord », venant de Prusse Orientale, en direction de Leningrad et de l’est du Lac Ladoga.
Le reste de l’Armée finlandaise devait être placé sous le commandement du général von Falkenhorst, dans la région du fleuve Ulo et d’Ulojoki. L’armée du général von Falkenhorst avait la ligne de chemin de fer de Mourmansk par Kerokienski en trois directions d’attaque : un groupe « sud » devait attaquer partant de la région de Kuusamo ; un groupe « central » à l’est de Rovanjemi, par Sallakandalaksha, et enfin un groupe « nord » attaquerait Mourmansk, venant de Petsamo.
L’accord fut complet sur toutes ces questions et l’on discuta aussi de détails pour l’échange de renseignements, ainsi que des moyens de transports finlandais ; des représentants de l’Aviation discutèrent des questions de guerre aérienne et de l’utilisation des aérodromes finlandais par l’Aviation allemande.
Après ces conversations, je retournai en Allemagne pour donner une suite pratique aux décisions prises et veiller à leur réalisation, du côté allemand. Le 12 ou 13 juillet, je retournai à Helsinki en avion pour un entretien avec le général Erfurt, officier de liaison allemand auprès des armées finlandaises. Nous rencontrâmes à Helsinki le général Heinrichs et je lui remis un mémoire sur les décisions prises au cours des conversations antérieures. Il fut d’accord sur tous les points, sauf sur une petite question de détail. Je remis alors mes fonctions d’officier de liaison auprès de l’État-Major général finlandais au général Erfurt et je devins chef de l’État-Major général de l’Armée allemande en Laponie.
Je voudrais vous poser une dernière question : si cela n’est pas trop difficile, voulez-vous préciser le caractère des préparatifs entrepris par l’OKW et l’État-Major général finlandais ?
Et, plus spécialement, si l’on détermina le plan d’une opération particulière ?
Sans aucun doute, toutes les décisions prises en commun par l’OKW et l’État-Major général finlandais eurent, dès le début, comme but unique, la participation de l’Armée finlandaise et des troupes allemandes stationnées en Finlande à une guerre d’agression contre l’Union Soviétique. Si l’État-Major général finlandais prétendait, devant l’opinion publique étrangère, que les mesures prises n’avaient qu’un caractère défensif, c’était du camouflage. Dès le début, l’État-Major général finlandais ne douta plus que le but de tous ces préparatifs était une attaque contre l’Union Soviétique car ils pointaient tous dans la même direction, quant aux plans de mobilisation et, surtout, quant aux objectifs fixés. Personne ne compta jamais sur la possibilité d’une attaque russe en Finlande.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Peut-être le Ministère Public britannique veut-il poser une question au témoin ? (une pause.)
Le Ministère Public français désire-t-il poser une question au témoin ?
Le représentant du Ministère Public américain désire-t-il poser une question au témoin ?
Peut-être les avocats de la Défense désirent-ils contre-interroger le témoin ?
Dans ce Procès, un certain groupe de personnes font l’objet d’un Acte d’accusation, en vue d’être déclarées criminelles. Bref, ce groupe comprend tous les commandants supérieurs de la Wehrmacht. Avant le déclenchement de l’attaque contre l’URSS, avez-vous jamais eu connaissance qu’un ordre fût donné selon lequel les commissaires russes capturés devaient être exécutés ?
Oui.
Avez-vous jamais mentionné cet ordre à votre Commandant en chef, le général von Falkenhorst ?
Oui.
Quelle était l’opinion du colonel von Falkenhorst et la vôtre à ce sujet ?
Que c’était un ordre criminel.
Puisque vous étiez de cet avis, je voudrais vous demander, si dans le domaine de votre armée, cet ordre fut exécuté ?
Pratiquement, non, il ne fut pas exécuté.
Pour quelles raisons ne fut-il pas exécuté ? Est-ce parce que votre chef et vous-même étiez d’avis qu’on ne devait pas exécuter un tel ordre, ou parce que l’exécution de cet ordre eût été pratiquement irréalisable ? Car, comme on le sait, les commissaires soviétiques combattaient jusqu’au dernier moment, et quand ils étaient faits prisonniers, les documents les désignant comme commissaires étaient déjà détruits. Est-ce là la raison pour laquelle l’ordre ne fut pas exécuté ?
D’abord, étant donné l’attitude prise par le général von Falkenhorst et par moi-même, certaines remarques furent ajoutées au texte de l’ordre, afin que les troupes se rendissent compte que nous n’étions pas d’accord avec cela, et nos généraux firent preuve de grande compréhension. Deuxièmement, ce fut la raison indiquée par vous : en fait, pas un seul commissaire ne fut capturé par nous, autant que je me souvienne.
Connaissez-vous d’autres chefs militaires partageant votre opinion en ce qui concernait cet ordre ?
Non.
Vous répondez « non » peut-être parce que vous n’avez pas parlé à d’autres officiers à ce sujet ?
Je n’ai pu en parler, parce qu’en Norvège j’étais éloigné des autres armées et je n’eus pas l’occasion d’en discuter avec d’autres commandants.
Ne croyez-vous pas que la majeure partie des commandants en chef, en ce qui concernait cet ordre, partageaient votre opinion et celle de votre chef ?
Je ne peux pas vous répondre, car je n’ai jamais su leur opinion.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
Est-ce que d’autres avocats désirent poser des questions au témoin ?
Général Zorya, voulez-vous poser encore d’autres questions ?
Je n’ai plus d’autre question à poser.
Alors, le témoin peut se retirer.
Je me suis arrêté, au cours de l’audience de ce matin, sur les dépositions de l’ancien ministre de la guerre roumain, Pantazi. J’ai l’intention de présenter ces dépositions au Tribunal sous le n° URSS-154. Pantazi décrit en détail le développement des préparatifs militaires de la Roumanie. Je demande au Tribunal d’accorder à ce témoignage une valeur probatoire. Il se trouve à la page 71 du livre de documents. Je ne veux lire que la partie qui représente un intérêt pour notre accusation :
« Les préparatifs de la Roumanie pour la guerre contre l’Union Soviétique commencèrent dès novembre 1940, lorsque, conformément à l’accord sur l’adhésion de la Roumanie au Pacte Tripartite, signé par le maréchal Antonesco à Bucarest, des missions militaires allemandes composées d’un nombre d’officiers instructeurs allemands arrivèrent à Bucarest. Le général Hansen commandait les officiers instructeurs pour l’Armée de terre, tandis que le général Speidell commandait les instructeurs pour l’Armée de l’air.
« Après l’arrivée de ces missions militaires allemandes en Roumanie, le chef de l’État-Major de l’Armée roumaine, le général Joanitiu, suivant l’instruction du maréchal Antonesco, donna des directives à l’Armée concernant l’introduction des officiers instructeurs allemands dans les unités et formations en vue de la réorganisation et de l’entraînement des troupes roumaines, conformément au règlement de l’Armée allemande.
« En même temps, et toujours sur l’ordre du maréchal Antonesco, tous les officiers de réserve de l’Armée roumaine furent appelés, en vue d’une période d’instruction spéciale de deux mois, sous la direction des Allemands. Durant cette période de nouvel entraînement des officiers de réserve, l’État-Major général de l’Armée roumaine élabora un plan pour appeler sous les drapeaux douze classes mobilisables en cas de guerre, prévoyant qu’à la date du 1er juillet 1941, toutes ces classes soient entraînées conformément au règlement de l’Armée allemande. Les commandants en chef et les officiers supérieurs de l’Armée roumaine furent également soumis à un nouvel entraînement selon leurs spécialités. De cette manière, sous la direction des Allemands et au moment où l’Allemagne et la Roumanie déclenchèrent la guerre contre l’Union Soviétique, toute l’Armée de terre et l’Armée de l’air roumaines étaient réorganisées et renouvelées sur le modèle allemand. »
Je passe deux paragraphes, qui n’ont pas d’importance, et je passe au deuxième alinéa qui se trouve à la page 72 du livre de documents. La déposition de Pantazi continue comme suit...
Général, étant donné que vous avez déjà présenté toute une série de preuves, le Tribunal estime que vous pourriez omettre les détails relatifs à la préparation de la Roumanie à la guerre et que vous pourriez passer au paragraphe où il est question du nombre de divisions allemandes stationnées sur la frontière russe.
Mais cette question est importante. Je ne saurais vous dire exactement où elle est exposée... elle se trouve à la page 74 du livre de documents. C’est le paragraphe qui commence par les mots : « A cet effet... »
« A cet effet, le maréchal Antonesco donna l’ordre, en février 1941, de diriger vers la frontière de la Bukovine du Nord et de la Bessarabie, les unités suivantes, mobilisées et prêtes à une action militaire contre l’URSS : la 4e division de chasseurs alpins, les 7e , 8e et 21e divisions d’infanterie, la division d’infanterie de la garde, le corps de la cavalerie et encore une autre division d’infanterie, dont le nom m’échappe. En plus, trois divisions allemandes prélevées sur les 21 divisions allemandes qui traversaient la Roumanie en direction de la Grèce, furent dirigées vers la frontière russe... »
Je passe encore plusieurs paragraphes : à la page 73 du livre de documents, se trouve soulignée au crayon rouge la déclaration suivante de Pantazi :
« Sur l’ordre du maréchal Antonesco, en mai 1941, des formations complémentaires furent dirigées sur la frontière de l’URSS : une division frontalière, la 3e et la 1° divisions de chasseurs alpins, la 13e division d’infanterie ainsi qu’une division blindée. Simultanément, les Allemands envoyèrent sur la frontière de l’Union Soviétique sept divisions d’infanterie allemandes. Il s’ensuivit qu’au début de l’agression de l’Allemagne et de la Roumanie contre l’Union Soviétique, douze divisions roumaines et dix divisions allemandes, au total environ 600.000 hommes, étaient concentrées sur la frontière russo-roumaine. »
Ainsi, les documents° qui viennent d’être présentés au Tribunal permettent d’affirmer, en effet, que suivant les instructions de l’Etat-Major des conspirateurs fascistes, la Roumanie prépara son agression contre l’Union Soviétique, bien avant qu’elle ne soit indiquée sur le « Cas Barbarossa ».
Ayant attaqué l’Union Soviétique, les valets de Hitler attendaient la reconnaissance de leurs maîtres pour les services rendus. Le 27 juillet 1941, Hitler adressa une lettre à Antonesco, lui exprimant sa gratitude ainsi qu’à ses troupes. Je dépose comme preuve cette lettre de Hitler, sous le n° URSS-237, page 1 de la traduction russe, troisième alinéa, page 74 du livre de documents. Hitler écrivait :
« Vous féliciter de tout mon cœur à l’occasion de grand succès est pour moi une joie aussi profonde que ma satisfaction. Le retour de la Bessarabie à la Roumanie sera la meilleure récompense pour vous et pour vos nobles troupes. »
Les promesses des meneurs fascistes ne se limitaient pas à la Bessarabie.
Je sollicite maintenant la permission de revenir sur la conversation de l’accusé Ribbentrop avec Antonesco, qui eut lieu le 12 février 1942. Cette conversation fait l’objet du document qui a été présenté par moi sous le n° URSS-233. Je me reporte à la page 3 du texte russe, au haut de la page, troisième alinéa, et qui se trouve à la page 61 du livre de documents. C’est une note faite par Antonesco :
« J’ai rappelé à M. de Ribbentrop, qu’au cours du banquet offert par lui à Berlin, il leva son verre à la prospérité de la Grande Roumanie, à quoi je répondis que nous nous étions alliés à l’Axe dans le but même de fonder une Grande Roumanie. »
Mais que serait donc cette Grande Roumanie à laquelle l’accusé Ribbentrop levait son verre ? Le document que je dépose maintenant comme preuve, sous le n° URSS-242, nous la décrit. C’est une lettre d’Antonesco (la copie d’une lettre) adressée à Hitler en date du 17 août 1941. Je demande qu’elle soit consignée au procès-verbal et j’estime qu’il est nécessaire de lire les paragraphes 2 et 4, correspondant à la page 2 de la traduction russe, dans le livre de documents, le texte se trouve à la page 78. Je cite, au deuxième alinéa :
Antonesco écrit : « Conformément au désir exprimé par Votre Excellence, je suis prêt à assumer la responsabilité de la défense, du maintien de l’ordre et de la sécurité du territoire situé entre le Dniestr et le Dniepr. A ce propos, il conviendrait simplement de fixer la frontière nord de ce territoire. »
Au quatrième alinéa : « Pour assurer l’ordre et la direction de l’exploitation économique des territoires occupés, et prenant en considération la prolongation possible de la guerre, j’estime qu’il est absolument indispensable de créer un commandement unique. C’est pourquoi je prie Votre Excellence de vouloir bien donner des instructions précises, définissant mes droits et ma responsabilité dans l’administration et dans l’exploitation économique du territoire situé entre le Dniestr et le Bug, ainsi qu’en ce qui concerne le maintien de l’ordre et de la sécurité dans tout le territoire situé entre le Dniestr et le Dniepr.
« Je prie Votre Excellence de vouloir bien accepter les meilleures assurances de votre dévoué, Général Antonesco ».
Deux jours après que cette lettre fut écrite, Antonesco nomma un gouverneur pour les régions occupées de l’Union Soviétique auxquelles il donna le nom de Zadnidniestr (Transnistrie).
Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-295, la déposition de ce soi-disant « gouverneur » Georges Alexianu, fait prisonnier par l’Armée rouge, et je lui demande d’accepter ce document comme preuve. Alexianu donne des précisions sur sa mission et déclare (page 2 du texte russe, deuxième alinéa ; à la page 79 du livre de documents). Je cite :
« Antonesco déclara qu’à la suite de l’avance victorieuse de l’Armée allemande, Hitler lui adressa une lettre personnelle dans laquelle il lui offrait d’annexer à la Roumanie les territoires soviétiques occupés par les Allemands, s’étendant du Dniestr au Dniepr et d’y établir l’autorité roumaine. »
A la page 80 du livre de documents, en haut de la page 3 du texte russe, Alexianu déclare qu’au cours de l’été 1942, il assista à la réunion du Conseil des ministres roumains, au cours de laquelle :
« Le maréchal Antonesco, en parlant des succès des Armées allemande et roumaine sur le front de l’Est, déclara : « Maintenant, il est « clair pour tout le monde que j’ai agi avec discernement quand, dès « le mois de novembre 1940, je me suis mis d’accord avec Hitler sur « l’agression contre l’URSS. »
Cependant, la largesse du Führer fasciste, qui distribuait à droite et à gauche à ses vassaux les territoires soviétiques, diminua sensiblement dans le courant de la guerre, au fur et à mesure des succès de l’Armée rouge.
J’ai devant moi une lettre de Hitler, adressé à Ion Antonesco, datée du 25 octobre 1943. Je demande au Tribunal d’accepter comme preuve cette lettre que je dépose sous le n° URSS-240. Environ 2 ans et 3 mois se sont écoulés depuis le jour où Hitler félicitait son satrape roumain, au sujet de la conquête de la Bessarabie. Il n’y a pas si longtemps que les questions concernant l’organisation du commandement unique dans l’administration des territoires au delà du Dniestr tourmentaient Antonesco.
La situation et les conditions ont changé. Maintenant, Hitler écrit (je cite le deuxième alinéa, en haut de la première page ; aux pages 82 et 83 du livre de documents) :
« Ma requête suivante a trait à l’utilisation totale, non limitée par des considérations ou des problèmes juridiques ou économiques quelconques, de la Transnistrie, en tant que zone arrière d’opérations pour les groupes d’armées du Sud et « A »... Page 83, je continue :
« ... de plus, je vous demande de mettre à la disposition des autorités allemandes tout le réseau ferroviaire en Transnistrie. »
En guise de maigre consolation, Hitler ajoute (page 82 du livre de documents) : « Toutes ces mesures ont, en somme, pour but de conserver la Transnistrie à la Roumanie ».
C’est alors que même Antonesco, qui tant de fois avait servilement assuré Hitler de sa fidélité, ne put y tenir. Le 15 novembre 1943, il écrivit une longue réponse à Hitler. Antonesco y décrit ouvertement comment il a exécuté la volonté de son maître au détriment de son peuple.
Je dépose comme preuve cette lettre d’Antonesco à Hitler sous le n° URSS-239. La lettre porte la date du 15 novembre 1943, Bucarest. Je cite, en commençant au paragraphe 2 de la lettre, fin de la page 5 du texte russe, page 88 du livre de documents :
« En ce qui concerne le régime dans la région du Zadnidniestr, nous sommes d’accord avec Votre Excellence qu’il n’est pas opportun d’examiner actuellement en détail les problèmes afférents à ce territoire, en tant que zone de guerre, zone de ravitaillement, etc.
« Je voudrais, tout d’abord, vous expliquer les raisons de mon inquiétude. Je ne sais si l’on vous a dit toute la vérité sur la contribution de la Roumanie à la guerre, depuis 1941 : que cette guerre a coûté à la Roumanie 300 000 000 000 de leis ; que durant cette période, nous avons donné à l’Allemagne plus de 8.000.000 de tonnes de pétrole, en mettant en danger nos stocks nationaux ainsi que les gisements de pétrole eux-mêmes ; que nous supportons de lourdes charges pour la subvention des familles de plus de 250.000 soldats tués à la guerre.
« Évidemment, l’entrée des troupes dans le territoire du Zadnidniestr représente, comme vous le dites, « un bouclier aux portes « de la Roumanie ». Notre seul désir est que tout se passe dans l’ordre et le mieux possible... »
Ici, je passe quatre alinéas qui n’offrent pas d’intérêt, et je continue à la page 89 du livre de documents :
« ... En ce qui concerne le transfert de l’exploitation des chemins de fer de la région du Zadnidniestr aux Allemands, en vue d’augmenter le trafic, je demande à Votre Excellence de réfléchir encore une fois à cette question. A notre avis, ce transfert n’est pas indispensable. Les chemins de fer de la région du Zadnidniestr ont bien fonctionné depuis 1941 jusqu’à présent, sous l’administration roumaine, ils ont toujours satisfait les exigences allemandes et leur direction a toujours fait l’objet d’une appréciation élogieuse. »
Je tourne à la page 90 du livre de documents et je lis :
« Si le trafic ferroviaire de la région du Zadnidniestr ne peut pas s’intensifier davantage, selon le plan général prévu, ce n’est pas nous qui en portons la responsabilité. Là aussi, nous avons tenu nos engagements. »
Deux alinéas plus loin, on trouve les paroles suivantes :
« Je suis certain que notre administration des chemins de fer pourrait prendre les dispositions nécessaires pour augmenter le trafic et améliorer les transports ferroviaires.
« Étant donné que je me suis occupé personnellement de la question de l’organisation administrative et économique de cette région, il me serait très pénible que la direction des chemins de fer soit transférée aux Allemands, car on pourrait dire à juste titre que c’est notre incapacité en ce domaine qui a entraîné cette mesure. »
Il advint une époque, dans les relations entre les deux agresseurs, où l’ancienne bonne entente, fondée sur l’accaparement des terres et des richesses d’autrui, céda la place à des discordes pour décider qui aurait la plus grande responsabilité financière, à la suite des pertes subies au cours de l’aventure criminelle dans laquelle s’étaient lancés les deux partenaires.
Le document suivant en témoignera. Il a été pris par nous dans les archives personnelles d’Antonesco et je le dépose ici comme preuve sous le n° URSS-245. Je voudrais en citer un extrait assez long, mais important, car il jette une lumière sur les rapports entre l’Allemagne fasciste et ses satellites. Ce document s’intitule :
« Entrevue du général Hansen avec le maréchal Antonesco, le 7 juillet 1943 ». Ainsi que le Tribunal s’en souviendra, le général Hansen était le chef de la mission militaire allemande, envoyée par l’État-Major général allemand en Roumanie. Afin de les consigner au procès-verbal, je lirai les extraits de ce document qui sont soulignés en rouge aux pages 92 et 93 du livre de documents.
Ne vous serait-il pas possible de nous faire un résumé du contenu des documents concernant la Roumanie ? Vous nous avez déjà présenté un grand nombre de documents relatifs à la participation de la Roumanie, tels que les dépositions du général Antonesco et autres.
Peut-être vous serait-il possible de passer à la participation de la Hongrie, dont il est question dans le document URSS-294. Ce que vous nous lisez en ce moment montre, sans doute, l’étendue de la participation de la Roumanie, mais cela se passe après le début de l’agression. Il me semble que vous pourriez peut-être passer au document URSS-294.
Si tel est le désir du Tribunal, je le ferai certainement.
Il me semble que cela permettrait d’économiser du temps et ne nuirait aucunement au Procès.
Je résumerai donc brièvement le document URSS-245, et je passerai alors au document suivant.
Très bien.
Cet entretien entre Hansen et Antonesco nous intéresse, car il consiste en un marchandage éhonté, dont les objets sont de l’argent, du matériel militaire et des vies humaines. Antonesco, qui commence à sentir toute la gêne causée par l’absence d’un accord quelconque avec l’Allemagne, insiste pour qu’à l’avenir les relations économiques et autres soient formulées dans un traité approprié. Il demande à l’Allemagne de lui fournir de l’aide : soit en matériel de guerre, soit en moyens techniques ou, finalement, en argent. Et lorsque Hansen lui déclare que l’Allemagne n’a pas de leis, Antonesco lui réplique : « Si vous n’avez pas de leis, donnez-nous au moins des armes et du matériel ».
C’est ainsi que ce document nous décrit la politique suivie par l’Allemagne fasciste envers ses vassaux, afin d’en extraire toutes les ressources possibles.
Maintenant, je voudrais m’arrêter brièvement sur quelques aspects de la politique extérieure pratiquée par les hitlériens dans leurs rapports avec leurs vassaux. Je voudrais souligner la conduite des conspirateurs hitlériens, relative au problème de la Transylvanie. Se servant de celle-ci comme d’un appât, ils obligèrent leurs vassaux hongrois et roumains à s’affronter dans un concours, dont elle serait le prix. Je présente, sous le n° URSS-294, la déposition de l’ex-général de l’Armée hongroise, Ruskitzay-Ruediger. Celui-ci occupa, jusqu’en mai 1941, divers postes importants au ministère de la Guerre hongrois, puis, jusqu’au mois de septembre 1942, commanda un corps d’armée et, enfin, devint adjoint du ministre de la Guerre hongrois.
Je voudrais vous lire la déposition de Ruskitzay-Ruediger sur la question transylvanienne. Les extraits que je voudrais consigner au procès-verbal se trouvent aux pages 3 et 4 du texte russe, correspondant aux pages 102 et 103 du livre de documents :
« ... le second Traité d’arbitrage de Vienne fut peu profitable à la Hongrie. La Roumanie y reçut la région de Medvesh-Kasharmash contenant des gisements de pétrole. Dans les milieux politiques hongrois, on a considéré cela comme une preuve que Hitler voulait s’assurer l’appui de la Roumanie pour la guerre contre la Russie soviétique. On a expliqué le fait que Hitler préférait l’alliance de la Roumanie à celle de la Hongrie en prétendant que, en cas de guerre avec l’URSS, l’Allemagne aurait sans conteste besoin de la partie méridionale de la Roumanie qui s’étend jusqu’à la mer Noire.
« Au cours d’un entretien qui eut lieu au mois de novembre 1940 environ, le chef du groupe d’opérations de l’État-Major hongrois, le colonel Laszio, me déclara ce qui suit :
« Le second Traité d’arbitrage de Vienne a soulevé en Hongrie « une très vive jalousie envers la Roumanie, et il ne dépend donc « que de nous de bien mériter de Hitler. »
Je me permets de vous rappeler que Antonesco, dans la déposition qui a été présentée aujourd’hui au Tribunal, dit, en relatant ses négociations avec Hitler, ce qui suit : « Au mois de novembre 1940, Hitler me déclara que la Commission d’arbitrage de Vienne n’avait pas encore dit son dernier mot, me laissant entendre ainsi que la Roumanie pouvait encore compter sur une révision de la décision prise, précédemment, au sujet de la Transylvanie ».
Toutefois, quelque temps après, lors de sa visite à Budapest, l’accusé Ribbentrop exprima un point de vue directement opposé.
Je vais maintenant présenter au Tribunal trois documents qui dépeignent l’attitude prise, en l’occurrence, par Hitler, Ribbentrop et Göring.
Je dépose comme preuve le document URSS-235, qui est le compte rendu d’un des entretiens entre Antonesco et Hitler le 3 avril 1942. Ce document se trouve aux pages 113 à 116 du livre de documents. J’en citerai des extraits, à la page 3 du texte russe, page 113 du livre de documents :
En pariant de Hitler, Antonesco dit :
« Je lui ai rappelé que les dirigeants hongrois n’hésitaient pas à déclarer publiquement au Parlement et dans la presse (après la visite de Ribbentrop à Budapest) que, s’ils entreprenaient une action (c’est-à-dire s’ils envoyaient leurs troupes), la Transylvanie demeurerait hongroise, et que des rumeurs de ce genre avaient cours et étaient très démoralisantes pour les Roumains. Hitler me donna sa parole d’honneur que de pareilles promesses n’avaient jamais été faites et ne pouvaient l’être, que cela ne correspondait pas à la réalité. »
C’est ainsi que Hitler jonglait avec les promesses, pour attiser l’ardeur de ses satellites.
Nous suspendrons l’audience pendant dix minutes.
Le document suivant, que je vais présenter au Tribunal sous le n° URSS-183, se rapporte à la Transylvanie et à l’accusé Ribbentrop. C’est le compte rendu d’un entretien entre Antonesco et le chef de la section des archives du ministère des Affaires étrangères allemand, von Doemberg, qui eut lieu à la frontière le 10 février 1942.
Je demande au Tribunal d’accorder à ce document une valeur probatoire. Ce compte rendu provient des archives personnelles du maréchal Antonesco prises au cours de l’avance de l’Armée rouge. Je ne crois pas utile de le lire en entier et je vais me limiter à la citation de quelques extraits. Je vous demande de lire à la page 116 du livre de documents, où se trouve le compte rendu de cet entretien du 10 février 1942 d’Antonesco avec von Doernberg. Je cite :
« Von Doernberg a posé la question de la décoration de Charles 1er , que von Ribbentrop demandait avec insistance, par l’intermédiaire de divers organismes officiels allemands qui se trouvaient dans notre pays, ainsi que par l’intermédiaire d’organismes officiels roumains se trouvant auprès du Gouvernement allemand. »
Je passe à la page suivante, page 117 du livre de documents, et je cite :
« ... j’ai déclaré à M. von Doernberg que je ne pouvais accorder cette récompense avant que M. von Ribbentrop ne fasse une déclaration publique à la Roumanie, à la première occasion favorable, au sujet de la Transylvanie, afin de raviver la foi du peuple roumain dans sa lutte pour la justice et ses revendications légitimes dans l’Europe nouvelle. Donc, je ne lui accorderais cette récompense qu’à la condition que cela ne soit rendu public qu’après qu’il eut prononcé la déclaration demandée.
« M. von Doernberg me demanda un certain temps pour réfléchir. Le lendemain, avant de quitter le wagon, il me pria de lui remettre la décoration en vue, disant que Ribbentrop désirait la recevoir et en me demandant de ne dévoiler à Ribbentrop la conversation qui avait eu lieu entre nous, que lorsque les conditions posées par moi seraient remplies.
« A cette condition, je lui remis la décoration, sans cependant y joindre les certificats correspondants. »
Ainsi, Ribbentrop était prêt à renier sa déclaration à Budapest, moyennant la décoration roumaine.
J’ai également à ma disposition le compte rendu d’un entretien entre Antonesco et Göring. Je vous prie de vous reporter à la page 118 du livre de documents. Malheureusement ce document, découvert en même temps que d’autres dans les archives personnelles d’Antonesco, déjà mentionnées plus haut, n’a pas de date. Nous présentons ce document, comme nous l’avons trouvé, sous le n° URSS-238, dont je ne cite qu’un extrait :
« Au cours de l’entretien qui eut lieu à Karinhall, le maréchal Göring se montra très réticent à l’égard du problème de la Transylvanie. Pendant le voyage en voiture, il dit au maréchal (c’est-à-dire à Antonesco) :
« Pourquoi vous disputez-vous donc avec la Hongrie au sujet de « la Transylvanie qui, en réalité, est plus allemande que roumaine « ou hongroise ? »
Nous pouvons peut-être convenir que, cette fois-ci, Göring exprima d’une façon assez véridique le point de vue des conspirateurs fascistes sur le problème de la Transylvanie.
Je voudrais maintenant, pour achever d’éclairer les relations de l’Allemagne avec son vassal roumain, m’arrêter sur la question du pétrole. La Roumanie était l’un des fournisseurs les plus importants de l’Allemagne dans ce domaine. Avant et pendant la guerre, les hitlériens ont extrait, par tous les moyens, le pétrole de Roumanie. Il en est question dans l’une des lettres adressées à Antonesco et que j’ai citée.
Je vais maintenant présenter deux documents qui montrent d’une façon suffisamment complète combien cette question intéressait l’Allemagne et l’importance qu’attribuaient à ce problème les hitlériens eux-mêmes. Sous le n° URSS-244, je présente un télégramme urgent, envoyé par l’accusé Keitel au maréchal Antonesco, parvenu à ce dernier le 31 octobre 1942. Ce document a été pris aussi, comme les précédents, dans les archives personnelles d’Antonesco. Je cite le télégramme pour le consigner au procès-verbal et je prie le Tribunal de lui accorder valeur probatoire.
A la page 119 du livre de documents :
« Télégramme urgent, transmis par la Mission allemande au maréchal Antonesco :
« Votre Excellence, au nom du Führer, je m’adresse à Votre Excellence et demande votre intervention personnelle dans le but d’accélérer la livraison de la quantité maxima de carburants à la flotte italienne, qui lui est indispensable pour la continuation des opérations militaires en Méditerranée.
« Le manque de transports nécessaires à la suite des opérations a créé une situation grave en Afrique du Nord. L’acheminement de l’approvisionnement en matériel de guerre et en vivres dépend entièrement de la livraison de carburants en quantités suffisantes.
« Je prie Votre Excellence d’augmenter au maximum la livraison en Italie du carburant, qui est prévu exclusivement pour les besoins de la flotte, appelée à maintenir des positions importantes en Méditerranée.
« J’ai choisi ce moyen direct de m’adresser à vous, parce que je suis sûr que votre intervention personnelle accélérera l’aide indispensable.
« Votre dévoué : Keitel, maréchal. »
Permettez-moi de présenter au Tribunal le télégramme d’Antonesco, en réponse à Keitel, document que je dépose sous le n° URSS-244 (a), et qui se trouve à la page 120 du livre de documents...
Pourriez-vous nous résumer le contenu de ce document ?
Je vais exposer en deux phrases le contenu de ce document.
A la demande instante de l’accusé Keitel d’augmenter au maximum les livraisons de pétrole, Antonesco répond par télégramme qu’il tient à remplir tous ses engagements, mais que toutes les quantités prévues par le Gouvernement allemand ont été livrées et que la Roumanie ne peut en donner davantage. S’il y a possibilité de faire encore quelques économies à l’intérieur même du pays, la Roumanie pourra-t-elle apporter quelque aide à ses alliés. Bref, Antonesco prie le général Keitel d’agréer l’expression de son dévouement et de son respect, mais il ne lui donne pas de pétrole.
Permettez-moi de vous rappeler, Messieurs les Juges, qu’en octobre et en novembre 1942 se décidait le sort de Rommel en Afrique du Nord et l’Armée rouge, aux confins de Mozdok, barrait aux Allemands la voie vers le pétrole de Bakou et de Grozny. Il est évident que les Allemands manquaient de pétrole.
Je cite encore un passage, qui n’a pas encore été lu, du compte rendu de l’entretien du 12 février 1942 entre Antonesco et l’accusé Ribbentrop. Le compte rendu de cette conversation a été déposé par moi précédemment, sous le n° URSS-233. Je vous demande de porter votre attention sur la fin de la page 51 et sur la page 52 du livre de documents, qui correspond à la page 4 du texte russe. On y trouve les lignes suivantes : en réponse à la demande Ribbentrop au sujet du pétrole, Antonesco déclara :
« En ce qui concerne le pétrole, la Roumanie a fourni le maximum de son effort, elle ne peut faire davantage. Le seul moyen de sortir de cette impasse serait la conquête des territoires riches en pétrole. »
Là, n faut noter qu’Antonesco n’était pas le premier à avoir tendance à s’approprier les territoires d’autrui, riches en pétrole.
Je demande au Tribunal de se reporter aux pages 121 à 129 du livre de documents. Il s’y trouve un document, tiré des archives personnelles de l’accusé Rosenberg et intitulé : « Réorganisation du Caucase ». Je le présente au Tribunal sous le n° URSS-58, et je lui demande de l’accepter comme preuve. Au mois de juillet 1941, l’accusé Rosenberg formulait de la façon suivante le point de vue allemand sur cette question, page 122 du livre de documents :
« Les intérêts de l’Allemagne consistent en l’établissement de positions solides dans tout le Caucase, afin d’assurer la liaison avec le Proche-Orient.
« Seule, cette liaison avec les sources de pétrole peut rendre à l’avenir l’Allemagne et toute l’Europe indépendante de n’importe quelle coalition de puissances maritimes. Le but de la politique allemande est la domination du Caucase et des pays qui le bordent au Sud, tant au point de vue politique que militaire. »
Je vous demande de regarder la page 124, qui correspond à la page 4 du texte russe du document que je cite. La même idée y est formulée par l’accusé Rosenberg, avec une grande netteté. Je cite :
« Le Reich allemand doit prendre en mains tout le pétrole »
Je me permettrai de ne pas m’arrêter en détail sur les relations mutuelles des conspirateurs fascistes avec leur autre satellite, la Finlande, car le témoin Buschenhagen vient de donner une déposition assez détaillée sur cette question et le Tribunal doit avoir une certaine opinion à ce sujet. Je voudrais simplement rappeler au Tribunal que, d’après le paragraphe 3 du chapitre II du « Cas Barbarossa » la Finlande devait couvrir l’offensive du groupe de parachutistes allemands « Nord », composé d’unités du 21e groupe devant arriver de Norvège, et avec lequel elle devait opérer ensuite. En outre, toujours selon le « Cas Barbarossa », la Finlande devait se charger de liquider les forces soviétiques à Hangoe.
Je me permettrai de rappeler également au Tribunal que le document présenté par le Ministère Public américain sous le n° C-39, cas temporaire « Barbarossa », mentionne la participation de la Finlande à la guerre. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, et comme vous le verrez à la page 52 du livre de documents « les négociations préliminaires avec le Quartier Général finlandais ont eu lieu à partir du 25 mai ». Ensuite, plus loin, je cite : « On prévoit le transport en Norvège des unités suivantes : 10e division SS et le 18e régiment d’infanterie, ainsi que le transport en Finlande d’une division renforcée d’infanterie, complétée par des éléments de corps d’armée. Parmi ces forces, pour le cas « Renard argenté », on a prévu une division d’infanterie, deux divisions de montagne et le groupe de bataille SS « Nord ».
« Il a été prévu qu’après l’ouverture des opérations militaires, on transporterait encore une division par voie ferrée à travers la Suède pour attaquer Hangoe. »
Je pense que j’ai le droit d’affirmer ici que la date du 25 mai 1941 indiquée dans le cas temporaire « Barbarossa », comme le début des pourparlers avec l’État-Major de l’armée finlandaise, n’était pas exacte. Ces fausses indications avaient comme but de dissimuler les préparatifs d’agression et de les présenter à la face du monde comme la préparation d’une soi-disant « guerre préventive ».
Pour compléter les dépositions du témoin Buschenhagen, je me permettrai de présenter sous le n° URSS-229 les dépositions de l’ex-colonel de l’Armée allemande, Kitchmann, que je demande au Tribunal d’accepter comme preuve.
Kitchmann occupa, dès octobre 1941, le poste d’attaché militaire à l’ambassade allemande de Helsinki. Ce document se trouve à la page 130 du livre de documents. Je vais en citer un court extrait :
« Confidentiel. Bien avant le 22 juin 1941, le Gouvernement allemand et l’OKW ont entrepris des négociations secrètes avec le Gouvernement de Finlande et l’État-Major de l’Armée finlandaise et préparé l’agression contre l’URSS.
« Ce fut dans les conditions suivantes que je fus mis au courant des préparatifs d’invasion de l’Union Soviétique par les Armées allemande et finlandaise :
« A mon arrivée à Helsinki en octobre 1941, au titre de remplaçant de l’attaché militaire allemand, j’eus plusieurs entretiens avec le commandant von Albedyll, adjoint de l’attaché militaire allemand, qui travaillait auparavant dans la section des attachés militaires de l’OKH, État-Major général de l’Armée. Von Albedyll me mit au courant de la situation générale politique et militaire en Finlande, car l’attaché militaire, le général Rossing, était gravement malade et se trouvait à Mérane, dans le Tyrol. Au cours de ces entretiens, von Albedyll me raconta qu’en septembre 1940 déjà, sur l’ordre de Hitler et de l’État-Major général allemand, le général Rossing avait organisé le voyage d’un envoyé spécial du maréchal Mannerheim, le général Taloela, au Quartier Général du Führer, à Berlin, où fut conclu un accord entre les États-Majors généraux allemand et finlandais, sur les préparatifs concertés en vue d’une agression et pour la conduite ultérieure de la guerre contre l’Union Soviétique. A ce propos, je crois me rappeler que le général Taloela lui-même, lors d’une conférence qui eut lieu à son Quartier Général près d’Aunus, en novembre 1941, me déclara que, sur l’ordre personnel du maréchal Mannerheim, il fut le premier à établir, en septembre 1940 déjà, la liaison avec le Haut Commandement allemand, en vue de préparatifs concertés pour une agression allemande et finlandaise contre l’Union Soviétique.
Je demande la permission de terminer ici la présentation des documents relatifs aux rapports de l’Allemagne fasciste avec sa vassale finlandaise. Les dépositions du témoin Buschenhagen me libèrent de ce devoir. Je voudrais seulement conclure brièvement :
Le témoignage de Buschenhagen démolit la thèse suivant laquelle la Finlande faisait sa guerre sans s’occuper des buts de guerre de l’Allemagne fasciste. L’entrée en guerre de la Finlande avait été prévue dans les plans militaires des conspirateurs fascistes et concordait avec les intentions belliqueuses des dirigeants finlandais.
Les Finlandais, comme tous les autres satellites de l’Allemagne, firent la guerre dans l’espoir de s’emparer de territoires et de républiques de l’Union Soviétique. A sa conférence du 16 juillet 1941, Hitler mentionna les revendications finlandaises sur la Carélie orientale, pour la région et pour la ville même de Leningrad. Comme preuve, je me réfère au document n° L-221, qui a déjà été déposé par le Ministère Public américain, et dont vous trouverez des extraits à la page 141 du livre de documents.
La Roumanie et la Finlande sont deux satellites de l’Allemagne qui furent longuement mentionnés dans le « Cas Barbarossa ». Le rôle de ces pays, dans les plans du fascisme allemand, n’était pas déterminé seulement par le désir d’exploiter leur potentiel de guerre — qui n’était certes pas négligeable — mais aussi d’utiliser leur position géographique comme « tremplins » d’opérations aux flancs de l’Union Soviétique.
Ainsi que le témoignent les documents présentés au Tribunal, l’inclusion de ces pays dans la préparation de l’agression contre l’URSS avait été soigneusement masquée par les conspirateurs fascistes, de même que tous les préparatifs du « Cas Barbarossa ».
Aucune mention n’est faite, dans ce plan, du troisième satellite de l’Allemagne, la Hongrie. Mais cela ne veut certainement pas dire que la participation de la Hongrie à l’agression contre l’Union Soviétique n’avait pas été prévue par les conspirateurs fascistes.
Je demande l’autorisation de me référer aux dépositions de Paulus (quoiqu’il ait déjà témoigné devant le Tribunal) qui a formulé très nettement...
Vous n’allez pas nous présenter de nouveau la déposition de Paulus ? Nous avons déjà reçu son témoignage détaillé.
Oui, j’ai déjà indiqué que cette déposition avait été faite sous le n° URSS-182 : le procès-verbal de l’interrogatoire de Paulus par le général Rudenko. Le Tribunal en trouvera le texte à la page 143 du livre de documents.
Nous avons déjà son témoignage oral, nous n’avons pas besoin de sa déposition écrite.
Oui, mais j’ai besoin de citer un certain paragraphe de cette déposition qui me permettra de démontrer le rapport entre les documents qui vont suivre et ce que j’avance. Il s’agit de quelques lignes seulement.
Mais cela va certainement faire double emploi, ne croyez-vous pas ?
Ce qui a déjà été présenté au Tribunal je pourrais l’exposer en quelques mots, en deux phrases.
Est-ce que cela diffère d’une façon quelconque de ce que Paulus nous a déclaré ici même ?
Je vous prie de m’excuser. On vient de me confirmer que cet extrait a déjà été cité par le colonel Pokrovsky. Je me bornerai donc à le résumer brièvement et je passerai ensuite à un autre sujet.
D’une part, je pense d’abord aux paragraphes de la déposition de Paulus, où il déclare que le principe qui guidait la politique hongroise était une absolue soumission à l’Allemagne, conséquence de deux faits primordiaux : l’aspiration à la conquête de nouveaux territoires avec l’aide de l’Allemagne et la crainte de la puissance grandissante de la Roumanie, alliée de l’Allemagne. D’autre part, je pense à la déclaration de Paulus selon laquelle Hitler dévoilait ses plans à la Hongrie avec infiniment plus de réserve qu’à ses autres satellites, parce qu’il trouvait que les Hongrois étaient bavards. Il est vrai, ajoute aussitôt Paulus (page 2 de son affidavit) que « la raison principale en était que Hitler ne voulait pas que la Hongrie puisse saisir le bassin pétrolifère de la région de Dragovitch ». Lors du déclenchement de l’offensive contre l’Union Soviétique, le Commandement suprême de l’Armée allemande (l’OKH) donna l’ordre à la 18e armée de s’emparer de Dragovitch avant l’arrivée des Hongrois. En outre, Paulus nous décrit ses négociations avec les Hongrois pour la fourniture d’équipement militaire. Tout cela a déjà été mentionné par le colonel Pokrovsky. Je veux seulement rappeler que la déposition de Paulus a certainement soulevé un coin du voile mystérieux qui entourait les rapports mutuels des agresseurs allemands et hongrois.
A ce propos, il faut absolument que je me réfère de nouveau aux dépositions de Ruscitzay-Ruediger, qui ont déjà été déposées sous le n° URSS-294. Parlant de l’occupation de la Russie subcarpathique en 1939, Ruscitzay-Ruediger déclare ce qui suit (troisième alinéa de la page 2 du texte russe ; page 101 du livre de documents — la citation est soulignée en rouge). Je lis :
« ... Ceci eut lieu... peu de temps avant le début de la guerre germano-polonaise. Il semblait alors que pour la Hongrie, les buts principaux de l’occupation consistaient à obtenir des avantages économiques et à se libérer des restrictions du Traité de Trianon. Mais dès que la région de l’Ukraine subcarpathique acquit une frontière commune avec la Russie soviétique... cette région que nous occupions prit une tout autre signification à nos yeux. Il nous apparut clairement, à nous, officiers supérieurs, que les dirigeants politiques allemands et hongrois considéraient cette région comme un terrain stratégique important pour les opérations futures contre la Russie soviétique. »
A la page 9, deuxième alinéa du bas de la page, Ruscitzay-Ruediger nous parle d’une conversation qui eut lieu, fin mars 1941, au cours de laquelle le ministre de la Guerre hongrois, Bartha, décrivit les buts de la guerre contre la Yougoslavie. Entre autres, Bartha souligna la nécessité impérieuse d’éliminer la Yougoslavie en tant qu’alliée éventuelle de l’URSS.
Cependant, une description plus complète des rapports germano-hongrois, qui avaient pour but la préparation de l’agression contre l’URSS, se trouve dans la déposition du général hongrois, Esteban Ujszaszy, qui, du 1er mai 1939 au 1er juillet 1942, remplit les fonctions de chef du service d’espionnage et de contre-espionnage du Grand État-Major hongrois. Durant ces années-là, sa situation officielle lui permit d’avoir des renseignements précis sur ces préparatifs secrets. Il nous a dévoilé certains de ces faits dans le document que je dépose sous le n° URSS-155 et que je demande au Tribunal d’accepter comme preuve. Je citerai un extrait de ce document qui se rapporte à la question en cours. Commençant à la page 2 du texte russe (page 149 du livre de documents), nous trouvons la section 2 intitulée :
« Préparatifs de guerre germano-hongrois contre la Russie soviétique. » Le premier paragraphe a trait aux « Lettres de Halder ». Je cite :
« En novembre 1940, l’attaché militaire allemand à Budapest, le colonel Günther Krappe, membre du Grand État-Major allemand, fut reçu en audience par le chef du Grand État-Major royal hongrois, Henri Werth. Krappe présenta une lettre du général Halder, chef du Grand État-Major de l’Armée allemande. Dans cette lettre, Halder avisait Werth qu’au cours du printemps 1941, il faudrait obliger la Yougoslavie — le cas échéant, par la force des armes — à prendre une attitude nette, afin d’exclure toute menace éventuelle d’une attaque dans le dos par la Russie. Quand ce ne serait que dans son propre intérêt, la Hongrie serait tenue de prendre part à cette guerre préventive, peut-être contre la Yougoslavie, mais en tout cas contre la Russie soviétique.
« Werth répondit qu’il était d’accord avec Halder, en principe, mais qu’il attirait son attention sur le manque d’armement et d’équipement de l’Armée hongroise, qui ne lui permettrait absolument pas de prendre les armes contre la Russie Soviétique. Il demandait donc, somme toute, que l’Allemagne se charge du réarmement de l’Armée hongroise.
« Ce fut le général Werth lui-même qui m’informa de la lettre de Halder et de la réponse qu’il lui donna. Une commission d’armement hongroise fut alors invitée à Berlin. Elle se composait d’officiers spécialistes des services de l’Intendance du Ministère royal hongrois de la Défense nationale ; en décembre 1940, la commission se rendit à Berlin. Les demandes hongroises étaient les suivantes : la livraison du solde de la commande
Général, ne pourriez-vous pas passer au mois de décembre 1940, date à laquelle le maréchal Keitel invita le ministre de la Défense hongrois à se rendre à Berlin ? Ceci se trouve quelques lignes plus bas.
Oui, je passe à cet alinéa.
« En décembre 1940, le chef d’État-Major de l’OKW, le maréchal Wilhelm Keitel, invita le ministre de la Défense nationale hongrois, le général Cari Bartha, à se rendre à Berlin, dans le but :
a) De discuter personnellement le problème de l’armement ;
b) D’élaborer un plan de collaboration militaire et politique entre l’Allemagne et la Hongrie pour 1941.
« Cette invitation fut transmise à Budapest par l’intermédiaire de l’attaché militaire royal hongrois à Berlin, le colonel Alexander Homlok du Grand État-Major. Simultanément, je reçus une convocation semblable de la part de l’amiral Canaris, chef de la section « Abwehr-Ausland » de l’OKW. »
Je passe une longue liste rédigée par Ujszaszy, des personnes qui accompagnaient Bartha dans son voyage, et je lis plus loin, à la page 151 du livre de documents :
« ... un accord fut conclu sur la base suivante : au printemps de 1941, la situation de la Yougoslavie sera claire, donc la menace d’une attaque dans le dos par la Russie soviétique sera écartée. L’Armée hongroise Honved sera équipée, dans ce but, d’obusiers, de chars d’assaut modernes et de voitures blindées pour la formation d’une brigade motorisée. Pour la guerre contre la Russie, la Hongrie devra mettre à la disposition de l’Allemagne quinze unités parmi lesquelles trois unités motorisées, une unité de cavalerie et une unité de chars d’assaut. En outre, elle devra achever jusqu’au 1er juin 1941 la construction des fortifications en Russie subcar-pathique, aider le mouvement des troupes allemandes dans les régions limitrophes des frontières hungaro-yougoslaves et hungaro-soviétiques, garantir le transport de l’approvisionnement des troupes à travers la Hongrie. Les détails de la préparation des opérations seront fixés plus tard, avec les représentants de l’État-Major allemand, qui se rendront ultérieurement en Hongrie. En guise de compensation pour sa participation à la guerre, la Hongrie recevra des territoires en Yougoslavie et en Russie : l’ancien duché de Galicie et tout le territoire qui s’étend aux pieds des Carpates jusqu’au Dniestr. »
Au mois de mars 1941, le colonel Eberhard Kinzel, du Grand État-Major allemand se rendit à Budapest. Le but de sa visite était de fixer les derniers préparatifs pour l’attaque contre la Yougoslavie. Voici ce que Ujszaszy nous dit à ce sujet (troisième alinéa du bas de la page 5 du texte russe ; page 152 du livre de documents) :
« Le colonel Kinzel vint à Budapest en mars 1941, avec une lettre du général Halder au général Werth, dans laquelle l’Allemagne demandait instamment à la Hongrie de prendre part à la guerre éventuelle contre la Yougoslavie, en mobilisant les corps d’armées suivants : I. Budapest, II. Szekesfeherwar, III. Szambathely, IV. Pecs, V. Szeged, et, pour la guerre contre la Russie, quinze unités comprenant une division de cavalerie, deux brigades motorisées et une brigade de chasseurs alpins.
« La lettre annonçait la visite imminente d’une délégation allemande à Budapest, commandée par le général Paulus, pour engager des discussions sur les opérations combinées et le transport à travers la Hongrie des troupes allemandes à destination de la Yougoslavie.
« En réponse à cette lettre, le général Werth invita officiellement la délégation allemande ; laissa entendre que la Hongrie participerait à la guerre contre la Yougoslavie en mobilisant, dans ce but, trois corps d’armées : le 1er , le IVe et le Ve . Quant à la guerre contre la Russie soviétique, il y consentit en principe, en promettant au moins de mobiliser le VIIIe corps d’armée Kapitze et les unités motorisées réclamées par Halder.
« Ce fut le colonel Kinzel lui-même, du Grand État-Major allemand, qui me mit au courant de cet échange de lettres. »
Général, je ne crois pas, personnellement, qu’il soit indispensable que le Tribunal sache si la Hongrie avait l’intention de mobiliser un, deux ou trois corps d’armées contre les Russes. Il est parfaitement clair, d’après ce que vous avez déjà exposé — si nous sommes disposés à le croire — que le maréchal Keitel exigeait de la Hongrie, en décembre 1940, qu’elle mette à la disposition de l’Allemagne certaines unités, pour la guerre contre la Russie. Quelle importance peut avoir le fait que le nombre de ces unités fut modifié au cours des pourparlers ultérieurs ? Il me semble que les preuves que vous nous présentez actuellement font double emploi avec ce qui a été exposé et n’ajoutent rien à ce que vous nous avez déjà dit. Je pense donc que vous pourriez passer au document suivant, URSS-150. Tout ce qui précède ne concerne que les négociations entre les États-Majors allemand et hongrois quant aux unités que devait fournir l’Armée hongroise.
Je suis tout à fait d’accord avec Monsieur le Président qu’on peut limiter la présentation des preuves à ce sujet.
Le document suivant porte le n° 150, n’est-ce-pas ?
Cependant, le document Ujszaszy contient non seulement certains renseignements sur le nombre d’unités promises par la Hongrie à l’Allemagne en cas de guerre contre l’Union Soviétique, mais aussi, par exemple, une indication des méthodes employées par la clique fasciste en Hongrie pour préparer la guerre, en accord avec les conspirateurs hitlériens. Il me paraît indispensable de m’arrêter sur ce point et je demande donc la permission de citer encore certains passages de ce document.
Je songe, par exemple, à l’émission de faux rapports sur le nombre d’unités soviétiques massées sur la frontière hongroise.
Continuez, je vous en prie.
Je cite le passage suivant, à la page 155 du livre de documents :
« Mon supérieur immédiat, le général Laszio, en tant que chef du groupe d’opérations, ordonna au deuxième Bureau de l’État-Major d’établir un rapport qui confirmerait que quatorze groupes de combat soviétiques seraient massés sur la frontière hongroise, y compris huit groupes motorisés. Ce rapport fut rédigé par le colonel Comell Hidai du Service de renseignements.
« Je voudrais faire remarquer ici que, des explications fournies ultérieurement par le deuxième Bureau du Grand État-Major royal hongrois, il ressortit que seulement quatre groupes de combat soviétiques se trouvaient véritablement à la frontière hongroise. Je fis part de cette circonstance, conforme aux faits, au général Werth et au général Laszio, mais ce dernier m’ordonna de modifier mon rapport, véridique et objectif, conformément à ses désirs. »
Plus loin, Ujszaszy parle de plans de provocation élaborés par la clique militariste hongroise, visant à provoquer des incidents à l’étranger pour justifier une attaque sur l’Union Soviétique. Il déclare (à partir de la quatrième ligne de la page 10 du document ; page 157 du livre de documents) :
« Ces plans émanaient du général Fuetterer, de son adjoint le colonel Frimond et du général Laszio. Ils proposaient dé faire bombarder, le cas échéant, les régions frontalières de la Hongrie, avec des bombes de provenance soviétique, par des avions allemands camouflés en avions soviétiques. »
Et enfin, Ujszaszy décrit les événements des derniers jours qui ont précédé l’attaque contre l’Union Soviétique (page 11 du document, page 158 du livre de documents) :
« Le 24 juin 1941 — si je me souviens bien — à midi trente, je fus avisé que des avions soviétiques bombardaient Rahero en Russie subcarpathique et qu’ils avaient mitraillé des trains dans les environs de cette ville. L’après-midi de ce même jour, nous apprîmes que des avions soviétiques bombardaient Roschitze. Le Conseil de la Couronne, présidé par le Régent, se réunit le soir même et, « étant donné l’importance de la provocation de la Russie soviétique », décida de lui déclarer la guerre. Je suis convaincu que les bombardements en question furent effectués par des avions allemands portant des signes distinctifs russes. Ma conclusion se base sur les faits suivants :
« a) Le général Fuetterer et la propagande allemande firent une publicité très étendue à ces bombardements ;
« b) Le général Laszlo me donna immédiatement l’ordre, par l’intermédiaire de la section de propagande du deuxième Bureau du Grand État-Major royal hongrois, d’obtenir des photographies des restes des « bombes soviétiques » et de les faire publier dans la presse des États fascistes.
« c) Le général Fuetterer, le général Laszlo et le colonel Frimond firent répandre, sous le manteau, le bruit que des pilotes slovaques au service de la Russie avaient bombardé Roschitze ; la précision du bombardement était expliquée par le fait que ces pilotes connaissaient bien la région. »
Ceci eut lieu, selon Ujszaszy, le 24 juin 1941, à midi trente. Nous possédons un document qui prouve que la participation de la Hongrie à l’agression contre l’Union Soviétique, avait été décidée bien avant cette date.
Le document présenté au Tribunal, qui renferme la déposition de Ruscitzay-Ruediger, nous explique les raisons de l’attaque de la Hongrie contre l’Union Soviétique. Il se peut que l’avis de Ruscitzay-Ruediger ne soit pas celui de tout le monde, mais comme c’est le témoignage du sous-secrétaire d’État à la Guerre hongrois, il n’est évidemment pas sans intérêt.
A la page 10 du texte russe de sa déposition, Ruscitzay-Ruediger déclare que, fin mai 1941, il reçut l’ordre de ravitailler d’abord les troupes massées en Ukraine subcarpathique ; deux jours plus tard, une réunion secrète des commandants en chef des corps d’armées eut lieu au Quartier Général du général Werth, chef du Grand État-Major, au cours de laquelle fut annoncée l’attaque imminente contre l’Union Soviétique.
Je cite la déposition de Ruscitzay-Ruediger à la page 9 du document, page 108 du livre de documents (pour économiser du temps, je ne citerai que les passages soulignés) :
« Le général Werth, chef du Grand État-Major, nous décrivit la situation militaire et politique. Il semblait qu’une attaque contre l’Union Soviétique, par l’Allemagne, était imminente, et que la Roumanie et la Hongrie y prendraient une part active aux côtés de l’Allemagne. »
Ruscitzay-Ruediger nous dit encore que : « La décision de déclarer la guerre fut prise par le Conseil des ministres après que le Président Bardoshy et le ministre Bartha eurent soumis leurs rapports et fut ratifiée par le Conseil de la Couronne. La question ne fut pas soumise au Parlement. Ces décisions ne causèrent aucune surprise, car elles résultaient directement de la collaboration militaire volontaire avec l’Allemagne, qui existait depuis plusieurs années.
« Le Grand État-Major hongrois et les dirigeants politiques de Hongrie, dès le début de l’attaque contre la Tchécoslovaquie, voyaient en l’Allemagne le principal soutien de leurs projets de révision. Vint ensuite l’occupation de l’Ukraine subcarpathique et l’organisation stratégique de cette région pour en faire une base militaire en vue d’une attaque contre l’Union Soviétique. »
Dans son rapport, Ujszaszy fait mention de l’attaché militaire allemand à Budapest, Krappe. L’ex-général de l’Armée allemande, Günther Krappe, fut attaché militaire allemand à Budapest de novembre 1939 au 30 avril 1941. Ensuite, Krappe commanda le Xe corps de troupes SS du groupe d’armées « Vistule » et fut fait prisonnier par l’Armée rouge.
Je demande au Tribunal d’accepter comme preuve la déclaration faite par Krappe en janvier de cette année, présentée sous le n° URSS-150. On remarquera que les événements principaux mentionnés par Krappe concordent exactement avec ceux qui sont décrits dans le rapport d’Ujszaszy. Je ne lirai donc que quelques extraits à la page 4 du document Krappe (page 165 du livre de documents) :
« En octobre 1940, je reçus de l’OKH l’ordre de faire un rapport sur l’état des fortifications de la région qui longeait la frontière russe, c’est-à-dire l’Ukraine subcarpathique. Le chef du groupe d’opérations, le colonel Laszio, m’informa que, jusque là, il n’existait qu’une ligne très simplifiée de défense antichars, sur une profondeur variant de un à deux kilomètres, et que la construction de baraquements pour loger des troupes venait de commencer. Les prospections nécessaires pour ériger des réduits en béton armé le long de la frontière et des voies de communication seraient effectuées pendant l’hiver, et au printemps de 1941 il serait possible d’en commencer la construction. La dépense devait s’élever à environ 6.000.000 de pengos. Le général Werth m’autorisa à faire une tournée en voiture à travers le Mukachevo jusqu’au col de l’Ujosk. Je fis part à Berlin des résultats de mon tour d’inspection et des renseignements obtenus du colonel Laszio. Quelque temps après, le colonel Laszio m’avisa que les crédits nécessaires à la construction de ces fortifications avaient été alloués. »
Pour abréger, Messieurs, je vais vous résumer très rapidement la fin de la déposition de Krappe : un accord fut conclu avec le ministre de la Guerre, Bartha, aux termes duquel la création d’un réseau de communications et de transports militaires de l’Armée allemande en Hongrie fut décidée. En même temps, l’Allemagne fut autorisée à organiser avec l’aide des services postaux un système spécial de transmissions militaires ; de plus, un grand nombre d’officiers allemands furent détachés auprès de l’Armée hongroise pour des échanges de vues sur l’expérience militaire et sur l’instruction des troupes. Krappe déclare que, dès le mois de décembre 1940, l’industrie hongroise subit des transformations et travailla pour augmenter le potentiel militaire de l’Allemagne. Le général Leeb, chef des services d’armement, était chargé de cette réorganisation.
Pour conclure cet exposé des preuves relatives à la création d’un bloc d’agression contre l’Union Soviétique par les criminels de guerre fascistes, j’estime qu’il est indispensable de tirer quelques conclusions générales de ces documents.
Les conspirateurs fascistes commencèrent dès septembre 1940, lorsqu’une mission militaire fut envoyée en Roumanie, à prendre des mesures pour obtenir la participation de la Roumanie, de la Finlande et de la Hongrie aux préparatifs d’attaque contre l’Union Soviétique. Les négociations concernant ces préparatifs d’agression furent entreprises, dans chacun de ces pays, entre septembre et décembre 1940 ; elles étaient dirigées par les Grands États-Majors des Armées allemande et satellites. L’objet de ces négociations était dans chaque cas, d’un caractère purement militaire, tel que le nouvel entraînement des troupes, le transport d’unités, la coordination de plans stratégiques, le nombre de divisions nécessaires pour l’attaque contre l’Union Soviétique, etc.
Le genre de ces négociations prouve qu’il existait entre le Gouvernement fasciste allemand et ceux de Roumanie, de Finlande et de Hongrie un accord préalable pour une agression contre l’Union Soviétique, même avant le début des négociations.
Finalement, les documents déposés révèlent que les conspirateurs nazis avaient promis à chacun de ces pays, sous une forme ou une autre, quelque partie de territoire appartenant à l’Union Soviétique.
Je désire souligner encore une chose. Afin de saisir toute l’étendue des conséquences de l’attaque de rapine fasciste contre l’URSS, il ne faut pas s’en tenir au seul « Cas Barbarossa » C’est un plan stratégique pour une attaque militaire, un début d’agression.
Mais, aussitôt après l’attaque, venaient les soi-disant « assimilation » et « organisation » qui constituaient véritablement des plans d’extermination de la population civile et de pillage des territoires occupés de l’Union Soviétique. Ces plans aussi étaient préparés d’avance, comme le « Cas Barbarossa. ».
Le Ministère Public soviétique déclara que les documents soumis au Tribunal, surtout des documents tels que la directive du 13 mars 1941 (PS-447), signée de l’accusé Keitel, l’ordonnance sur l’application du code militaire en date du 15 mai 1941 (C-50), signée de Keitel également, la directive de propagande relative au « Cas Barbarossa » (C-26), et autres, témoignent de la suppression radicale, par les hordes d’envahisseurs fascistes, de toutes les normes de la loi et de la morale dans les territoires soviétiques provisoirement occupés, et que cette suppression fut préméditée et préparée longtemps avant l’attaque contre l’Union Soviétique.
Même avant cette attaque, les méthodes applicables à la population civile et les mesures et moyens à prendre pour le pillage du territoire de l’Union Soviétique, le réduisant à l’état de « colonie » du Troisième Reich, furent élaborés par les hitlériens et précisés aux sections appropriées des instructions, directives et ordres prescrits. Lorsque, finalement, la guerre fut déclenchée et le secret étalé au grand jour, les fascistes n’hésitèrent pas à publier dans leur presse tous leurs projets.
Je dépose sous le n° URSS-59, un article paru dans le journal Das schwarze Korps, journal SS et organe du Reichsführer SS, en date du 20 août 1942. Cet article s’intitule : « Faut-il germaniser ? » (page 180 du livre de documents) et déclare ouvertement : « Dans un des numéros du journal Deutsche Arbeit, consacré aux problèmes de la colonisation à l’Est, le Reichsführer SS a développé le thème suivant :
« Notre tâche n’est pas de germaniser l’Est, dans le vieux sens de ce mot, c’est-à-dire d’imposer à la population la langue et les « lois allemandes, mais d’aboutir à ce que l’Est ne soit peuplé que par des hommes de sang purement allemand.
« Le fait de rejeter l’idée de germanisation n’est pas nouveau. Néanmoins, dans la bouche du Reichsführer SS, en tant que ministre d’État pour l’affirmation de la race allemande, cela devient un ordre. C’est là que réside tout le sens de ces mots. »
Le refus de germaniser la population des territoires occupés et l’affirmation que « l’Est ne doit être peuplé que par des hommes de sang purement allemand » signifiaient, pratiquement, l’extermination en masse de citoyens soviétiques, le pillage de leurs biens, leur déportation, l’anéantissement de la culture russe plusieurs fois séculaire et la destruction de nos villes et de nos villages.
J’arrêterai là le développement de ce thème ou plutôt de ces thèmes, car ils ont déjà fait l’objet d’études approfondies et seront présentés par mes collègues.
Le 22 juin 1941, après de longs préparatifs, les hordes fascistes allemandes se jetèrent à l’assaut de l’Union Soviétique. Cent soixante-dix divisions, massées sur les frontières de l’Union Soviétique, de l’océan Arctique à la mer Noire, passèrent à l’offensive. Les problèmes militaires soulevés par cette attaque étaient formulés dans le « Cas Barbarossa » :
« L’Armée allemande doit être prête, même avant la fin de la guerre contre l’Angleterre, à vaincre la Russie soviétique, en opérant avec une rapidité foudroyante.
« Dans ce but, l’Armée devra utiliser toutes les forces dont elle dispose, avec la seule réserve que les territoires occupés devront être protégés efficacement contre toute surprise éventuelle. »
Le « Cas Barbarossa » prévoyait la nécessité d’anéantir l’Armée rouge, d’empêcher toute retraite possible vers l’intérieur du pays des unités de l’Armée rouge encore en état de combattre et de permettre aux envahisseurs fascistes allemands d’atteindre rapidement une ligne de front qui mettrait le territoire allemand à l’abri de toute attaque par l’Aviation soviétique.
Le but final du « Cas Barbarossa » était de fortifier la ligne Astrakhan-Arkhangelsk, d’anéantir par des bombardements la région industrielle de l’Oural, d’occuper Leningrad et Kronstadt et enfin, comme point final, de prendre Moscou.
Il me semble que nous pourrions suspendre l’audience maintenant.