CINQUANTE-HUITIÈME JOURNÉE.
13 février 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal se propose de lever aujourd’hui l’audience à 16h30, car il a des tâches administratives à remplir.
Je me réfère au « Rapport de la Commission extraordinaire d’État pour l’investigation des crimes des envahisseurs germano-fascistes à Smolensk et dans la région de Smolensk ». Ce rapport accorde une place d’importance aux questions relatives à l’extermination en masse des prisonniers de guerre par les Allemands. J’aurais voulu donner lecture des extraits de ce document qui vous est présenté sous le n° URSS-56, page 6, 4e alinéa à partir du haut de la page, et page 58 de votre livre de documents. On lit :
« Les envahisseurs germano-fascistes exterminaient régulièrement les blessés et les prisonniers de guerre soviétiques. Les médecins A. N. Smimov, A. N. Glazounov, A. M. Demidov, A. S. Pogrebnov et d’autres, qui ont été internés dans un camp de prisonniers de guerre, ont communiqué que, sur le parcours de Viazma à Smolensk, les hitlériens ont fusillé plusieurs milliers d’hommes. En automne 1941, les occupants ont fait faire à pied à un groupe de prisonniers de guerre le trajet de Viazma à Smolensk. Nombre de ces derniers, à la suite des coups reçus et de leur grande faiblesse, n’étaient pas en état de se tenir debout. Dès que la population essayait de donner un morceau de pain à l’un d’entre eux, les soldats allemands chassaient les citoyens soviétiques, les rouaient de coups de bâtons et de coups de crosses et les fusillaient. Dans la Grande Rue soviétique, sur les routes de Roslavi et de Kiev, les scélérats fascistes ont ouvert le feu sur une colonne de prisonniers de guerre. Les prisonniers tentaient de fuir, mais les soldats les rattrapaient et les achevaient. Ainsi furent fusillés près de 5.000 citoyens soviétiques. Les cadavres des fusillés sont restés dans les rues pendant plusieurs jours. »
Il n’est pas difficile de s’apercevoir que cet extrait coïncide parfaitement avec le document PS-081, qui a été enregistré au procès-verbal des débats et dont j’ai donné au Tribunal une brève idée du contenu. Nous le compléterons avec la preuve des faits. Sur cette même sixième page, deux lignes plus bas, il est dit (page 58 du livre de documents) :
« Les autorités militaires allemandes torturaient les prisonniers de guerre. Sur le chemin de Smolensk et surtout au camp, les prisonniers de guerre périssaient par dizaines et par centaines. Au camp de prisonniers de guerre n° 126, les soviétiques étaient soumis à de mauvais traitements, les malades étaient désignés pour des travaux pénibles, aucun soin ne leur était prodigué. Les prisonniers du camp étaient soumis à de mauvais traitements, astreints à accomplir des travaux ne correspondant pas à leurs forces, fusillés. Les tortures, la famine, les épidémies de typhus et de dysenterie, le froid, les travaux exténuants et la terreur sanglante, faisaient mourir quotidiennement 150 à 200 hommes. Les envahisseurs germano-fascistes ont exterminé au camp plus de 60.000 citoyens paisibles et prisonniers de guerre. Le fait de l’extermination des combattants et des officiers de l’Armée rouge, ainsi que des civils est confirmé par les dépositions des médecins prisonniers internés dans ce camp : Smimov, Hmyrov, Pogrebnov, Erpylov, Demidov, par les infirmières Choubina et Lenkovskya, ainsi que par les soldats de l’Armée rouge et par les habitants de la ville de Smolensk.
« Sous la direction du « Sonderführer » Eduard Hiess, des milliers de prisonniers de guerre ont été fusillés au camp. Le sergent Hatlin se comportait sauvagement envers les prisonniers de guerre. Ces derniers le savaient et s’efforçaient de ne pas tomber sous sa vue. Mais Hatlin, revêtu d’une tenue de soldat de l’Armée rouge, se mêlait à la foule, et ayant choisi une victime, la battait furieusement. Le soldat Rudolf Radtke, ancien lutteur dans un cirque allemand, s’était spécialement confectionné une cravache en fil d’aluminium avec laquelle il battait les internés du camp. Le dimanche, il arrivait ivre au camp, se précipitait sur le premier prisonnier, le torturait et le tuait.
« A la centrale électrique de Smolensk, les fascistes forçaient au travail les citoyens soviétiques exténués et malades. Il n’était pas rare de voir des prisonniers, exténués par le manque de nourriture, tomber à la suite d’un travail trop dur. Ils étaient fusillés sur place par le Sonderführer Szepalski, par le Sonderführer Brahm, par Hofmann Mauser, par le Sonderführer Wagner.
« Il existait à Smolensk un hôpital pour prisonniers de guerre ;
les prisonniers soviétiques qui y ont travaillé ont déclaré : « Avant « juillet 1942, les malades étaient disposés à même le sol, sans « pansements. Leurs vêtements et leurs couches étaient recouverts « non seulement de crasse, mais de pus. Les locaux n’étaient pas « chauffés et, dans les couloirs, le plancher se recouvrait d’une « croûte de glace. »
Au rapport de la Commission extraordinaire d’État est joint le rapport d’expertise médico-légale. Les experts, en la personne de l’académicien Bourdenko, membre de la Commission extraordinaire, du docteur Prozorovsky, expert médico-légal principal du « Narkomzdrav » (ministère de la Santé publique), docteur Smolianinov, professeur de médecine légale au 2e Institut de médecine de Moscou et d’autres spécialistes, ont effectué entre le 1er et le 16 octobre 1943 de nombreuses exhumations et de nombreux examens médico-légaux de cadavres, dans la ville de Smolensk et dans ses environs.
De nombreuses tombes-fosses contenaient des cadavres de personnes massacrées pendant la période de l’occupation germano-fasciste. La quantité des cadavres découverts dans ces fosses varie entre 500 et 4.500, dans chaque endroit où l’on procéda à des exécutions en masse.
Je ne lirai que les extraits de la conclusion qui ont directement trait à cette question ; vous trouverez à la page 61 de votre livre de documents l’extrait dé la page 9 de notre document URSS-56 que je vais citer :
« Les cadavres trouvés dans les fosses étaient pour la plupart nus, presque nus ou revêtus de vieux linge. Les cadavres portant des vêtements ou des tenues militaires étaient en minorité.
A la seconde page du document URSS-56, à la page 62 de votre livre de documents, au second alinéa, il est dit :
« Des papiers d’identité n’ont été trouvés que dans seize cas : trois passeports, un livret de l’Armée rouge et douze plaques d’identité ». Je veux parler du médaillon que chaque soldat de l’Armée rouge portait sur lui : c’est une espèce de trousse renfermant des papiers avec le nom, le prénom, le rang et l’adresse du combattant. « Pour rétablir l’identité du défunt, on ne possédait souvent que des lambeaux de vêtements et des tatouages. »
Cette circonstance confirme que les Allemands s’efforçaient de rendre impossible l’identification de leurs victimes, comme il était d’ailleurs indique dans les directives spéciales allemandes. Au premier alinéa de la page 11 du document URSS-56 et à la page 63 de votre livre de documents, on dit :
« L’examen des cadavres exhumés sur les territoires du grand et du petit camp de concentration de l’usine n° 35, de l’ancien hôpital allemand pour prisonniers de guerre, de la scierie, du camp de concentration des environs des villages de Petchersky et de Rakitnis, a montré que, dans la majorité écrasante des cas, les raisons ayant entraîné la mort étaient la faim, l’inanition ou les maladies infectieuses aiguës. Comme preuves matérielles de mort par inanition, observées lors de l’examen des cadavres, on a constaté l’absence totale des tissus gras, et la découverte dans de nombreux cas de masses d’herbes et de feuilles, de tiges et de plantes dans l’estomac. »
A la même page 63, un peu plus bas, vous trouverez l’extrait suivant, au quatrième alinéa :
« Une quantité importante des charniers découverts (87) contenant de nombreux cadavres, avec les différences constatées dans les dates des inhumations, relatives aux périodes s’étendant de la seconde moitié de 1941 à 1942, et de 1942 à 1943, témoignent de l’extermination systématique de citoyens soviétiques. Les victimes, dans la plus grande majorité des cas, étaient surtout des hommes à la fleur de l’âge, entre 20 et 40 ans.
Un peu plus bas, sur la même page, on lit : « Une attention toute spéciale doit être portée au fait que, à part quelques rares exceptions, les cadavres exhumés n’ont plus de chaussures. De même les vêtements manquent, en règle générale, ou ne consistent plus qu’en sous-vêtements usagés ou en lambeaux. Il est en conséquence naturel de conclure que l’enlèvement des vêtements et des chaussures présentant de la valeur précédait, selon un ordre officiel déterminé, l’extermination des citoyens soviétiques. »
Dans la conclusion, la Commission mentionne les moyens d’extermination, fusillades, empoisonnement par les gaz, etc... Tout ceci ne constitue rien de nouveau, et il n’y a aucune raison de donner lecture de cette partie de la conclusion.
Dans notre document URSS-6 (c) sont mentionnés les rapports d’expertises des médecins légistes et les conclusions de ces expertises. Nous les trouvons aux pages 9, 10, 11 et 12 du document. Je me permettrai de donner un résumé de ce rapport et de citer quelques mots de ses conclusions. Dans ces rapports il est dit que, dans la ville de Rawa-Ruska, située à 52 kilomètres au nord-est de la ville de Lwow, les hitlériens avaient organisé un grand camp pour les prisonniers de guerre. Dans ce camp furent détenus et périrent un grand nombre de prisonniers de guerre soviétiques et français. Ils furent fusillés, moururent de maladies contagieuses ou des suites de la famine. Les recherches des médecins légistes ont permis la découverte d’une série de fosses de grandes dimensions. Certaines d’entre elles étaient camouflées à l’aide de plantes et de verdure. On y découvrit une quantité importante de cadavres en vêtements militaires ou semi-militaires. Sur certains d’entre eux furent découverts des plaques d’identité des soldats de l’Armée rouge. L’âge des prisonniers de guerre dont les cadavres ont été retirés des fosses varie de 20 à 40 ans.
La conclusion dit (je cite ce qui se trouve à la page 70 du livre de documents) :
« Les indications fournies par l’examen des cadavres retirés des fosses permettent de conclure que ce sont réellement des cadavres de prisonniers de guerre soviétiques qui ont été ensevelis dans ces fosses. Les ensevelissements étaient effectués en masse. Les cadavres étaient entassés à raison de 350 à 400 par fosse, par couches compactes, les fosses ne dépassant pas 7 mètres sur 4. Les cadavres étaient ensevelis dans les vêtements qu’ils portaient au moment de la mort. L’absence de chaussures sur tous les cadavres indique soit que les prisonniers de guerre soviétiques étaient détenus sans chaussures, soit que ces chaussures étaient enlevées après leur mort. Les prisonniers de guerre étaient gardés dans des conditions d’hygiène épouvantable : tous les vêtements étaient entièrement couverts de poux. A en juger par les vêtements, la mort dans la majorité des décès était survenue pendant la saison froide. Malgré cela, les vêtements chauds font défaut sur presque tous les cadavres. Pour se sauvegarder contre le froid, les prisonniers de guerre mettaient deux ou trois tenues d’été, s’enveloppaient de sacs, de serviettes, etc. »
Je saute quelques phrases de ce rapport, et voudrais citer le passage qui fait mention de la quantité totale de cadavres (c’est la page 70 du livre de documents) :
« Le nombre des fosses (36), leurs dimensions et la quantité de cadavres découverts permettent de penser qu’à cet endroit sont ensevelis de 10000 à 12000 cadavres de prisonniers de guerre soviétiques. Le degré de décomposition des cadavres montre que ces cadavres sont restés sous terre environ trois ans, c’est-à-dire que le moment de leur inhumation doit remonter à la fin de l’automne ou de l’hiver 1941-1942. »
Le rapport de la Commission extraordinaire d’État pour l’établissement et l’instruction des crimes de l’envahisseur germano-fasciste dans la ville d’Orel et dans sa région (je soumets ce document au Tribunal sous le n° URSS-46) souligne, dans un chapitre spécial, les exterminations massives de prisonniers de guerre qui se sont effectuées pendant une longue période de temps.
Le camp pour les prisonniers de guerre fut établi dans la prison de la ville d’Orel. Après l’expulsion de la ville d’Orel des envahisseurs germano-fascistes, la Commission extraordinaire a pu obtenir le témoignage de quelques médecins militaires internés dans ce camp et qui ont miraculeusement échappé à la mort. Dans ce rapport figurent les observations personnelles d’un membre de cette Commission extraordinaire d’État, l’académicien Bourdenko, qui a personnellement examiné les personnes que l’Armée rouge a libérées de ce camp, de ses dépendances et de son soi-disant dispensaire. La déduction générale permet de conclure que, dans le camp d’Orel ainsi que dans les autres camps, les hitlériens ont procédé à l’extermination à outrance des citoyens soviétiques.
Les prisonniers recevaient 200 grammes de pain et un litre de soupe de haricots et de farine moisie. Le pain était fabriqué avec un mélange de sciure de bois. L’administration du camp, y compris les médecins, traitait les prisonniers de guerre d’une manière atroce.
Je voudrais citer quelques extraits du rapport de la Commission, et je commence au cinquième alinéa de la page 2 du document que vous trouverez page 72 du livre de documents :
« Le chef du camp, le commandant Hoffmann, battait les prisonniers de guerre, astreignait les détenus exténués par le manque de nourriture à des travaux pénibles dans les carrières avoisinantes et les obligeait à décharger les munitions.
« On enlevait aux prisonniers de guerre leurs chaussures et leurs bottes, et on leur donnait en échange des sabots de bois. En hiver, les sabots devenaient glissants et lorsque les prisonniers marchaient, en particulier lorsqu’ils montaient au deuxième et troisième étage, ils tombaient dans l’escalier et se blessaient. »
Le docteur H. I. Tscetkov, qui fut interné dans un camp de prisonniers de guerre, a fourni le témoignage suivant (je cite, et vous le trouverez à la page 72 et au début de la page 73) :
« Pendant la période de mon séjour au camp d’Orel, je puis dire que le traitement accordé par le commandement allemand aux prisonniers de guerre n’avait pour but que l’extermination consciente et voulue des forces vives représentées par les prisonniers de guerre. La nourriture qui ne dépassait pas un maximum de 700 calories amenait, par suite du travail disproportionné, l’épuisement total de l’organisme, la cachexie et la mort...
« Les médecins allemands du camp, Kuper et Beckel, affirmaient, malgré nos protestations catégoriques et la lutte que nous menions contre ce meurtre en masse des citoyens soviétiques, que la nourriture était parfaitement suffisante. Bien plus, ils niaient que l’œdème des prisonniers fût dû à la famine et l’imputaient avec un parfait sang-froid à des maladies cardiaques ou rénales. Il était interdit d’indiquer dans les diagnostics : « Œdème de famine ». Dans ce camp régnait une mortalité massive. Sur le nombre total des morts, 3.000 moururent par suite de la famine et des complications survenues du fait du manque de nourriture.
« Les prisonniers de guerre vivaient dans des conditions terribles qu’il est impossible de décrire. Les moyens de chauffage faisaient entièrement défaut, l’eau également. La vermine infectait tout, les prisonniers étaient entassés dans des conditions intolérables. Dans les cellules de la prison, dans un local de 15 à 20 mètres carrés, on entassait de 50 à 80 personnes. Les prisonniers de guerre mouraient à raison de 5 à 6 par cellule et les vivants dormaient sur les morts. »
Il est dit plus loin qu’un régime d’une horreur toute particulière était réservé aux prisonniers qui étaient classés dans la catégorie des « réfractaires ». On les affectait à une formation spéciale dénommée « bloc de la mort ». On y prenait selon un ordre déterminé, tous les mardis et vendredis, 5 à 6 hommes pour les fusiller. A ces exécutions assistait, parmi d’autres personnes, le docteur allemand Kuper.
L’académicien Bourdenko a établi qu’au soi-disant dispensaire, les prisonniers étaient exterminés comme dans le reste du camp.
A l’avant-dernier paragraphe de la page 3, nous lisons (les membres du Tribunal trouveront ce texte à la page 73 du livre de documents) :
« Les spectacles que j’ai dû voir dépassent toute imagination. La joie qu’on éprouvait à la vue des personnes libérées était assombrie par l’expression livide et la stupeur de leurs visages. Ce fait me força à me demander de quoi il pouvait bien s’agir : il était évident que les souffrances endurées amenaient les prisonniers à considérer la vie et la mort du même œil indifférent.
« Pendant trois jours, j’ai observé ces gens, je les ai pansés, je les ai évacués, mais cet état de stupeur psychique ne changeait pas. Quelque chose de semblable se lisait aussi pendant les premiers jours sur les visages des médecins.
« Les internés mouraient au camp, des maladies, du froid, des coups reçus. Ils mouraient à l’hôpital-prison, de l’infection des blessures, de la septicémie, de la famine.
Le 2 mai 1945, le SS Paul-Ludwig-Gottlieb Waldmann fut fait prisonnier à Berlin. Il était né le 17 octobre 1914 à Berlin, fils du commerçant Ludwig Waldmann. Sa mère vivait, selon les dernières nouvelles qu’il avait reçues avant d’être fait prisonnier, dans la ville de Braunschweig, au 60 du Donnerburgweg. Il a fourni un témoignage écrit de sa main, dans lequel il parle des exterminations en masse de citoyens soviétiques. Il a pu observer ces exterminations en sa qualité de chauffeur préposé à divers camps et a participé lui-même à ces assassinats collectifs. Ses témoignages figurent à la page 9 de notre document URSS-52, intitulé « camp d’Auschwitz ». Il donne les informations les plus détaillées sur les meurtres au camp de Sachsenhausen. A la fin de l’été 1941, le Sonderkommando de la police de sécurité, qui se trouvait dans ce camp, a exterminé quotidiennement, pendant un mois, les prisonniers de guerre russes arrivant dans ce camp. Paul-Ludwig-Gottlieb Waldmann déposa comme suit (vous trouverez l’extrait que je suis en train de lire à la page 82) :
« De la gare jusqu’au camp, les prisonniers de guerre russes parcouraient près d’un kilomètre. Au camp, ils demeuraient pendant une nuit sans nourriture. Dans la soirée suivante, ils étaient emmenés pour être exécutés. Les internés étaient toujours transférés du camp intérieur, dans trois camions, dont je conduisais l’un. Le camp intérieur était à une distance d’environ un kilomètre trois quarts de la cour des exécutions. L’exécution même avait lieu dans une baraque, qui, quelque temps avant, avait été aménagée à cet effet.
« Un local était destiné au déshabillage, un autre à l’attente. un poste de radio fonctionnait dans le local, assez fort, afin que les internés ne pussent deviner à l’avance que la mort les attendait. En quittant le deuxième local, ils passaient un à un dans un autre petit local séparé, sur le sol duquel était disposée une grille en fer ; sous la grille, se trouvait un caniveau. Dès que le prisonnier de guerre était tué, le cadavre était enlevé par deux internés allemands, tandis qu’on nettoyait les traces de sang sur la grille. Ce petit local comportait une fente d’environ 50 centimètres. Le prisonnier de guerre était adossé à cette fente, derrière laquelle se portait un tireur. Pratiquement, un tel aménagement n’était pas satisfaisant, car il arrivait souvent que le tireur manquât sa victime. Au bout de huit jours, un autre dispositif fut aménagé. Le prisonnier, comme auparavant, était adossé au mur ; ensuite, lentement, on descendait sur sa tête, une plaque de fer. Le prisonnier avait l’impression de passer sous la toise. La plaque de fer comportait un marteau qui était rabattu et qui frappait le prisonnier dans la nuque. Il tombait raide mort. La plaque de fer était manœuvrée au moyen d’un levier à pied qui était disposé dans un coin de cette pièce. Le personnel appartenait au Sonderkommando que j’ai déjà cité.
« A la demande des membres de cette équipe d’exécution, j’ai eu à servir auprès de cet appareil. J’en parlerai plus loin. Les prisonniers de guerre ainsi exécutés étaient incinérés dans quatre crématoires ambulants qui étaient remorqués par des automobiles. Je devais constamment me déplacer entre le camp intérieur et la cour des exécutions. Dans la nuit, je devais faire dix voyages avec des arrêts de quelque dix minutes. C’est au cours de ces arrêts que j’ai pu être témoin de ces exécutions. »
Il y a encore une grande distance entre ces assassinats individuels et les usines de la mort de Treblinka, Dachau et Auschwitz, mais le but et les méthodes sont les mêmes.
Les méthodes et l’échelle sur laquelle s’effectuaient les assassinats changeaient. Les hitlériens s’efforçaient de trouver des moyens d’extermination rapides de grandes quantités d’êtres humains.
Ils ont travaillé longtemps pour arriver à la solution de ce problème. Et pour réaliser leurs ambitions, ils se sont attelés à cette tâche avant même leur attaque contre l’URSS, en inventant des moyens et des instruments différents de mise à mort qui feraient tomber des habitants paisibles et des prisonniers de guerre sous le coup des barbares hitlériens,
Je présente au Tribunal un rapport de la Commission extraordinaire sur les atrocités allemandes dans la République socialiste soviétique de Lituanie. C’est notre document URSS-7. Ici comme ailleurs, l’extermination massive de prisonniers de guerre soviétiques faisait partie du plan sauvage des envahisseurs fascistes. Je citerai quelques phrases de la page 6 de ce document. Dans l’exemplaire qui se trouve entre vos mains, elles sont marquées au clayon rouge, à la page 86 du livre de documents :
« A Kaunas, dans le fort n° 6, se trouvait le camp n° 336 réservé aux prisonniers de guerre soviétiques. Dans ce camp était appliqué aux prisonniers de guerre un régime de brimades et de tortures sauvages strictement conformes aux instructions inhumaines « pour les commandants et les convoyeurs des équipes de travailleurs. »
« Dans le fort n° 6, les prisonniers de guerre étaient voués à l’épuisement et à la mort par la faim.
« Le témoin Medichevskaya a déclaré à la Commission : « Les prisonniers de guerre souffraient atrocement de la faim ; j’ai vu comment ils arrachaient de l’herbe et la mangeaient. »
Je passe encore quelques phrases et je cite plus loin :
« A l’entrée du camp n° 336 était affiché un panneau avec la déclaration suivante, dans les langues allemande, lituanienne et russe : « Quiconque aura des rapports avec des prisonniers de guerre, en particulier celui qui leur donnera de la nourriture, des cigarettes ou des habits civils, sera fusillé. »
« Dans le camp du fort n° 6, il y avait un hôpital pour prisonniers de guerre qui, en réalité, servait en quelque sorte de point intermédiaire entre le camp et la tombe. Les prisonniers de guerre jetés dans ce dispensaire étaient voués à la mort. D’après les rapports mensuels allemands sur les maladies contractées par les prisonniers de guerre au fort n° 6, il résulte que, de septembre 1941 à juillet 1942, c’est-à-dire dans une seule période de onze mois, 13.936 prisonniers de guerre soviétiques sont morts dans cet « hôpital ».
Je passe sur la liste des tombes ouvertes ; je n’en citerai qu’une ligne qui donne le chiffre total : « En tout, comme le montrent les documents du camp, près de 35.000 prisonniers de guerre sont enterrés ici. »
Outre le camp n° 336, dans la même ville de Kaunas, sur les abords sud-ouest de l’aérodrome, se trouvait un camp ne portant pas de numéro. Dans le rapport qui le concerne, on peut lire :
« De même que dans le fort n° 6, la faim, le fouet et les coups de bâton régnaient en maîtres. Les prisonniers de guerre exténués, qui ne pouvaient plus se mouvoir, étaient quotidiennement emportés en dehors du camp, déposés vivants dans des trous creusés à l’avance et enterrés. »
Dans les trois dernières lignes du paragraphe de gauche, à la page 6 du document URSS-7, et page 86 de notre livre de documents, il est dit :
« Selon les archives, les documents et les dépositions des témoins, la Commission a établi qu’ici, dans la région de l’aérodrome, ont été torturés à mort et enterrés près de 10.000 prisonniers de guerre soviétiques. »
Le rapport mentionne encore le camp n° 133, près de la ville d’Alitus, ainsi que certains autres camps qui ont été mis sur pied en juillet 1941 et qui ont subsisté jusqu’en avril 1943. Dans ces camps, les gens mouraient de froid. Lors de leur descente des wagons, les Allemands fusillaient ceux qui ne pouvaient pas marcher. Les prisonniers étaient torturés jusqu’à ce qu’ils perdissent connaissance, pendus par les pieds à des chaînes, descendus et arrosés d’eau froide, puis, pendus à nouveau. Faisant le bilan des personnes exterminées, la Commission écrit (ces quelques lignes citées se trouvent à la page 86 du livre de documents) :
« Il est établi que dans tous les camps énumérés se trouvant sur le territoire de la RSS de Lituanie, les Allemands ont exterminé non moins de 165 000 prisonniers de guerre soviétiques. »
L’extermination des prisonniers de guerre soviétiques était littéralement effectuée dans tous les camps. Des milliers de combattants soviétiques ont péri également au camp de la mort de Maïdanek. Dans le communiqué commun, établi par la Commission extraordinaire polono-soviétique, qui vous est soumis comme document URSS-29, il est souligné au second alinéa de la page 5, et à la page 92 du livre de documents, que :
« L’histoire sanglante de ce camp commence par l’exécution en masse des prisonniers de guerre soviétiques, organisée par les SS en novembre-décembre 1941. D’un contingent de plus de 2.000 prisonniers de guerre soviétiques, ne sont restés que 80 hommes. Tous les autres furent fusillés, à l’exception d’un petit nombre qui furent torturés à mort. »
Dans la période de janvier à avril 1942, de nouveaux contingents de prisonniers de guerre soviétiques furent amenés au camp et fusillés. Le chauffeur de camion Nedzeliak Jan, qui a été employé au camp, a déclaré :
« Près de 5.000 prisonniers de guerre russes ont été exterminés par les Allemands, en hiver 1942, de la façon suivante : on les emmenait en camion de leurs baraques vers des fosses situées dans l’ancienne carrière, et on les y fusillait. »
Les prisonniers de guerre de l’ancienne Armée polonaise, faits prisonniers en 1939 et internés dans divers camps d’Allemagne, furent rassemblés dès 1940 au camp de Lublin, dans la rue Lipova, puis, peu après, transférés par fournées au camp d’extermination de Maïdanek, où ils subirent le même sort : tortures systématiques, assassinats, pendaisons, et où ils furent fusillés en masse
Le témoin Reznik a déposé comme suit :
« En janvier 1941, prés de 4.000 d’entre nous, prisonniers de guerre juifs, avons été chargés dans des wagons et expédiés vers l’Est. On nous conduisit jusqu’à Lublin, où nous fûmes débarqués et remis aux SS. En septembre ou en octobre 1942, au camp n° 7 de la rue Lipova, ne furent laissés que ceux qui étaient des ouvriers qualifiés et qui pouvaient servir à quelque chose dans la ville, tandis que tous les autres, dont j’étais, furent envoyés au camp de
Maïdanek. Nous savions déjà tous très bien que le fait d’être envoyés au camp de Maïdanek voulait dire mourir. De ce contingent de 4.000 prisonniers de guerre n’ont réchappé que quelques individus qui se sont évadés alors qu’ils accomplissaient des travaux en dehors du camp.
« A l’été 1943, au camp de Maïdanek arrivèrent 300 officiers soviétiques, dont 2 colonels et 4 commandants ; les autres étaient des capitaines ou des lieutenants. Tous ces officiers furent fusillés au camp. »
D’immenses camps d’extermination pour les prisonniers de guerre soviétiques ont été organisés par les fascistes allemands sur le territoire de la République Socialiste Soviétique de Lettonie. Le rapport de la Commission extraordinaire d’État ayant procédé à la recherche des crimes des envahisseurs allemands commis sur le territoire de cette république (nous présentons ce document au Tribunal sous le n° URSS-41) contient les renseignements suivants sur l’extermination de 327.000 prisonniers de guerre soviétiques. Je cite un extrait de la page 7, colonne de droite. Vous le trouverez page 97 de votre livre de documents.
« Pour les prisonniers de guerre soviétiques, les Allemands ont organisé à Riga, dans les locaux des anciennes casernes situées dans les rues Pemawski et Rudolf, le Stalag 350, qui exista de juillet 1941 à octobre 1944. Les prisonniers de guerre soviétiques étaient détenus dans des conditions inhumaines. Le bâtiment où ils étaient logés était sans fenêtres et n’était pas chauffé. Malgré un dur travail de forçats, de 12 à 14 heures par jour, l’ordinaire des prisonniers de guerre était composé de 150 à 200 grammes de pain, et de soi-disant soupe faite d’herbes, de pommes de terre pourries, de feuilles d’arbres et de divers détritus. »
Il me paraît nécessaire de souligner l’uniformité de l’ordinaire touché par les prisonniers de guerre. Les dépositions des témoins coïncident entièrement avec l’ordre officiel relatif aux rations des prisonniers de guerre que j’ai déjà lu lors de la précédente audience.
L’ancien prisonnier de guerre P. F. Jakowleff, du camp « Stalag 350 », a déposé ce qui suit (page 97 du livre de documents, j’oubliais de vous le signaler) :
« Nous ne recevions que 180 grammes de pain dont la moitié se composait de sciure et de paille, et un litre de potage non salé fait avec des pommes de terre non épluchées et pourries. Nous dormions à même le sol et nous étions envahis par les poux. Entre décembre 1941 et mai 1942, 30.000 des prisonniers de guerre du camp ont péri par la faim, le froid, les coups, le typhus exanthématique ou bien ont été exécutés. Les Allemands fusillaient chaque jour les prisonniers de guerre malades ou incapables de se rendre au travail. Les prisonniers de guerre étaient maltraités et battus sans aucune raison. »
G. B. Novitzkaya, qui avait travaillé comme infirmière major à l’hôpital des prisonniers russes sis 1, rue du Collège, a déclaré qu’elle a vu les malades apaiser leur faim en mangeant de l’herbe ou les feuilles des arbres.
« Dans les sections du Stalag 350 qui se trouvaient sur le territoire de l’ancienne brasserie, et dans les casernes de Panzer, du mois de septembre 1941 au mois d’avril 1942, plus de 19.000 hommes avaient péri par suite de mauvais traitements, de la faim et des épidémies. Les Allemands fusillaient les prisonniers de guerre blessés. Les prisonniers de guerre soviétiques périssaient pendant leur transport au camp, car les Allemands les laissaient sans nourriture et sans eau. »
Le témoin A. B. Taukoulis a déposé :
« A l’automne de 1941, à la gare de Salaspil, arriva un transport de prisonniers de guerre soviétiques se composant de 50 à 60 wagons. Quand les wagons furent ouverts, une odeur de cadavres se répandit au loin ; la moitié des hommes étaient morts. Plusieurs étaient dans le coma. Les hommes qui étaient encore capables de sortir des wagons se précipitèrent sur l’eau, mais les sentinelles ouvrirent le feu et en abattirent quelques dizaines. »
Je ne vais pas citer d’autres faits qui se sont passés au Stalag 350. Je ne lirai que la phrase finale de la conclusion sur ce camp. J’ai peur qu’une erreur d’impression ne se soit glissée dans votre livre de documents à cet endroit. Si je ne me trompe, on y parle de la fusillade de 120.000 hommes. Ce chiffre n’est pas exact, Le rapport original donne un autre chiffre que je vais maintenant citer :
« Au Stalag 350 et dans ses dépendances, les Allemands ont torture et fusillé plus de 130.000 prisonniers de guerre soviétiques. »
A la page 97 du livre de documents, vous pourrez trouver l’extrait suivant de ce rapport :
« A Daugabpils (Dvinsk) se trouvait le camp de prisonniers de guerre soviétiques « Stalag 340 », qui était connu des habitants de la ville et des prisonniers eux-mêmes sous le nom du « camp de la mort ». Au cours de trois années, plus de 124.000 prisonniers de guerre soviétiques y ont trouvé la mort, due à la faim, aux mauvais traitements et aux exécutions.
« Les bourreaux allemands commençaient à faire subir de mauvais traitements aux prisonniers de guerre dès le cours de leur acheminement vers le camp. Le transport des prisonniers de guerre s’effectuait en été dans des wagons complètement fermés et en hiver dans des wagons mi-ouverts ou sur des plates-formes. Les hommes mouraient en masse de faim et de soif. En été, ils étouffaient du fait du manque d’air tandis qu’en hiver ils périssaient à cause du froid ».
Le témoin T. K. Ousenko a déposé :
« En novembre 1941, j’étais en service à la gare de Most en qualité d’aiguilleur, et j’ai vu qu’au kilomètre 217 (c’était la façon de désigner ce secteur de voie) passait un transport qui se composait de plus de 30 wagons. Dans ces wagons il n’y avait pas un seul homme vivant. Au moins 1.500 cadavres ont été déchargés de ce transport. Tous ne portaient que leur linge de corps. Ils ont été laissés à proximité des voies ferrées pendant une semaine environ. »
L’hôpital du camp était voué également à l’extermination des prisonniers de guerre. L’institutrice V. A. Efimova, qui avait travaillé dans cet hôpital, a déposé ainsi devant la commission :
« Il était rare que quelqu’un sortît vivant de cet hôpital. Cinq équipes de fossoyeurs, composées de prisonniers de guerre, étaient chargées d’assurer avec des chariots à bras le transport des cadavres de l’hôpital au cimetière. Il arrivait souvent que des hommes encore vivants fussent jetés sur ce chariot : on mettait au-dessus six ou sept cadavres. On enterrait ainsi les vivants avec les morts. Les malades agonisants étaient achevés à l’hôpital à coups de bâton.
Lorsqu’une épidémie éclatait au camp, les hitlériens emmenaient à l’aérodrome tous les prisonniers de guerre de chaque baraque où avaient été découverts des malades du typhus et les fusillaient. C’est ainsi que près de 45.000 prisonniers de guerre soviétiques furent exterminés.
Les documents d’une commission extraordinaire qui enquêta sur les crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes aux environs de Sébastopol, Kertch et au sanatorium de Teberda rapportent des faits épouvantables. Je cite quelques extraits de notre document URSS-63 (5) : « Le commandement germano-fasciste avait organisé à la prison de Sébastopol un hôpital destiné aux prisonniers de guerre malades et aux blessés. Les prisonniers de guerre soviétiques y mouraient en masse. Je lis quelques phrases qui se trouvent à la page 99 de votre livre de documents :
« Quand l’hôpital fut organisé, les malades et les blessés ne reçurent pendant cinq ou six jours ni eau ni nourriture, et les Allemands ajoutèrent cyniquement que c’était pour les punir de l’acharnement avec lequel les Russes avaient défendu Sébastopol. Les blessés amenés des champs de bataille ne recevaient pas de soins médicaux. Les soldats et officiers étaient jetés sur le sol cimenté, où ils restaient, perdant leur sang, pendant sept ou huit jours. Pendant la défense de Sébastopol, un hôpital militaire et le 47e bataillon sanitaire avaient été installés dans les caves d’une fabrique de champagne à Inkermann. Après la retraite de l’Armée rouge, un grand nombre de soldats et officiers blessés, qui n’avaient pu être évacués à temps, restèrent dans les caves 10, 11, 12 et 13. Après avoir occupé la fabrique, les Allemands s’enivrèrent et mirent sauvagement le feu aux caves. »
Je passe une série de faits dont la majorité aurait dû faire l’objet d’une mention spéciale devant le Tribunal, et j’en arrive aux derniers crimes décrits dans le rapport de la commission. Je leur attache une importance particulière, parce qu’ils démontrent les exterminations en masse d’une très grande quantité de soldats blessés de l’Armée rouge (page 99 du livre de documents) :
« Le 4 décembre 1943 arrivèrent de Kertch en gare de Sébastopol trois convois de prisonniers de guerre blessés, appartenant au corps de débarquement de Kertch. Les blessés furent chargés sur une péniche de 2.500 tonnes amarrée dans la baie du Sud, non loin du théâtre de débarquement et les Allemands y mirent le feu. Les cris déchirants des prisonniers de guerre retentirent. Les femmes se trouvant à proximité de cette péniche ne pouvaient porter secours aux blessés, car elles étaient repoussées par les gendarmes du lieu de l’incendie. Une quinzaine d’hommes seulement réussirent à s’échapper. Des milliers périrent dans l’incendie. Le lendemain, on chargea sur une péniche semblable 2.000 hommes choisis parmi les blessés venant de Kertch. La péniche quitta Sébastopol pour une direction inconnue et les blessés qui s’y trouvaient furent coulés en pleine mer. »
Je répète que je passe sous silence une quantité appréciable de faits établis par la Commission.
Les crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes dans la région de Stalino contre les prisonniers de guerre soviétiques diffèrent peu de ceux qui ont déjà été rapportés. Sous notre cote URSS-2 (a), parmi toute une série de documents, nous en trouvons deux relatifs à l’extermination des prisonniers de guerre soviétiques. Le premier a été établi le 22 septembre 1943 à Stalino par une Commission spéciale dirigée par le Président du Soviet des Députés des travailleurs de la région de Stalinozavodsk. Je lis la partie de ce document, qui rapporte les renseignements qui nous intéressent. Le document débute dans la colonne de gauche, page 3 du document URSS-2 (a), et les extraits cités se trouvent au livre de documents, page 108.
« Exposé des faits : Dans la région industrielle de Stalino, les envahisseurs germano-fascistes organisèrent au club Lénine un camp de prisonniers de guerre soviétiques. Ce camp contenait parfois jusqu’à 20.000 hommes. Le commandant du camp, un officier allemand du nom de Habel, y établit un régime insupportable pour les prisonniers de guerre soviétiques.
« Interrogés comme témoins, d’anciens prisonniers de guerre internés dans ce camp, d’où ils s’étaient évadés, Ivan Basilevitch Plakhoff et Constantin Simonovitch Chatsky, ont déclaré que les prisonniers de guerre étaient soumis à un régime de famine. On leur donnait 1.200 grammes de pain fait de farine de très mauvaise qualité et brûlé, pour huit, et une fois par jour un litre de nourriture liquide chaude, se composant d’un peu de son brûlé auquel on ajoutait parfois de la sciure de bois. Les locaux dans lesquels étaient installés les prisonniers de guerre étaient sans vitres, et, en été comme en hiver, même durant les grands froids, on ne leur attribuait que cinq kilos de charbon par jour, qui ne permettaient pas de chauffer un grand local où mille prisonniers étaient logés en plein courant d’air. Les cas de membres gelés étaient fréquents. Il n’y avait pas d’installation de bains. Les hommes restaient six mois sans se laver, et étaient envahis par les parasites. Pendant les fortes chaleurs de l’été, les prisonniers souffraient de la soif ;
souvent ils ne recevaient de l’eau potable que tous les trois ou cinq jours. »
Comme on le voit d’après l’extrait cité, le régime du camp créé dans la région de Stalino était exactement celui des autres camps allemands de prisonniers de guerre. Cela prouve qu’il existait certainement des directives générales.
L’extrait suivant montre qu’en plus des instructions générales, les commandants des camps avaient la possibilité de commettre eux-mêmes des atrocités, d’interpréter à leur manière les règlements prévus et de jouir d’une impunité complète. Page 105 du livre de documents, vous trouverez l’extrait suivant :
« Même pour des raisons insignifiantes, les prisonniers de guerre recevaient des coups de bâton et de crosse de fusil, et s’ils étaient soupçonnés de tentatives d’évasion, ils recevaient 720 coups de fouet qui étaient administrés pendant 8 jours, à raison de 30 coups matin, midi et soir, avec suppression simultanée de la ration de pain et d’une demi-ration de nourriture liquide. »
Le résultat d’un régime pareil se traduisit par une mortalité énorme dans le camp. En hiver la mortalité s’élevait à 200 hommes par jour. Les épidémies éclataient dans le camp. On constatait de nombreux œdèmes de famine, ainsi que des décès dus au manque de nourriture. La garde se donnait le plaisir d’humilier les prisonniers de guerre en les excitant les uns contre les autres. Ainsi, Chatsky déclara qu’il reçut des policiers allemands 120 coups de fouet et 15 coups de bâton, parce qu’il avait refusé de frapper un camarade prisonnier de guerre. Les officiers allemands dirigeaient ces châtiments corporels Le ravitaillement que la population civile apportait aux prisonniers de guerre ne leur parvenait pas. La Commission a conclu qu’aux environs du camp et de la polyclinique centrale, 25.000 prisonniers de guerre soviétiques ont été enterrés. Cette affirmation est basée sur le nombre des tombes et sur les déclarations des témoins.
L’extermination en masse et le meurtre des prisonniers par les envahisseurs germano-fascistes avaient été organisés dans d’autres camps également. Une Commission spéciale, se composant du procureur de la ville d’Artiemovsk, du curé de Pokrovsk, à Zumin, des représentants de la classe intellectuelle, des organisations publiques et militaires, a fait un rapport sur la manière dont les envahisseurs fascistes avaient organisé l’extermination en masse des prisonniers de guerre soviétiques.
Nous le trouvons à la page 4 du document URSS-2 (a), page 105 de votre livre de documents. Il y est dit :
« En novembre 1941, peu de temps après l’occupation de la ville d’Artiemovsk par les envahisseurs germano-fascistes, ceux-ci ont installé dans un petit quartier militaire situé derrière la gare du Nord un camp de prisonniers de guerre dans lequel se trouvaient 1.000 prisonniers de l’Armée rouge. »
Je passe un alinéa et j’arrive à la question de la vie et des conditions au camp ;
« Au printemps 1942, par suite de la famine, les prisonniers de guerre sortaient du camp et, marchant à quatre pattes comme des animaux, ramassaient et mangeaient de l’herbe. Pour leur interdire même cette nourriture, les Allemands entourèrent le camp d’une double enceinte de fils de fer barbelés, distants l’un de autre de deux mètres et dont l’intervalle était parsemé de hérissons de fil de fer. »
Je passe encore un alinéa et j’en viens à la lecture des conclusions :
« A proximité du camp, on a découvert 25 tombes dont 3 fosses communes. Dans la première tombe de 20 mètres sur 15, on a découvert les restes de 1.000 personnes environ. Dans la deuxième tombe de 27 mètres sur 14, on a découvert les ossements de 900 êtres humains. Dans la troisième tombe de 20 mètres sur 1, on a découvert les ossements de 500 êtres humains. Dans les autres tombes, on a découvert les restes de 25 à 30 hommes, au total, les restes de près de 3.000 personnes. »
Dans la région de la petite ferme de Vertiatchi, commune de Goroditchensky, aux environs de Stalingrad, les hitlériens établirent un camp de prisonniers de guerre. Dans ce camp comme dans les autres, ils ont exterminé, avec le sadisme qui leur est propre, les combattants de l’Armée rouge qu’ils avaient capturés.
Je vous soumets comme preuve notre document URSS-63 (3) où se trouve le rapport officiel du 21 juin 1943. Il a été établi conformément aux règlements et il contient les renseignements suivants (page 110 du livre de documents) :
« En raison du régime barbare subi pendant trois mois et demi de leur existence au camp proche de Vertiatchi, 1.500 prisonniers de guerre soviétiques au moins sont morts de faim, de tortures, de maladies ou ont été exécutés. Les Allemands obligeaient les prisonniers à travailler de 14 à 16 heures par jour ; ils ne les nourrissaient qu’une fois par jour, et cette ration journalière consistait en trois ou quatre cuillerées de grains de seigle étuvés ou un peu de soupe de seigle et d’un morceau de cheval crevé.
« Quelques jours avant l’offensive de l’Armée rouge, les Allemands ont cessé complètement de nourrir les prisonniers, en les condamnant ainsi à mourir d’inanition. La plupart des prisonniers étaient atteints de dysenterie. Beaucoup d’entre eux avaient des plaies ouvertes, mais ne recevaient pas de soins médicaux. »
Je passe un alinéa et j’en arrive au passage parlant des traitements inhumains infligés aux prisonniers de guerre.
« Les Allemands outrageaient les sentiments patriotiques des prisonniers de guerre soviétiques en les obligeant à travailler à la construction de fortifications allemandes, c’est-à-dire à creuser des tranchées, construire des blockhaus et des abris destinés à recevoir du matériel de guerre. Les hitlériens rabaissaient systématiquement la dignité humaine des prisonniers en les obligeant à se mettre à genoux devant les Allemands. »
Il est indiqué dans le rapport officiel que la Commission a pu examiner des preuves matérielles, c’est-à-dire les instruments qui ont servi aux tortures des prisonniers de guerre soviétiques : fouets de cuir, poignard portant l’inscription hitlérienne « Blut und Ehre » (Sang et Honneur), qui ont été ramassés parmi les cadavres défigurés. Étant donné les circonstances dans lesquelles ce poignard a été découvert, on peut se rendre parfaitement compte de la valeur de « l’honneur allemand », et imaginer à quel sang ce poignard était destiné.
Les documents de la Commission extraordinaire d’État témoignent des crimes typiques commis par les envahisseurs hitlériens dans la ville de Kertch.
Je verse au dossier du Tribunal le document de la Commission extraordinaire d’État sous le n° URSS-63 (6) et j’en lis quelques extraits. Tous les extraits sont marqués dans votre livre de documents et soulignés pour que vous puissiez les suivre (page 115).
Peut-être serait-il temps de suspendre l’audience ?
Vous pourrez trouver à la page 115 du livre de documents le passage que je cite en ce moment. Ce sont les dépositions de la citoyenne Boulitcheva, née en 1894 à Kertch, qui déclare :
« J’ai vu à maintes reprises, de mes propres yeux, comment on menait nos prisonniers de guerre, soldats et officiers. Ceux qui ne pouvaient suivre la colonne à cause de leurs blessures ou de leur état de faiblesse étaient fusillés par les Allemands dans la rue. J’ai vu plusieurs fois cette scène épouvantable. Une fois, par un temps glacial, on a mené une troupe d’hommes épuisés, en loques et pieds nus. Ceux qui essayaient de ramasser des morceaux de pain jetés par les passants dans la rue étaient battus par les Allemands à coups de matraque en caoutchouc et à coups de crosse. Ceux qui tombaient sous les coups étaient fusillés. »
Je saute quelques phrases qui me semblent superflues.
« Lorsque les Allemands occupèrent Kertch pour la deuxième fois, c’est avec un acharnement accru qu’ils traitèrent les innocents. »
Ce même témoin rapporte aussi que les bourreaux fascistes réglèrent en premier lieu le compte des militaires, et que les combattants blessés furent achevés à coups de crosse. A la même page 115 vous pourrez lire le passage suivant :
« Les militaires furent rassemblés dans de grands bâtiments auxquels on mit ensuite le feu. C’est ainsi qu’on brûla l’école de Voikov et le club des ingénieurs et ouvriers techniques où se trouvaient 400 combattants et officiers de l’Armée rouge. Aucun d’eux ne put échapper des bâtiments en feu. Tous ceux qui essayaient de se sauver furent abattus par le feu des armes automatiques. Des combattants blessés furent torturés à mort sauvagement dans le petit village de pêcheurs de Mayak. Une autre femme de ce bourg, A. P. Bouriatchenko, qui fut témoin de ces scènes, déclare :
« Le 28 mai 1942, les Allemands ont fusillé dans ce bourg tous les habitants paisibles qui n’avaient pas eu le temps de se cacher. Les bourreaux fascistes s’acharnèrent sur les prisonniers de guerre soviétiques, les battirent à coups de crosse et les fusillèrent ensuite. Dans mon logement, les Allemands ont trouvé une jeune fille en uniforme militaire qui, après s’être défendue contre les fascistes, cria : « Tirez, vipères ! Je meurs pour le peuple soviétique, pour « Staline ; et vous, bourreaux, vous crèverez comme des chiens ». La jeune patriote a été fusillée sur place. »
Aux environs de Kertch se trouvent les carrières de Adjimouch-kaïsk : c’est là qu’on extermina et asphyxia par les gaz des soldats de l’Armée rouge. La femme N. N. Dashkova, habitant le village d’Adjimouchkaïsk, raconte :
« J’ai vu de mes yeux comment les Allemands, après avoir capturé dans la carrière 900 soldats de l’Armée rouge, s’acharnèrent sur eux et les fusillèrent ensuite. Les fascistes se sont servis de gaz. »
Je passe quelques phrases et sur la même page 115, vous trouverez la citation suivante :
« Dans le club Engels fut établi pendant l’occupation un camp de prisonniers de guerre soviétiques dans lequel se trouvaient plus de 1.000 internés. Les Allemands s’acharnaient sur ces prisonniers, ne les nourrissaient qu’une fois par jour, les obligeaient à exécuter des travaux pénibles et fusillaient sur place ceux qui tombaient épuisés. »
Il me semble indispensable de citer encore quelques témoignages.
« Une nommée N. I. Choumilova, habitant le bourg de Gorki, raconte :
« J’ai vu de mes propres yeux un groupe de prisonniers de guerre passant devant ma porte. Trois d’entre eux, ne pouvant plus avancer, furent fusillés sur place par les sentinelles allemandes. »
La citoyenne P. I. Gerasimenko, habitant le bourg de Samostroi dit : « On a amené dans notre bourg de nombreux soldats et officiers de l’Armée rouge. L’emplacement où ils se trouvaient était entouré de fil de fer barbelé. Les hommes à moitié nus et pieds nus mouraient de froid et de faim. Ils se trouvaient dans des conditions effroyables et inhumaines. A côté des vivants gisaient des cadavres qu’on laissait là pendant plusieurs jours. Ces conditions rendaient la vie au camp encore plus intolérable. On battait les prisonniers à coups de crosse, à coups de fouet, et on les nourrissait de déchets. Les habitants qui essayaient de leur faire passer de la nourriture étaient battus et les prisonniers qui essayaient de la prendre étaient fusillés. »
Dans l’école n° 24 de Kertch, les Allemands ont créé un camp pour les prisonniers de guerre. L’institutrice A. N. Naoumova nous fait connaître le régime qui régnait dans ce camp :
« Il y avait dans ce camp de nombreux blessés. Les malheureux perdaient leur sang en abondance, mais restaient sans aucun secours. Je rassemblai des médicaments et des pansements pour les blessures et un aide-médecin qui se trouvait parmi eux les pansa. Les prisonniers souffraient de dysenterie, car on ne leur donnait pas de pain et on les nourrissait avec des ordures. Les gens tombaient d’inanition et de maladie et mouraient au milieu d’atroces tortures. Le 20 juin 1942, trois prisonniers de guerre furent fouettés pour avoir tenté de s’évader du camp. On fusillait les blessés. En juin, l’un des évadés fut repris et fusillé. »
Kojewnikova, institutrice à l’école Staline, vit de ses yeux comment fut fusillé un groupe d’hommes de troupe et d’officiers de l’Armée rouge, dans l’usine Voikoff. En 1943, les criminels allemands amenèrent du Caucase des prisonniers de l’Armée rouge. Le chemin parcouru depuis le bac jusqu’à la ville était d’environ 18 à 20 kilomètres. Il était jonché de cadavres de soldats de l’Armée rouge. Parmi les prisonniers, il y avait beaucoup de blessés et de malades. Celui qui ne pouvait plus avancer par suite de fatigue ou de maladie était achevé sur-le-champ.
Parmi tous ces faits, un encore mérite d’être signalé :
« En 1942, les fascistes jetèrent vivants dans le puits de village d’Adjimouchkaïsk cent prisonniers de l’Armée rouge, dont les cadavres furent par la suite repêchés par les habitants et ensevelis dans la même fosse commune. »
Ces renseignements se trouvent dans le document dont je viens de vous citer des extraits.
Lors de l’audience du 29 janvier 1946, le témoin Paul Roser fut interrogé. Il a indiqué comment, en quatre mois de temps, sur 10.000 Russes qu’il avait vus prisonniers de guerre dans le camp allemand de la ville de Rawa-Ruska, il ne resta que 2.000 hommes en vie.
Nous avons à notre disposition le témoignage d’une autre personne qui fut également témoin des bestialités innombrables et des outrages de toute nature que devaient endurer les prisonniers à Rawa-Ruska. Le témoin V. S. Kotchan, interrogé conformément aux dispositions de nos lois, a déposé ainsi devant le capitaine Yourov, officier de police judiciaire, le 27 septembre 1944 (je dépose le procès-verbal de cet interrogatoire sous le numéro URSS-6 (b) :
« J’ai travaillé sous les ordres des Allemands, en qualité de terrassier, dans le camp de prisonniers de guerre de l’Armée rouge, de décembre 1941 à avril 1942 ». Vous trouverez cet extrait à la page 124 de votre livre de documents. Je saute quelques lignes sans intérêt et je cite plus loin :
« Ce camp fut organisé par les Allemands dans des baraquements à proximité du chemin de fer. Des barbelés l’entouraient. Aux dires des prisonniers eux-mêmes, les Allemands y avaient rassemblé de 12.000 à 15.000 hommes. Pendant notre travail, nous pouvions observer les mauvais traitements que les Allemands infligeaient aux prisonniers de l’Armée rouge. On les nourrissait une fois par jour avec des pommes de terre gelées et non épluchées, cuites sans le moindre lavage. On les gardait dans des baraquements non chauffés pendant l’hiver.
« Je sais aussi qu’à leur arrivée au camp, les Allemands leur enlevèrent leurs vêtements, manteaux et bottes, ainsi que les chaussures en état de servir, laissant les prisonniers en haillons et pieds nus. Les prisonniers de guerre étaient amenés tous les jours sous escorte au travail, de 4 à 5 heures du matin, jusqu’à 10 heures du soir. Exténués, affamés, transis, ils étaient entassés dans des baraquements dont on avait pris soin de laisser tout le jour les portes et les fenêtres ouvertes afin que le froid pénétrât dans les baraques et que l’on y gelât. Au matin, sous la surveillance des soldats allemands, les prisonniers eux-mêmes devaient transporter des centaines de cadavres avec des tracteurs, jusqu’au bois de Volkovitchski, où ces cadavres étaient entassés dans des fosses préparées à l’avance. Au moment où les prisonniers étaient emmenés au travail, les Allemands postaient à la porte de sortie une troupe de soldats armés de fusils et de pieux. Les prisonniers, qui se mouvaient difficilement par suite de la faim et du froid, étaient poursuivis à coups de pieux à la tête ou encore étaient transpercés à coups de baïonnette. »
Ce même témoin décrit d’autres actes de bestialité allemande. Ainsi, par exemple :
« Le commandement du camp faisait sortir les prisonniers de guerre totalement nus, les attachait avec des cordes au mur couvert de barbelés et les y laissait par les froids de décembre, jusqu’à ce que les victimes mourussent gelées. Les gémissements et les cris des malheureux mutilés par les coups de crosse remplissaient souvent le camp. Quelques-uns étaient tués sur place à coups de crosse. Quand ils étaient amenés au camp, les prisonniers de guerre affamés et affaiblis se jetaient sur le tas de pommes de terre pourries et gelées. Ils étaient à tour de rôle pris sous le feu de la sentinelle allemande.
Je soumets, sous le même n° 6 (b), un autre témoignage d’un prisonnier de guerre français, Emile Léger, soldat au 43e régiment d’infanterie coloniale, matricule n° 29 (page 120 du livre de documents). Dans sa déclaration, le camp de Rawa-Ruska, le Stalag 325, est appelé le « célèbre camp de la mort lente ».
Il me semble que cette phrase complète, si je puis dire, les dépositions des témoins Roser et Kotchan.
Le Ministère Public soviétique dispose d’une quantité importante de documents qui accusent les envahisseurs hitlériens d’innombrables autres crimes contre les prisonniers de guerre dans la région de Lwow.
Je crois qu’il sera suffisant de citer un extrait du témoignage de Manoucievitch, confirmé par les déclarations des deux autres témoins Ash et Hamaidess. Je vous soumets ces trois documents toujours sous le même numéro 6 (b).
Ces trois témoins ont travaillé pendant un certain temps à brûler les cadavres des gens abattus par les Allemands dans la région de Lwow, notamment dans les bois de Licenitski. Manoucievitch déclare (je cite à la vingtième ligne à partir du bas de la page 2 de notre numéro 6 (b) — page 129 de votre livre de documents) :
« Après qu’on eut fini de brûler les cadavres, on nous amena en voiture « la brigade de la mort », la nuit, au bois de Licenitski, juste en face de la fabrique de levure de Lwow. A cet endroit de la forêt se trouvaient environ 45 fosses contenant les cadavres de ceux qui avaient été fusillés en 1941-1942. Il y avait, dans ces fosses, de 500 à 3500 cadavres. Il y avait là des cadavres, aussi bien de soldats italiens, français, belges et russes, c’est-à-dire de prisonniers de guerre, que de paisibles habitants. Tous les prisonniers de guerre étaient ensevelis en uniforme ; c’est pour cette raison qu’au moment où on les déterrait, j’ai pu les distinguer d’après leurs uniformes, leurs insignes, leurs boutons, leurs médailles et décorations, etc. Tout a été brûlé après l’exhumation. On suivait le même procédé qu’au camp de Yanov : on semait de l’herbe sur l’emplacement des fosses, on y plantait des arbres et des troncs d’arbres coupés. Tout était fait dans le but d’effacer les traces de ces crimes certainement sans précédent dans l’histoire de l’Humanité. »
En plus des dépositions des témoins qui furent des victimes et de celles de nombreux citoyens soviétiques, nous possédons les dépositions de membres de l’Année allemande. Je dépose, sous le n° URSS-62, un document signé par plus de soixante personnes appartenant à des unités des diverses armes allemandes. Leurs signatures se trouvent au bas de la protestation qu’ils ont adressée à l’intention de la Croix-Rouge Internationale, en janvier 1942, accompagnée d’une note de la Croix-Rouge, accusant réception de cette protestation. Ils y citent des faits qu’ils ont personnellement connus sur le traitement criminel des prisonniers de guerre soviétiques. Les auteurs de cette protestation étaient eux-mêmes des prisonniers de guerre au camp soviétique n° 78. Leur protestation est le résultat du rapprochement de ce qu’ils ont vu de leurs propres yeux sur le traitement des prisonniers de guerre soviétiques et du traitement qu’ils ont eux-mêmes reçu au camp soviétique n° 78. Je citerai quelques extraits de ce document. Le texte commence par les mots suivants (page 35 du livre de documents) :
« Nous, prisonniers de guerre allemands au camp 78, avons lu la note de M. Molotov, Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères du Gouvernement soviétique, sur le traitement des prisonniers de guerre en Allemagne. Les cruautés décrites dans cette note nous paraîtraient quasiment impossibles, si nous n’avions nous-mêmes été témoins de semblables atrocités. Pour que la vérité triomphe, nous devons confirmer que les prisonniers de guerre, citoyens de l’Union Soviétique, étaient souvent soumis à de mauvais traitements de la part des représentants de l’Armée allemande, ou même fusillés par eux. »
Plus loin, on cite dans le texte des exemples concrets de cruautés parvenus à la connaissance des auteurs de la protestation :
« Hans Drews, de Regenwalde, soldat à la 4e compagnie du 6e régiment de chars, déclare :
« Je connais l’ordre donné à la 3e division blindée par le général Model, stipulant de ne pas faire de prisonniers. Un ordre similaire a été donné par le général Nehring, commandant la 18e division blindée. Lors d’une réunion d’instruction du 20 juin, deux jours avant l’attaque contre l’URSS, on nous annonça qu’au cours de la campagne imminente, il n’y aurait pas lieu de faire des pansements aux blessés de l’Armée rouge, car l’Armée allemande n’avait pas le temps de s’occuper des blessés. »
Harry Marek, né aux environs de Breslau, soldat à l’État-Major de la 18e division blindée, confirme également l’émission préalable de cet ordre.
« Le 21 juin, la veille du début de la guerre contre l’URSS, nous avons reçu de nos officiers l’ordre suivant : les commissaires de l’Armée rouge doivent être fusillés sur-le-champ, car il n’y a pas à faire de cérémonies avec eux. Il n’y a pas à s’occuper non plus des blessés russes. Il faut simplement les achever sur place. »
Wilhelm Metzig, de Hamburg-Altona, soldat au 399e régiment d’infanterie, 170e division, raconte le fait suivant :
« Lorsque le 23 juin nous avons envahi la Russie, nous sommes arrivés dans un hameau près de Bieitzy. J’ai vu là, de mes propres yeux, comment deux soldats allemands ont fusillé à la mitrailleuse, dans le dos, cinq prisonniers russes. »
Wolfgang Scharte, de Gemgardshaagen, près de Braunschweig, soldat à la 2e compagnie du 3e bataillon antichars, a déclaré :
« La veille de l’attaque contre l’Union Soviétique, nos officiers nous ont donné les instructions suivantes :
« Si, sur votre chemin, vous rencontrez des commissaires russes, que l’on peut reconnaître à l’étoile soviétique sur la manche, et « des femmes russes en uniforme, vous devez les fusiller sur place. « Celui qui ne le fera pas et n’exécutera pas l’ordre en sera tenu « pour responsable et sera puni. »
« Le 29 juin 1941, j’ai vu moi-même comment les représentants de l’Armée allemande fusillaient les blessés de l’Armée rouge étendus dans un champ de blé près de la ville de Doubno. Après cela, on les transperça à la baïonnette pour les achever plus sûrement. Des officiers allemands se tenaient à proximité et riaient.
Joseph Bemdsen d’Oberhausen, soldat à la 6e division blindée, communique :
« Même avant l’entrée en Russie, on nous dit, lors d’une conférence d’instruction : « Les commissaires doivent absolument être fusillés. »
Un officier allemand, Jacob Korzilias, de Horforts, près de Trêves, lieutenant au 112e bataillon de sapeurs de la 112e division d’Infanterie, a confirmé :
« Dans un village près de Bolva, sur l’ordre du lieutenant Kierick, adjoint au commandant du 112e bataillon de sapeurs, on jeta hors d’une maison quinze blessés de l’Armée rouge qui y étaient réfugiés, on les déshabilla et on les tua à la baïonnette. Ces faits eurent lieu au su du général Miet, commandant de la division. »
Aloïs Hetz de Hagenbach sur le Rhin, soldat à la 8e compagnie du 427e régiment d’infanterie, déclare :
« Le 27 juin, dans la forêt proche d’Augustovo, ont été fusillés deux commissaires de l’Armée rouge, sur l’ordre du chef de bataillon, le capitaine Wittmann. »
A la troisième page de notre document URSS-62, nous trouvons la communication suivante de Paul Sender de Koenigsberg, soldat à la 4e section de la 13e compagnie d’engins du 2e régiment d’infanterie, page 137 du livre de documents :
« Le 14 juillet, sur la route entre Porkhovo et Staraya-Roussa, douze prisonniers de l’Armée rouge ont été fusillés dans un fossé par le caporal-chef Schneider, de la 1ère section du 2e régiment d’infanterie. A la question que je lui posai, Schneider me répondit :
« Pourquoi diable m’en occuperais-je ; ils ne méritent même pas « une balle. »
« Je connais encore un autre cas : dans des combats près de Porkhovo, un soldat de l’Armée rouge, qui avait été fait prisonnier, fut fusillé peu après par un caporal de la 1ère section. Dès que le soldat fut par terre, le caporal retira de sa musette tout ce qu’il y avait de comestible. »
Je voudrais terminer les extraits de la protestation des prisonniers de guerre allemands, en présentant encore deux témoignages, ceux de Fritz Rummler et de Richard Hilling. Leurs dépositions se trouvent au bas de la page 4. Fritz Rummler, de Streilen en Silésie, était caporal-chef à la 2e compagnie du 3e bataillon du 518e régiment de la 295e division. Il rapporte les faits suivants (cette citation se trouve à la page 138 du livre de documents) :
« Au mois d’août, dans la ville de Zlatopol, j’ai vu comment deux officiers SS et deux soldats ont fusillé deux prisonniers de l’Armée rouge après leur avoir ôté leur capote. Ces officiers et ces soldats appartenaient aux troupes blindées du général von Kleist. Au mois de septembre, l’équipage d’un char allemand écrasa sur la route de Krasnograd deux soldats de l’Armée rouge faits prisonniers. Cet acte était uniquement inspiré par une soif de sang et d’assassinat. Le sous-officier Schneider, des troupes blindées de von Kleist, était chef de char. J’ai vu comment, dans notre bataillon, furent interrogés quatre prisonniers de l’Armée rouge. Cela se passait à Vorochilovsk. Les soldats de l’Armée rouge refusèrent de répondre aux questions de caractère militaire que leur posait le chef de bataillon, le commandant Wamecke. Il devint enragé et battit lui-même les prisonniers, jusqu’à ce qu’ils perdissent connaissance. »
Le caporal du 9e détachement de transport de la 34e division, Richard Hilling, fait savoir :
« Plus d’une fois j’ai été témoin du traitement inhumain et cruel des prisonniers russes. Sous mes yeux, les soldats allemands, sur l’ordre de leurs officiers, enlevaient les chaussures des prisonniers de l’Armée rouge et les chassaient pieds nus devant eux. J’ai observé beaucoup de faits de ce genre à Taroutine. J’ai été témoin oculaire du fait suivant : un prisonnier de l’Armée rouge n’ayant pas voulu donner ses chaussures de plein gré, les soldats de la garde l’ont battu à tel point qu’il ne pouvait plus bouger. J’ai vu comment on a enlevé aux prisonniers non seulement leurs chaussures, mais tout leur équipement, jusqu’au linge. »
Je passe quelques phrases et j’en viens à la conclusion des déclarations de Hilling :
« Au moment du recul de notre colonne, j’ai vu, non loin de la ville de Medyn, comment les soldats allemands battaient les prisonniers de l’Armée rouge. L’un de ceux-ci était très fatigué et ne tenait plus debout. Un soldat de la garde se précipita sur lui et commença à le battre à coups de bottes et à coups de crosses. Les autres soldats en firent autant. En approchant de la ville, ce prisonnier tomba mort. »
Et plus loin :
« Ce n’est pas un secret que, dans l’Armée allemande, dans les états-majors de division, il y a des spécialistes dont la tâche est de torturer les soldats de l’Armée rouge et les officiers soviétiques, pour les obliger ainsi à livrer les renseignements militaires et les ordres. »
Je présente au Tribunal la photocopie de cette déclaration. Vous pourrez y voir plus de soixante signatures authentiques de membres de l’Armée allemande, avec l’indication de leur régiment et de leur unité.
Je présente au Tribunal quatre photographies de provenance allemande (URSS-345). Chacune d’elles a été prise par un Allemand et porte l’indication de la date et du lieu où elle fut faite. Sur l’une, on voit une scène de distribution de nourriture. Sur la deuxième, la recherche de la nourriture. La troisième et la quatrième représentent des vues du camp de prisonniers de guerre d’Ouman.
Où sont ces photocopies ?
Si je ne me trompe, on vous a remis, non les photocopies, mais la photocopie des protestations dont j’ai parlé à l’instant.
Ce n’est pas une copie des photographies, ce sont les signatures des soixante prisonniers allemands.
Ces photographies vont être mises immédiatement à la disposition du Tribunal ; c’est à la suite d’une erreur qu’elles ne figurent pas au livre de documents.
Continuez.
On remarque, sur la première photographie, que la nourriture distribuée est nettement insuffisante. Les hommes se battent presque pour recevoir la nourriture. Sur la deuxième photographie, vous voyez les prisonniers de guerre soviétiques affamés rôder autour d’un hangar vide et prendre comme nourriture le son destiné à nourrir le bétail qu’ils peuvent découvrir. En ce qui concerne les troisième et quatrième photographies, je peux vous présenter une déposition importante du témoin Bingel. Les extraits de ces dépositions se rapportent directement à la question du traitement des prisonniers de guerre soviétiques.
J’ai interrogé Bingel moi-même et je soumets au Tribunal le procès-verbal de son interrogatoire du 27 décembre 1945 sous le n° URSS-III. Bingel était commandant de compagnie dans l’Armée allemande. Il a déclaré (je cite un extrait de la page 8 de sa déposition) :
« J’ai déjà fait une déclaration sur le régime à l’intérieur du camp de prisonniers de guerre d’Ouman. Une compagnie de notre sous-section du 783e bataillon prenait la garde dans ce camp. C’est pourquoi je suis au courant des événements qui s’y sont déroulés. La tâche de notre bataillon consistait à garder les prisonniers de guerre, à contrôler les voies ferrées et les routes.
Ce camp était à l’origine, et dans des conditions normales, conçu pour 6.000 à 7.000 hommes. A ce moment-là, pourtant, il en contenait 74.000.
Question
Étaient-ce des baraques ?
Réponse
Non, c’était une ancienne briqueterie, et sur son emplacement, à l’exception du hangar bas pour sécher les briques, il n’y avait plus rien.
Question
Est-ce là qu’on avait logé les prisonniers de guerre ?
Réponse
On ne peut pas dire qu’ils y étaient logés, car sous chaque hangar on pouvait placer au plus 200 ou 300 hommes ; les autres passaient la nuit dehors.
Question
Quel était le régime du camp ?
Réponse
Le régime dans ce camp était, sous certains rapports, original. Les conditions du camp donnaient l’impression que son commandant, le capitaine Bekker, n’était pas à même d’organiser et de nourrir cette grande masse d’hommes. Il y avait deux cuisines à l’intérieur du camp. Il est vrai qu’on pouvait à peine les appeler cuisines : des fûts en fer, placés sur du ciment et sur des pierres, étaient utilisés pour préparer la nourriture des prisonniers de guerre. Ces cuisines, en travaillant 24 heures par jour, pouvaient satisfaire environ 2.000 hommes. La ration journalière habituelle consistait en un pain pour six hommes. Au fond, on ne pouvait même pas appeler cela du pain. La distribution de la nourriture chaude provoquait des désordres, les prisonniers de guerre, qui étaient au nombre de 70000 dans le camp, s’efforçant tous d’en recevoir. Il y avait des bagarres chaque jour. Dans ce cas, les sentinelles avaient recours au gourdin dont l’emploi était normal. Somme toute, j’ai eu l’impression que le gourdin était à la base de l’administration de ces camps. »
Deux photographies authentifiées étaient jointes à ce procès-verbal. Je vous les remets, en attendant de vous donner les deux autres dans un instant. Je continue à citer ce rapport :
Question
Savez-vous quelque chose sur la mortalité dans le camp ?
Réponse
La mortalité journalière dans le camp se montait de 60 à 70 hommes.
Question
Quelles en étaient les causes ?
Réponse
Avant le déclenchement des épidémies, il s’agissait surtout de personnes assassinées.
Question
De personnes tuées pendant la distribution de la nourriture ?
Réponse
Autant au cours de la distribution de la nourriture que pendant le travail. En somme, les gens étaient tués toute la journée. »
Nous avons pour la deuxième fois interrogé Bingel, et des photographies du camp, ces mêmes photographies qui sont entre nos mains lui ont été présentées. On lui posa la question suivante : « Quel est le camp reproduit ici ? Est-ce celui dont vous parlez ou un autre ? »
On lui présenta ensuite les photographies du négatif 13/18 du 14 août 1941, ainsi que des négatifs 13/22 de la même date ; Bingel répondit :
« Oui, c’est le camp dont je parlais. Ce n’est pas le camp proprement dit, mais une glaisière appartenant au camp où étaient placés les prisonniers de guerre venant du front. Ils étaient ensuite répartis dans le camp.
« Question
Que pouvez-vous dire sur la deuxième photographie ?
« Réponse
La deuxième photographie représente le même camp, mais photographié sous un autre angle, du côté droit. Les constructions qui y figurent étaient à peu près les seules constructions en pierre de ce camp. Ce bâtiment à briques, quoiqu’il fût complètement vide et en bon état et eût des locaux spacieux et excellents, ne fut pas employé pour la répartition des prisonniers de guerre. »
Il est difficile de dire si ce que les hitlériens ont commis à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques dans le soi-disant « Gross-Lazarett » de la ville de Slavouta, province de Kamenetz-Podolsk, n’atteint pas les limites de la bassesse humaine, mais, en tout cas, l’extermination des prisonniers de guerre par les hitlériens dans cet établissement est l’une des plus sombres pages de l’histoire des crimes fascistes.
Je présente au Tribunal sous le n° URSS-5, la communication de la Commission extraordinaire de l’État : j’en lirai des extraits isolés et les documents qui y sont joints.
Lorsque les hordes fascistes furent chassées de la ville de Slavouta, des formations de l’Armée rouge ont découvert, sur l’emplacement de l’enclave militaire, ce que les Allemands appelaient le « Gross-Lazarett » pour les prisonniers de guerre soviétiques. Dans cet hôpital se trouvaient plus de 500 hommes complètement épuisés et gravement malades. L’interrogatoire de ces hommes, l’expertise médico-légale spéciale et l’enquête faite par le personnel de l’Institut central de recherches sur l’alimentation, du Commissariat du peuple à la Santé publique de l’URSS, ont permis de reconstituer tous les détails de l’extermination d’un grand nombre de prisonniers de guerre soviétiques qui fut poursuivie dans ce terrible établissement. Vous trouverez l’extrait que je veux lire à la page 153 du livre de documents.
« A l’automne 1941, les agresseurs germano-fascistes occupèrent la ville de Slavouta et y organisèrent un hôpital pour les officiera et soldats de l’Armée rouge blessés ou malades, qu’ils appelèrent :
« Gross-Lazarett de Slavouta, Stalag 301. »
L’hôpital était situé à un kilomètre et demi ou deux au sud-est de Slavouta, et occupait dix bâtiments de trois étages en pierre. Les hitlériens ont entouré tous les bâtiments de barbelés très denses. Le long des barbelés, tous les dix mètres, des observatoires furent construits, sur lesquels se trouvaient des mitrailleuses, des projecteurs et des sentinelles.
L’Administration, les médecins allemands et la garde de ce Gross-Lazarett, en la personne du commandant, le capitaine Plank, remplacé ensuite par le commandant Paviisk, de son adjoint le capitaine Kronsdorfer, du capitaine Boze, du médecin capitaine Borbe, de son adjoint le Dr Sturm, de l’adjoint lizemann et du sergent-chef Bekker, pratiquèrent une extermination en masse des prisonniers de guerre, par l’établissement d’un régime spécial de famine et de promiscuité anti-sanitaire, par les tortures et les assassinats directs, par la suppression de tous soins aux malades et aux blessés, et enfin par la contrainte des hommes extrêmement épuisés à un travail de forçats.
La Commission extraordinaire d’État appelle le « Gross-Lazarett » allemand « l’hôpital de la mort ». Je cite un petit extrait d’un passage sous le même titre. C’est la troisième page de l’original russe, page 153 de votre livre de documents :
« Dans le « Gross-Lazarett », les Autorités allemandes concentrèrent de 15.000 à 18.000 prisonniers de guerre soviétiques grièvement et légèrement blessés, ou souffrant de diverses maladies contagieuses ou non.
« Pour remplacer les morts, on y dirigeait sans désemparer de nouveaux convois de prisonniers de guerre soviétiques, malades ou blessés. En route, les prisonniers de guerre étaient soumis aux tortures, à la faim et à l’assassinat.
« De chaque convoi qui arrivait au « Lazarett », les hitlériens rejetaient des centaines de cadavres. »
Selon les renseignements de la Commission d’enquête, on rejetait de chaque convoi amené sur une voie ferrée auxiliaire de 800 à 900 cadavres. On lit plus loin dans le rapport de la Commission :
« Durant le transfert à pied, des milliers de prisonniers de guerre soviétiques ont péri de froid, de soif, du manque de soins et des traitements sauvages des sentinelles allemandes. D’après une règle bien établie, les hitlériens recevaient les groupes de prisonniers de guerre aux portes de l’hôpital, à coups de crosses et de gourdins en caoutchouc. Puis ils enlevaient aux nouveaux venus leurs chaussures en cuir, leurs vêtements chauds et leurs objets personnels. »
Dans la section suivante, sur la même page, la Commission d’État communique que les maladies infectieuses étaient intentionnellement propagées par les médecins allemands parmi des prisonniers de guerre qui se trouvaient à l’hôpital. Je cite page 153 de votre livre de documents : « Dans le « Gross-Lazarett », les médecins allemands créaient intentionnellement une promiscuité incroyable. Les prisonniers de guerre étaient obligés de rester debout, serrés étroitement les uns contre les autres ; ils étaient exténués de fatigue et d’épuisement, tombaient et mouraient. Les fascistes employaient des méthodes diverses afin de « comprimer l’hôpital ». L’ancien prisonnier de guerre I. Y. Chouajev a déclaré que les Allemands réduisaient les locaux habitables à coups de feu d’armes automatiques. Les hommes se serraient involontairement les uns contre les autres, les hitlériens y poussaient alors d’autres blessés et malades, et la porte se refermait. »
La propagation préméditée des maladies infectieuses était obtenue dans ce camp de la mort, dérisoirement appelé « hôpital », par les moyens les plus primitifs :
« Les malades souffrant du typhus exanthématique, de la tuberculose, de la dysenterie, les blessés atteints grièvement ou légèrement, étaient tous logés dans le même bloc et dans la même chambrée. Dans un local où normalement on n’aurait pu loger que 400 personnes, le nombre des malades atteints du typhus et de la tuberculose atteignait 1.800 : « Les chambres n’étaient jamais nettoyées, les malades conservaient pendant plusieurs mois le linge qu’ils avaient au moment où ils avaient été faits prisonniers. Ils couchaient sans aucun drap. Nombre d’entre eux étaient à moitié ou complètement nus. Les locaux n’étaient pas chauffés et les poêles primitifs, faits par les prisonniers eux-mêmes, tombaient en ruine. L’eau pour se laver et même l’eau potable manquait. Le résultat de ces conditions antisanitaires de cet « hôpital » se manifesta par la multiplication des poux dans des proportions monstrueuses. »
L’extermination par la propagation intentionnelle de maladies allait de pair avec l’extermination par la faim. La ration journalière des prisonniers de guerre soviétiques se composait de 250 grammes de pain ersatz et de deux litres de ce qu’on appelait « Balanda ». La farine destinée à la cuisson du pain pour les prisonniers de guerre blessés et malades provenait d’Allemagne. On en découvrit 15 tonnes dans l’un des entrepôts de l’hôpital. Sur les étiquettes qui se trouvaient sur les sacs d’emballage de 40 kilogs en papier, on lisait : « Spelm-mehl ». Des échantillons de cette farine ersatz furent envoyés pour examen dans les laboratoires de l’Institut central de recherches pour l’alimentation du Commissariat du peuple à la Santé publique de l’URSS. »
Je présente les documents qui concernent l’extermination par les hitlériens des prisonniers de guerre soviétiques dans le « Gross-Lazarett », sous le n° URSS-5 (a). Aux pages 9, 10 et 11 de ce document, le Tribunal verra la photocopie des conclusions de l’Institut central de recherches pour l’alimentation du Commissariat du peuple à la Santé publique de l’URSS. Ces conclusions sont établies,. d’une part d’après les résultats de l’analyse faite dans un laboratoire militaire au front, et d’autre part d’après les résultats de l’analyse faite directement à l’Institut central des recherches pour l’alimentation. Les essais ont porté sur la cuisson de pain, à partir de la farine ersatz seule, et à partir de la farine ersatz additionnée d’une certaine quantité de vraie farine. Il s’est avéré qu’il était impossible de fabriquer du pain avec cette farine seule. Dans la conclusion de l’Institut il est dit :
« Il est clair que le pain était fabriqué avec l’addition d’une petite quantité de farine naturelle, afin de rendre la masse liante. Nourrir les gens avec ce pain, en les privant d’autres éléments et produits nutritifs complets, équivaut à la famine et conduit inéluctablement à un épuisement rapide. »
L’analyse a montré que cette farine n’est rien autre qu’une paille coupée de façon égale, en brindilles de deux et quelquefois trois millimètres de longueur. Le microscope montre dans quelques champs visuels qu’à côté des fibres de lignine se trouvent, en une très petite quantité, des graines d’amidon qui ressemblent par leur constitution à des grains d’avoine. »
L’Institut est arrivé à la conclusion suivante :
« A cause de l’action irritante de la mie, l’emploi de ce pain conduit aux maladies de l’appareil digestif. » Anticipant quelque peu sur mon exposé, je voudrais faire part des résultats de l’autopsie médico-légale pratiquée sur 112 cadavres exhumés à l’emplacement n° 1 et de l’examen superficiel d’environ 500 cadavres. Dans le premier cas, l’épuisement, comme cause de la mort, fut constaté sur 96 victimes. Quant au second cas, la conclusion qui se trouve page 7 du document URSS-5 (a) est la suivante :
« L’affirmation du fait que l’inanition est la cause principale de la mortalité dans les camps de prisonniers de guerre se fonde également sur les résultats de l’examen superficiel d’environ 500 cadavres qui montre que le pourcentage de l’épuisement extrême se rapproche de 100%. »
Dans la même conclusion, un peu plus loin, à l’article g du paragraphe 5, les experts notent que le régime dans le « Gross-Lazarett » de Slavouta, comportait une nourriture tout à fait défectueuse. Je cite :
« Pain avec addition de 64% de sciure de bois, « Balanda », à base de pommes de terre pourries avec addition de déchets, d’excréments de rats, etc. »
Les prisonniers de guerre sauvés des bourreaux hitlériens à la libération de Slavouta déclarèrent — je cite ici un extrait de la page 4 du document URSS-5 ; page 153 du livre de documents :
« Dans le « Gross-Lazarett », on constatait périodiquement le déclenchement d’une maladie inconnue, appelée par les médecins allemands « para-choléra ». Cette maladie était provoquée par les expériences barbares des médecins allemands. Ces épidémies se déclenchaient et se terminaient subitement. Le pourcentage de la mortalité due au « para-choléra » était de 60 à 80%. Certains cadavres étaient soumis à l’autopsie par les médecins allemands, mais les médecins russes prisonniers de guerre n’avaient pas le droit d’y assister. »
Dans l’article 8 de la conclusion de l’expertise médico-légale (page 7 du document URSS-5 (a) et page 159 du livre de documents), il est dit, et je cite :
« Aucune circonstance d’ordre matériel ne peut expliquer les conditions de vie auxquelles les prisonniers de guerre étaient soumis dans les camps. D’autant plus qu’il ressort des documents du dossier que les entrepôts militaires allemands de la ville de Slavouta regorgeaient de produits alimentaires et que les pharmacies militaires étaient pleines de médicaments et de bandages. »
Il y avait au « Gross-Lazarett » un personnel médical important. Néanmoins, comme il est dit dans la conclusion de la Commission d’État, les officiers et les soldats de l’Armée rouge blessés et malades ne recevaient aucune aide médicale, même des plus élémentaires. Mais de quelle aide pouvait-il s’agir quand la tâche du « Gross-Lazarett » lui était diamétralement opposée ? On s’y employait, non seulement à l’extermination physique des prisonniers de guerre, mais également à remplir les derniers jours des blessés et des malades de supplices et de souffrances. L’un des articles de la communication de la Commission d’État est intitulé : « Les tortures et les exécutions des prisonniers de guerre soviétiques. » Je lis une partie de cet article qui se trouve page 4 du document URSS-5, et page 153 du livre de documents :
« Les prisonniers de guerre soviétiques subissaient dans le « Gross-Lazarett » le martyre et la torture ; ils étaient battus lors de la distribution de la nourriture et à la sortie pour le travail. Les bourreaux fascistes n’épargnaient pas même les mourants. A l’examen des cadavres, l’expertise permit de découvrir entre autres celui d’un prisonnier de guerre qui, à l’agonie, reçut une blessure au couteau dans la région abdominale. Il fut jeté dans la tombe, le couteau plongé dans la blessure, et enterré vivant. L’une des formes de torture en masse de « l’hôpital » consistait à enfermer blessés et malades dans un cachot sans chauffage au sol bétonné. Les prisonniers y étaient abandonnés pendant des jours sans nourriture. Nombre d’entre eux y mouraient. »
En vue de les exténuer davantage, les hitlériens forçaient les malades et les affaiblis à courir autour du bâtiment de l’hôpital. Ceux qui ne pouvaient pas courir étaient fouettés presque à mort. Il arrivait assez souvent que les sentinelles allemandes assassinassent les prisonniers simplement pour se distraire.
« L’ancien prisonnier de guerre Bouchtytchouk a raconté comment les Allemands jetaient par-dessus les barbelés les entrailles des chevaux crevés, et comment, quand les prisonniers de guerre, dans une crise de folie provoquée par la faim, se jetaient vers les barbelés, les sentinelles ouvraient le feu sur eux avec leurs armes automatiques. Le témoin Kirssanov a vu un prisonnier de guerre transpercé avec une baïonnette pour avoir ramassé une pomme de terre. L’ancien prisonnier de guerre Chatalov a vu de ses propres yeux un garde tuer un prisonnier de guerre qui essayait de recevoir une portion supplémentaire de balanda ». En février 1942, Chatalov a vu une sentinelle blesser un prisonnier qui cherchait dans la caisse à ordures des restes de nourriture provenant de la cuisine affectée au personnel allemand. Le blessé a été immédiatement conduit à la fosse, deshabillé et fusillé.
L’audience est levée.