CINQUANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Jeudi 14 février 1946.

Audience du matin.

LE PRESIDENT

Je vais faire une déclaration qui concerne la Défense : le Tribunal siégera en audience publique samedi matin à 10 heures, pour entendre la demande de suspension formulée par la Défense. Il entendra un représentant du Ministère Public et un représentant de la Défense, chacun pendant quinze minutes. Après quoi, il siégera à huis clos pour régler des questions de procédure.

COLONEL POKROVSKY

Hier, au cours de mon exposé, j’ai parlé de quatre photographies qui sont en notre possession et dont deux furent immédiatement présentées au Tribunal. Je prie le Tribunal de m’excuser de n’avoir pu, pour des raisons techniques, présenter hier les deux autres photographies. L’une représente la distribution de nourriture aux prisonniers ; la seconde montre des prisonniers de guerre soviétiques affamés mangeant des tourteaux, nourriture réservée au bétail. Je dépose les originaux sous les n° URSS-358 et URSS-359.

Une autopsie des cadavres exhumés lors de l’enquête sur les atrocités fascistes dans le soi-disant « hôpital » de Slavouta a prouvé que :

« Le commandement et le personnel de garde du camp eurent souvent recours à des méthodes de tortures raffinées. Parmi les cadavres exhumés et soumis à l’autopsie, l’expertise médico-légale a établi que quatre prisonniers de guerre, tués à l’arme blanche, avaient reçu des coups de baïonnette qui leur avaient perforé la boîte crânienne. »

Vous trouverez ce passage, Messieurs les Juges, à la page 153 du livre de documents.

« Les hitlériens obligeaient les prisonniers de guerre blessés et malades à exécuter des travaux dépassant de beaucoup la limite de leurs forces, malgré leur état d’extrême épuisement et de grande faiblesse. Les prisonniers de guerre devaient transporter de lourds fardeaux et étaient obligés de transporter hors du camp, sur leurs épaules, les cadavres de citoyens soviétiques assassinés. Les gardes achevaient sur-le-champ les prisonniers de guerre qui ne pouvaient plus se tenir debout.

Selon la déclaration du curé de la paroisse de Slavouta, la route que les prisonniers prenaient pour se rendre au travail était jalonnée de petites tombes, comme des bornes kilométriques ; il arrivait parfois que les fanatiques fascistes, n’ayant pas la patience d’attendre la mort de leurs victimes, les enterraient encore vivants. Je cite le document que j’ai déposé, page 153 du livre de documents :

« L’expertise médico-légale a établi, après examen des voies respiratoires de quatre cadavres de prisonniers de guerre dont les poumons étaient pleins de grains de sable, que ceux-ci n’avaient pu pénétrer aussi profondément qu’à la suite des efforts respiratoires déployés par les victimes enterrées vivantes dans le sable. Cette expertise établit qu’au « Gross-Lazarett », les gardiens du camp enterraient, avec le consentement des médecins allemands, des citoyens soviétiques encore vivants.

« Un prisonnier de guerre nommé Pankine, ancien pensionnaire du « Gross-Lazarett », a eu connaissance des faits suivants : en février 1943, on amena à la morgue un malade sans connaissance ;

Il y revint à lui ; mais lorsqu’on rapporta au chef de la baraque qu’on avait transporté un homme vivant à la morgue, il donna l’ordre de l’y laisser. Le malade fut enterré vivant.

« Certains prisonniers, incités par ce régime intolérable, essayaient de s’évader soit individuellement, soit en groupe, ignorant les immenses risques que comportait une telle tentative. Les martyrs qui avaient réussi à s’évader de l’enfer de « l’hôpital » cherchaient un refuge auprès de la population de Slavouta et des environs. Les brutes hitlériennes fusillaient sans pitié tous ceux qui apportaient un secours quelconque aux prisonniers. La ville de Slavouta se trouve dans le région de Chepetowka. Le 15 janvier 1942, le commissaire régional de Chepetowka, le Dr Worbs, donna des instructions spéciales aux termes desquelles, si on ne retrouvait pas les véritables coupables, on fusillerait dix otages pour chaque évadé.

Le Père Zhukowsky a révélé l’arrestation et l’exécution de 26 paisibles citoyens ayant aidé des prisonniers de guerre. Un examen médical a établi que, sur les 525 personnes libérées de l’hôpital, 435 étaient dans un état d’extrême faiblesse, que 59 d’entre elles souffraient de complications de leurs blessures et qu’en outre 31 étaient atteintes de troubles mentaux. »

La Commission déclare (et avec la permission du Tribunal, je cite les dernier et avant-dernier alinéas de la colonne de gauche, page 5, ce qui correspond à la page 154 de votre livre de documents) :

« Pendant les deux ans d’occupation de Slavouta, les hitlériens, avec l’assentiment des médecins allemands Borbe, Srurpe et d’autres médecins, ont exterminé au « Gross-Lazarett » jusqu’à 150.000 officiers et soldats de l’Armée rouge. »

Se rendant pleinement compte de la lâcheté sans bornes avec laquelle les crimes étaient commis, les bourreaux germano-fascistes essayaient par tous les moyens d’en effacer toute trace.

C’est avec un soin particulier qu’ils camouflaient les endroits où étaient enterrés les prisonniers de guerre soviétiques. C’est ainsi, par exemple, que sur la croix de la tombe n° 623 se trouvaient inscrits les noms de huit personnes et, lorsqu’elle fut ouverte, on y découvrit 32 cadavres. Ce fut aussi le cas de la tombe n° 624.

On trouva dans d’autres fosses des rangées de cadavres, séparées les unes des autres par d’épaisses couches de terre. Ainsi, dans la fosse n° 625, on trouva d’abord 10 cadavres mais, après avoir enlevé une couche de terre de 10 centimètres d’épaisseur, on en découvrit encore deux autres rangées. On fit la même découverte en ouvrant les tombes n° 627 et 628.

De nombreuses fosses avaient été dissimulées sous des parterres de fleurs, des arbres, des vergers, des sentiers, etc., mais aucun camouflage ne peut dissimuler à jamais ces crimes abominables des bandits hitlériens.

Si je ne m’abuse, l’un des accusés de ce Procès, oubliant apparemment où il se trouvait et dans quelles circonstances, exprima le désir d’être jugé d’après la procédure allemande. Le Tribunal a immédiatement procédé aux enquêtes nécessaires et naturellement, cette prétention d’être jugé d’après les principes du Droit allemand fut rapidement rejetée. Je suis actuellement à même de présenter au Tribunal des documents ayant, je le pense, quelque importance dans cette question, bien qu’ils aient été rédigés selon les règles du Droit allemand.

Parmi les nombreux documents saisis par l’Armée rouge dans les archives de la Police de Jitomir, figure une pièce contenant de la correspondance : il s’agit d’une enquête de la Police. Les auteurs de cette correspondance ne pensaient évidemment pas qu’elle serait évoquée par le Tribunal International, lors d’un procès de grands criminels de guerre.

Les documents constituant cette correspondance étaient destinés exclusivement au commandement de la Police et étaient rédigés conformément à toutes les dispositions en usage dans le Droit allemand et à la procédure policière de l’Allemagne fasciste. A ce point de vue, ceux qui sont intéressés à voir cette documentation peuvent être satisfaits.

Cette correspondance va également nous être utile. Il est dit tant de choses dans un nombre de pages relativement si peu élevé qu’il me faudra reprendre l’analyse de cette documentation, section par section, afin que le Tribunal puisse examiner d’une façon approfondie tous les aspects du contenu de ce document.

Je vous présente cette correspondance sous forme de photocopies allemandes et sous forme de traductions russes. Je répète qu’il s’agit d’une enquête de Police. Je dépose ce document sous le n° URSS-311 ; et pour répondre aux désirs du Tribunal, nous avons demandé à Moscou l’original que nous recevrons peut-être aujourd’hui même.

Le 24 décembre 1942, 78 prisonniers de guerre, de la section de Birditchev du camp de redressement, furent soumis à un « régime spécial ». C’étaient tous des prisonniers soviétiques. Il y a dans la correspondance un rapport fait par le SS-Obersturmführer Kuntze à ses chefs, daté du 27 décembre 1942. Vous le trouverez à la page 170 de votre livre de documents. A la fin du premier alinéa, il y a une phrase qui, pour plus de clarté, a été soulignée au crayon rouge. La voici :

« Il n’est pas prouvé que ces prisonniers aient jamais participé à une activité communiste quelconque sous le régime soviétique. »

La phrase suivante de Kuntze montre clairement pourquoi et comment ces prisonniers de guerre étaient envoyés dans un camp de redressement. Il déclare :

« Il semble que la Wehrmacht avait, à l’époque, mis ces prisonniers de guerre à la disposition des autorités locales afin qu’ils soient soumis au « régime spécial. »

Nous sommes certains qu’ils furent envoyés dans ce camp par les autorités militaires. Le spécialiste de la question qu’était indubitablement le SS-Obersturmführer, dit qu’ils avaient été dirigés sur ce camp pour être soumis à un « régime spécial ».

Pour essayer de résumer l’abondante documentation que constitue cette correspondance, je vous dirai que les 78 prisonniers de guerre en question constituaient les restes d’un groupe plus important. Le SS-Sturmscharführer Fritz Knop déclare (page 163 du livre de documents) :

« Une partie des prisonniers de guerre avaient déjà été transférée par camions quelque part dans les environs. Par la suite, en raison des protestations élevées par l’Armée, les envois de prisonniers de guerre furent suspendus. »

Je préciserai un peu plus tard de quels envois il s’agissait et quelles objections l’Armée avait formulées. Permettez-moi de procéder maintenant à un bref résumé du sujet. Il me semble plus utile de citer les termes mêmes de l’un des documents. Je cite : « Chef de la Police de sûreté et du SD à Jitomir. Berditchev : 24/12/1942. »

Le SS-Sturmscharführer Fritz Knop, Obersekretär de la Kripo, se rendit à une convocation et fit la déposition suivante :

« Né en 1897 à Neukiinz dans le district de Koslin, depuis le milieu du mois d’août, je commandais la section de Berditchev, de la Police de sûreté et du SD de la ville de Jitomir. Le 23 décembre 1942, l’adjoint du commandant, le Hauptsturmführer Kallbach, inspecta la section locale du camp de redressement qui dépendait de mon service. Dans ce camp, se trouvaient depuis la fin d’octobre ou le début de novembre 78 anciens prisonniers de guerre qui furent envoyés d’un Stalag de Jitomir comme inaptes au travail. Un grand nombre de prisonniers de guerre avait été dans le passé remis à la disposition du commandant de la Police de sûreté et du SD. »

Je pense qu’il est inutile d’expliquer en détail au Tribunal que le transfert et la remise des prisonniers de guerre à la Police de sûreté avait été prévue par des directives spéciales des SS et du SD, surtout en ce qui concerne ceux qui étaient destinés à l’extermination. Je cite encore (ceci se trouve toujours à la page 163 de notre livre de documents) :

« A Jitomir, quelques-uns d’entre eux, qui étaient jusqu’à un certain point capables de travailler, avaient été mis à part. Les 78 autres prisonniers de guerre furent dirigés vers le camp local de « travail et d’éducation ».

Je passe encore deux alinéas :

« Les 78 prisonniers de guerre qui se trouvaient dans ce camp étaient tous sans exception grièvement blessés : les uns étaient amputés des deux jambes, les autres des deux bras, d’autres enfin d’un seul membre. Un petit nombre d’entre eux avait encore bras et jambes, bien que souffrant de différentes blessures qui les rendaient totalement incapables de travailler. Ces derniers devaient prendre soin des autres.

« Lors de son inspection du camp de redressement, le 23 décembre 1942, le SS-Hauptsturmführer Kallbach ordonna que les 68 ou 70 prisonniers de guerre survivants (les autres étaient morts entre temps) soient soumis ce jour même au « traitement spécial ». Dans ce but, il envoya un camion avec un chauffeur SS nommé Schaefer, qui arriva ici le jour même à 11h30. J’ai confié la préparation de l’exécution, ce matin de bonne heure, à mes collègues de l’administration locale, le SS-Unterscharführer Paal, SS-Rottenführer Hesselbach, et SS-Sturmmann Vollprecht. »

Avec votre permission, je passerai encore un paragraphe qui, de toute façon, se trouve dans vos documents : je gagnerai ainsi du temps. Il y est question des préparatifs techniques de l’opération. Un passage, cependant, me paraît digne d’attention. Je cite :

« Les exécutions de Juifs avaient lieu habituellement dans les limites du camp de travail. Pour l’exécution d’aujourd’hui, j’ai donné des ordres pour qu’on choisisse un endroit situé hors du camp.

« En ce qui concerne les trois hommes cités plus haut, à qui j’avais confié la tâche de fusiller les prisonniers de guerre, je savais qu’ils avaient participé à des exécutions massives de plusieurs milliers de personnes à Kiev et que l’administration locale, au moment où j’en faisais déjà partie, leur avait souvent confié l’exécution de plusieurs centaines de victimes. »

Je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur un autre exemple qui montre une fois de plus le sens que donnaient les hitlériens aux termes « exécution » et « régime spécial ». Dans cette seule phrase, les termes « exécution en masse » et « fusillade » sont pris carrément comme synonymes, tandis que, un peu plus haut, nous pouvons comprendre la signification des mots « transport en camion quelque part dans les environs » et « régime spécial ». Indiscutablement, ces quatre termes ont un sens identique.

Après cette digression, je continue ma citation : ayant encore omis quelques passages du texte de votre livre de documents, je passe au paragraphe suivant, ne serait-ce que pour maintenir le sens général de la déclaration. C’est votre page 165 :« Ils étaient armés d’une mitraillette allemande, d’un fusil mitrailleur russe, d’un pistolet de 8 mm et d’une carabine ordinaire. Je souligne encore que je voulais apporter une aide à ces trois hommes, en la personne du Hauptscharführer Wenzel, mais le SS-Sturmmann Vollprecht refusa sous prétexte qu’ils étaient parfaitement capables à eux trois d’exécuter cet ordre.

« A propos de l’accusation, il ne me vint pas à l’idée d’appliquer la procédure ordinaire d’une exécution effectuée par une équipe plus nombreuse, étant donné que le lieu d’exécution était caché aux yeux du publie et que les prisonniers... »

LE PRESIDENT

Les mots : « A propos de l’accusation » se trouvent-ils dans le document original ?

COLONEL POKROVSKY

Je vous lis le texte du rapport d’une déposition faite au chef de la Police par la personne qui a signé ce document.

Avec la permission du Tribunal, je vais citer les documents allemands originaux qui se rapportent à cette enquête. Les responsables de cette exécution étaient accusés d’avoir provoqué, par leurs indiscrétions et leur négligence, ce qu’on appela un « incident » dont on expliqua l’origine.

« A propos de l’accusation, il ne me vint pas à l’idée d’appliquer la procédure ordinaire d’une exécution effectuée par une équipe plus nombreuse, étant donné que le lieu de l’exécution était caché au public et que les prisonniers étaient incapables de s’enfuir en raison des- infirmités physiques dont ils souffraient.

« Vers 15 heures, on me communiqua par téléphone, du Stalag, que l’un des collaborateurs de ma section, qui devait accomplir cette mission spéciale, avait été blessé et qu’un homme s’était enfui. J’envoyai immédiatement sur place le SS-Hauptscharführer Wenzel et le SS-Oberscharführer Fritsch dans une voiture à cheval. Peu après, j’ai reçu un autre appel téléphonique du Stalag m’informant que deux de mes collaborateurs avaient été tués. »

Il me semble inutile de donner des détails de caractère purement technique ; je passerai sous silence une grande partie des passages que j’avais eu primitivement l’intention de lire et je reprendrai à la dernière partie des déclarations qu’avaient faites Knop à ses supérieurs : vous trouverez ce passage à la page 166.

« Je voudrais encore signaler que l’« incident » que je viens de mentionner se produisit lors de la seconde exécution. Celle-ci avait été précédée par la fusillade de vingt prisonniers de guerre qui avait eu lieu sans incident. Dès mon retour, j’en informai les bureaux du commandement à Jitomir.

« Je n’ai plus rien à dire. J’affirme que mes dépositions sont conformes à la vérité et je sais bien que toute déclaration mensongère de ma part entraînerait une punition et mon exclusion des SS.

« Signé Fritz Knop, SS-Sturmscharführer. « Certifié conforme : Kuntze, SS-Obersturmführer. »

La personne à qui l’on fit subir ensuite un interrogatoire fut le bourreau lui-même. A ce propos, nous sommes en possession d’un document dont les extraits figurent à la page 166 de votre livre de documents. Je cite le procès-verbal de l’instruction.

« Le SS-Rottenführer Hesselbach, Friedrich, né le 24 janvier 1909 à Freudingen, région de Vitgenstein (Westphalie), fut alors convoqué et fit les dépositions suivantes :« J’ai été mis au courant des motifs du présent interrogatoire. « On m’a prévenu que toute déclaration mensongère de ma part « entraînerait une punition et mon exclusion des SS. »

Après cette rituelle partie de l’interrogatoire où il fut averti des punitions dont il était passible, Hesselbach a déclaré ce qui suit :

« Hier soir, le SS-Scharführer Paal me fit savoir que j’allais avoir un rôle à jouer dans l’exécution de prisonniers de guerre. Plus tard, je reçus à cet effet des instructions du Hauptscharführer SS Wenzel, en présence du SS-Sturmscharführer Knop. Ce matin, à 8 heures, le SS-Hauptscharführer Berger, le SS-Unterscharführer Paal et le SS-Sturmmann Vollprecht et moi-même arrivâmes, dans une voiture qui nous avait été prêtée par la tannerie voisine et conduite par un chauffeur ukrainien, dans un endroit situé environ à 1.500 mètres du camp ; il s’agissait, avec l’aide de huit détenus de notre prison, d’y creuser une tombe. »

Ensuite, vient une description de la façon dont ce travail fut effectué. Je pense que nous pouvons sauter ce passage.

« A l’entrée du camp, Vollprecht, sur l’ordre de Paal, descendit de voiture. Paal voulait ainsi cacher nos intentions aux détenus du camp et ne pas inquiéter ceux-ci par la présence au camp d’une grande quantité de SS. C’est pour cette raison que le chargement des détenus sur le camion fut effectué par les soins de quelques personnes seulement : Paal, quelques miliciens et moi-même. Sur l’ordre de Paal, le premier groupe ne comprenait presque exclusivement que des amputés des deux jambes... »

Je passe quelques alinéas, qui ne présentent aucun intérêt pour nous et je cite les extraits marqués au crayon à la page 6 du texte russe (page 168 de votre livre de documents).

« Après avoir fusillé les trois premiers détenus, j’entendis soudain un cri de l’autre côté de la tombe. Comme le quatrième détenu était là à attendre son tour, je le descendis rapidement, puis je regardai autour de moi. Un désordre indescriptible régnait autour du camion. Quelque temps auparavant, j’avais déjà entendu des coups de feu et je pus voir les prisonniers s’enfuir dans toutes les directions. Je ne peux donner de détails précis sur ce qui se passa alors près du camion, car j’en étais éloigné d’une cinquantaine de mètres, et le désordre était extrême. Je peux seulement dire que je vis mes deux camarades gisant sur le sol et que deux prisonniers tiraient sur moi et sur le chauffeur avec des armes qu’ils s’étaient approprié. Lorsque j’eus réalisé la situation, je déchargeai les quatre cartouches qui restaient dans mon chargeur sur les détenus qui tiraient sur nous, rechargeai mon fusil et remarquai soudain qu’une balle venait de frapper le sol tout près de moi. J’eus la sensation que j’avais été touché, mais je compris ensuite que je m’étais trompé. J’attribue maintenant cette sensation à un choc nerveux. En tout cas, j’ai tiré toutes les balles du deuxième chargeur sur les fuyards, sans pouvoir toutefois préciser si j’ai atteint l’un d’entre eux. »

Je crois bon de vous informer que la deuxième partie de la déposition de Hesselbach concerne l’organisation des recherches des mutilés qui avaient pris la fuite, recherches qui restèrent sans résultat.

Je voudrais citer enfin quelques extraits du dernier document de cette correspondance. C’est un rapport de l’Obersturmfuhrer SS Kuntze. Il conclut en déclarant que l’enterrement des SS tués eut lieu à 14 heures au cimetière des héros des SS et de la Police à Hegewald.

Il me semble que ce détail n’est pas dénué d’intérêt. Je vais maintenant citer le début du rapport. Je passerai la première partie de ce qui est imprimé dans votre livre de documents, afin de gagner du temps. Il raconte qu’après l’inspection du camp par Hesselbach, on supposait que 78 personnes avaient été tuées. En raison de leur incapacité de travailler, ces prisonniers de guerre constituaient une charge considérable pour le camp. En conséquence, le SS-Hauptsturmführer Kallbach ordonna que les anciens prisonniers de guerre soient exécutés le 24 décembre.

Personne, que ce soit dans les services locaux ou dans les services régionaux, n’a pu découvrir la raison pour laquelle l’ancien commandant s’était occupé de ces prisonniers mutilés et les avait dirigés sur le camp de « travail et d’éducation ». Dans ce cas précis, rien ne permet de présumer que les prisonniers en question aient déployé une activité communiste quelconque sous le régime soviétique. Il semble que les autorités militaires aient mis en temps voulu ces prisonniers de guerre à la disposition du commandement local, afin qu’ils soient soumis au régime spécial, puisque vu leur état physique on ne pouvait les faire travailler. Ainsi, le SS-Hauptsturmführer Kallbach fixa la date de l’exécution au 24 décembre. A 17 heures, le chef de la section de Berditchev, le SS-Sturmscharführer Knop communiqua par téléphone qu’au cours de l’accomplissement de cette opération, deux collaborateurs de la section — le SS-Unterscharführer Paal et le SS-Sturmmann Vollprecht — ont été victimes d’une agression de la part des détenus et tués par leurs propres armes.

Je passe sur une partie importante du bavardage inutile du SS-Obersturmführer Kuntze et je ne citerai que trois nouveaux paragraphes (pages 172 et 173 de votre livre de documents) :

« Ainsi, sur les 28 détenus, 4 furent fusillés dans la tombe, 2 périrent au cours de leur tentative d’évasion, et les 22 autres réussirent à s’enfuir. Des efforts furent immédiatement entrepris par le SS-Rottenführer Hesselbach, aidé par les gardes du Stalag voisin, pour rattraper les fuyards ; quoique bien menées, ces recherches n’en restèrent pas moins infructueuses. Le chef de la section de Berditchev ordonna qu’on parte immédiatement à la recherche des fugitifs et donna aux services de la Police et de l’Armée des instructions à cet effet. Cependant, les noms des fugitifs étaient inconnus, et ce fait suffisait à lui seul à rendre les recherches plus difficiles. Les rapports contenaient les noms de tous ceux qui étaient soumis au régime spécial, de telle sorte qu’il aurait fallu ranger dans la catégorie des fuyards ceux qui avaient déjà été tués.

Le 25 décembre, au même endroit, fut effectuée, sous ma direction, l’exécution des 20 prisonniers de guerre survivants. Comme je craignais que les fuyards aient déjà eu le temps d’entrer en rapports avec quelque unité partisane, je demandai qu’on envoie du Stalag un détachement de 20 hommes armés de mitraillettes et de carabines, pour faire le guet aux alentours. L’exécution se passa sans incidents.

Il est facile d’imaginer ces malheureux 20 mutilés de guerre, sans bras ni jambes, conduits à leurs calvaires par un fort contingent de SS et de soldats armés de mitraillettes. Je continue :

« En guise de représailles, j’ordonnai à la gendarmerie de contrôler l’identité de tous les prisonniers libérés qui se trouvaient dans les environs et de s’informer des activités politiques qu’ils auraient pu déployer sous le régime soviétique : mon but était de faire arrêter et soumettre au régime spécial tous les militants et membres du parti communiste. »

Pour en terminer avec la présentation des preuves concernant ce crime monstrueux des hitlériens, je voudrais encore attirer l’attention du Tribunal sur un certain nombre de faits. Je voudrais tout d’abord me référer aux « protestations élevées par l’Armée » dont parle le SS Knop (vous trouverez ce passage à la page 163) :

« A l’avenir, les envois de prisonniers de guerre seront supprimés, eu égard aux protestations élevées par l’Armée. Je ne veux pas que mes paroles soient interprétées de façon erronée. Ce n’est pas tant que l’Armée ait protesté contre ces évacuations ; elle a plutôt exprimé le désir de voir ces prisonniers de guerre mis dans quelque refuge, après leur libération. »

Il n’est point besoin d’être grand clerc pour deviner de quel « refuge » il s’agissait ; c’était le refuge qu’on leur fournissait lorsque, d’après les paroles de Knop, on les transportait « en camion, quelque part dans les environs ».

Le deuxième fait qui me semble être d’importance est l’échelle sur laquelle ces atrocités ont été commises. A propos des bourreaux Paal, Hesselbach et Vollprecht, Knop écrit :

« En ce qui concerne les trois hommes cités plus haut à qui j’avais confié la tâche de fusiller les prisonniers de guerre, je savais qu’ils avaient participé à des exécutions massives de plusieurs milliers de personnes à Kiev, que l’administration locale, au moment où j’en faisais déjà partie, leur avait souvent confié l’exécution de plusieurs centaines de victimes. »

A propos de Hesselbach, je voudrais attirer l’attention sur deux points de détail, qui n’en sont pas moins caractéristiques : le premier concerne la terminologie qu’il emploie ; je cite ses propres mots :

« Après avoir fusillé les trois premiers détenus, j’entendis soudain un cri de l’autre côté de la tombe. Comme le quatrième était là à attendre son tour, je le descendis rapidement. »

N’importe quel bandit, n’importe quel criminel d’habitude aurait utilisé un tel langage pour parler de la suppression d’un être humain. Pour les bourreaux fascistes, assassiner un combattant, qui a courageusement combattu pour sa patrie et est devenu invalide de guerre s’appelle brièvement le « descendre ». Les bourreaux furent si absorbés par la tuerie qu’ils n’entrevirent même pas la nécessité de relever les noms de ceux qu’ils tuaient. Il en résulta un certain désordre à la Police. Les recherches portèrent à la fois sur ceux qui s’étaient évadés et sur ceux qui avaient été tués.

Le deuxième fait est le suivant : le seul bruit d’une balle sifflant près de lui donna au bourreau la sensation d’avoir été blessé. Et ce sont là les individus que leurs supérieurs appellent « des héros ».

Ce serait une négligence de ma part de ne pas insister sur la brutalité particulière dont fit preuve Kuntze, ce type du SS. Il fallait tuer 20 hommes, pris n’importe où et n’importe comment, n’ayant commis aucune faute. Et pour quelle raison ? Uniquement parce que 22 invalides avaient réussi à échapper à la mort.

Le Tribunal sait évidemment fort bien que, conformément à toutes les lois divines et humaines, ces 22 invalides ne devaient pas périr de la main des bourreaux, mais auraient dû être placés sous la protection du Gouvernement allemand, en tant que prisonniers de guerre.

L’aveu de Kuntze, concernant les motifs pour lesquels les autorités militaires envoyèrent des invalides dans le camp pour les soumettre à « un régime spécial » est des plus significatifs. Il déclare ouvertement que la cause en était leur incapacité physique qui les mettait dans l’impossibilité de se livrer à quelque travail que ce soit.

A ce propos, je présente au Tribunal une série de documents qui montrent que les prisonniers de guerre n’étaient intéressants aux yeux des représentants du commandement et des autorités allemandes que dans la mesure où ils étaient susceptibles de fournir de la main-d’œuvre forcée.

Vous avez en votre possession une circulaire émanant du Haut Commandement des Forces armées, stipulant que les prisonniers de guerre soviétiques devaient être soumis à la marque et que cette marque ne serait pas considérée comme une mesure sanitaire. Je vous présente encore un de ces documents odieux. Il porte les Signes distinctifs suivants : AS2F, 2-482N, commandant des camps de prisonniers de guerre. N° 3.142/42, Berlin, Schoeneberg 20. 7. 1942, Badenschestrasse 51. »

Ce document porte le n° URSS-343. Je ne le lirai pas in extenso. Il est presque identique à celui que j’ai déjà cité.

Mais il démontre à quel point les conspirateurs nazis se sont éloignés de la thèse suivant laquelle :

« L’Etat peut faire tout ce qui sera indispensable pour retenir les prisonniers de guerre, mais rien de plus. »

Le régime de travail forcé, les insultes et les tortures incessantes poussaient les citoyens soviétiques à manifester leur profond désespoir, ainsi en attaquant les gardes du camp, pourtant armés jusqu’aux dents. Nous avons des exemples de ces faits héroïques par les dépositions de témoins oculaires qui se trouvent en notre possession. Je vous présente notre document URSS-314, déposition écrite de la main même du témoin Lampe que vous avez interrogé dans cette salle il y a quelques jours. Je vous présente également notre document URSS-315 qui est une déposition du témoin Ricol. Ces passages se trouvent à la page 348 de votre livre de documents.

Ces témoins ont rapporté qu’au début de février 1945, 800 prisonniers de guerre soviétiques internés dans les camps d’extermination de Mauthausen avaient fui l’enfer fasciste, après avoir désarmé les gardiens et défoncé les fils barbelés électrifiés. Lampe témoigne de la brutalité avec laquelle les SS réglaient le compte de ceux qu’ils pouvaient rattraper. Je citerai quelques lignes :

« Ceux qui rentrèrent au camp furent atrocement torturés et mis à mort. Je me trouvais moi-même parmi les prisonniers évadés qui furent ramenés au bloc 20. » (Je fais remarquer en passant que le bloc 20 était celui de la mort.)

« Ils furent roués de coups et la tête de l’un d’eux saignait abondamment. Ils étaient suivis par une dizaine de SS, dont trois ou quatre officiers. Ils avaient des fouets à la main, riaient à gorge déployée et semblaient goûter à l’avance le plaisir qu’allaient leur procurer les tortures auxquelles ils se proposaient de soumettre ces trois malheureux. Le courage des révoltés et la cruauté de la répression ont laissé chez tous les détenus de Mauthausen un souvenir ineffaçable. »

Les conspirateurs fascistes traitaient avec une haine égale tous les citoyens soviétiques. Si des altercations s’élevaient parfois entre eux, ce n’était qu’à propos des méthodes à employer pour l’exécution de leurs victimes. Tandis que les uns voulaient qu’on abatte sur-le-champ les prisonniers, d’autres pensaient qu’il était plus sage d’utiliser leur sang et leurs forces dans les moulins, les usines, les arsenaux, ainsi que dans la construction d’ouvrages militaires.

La prolongation de toute guerre provoque une pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie et l’agriculture. L’Allemagne fasciste résolut ce problème par l’importation d’esclaves blancs des deux sexes. La plupart d’entre eux étaient des prisonniers de guerre. On les affectait à des travaux pénibles. Ils périssaient en masse, d’épuisement, de surmenage, de faim et des suites du traitement sauvage auquel ils étaient soumis par leurs gardiens.

Je dépose le document n° PS-1117 et j’en cite trois alinéas :

« Dans le but de réaliser le programme d’augmentation de la production du fer et de l’acier, le Führer a ordonné, le 7 juillet, de fournir à ces industries une quantité suffisante de charbon et d’utiliser à cet effet les prisonniers de guerre. »

Je passe quelques phrases concernant l’aspect technique de cette question, et je cite l’article 2 de cette directive :

« 2. Tous les prisonniers de guerre soviétiques capturés depuis le 5 juillet 1943 doivent être dirigés sur des camps de l’OKW, et de là, soit directement soit par voie d’échange, mis à la disposition du plénipotentiaire général à la main-d’œuvre afin de les utiliser dans l’industrie minière. »

L’article 4 est très important. Il contient une instruction relative à la façon dont on peut transformer en prisonniers de guerre tous les hommes de 16 à 55 ans. Je cite :

« 4. Tous les hommes de 16 à 55 ans, capturés au cours des combats avec les partisans dans la zone des opérations militaires, ainsi que dans les commissariats de l’Est, le Gouvernement Général et les Balkans, doivent être considérés comme des prisonniers de guerre. La même disposition s’applique aux hommes des régions nouvellement occupées à l’Est. Ils doivent être envoyés dans les camps de prisonniers de guerre, et de là dirigés sur des lieux de travail en Allemagne. »

Le deuxième document, n° PS-744, publié par le chef de l’OKW le 8 juillet 1943, reproduit cette même instruction. Ce document est signé par Keitel. A ce texte est joint un appendice signé par Himmler et adressé à toutes les autorités supérieures des SS. Le texte a déjà été lu le 20 décembre 1945. Je ne ferai donc qu’en rappeler le contenu. Il concerne la déportation des enfants, des vieillards et des jeunes femmes. Himmler montre comment et suivant quelles méthodes les services de Sauckel devaient les envoyer en Allemagne. Dans ce cas également, Himmler, Keitel et Sauckel agissent en parfait accord, comme s’ils formaient une unité.

J’attache une très grande importance au document n° URSS-354. C’est un rapport sur le camp de prisonniers de Minsk, rédigé par la chancellerie de Rosenberg, le 10 juillet 1941.

LE PRESIDENT

A-t-il déjà été versé au dossier ?

COLONEL POKROVSKY

Ce document n’a pas encore été lu. Je me permets d’en citer quelques extraits ; je cite, à la page 183 :

« Le camp de prisonniers de guerre de Minsk, couvrant un espace ayant environ les dimensions du Wilhelmplatz, contient environ 100.000 prisonniers de guerre et 40.000 détenus civils. Les prisonniers, entassés dans cet endroit étroit, peuvent à peine bouger et sont obligés de satisfaire leurs besoins naturels là où ils se trouvent. Ce camp est gardé par une compagnie de soldats en service actif. En raison du peu d’importance de ces effectifs, la garde du camp ne peut être assurée que par la force brutale. »

Je passe un alinéa et j’en arrive au passage qui développe la même idée :« Le seul argument dont peut se servir une petite troupe de garde, restant à son poste jour et nuit, sans être relevée, consiste dans les armes à feu, dont elle fait un usage impitoyable. »

Plus loin, les auteurs de ce document déplorent l’impossibilité de procéder à une sélection des prisonniers d’après des critères de distinction basés sur la constitution physique et la race, afin de les affecter aux différentes sortes de travaux. Ces épreuves de sélection furent mises sur pied, mais elles furent interdites dès le deuxième jour. Je cite :« Mention est faite d’un ordre du Feldmarschall Kluge d’après lequel lui seul avait le droit de libérer les prisonniers civils. »

Je citerai encore deux documents montrant comment, dans leur haine du peuple soviétique, les hitlériens s’avisèrent que le régime de cruautés sauvages et d’outrages systématiques qu’ils avaient instaure pour les prisonniers de guerre soviétiques était encore trop doux, et demandèrent que la sévérité en soit renforcée.

Le 29 janvier 1943 un ordre fut promulgué sur les « précautions que l’on a le droit de prendre contre les prisonniers de guerre » sous la signature du chef de l’OKH.

Ce document porte le n° 3.868/42 et est enregistré par la Délégation des Etats-Unis sous le n° PS-696. Nous le déposons sous le n° URSS-355, car il n’a pas été cité. J’en lirai quelques courts extraits ; vous trouverez ce passage à la page 185 de votre livre de documents. Il commence comme suit :« Les organismes militaires et les organisations du parti national-socialiste ont à maintes reprises soulevé la question du traitement des prisonniers de guerre ; ils pensent que les peines prévues par la Convention de 1929 s’avèrent insuffisantes. »

Le document déclare que les dépositions antérieurement en vigueur continueraient à s’appliquer à tous les prisonniers de guerre, sauf aux prisonniers de guerre soviétiques. Le statut de ces derniers fut fixé par l’ordre n° 389/42-S, émis le 24 mars 1942 par l’OKW (section des prisonniers de guerre).

Le deuxième document est une circulaire de la chancellerie du parti nazi, portant le n° 12/43-S. Cette circulaire, signée par Bormann, émane du Quartier Général du Führer, en date du 12 février 1943.

Elle fut envoyée aux chefs du Reich, aux Gauleiter et aux commandants des unités. Elle leur fait part de l’ordre secret du chef d’Etat-Major n° 3.868/42-S. Il est donc prouvé une fois de plus, et ceci sans le moindre doute, que les dirigeants du parti nazi et les chefs militaires partagent la responsabilité des atrocités commises à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques. Les lois sur le traitement des prisonniers de guerre applicables dans la Marine restent en vigueur, sauf pour les prisonniers soviétiques et chaque fois qu’il s’agit de ces derniers, les dispositions prévues par la section des prisonniers de guerre de l’OKW, auxquelles j’ai déjà fait allusion, continuent à s’appliquer.

Ainsi, toutes les fois que ce problème se pose, les dirigeants du Parti et ceux de l’OKW s’entendent pour y apporter la même solution.

J’insiste sur ces faits et je vous rappelle qu’ils ont eu lieu dans le pays dont le représentant avait déjà déclaré en 1902 :

« L’intérêt exclusif de faire des prisonniers consiste à les empêcher de prendre ultérieurement part à la guerre. Si les prisonniers de guerre perdent leur liberté, ils n’en conservent pas moins leurs droits. Autrement dit, la captivité n’est pas un acte de générosité de la part du vainqueur, c’est le droit du soldat désarmé. »

LE PRESIDENT

Colonel Pokrovsky, on nous a déjà lu ce document plus d’une fois.

COLONEL POKROVSKY

Je ne le lis pas ; j’en rappelle simplement le contenu.

LE PRESIDENT

Je crois que vous pouvez avoir confiance :

le Tribunal s’en souvient. Je vous ai déjà dit que ce document a été lu plus d’une fois.

COLONEL POKROVSKY

Nous sommes en possession d’une note de service signée par Lammers. C’est le document PS-073. Nous le présentons sous le n° URSS-361. Il n’a pas été cité. Il y est dit (vous trouverez ce passage à la page 191 de votre livre de documents) :

« Les prisonniers de guerre sont des étrangers. Donc, toute question les concernant et n’étant pas strictement militaire est du ressort du ministère des Affaires étrangères. Une exception à cette règle est apportée en ce qui concerne les prisonniers de guerre soviétiques, qui sont soumis à l’autorité du ministre des territoires occupés de l’Est ; car les dispositions de la Convention de Genève ne leur sont pas applicables et ils ne possèdent aucun statut politique spécial. »

Sous ce rapport, je vous présente, sous le n° URSS-356, un autre document allemand. Il contient des notes rédigées à la direction du contre-espionnage à l’étranger, le 15 septembre 1941, pour « le chef d’Etat-Major de l’OKW. » J’en citerai quelques extraits (page 192 de votre livre de documents) :

« Les stipulations de la Convention de Genève concernant les prisonniers de guerre ne s’appliquaient pas entre l’Allemagne et l’URSS. C’est pourquoi n’entrent en ligne de compte que les dispositions fondamentales du Droit international sur le traitement des prisonniers de guerre. Ces dispositions ont évolué de telle façon depuis le XVIIIe siècle que la captivité ne constitue ni une vengeance, ni une punition, mais simplement une mesure de sécurité, dont le seul but est d’empêcher les prisonniers de prendre ultérieurement part à la guerre. Ce principe est développé en conformité avec la conception universellement admise que, du point de vue militaire, il est inadmissible de tuer ou de mutiler des prisonniers. En outre, chaque belligérant a intérêt à s’assurer que ses propres soldats seront à l’abri de tous mauvais traitements au cas où ils seraient fait prisonniers. Les instructions qui se trouvent dans l’appendice n° 1 relatif au traitement des prisonniers de guerre soviétiques sont basées, comme on le voit dès les premières phrases, sur des conceptions différentes. »

Pour économiser du temps, je passe quelques phrases et je cite la fin du paragraphe : « ... et en outre, écartent un certain nombre de choses qui, fruit d’une longue expérience, étaient considérées non seulement comme utiles au point de vue militaire, mais encore indispensables au maintien de la discipline et du mordant des troupes. Les instructions sont rédigées en termes très généraux. Mais si l’on en garde l’idée directrice présente à l’esprit, on voit que les mesures qu’elles autorisent aboutissent à une débauche de crimes impunis, bien que la violence légale ait été abolie.

« Ceci apparaît évident lorsqu’on consulte les règlements relatifs à l’emploi des armes par les gardes et leurs chefs contre les prisonniers récalcitrants qui ne parlent pas la même langue qu’eux. Très souvent, il est impossible de savoir si la désobéissance des prisonniers est due à l’entêtement ou à la mauvaise interprétation des ordres donnés. Le fait que les directives générales justifiaient l’emploi des armes contre les prisonniers de guerre soviétiques dispensait en principe les gardes de la nécessité d’expliquer leur conduite. »

Je passe deux paragraphes ne se rapportant pas directement à cette question.

« L’organisation de la police des camps, armée de bâtons, de fouets et d’autres armes du même genre, est en contradiction avec les conceptions militaires traditionnelles, même si cette tâche est confiée aux détenus. De plus, les autorités militaires confient à d’autres le soin d’appliquer les punitions sans effectuer aucun contrôle des moyens employés. »

Je voudrais citer encore une phrase du paragraphe 5 de ces notes (vous la trouverez à la page 194) :

« L’appendice n° 2 contient la traduction du décret russe concernant les prisonniers de guerre ; le contenu en est conforme aux principes essentiels du Droit international et de la Convention de Genève. »

Je ne citerai pas le reste du document. Il n’a aucun intérêt. Il est signé par le chef du contre-espionnage, l’amiral Canaris. A ce document, sont jointes des instructions concernant le traitement des prisonniers de guerre soviétiques. Ces instructions en développent, en détail, les dispositions qui, selon Canaris, violaient les règles fondamentales du Droit international et de la Convention de Genève.

Je voudrais compléter ce document en lisant quelques extraits du procès-verbal de l’interrogatoire du Dr Wengler, ancien conseiller juridique du groupe « Extérieur » de l’OKW. Nous les présentons sous le n° URSS-129. Wengler fut interrogé par moi le 19 décembre 1945, et ses déclarations sont importantes pour connaître la conduite adoptée à ce sujet par l’OKW et Keitel lui-même.

Dr NELTE

Monsieur le Président, je demande que la lecture du document URSS-129 à laquelle le procureur de l’URSS a l’intention de procéder, soit remplacée, avec l’agrément du Ministère Public soviétique, par l’audition du témoin Wengler, qui est l’objet de ce compte rendu d’interrogatoire.

Ce document URSS-129 est le compte rendu d’un interrogatoire du Dr Wengler, qui a pris part à des activités de contre-espionnage au sein de l’OKW. Il s’agit de savoir si la non-application de la Convention de Genève dans les rapports avec l’Union Soviétique est due à l’initiative du Gouvernement allemand, de l’OKW ou de l’accusé Keitel. Je n’ai pas besoin d’ajouter que l’éclaircissement de ce problème revêt une importance particulière dans le jugement des responsables, non seulement par rapport aux chefs d’accusation, mais en considérant aussi les terribles responsabilités encourues par eux si la déposition du témoin était véridique.

Le témoin a été interrogé le 19 décembre 1945 à Nuremberg. Je ne puis dire s’il se trouve encore ici ou s’il est à Berlin. A-t-il signé son interrogatoire ? Je n’en sais rien. Je pense que le Tribunal interprétera en faveur de ma demande l’article 21 de l’Acte constitutif, d’abord parce que le transfert du témoin de Berlin ne présente pas de difficultés particulières, ensuite parce qu’il s’agit d’une affaire tellement importante que l’interrogatoire oral du témoin par ce Tribunal ne doit pas être remplacé par la simple lecture du procès-verbal d’une enquête.

LE PRESIDENT

Colonel Pokrovsky, avez-vous quelque chose à répondre à cette objection ?

COLONEL POKROVSKY

Si vous le permettez, je voudrais tout d’abord, pour éclaircir la question, savoir où se trouve actuellement le témoin. Il n’est pas à Nuremberg. Il y a été amené pour cet interrogatoire avec les plus grandes difficultés techniques. Cet interrogatoire fut mené conformément à toutes nos règles de procédure, si bien que ce document pourrait être présenté au Tribunal et accepté comme preuve, conformément à l’article 19 de l’Acte constitutif. Dans le document que nous vous présentons sous le n° 129, toutes les questions qui sont, à ce sujet, intéressantes pour le Ministère Public sont déjà suffisamment éclaircies. Je ne vois pas la possibilité de faire venir ici ce témoin dans un proche avenir. Peut-être l’avocat pense-t-il que ce serait facile, mais personnellement je pense que des difficultés techniques s’opposent à ce qu’il vienne une seconde fois.

Et, je le répète, si le Tribunal considère qu’il n’est pas opportun d’accepter ce document sous la forme tout à fait régulière que j’ai proposée, nous consentirions alors à renoncer à sa présentation et à le remplacer par une autre pièce à valeur probatoire (malgré l’irrégularité de cette transaction). Nous considérons qu’il n’est pas possible de faire venir le témoin une seconde fois. C’est tout ce que j’ai à répondre à cette requête.

LE PRESIDENT

Avez-vous bien dit que vous ne pouviez pas amener le témoin ici et que, partant, vous n’insisteriez pas pour déposer ce document ?

COLONEL POKROVSKY

Non, j’ai dit autre chose. J’ai dit que nous insistons sur l’admission de ce document puisque le Tribunal a, d’après l’article 19 de l’Acte constitutif, le droit de procéder ainsi. Mais si l’on nous donnait à choisir entre deux solutions, l’une qui consisterait à ajouter cette preuve au dossier, l’autre à convoquer le témoin une seconde fois, les obstacles techniques qui nous empêchent d’adopter la seconde solution nous pousseraient à préférer l’exclusion de ce document du dossier, pour éviter que les difficultés surmontées ne se présentent de nouveau. Nous estimons que ce document est absolument conforme à toutes les règles posées dans l’Acte constitutif et que le Tribunal devrait l’accepter comme preuve, d’après l’article 19 dudit Acte.

LE PRESIDENT

Le Tribunal aimerait tout d’abord savoir la raison pour laquelle il est difficile ou impossible de faire venir le témoin à Nuremberg, de la même façon qu’en décembre 1945 ;

deuxièment, le Dr Nelte et les autres avocats de la Défense ont-ils en leur possession les copies en allemand du texte complet de ce document ?

COLONEL POKROVSKY

Le Dr Wengler fut interrogé en allemand, sa langue maternelle. L’original du compte rendu de son interrogatoire a été déposé au Tribunal et le nombre nécessaire de copies se trouve à la disposition de la Défense.

En ce qui concerne les difficultés techniques, je ne suis pas actuellement à même d’exposer au Tribunal toutes les difficultés purement techniques dont m’ont fait part mes collaborateurs, car je ne m’en souviens plus. Mais je sais qu’après avoir accompli leur travail, c’est-à-dire établi l’identité du témoin, procédé à sa recherche, fait le nécessaire pour l’amener ici, ils m’ont déclaré qu’ils avaient pu le faire une fois, mais qu’ils ne pourraient pas recommencer. C’est la raison pour laquelle le Dr Wengler, se trouvant en liberté, a été interrogé ici à Nuremberg où il est resté plusieurs jours, juste pendant le temps nécessaire pour que son témoignage puisse contribuer à l’éclaircissement des problèmes qui nous intéressaient, car nous avions prévu l’impossibilité de le faire venir une deuxième fois.

LE PRESIDENT

Le Tribunal aimerait savoir d’où le témoin a été amené lorsqu’il est venu à Nuremberg ?

COLONEL POKROVSKY

De Berlin.

LE PRESIDENT

II se trouve donc maintenant à Berlin ?

COLONEL POKROVSKY

Je ne peux pas me permettre de répondre à cette question sans m’être préalablement renseigné. En tout cas, il est en liberté.

LE PRESIDENT

Docteur Nelte, voulez-vous dire quelque chose ?

Dr NELTE

Je voudrais simplement me référer à la dernière page du compte rendu qui porte la mention : Dr Wilhelm Wengler, Berlin, Hersdorf, Ringstrasse, 32.

Il s’agit uniquement de savoir quelles sont les difficultés techniques qui s’opposent à ce que le témoin soit amené de Berlin à Nuremberg une seconde fois. Il est évident que je ne sais pas si le témoin se trouve à Berlin, mais je présume que oui.

LE PRESIDENT

Nous allons suspendre l’audience pour quelques instants.

(L’audience est suspendue.)
LE PRESIDENT

Le Tribunal acceptera que le document soit déposé, si le Ministère Public soviétique en décide ainsi. Si oui, le Tribunal invite le Procureur à faire le nécessaire pour que le témoin puisse subir un contre-interrogatoire.

Si le Ministère Public n’est pas à même d’obtenir la présence du témoin, le Tribunal s’en occupera lui-même.

COLONEL POKROVSKY

Je peux déclarer au Tribunal qu’au cours de cette discussion, j’ai examiné la possibilité de faire venir le témoin une seconde fois et on ne m’a pas donné de réponse concluante. Selon le désir du Tribunal, je laisserai de côté la question de son interrogatoire et je ne m’y référerai que lorsque mes collaborateurs m’informeront qu’il y aura possibilité d’amener une fois de plus le témoin à Nuremberg.

Je crois ainsi répondre aux vœux du Tribunal.

LE PRESIDENT

Colonel Pokrovsky, je ne suis pas très sûr que vous ayez pleinement compris ce que j’ai dit. J’ai voulu dire que vous aviez la possibilité de verser maintenant le document au dossier, si vous le désirez. Voilà un premier point. Mais dans ce cas, vous devez essayer de faire venir le témoin. Si vous n’y parveniez pas, le Tribunal s’en occuperait à votre place. Mais cela n’empêche pas que le document sera toujours admissible comme preuve et ne sera pas écarté ; cependant, il sera susceptible de faire l’objet d’une critique : on pourra dire que ce n’est qu’une déposition ou un témoignage sous serment, et que le témoin n’a pas été interrogé contradictoirement. Par conséquent, l’importance attachée à ce témoignage ne sera pas aussi grande que si le témoin avait été entendu contradictoirement.

Cela est-il clair ?

COLONEL POKROVSKY

Oui. J’ai interrogé Wengler... »

LE PRESIDENT

Je crains d’avoir utilisé à tort le terme de « témoignage sous serment ». Il s’agit simplement d’un interrogatoire qui n’a pas été fait sous la foi du serment, ce qui ne manquera pas d’être pris en considération.

Ce qui importe, c’est que vous pouvez, si vous le désirez, verser maintenant le document. Ceci est laissé à votre discrétion. Si vous décidez de le faire, vous devez prendre les mesures nécessaires pour faire venir le témoin en vue d’un contre-interrogatoire. Si vous ne réussissez pas à le faire comparaître, le Tribunal avisera.

COLONEL POKROVSKY

En informant le Tribunal des mesures que j’avais adoptées, je partais du point de vue suivant : le Tribunal désire que chaque témoin dont la déposition a été lue au procès-verbal se présente personnellement à l’audience pour un contre-interrogatoire supplémentaire. Canaris a témoigné de la même façon, c’est pourquoi j’ai déjà essayé de savoir si nous pouvons faire comparaître maintenant ce témoin et, comme mes services n’ont pas encore reçu de réponse définitive, je voulais donc proposer au Tribunal de différer simplement la lecture de ce procès-verbal, parce que nous n’en avons besoin que pour appuyer un fait qui est déjà confirmé par un document, la note signée par Canaris, que nous vous avons présentée tout à l’heure.

Quelle est l’importance de l’interrogatoire de Wengler ? Elle réside dans le fait qu’il confirme que l’OKW était au courant du traitement infligé aux prisonniers de guerre soviétiques. Canaris affirmait la même chose.

LE PRESIDENT

Je crois que vous devez décider, colonel Pokrovsky, si vous versez le document au dossier ou non. Si c’est votre désir, faites-le, mais je considère qu’il n’est pas opportun de lire le contenu du document, sans le déposer.

Si vous voulez le déposer, vous pouvez le faire, mais j’ai déjà dit que dans ce cas, vous devez essayer de faire comparaître le témoin ; si vous n’y parvenez pas, le Tribunal avisera.

COLONEL POKROVSKY

J’estime que la déposition de Wengler n’a pas une telle importance pour que nous y prêtions une si grande attention. Je ne citerai pas le procès-verbal.

Si nous sommes en mesure de faire venir le témoin, nous le ferons en temps utile.

LE PRESIDENT

Très bien.

COLONEL POKROVSKY

A la lumière des documents déjà présentés, et en considération de la protestation élevée par les prisonniers de guerre allemands du camp n° 78, qui témoigne du traitement humain réservé par le commandement soviétique aux prisonniers de guerre de l’Armée allemande, la phrase qui se trouve dans l’appendice n° 1 à l’ordre n° 14 du commandement de la Police de sûreté et du SD, relatif au traitement des prisonniers de guerre soviétiques, apparaît comme une insulte.

Cette phrase se trouve au paragraphe 3 de la page 7 du document que je soumets au Tribunal sous le n° URSS-3. Vous la trouverez à la page 204 de votre livre de documents :

« Le soldat bolchevik a perdu le droit d’être traité comme un soldat honnête, d’après les dispositions de la Convention de Genève. »

Je prie le Tribunal de se souvenir que les directives suivantes, datées du 7 novembre 1941, se trouvent dans l’appendice n° 2 à l’ordre n° 11 du Quartier Général du commandement de l’Armée allemande. Je cite des extraits du document URSS-3 (page 233 de votre livre de documents ; c’est le dernier alinéa de la colonne droite de la page 5 de l’original) :

« L’activité des Sonderkommandos, sanctionnée par le commandant des zones de l’arrière (officiers responsables des questions relatives aux prisonniers de guerre dans la région) doit être menée de telle façon que le choix des prisonniers et leur élimination passent inaperçus. Les exécutions doivent être effectuées sans attendre et en un lieu suffisamment éloigné du camp et des endroits habités pour que les autres prisonniers et la population n’en soupçonnent rien. »

C’est de ce genre de transferts de prisonniers de guerre, « quelque part dans les environs », dont voulait parler Kuntze, le bourreau professionnel, dans le rapport qu’il fit à ses chefs sur les incidents qui se produisirent au cours de l’exécution des 28 prisonniers de guerre mutilés.

Parmi les documents présentés au Tribunal par le Ministère Public soviétique, se trouvent des pièces concernant l’exécution de 150 prisonniers de guerre et citoyens soviétiques, qui eut lieu le 7 avril 1945 au cimetière de Seelhont (Hanovre). Nous présentons ces documents sous le n° URSS-112. Vous trouverez ce document à la page 207 de votre livre de documents. Ils ont été mis à notre disposition par les services américains d’instruction. Il consiste dans une série de témoignages, y compris celui de Pierre Paiwikoff, officier de l’Armée rouge, qui échappa fortuitement à l’exécution. Vous en trouverez le procès-verbal à la page 207 de votre livre de documents. Nous possédons également les dépositions de membres de la population locale qui ont été interrogés sous serment par les services d’instruction américains. Leurs dépositions sont confirmées par des rapports d’expertises médicales pratiquées sur les corps exhumés des tombes du cimetière de Seelhont. De plus, nous présentons des photographies dûment certifiées conformes.

Je ne citerai pas tous ces documents, mais je ferai simplement remarquer que 167 cadavres ainsi exhumés sont spécialement mentionnés dans les conclusions de la Commission d’enquête, comme étant, selon toute apparence, ceux de personnes extrêmement sous-alimentées.

Je me dois d’insister sur ce fait, afin que le Tribunal se rende parfaitement compte de la situation alimentaire dans laquelle se trouvaient les prisonniers de guerre soviétiques dans les différents camps. Quel que soit le territoire sur lequel le camp était situé, tous les prisonniers de guerre soviétiques furent soumis à un régime de famine, appliqué avec la même cruauté constante et systématique.

Au moment même où je vous parle des atrocités commises par les hitlériens à l’égard des prisonniers de guerre, je trouve que nous sommes en possession des textes de différents verdicts prononcés par les tribunaux contre des criminels fascistes qui commirent leurs crimes sur les territoires temporairement occupés. Sous notre n° URSS-87, je dépose devant le Tribunal, conformément à l’article 21 de l’Acte constitutif, le verdict d’un Tribunal militaire de district. Vous le trouverez aux pages 214, 215 et 221. Il fut prononcé le 19 décembre 1945 à Smolensk ; le Tribunal infligea des peines, allant de 12 ans de travaux forcés à la peine de mort par pendaison contre dix hitlériens qui s’étaient directement rendus coupables d’innombrables atrocités dans la ville et la région de Smolensk.

Je ne citerai pas le document, mais je déclare simplement au Tribunal qu’aux pages 4, 5 et 6 de la sentence, passages soulignés dans vos copies (les pages 4, 5 et 6 correspondent aux pages 218, 219 et 220 de votre livre de documents) il y a des renseignements sur la façon dont, au moyen d’expériences pseudo-scientifiques sur les prisonniers de guerre, des hommes qui portaient, à la honte de la médecine allemande, le nom de professeurs et de médecins, torturaient et assassinaient des prisonniers de guerre soviétiques par empoisonnement du sang.

La sentence établit encore, qu’en conséquence du traitement sauvage infligé par l’escorte allemande chargée d’accompagner les prisonniers de guerre soviétiques de Viazma à Smolensk, environ 10.000 hommes déjà à demi-morts et exténués périrent en route. C’est justement le passage contenant ce renseignement que vous trouverez dans le paragraphe 3 du verdict (page 218 de votre livre de documents). Il rapporte les exécutions massives et systématiques des prisonniers de guerre, du camp 126, dans la ville de Smolensk (du camp dit « Dulag »-126 Sud), qui eurent lieu au cours du transfert de ces prisonniers de guerre dans d’autres camps et à l’hôpital. Le verdict insiste particulièrement sur le fait que les prisonniers de guerre qui étaient trop épuisés pour fournir un travail quelconque, furent tués à bout portant.

Je voudrais maintenant passer aux crimes commis par les hitlériens contre les membres des armées tchécoslovaque, polonaise et yougoslave. La lecture de l’Acte d’accusation nous révèle qu’un des plus importants forfaits dont ont à répondre les principaux criminels de guerre consiste dans l’exécution massive par les envahisseurs germano-fascistes de prisonniers de guerre polonais, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk.

Je présente au Tribunal, comme preuve de cette cruauté, les documents officiels de la commission spécialement nommée pour rechercher et établir les circonstances de l’exécution. Les travaux de cette commission ont été effectués, conformément à une instruction de la Commission extraordinaire d’Etat.

En plus des membres de celle-ci, la commission était composée des académiciens Bourdenko, Alexis Tolstoï et du métropolite Nicolas ; du Président du Comité panslave, le lieutenant général Goundorow ; du Président du Comité exécutif de l’Union de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, Kolesnikov du commissaire du peuple à l’Instruction publique de l’URSS, l’académicien Potemkin ;

du chef du service médical de l’Armée rouge, le général Smimov ;

et du président du Comité exécutif de Smolensk, Melnikov. La commission comprenait également un certain nombre des plus fameux experts médicaux.

Il eût été trop long de lire ce document précis et détaillé que je vous dépose maintenant sous le n° URSS-54 et qui contient le résultat de ces recherches. Je ne lirai que quelques extraits relative-ments courts. Je cite à la page 2 de ce document (qui correspond à la page 223 de votre livre de documents) :

« Le chiffre total des cadavres, d’après les estimations des experts médico-légaux, s’élève à plus de 11.000. Les experts ont procédé à un examen détaillé des cadavres exhumés et ont étudié les documents et les pièces à conviction trouvés sur les cadavres. En même temps qu’on ouvrait les tombes et examinait les cadavres, la commission procédait à l’interrogatoire de nombreux témoins parmi la population locale. Leurs déclarations ont permis d’établir exactement la date et les circonstances des crimes commis par les occupants allemands. »

J’estime qu’il n’est pas nécessaire de lire tout ce que la commission a établi au cours de son enquête ; je ne lirai que les conclusions générales qui résument ses travaux. Vous trouverez le passage que je vais citer à la page 43 du document URSS-54, si vous désirez suivre sur l’original ou à la page 264 du livre de documents :

« Conclusions générales

Après examen de toutes les preuves que la commission spéciale a eu entre les mains, à savoir les déclarations de plus de cent témoins, les rapports des experts médico-légaux, les documents, pièces à conviction et objets extraits des tombes de la forêt de Katyn, nous pouvons en venir aux conclusions définitives suivantes :

1° Les prisonniers de guerre polonais se trouvant dans les trois camps situés à l’ouest de Smolensk et ayant travaillé à la construction de voies de chemin de fer avant la guerre, y sont restés après l’occupation de Smolensk par les Allemands jusqu’en septembre 1941 inclus.

2° Au cours de l’automne 1941, les autorités d’occupation allemandes procédèrent dans la forêt de Katyn à des exécutions massives de prisonniers de guerre polonais détenus dans les camps mentionnés plus haut.

3° Les exécutions massives des prisonniers de guerre polonais dans la forêt de Katyn furent effectuées par des organismes militaires allemands, camouflés sous le nom : « Etat-Major 537, bataillon du génie » commandé par l’Oberleutnant Ames et ses collaborateurs, l’Oberleutnant Rekst et le lieutenant Hott.

4° Comme l’organisation militaire et politique de l’Allemagne commençait à faiblir au début de 1943, les autorités d’occupation allemandes, dans le but de provoquer des incidents, prirent une série de mesures pour imputer leurs propres crimes aux autorités soviétiques dans l’espoir de brouiller les Russes avec les Polonais.

5° A cet effet :

a) Les envahisseurs germano-fascistes, par voie de persuasion, par tentatives de corruption, par les menaces et les tortures barbares, essayèrent de suborner des témoins, parmi les citoyens soviétiques, en leur faisant déclarer que les prisonniers de guerre polonais avaient été tués au cours du printemps 1940 par des organismes dépendant de l’autorité soviétique.

b) Les autorités allemandes d’occupation amenèrent, au cours du printemps 1943, des cadavres de prisonniers de guerre polonais fusillés par eux et les entassèrent dans les tombes de la forêt de Katyn, dans l’espoir de faire disparaître les traces de leurs propres atrocités, en augmentant le nombre des « victimes des cruautés bolcheviques » dans la forêt de Katyn.

c) Tandis qu’elles préparaient leurs mesures de provocation, les autorités allemandes d’occupation utilisèrent jusqu’à 500 prisonniers de guerre russes pour creuser les tombes de la forêt de Katyn, afin de prouver que c’étaient bien les Russes qui avaient commis ces cruautés. Après avoir fini ce travail, les prisonniers de guerre furent fusillés par les Allemands.

« 6° Les rapports de la commission d’expertise médico-légale déterminent d’une façon indiscutable :

a) Que l’exécution se produisit en automne 1941 ;

b) Que les bourreaux allemands utilisèrent la balle dans la nuque, .comme ils l’avaient fait pour les massacres massifs de citoyens soviétiques, en particulier à Orel, Voronej, Krasnodar et Smolensk.

LE PRESIDENT

Nous allons maintenant suspendre l’audience.

(L’audience sera reprise a 14 heures.)