CINQUANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Jeudi 14 février 1946.
Audience de l’après-midi.
Dans le paragraphe 7 des conclusions de la Commission extraordinaire d’Etat dont j’ai parlé à l’audience précédente, il est dit :
« Les conclusions qui ont été tirées des dépositions et des expertises médico-légales se rapportant à l’exécution par les Allemands de prisonniers de guerre polonais en octobre 1941, confirment pleinement les pièces à conviction et les documents découverts dans les tombes de Katyn.
« 8. En fusillant les prisonniers de guerre polonais dans les bois de Katyn, les envahisseurs germano-fascistes ont donné un exemple tangible de leur politique d’anéantissement des peuples slaves. »
Suivent les signatures de tous les membres de la Commission.
Les massacres de Katyn ne marquent pas la fin des crimes commis par Hitler contre les soldats de l’Armée polonaise. Dans le rapport du Gouvernement polonais que j’ai présenté sous le n° URSS-93, nous trouvons une série de faits prouvant que les conspirateurs hitlériens violèrent les règles élémentaires du Droit international qui définit les coutumes et les lois de la guerre.
A la page 36 de ce rapport (correspondant à la page 285 de votre livre de documents) nous trouvons, sous forme d’article unique, la description des mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre et de l’extermination à laquelle ils étaient voués. Je cite :
« Au fur et à mesure que les officiers et autres gradés polonais revenaient des camps allemands de prisonniers, nous apprenions de nouveaux détails sur les conditions de vie qui régnaient dans ces camps. Ils établissaient sans contestation possible l’existence d’une ligne de conduite unique qu’on retrouve dans toutes les directives et dans tous les ordres concernant les prisonniers de guerre polonais. Les mauvais traitements infligés à ces derniers et les conditions de vie inhumaines qui leurs étaient faites étaient monnaie courante. Il arrivait souvent qu’on les tuât ou qu’on les blessât grièvement. Je joins à ce rapport quelques exemples confirmés par des témoignages sous serment.
Je me permettrai de lire quelques-uns de ces exemples cités dans le rapport polonais.
Je vais d’abord raconter un incident qui se produisit dans un camp de passage de prisonniers de guerre à Belsk (page 285 de votre livre de documents) :
« Le 10 octobre 1939, le chef du camp fit réunir tous les internés et ordonna à ceux qui étaient entrés dans l’Armée polonaise à la suite d’un engagement volontaire de lever la main. Trois des prisonniers obtempérèrent. On les fit immédiatement sortir du rang, on les plaça à 25 mètres d’un groupe de soldats allemands armés de mitrailleuses. Le commandant donna l’ordre d’ouvrir le feu. Il s’adressa ensuite aux survivants et leur déclara que ces trois volontaires avaient été exécutés à titre d’exemple. »
Nous ne sommes pas en face d’un simple meurtre de trois soldats désarmés...
Colonel, excusez-moi de vous interrompre, mais vous vous souvenez que j’ai interrompu tous les autres procureurs pour leur rappeler qu’un discours d’ouverture avait été fait au nom de leur Délégation et que leur tâche était de présenter les documents.
Vous venez de présenter un document établissant que trois volontaires furent fusillés. Je crois qu’aucun commentaire à ce sujet n’est nécessaire.
Je passe à la lecture du deuxième extrait qui se trouve à la page 37, à l’alinéa « d » ; c’est la page 286 de votre livre de documents :
« Au cours de l’automne 1939, le Stalag VIII-C fut construit à Kunau près de Sagan, au bord de la rivière Bober, affluent de l’Oder. Les déclarations qui ont été faites au sujet de ce camp sont les suivantes :
« Le camp de Kunau était un endroit découvert, entouré de fils de fer barbelés, où étaient plantées de grandes tentes contenant chacune 180 à 200 personnes.
« Malgré le froid intense (la température était descendue à — 25° ) il n’y avait, en décembre 1939, aucune installation de chauffage. En conséquence, certains internés eurent les mains, les pieds et les oreilles gelés. Les prisonniers n’ayant pas de couvertures, et leurs uniformes étant trop usés pour les protéger du froid, des maladies se déclarèrent, tandis que la sous-alimentation entraînait l’épuisement complet.
« De plus, les gardiens maltraitaient sans cesse les prisonniers. On les battait sous le prétexte le plus futile. Deux hommes étaient particulièrement réputés pour leur brutalité : le lieutenant Schinke et l’Oberfeldwebel Grau. Ils giflaient les prisonniers et les frappaient si durement qu’ils leur cassaient les côtes ou leur blessaient les yeux.
« Cette conduite inhumaine fut cause de quelques cas de suicides et d’aliénation mentale parmi les soldats. »
Je pense que nous pouvons aborder immédiatement les conclusions générales et lire à cet effet le paragraphe G de la page 39 (page 287 du livre de documents) :
« En se conduisant avec les prisonniers de guerre polonais de la façon décrite ci-dessus, les personnes et les autorités militaires allemandes ont violé de la façon la plus flagrante les articles 2, 3, 9, 10, 11, 29, 30, 50 et 54 de la Convention de Genève de 1929. Rappelons que cette Convention a été ratifiée par l’Allemagne le 21 février 1934. »
Les combattants de l’Armée yougoslave tombés aux mains des troupes allemandes étaient traités de façon absolument arbitraire par les envahisseurs fascistes. Les vexations, les tortures, les supplices et les exécutions furent systématisés. Là également, les criminels hitlériens savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Pour se blanchir, tout au moins quelquefois, aux yeux du monde, ils décernaient le titre de « bandits » à tous les officiers et soldats de l’Armée yougoslave dont il était question dans tous les documents concernant les prisonniers de guerre.
Je cite le second paragraphe qui se trouve au bas de la page 23 du Rapport officiel yougoslave (document URSS-36, page 326 de votre livre de documents) :
« Partout où les Allemands se servirent de prétendues attaques contre des « bandes » et des « bandits » comme prétexte pour l’extermination de la population civile (femmes, enfants et vieillards), il s’agissait en réalité de formations de l’Armée nationale yougoslave de libération et de groupes de partisans... soumis à une discipline militaire, portant des insignes militaires facilement reconnaissables, qui combattaient les occupants fascistes ; leur existence légale était, de plus, reconnue par tous les Alliés. D’ailleurs, nous verrons ultérieurement que le commandant allemand a, dans certains de ces documents, pleinement reconnu ce fait, ce qui n’empêche pas qu’il continuât à se comporter, vis-à-vis des combattants yougoslaves, de telle façon qu’il violait sans arrêt les principes du Droit militaire international. »
Pour confirmer ce rapport, je présente au Tribunal, sous le n° URSS-305, un autre document pour lequel ont été observées les règles de procédure prévues par l’article 21 du Statut, relatif à l’admission des preuves. C’est un extrait du rapport de la Commission d’Etat yougoslave sur les crimes commis par les occupants et leurs complices. La Commission d’Etat déclare qu’elle possède le rapport secret du général Hösslin, commandant la 188e division de réserve d’infanterie de montagne, immatriculé sous le n° 9070/44. Ce rapport a une très grande importance, en raison des considérations suivantes, dont il est question dans le document URSS-305.
« Quoique le rapport, quand il s’agit de mouvements de troupes, mentionne nos divisions, nos brigades et nos bataillons sous leur nom et leur numéro, il désigne cependant tous les membres de notre armée sous le nom de « bandits ». En procédant ainsi, ils s’efforcent de nous priver de nos droits de belligérants et de se donner le droit de fusiller les prisonniers de guerre, de tuer les blessés, d’avoir enfin un bon prétexte pour employer les mesures de représailles contre les populations pacifiques, tout simplement pour les punir de l’assistance prêtée aux « bandits ».
« Le Generalleutnant Hösslin reconnaît que le groupe de combat du colonel Christel, après un engagement de nuit avec de faibles forces de « bandits » — ce sont là les termes exacts du rapport — brûla Laskovitz, Lazna, Lokva, Tchepova et détruisit un hôpital. »
Le général Hösslin déclare en outre que sa division, agissant de concert avec le 3e régiment de Brandebourg, d’autres formations militaires et des unités de Police allemandes, participa à la « chasse libre aux bandits, dans les environs de Klana », (opération Emst).
Je dépose un document sous le n° URSS-132, page 363 de votre livre de documents. C’est un extrait, certifié conforme par la Commission d’Etat yougoslave, des instructions données par le Generalmajor Kubier sur la tenue des troupes au feu. Je lis :
« Secret : 118e division, Section I-C, Br. B n° 1.418/43 — secret Div. St. Qu. 12. 5. 43 — instructions sur la tenue des troupes au feu.
« 2. prisonniers : toute personne ayant ouvertement participé à des combats contre les forces armées allemandes et ayant été faite prisonnière sera fusillée après interrogatoire. »
Je dépose ensuite le document n° URSS-304. Sous ce numéro est enregistré un extrait du rapport n° 6 de la Commission d’Etat yougoslave enquêtant sur les crimes commis par les occupants et leurs complices. Au dernier alinéa du document URSS-304 (page 2 du texte russe et page 365 de votre livre de documents) il est dit :
« Le 3 mai 1945, les Allemands emmenèrent menottes aux mains, d’un hôpital où étaient soignés les partisans, 35 malades et infirmiers ; 10 des malades qui étaient incapables de marcher furent placés debout contre un mur et fusillés. Leurs corps furent mis en tas, recouverts de bois et brûlés. »
Sous le n° URSS-307, je vous dépose encore un extrait du rapport n° 6 de la même Commission d’Etat. Ce rapport figure aux pages 85 à 115 du premier livre intitulé « Rapport sur les crimes commis par les occupants et leurs complices ». Je cite une partie de ces extraits :
« Le 5 juin 1944, les criminels hitlériens s’emparèrent de deux soldats appartenant à l’Armée nationale de Libération yougoslave et aux groupes de partisans Slovènes. Ils les emmenèrent à Rasori où ils leur coupèrent le nez et les oreilles avec leurs baïonnettes, leur crevèrent les yeux et leur demandèrent ensuite s’ils pouvaient voir le camarade Tito. Ensuite, ils rassemblèrent les paysans, et devant eux ils coupèrent la tête des deux victimes. Ils placèrent ensuite les deux têtes sur une table. »
Selon leur habitude, les fascistes prirent alors des photographies de leurs victimes. Il est dit plus loin dans cet extrait :
« Plus tard, au cours des combats, ces photographies furent saisies sur un Allemand tué. Elles confirment ce qui a été dit plus haut sur les événements qui se sont déroulés à Rasori. »
Ces photographies seront montrées au Tribunal, ainsi que d’autres documents photographiques yougoslaves.
Je vous soumets sous le n° URSS-65 (a) une déclaration signée par le commandant des détachements de SS et de Police, dans la 18e région militaire, le SS-Gruppenführer et Generalleutnant de la Police Rosener. Je vais en lire une partie. Vous pourrez constater que les combattants des forces armées yougoslaves faits prisonniers étaient pendus et fusillés. Ce document correspond à la page 367 de votre livre.
« En ce qui concerne les engagements qui eurent lieu entre les forces de Police et les unités yougoslaves... » — Je passe ici quelques phrases où sont décrits certains de ces engagements — « 18 bandits furent fusillés au cours des combats et beaucoup d’entre eux faits prisonniers. Les bandits dont les noms suivent, qui se trouvaient parmi les prisonniers, ont été pendus publiquement le 30 juin 1942 à Stein. »
Suivent les noms de huit combattants yougoslaves âgés de 21 à 40 ans. Il est mutile que je Use cette liste.
A la page 36 de notre document URSS-36 (page 339 de votre livre de documents), nous lisons, au premier alinéa à partir du bas de la page :
« Nous trouvons des preuves analogues dans un recueil de notes officielles sur les conférences d’Etat-Major du Gauleiter Uiberreither...
Ainsi nous pouvons lire dans le compte rendu de la conférence tenue le 23 mars 1942 :« Aujourd’hui, à Maribor, 15 bandits ont été exécutés... »
De même dans le procès-verbal de la conférence du 27 juillet 1942, on lit :
« Récemment de nombreux bandits ont été fusillés. »
Dans le procès-verbal de la conférence du 21 décembre 1942 figure le passage suivant :
« Depuis juillet 1941, date à laquelle les bandits ont commencé leur activité, 164 d’entre eux ont été tués par la Police régulière et 1.143 ont été exécutés à la suite de mesures extraordinaires. »
Au procès-verbal de la conférence du 25 janvier 1943, on peut lire :
« Le nombre de partisans liquidés par la Police de sûreté et la Police régulière, le 8 janvier 1943, s’élève à 86, y compris les blessés et les prisonniers ; 77 d’entre eux ont été exécutés, »
Tous les comptes rendus des conférences tenues par Uberreiter contiennent de pareils commentaires.
Un certain nombre de prisonniers de guerre, qui avaient échappé à l’extermination immédiate, étaient envoyés dans des camps spéciaux où on les faisait périr à petit feu par la famine et les travaux les plus épuisants. Je lis maintenant le dernier alinéa de la page 37 du rapport du Gouvernement yougoslave que j’ai déjà mentionné et déposé sous le n° URSS-36. C’est la page 340 de votre livre de documents :
« Un camp de ce genre fut créé en 1942, à Osen, près de Rognan. Près de 1000 prisonniers de guerre yougoslaves y furent transférés et, en quelques mois, ils moururent jusqu’au dernier ; ils furent emportés par la maladie, la faim, la torture ou simplement fusillés. Ils étaient obligés de se livrer chaque jour aux travaux les plus durs, comme la construction de routes et de barrages. La journée de travail commençait à l’aube et finissait à 6 heures du soir, dans des conditions de climat extrêmement dures de l’extrême-nord norvégien. Pendant leur travail, les prisonniers de guerre étaient battus sans arrêt et, à l’intérieur même du camp, ils étaient soumis à des vexations épouvantables. C’est ainsi, par exemple, qu’en août 1942, les autorités du camp donnèrent l’ordre à tous les prisonniers d’enlever le système pileux de leurs aisselles et de leurs organes génitaux. En cas de refus, ils seraient fusillés. Les Allemands ne donnèrent pas de rasoirs aux prisonniers, sachant parfaitement qu’ils n’en avaient pas. Durant toute la nuit, les prisonniers furent obligés de s’arracher les poils les uns aux autres. Cependant les sentinelles fusillèrent au matin quatre prisonniers et en blessèrent trois.
« Le 26 novembre 1943, les soldats allemands firent irruption en pleine nuit dans l’infirmerie, sortirent dans la cour 80 prisonniers malades, les forcèrent à se déshabiller malgré l’âpreté du froid et les fusillèrent tous.
« Le 26 janvier 1943, 50 autres prisonniers moururent des coups qu’ils avaient reçus après avoir atrocement souffert. Pendant tout l’hiver, beaucoup de prisonniers de guerre furent exterminés de la façon suivante : on les enterrait jusqu’à mi-corps dans la neige, et on les arrosait d’eau, de façon à les transformer en « statues de glace ». Il a été établi que 880 prisonniers de guerre yougoslaves de ce camp ont été exterminés par les moyens les plus variés. »
Plus loin, à la page 38 de notre document URSS-36, se trouvent des renseignements sur l’extermination des prisonniers yougoslaves au camp de Bajsfjord (Norvège).
Après le 10 juillet 1942, lorsque le typhus se fut déclaré dans ce camp et répandu dans six autres, les Allemands ne trouvèrent pas de remède plus efficace contre cette épidémie que l’exécution de tous les malades. C’est ce qui fut fait le 17 juillet 1942.
A la même page 38, mention est faite d’un rapport norvégien en date du 22 janvier 1942, rédigé sur la base des déclarations faites par les gardes norvégiens qui s’étaient enfuis du camp. Il y est déclaré que, sur les 900 prisonniers yougoslaves, 320 furent fusillés tandis que les survivants furent transférés dans un camp d’isolement à Bjerfjel. Je lis la page 38 de notre document URSS-36, en commençant au cinquième alinéa à partir du bas de la page, page 341 de votre livre de documents :
« Lorsqu’une épidémie de fièvre typhoïde se fut déclarée dans le nouveau camp, les Allemands fusillèrent en moyenne 12 hommes par jour, au cours des 5 à 6 semaines qui suivirent. A la fin du mois d’août 1942, 350 seulement de ces prisonniers rentrèrent à Bajsfjord, où les SS continuèrent à les exterminer. Finalement il ne resta que 200 hommes, qui furent transférés à Osen. »
Je saute deux alinéas et je passe au dernier paragraphe de la même page :
« Le 22 juin 1943, un convoi de 900 prisonniers arriva en Norvège. Ces prisonniers étaient pour la plupart des intellectuels, mais aussi des ouvriers et des paysans ayant appartenu soit à l’ancienne Armée yougoslave, soit à des groupes de partisans ou encore des hommes classés sous l’étiquette politique d’« éléments suspects ». Une partie d’entre eux, 400 environ, furent placés dans le camp de Korgan, dont la construction n’était pas encore achevée, tandis que les autres, au nombre de 500 environ, furent envoyés à 20 kilomètres de là, à Osen. C’était le Sturmbannführer Dolps qui commandait les deux camps, de juin 1942 à fin mars 1943.Petit à petit les hommes mouraient de faim. On mettait 45 hommes dans des baraques prévues pour en loger 6. Il n’y avait aucun médicament... Ils travaillaient à la construction des routes dans des conditions extrêmement pénibles, pendant les plus grands froids, sans vêtement ni chapeau, dans le vent et sous la pluie pendant douze heures par jour…
Dans le camp d’Osen, les prisonniers de guerre dormaient sur des planches nues, sans caleçon, sans couverture, en chemise seulement ; Dolps contrôlait personnellement et inspectait les baraques. Il abattait sur le champ, d’un coup de revolver, tout prisonnier de guerre qui dormait en caleçon. Il agissait de même à l’égard de ceux qui, au cours des revues qu’il passait lui-même, portaient des sous-vêtements malpropres...
A la fin de l’année 1942, il ne restait à Korgan que 90 survivants sur le groupe de prisonniers qui comptait naguère 400 personnes. Sur les 500 prisonniers qui avaient été emmenés à Osen à la fin du mois de juin 1942, il ne restait plus en mars 1943 que 30 hommes vivants. »
Je vais maintenant lire un extrait de la page 39 de notre document URSS-36. Je commence au troisième alinéa du bas de la page (à la page 342 de votre livre de documents) :
« En plus de ces terribles traitements infligés aux prisonniers de l’Armée nationale de Libération yougoslave et aux partisans, les Allemands ont également traité les prisonniers de guerre appartenant à l’ancienne Armée yougoslave en violation complète du Droit international et contrairement aux dispositions de la Convention de Genève de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre.
« En avril 1941, immédiatement après l’occupation du territoire yougoslave, les Allemands emmenèrent en captivité en Allemagne environ 300.000 soldats et sous-officiers. La Commission d’Etat yougoslave dispose de nombreuses preuves relatives au traitement illégal infligé à ces prisonniers. Je n’en donnerai que quelques exemples :
« Le 14 juillet 1943, 740 officiers yougoslaves du camp d’officiers d’Osnabruek furent mis à part dans un camp disciplinaire spécial appelé « camp D », et parqués tous ensemble dans quatre baraques. Tout contact avec le reste du camp leur fut interdit. Le traitement qui leur fut infligé constituait une violation des dispositions de la Convention de Genève, violation plus flagrante encore que dans le cas des autres prisonniers. Dans ce camp disciplinaire furent mis tous ceux que les Allemands considéraient comme les soutiens du Mouvement de Libération nationale. On leur infligeait souvent des punitions collectives.
« Les Allemands jouaient avec la vie des prisonniers et les fusillaient souvent par pure fantaisie. C’est ainsi par exemple que, dans ce camp d’Osnabruek, le 11 janvier 1942, une sentinelle allemande tira sur un groupe de prisonniers, blessant grièvement le capitaine Peter Nozinitch. Le 22 juillet 1942, une sentinelle tira sur un groupe d’officiers. Le 2 septembre 1942, une sentinelle tira sur le lieutenant yougoslave Vladislas Vajs qui, de ce fait, resta infirme. Le 22 septembre 1942, une sentinelle tira d’un mirador sur un groupe d’officiers qui, d’une fenêtre de leur baraque, regardaient passer des prisonniers de guerre anglais. Le 20 février 1943, une sentinelle tira sur un officier, uniquement parce qu’il était en train de fumer. Le 11 mars 1943, une sentinelle tira à travers la porte d’une baraque et tua le général Dimitri Pavlovitch. Le 21 juin 1943, une sentinelle tira sur le lieutenant-colonel yougoslave Branco Popanic. Le 26 avril 1944, le sous-officier allemand Richard tira sur le lieutenant Vladislav Gaider, qui mourut un peu plus tard des suites de ses blessures.
« Le 26 juin 1944, le capitaine allemand Kuntze tira sur deux officiers yougoslaves, blessant grièvement le lieutenant yougoslave Diodievitch.
« Toutes ces tueries furent exécutées sans motif sérieux, sans raison valable ; elles n’étaient que la conséquence des ordres brutaux donnés par les commandants des camps allemands suivant lesquels les armes seraient utilisées pour les délits les plus insignifiants, et même en l’absence de tout prétexte.
« Tous ces incidents sont tirés de l’histoire d’un seul et même camp. Mais le traitement appliqué dans tous les autres camps d’officiers et de soldats yougoslaves prisonniers des Allemands était exactement le même. »
Le rapport du Gouvernement tchécoslovaque donne la description d’un incident que je voudrais porter ici à votre connaissance. Son importance ne réside pas dans le fait qu’il apprend quelque chose de nouveau sur les méthodes criminelles des fascistes, mais qu’il se produisit à une époque où les hitlériens avaient parfaitement compris que leurs jours étaient comptés. Il est mentionné à l’annexe 4 du rapport du Gouvernement tchécoslovaque, et je le résumerai moi-même.
A Gavlitchkov-Brod, il y avait un aérodrome auquel étaient annexées différentes installations militaires, tandis que l’ancien asile d’aliénés avait été transformé en hôpital pour les SS. Lorsque en 1945 se posa la question de la reddition des troupes allemandes de cet aérodrome, le capitaine d’Etat-Major Soula s’y rendit lui-même, en tant que représentant officiel de l’Armée tchèque, accompagné d’un autre officier tchécoslovaque. On ne les revit jamais. Peu après, l’aérodrome et l’hôpital furent occupés par des unités tchèques, et une enquête fut ouverte. Elle établit que les deux parlementaires, ainsi que six autres personnes qui avaient disparu quelque temps plus tôt à Gavlitchkow-Brod avaient été emmenées par les Allemands à l’hôpital des SS, et soumis à d’atroces supplices. Le capitaine Soula avait eu la langue coupée, les yeux crevés et la poitrine ouverte. Les autres avaient subi un traitement analogue. Presque tous avaient les organes génitaux coupés. Je possède à l’appui de ces affirmations des documents photographiques que je présenterai au Tribunal.
Mon exposé a duré plusieurs heures. Mais ni le temps ni les mots ne suffiraient à traduire la millième partie des souffrances endurées par les combattants de ma patrie et des autres pays démocratiques qui ont eu le malheur de tomber entre les mains de bourreaux fascistes. Je n’ai pu que montrer au Tribunal, sous une forme très condensée, la façon dont furent exécutées les directives des cannibales fascistes relatives au traitement des prisonniers de guerre et aux exécutions massives dont ils firent l’objet, et devant lesquelles pâlissent les horreurs du moyen âge.
Nous essaierons, ne serait-ce que très brièvement, de combler les lacunes de notre exposé. C’est par dizaines de milliers que les témoins vont défiler devant vous. Et ils vont comparaître eux aussi pour apporter leur contribution à ces débats. Je ne puis les appeler par leurs noms et vous ne pourrez pas leur faire prêter serment ; mais on ne pourra douter de leurs témoignages, car les morts ne mentent pas.
La majeure partie des films sur les atrocités allemandes qui vous seront présentés par le Ministère Public soviétique se rapporte aux crimes contre les prisonniers de guerre. Les témoignages muets de ces prisonniers sans défense, brûlés vifs dans les hôpitaux, torturés au point de n’être plus reconnaissables, privés de nourriture jusqu’à ce que mort s’ensuive, seront j’en suis sûr, plus éloquents que mes paroles. Les mains des accusés sont baignées du sang des victimes de Kharkov et de Rostov, des martyrs d’Auschwitz et de tous les autres camps d’extermination créés par les hitlériens.
L’ennemi a perfidement attaqué notre pays : des peuples ont pris les armes pour défendre leur patrie, leur liberté, leur indépendance, l’honneur et la vie de leurs familles. Ils sont entrés dans les rangs des combattants ; ils se sont battus et sont tombés aux mains de l’ennemi. Voyez comment celui-ci les a traités, alors qu’ils étaient sans défense et désarmés.
Les principaux coupables des crimes fascistes doivent maintenant répondre devant ces martyrs pour les atrocités indescriptibles que vous pourrez constater par vous-mêmes et celles, nombreuses, que personne ne connaîtra jamais. Ils éprouveront alors toute la rigueur de la Loi internationale.
Permettez-moi de présenter au Tribunal le Conseiller Général à la Justice Smirnov, qui va vous exposer les preuves relatives aux crimes commis contre les populations civiles.
Plaise au Tribunal. Ma tâche consiste aujourd’hui à vous présenter les documents écrits et les autres preuves qui établissent l’existence des crimes majeurs commis par les conspirateurs hitlériens contre la population civile des territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique, de la Yougoslavie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie.
Le nombre des preuves qui sont à la disposition du Ministère Public soviétique est singulièrement élevé. Qu’il me suffise d’indiquer que la Commission extraordinaire d’Etat pour la Recherche des crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes et leurs complices, possède 54.784 rapports sur les atrocités commises par les criminels hitlériens contre les populations pacifiques de l’Union Soviétique. Mais il s’en faut de beaucoup que toutes les atrocités commises par ces criminels de guerre contre la population civile soient établies par des documents.
Le Ministère Public soviétique affirme, et j’en présenterai la preuve au Tribunal, que, tout au long de l’immense front allant de la mer de Barentz à la mer Noire, sur toute l’étendue des territoires de mon pays où pénétrèrent les hordes germaniques, et partout où s’est posé le pied d’un soldat allemand ou d’un SS, des crimes d’une cruauté indescriptible ont été commis, dont les victimes ont été des femmes, des enfants, des vieillards.
Les crimes des germano-fascistes furent dévoilés au fur et à mesure que les troupes de l’Armée rouge avancèrent vers l’Ouest. Les rapports sur les crimes commis par les bandits hitlériens contre la population civile ont été rédigés par des officiers d’unités avancées de l’Armée rouge, par les autorités locales, et par des organismes publics.
Ce n’est pas par les circulaires du Commandement allemand, ni par les ordres donnés par les dirigeants du Reich, ni par les instructions des SS-Obergruppenführer portant les cachets d’entrée et de sortie des organisations allemandes compétentes, que les populations soviétiques découvrirent les crimes des envahisseurs germano-fascistes, et ceci bien que de tels documents aient été saisis en grande quantité par les éléments avancés de l’Armée rouge et se trouvent maintenant à la disposition du Ministère Public soviétique. Leurs sources d’information ont été fort différentes. En revenant dans leur pays natal, les soldats de l’Armée de Libération découvrirent de nombreux villages, villes et cités transformés en déserts.
C’est devant les fosses communes où reposent les corps des citoyens soviétiques assassinés selon les « méthodes typiquement allemandes » — je présenterai ultérieurement au Tribunal les preuves concernant ces méthodes et la régularité de leur emploi — devant les potences, qui virent se balancer les corps des adolescents, devant les fours crématoires gigantesques où furent brûlés les corps des victimes exterminées, devant les cadavres de femmes et de jeunes filles, victimes du caprice sadique des bandits fascistes, devant les cadavres d’enfants écartelés. C’est devant toutes ces preuves que les citoyens soviétiques purent prendre connaissance de cette immense chaîne de crimes, s’étendant, comme l’a dit avec juste raison le Procureur Général soviétique, « depuis les fauteuils ministériels jusqu’aux mains des bourreaux ».
Tous ces crimes monstrueux furent l’application d’un même système bien défini. Les méthodes d’assassinat étaient toutes du même modèle. Un seul et même système présidait à la construction des chambres à gaz, à la production massive des boîtes rondes contenant les poisons « Cyclone A » et « Cyclone B » ; les fours crématoires étaient tous construits d’après un plan identique et les camps d’extermination étaient tous conçus de la même façon. Les horribles machines de la mort que les Allemands appelaient « Gaswagen » et que nos hommes surnommaient les « machines à tuer l’âme » étaient construites en série, ainsi que les moulins mobiles destinés à broyer les os humains. Tous ces faits indiquent bien qu’il existait chez les assassins et les bourreaux une volonté concertée de faire le mal.
Il est évident que ce sont les techniciens de la chaleur, les chimistes, les architectes, les toxicologues, les mécaniciens et les médecins allemands qui, obéissant à des ordres reçus du Gouvernement criminel de Hitler et du Haut Commandement de l’Armée allemande se sont employés à cette rationalisation du crime collectif.
Il est également évident que les « usines de la mort » furent la raison d’être de toute une série d’industries annexes. Mais cette uniformité dans la volonté de faire le mal ne se rencontre pas seulement là où une technique spéciale avait été conçue pour sa réalisation criminelle.
Elle ressortait également de l’uniformité des méthodes employées par les assassins, de l’uniformité de la technique du crime, même quand, à défaut d’installation particulière, on utilisait les armes couramment employées dans l’Armée allemande.
Les preuves que je vous présenterai ultérieurement vous montreront que les médecins légistes soviétiques ont découvert des emplacements où les Allemands avaient enterré leurs victimes aussi bien dans le nord que dans le sud du pays. Ces emplacements étaient séparés les uns des autres par des milliers de kilomètres et il est hors de doute que les crimes furent commis par des personnes très différentes. Mais les méthodes employées étaient absolument identiques. Les blessures étaient invariablement localisées aux mêmes parties du corps. Les immenses tombes camouflées en fossés anti-chars ou en tranchées étaient partout creusées suivant les mêmes procédés. C’est presque dans les mêmes termes que partout, des hommes sans défense recevaient, à leur arrivée sur le lieu de l’exécution, l’ordre de se déshabiller et de se coucher la face contre terre dans des tombes préparées à l’avance. Dès que la première rangée était fusillée, que ce soit dans les marais de la Russie blanche ou dans les contreforts du Caucase, on la recouvrait de chaux vive, et la seconde rangée de ces hommes, voués à la mort sans aucun moyen de défense, recevait l’ordre de se déshabiller et de se coucher sur cette matière corrosive et tachée de sang qui recouvrait la première couche de victimes. Tous ces faits ne prouvent pas seulement l’uniformité des ordres et des instructions reçus d’en haut. Les méthodes de tuerie étaient identiques à ce point qu’il est hors de doute que les pelotons d’exécution étaient entraînés dans des écoles spéciales où chaque phase de l’exécution était prévue et analysée, depuis l’ordre de se déshabiller, jusqu’au meurtre lui-même. Ces suppositions, basées sur l’étude d’ensemble des faits, furent par la suite confirmées par des documents saisis par l’Armée rouge et par des témoignages verbaux.
Dès les premiers jours de la guerre, le Gouvernement soviétique comprit parfaitement que les innombrables crimes perpétrés par les agresseurs germano-fascistes contre les habitants pacifiques de notre patrie n’étaient pas le résultat d’excès imputables à des troupes indisciplinées ni des actes isolés commis par des officiers ou des soldats agissant individuellement ; ils étaient le fruit d’un système prévu à l’avance, sanctionné par le Gouvernement criminel de Hitler, organisé et encouragé par lui.
Le Tribunal a déjà reçu comme preuve, déposée conformément à l’article 21 du Statut, une note officielle du commissaire du peuple aux Affaires étrangères de. l’URSS, M. Molotov, datée du 6 janvier 1942. C’est le document URSS-51, qui figure à la première page de votre livre de documents. Je cite à partir du troisième alinéa à partir du haut :« Au fur et à mesure que l’Armée rouge, au cours de sa contre-offensive victorieuse et continue, libérait de nombreuses villes et de nombreux villages, tombés temporairement aux mains des Allemands, un tableau indescriptible apparaissait chaque jour plus clairement. C’était le tableau du pillage de tous les lieux habités, de la dévastation générale, d’actes de violence abominables, de mauvais traitements et d’exécutions en masse, tout ceci infligé à la paisible population civile par les occupants germano-fascistes, au cours de leur avance, pendant l’occupation et lors de leur retraite. Les nombreux documents dont dispose le Gouvernement soviétique témoignent du fait que le pillage et les dévastations dont fut victime la population, et qui furent accompagnés d’actes de violence bestiale et d’assassinats en masse, eurent lieu dans toutes les régions foulées par les envahisseurs allemands. Des faits incontestables prouvent que le régime de pillage et de terreur sanglante infligé aux populations paisibles des villages et des villes occupés n’est pas le résultat d’excès commis individuellement par des unités indisciplinées ou par des soldats ou des officiers allemands agissant isolément. Mais il indique l’existence d’un système bien défini, prévu à l’avance, encouragé par le Gouvernement allemand et le Commandement suprême des Forces armées allemandes, qui développèrent sciemment dans les armées, aussi bien parmi les officiers que parmi les soldats, les instincts les plus. bestiaux et les plus bas.
« Chaque pas de l’armée germano-fasciste et de ses alliés sur le territoire soviétique envahi de l’Ukraine, de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie, du territoire de Carélie finlandaise, des cercles et des districts russes, était le signal de la destruction et de l’anéantissement de richesses matérielles et de valeurs culturelles inestimables, patrimoine de la nation : il marquait pour les populations civiles la perte de biens péniblement acquis, l’établissement d’un régime de travail forcé, la famine, et des massacres sanglants dont l’horreur dépasse les crimes les plus sauvages de toute l’histoire de l’Humanité.
« Le Gouvernement soviétique et ses services procèdent au recensement de tous les crimes ignobles commis par les armées hitlériennes, pour lesquels le peuple soviétique indigné demande avec juste raison un châtiment et l’obtiendra.
« Le Gouvernement soviétique pense qu’il est de son devoir de faire connaître à toute l’humanité civilisée, à tous les honnêtes gens du monde entier, sa déclaration sur les crimes monstrueux commis par l’armée hitlérienne contre les populations paisibles de tous les territoires soviétiques occupés par les Allemands. »
Je vais maintenant lire les alinéas 2, 4 et 5 de la déclaration finale de cette note ; le Tribunal trouvera le passage que je cite à la page 4 de ce document, alinéa 5, première colonne du texte.
« Le Gouvernement hitlérien de l’Allemagne, après avoir traîtreusement attaqué l’Union Soviétique, ne se soucie dans la conduite de la guerre ni des règles du Droit international, ni des exigences de la morale humaine. Il dirige sa guerre contre les populations pacifiques et désarmées, les femmes, les enfants, les vieillards, révélant par là même que le principal sentiment qui l’anime est la bassesse. Ce gouvernement de voleurs, qui ne reconnaît que la force et le pillage, doit être brisé par la force réunie des peuples épris de liberté, dans les rangs desquels la nation soviétique remplira jusqu’au bout sa grande mission libératrice.
« En portant toutes les atrocités commises par les envahisseurs allemands à la connaissance de tous les gouvernements avec lesquels l’URSS entretient des relations diplomatiques, le Gouvernement soviétique déclare qu’il tient le gouvernement criminel des hitlériens allemands pour responsable de tous les actes inhumains et de toutes les rapines dont l’Armée allemande s’est rendue coupable.
« En même temps, le Gouvernement de l’URSS déclare, avec une assurance inébranlable que la guerre libératrice menée par son pays est un combat pour les droits et la liberté, non seulement des peuples de l’URSS, mais aussi de tous les peuples du monde épris de liberté, et que cette guerre ne pourra se terminer que par la destruction complète des armées hitlériennes et une victoire totale sur la tyrannie hitlérienne. »
L’abondance des pièces à conviction et des faits que je dois présenter au Tribunal exige que je les présente avec méthode. L’ordre adopté sera le suivant :
1. Le développement conscient des instincts les plus bas chez les officiers, soldats et fonctionnaires allemands envoyés dans les régions occupées de l’Est qui furent incités par les grands criminels de guerre à commettre des crimes contre la population civile et à se livrer contre elles à toutes les formes de la violence : ces grands criminels de guerre créèrent une atmosphère d’impunité et légalisèrent le régime de la terreur.
2. L’entraînement spécial et le choix du personnel destiné à procéder aux exécutions massives et à appliquer un régime de terreur à la population civile.
3. L’étendue des crimes et le degré de monstruosité des atrocités germano-fascistes.
4. Le développement et le perfectionnement progressifs des méthodes de réalisation de ces crimes monstrueux, depuis les premières exécutions jusqu’à la création des camps d’extermination.
5. Les tentatives de camouflage de la trace des crimes et les mesures spéciales prises à cet effet, sur les ordres de l’autorité supérieure.
Je présenterai maintenant les documents relatifs aux deux premiers points de cette énumération.
Le Tribunal a déjà eu connaissance des ordres, circulaires et des prétendues lois émises par les criminels hitlériens pour donner un aspect légal au terrorisme dont était victime la population civile et pour justifier les rapines et les meurtres. Il a pu constater que ces directives étaient le reflet fidèle des théories inhumaines du fascisme. Le Procureur Général soviétique a cité deux passages d’un livre écrit par l’ancien président du Sénat de Dantzig, Hermann Rauschning, qui fut en son temps un ami très intime de Hitler ; ce livre a été édité en 1940 à New-York sous le titre de : « La voix de la destruction. » Ce livre a été édité également dans différents pays et sous différents titres, tels que « Hitler m’a dit », « Conversations avec Hitler », etc.
Le Procureur Général soviétique a, au cours de son exposé, cité deux extraits de ce livre. L’un figure à la page 225 de l’original ; le Tribunal le trouvera à la page 14 du livre de documents, dernier alinéa. Le contenu de cette première citation peut se résumer comme suit : Hitler déclara à Rauschning qu’il « libérerait l’humanité de la chimère qu’on appelle conscience ».
La deuxième citation est aussi très significative. Je tâcherai de faire ressortir par une série d’exemples concrets le vrai sens de cette citation d’apparence abstraite. Vous la trouverez aux pages 137 et 138. Elle relate une conversation entre Hitler et Rauschning sur « la technique spéciale de dépopulation » qu’il fallait adopter pour obtenir l’extermination de peuples entiers, et sur le droit du vainqueur à exterminer des populations entières.
En effet, pour tuer des millions de personnes innocentes et sans défense, il ne suffisait pas de développer la formule du « cyclone A », de construire des chambres à gaz et des fours crématoires, ou bien d’élaborer dans ses moindres détails un système d’exécutions massives. Il fallait aussi dresser plusieurs milliers d’individus capables non pas seulement « matériellement, mais aussi moralement » d’exécuter des besognes « non seulement dans leur forme mais aussi dans leur esprit », comme le déclara un jour Himmler. Il fallait former des hommes sans cœur ni conscience, des êtres pervertis, qui avaient délibérément rompu avec les principes fondamentaux de la loi et de la morale. Il fallait remplacer le concept de « culpabilité » par le concept de « suspicion », le concept de « punition » par celui « d’épuration préventive des éléments réfractaires aux desseins politiques », le concept « justice » par le concept « droit du maître » et le concept du « droit » par F« apologie de l’arbitraire administratif et de la terreur policière ». Il fallait que la loi se conformât à ces substitutions et les justifiât. Par des ordres, des directives et des décrets, il fallait, pour exécuter les atrocités préméditées des grands criminels, inculquer à des centaines de milliers d’êtres humains, dressés comme des chiens policiers, l’idée qu’ils n’étaient aucunement responsables des crimes qu’ils commettaient. Voilà pourquoi Hitler « libéra l’humanité de la chimère qu’on appelle conscience ».
Toutefois, ces principes théoriques, posés pour les besoins de la cause, n’étaient pas des instructions officielles et ne prévoyaient pas de mesure de répression contre ceux qui faisaient preuve d’une clémence inopportune ou qui ne goûtaient pas suffisamment les « joies de la cruauté ».
C’est la raison pour laquelle, dès avant le déclenchement de la guerre contre l’URSS, les criminels fascistes allemands munirent ceux de leurs compatriotes qui partaient pour l’Est d’ « aide-mémoire » de « commandements » et autres prescriptions.
Je présenterai un de ces documents au Tribunal. Parmi tous les documents qui sont en ma possession, j’ai intentionnellement mis de côté celui-ci et je vais en parler car il n’est pas rédigé à l’usage de la Police ou des SS, mais de ceux qu’on appelait des « Führer de l’agriculture ». Le titre en est : « Les 12 commandements sur la conduite des Allemands à l’Est et sur l’attitude qu’ils doivent adopter à l’égard des Russes ».
Je dépose ce document sous le n° URSS-89. Vous le trouverez à la page 17 du livre de documents. De ces « 12 commandements », je ne citerai que le sixième, qui est en rapport direct avec le sujet que j’expose actuellement.
Monsieur le Président, le document URSS-89 est intitulé « les 12 commandements sur la conduite des Allemands à l’Est... ». C’est ici que se termine le document que je possède. Il n’y a ni en-tête ni signature. A propos de la responsabilité engagée, il serait souhaitable que le Ministère Public indiquât le nom de l’auteur de ces douze commandements. C’est pourquoi je demande au Tribunal de bien vouloir décider si ce document peut être, sous cette forme, considéré comme pièce à charge.
Pouvez-vous nous indiquer l’origine de ce document ?
II fait partie de la documentation de la Commission extraordinaire d’Etat pour la recherche des crimes commis par les fascistes allemands. Il provenait...
Vous parlez beaucoup trop vite.
Je vais parler plus lentement. L’avocat a déclaré que ce document ne portait pas de signature. Si Monsieur le Président veut bien consulter l’original, il y verra la signature d’un certain Backe. Je ne puis malheureusement pas dire qui était ce Backe, mais j’ai déjà rencontré cette signature sur toute une série de documents allemands ou plus exactement germano-fascistes qui, par une singulière juxtaposition, traitaient en général des deux sujets suivants : l’élevage et l’âme russe. Sans doute l’auteur de ce document était-il considéré comme également compétent dans ces deux domaines. Je ne puis cependant pas préciser quelle était sa position officielle. Je répète que ce document a été saisi par des unités combattantes de notre armée dans la région de Rossochi. Il fut remis à la Commission extraordinaire d’Etat et l’original en est maintenant présenté au Tribunal.
J’ai l’original devant moi. Il est daté « Berlin, le 1er juin 1941 » et il porte une signature qui peut se lire B-a-c-k-e. Peut-être l’avocat désire-t-il voir l’original ? Comme je crois le comprendre d’après les explications du Procureur, il fait partie du rapport gouvernemental soviétique. En ce cas, nous devons en prendre acte.
C’est exact, Monsieur le Président. On vient de me donner un renseignement sur la situation officielle de Backe. Il était ministre du Ravitaillement. Si je l’ignorais auparavant, c’est que je n’avais pratiquement pas eu l’occasion d’étudier cet aspect de l’Allemagne fasciste.
Monsieur le Président, je crois qu’il s’agit bien en effet de la signature de Backe. Il était alors secrétaire d’Etat au Ravitaillement.
Peut-être serait-il temps de suspendre l’audience ?
Puis-je continuer Monsieur le Président ?
Je cite donc le sixième des douze commandements que nous avons présentés au Tribunal, il se trouve à la page 17 du livre de documents. Il est ainsi conçu :« 6.Les territoires récemment annexés doivent être rattachés d’une façon permanente à l’Allemagne et à l’Europe, et votre attitude y sera décisive. Vous devez être conscients du fait que vous êtes les représentants de la Grande Allemagne ainsi que les pionniers de la révolution nationale-socialiste et de l’Europe nouvelle. Vous devez en conséquence exécuter dignement si cruelles et si impitoyables soient-elles les mesures nécessitées par la raison d’Etat. La faiblesse de caractère d’un individu entraînera obligatoirement son licenciement. Quiconque aura été renvoyé pour cette raison ne pourra plus occuper de situation importante dans le Reich. »
Nous montrerons ultérieurement à quelles mesures cruelles et impitoyables le Gouvernement criminel des hitlériens préparait ceux qu’il appelait les « pionniers de la révolution nationale-socialiste » et nous verrons les crimes dont ils se sont rendus coupables. Ces vues théoriques et abstraites seront éclairées par des instructions officielles bien définies et ne prêtant nullement à équivoque.
Les bourreaux étaient formés par groupes dans des écoles spéciales dont le réseau s’étendait jusqu’aux graves les plus inférieurs.
Je désire présenter au Tribunal l’Acte d’accusation établi par le Procureur soviétique chargé des affaires extraordinaires, sur les atrocités commises par les envahisseurs germano-fascistes à Kharkov et dans la région avoisinante. Ce document a déjà été pleinement confirmé par le verdict du Tribunal Militaire, verdict qui a également été présenté au Tribunal et qui se trouve à la page 20 du livre de documents. L’Acte d’accusation et le verdict sont déposés sous le n° URSS-32.
A la première page de l’Acte d’accusation figure un extrait de la déposition de l’accusé Retzlaff. C’est à la page 24 du livre de documents du dernier paragraphe. J’en cite une partie :
« L’accusé Reinhardt Retzlaff, Obergefreiter de l’Armée allemande, fut entraîné dans le bataillon spécial « Altenburg ». Voici ce qu’il déclara au cours de son interrogatoire :
« Le programme de l’entraînement comportait aussi quelques conférences faites par des fonctionnaires importants de la GPF (Geheime Feldpolizei, Police secrète de campagne).Ils déclaraient, sans ambages, que les peuples de l’Union Soviétique, et en particulier ceux de nationalité russe n’étaient que des sous-hommes et devaient être presque tous supprimés ; seul un nombre très restreint serait utilisé comme esclave par les propriétaires allemands.
« Ces directives découlaient de la politique générale adoptée par le Gouvernement allemand envers les peuples des territoires occupés et il faut avouer qu’elles ont été appliquées par chaque soldat de l’Armée allemande, dont moi-même. » tels étaient les cours destinés à l’instruction et à l’entraînement des fonctionnaires subalternes de la Police. Mais le système fasciste de formation d’assassins revêtait d’autres aspects, en particulier au sujet des moyens techniques de camouflage des atrocités commises. Nous avons déjà présenté au Tribunal le document URSS-6(c ).Ce document constitue une annexe au compte rendu de la Commission extraordinaire d’Etat par le substitut du Procureur de la région de Lwow. Le procès-verbal de cet interrogatoire est rédigé d’après les règles en vigueur dans la République soviétique d’Ukraine. Le Tribunal trouvera ce document à la page 48 du livre de documents.
Manussevitch était interné par les Allemands dans le camp Janov, où il travaillait dans une équipe de détenus chargés d’incinérer les cadavres des citoyens soviétiques assassinés. Une fois que les 40.000 cadavres des personnes tuées dans le camp de Janov eurent été brûlés, l’équipe fut envoyée dans un camp situé dans la forêt de Lisenitz, pour y exécuter des travaux analogues Je cite le procès-verbal de cet interrogatoire que le Tribunal trouvera à la page 52 du livre de documents. C’est le paragraphe 2 ligne 26 en partant du haut de la page.
« Dans ce camp, à l’usine de mort, étaient organisés des cours spéciaux d’une durée de 10 jours sur l’incinération des cadavres ; 12 hommes y étaient occupés. Les élèves qui y assistaient venaient des camps de Lublin de Varsovie et d’autres. J’ignore le nom des élèves, mais je sais que ce n’était pas de simples soldats ; c’étaient des officiers depuis le grade de colonel jusqu’à celui d’adjudant. L’instructeur était l’officier chargé des fours crématoires, le colonel Schallock ; sur l’emplacement où les corps étaient exhumés et incinérés, il expliquait la technique de cette opération, le fonctionnement de la machine à broyer les os, la façon de niveler les tombes, de planter les arbres à cet endroit et de disperser les cendres. Ces cours eurent lieu pendant les cinq mois et demi où j’ai travaillé aux camps de Janov et Lisenitz, 10 promotions d’élèves s’y succédèrent. »
Nous présenterons ultérieurement au Tribunal une photographie de cette machine, ainsi qu’une notice explicative de son fonctionnement.
Pour l’éducation de la jeunesse, les fascistes allemands avaient créé une organisation spéciale, appelée « Hitlerjugend » (Jeunesse hitlérienne). Pendant longtemps, cette organisation a été dirigée par l’accusé Baldur von Schirach. Ce qu’étaient les méthodes d’éducation de la jeunesse allemande adoptées par les criminels fascistes, nous le savons par le témoignage d’une française, Ida Vasseau, directrice d’un asile de vieillards français à Lwow. Pendant l’occupation de cette ville par les Allemands, elle eut l’occasion d’en visiter le ghetto. Dans la déclaration qu’elle fit à la Commission extraordinaire d’Etat, Ida Vasseau décrit le système d’extermination qui y était pratiqué. Il ressort clairement de cette déposition que les Allemands entraînaient les jeunes fascistes de la « Jeunesse hitlérienne » à tirer sur des cibles vivantes, sur des enfants qui étaient mis à leur disposition pour cet usage. La déposition de Madame Vasseau a été contrôlée par la Commission extraordinaire d’Etat et sa véracité établie. En confirmation de ces faits, je présente au Tribunal sous le n° URSS-6, le rapport de la Commission extraordinaire d’Etat intitulé : « Les crimes commis par les Allemands dans la région de Lwow » ;
Je cite un passage de la déposition de Madame Vasseau. Elle fait partie du rapport, comme document certifié conforme et figure à la page 6. Dans le livre de documents, le Tribunal trouvera la déposition de Madame Vasseau, au verso de la page 59, à partir de la ligne 14 du paragraphe 5.
« ... les petits enfants étaient des martyrs. On les mettait à la disposition des membres de la Jeunesse hitlérienne qui s’en servaient comme de cibles vivantes pour leurs exercices de tir. « Aucune pitié pour les autres, tout pour soi », telle était la devise des Allemands. Le monde entier doit être mis au courant de leurs méthodes. Nous, qui avons été les témoins impuissants de ces scènes révoltantes, devons nous faire un devoir de raconter toutes ces horreurs pour que tout le monde le sache et, ce qui est plus important, pour que personne ne l’oublie, puisque aucune vengeance ne pourra rendre la vie à des millions d’êtres. »
Le Tribunal peut se référer à la même page 59 du livre de documents, ligne 10 du deuxième alinéa, qui contient une confirmation officielle de cette déposition de Madame Vasseau. La Commission extraordinaire d’Etat a établi qu’à Lwow les Allemands n’épargnaient personne. Je cite :
« Ils n’épargnaient ni les hommes, ni les femmes, ni les enfants. Les adultes étaient simplement tués et les enfants remis aux détachements de la « Hitlerjugend » pour qu’ils puissent les utiliser comme cibles vivantes. »
C’est ainsi que furent créés, instruits et entraînés, les monstres qui étaient appelés à réaliser le programme des Grands Criminels de guerre, pour anéantir les peuples des régions de l’Europe orientale. Le Gouvernement fasciste n’avait pas à craindre que ces « pionniers de la révolution nationale-socialiste » montrassent à l’Est quelque dernier symptôme d’humanité.
Colonel Smimov, excusez-moi de vous interrompre, mais je crois avoir déjà dit au colonel Pokrovsky que nous ne désirons pas que chacun de ces documents soit suivi de commentaires. Le passage que vous venez de lire n’est rien d’autre qu’un commentaire sur le terrible document que vous avez lu précédemment. Tout cela prend du temps. Si vous pouviez vous arranger pour supprimer les commentaires qui suivent ces documents et les présenter simplement, cela nous ferait gagner du temps.
Je cite maintenant un extrait du témoignage de Manussevitch, déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-6 ; c’est le passage dans lequel il parle des activités déployées par l’administration du camp de Janov et dont il fut le témoin oculaire, puisqu’il travaillait dans une équipe de détenus chargés d’incinérer les cadavres des personnes assassinées dans ce camp. Ceci se trouve à la page 3 du procès-verbal d’interrogatoire. Le Tribunal le trouvera à la page 50 du livre de documents, à la ligne 25. Cet extrait vous donnera une idée de ce qu’étaient les groupes de meurtriers créés par les criminels hitlériens et les crimes qu’ils commettaient.
« En plus des exécutions, on avait recours, au camp de Janov, à différentes formes de tortures. C’est ainsi qu’en hiver on remplissait un tonneau avec de l’eau et un homme y était jeté pieds et poings liés, jusqu’à ce qu’il y mourût de froid. Le camp de Janov était entouré d’une clôture formée de deux rangées de fil de fer barbelé éloignées d’environ 1 mètre 20. Des hommes étaient jetés dans cet enchevêtrement où ils restaient pendant plusieurs jours : ne pouvant se dégager eux-mêmes ils étaient condamnés à mourir de faim et de froid. Mais, avant de les y jeter, les hitlériens les avaient roués de coups. On pendait un individu par le cou, par les pieds ou par les mains, puis on lâchait sur lui des chiens qui le mettaient en pièces. On utilisait des êtres humains comme cibles pour les exercices de tir. Cette besogne était surtout celle des membres de la Gestapo : Heine, Müller, Blum, du commandant du camp Willhaus et d’autres dont les noms m’échappent. On battait des gens jusqu’à ce que mort s’ensuive. On lâchait sur eux des chiens qui les déchiraient. On demandait à un homme de tenir dans sa main un verre qui servait de cible. Si le verre était touché, l’homme était épargné, mais si la main était atteinte, on le fusillait sur-le-champ sousprétexte qu’il n’il n’était plus apte au travail. On pendait un homme par les pieds et on l’écartelait. Les enfants d’un mois à trois ans étaient jetés dans des tonneaux plein d’eau et noyés. On attachait un homme à un poteau face au soleil et on l’y laissait jusqu’à ce qu’il mourût d’insolation.
Avant d’envoyer les détenus au travail, on les soumettait à un examen d’aptitude physique : on les faisait courir sur une distance de 50 mètres ; ceux qui couraient bien, c’est-à-dire vite et sans trébucher avaient la vie sauve, les autres étaient fusillés.
Dans le même camp se trouvait un petit espace couvert d’herbe sur lequel on organisait des courses à pied. Tout individu qui trébuchait et tombait dans l’herbe était immédiatement fusillé. L’herbe arrivait à la hauteur des hanches. On pendait les femmes par les cheveux, on les déshabillait complètement, on les balançait et elles restaient pendues jusqu’à ce qu’elles meurent.
« On signale encore le fait suivant : un agent de la Gestapo, le dénommé Heine découpa des morceaux de chair à un jeune homme. Un autre avait reçu 28 blessures à l’épaule ; plus tard, il fut employé dans une brigade de la mort et enfin, il fut fusillé. A la cuisine, un jour que le bourreau Heine était en service pendant la distribution du café, il s’approcha du premier homme de la queue, lui demandant pourquoi il était devant les autres et le tua sur place. Il abbatit ainsi plusieurs hommes et s’approchant du dernier, il lui demanda : « pourquoi es-tu le dernier ? » et l’abattit. Il m’a été donné de voir personnellement toutes ces atrocités lorsque j’étais prisonnier au camp de Janov… »
La déposition du témoin Manussevitch que je viens de lire a été pleinement confirmée par le rapport officiel de la Commission extraordinaire d’Etat sur les crimes commis par les Allemands dans le région de Lwow. Mais Manussevitch parle surtout des actes des fonctionnaires de rang moyen ou inférieur dans l’administration du camp. Il ressort du rapport de la Commission extraordinaire d’Etat que ce système de traitements ignobles infligés à des gens sans défense était conçu et organisé par les hauts fonctionnaires du camp qui donnaient fréquemment à leurs subordonnés des exemples personnels d’une conduite inhumaine.
Je ne veux pas commenter ce document, mais je demande au Tribunal de noter le nom d’un certain Obersturmführer Willhaus qui y est mentionné. Les membres du Tribunal trouveront l’extrait que je vais lire à la page 58 du livre de documents au verso de la page, première colonne du texte. Je cite :
« Le SS-Hauptsturmführer Gebatier introduisit dans le camp de Janov une méthode d’extermination cruelle qui, lorsque cet officier fut muté, fut perfectionnée par le commandant du camp, le SS-Obersturmfürher Gustav Wilhaus, et par le Hauptsturmfürher Franz Warzek. Un ancien détenu du camp déclara à la Commission :
« J’ai vu de mes propres yeux le Hauptsturmfürher Fritz Gebauer étouffer des femmes et des enfants et faire geler, en plein hiver, des hommes dans des tonneaux remplis d’eau. On attachait les jambes et les bras des condamnés avant de les plonger dans l’eau. Ils y restaient jusqu’à la mort. »
d’après les dépositions d’un grand nombre de témoins, prisonniers de guerre soviétiques ou citoyens français détenus dans les camps allemands, il a été établi que les bandits allemands ont inventé les méthodes d’extermination les plus raffinées ; ils en étaient particulièrement fiers et étaient encouragés dans cette voie par le commandement militaire suprême et par le Gouvernement.
« Le SS-Hauptsturmfürher Franz Warzek, par exemple, aimait suspendre les internés par les deux jambes à un poteau et les laisser dans cette position jusqu’à ce que mort s’en suive. L’Obersturmfürher Rokita a personnellement ouvert le ventre à des prisonniers de guerre. Le chef de la section d’enquête du camp de Janov, Heine, transperçait le corps des prisonniers avec des bâtons ou des tiges de fer, et arrachait les ongles des femmes avec des pinces ; puis ils déshabillaient les victimes, les pendait par les cheveux , les balançait et tirait sur ces cibles vivantes.
« Le commandant du camp de Janov, l’Obersturmfürher Willhaus avait l’habitude de tirer avec un pistolet automatique du balcon de son bureau sur les prisonniers travaillant dans les ateliers par amour du sport et pour faire plaisir à sa femme qui tirait à son tour sur les prisonniers. De temps en temps, pour faire plaisir à sa petite fille de 9 ans, Wilhaus donnait l’ordre de lancer en l’air des enfants de
2 à 4 ans et tirait sur eux. Sa fille applaudissait en criant « Encore, papa, encore » et il recommençait. Les détenus étaient exécutés sans aucune raison souvent à la suite d’un pari. Un témoin, Madame Kirschner raconta à la Commission d’enquête que le commissaire de la Gestapo Wepke fit avec les autres bourreaux du camp le pari qu’il couperait un jeune garçon en deux d’un seul coup de hache. Ceux-ci ne voulurent pas le croire : il attrapa dans la rue un petit garçon de dix ans, le força à le mettre à genoux, lui dit de se cacher la figure entre les mains. Il fit semblant de donner le coup pour s’essayer, rectifia la position de la tête de l’enfant et le coupa en un seul coup de hache. Les hitlériens le félicitèrent chaleureusement et lui serrèrent la main.
« En 1943, au 54ème anniversaire de Hitler, le commandant du camp de Janov, l’Obersturmfürher Wilhaus choisit 54 prisonniers de guerre qu’il abattit lui-même.
« Un hôpital spécial pour les prisonniers était installé dans le camp. Les bourreaux allemands Brambauer et Birmann procédaient le 1er et le 15 de chaque mois à un contrôle des malades ; s’ils en découvraient qui étaient à l’hôpital depuis plus de deux semaines, ils les abattaient sur place. 6 à 10 personnes étaient tuées à chaque contrôle.
« Les Allemands torturaient, suppliciaient et fusillaient au son de la musique. Dans ce but, ils organisèrent un orchestre spécial composé de détenus. Ils obligèrent le professeur Stricks et le célèbre chef d’orchestre Mund à diriger cet orchestre. Ils ordonnèrent aux compositeurs d’écrire une mélodie spéciale qu’ils appelèrent le « Tango de la mort ». Peu avant la liquidation du camp, les Allemands fusillèrent tous les musiciens. »
Je présenterai au Tribunal un document photographique représentant cet « orchestre de la mort ».
Le régime du camp de Janov n’avait rien d’exceptionnel. L’administration germano-fasciste se conduisait exactement de la même manière dans tous les camps de concentration des territoires occupés de l’Union Soviétique, de la Pologne, de la Yougoslavie et de tous les autres pays de l’Est européen.
Je présente au Tribunal le document URSS-29. C’est un rapport de la Commission extraordinaire soviéto-polonaise pour la recherche des crimes de guerre commis par les Allemands dans le camp d’extermination de Maïdanek, près de Lublin. Le Tribunal trouvera ce document à la page 63 du livre de documents. Je vais en lire la troisième partie intitulée : « Tortures et massacres dans le camp d’extermination. » Je cite au verso de la page 64 du livre de documents, dernier paragraphe de la première colonne :« Les moyens de tortures étaient extrêmement variés. Beaucoup étaient de prétendues « plaisanteries » qui aboutissaient très souvent à la mort. Il y avait l’exécution simulée, qui consistait à faire perdre connaissance à la victime en la frappant à la tête. Il y avait aussi le simulacre de noyade dans les marais du camp, qui très souvent se terminait par une noyade véritable. Il y avait parmi les bourreaux allemands du camp des spécialistes des différentes méthodes de torture. On tuait les prisonniers d’un coup de crosse dans la nuque, d’un coup de pied dans le ventre, ou dans l’aîné, les bourreaux SS noyaient leur victime dans l’eau sale qui venait des salles de bains par un étroit canal. La tête de la victime était plongée dans l’eau sale et un SS la maintenait sous sa botte jusqu’à ce que mort s’ensuive. « L’une des méthodes préférées des SS consistait à suspendre les internés par les mains liées sur le dos. Le Français de Courantin, que les Grands Criminels de guerre ont intentionnellement entraîné toutes les couches du personnel de l’armée allemande vers un état de déchéance morale absolue. Dans ce but, je me réfère à la note du Commissaire du Peuple pour les Affaires étrangères de l’URSS, V. M. Molotov, en date du 6 janvier 1942. Cette note a été déposée au Tribunal sous le n° URSS-51. Vous trouverez le passage que je vais citer à la page 3 du livre de documents, quatrième alinéa, première colonne du texte :
« Il n’y a pas de limites à la fureur et à l’indignation suscitées dans le peuple soviétique tout entier et dans l’Armée rouge, par les actes de violence innombrables, par les infâmes atteintes à l’honneur des femmes et par les exterminations en masse des citoyens et citoyennes soviétiques, dont se sont rendus coupables les officiers et soldats germano-fascistes. Partout où règne la baïonnette allemande s’instaure un régime odieux de terreur sanglante, de tortures et d’exécutions sauvages. Les vols commis par les officiers et les soldats allemands étaient invariablement accompagnés de mauvais traitements et du meurtre d’un grand nombre de gens tout à fait innocents. Faute d’avoir livré leur ravitaillement jusqu’à la dernière miette et leurs vêtements jusqu’à la dernière chemise des femmes et des enfants de tout âge furent pendus et torturés par les occupants. Aux travaux obligatoires, ils frappent et fusillent ceux qui ne peuvent pas exécuter correctement la tâche assignée.
« Le 30 juin, les bandits hitlériens pénétrèrent dans la ville de Lwow et le lendemain même ils procédèrent à des massacres sous le slogan « tuer les juifs et les Polonais ». Après avoir tué des centaines de personnes, les gangsters hitlériens organisèrent une « exposition » des citoyens assassinés en faisant une galerie. Les cadavres défigurés, en particulier ceux des femmes étaient mis contre des murs, la place d’honneur de cette « exposition » macabre revenait au cadavre d’une femme dont l’enfant était cloué sur elle avec une baïonnette. Telles furent les monstrueuses atrocités commises par les fascistes depuis le début de la guerre. Se vautrant dans du sang innocent, les canailles hitlériennes continuent à commettre leurs crimes avec la même lâcheté.
Dans le hameau de Krasnova-Polvana, près de Moscou ils réunirent le 2 décembre toutes les personnes âgées de 15 à 60 ans, les enfermèrent dans les locaux glacés du Comité exécutif régional, dépourvus de carreaux et les y laissèrent huit jours sans eau ni nourriture. Parmi ceux qui furent martyrisés de la sorte se trouvaient les ouvrières d’une usine de Krasnoya-Polyana, A. Saitzeva, T. Groudinka, O. Naliotkina et M. Michailova, dont les enfants moururent dans leurs bras. A de nombreuses reprises les hitlériens se servirent de citoyens soviétiques comme cibles pour des exercices de tir.
« Dans le village de Byely-Rast, dans le région de Krasnoya-Polyana, un groupe de soldats allemands ivres mirent sur le perron d’une maison un petit garçon de 12 ans, Volodia Tkachev. » Ils ouvrirent le feu sur lui avec des mitraillettes. L’enfant fut criblé de balles. Ensuite, les bandits ouvrirent un feu désordonné sur les fenêtres des maisons. Ils arrêtèrent la Kholkozienne I. Mossolova qui passait dans la rue avec trois de ses enfants et la tuèrent sur-le-champ avec sa progéniture.
« Dans le village de Voskressenskoye, dans la région de Dubininski, les hitlériens prirent pour cible un petit garçon de 3 ans et ouvrirent sur lui le feu de leurs mitraillettes. Dans la capitale du district de Volovo, région de Koursk où les Allemands séjournèrent pendant 4 heures, un officier allemand tua un garçon de 2 ans, fils d’une femme nommée Boikova, en lui frappant la tête contre un mur uniquement parce qu’il pleurait.
A Slobin, dans la province d’Orel, les fascistes tuèrent un enfant de 2 ans, fils de la kholkozienne Kratova, parce que ses pleurs troublaient leur sommeil.
« Dans le village de Semionovskoye, région de Kalinine, les Allemands ligotèrent une femme de 25 ans, Olga Tichonova, épouse d’un soldate de l’Armée rouge, mère de trois enfants, et qui en attendait un quatrième. Après l’avoir violée, ils lui coupèrent la gorge et lui percèrent sadiquement les seins. Dans le même village, les occupants fusillèrent un petit garçon de 13 ans et découpèrent sur son front une étoile à cinq branches.
« En novembre, la télégraphiste Ianova de la ville de Kalinine, alla visiter des amis dans le village de Burachovo avec son fils Léonid âgé de 13 ans. En sortant de la ville ils furent remarqués par un groupe d’hitlériens qui tirèrent sur eux à une distance de 60 mètres ; le petit garçon fut tué. La mère fit plusieurs tentatives pour emmener le cadavre de son enfant, mais chaque fois qu’elle essayait de le faire, les Allemands ouvraient le feu sur elle et elle dut le laisser sur place. Pendant huit jours, les soldats allemands lui interdirent de toucher au cadavre. Sa mère ne put venir le chercher pour l’enterrer que lorsque nos troupes occupèrent la région. »
Plus loin, la note mentionne encore un autre enfant victime des fascistes. Le Tribunal verra ce garçon assassiné dans un film documentaire. Je lui demande maintenant de bien vouloir prendre connaissance de la suite de la note :
« A Rostov-sur-le-Don, un élève de l’école commerciale, âgé de 15 ans, Vitya Tcherevitchny, jouait dans la cour avec des pigeons. Des soldats allemands qui passaient voulurent lui prendre ses oiseaux. Comme il refusait, les Allemands l’emmenèrent et le fusillèrent au coin de la 28ème rue et de la rue Maisky. Puis les hitlériens le défigurèrent à coups de talons, au point de le rendre méconnaissable.
« Le village de Basmanov, district de Glinkov, région de Smolensk, libéré au début de septembre par nos troupes, n’était plus qu’un amas de cendres après le départ des Allemands. Dès les premiers jours de leur arrivée, les monstres fascistes chassèrent dans un camp plus de 200 écoliers et écolières venus dans le village pour aider à la récolte ; ils les entourèrent et les fusillèrent sauvagement jusqu’au dernier. Ils expédièrent à l’arrière un groupe important d’écolières pour le plaisir de « Messieurs les officiers ».
« L’occupation des villes et des villages commençait habituellement par la construction de potences où les bourreaux allemands pendaient les premières personnes qui leur tombaient sous la main. Puis les fascistes les laissaient ainsi pendus pendant des jours et des semaines. Ils agissaient de même avec ceux qu’ils fusillaient dans les rues.
« Après la prise de Kharkov, les bandits allemands avaient pendu quelques personnes aux fenêtres d’une grande maison du centre de la ville. De plus, dans la même ville de Kharkov, le 16 novembre, ils pendirent 19 personnes, dont une femme, aux balcons de nombreuses maisons. »
Les violences sauvages commises partout contre les femmes témoignent de la profonde corruption morale des criminels. Je cite un passage de la note que le Tribunal trouvera à la page 4 du livre de documents.
« Les femmes et les jeunes filles sont sauvagement violentées dans tous les territoires occupés. Dans le village ukrainien de Boro-dayevka, région de Dniepropetrovsk, les fascistes violèrent les unes après les autres toutes les femmes et les jeunes filles. Dans le village de Beresovka, région de Smolensk, des soldats allemands ivres violèrent et emmenèrent toutes les femmes et les jeunes filles entre 16 et 30 ans.
« A Smolensk, le commandement allemand ouvrit dans un des hôtels de la ville une maison de tolérance pour les officiers où furent traînées par les cheveux des centaines de femmes et de jeunes filles.
« Partout, les sauvages bandits allemands font irruption dans les maisons, violent les femmes et les jeunes filles sous les yeux de leurs parents et de leurs enfants, et les assassinent sur place.
« Dans la ville de Lwow, 32 ouvrières d’une usine de confection furent violées puis tuées par les Allemands d’un groupe d’assaut. Des soldats allemands ivres traînèrent des jeunes filles et des femmes de Lwow dans le parc de Kosciusko et les y violèrent sauvagement. Un vieux prêtre V. I. Pomaznev, qui, une croix à la main,essayait de s’opposer à ces violences, fut roué de coups par les fascistes qui lui arrachèrent sa soutane, lui brûlèrent la barbe et le percèrent de leurs baïonnettes.
« En Russie blanche, près de la ville de Borissov, 75 femmes et jeunes filles, fuyant l’approche des troupes allemandes, tombèrent cependant entre leurs mains. Les Allemands violèrent et tuèrent sauvagement 36 d’entre elles. Une jeune fille de 16 ans, L. I. Melchukova fut, sur l’ordre de l’officier allemand Hummer, conduite dans le bois par des soldats qui la violèrent. Quelques temps après, d’autres femmes amenées elles aussi dans le bois purent voir Melchukova clouée sur des planches près d’un bosquet. Les Allemands lui coupèrent les seins sous les yeux de ces femmes, parmi lesquelles se trouvaient V. I. Alperenko et V." M. Bereznikova.
« Quand les Allemands quittèrent le village de Borovka, district de Zwénigorod, région de Moscou, les fascistes emmenèrent de force quelques femmes, les séparant de leurs petits enfants et cela, malgré leurs prières et leurs supplications.
« Dans la ville de Tikhvin, région de Leningrad, une jeune fille de 15 ans, M. Kolodetskaya, blessée par un éclat d’obus, fut transportée dans un ancien monastère aménagé en hôpital, où se trouvaient des blessés de l’Armée allemande. Sans qu’on tienne compte de sa blessure, Kolodetskaya fut violée par un groupe de soldats allemands et en mourut. »
Je passe un alinéa et continue la citation :
« Mais les hitlériens ne se limitèrent pas au meurtre de citoyens soviétiques isolés. Parmi les atrocités les plus épouvantables qui constituent l’histoire du banditisme et du terrorisme hitlérien dans les territoires soviétiques occupés, il y a le cauchemar des tueries de citoyens soviétiques qui accompagnaient généralement la prise par les Allemands de villes, villages et autres centres habités.
« Voici quelques exemples dont furent victimes des villages entiers. Dans le village de Jaskino, dans la région de Smolensk, les hitlériens fusillèrent tous les enfants et tous les vieillards et incendièrent complètement toutes les maisons. Dans le village de Potchinok, situé dans la même région, les Allemands traînèrent les vieillards des deux sexes ainsi que les enfants dans le bâtiment du khoikoze, les y enfermèrent et les brûlèrent vifs. Dans le village ukrainien de Yemeltchino, région de Jitomir, les Allemands enfermèrent 68 personnes dans une petite cabane dont ils fermèrent hermétiquement les portes et fenêtres, et les y asphyxièrent. Dans le village de Yerskovo, situé dans le district de Zwénigorod (région de Moscou), actuellement libéré par nos troupes, les Allemands emmenèrent avant leur retraite une centaine de paisibles citoyens et de blessés de l’Armée rouge dans une église, les y enfermèrent et la firent sauter. Dans le village d’Agraenovka, région de Rostov, les fascistes arrêtèrent le 16 novembre toute la population mâle entre 16 et 70 ans et en fusillèrent le tiers. »
La partie suivante de la note est consacrée aux crimes massifs commis par les Allemands désignés sous le nom d’ « opérations », et en particulier aux opérations entreprises à Kiev. Je dois attirer l’attention du Tribunal sur le fait que le nombre de victimes tuées à Babi-Yar indiqué dans cette note est au-dessous de la vérité. Après la libération de Kiev, il fut établi que l’échelle sur laquelle furent perpétrées les atrocités des envahisseurs germano-fascistes était beaucoup plus vaste que ne l’avaient laissé croire les premières approximations. Du rapport de la Commission extraordinaire d’Etat pour la ville de Kiev, qui sera présenté plus tard au Tribunal, il ressort qu’au cours de cette terrible « opération » 100.000 personnes furent fusillées à Babi-Yar et non pas 52.000.
Des massacres et des pogroms terribles furent commis par les envahisseurs allemands à Kiev, la capitale de l’Ukraine. En quelques jours les bandits allemands torturèrent et fusillèrent 52.000 hommes, femmes, vieillards et enfants agissant sans pitié envers tous les Ukrainiens, les Russes, et les Juifs, et tous ceux qui avaient témoigné d’une façon ou d’une autre leur attachement au Gouvernement soviétique. Les citoyens soviétiques qui ont réussi à s’échapper de Kiev dépeignirent un tableau effrayant d’une de ces exécutions massives. Un grand nombre de Juifs, dont des femmes et des enfants de tous âges, furent rassemblés dans le cimetière juif. Avant de les fusiller, les Allemands les déshabillèrent et les rouèrent de coups…Les personnes du premier groupe destiné à être fusillé durent se coucher la face contre terre, au fond d’un fossé, puis furent exécutés à la mitraillette. Les Allemands recouvrirent légèrement les cadavres avec de la terre, firent coucher une nouvelle série de condamnés et les tuèrent de la même façon.
Je passe un alinéa et continue ma citation. Vous pourrez prendre connaissance de visu des crimes dont on parle dans la note : Les crimes commis par les Allemands à Rostov seront présentés en détail dans le film documentaire.
« La cruauté témoignée par les nazis envers la population civile de Rostov est de notoriété publique. Ayant occupé Rostov pendant dix jours, les Allemands ne se contentèrent pas d’abattre des personnes isolées ou des familles, mais dans leur soif de sang, ils tuèrent des dizaines et des centaines de personnes, en particulier dans les quartiers ouvriers de la ville. Près de l’office des chemins de fer, les mitrailleurs allemands fusillèrent 48 hommes en plein jour. 60 personnes trouvèrent la mort sur les trottoirs de la grande rue de Rostov, 200 furent assassinés dans le cimetière arménien. Même après avoir été chassés de Rostov par nos troupes, les généraux et les officiers allemands déclaraient publiquement qu’ils reviendraient à Rostov pour faire payer dans le sang aux habitants l’aide qu’ils avaient apportée pour chasser de leur ville natale leurs ennemis maudits. »
Sur l’initiative des commandants d’unités de l’armée germano-fasciste, les mouvements des troupes allemandes avances ou retraites étaient couverts par la population civile, le plus souvent par les femmes, les vieillards et les enfants.
Sans vouloir faire de commentaires, j’estime qu’il est cependant indispensable de souligner que pour agir d’une telle façon, il fallait avoir lu la directive de Keitel, que le Tribunal connaît bien, d’après laquelle la vie humaine, « dans les territoires occupés, ne vaut absolument rien. »
Je continue à citer la note du commissaire du peuple pour les affaires étrangères. Ce passage se trouve à la page 7 du livre de documents, dernier alinéa :
« En plus de tout ce qui a été dit plus haut, le Gouvernement soviétique dispose de documents sur les crimes monstrueux répétés systématiquement par le Commandement germano-fasciste, telle que l’utilisation de la population civile soviétique pour la couverture des troupes allemandes combattant contre l’Armée rouge.
« Le 28 août 1941, les troupes germano-fascistes essayèrent de traverser la rivière de Ipouti ; impuissants à surmonter la résistance acharnée des troupes de l’Armée rouge, ils rassemblèrent la population de la ville de Dobrouch, dans la région de Gomel, et sous menace de mort, se servirent de femmes, d’enfants et de vieillards comme d’un bouclier derrière lequel ils déployèrent leurs unités. La même lâcheté fut répétée à l’égard de la population civile du kholkoze Vybori dans la région de Leningrad, ainsi que dans la région de Yeina, près de Smolensk. Les bandits fascistes continuèrent à utiliser ce système aussi brutal que lâche jusqu’au dernier jour. Le 8 décembre, les hitlériens firent protéger leur retraite du village de Yamnoyé (région de Toula) par la population civile. Le 12 décembre, dans la même région, ils réunirent 120 personnes, vieillards et enfants, et les envoyèrent en avant-garde de leur armée au moment des combats avec les unités avancées de l’Armée rouge. Au cours des combats livrés par nos troupes pour la libération de la ville de Kalinine, des détachements allemands du 303e régiment de la 162e division, qui essayaient de contre-attaquer, avaient ramassé les femmes d’un village de banlieue et les avaient placées devant eux.
Par bonheur, les troupes soviétiques réussirent à repousser cette contre-attaque en enfonçant un coin entre les lignes hitlériennes et leurs victimes qui furent ainsi sauvées. »
Pour protéger la vie de ses soldats, l’Armée nazie utilisa, en violation de toutes les conventions internationales, la population civile pour des travaux particulièrement dangereux et, en particulier, pour les travaux de déminage.
Je donne lecture d’un extrait de la deuxième partie de la note que le Tribunal trouvera à la page 2 du livre de documents, quatrième alinéa :
« Partout où les troupes ou les autorités allemandes pénétraient en territoire soviétique, était immédiatement organisé un régime d’exploitation sans merci, de tyrannie et d’arbitraire à l’égard de la population civile sans défense. Ne tenant compte ni de l’état de santé, ni de l’âge des citoyens soviétiques, les hitlériens, après avoir détruit ou occupé de nombreuses maisons, obligeaient ces citoyens. sous la menace de la torture, de l’exécution ou de la famine, à exécuter gratuitement différentes sortes de travaux pénibles, y compris des travaux de caractère militaire. Dans de nombreux cas, les civils employés à ces sortes de travaux étaient tués après coup, pour que rien n’en soit révélé. Ainsi, dans le village de Kolpino, dans la région de Smolensk, les occupants emmenèrent tous les paysans pour travailler à la construction de ponts et de tranchées pour les troupes allemandes. Une fois les travaux terminés, tous les paysans furent fusillés. »
Je crois que nous pourrions suspendre l’audience.
Très bien, Monsieur le Président.