SOIXANTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 15 février 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, conformément à vos instructions de ce matin, je passe sur les documents suivants auxquels j’avais l’intention de me référer et qui ont déjà été présentés au Tribunal, comme par exemple le document PS-654
La traduction russe ne me parvient pas. Excusez-moi, je veux dire la traduction anglaise du russe.
Je passe au document suivant qui vous a été présenté hier par mon collègue, le colonel Pokrovsky, sous le n° URSS-3. C’est un rapport de la Commission extraordinaire d’État intitulé « Directives et ordonnances du Gouvernement hitlérien et du Haut Commandement allemand, sur l’extermination des citoyens soviétiques ». Mon collègue vous a lu hier un très court extrait de la section 4 de ce document, concernant les exterminations en masse, dites exécutions, dans les camps où étaient détenus des civils et des prisonniers de guerre. Je ne m’arrête pas à cette section, qui a déjà été lue, et je passe à d’autres sections de ce document, qui décrivent l’organisation créée par les criminels fascistes allemands, dès les premiers jours de la guerre contre l’Union Soviétique, c’est-à-dire les unités spéciales dénommées « Sonderkommandos ». Il s’agit, dans le document en question, de l’organisation des « Sonderkommandos » dans les camps où étaient détenus les prisonniers de guerre et les civils. Je le cite parce que, dès les premiers jours de la guerre, le terme « Sonderkommando » acquit une signification sinistre parmi les populations des régions soviétiques provisoirement occupées. Ce fut l’un des moyens les plus cruels et les plus barbares que les germano-fascistes aient jamais inventés pour exterminer des êtres humains. Je vous demanderai de lire à la page 207 du livre de documents, première colonne :
« Il paraît évident, en consultant les documents saisis, que les bourreaux hitlériens, avant même de commettre leur agression contre l’Union Soviétique, avaient déjà dressé des listes, préparé des dossiers et recueilli des renseignements sur l’élite des travailleurs soviétiques qui, selon leurs plans sanguinaires, était vouée à l’extermination. On prépara ainsi un dossier spécial de renseignements sur l’URSS, un dossier de renseignements allemand, des listes de noms et d’adresses et autres indications qui devaient faciliter la tâche des meurtriers hitlériens dans l’extermination des milieux dirigeants du peuple soviétique. »
Toutefois, le document intitulé annexe n° 2 à l’ordre n° 8 du chef de la Police de sûreté et du SD, daté de Berlin, le 17 juillet 1941 et signé de Heydrich, qui remplissait à cette époque les fonctions d’adjoint de Himmler, indique que le nombre de dossiers de renseignements et de listes n’était pas encore suffisant et qu’il était indispensable de ne pas entraver les desseins des meurtriers. On lit dans ce document :
« Il n’est pas possible de mettre une documentation à la disposition des « Kommandos » pour la réalisation de leur mission. Le dossier de renseignements allemand et le dossier spécial de renseignements sur l’URSS, ainsi que les listes de noms et de domiciles, ne s’avéreront utiles que dans des cas très rares. Le dossier spécial de renseignements sur l’URSS n’est pas suffisant, car il n’y figure qu’un nombre restreint de noms de citoyens soviétiques qui devraient être considérés comme dangereux. »
Je saute un alinéa et je continue la citation :
« Pour exécuter ces plans criminels, les envahisseurs allemands créèrent des unités spéciales dénommées « Sonderkommandos » qui sévirent dans les camps permanents et de transit de prisonniers de guerre, en Allemagne, dans le territoire qu’ils appelèrent « Gouvernement Général de Pologne », ainsi que dans les régions occupées de l’Union Soviétique. »
Je saute sept alinéas et je continue ma citation à la page 207 du livre de documents, sixième alinéa, deuxième colonne :
« L’annexe n° 1 de l’ordre n° 14 du chef de la Police de sûreté et du SD, portant l’indication « Secret, affaire d’État, exemplaire n° 15 » et datée de Berlin, le 29 octobre 1941, décrit comment furent formés les « Sonderkommandos » :
« L’organisation des « Sonderkommandos » de la Sipo et du SD sera établie selon le plan arrêté, le 7 octobre 1941, par le chef de la Police de sûreté et du SD et le Haut Commandement de la Wehrmacht. Nantis de pouvoirs spéciaux, les « Kommandos » accompliront leur tâche en toute indépendance et selon des directives « générales, dans le cadre du règlement des camps. Il va sans dire que les « Kommandos » demeureront en étroite liaison avec les commandants des camps et les officiers du contre-espionnage. »
Je passe sur le texte suivant et je reprends à la page 208 du livre de documents, le premier alinéa. Le Tribunal se rendra compte de toute l’importance qui fut accordée à la création de ces sinistres organismes policiers, par les dirigeants du Reich. Des « Sonderkommandos » furent organisés sur tout le territoire s’étendant de Krasnogwardeisk, près de Leningrad, à Nikolaïev, sur la mer Noire. Je continue la citation :
« L’ordre du chef de la Police de sûreté et du SD du 29 octobre 1941, sur l’organisation des « Sonderkommandos », fut envoyé à tous les Einsatzgruppen de Krasnogwardeisk, de Smolensk, de Kiev, de Nikolaïev et pour information à Riga, à Mohilev et à Krivoï-Rog. »
Il faut noter également qu’au moment de leur avance sur Moscou, les hitlériens ont créé spécialement à Smolensk le « Sonderkommando Moskau », dont la tâche devait consister en des exécutions massives de la population moscovite.
Comme on l’a déjà signalé, les pouvoirs dont jouissaient les « Sonderkommandos » étaient fort étendus, et je cite à ce sujet :
« Les tâches des « Sonderkommandos » sont prescrites dans les directives d’opérations attachées à l’ordonnance n° 8 du chef de la Police de sûreté et du SD, datée de Berlin, le 17 juillet 1941, où, sous le prétexte de « filtrer » les civils et les prisonniers de guerre suspects pris durant la campagne de l’Est, il est dit :
« Les circonstances spéciales de la campagne de l’Est exigent que « des mesures spéciales soient prises, sous responsabilité personnelle, « sans égards à aucune influence bureaucratique, quelle qu’elle soit. »
Je passe sur le passage suivant de ce document, car il n’est qu’une répétition des dispositions fondamentales que j’ai lues précédemment.
Ayant déclenché une guerre d’agression, les hitlériens l’ont poursuivie dans le dessein d’exterminer en masse la population de l’Union Soviétique et des pays de l’Europe orientale. J’ai déjà lu quelques documents qui décrivent les meurtriers hitlériens et la nature de leurs crimes. Ces hommes formaient des unités importantes de criminels entraînés spécialement par les dirigeants de la clique hitlérienne. Mais il est évident pour tout criminaliste qu’il ne suffisait pas seulement de créer ces bandes abominables de criminels, mais qu’il fallait que ceux-ci se sentissent absolument à l’abri, tout en perpétrant leurs crimes. Pour accomplir, sur cette échelle colossale, tous les crimes conçus par les criminels en chef, il fallait procurer à leurs subordonnés un climat d’impunité absolue dans l’accomplissement de leur monstrueuse besogne.
Conformément à vos instructions, Monsieur le Président, je ne citerai pas le document n° C-50, déjà lu par le Ministère Public américain et intitulé « Directives à la Wehrmacht sur l’application de la loi martiale et de mesures spéciales à prendre dans la zone « Barbarossa ». Cependant, il me semble judicieux de se souvenir fidèlement du sens de ce document, car, sans en avoir saisi toute la portée, il est presque impossible de percevoir toute l’étendue des crimes commis par les bandits hitlériens en territoire soviétique.
Cet ordre, signé de Keitel, mais publié au nom de Hitler, fut accepté par tous les officiers et les soldats de l’Armée germano-fasciste comme un ordre personnel de Hitler. Pour démontrer quelles conclusions furent tirées par les soldats allemands de cet ordre de Keitel, je me reporte au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes commis par les agresseurs germano-fascistes, dans la ville de Minsk.
Sous le n° URSS-38, je présente ce document contenant un extrait des dépositions du capitaine Julius Reichhof, président du tribunal militaire de la 267e division allemande de chasseurs. Je demande au Tribunal de se référer au texte de ce document qui se trouve à la page 215 du livre de documents, première colonne. Je cite une partie de la déposition de Julius Reichhof, telle qu’elle est rapportée par la Commission extraordinaire d’État :
« D’après les ordres de Hitler, aucun soldat allemand ne pouvait être traduit devant un tribunal militaire pour des actes commis à rencontre de citoyens soviétiques. Un soldat ne pouvait être puni que par le commandant de son groupe, si celui-ci le jugeait nécessaire. Par ce même ordre, Hitler octroyait aux officiers de la Wehrmacht des pouvoirs encore plus étendus. Ils pouvaient exterminer la population russe à leur guise. Un commandant allemand avait le droit d’infliger à la population civile des mesures punitives, telles que de brûler complètement villes et villages, d’enlever le bétail et le ravitaillement, ainsi que de déporter les citoyens soviétiques pour le travail obligatoire en Allemagne. La veille de l’attaque contre l’Union Soviétique, chaque soldat de la Wehrmacht avait eu connaissance de cet ordre de Hitler. Conformément à cet ordre, et sous la direction de leurs officiers, les soldats allemands se livrèrent alors à des crimes sans nombre. »
Cependant, ces faits parurent encore insuffisants aux dirigeants nazis. En 1942, ils jugèrent indispensable de confirmer à nouveau et d’une façon catégorique, ne permettant aucune exception, que nul crime commis par les soldats germano-fascistes à rencontre de la population civile de l’Union Soviétique ne devait être puni, de quelque façon que ce fût.
Les autorités militaires et civiles allemandes précisèrent surtout que l’impunité des crimes devait être indiscutable, même si les victimes, méthodiquement exécutées, étaient des femmes et des enfants.
Quelle est la référence du document que vous avez décrit comme un avis « catégorique » ?
Je présente ce document au Tribunal sous le n° URSS-16. C’est une photocopie, certifiée conforme par la Commission extraordinaire d’État ; le Tribunal la trouvera à la page 219 du livre de documents. Cette directive, intitulée « Combat contre les guérillas », est signée de Keitel et datée du 16 décembre 1942. Je vais citer ce texte presque en entier et je commence :
« Objet : combat contre les guérillas. Très secret.
« Le Führer a été informé que certains membres de la Wehrmacht, ayant pris part à la lutte contre les bandes de guérillas, avaient été l’objet de poursuites disciplinaires. »
Mon collègue, le colonel Pokrovsky, Monsieur le Président, a précisé hier devant le Tribunal que les criminels hitlériens employaient le mot « bandit » chaque fois que se manifestait le moindre mouvement de résistance, dans la population civile, contre les activités criminelles des envahisseurs allemands. Donc, je ne retiendrai pas plus longtemps l’attention du Tribunal sur la définition de ce terme germano-fasciste.
« En conséquence, le Führer a ordonné :... »
Je passe un alinéa et je continue à citer (page 219 du livre de documents) :
« Si cette lutte contre les bandes de guérillas, aussi bien à l’Est que dans les Balkans, n’est pas menée de la façon la plus brutale, il en résultera que, dans un temps très proche, les forces que nous avons à notre disposition vont s’avérer insuffisantes pour avoir raison de cette peste. Dans cette lutte, les troupes ont donc le droit et le devoir de procéder par tous les moyens quels qu’ils soient, même à rencontre de femmes et d’enfants, pour atteindre le but. »
Je souligne le fait que cette directive parle d’employer n’importe quels moyens de répression « contre les femmes et les enfants ». Je continue la citation :
« Toute considération, quelle qu’elle soit, serait un crime envers le peuple allemand et envers les soldats du front, qui doivent supporter les conséquences de l’activité partisane et qui ne pourraient comprendre pourquoi ces bandits ou leurs complices seraient épargnés. Ces principes doivent servir de base à la lutte contre les bandes de guérillas à l’Est.
« Aucun Allemand participant aux opérations militaires contre les guérillas ne doit être sujet à des poursuites disciplinaires ou judiciaires, à cause de sa conduite pendant le combat contre les partisans et leurs complices.
« Les commandants en chef des troupes combattant les guérillas sont tenus de porter cet ordre, immédiatement et catégoriquement, à la connaissance de tous les officiers des unités qui leur sont subordonnées ; de mettre sans tarder leurs conseillers juridiques au courant de cet ordre et de veiller à ce qu’aucun jugement contraire à cet ordre ne soit prononcé.
« Signé : Keitel. »
C’est le dernier des documents que j’avais à présenter au Tribunal sur les deux premiers chapitres de la liste lue au début de ce rapport. Les documents que j’ai présentés au Tribunal jusqu’à présent servaient à établir les trois faits suivants :
1° Les Grands Criminels de guerre incitèrent directement une partie très importante des effectifs des Forces armées germano-fascistes à perpétrer les crimes de guerre les plus graves contre une population pacifique.
2° Par une éducation spéciale, les dirigeants hitlériens formèrent de grands contingents de criminels pour l’exécution effective de leurs plans d’extermination des peuples.
3° Ils libérèrent, par tous les moyens, les instincts les plus vils de ces criminels, en leur procurant des conditions d’impunité complète dans l’exécution de leurs crimes.
Ces buts furent pleinement atteints par les Grands Criminels de guerre. Dans les territoires occupés de l’Union Soviétique et des pays de l’Est européen, les hitlériens commirent contre la population civile des crimes qui, dans leur étendue, dans leur exécution barbare, dans le cynisme de leurs instigateurs et la cruauté de leurs exécutants, sont sans précédent dans l’histoire du monde.
Je passe à la présentation des preuves caractérisant l’étendue des crimes des fascistes allemands et les méthodes qu’ils employèrent : l’établissement du régime de terreur germano-fasciste. Je veux démontrer ce que signifièrent pour les populations pacifiques les dispositions de Keitel sur la « pacification » des territoires occupés.
L’établissement du régime de terreur marquait dès l’abord l’apparition des autorités germano-fascistes, militaires ou civiles, sur le territoire de l’URSS ou celui d’autres pays de l’Est européen. Non seulement ce régime revêtait les formes les plus cruelles, mais il se manifestait aussi par des railleries éhontées et des outrages à la dignité et à l’honneur de ceux qui tombaient victimes des fascistes allemands.
Le terrorisme s’abattait, en tout premier lieu, sur les personnes que ces criminels considéraient comme susceptibles de mener une activité politique ou capables d’organiser une résistance. Pour confirmer ce que je viens de dire, je me réfère au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes commis par les Allemands dans la région de Lwow, qui a déjà été présenté sous le n° URSS-6. Le Tribunal trouvera le passage en question à la page 58 du livre de documents, première colonne, dernier alinéa. Je commence la citation :
« Avant la prise de Lwow, les diverses sections de la Gestapo avaient déjà établi, sur l’ordre du Gouvernement allemand, la liste des intellectuels d’élite qui devaient être exterminés. Dès que Lwow tomba, les arrestations et les fusillades en masse commencèrent. La Gestapo arrêta entre autres : le professeur Tadéouch Boy-Gelensky, membre de l’Union des écrivains soviétiques et auteur de nombreuses œuvres littéraires ; le professeur Roman Reutskov, de l’académie de médecine ; le professeur de médecine et recteur de l’université, Vladimir Seradskov ; le docteur en droit Roman Longshamp de Berye et ses trois fils ; le professeur Tadéouch Ostrovsky ; le professeur Jan Grek ; le professeur de médecine chirurgicale Henryk Hiliarovitch... »
Vient ensuite une longue liste de trente et un noms des principaux intellectuels de la ville de Lwow. Je ne les lis pas et je continue la citation : « Le professeur F. B. Grauer de l’institut médical de Lwow, qui a eu la chance d’avoir la vie sauve, nous a fait le rapport suivant :
« Lorsque, le 3 juin 1941, à minuit, je fus arrêté et emmené sur « un camion, il y avait déjà les professeurs Grek, BoyGelensky et d’autres. On nous a emmenés dans la maison du collège de théologie Abragamovitchev. En nous conduisant à travers le corridor, les agents de la Gestapo se moquaient de nous, nous poussaient avec leurs fusils, nous tiraient par les cheveux et nous frappaient sur la tête. Plus tard, je vis sortir du collège Abragamovitchev des Allemands emmenant cinq professeurs dont quatre portaient le cadavre ensanglanté du fils du célèbre professeur Rouff, tué par les Allemands pendant son interrogatoire. Le jeune Rouff était également un spécialiste. Tout ce groupe de professeurs fut envoyé sous escorte vers les hauteurs de Cadetsky. Au bout de 15 à 20 minutes, j’entendis une salve dans cette direction. »
Au mépris de la dignité humaine, les Allemands employèrent les méthodes les plus raffinées pour torturer les savants arrêtés, avant de les tuer.
B. 0. Galtsman, habitant de la ville de Lwow, a déposé devant la Commission spéciale qu’en juillet 1941 il avait vu lui-même comment vingt personnes, parmi lesquelles quatre professeurs, des avocats, des médecins, avaient été amenées par les SS dans la cour de la maison, 8, rue Artickevsky. Je connaissais l’un d’entre eux par son nom de famille : le docteur en droit Kreps. Parmi les gens amenés se trouvaient cinq ou six femmes. Les SS les obligèrent à laver sept escaliers de quatre étages avec leurs langues et leurs lèvres. Lorsque tous les escaliers eurent été lavés, ces mêmes personnes furent forcées de ramasser les ordures dans la cour avec leurs lèvres et de les transporter ensuite dans un coin... »
Je passe la fin de cet alinéa, et je continue à l’alinéa suivant :
« Les envahisseurs fascistes camouflaient soigneusement les traces de l’extermination des intellectuels. Aux demandes répétées faites par les parents et les amis pour connaître le sort de ces hommes de science, les Allemands répondaient : « Aucun renseignement. »
En automne 1943, sur l’ordre du ministre du Reich allemand, Himmler, les hitlériens brûlèrent les corps des professeurs qui avaient été fusillés. D’anciens internés des camps de Janov, Mandel et Corn, qui procédèrent à l’exhumation des cadavres, ont fait le rapport suivant à la Commission :
« Dans la nuit du 5 octobre 1945, entre les rues Cadetsky et Bouletsky et sous la lumière des projecteurs, nous avons ouvert une fosse, sur l’ordre d’un agent de la Gestapo. Nous en avons retiré trente-six corps qui ont été brûlés. Pendant que nous sortions les corps de la fosse, nous avons trouvé les papiers du professeur Ostrovsky, du docteur ès sciences naturelles Otojek et du professeur de l’institut polytechnique Casimir Bartel. »
« Une enquête a établi que, dans les premiers mois de l’occupation, les Allemands arrêtèrent et tuèrent plus de soixante-dix savants, techniciens et artistes connus dans la ville de Lwow. »
Tout ce qui vient d’être dit ne signifie pas que les intellectuels et les dirigeants des organisations locales aient été les seules victimes de la terreur fasciste. Je voulais souligner seulement que la terreur fasciste était dirigée en premier lieu contre eux. Mais l’une des caractéristiques du terrorisme hitlérien consistait en ce qu’il était décrété par les chefs germano-fascistes et réalisé par les exécuteurs comme une terreur générale. Pour prouver ce que j’avance, je me réfère à un document déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-63, mais qui n’a pas encore été cité. C’est un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités allemandes dans la ville de Kertch. Kertch est une ville relativement petite. Plusieurs centaines de kilomètres la séparent de Lwow. Si les envahisseurs allemands se trouvaient déjà à Lwow au début de 1941, ils n’atteignirent Kertch qu’en novembre. En janvier 1942, ils étaient chassés de la ville par des unités de l’Armée rouge. La période de la première occupation, car Kertch fut occupée deux fois, fut donc assez courte et ne dura que deux mois environ. Voici quels sont les crimes commis par les fascistes allemands dans cette ville. Je commence la citation. Le Tribunal trouvera ce passage à la page 227 du livre de documents, colonne 2, alinéa 5 :
« Après la prise de la ville en novembre 1941, les hitlériens donnèrent immédiatement l’ordre suivant : « Les habitants de Kertch doivent livrer au commandant allemand tout le ravitaillement se trouvant en possession de chaque famille. Au cas où l’on découvrirait du ravitaillement, le propriétaire sera fusillé. » L’ordre suivant, n° 2, émis par le Conseil municipal, ordonna à tous les habitants de déclarer immédiatement tous les poulets, chapons, canards, poussins, dindons, oies, moutons, vaches, veaux et animaux de trait. Il était strictement défendu aux propriétaires de volaille d’employer à leur usage personnel la volaille ou le bétail sans la permission du commandant allemand. Après que ces ordres eurent été donnés, commença la perquisition de tous les appartements et maisons, sans exception. Les agents de la Gestapo agissaient sans vergogne ni retenue. Pour un seul kilo de légumes secs ou de farine trouvé en excédent, le chef de famille était fusillé. Ils commencèrent leurs crimes monstrueux dans la ville par l’empoisonnement de 245 écoliers. »
Vous verrez plus tard les cadavres de ces enfants dans le film documentaire. Ces cadavres furent jetés dans le ravin de Kertch.
« D’après l’ordre du commandant allemand, tous les écoliers durent se rendre à l’école à une heure fixée. 245 enfants, arrivés avec leurs livres, furent envoyés hors de la ville dans une école attenant à une usine, sous le prétexte d’une promenade. Puis on offrit aux enfants affamés et transis du café chaud et des gâteaux empoisonnés. Un adjudant allemand appela au dispensaire les enfants pour lesquels il n’y avait pas eu assez de café et leur enduisit les lèvres avec un poison rapide. En quelques minutes, tous les enfants étaient morts. Les écoliers des classes supérieures furent transportés en camions et fusillés avec des mitrailleuses, à environ huit kilomètres de la ville où se trouvait un très grand et très long fossé antichar. Ce fut là que, plus tard, les corps des enfants empoisonnés furent transportés. »
Je continue la citation :
« Le soir du 28 novembre 1941, l’ordre n° 4 de la Gestapo fut affiché dans la ville. D’après cet ordre, tous les habitants qui avaient été précédemment recensés à la Gestapo, devaient se présenter le 29 novembre entre 8 heures et midi, square Sennaya, avec trois jours de vivres. Hommes et femmes, tous devaient s’y rendre, sans considération d’âge ni de santé. Les personnes qui ne se présenteraient pas étaient menacées d’être fusillées publiquement. Ceux qui vinrent sur la place le 29 novembre étaient sûrs qu’ils allaient être envoyés au travail. A midi, plus de 7.000 personnes étaient réunies dans le square. Il y avait des jeunes gens, des jeunes filles, des enfants de tous âges, des vieillards et des femmes enceintes. Ils furent tous emmenés à la prison de la ville par les hommes de la Gestapo. Cette extermination monstrueuse des populations paisibles, jetées traîtreusement en prison, fut exécutée par les Allemands, conformément à un plan préétabli par la Gestapo. Tout d’abord, on ordonna aux prisonniers de remettre les clés de leurs logements et d’indiquer leurs adresses exactes au commandant de la prison. Puis tous les objets de valeur furent enlevés aux internés, notamment les montres, les bagues et autres bijoux. Malgré le froid, les bottes, souliers, bottes en feutre, costumes et manteaux furent enlevés à ceux qui avaient été conduits en prison. Beaucoup de femmes et de jeunes filles furent séparées par les scélérats fascistes du reste des internés, enfermées dans des cellules isolées où ces malheureuses créatures subirent des tortures raffinées. On les viola, on leur coupa les seins, les pieds, les mains, on les éventra, on leur arracha les yeux.
« Après que les Allemands eurent été chassés de Kertch, le 30 décembre 1941, les soldats de l’Armée rouge découvrirent dans la cour de la prison un tas informe de jeunes femmes nues, méconnaissables, mutilées sauvagement et cyniquement par les fascistes.
« Les hitlériens avaient choisi comme lieu d’exécution un fossé anti-char près du village de Baguerovo, où pendant plusieurs jours des familles entières, vouées à la mort, furent amenées en camions.
« A l’arrivée de l’Armée rouge à Kertch en janvier 1942, la fosse de Baguerovo fut fouillée. On trouva que cette fosse, large de 4 mètres et profonde de 2, était, sur un kilomètre de long, pleine de corps de femmes, d’enfants, de vieillards et de jeunes gens. Auprès de la fosse, il y avait des mares de sang gelé. Sur le sol, traînaient des bonnets d’enfants, des jouets, des rubans, des boutons arrachés, des gants, des biberons, des petits souliers, des galoches, avec des mains, des pieds et d’autres membres tranchés. Le tout était éclaboussé de sang et de cervelles.
« Les crapules fascistes fusillaient la population sans défense avec des balles explosives. Sur le bord du fossé se trouvait le corps mutilé d’une jeune femme. Dans ses bras, elle tenait un bébé soigneusement enveloppé d’une pèlerine blanche en dentelle. Près de la femme, il y avait les corps d’une petite fille de 8 ans et d’un petit garçon âgé de 5 ans environ, tués par des balles explosives. Leurs mains étaient accrochées à la robe de la femme. »
Les conditions de ces exécutions sont confirmées par les rapports de nombreux témoins qui eurent la chance de s’échapper, sains et saufs, du ravin de la mort. Je citerai deux de ces dépositions.
A. S. Bondarenko, âgé de 20 ans, actuellement soldat de l’Armée rouge, témoigne ce qui suit :
« Quand nous fûmes transportés au fossé anti-char et alignés près de cette terrible tombe, nous pensions encore que nous y avions été amenés pour remplir la tranchée de terre ou pour en creuser une nouvelle. Nous ne croyions pas que nous étions là pour être fusillés, mais quand nous entendîmes les premiers coups de feu des armes automatiques dirigées sur nous, je compris qu’on était en train de nous fusiller. Immédiatement, je me jetai dans le fossé et me cachai entre deux cadavres. A moitié évanoui mais intact, je restai là presque jusqu’au soir. Tandis que j’étais ainsi couché dans le fossé, j’entendis des blessés crier aux gendarmes qui tiraient sur eux :
« Achève-moi, misérable ! », « Tu ne m’as pas eu, bandit, tire encore ! ». Quand les Allemands furent partis pour aller manger, un habitant de mon village cria de la fosse : « Levez-vous, les vivants ! » Je me levai et nous avons commencé, à nous deux, à remuer les cadavres et à retirer les vivants. J’étais tout couvert de sang. Au-dessus du fossé s’étendait une légère brume provenant du refroidissement des corps, du sang et des derniers soupirs des mourants. Nous avons pu sortir Théodore Naoumenko et mon père, mais celui-ci avait été tué d’une balle explosive dans le cœur. Tard dans la nuit, j’atteignis une maison amie dans le village de Baguerovo, où j’attendis l’arrivée de l’Armée rouge. »
Le témoin A. Kamenev rapporte :
« Le chauffeur arrêta le camion derrière l’aérodrome et nous vîmes que les Allemands fusillaient des gens près d’un fossé. On nous tira du camion et on nous poussa vers le fossé par groupes de dix. J’étais avec mon fils dans les dix premiers. Nous atteignîmes le fossé. Nous fûmes placés face au fossé, tandis que les Allemands se préparaient à tirer sur nous dans la nuque. Mon fils se tourna vers eux et cria : « Pourquoi assassinez-vous une population pacifique ? » Mais les coups partirent et il tomba dans le fossé. Je me jetai derrière lui. Les corps commencèrent à me tomber dessus. Vers trois heures, un garçon d’environ onze ans émergea de la masse de corps et commença à crier : « Petit père, vous qui êtes « encore en vie, levez-vous, les Allemands sont partis. » J’avais peur de me lever, craignant que cet enfant n’appelle ainsi sur l’ordre d’un policier, mais il recommença à appeler et, cette fois-ci, mon fils lui répondit. Il se releva et demanda : « Papa, vivez-vous encore ? » Je ne pouvais rien répondre et fis seulement signe de la tête. Mon fils et le garçon me tirèrent de dessous les cadavres. Nous vîmes d’autres personnes encore vivantes qui appelaient : « Sauvez-nous ! » Beaucoup d’entre elles étaient blessées. Tout le temps que je me trouvais sous les cadavres, dans la fosse, j’entendis les gémissements et les cris de femmes et d’enfants, car, après nous, les Allemands fusillèrent des vieillards, des femmes et des enfants. »
Je termine ici la lecture de cette citation. Plus loin, on parle de maints autres terribles crimes allemands, mais ils sont analogues à ceux perpétrés dans la ville de Kertch et que je viens de mentionner. Cependant, je demande au Tribunal de prendre acte de la partie du document qui concerne les sévices infligés aux enfants. Ces crimes sont caractéristiques de la terreur germano-fasciste.
Je commence à citer :
« En commettant leurs crimes monstrueux envers le peuple soviétique, les barbares allemands n’épargnèrent même pas les enfants. L’institutrice M. N. Kolossnikova déclara que les Allemands fusillèrent un garçon de 13 ans parce qu’il avait ramassé une vieille chambre à air de pneu d’automobile et s’en servait pour nager dans la mer.
« Le témoin Amvrosie Nicolaevna Sabemikova déclare que Marie Bondarenka, qui habitait dans le village d’Adjimuskaya, voulant sauver ses trois enfants de la faim, demanda aux Allemands qui travaillaient dans la cuisine quelque chose à manger. Ceux-ci lui donnèrent un peu de bouillie dans une gamelle. Toute la famille s’y précipita avec avidité. Quelques heures après, la mère et les trois enfants étaient morts. Les bourreaux fascistes les avaient empoisonnés.
« La déposition de N. K. Shoumilova apporte la preuve qu’en juillet, un officier allemand a fusillé un petit garçon de 6 ans qui s’était permis de chanter une chanson soviétique en se promenant dans la ville. Durant presque tout l’été, le corps d’un petit garçon de 9 ans demeura suspendu dans le jardin de « Sacco et Vanzetti » ; il avait été pendu pour avoir cueilli des abricots. »
Je termine là-dessus la citation du rapport sur la ville de Kertch.
Je me suis arrêté sur l’exemple de la ville de Kertch, non pas parce que les crimes des hitlériens dans cette ville furent plus nombreux ou particulièrement marquants dans leur cruauté, comparés aux autres crimes allemands sur lesquels le Ministère Public soviétique possède des documents. Au contraire, j’ai présenté le rapport de la Commission extraordinaire d’État uniquement parce qu’il donne une description détaillée et objective des crimes de guerre hitlériens commis contre les populations paisibles dans l’une des nombreuses villes qui, par suite de la terrible guerre déclenchée par les criminels germano-fascistes, devinrent victimes de ce régime terroriste. Les mêmes cruautés furent commises par les Allemands dans toutes les régions momentanément occupées de l’Union Soviétique.
Pour le prouver, je me réfère à un document qui en donne une idée d’ensemble. C’est le document qui a déjà été présenté au Tribunal sous le n° URSS-51, mais dont certaines parties n’ont pas encore été lues. C’est la note du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, V. M. Molotov, en date du 27 avril 1942. En guise d’introduction, le Gouvernement soviétique fait, une fois de plus, les constatations suivantes (je commence la citation par le deuxième alinéa au verso du texte russe, troisième alinéa après le titre du livre de documents) :
« Le Gouvernement soviétique reçoit continuellement de nouveaux documents et rapports sur les agissements des envahisseurs allemands à rencontre de la population soviétique. Ils procèdent à un pillage général de la population soviétique, ne reculant devant aucun crime ni aucune cruauté dans les territoires qu’ils occupèrent temporairement ou qu’ils occupent encore. Le Gouvernement soviétique a déjà déclaré que ces crimes ne sont pas des excès fortuits, commis par des unités indisciplinées isolées ou des officiers et soldats pris individuellement. Le Gouvernement soviétique dispose maintenant de documents qui viennent d’être saisis dans les états-majors des troupes allemandes en déroute, dont il ressort que les cruautés sanglantes et les atrocités commises par l’Armée germano-fasciste sont perpétrées conformément aux ordres du Haut Commandement allemand et selon des plans élaborés minutieusement et jusque dans les moindres détails par le Gouvernement allemand. »
Je passe à la section 5 de la note. Le Tribunal trouvera le passage que je vais citer à la page 8 du livre de documents, quatrième colonne, cinquième alinéa.
A titre d’introduction, je dirai quelques mots sur cette citation. Le texte de cette note montre comment les ordres du Gouvernement du Reich sur l’établissement du régime terroriste furent exécutés, dans les territoires occupés, par les « commissaires des régions occupées », les Gauleiter et les commandants des unités de la Wehrmacht. Je cite le début de la section 5 de ce texte, qui se trouve dans votre livre de documents, page 8, colonne 1, alinéa 5 :
« La cruauté inhumaine de la clique hitlérienne — née dans la violence même à l’égard de son propre peuple — envers les populations des pays européens, temporairement occupés par l’Armée allemande, fut de loin surpassée lorsqu’elle envahit le territoire soviétique. La violence et la brutalité auxquelles les hitlériens soumirent la population soviétique pacifique ont éclipsé les pages les plus sanglantes de l’histoire de l’humanité et de la guerre mondiale en cours et dévoilent clairement le plan fasciste sanguinaire et criminel d’extermination des peuples russe, ukrainien, biélorusse et autres de l’Union Soviétique.
« Ce sont ces plans fascistes monstrueux qui ont inspiré les ordres et directives du Haut Commandement allemand, pour l’extermination des paisibles citoyens soviétiques. Ainsi, par exemple, l’instruction du Haut Commandement allemand, intitulée « Traitement de « la population civile et des prisonniers de guerre ennemis » déclare que « les officiers doivent veiller à ce qu’une attitude sans pitié soit « adoptée envers la population civile » et prescrit « d’utiliser la force « contre la population tout entière ». L’instruction diffusée par le Haut Commandement allemand, en tant que directive destinée aux autorités d’occupation des territoires de Biélorussie, ordonne : « Une « manifestation d’hostilité, quelle qu’elle soit, de la part de la population envers la Wehrmacht ou ses services, doit être punie de mort. Celui qui hébergera des soldats de l’Armée rouge ou des partisans devra être puni de mort. Si un partisan recherché n’est pas appréhendé, il faudra prendre des otages parmi la population. »
Quel est le numéro URSS du document que vous lisez en ce moment ?
Ce document a été présenté sous le n° URSS-51 ; c’est l’une des notes du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, Molotov ; c’est la note du 27 avril 1942. Il y a eu en tout quatre notes présentées sous ce numéro au Tribunal. Le début de la note que je suis en train de citer se trouve à la page 8 de votre livre de documents.
Il me semble que ce passage fait partie du document que vous avez déjà cité hier. Êtes-vous sûr qu’il ne se trouve pas à la page 4 ?
Non, Monsieur le Président ; hier je vous ai lu une note du 6 janvier 1942 et celle que je lis maintenant est du 27 avril. Me permettez-vous de continuer ?
Bien, veuillez continuer.
« Ces otages doivent être pendus si les coupables ou leurs complices ne sont pas livrés dans un délai de 24 heures. Le jour suivant, au même endroit, un nombre double d’otages sera pendu. »
« Le septième paragraphe de l’ordre n° 431/41 du commandant allemand de la ville de Feodosia, le capitaine Eberhardt, donne les instructions suivantes :
« En temps d’alerte, tout citoyen se trouvant dans la rue doit être fusillé ; dès qu’un groupe de citoyens apparaît, il doit être entouré et fusillé sans pitié. Les dirigeants et meneurs doivent être pendus publiquement. »
« Dans l’instruction à l’intention de la 260e division d’infanterie allemande au sujet du traitement de la population civile, on reproche aux officiers de n’avoir pas agi partout avec la cruauté indispensable. »
« Les ordres placardés par les occupants dans les villes et villages soviétiques prévoient la peine de mort dans les cas les plus divers :
pour être sorti dans la rue après cinq heures du soir, pour avoir hébergé des étrangers pendant la nuit, pour ne pas avoir livré des soldats de l’Armée rouge, pour avoir omis de se déposséder de certains articles, pour avoir essayé d’éteindre un incendie dans une localité habitée destinée à être brûlée, pour s’être déplacé d’un point à un autre, pour avoir refusé de se plier aux travaux forcés, etc. »
Je continue la citation à la page 8, au verso de la première colonne du texte, deuxième alinéa :
« Le Haut Commandement germano-fasciste, non seulement admet, mais prescrit du tuer les femmes et les enfants. Le meurtre organisé des enfants est présenté dans certaines ordonnances comme une mesure contre l’activité des partisans. Ainsi, par exemple, dans une ordonnance du commandant de la 254e division allemande, le général von Beschnitz, datée du 2 décembre 1941, on considère comme un acte d’indulgence consciente le fait que des vieillards, des femmes et des enfants se déplacent à l’arrière des lignes allemandes et on ordonne de tirer sans avertissement sur toute « personne civile, sans considération d’âge ni de sexe, qui pourrait approcher des lignes de combat, de charger le bourgmestre de la responsabilité d’informer immédiatement le commandant du lieu de l’arrivée de personnes étrangères, notamment d’enfants, et de fusiller sur-le-champ toute personne suspecte de faire de l’espionnage. »
La note contient également des détails sur les instructions que les autorités fascistes des territoires temporairement occupés recevaient des dirigeants du Reich. Je cite, page 9 de votre livre de documents, le troisième alinéa, première colonne :
« Certains des crimes commis par les occupants allemands, dès les premières semaines de l’agression de ces bandits contre l’URSS, notamment l’extermination bestiale des populations civiles de Biélorussie, d’Ukraine, des Républiques Soviétiques baltes, ne sont établis officiellement qu’à l’heure actuelle. Ainsi, par exemple, lorsqu’en janvier 1942 des unités de l’Armée rouge mirent en fuite une brigade de cavalerie SS, aux environs de la ville de Tozopatz, on découvrit parmi les documents saisis un rapport du 1er régiment de cavalerie de cette brigade sur la « pacification » de la région de Starobine en Biélorussie, effectuée par ce régiment. Le commandant déclare qu’en plus de 239 prisonniers, un des détachements de son régiment a fusillé 6.504 civils ; il précise, en outre, que le détachement a agi conformément à l’ordre n° 42 du régiment, daté du 27 juillet 1941. Le commandant du 2e régiment de la même brigade, von Mahille, dit dans son « Rapport sur l’opération de pacification de la région du Pripet, exécutée du 27 juillet au 11 août 1941 » :
« Nous avons chassé les femmes et les enfants dans les marais, mais cela n’a pas donné le résultat escompté car les marais n’étaient pas « assez profonds pour qu’il soit possible de s’y noyer. Presque partout on pouvait y toucher le fond (sable, peut-être) à une profondeur d’un mètre. Dans le même état-major, il a été découvert un télégramme du commandant de la brigade de cavalerie SS, portant le n° 37 »
Nous allons suspendre l’audience pendant dix minutes.
En. raison d’une indisposition, l’accusé Hess n’assistera pas aux débats de ce jour.
Je continue la citation :
« Dans le même état-major, on a découvert un télégramme du Standartenführer, commandant la brigade de cavalerie SS, daté du 2 août 1941 et portant le n° 37, adressé au détachement monté du même 2e régiment de cavalerie, dans lequel il est indiqué que le Reichsführer SS et chef de la Police, Himmler, estime que le « nombre de civils abattus n’est pas suffisant et indique qu’il est « indispensable d’agir d’une façon radicale, que les chefs d’unités se montrent trop doux dans l’exécution des opérations dont ils sont chargés et ordonne de rendre compte tous les jours du nombre des fusillés.
A ce propos, il faut rappeler l’activité criminelle de l’accusé Rosenberg, qui mit en pratique les principes directeurs du Gouvernement du Reich, en instaurant un régime de terreur dans les territoires occupés de l’Est — ou, plus exactement en tant que l’un des principaux auteurs de ces principes — promulgua une série de lois inhumaines dans l’Ostland (comme on le sait, c’est ainsi que les Allemands appelèrent les régions occupées des pays baltes) qui provoquèrent, de la part des hauts fonctionnaires de l’administration fasciste établie par Rosenberg, de nombreuses directives et ordonnances qui étaient toutes inspirées par ce souci de faire régner la terreur.
Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-39, le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes des envahisseurs fascistes dans la République Socialiste Soviétique d’Estonie. Je cite l’extrait que le Tribunal trouvera à la page 232 du livre de documents, première colonne du texte, troisième paragraphe :
« Le 17 juillet 1941, par un décret, Hitler transmit le pouvoir législatif sur le territoire de l’Estonie au Commissaire du Reich Rosenberg. Ce dernier, à son tour, transmit ce pouvoir législatif aux commissaires régionaux allemands.
« La loi de l’arbitraire régna alors sur l’Estonie et la population civile fut soumise à un régime de terreur. Le ministre du Reich Rosenberg, le Commissaire du Reich pour les pays baltes, Lehse, et le Commissaire Général pour l’Estonie, Litzmann, privèrent le peuple estonien de tous ses droits politiques. Conformément au décret de Hitler du 17 juillet 1941, le ministre du Reich Rosenberg promulgua, le 17 février 1942, une loi spéciale à l’intention des personnes ne possédant pas la nationalité allemande, décrétant la peine de mort pour la moindre résistance à la germanisation et pour tout acte de violence contre des personnes de nationalité allemande.
« Pour les ouvriers et employés estoniens, les occupants instituèrent le châtiment corporel. Le 20 février 1942, un fonctionnaire de l’administration des chemins de fer de Riga, Walk, adressa à l’administration des chemins de fer estoniens un télégramme ainsi conçu :
« Toute violation de la discipline du travail par un employé « autochtone — en particulier l’absence, le retard, la présence en « état d’ivresse, la non-exécution d’un ordre, etc
sera désormais « châtiée avec sévérité : a) pour la première fois : 15 coups de bâton « sur le dos nu ; b) en cas de récidive : 20 coups de bâton sur « le dos nu. »
« Le 12 janvier 1942, le ministre du Reich Rosenberg créa des tribunaux extraordinaires se composant d’un officier de police comme président et de deux policiers sous ses ordres. Les règles de procédure étaient définies par le tribunal et à son gré. Ces « tribunaux » prononçaient toujours la peine de mort et la confiscation de la propriété ; ils ne fixaient jamais d’autres châtiments. Aucun appel n’était admis. En dehors de ces tribunaux créés par Rosenberg, la peine de mort était souvent prononcée aussi par la Police politique allemande et l’exécution faite le même jour.
« Pour l’instruction de procès civils et criminels, le Commissaire Général Litzmann institua des tribunaux locaux, dont les juges, les procureurs, les juges d’instruction, les avoués et les avocats étaient tous, sans exception, nommés personnellement par Litzmann. »
Je présente maintenant au Tribunal le document URSS-18, qui est la photocopie d’un ordre de terreur des autorités militaires allemandes, et je demande au Tribunal de l’accepter comme preuve. C’est un ordre de la Kommandantur allemande de la ville de Pskov. Le Tribunal en trouvera le texte à la page 235 du livre de documents. Ce document montre que la population civile avait interdiction de sortir même dans les rues et sur les routes de sa propre localité. Tous ceux qui y étaient trouvés par les soldats allemands devaient être fusillés.
Je cite le texte du document à partir du troisième paragraphe :
« En vertu de ce qui précède, j’ordonne que :
« 1. Tous les civils, sans considération d’âge ou de sexe, qui seront trouvés sur les remblais des chemins de fer ou non loin de ces remblais, doivent être considérés comme des bandits et punis de mort. Il est bien entendu que sont exceptés les ouvriers marchant en colonnes sous surveillance.
« 2. Toutes les personnes mentionnées au paragraphe 1 qui vagabondent dans ces mêmes parages sans but déterminé sont passibles d’exécution.
« 3. Toutes les personnes mentionnées au paragraphe 1 et qui, pendant la nuit ou la demi-obscurité, se trouvent sur les voies publiques, doivent être fusillées.
« 4. Les personnes mentionnées au paragraphe 1, découvertes sur les voies publiques pendant le jour doivent être arrêtées et sévèrement interrogées. »
Tels étaient les instructions et ordres propres à inspirer la terreur qui, basés sur le fameux Führerprinzip, furent donnés par les plus hauts fonctionnaires et représentants de l’Armée de l’État germano-fasciste. Mais ce droit de justice expéditive et implacable à rencontre de la population n’était pas réservé à eux seuls. Chaque Ortskommandantur, chaque chef d’unité, si petite fût-elle, et même chaque soldat de l’Armée hitlérienne, avait ainsi le droit de prendre des mesures de justice expéditive contre les populations civiles des régions occupées.
Je vais présenter au Tribunal quelques documents qui révèlent combien les criminels hitlériens abusèrent de ce droit et dans leurs crimes contre le peuple soviétique, firent appel aux moyens les plus cruels et s’ingénièrent à trouver des êtres lâches et vils, raillant et tuant impunément. Je dépose sous le n° URSS-9 un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises par les occupants germano-fascistes dans la ville de Kiev. Le Tribunal trouvera le paragraphe auquel je me réfère à la page 238 du livre de documents, alinéa 5 de la première colonne du texte. Je cite :
« Les bourreaux allemands, dès les premiers jours de l’occupation de Kiev, instituèrent un système d’extermination en masse de la population, par la torture, les fusillades, les pendaisons et par l’asphyxie dans des fourgons à gaz. On s’emparait des gens dans les rues et on les fusillait par groupes importants ou isolément. Pour semer la terreur parmi la population, on affichait les avis d’exécutions. »
J’interromps ici la citation pour demander au Tribunal d’accepter comme preuve les photocopies de quelques-unes de ces affiches, dont il a été fait mention également dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État et je demanderai au Tribunal d’accepter comme preuve la photocopie de l’une de ces affiches, déposée sous le n° URSS-290, dont je citerai le texte comme suit (je prie le Tribunal de m’excuser si la traduction n’en est pas tout à fait exacte, le texte de l’affiche est en ukrainien et comme je suis Russe, je comprends le sens, mais la traduction n’est peut-être pas absolument parfaite dans le détail). Voici donc le texte :
« Comme mesure de représailles contre un acte de sabotage, 100 citoyens de la ville de Kiev ont été fusillés ce jour. Que ce soit un avertissement. Chaque habitant de Kiev sera tenu pour solidairement responsable de tout acte de sabotage. Kiev, le 22 octobre 1941.
« Signé : Le commandant de la ville. »
Sous le n° URSS-291 (vous trouverez cet extrait à la page 243 de votre livre de documents), je soumets au Tribunal la photocopie de l’affiche suivante, signée du commandant de la ville de Kiev :
« Une installation de câbles téléphoniques et télégraphiques a été volontairement endommagée à Kiev. Comme les coupables n’ont pas été appréhendés, 400 hommes de la ville ont été fusillés. Que ce soit un avertissement à la population ! Une fois de plus, j’exige que toute personne suspecte soit immédiatement dénoncée aux services de l’Armée ou à la Police allemands, afin que les criminels soient dûment châtiés. Le 29 novembre 1941.
« Signé : Eberhardt, général commandant la ville de Kiev. »
Sous le n° URSS-333, je dépose devant le Tribunal la photocopie de la troisième et dernière affiche, dont on trouvera le texte à la page 242 du livre de documents ; je cite :
« Le nombre croissant de cas d’incendie et de sabotage à Kiev m’oblige à recourir à des mesures très énergiques. A cet effet, 300 habitants de Kiev ont été fusillés ce jour. Pour chaque nouveau cas d’incendie ou de sabotage, un nombre toujours plus grand d’habitants sera fusillé. Chaque habitant de Kiev est tenu de dénoncer immédiatement à la Police allemande tout cas suspect. Je maintiendrai l’ordre et le calme à Kiev, en toutes circonstances et par tous les moyens. Kiev, le 2 novembre 1941.
« Signé : Eberhardt, général commandant la ville de Kiev. »
Je me réfère maintenant à un autre document, qui n’a pas encore été lu et que je dépose sous le n° URSS-63. Ce document contient un rapport de la commission du Soviet du Dzerjinsky, district de Stalingrad. J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que ce rapport officiel, rédigé par des représentants régionaux du Gouvernement soviétique et de la communauté de Dzerjinsky, district de la ville de Stalingrad, a été approuvé par la Commission extraordinaire d’État ; l’authenticité des renseignements qui y sont contenus a été confirmée. La preuve en est donnée dans l’affidavit de la Commission extraordinaire d’État, signé par un des membres de la Commission, l’académicien Trainine et par d’autres. Ce dernier document se trouve reproduit à la page 222 du livre de documents, première colonne. Je cite le rapport de la commission d’enquête qui a opéré dans le district de Dzerjinsky près de Stalingrad, après la défaite allemande subie dans cette ville. Il contient des renseignements concernant les affiches posées sur les murs de Stalingrad et de ce qui en résulte. Vous trouverez ce passage à la page 222 du livre de documents, dernier alinéa de la première colonne du texte :
« ... La Kommandantur semait partout la mort. Dans les rues, elle avait posé des affiches menaçant de la fusillade au moindre geste. Par exemple, l’avis suivant fut affiché rue d’Aral : « La mort « à celui qui passera par ici ! » Au coin de la rue Nevsky et de la rue Medveditzky : « Passage interdit aux Russes ; les contrevenants « seront fusillés ». En effet, les Allemands fusillaient les habitants à tout bout de champ ; des centaines de tombes découvertes le long des rues du district de Dzerjinsky en témoignent. Les cadavres des victimes torturées à mort, fusillées ou pendues, dans le rayon propre de la Kommandantur, furent d’abord jetés dans une fosse dans le voisinage de celle-ci. Après que les occupants fussent chassés, on y découvrit 31 cadavres. Lorsque la fosse était pleine, les cadavres étaient transportés au cimetière qui se trouvait à deux kilomètres. Là, on avait creusé une fosse profonde de 6 mètres, sur 40 mètres de long et 12 mètres de large. Quand les envahisseurs furent chassés, on y découvrit 516 cadavres de citoyens soviétiques assassinés, torturés et fusillés, dont 50 étaient des cadavres d’enfants. L’examen de ces cadavres, le 25 mars 1943, révéla que les hitlériens torturaient les citoyens soviétiques d’une manière atroce avant de les tuer. En plus des cadavres d’enfants, on découvrit 323 cadavres de femmes, 69 cadavres de vieillards et 74 cadavres d’hommes. 141 cadavres portaient des blessures d’armes à feu, à la tête et à la poitrine ; 92 cadavres avaient au cou des traces de strangulation, témoignant de leur pendaison ; tous les autres cadavres portaient des traces de tortures et étaient horriblement mutilés. Chez 130 victimes femmes et jeunes filles, les bras étaient affreusement tordus en arrière et attachés avec du fil de fer ; 18 d’entre elles avaient les seins coupés ; chez certaines, les oreilles étaient coupées, les doigts et les orteils amputés. La plupart des cadavres portaient des traces de brûlures.
« L’examen de ces cadavres a montré que 21 femmes sont mortes par suite des tortures et de leurs blessures, et que les autres furent fusillées après avoir été torturées. Même les corps des enfants étaient mutilés : certains avaient les doigts coupés, les fesses tailladées, les yeux crevés. »
J’arrête ici la citation de ce document et, conformément aux directives du Tribunal qui ne désire pas qu’on lui soumette des rapports de détails, mais des faits ou éléments nouveaux sur le système de terreur hitlérien, je passe trois pages du rapport et reprends mon exposé au chapitre suivant : « Tortures infligées par les hitlériens au cours des interrogatoires ».
Le principe des tortures était officiellement prévu et sanctionné par les hitlériens. Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-11, un document qui témoigne du fait que les tortures étaient officiellement autorisées et approuvées. C’est une instruction de service pour les camps de concentration : Règlement des camps, éditée à Berlin en 1941. Ce document se trouve à la page 244 du livre de documents, et je lirai l’extrait suivant, à la section 3 de cette instruction, intitulée « Châtiments corporels » :
« On peut porter de 5 à 25 coups sur les reins et sur les fesses. Le nombre de coups est fixé par le commandant du camp et enregistré par lui dans une rubrique spéciale de châtiments »
J’aurais voulu me référer encore à un autre document, mais comme il a déjà été présenté sous le n° L-89, je le passe sous silence selon les instructions du Tribunal, et je reprends plus loin.
Pour donner une valeur juridique à un « interrogatoire exceptionnellement sévère » ou, pour être exact, à un interrogatoire avec torture, la direction de la Police fit imprimer des formulaires spéciaux. Sous le n° URSS-254, je présente au Tribunal et lui demande de lui accorder valeur probatoire, l’original d’un tel formulaire destiné à « un interrogatoire spécialement sévère ». C’est une annexe au rapport du Gouvernement yougoslave et ce formulaire, comme le montre le certificat qui l’accompagne, a été saisi par l’Armée yougoslave dans des archives allemandes. Je ne lirai pas ce formulaire, je citerai seulement un extrait de mon exposé, au dernier alinéa (page 256 du livre de documents, dernier paragraphe) et je lis :
« Pour donner une idée précise de la cruauté bestiale qui accompagnait la réalisation de leur plan d’anéantissement, nous soumettons encore au Tribunal un document original saisi dans les archives allemandes en Yougoslavie. C’est un formulaire en blanc de ce qu’on appelait un « interrogatoire spécialement sévère » des victimes des criminels nazis. De tels interrogatoires furent effectués en Slovénie par les organes de la Police de sûreté et du SD. A la première page du formulaire, l’organe de la Police propose d’effectuer à l’égard d’une personne un interrogatoire particulièrement sévère. A la deuxième page, un officier SS compétent donne son accord pour un tel interrogatoire. La réponse à la question : « Quel était cet interrogatoire particulièrement sévère ? » se trouve dans le paragraphe suivant de l’imprimé : « L’interrogatoire particulièrement sévère doit comporter... » « On doit donner un compte rendu « de l’interrogatoire. On peut y faire venir un médecin (ou non) ».
« La mention de la présence du médecin à l’interrogatoire ne laisse aucun doute sur le fait que cet interrogatoire comportait des tortures physiques pour l’inculpé. Le fait que, pour un tel interrogatoire, existaient des instructions imprimées prouve indubitablement que l’utilisation de ces moyens criminels était fort répandue. »
Le Reichsführer prévoyait spécialement le cas où la personne interrogée tenterait de se suicider au cours de l’interrogatoire. C’est pourquoi le chef des SS non seulement permettait, mais ordonnait d’attacher les mains et les pieds des accusés ou de les enchaîner.
Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-298, la photocopie de la directive n° 202/43, en date du 1er juin 1943. Ce document est certifié par la Commission extraordinaire d’État ; je lirai le texte de ce document :
« Objet : Moyens de prévenir les évasions au cours des interrogatoires.
« Pour prévenir les tentatives d’évasion pendant les interrogatoires, dans tous les cas où il existe une menace d’évasion, soit en raison des circonstances, soit en raison de l’importance de l’accusé qui pourrait tenter de s’évader ou de se suicider, j’ordonne d’attacher les pieds et les mains de l’intéressé de telle façon que toute tentative d’évasion soit impossible. Le cas échéant, des anneaux ou des chaînes peuvent être utilisés. »
J’ai attiré l’attention du Tribunal sur toutes ces instructions officielles des autorités centrales de la Police allemande, non pas uniquement dans le but de prouver que les organes officiels allemands prévoyaient l’usage de la torture au cours des interrogatoires — ce fait est déjà bien connu de tous et n’a pas besoin d’être prouvé particulièrement — mais je voudrais présenter encore un document, qui est à la disposition du Ministère Public soviétique et qui démontre jusqu’à quel point les tortures infligées aux détenus dans les prisons allemandes dépassaient même les tortures prévues et officiellement approuvées par les criminels eux-mêmes.
Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-1, le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes des envahisseurs germano-fascistes dans la région de Stavropol. L’enquête sur ces crimes a été faite sous la direction d’un grand académicien et écrivain russe, feu Alexis Nikolaevitch Tolstoï. Le Tribunal trouvera ce document à la page 272 du livre de documents. Je commence la citation au premier paragraphe. L’académicien A. N. Tolstoï, ainsi que le Tribunal s’en souviendra, était membre de la Commission extraordinaire d’État. Je cite :
« ... Des tortures, exceptionnelles par leur cruauté, furent infligées aux citoyens soviétiques dans les bâtiments de la Gestapo. Par exemple, le citoyen Kovaltchuk Phillip Akimovitch, né en 1891, habitant la ville de Piatigorsk, fut arrêté le 27 octobre 1942 dans sa maison. Il fut battu jusqu’à en perdre connaissance. Il fut ensuite emmené à la Gestapo et jeté dans l’une des cellules. Vingt-quatre heures plus tard, les membres de la Gestapo commencèrent à le torturer. Il était interrogé et frappé seulement pendant la nuit. Pour l’interroger, on le faisait venir dans une cellule séparée où il y avait des appareils de torture : des chaînes étaient fixées au sol cimente de la cellule. Les prisonniers étaient préalablement complètement déshabillés, puis on les mettait par terre et on leur attachait les mains et les pieds avec les chaînes. Le citoyen Kovaltchuk a subi des tortures semblables. Quand il était enchaîné, il ne pouvait absolument pas bouger et était étendu sur le ventre. Dans cette position, il fut frappé avec des matraques de caoutchouc, seize jours de suite. En plus de ces tortures inhumaines, les agents de la Gestapo utilisaient d’autres moyens : ils mettaient sur le dos des prisonniers enchaînés une large planche, et sur cette planche on portait des coups avec des poids très lourds, ce qui provoquait chez le prisonnier des saignements par la bouche, le nez et les oreilles et lui faisait perdre connaissance.
« La cellule de torture de la Gestapo était installée de façon telle que, lorsqu’un prisonnier était torturé, les autres détenus qui se trouvaient dans la cellule voisine et attendaient leur tour pouvaient observer les tortures que subissaient leurs camarades.
« Après la torture, le prisonnier qui avait perdu connaissance était jeté de côté, et la victime suivante était amenée de force par les agents de la Gestapo qui l’enchaînaient également et se mettaient à la torturer de la même façon. La cellule de torture était toujours pleine de sang. La planche qu’on leur mettait sur le dos était aussi toute ensanglantée, ainsi que les matraques de caoutchouc qui servaient à frapper les prisonniers.
« Les citoyens soviétiques arrêtés, voués à l’exécution après ces tortures innommables, étaient emmenés dans un camion en dehors de la ville et fusillés. »
Je passe deux paragraphes et je continue la citation :
« Tchaïka Varvaza Ivanovna, née en 1912, résidant rue Dzerjinsky, n° 31, appartement 3, déclare avoir subi, de la part du chef de la Gestapo, le capitaine Vintz, des tortures atroces, au cours de son séjour en cellule à la Gestapo. Voici ce qu’elle raconte à ce sujet :
« J’ai subi des outrages et des tortures de la part du chef de la Gestapo, le capitaine allemand Vintz. Une fois, il me fit venir pour un interrogatoire dans la cellule de torture. Dans cette cellule, il y avait quatre tables. Par terre il y avait des grilles en bois et deux récipients remplis d’eau dans lesquels trempaient des fouets en cuir. Au plafond, deux anneaux avec des cordes qui « pendaient ; les prisonniers, pendant les tortures, étaient suspendus à ces cordes. Sur l’ordre du capitaine Vintz, les agents de la « Gestapo me placèrent sur la table et m’enlevèrent tous mes vêtements ; ils me battirent longuement avec des fouets. J’ai été battue deux fois. On m’a porté en tout 75 coups de fouet. Je reçus de graves blessures aux reins et je perdis huit dents. »
Ce qui avait lieu dans la chambre de torture de la Gestapo à Stavropol n’était pas une exception. La même chose se passait partout. Pour le prouver, je me réfère au document déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-9, qui est un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les destructions et les atrocités des envahisseurs germano-fascistes dans la ville de Kiev (page 238 du livre de documents, deuxième paragraphe, deuxième colonne). Je cite :
« Des tortures sadiques précédaient souvent les assassinats. L’archimandrite Valerien a communiqué que les fascistes battaient jusqu’à la mort des personnes faibles et malades, les exposaient au grand froid en les arrosant d’eau glacée, pour les fusiller à la fin dans la cave de la Police allemande qui se trouvait dans le monastère de Kiev-Petshersk ». J’attire spécialement l’attention du Tribunal sur le fait que le monastère de Kiev-Petshersk est l’un des plus anciens chefs-d’œuvre architecturaux de l’Union Soviétique ;
c’est un monument particulièrement cher aux Russes, car il représente la culture du passé. La chambre de torture fut aménagée exprès dans ce monastère. Mes collègues vous parleront plus tard du destin de ce monument historique.
Durant l’occupation d’Odessa, les tortures infligées au cours des interrogatoires furent particulièrement cruelles. Je me réfère au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises par les envahisseurs fascistes dans la ville et la région d’Odessa. Ce document est présenté sous le n° URSS-47 et je demande au Tribunal de l’accepter comme preuve, en vertu de l’article 21 du Statut. Le document que je cite est à la page 282 du livre de documents, quatrième paragraphe, alinéa 10. Cet extrait contient les dépositions d’un régisseur de films documentaires, Paul Krapivny. Je cite cet extrait du rapport de la Commission extraordinaire d’État :
« Le juge d’instruction branchait un rhéostat qui se trouvait sur sa table, et lorsque la victime interrogée ne répondait pas à la question comme le voulait le juge d’instruction, la manette du rhéostat augmentait l’intensité du courant. Le corps de l’inculpé commençait à trembler et ses yeux s’exorbitaient. »
Ou bien : « L’intéressé, avec les mains liées derrière le dos, était suspendu au plafond... et on commençait à le faire tourner sur lui-même. Après avoir tourné ainsi jusqu’à deux cents fois, l’inculpé suspendu à la corde tournait en sens inverse à une vitesse folle. Et pendant ce temps, les bourreaux le frappaient des deux côtés avec des matraques en caoutchouc. L’homme perdait connaissance, non seulement à cause de ce mouvement de rotation, mais aussi en raison des coups qu’il recevait. »
Je me réfère à un document déjà présenté par mon collègue, le colonel Pokrovsky, sous le n° URSS-41, qui est le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes des envahisseurs fascistes dans le territoire de la République Socialiste Soviétique de Lettonie. Je cite ce document qui est au verso de la page 286 du livre de documents, paragraphe 2, deuxième colonne du texte. Je lis :
« Dans les camps et les prisons, les bourreaux allemands infligeaient des tortures aux détenus et les fusillaient. Dans la prison centrale, les détenus étaient fusillés et torturés. Nuit et jour, dans les cellules, on entendait crier et gémir. De trente à trente-cinq hommes mouraient chaque jour de sévices. Et ceux qui demeuraient encore vivants après ces tortures étaient ramenés dans leur cellule, méconnaissables, ensanglantés, brûlés, avec des parties du corps déchiquetées. Aucuns soins médicaux n’étaient accordés aux torturés. »
Dans toutes les villes de la République Socialiste Soviétique de Lettonie, les citoyens soviétiques furent soumis à de pareils tortures et sévices.
Des faits analogues peuvent être trouvés dans tous les rapports de la Commission extraordinaire d’État. Je ne veux pas retenir l’attention du Tribunal sur de telles citations, car je crois que ce que j’ai déjà dit est suffisant.
Je passe au chapitre suivant de mon exposé relatif aux assassinats d’otages.
Voici quelques remarques à titre d’introduction :
L’un des crimes les plus honteux des hitlériens en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie fut l’introduction générale par les fascistes nazis du système bestial des otages. Le système des otages fut introduit par les hitlériens dans tous les pays tombés victimes de leur agression. Dans l’est de l’Europe, l’exécution des otages par les criminels allemands prit des proportions exceptionnelles. En introduisant ce système, les hitlériens violèrent toutes les lois et coutumes de la guerre.
Cependant, en ce qui concerne l’Union Soviétique, il est difficile de parler de meurtre d’otages seulement, car les agissements monstrueux des hitlériens dans toute l’étendue des régions temporairement occupées de l’URSS vont même au delà de ce crime. Il en est de même pour la Pologne, et surtout pour la Yougoslavie.
Dans ces pays, sous prétexte de prendre des otages, les hitlériens commirent des crimes de guerre encore pires, dont le but était véritablement l’extermination de peuples entiers. Je vais citer maintenant quelques extraits de documents se rapportant à ces différents pays d’Europe orientale. Je citerai tout d’abord un passage du rapport du Gouvernement de la République polonaise (page 128 du livre de documents, sixième paragraphe). Je Us :
« a) L’un des traits les plus ignobles de l’occupation hitlérienne en Pologne fut le système des otages. La responsabilité collective, le paiement de peines collectives, le marchandage de la vie humaine furent considérés comme les moyens les plus efficaces pour réduire le peuple polonais à l’esclavage.
« b) Voici quelques exemples typiques de répression massive, qui illustrent les méthodes employées par les occupants allemands :
« c) En novembre 1939, un individu inconnu mit le feu à une grange pleine de blé qui se trouvait aux environs de Nove-Miosto-Lubavsko. Cette grange appartenait à un Allemand. En conséquence, un certain SS-Standartenführer, nommé Sperling, reçut l’ordre des autorités supérieures de prendre des mesures de représailles. Un certain nombre de citoyens polonais les plus en vue furent arrêtés, dont quinze furent choisis spécialement et fusillés publiquement par les SS. Parmi les victimes se trouvaient : les deux frères Jankovsky, dont l’un était juriste et l’autre prêtre, le tailleur Maikovsky, le forgeron Zemmy, le commandant de réserve Vona, le fils d’un restaurateur, l’éditeur d’un journal et un prêtre, Bronislav Dembenovsky.
« d) En octobre 1939, les autorités allemandes s’emparèrent d’un certain nombre de Polonais dans la ville de Inovrotziav et les mirent en prison comme otages. Puis, ils les amenèrent dans la cour de la prison où ils les frappèrent sans pitié et les fusillèrent l’un après l’autre. En tout, 70 hommes furent tués, dont le maire et son adjoint. Parmi les victimes se trouvaient les citoyens les plus en vue de la ville. »
Je passe la phrase suivante et je continue :
« e) Le 7 mars 1941, l’acteur de cinéma Igo Sym, qui se considérait comme étant de nationalité allemande (Volksdeutscher) et qui s’occupait des théâtres allemands à Varsovie, fut tué dans son appartement. Bien que les coupables ne furent jamais découverts, le Gouverneur de Varsovie, Fischer, déclara que Sym avait été assassiné par des Polonais et ordonna l’arrestation d’un grand nombre d’otages, la fermeture des théâtres et le couvre-feu pour la population polonaise. Environ 200 personnes furent arrêtées, comprenant des professeurs, des membres du clergé, des médecins, des juristes et des acteurs. On accorda trois jours à la population de Varsovie pour trouver les assassins de Sym. A l’expiration de ce délai, les coupables restant toujours inconnus, 17 otages furent exécutés, dont le professeur Kopetz, son fils et le professeur Sakzchevsky.
Je termine la citation du rapport du Gouvernement polonais et je demande au Tribunal la permission de me référer à un bref extrait du rapport du Gouvernement tchécoslovaque. Le Tribunal le trouvera à la page 141 du livre de documents. Je lis :
« Bien avant le début de la guerre, des milliers de patriotes tchèques, en particulier des prêtres catholiques et pasteurs protestants, des juristes, des médecins, des professeurs, etc., furent arrêtés. En outre, dans chaque région, on dressa des listes des personnes devant être arrêtées comme otages, au premier signe d’atteinte à la tranquillité et à la sécurité publiques. Ce ne furent d’abord que des menaces, mais en 1940, Karl Frank déclara dans son discours aux chefs du « Mouvement de l’Unité nationale » que 2.000 otages tchèques qui se trouvaient dans les camps de concentration seraient fusillés au cas où les hommes d’État tchèques refuseraient de signer la déclaration de loyauté. Quelque temps après l’attentat contre Heydrich, un grand nombre de ces otages furent exécutés. Un exemple typique de la terreur policière nazie était les menaces de représailles contre les directeurs d’usines au cas où des arrêts de travail se produiraient dans les usines. C’est ainsi qu’en 1939 la Gestapo avait convoqué les directeurs et les agents de maîtrise de différentes firmes industrielles et leur avait dit qu’ils seraient fusillés en cas de grève. A la fin de la conférence, ils furent obligés de signer la déclaration suivante : Je prends connaissance du fait que je serai immédiatement fusillé si mon « usine arrête sa production sans raison valable ».
« D’une façon analogue, les instituteurs étaient responsables de l’attitude loyale de leurs élèves. Beaucoup d’instituteurs furent arrêtés, simplement parce que les élèves de leurs écoles furent appréhendés au moment où ils écrivaient des slogans anti-allemands ou parce qu’ils lisaient des livres interdits. »
J’interromps ma citation du rapport du Gouvernement tchèque et je passe à la section qui concerne l’exécution des otages en Yougoslavie.
Quelques mots d’introduction : ces meurtres criminels de paisibles citoyens de Yougoslavie prirent une grande envergure. A vrai dire, on ne peut même plus parler d’exécutions d’otages, bien que tous les documents officiels hitlériens qui seront présentés au Tribunal emploient ce terme. Mais, en fait, sous prétexte d’exécution d’otages, les criminels hitlériens menaient sur une grande échelle un régime terroriste d’extermination des populations civiles, non pas seulement à cause de la soi-disant culpabilité de certains, mais aussi pour les crimes qui, selon Hitler, pouvaient éventuellement être commis dans l’avenir. Pour confirmer cette déclaration, je vais présenter des extraits du rapport du Gouvernement yougoslave (page 259 du livre de documents, paragraphe 1)Je cite :
« Exécution des otages. L’exécution des otages fut l’un des moyens utilisé, sur une vaste échelle, par les organes militaires et le Gouvernement du Reich, pour l’extermination en masse de la population yougoslave. La Commission d’État yougoslave pour la recherche des crimes de guerre dispose sur cette question d’innombrables détails concrets et de preuves authentiques tirées des archives allemandes. Ici, nous ne présentons dans ce document qu’un nombre limité de ces détails et de ces preuves, néanmoins suffisant pour démontrer que le meurtre d’otages n’était qu’une partie d’un plan commun et d’un système méthodique de perpétration de crimes nazis. »
Plus loin, dans le rapport du Gouvernement yougoslave, on peut lire l’ordre du commandant du groupe « Ouest », le général Brauner. En voici un extrait :
« La prise d’otages dans toutes les classes de la population demeure, dans les régions infestées par les partisans, le seul moyen efficace d’intimidation. »
Pour confirmer l’importance des crimes hitlériens en ce qui concerne les meurtres d’otages, le Gouvernement yougoslave soumet au Tribunal cinq documents, que je présente maintenant et que je demanderai au Tribunal de me permettre de joindre au dossier comme preuves : premièrement, sous le n° URSS-261, une photocopie certifiée conforme d’une affiche signée du général commandant en chef en Serbie, datée du 25 décembre 1942, où il annonce l’exécution de 50 otages ; deuxièmement, sous le n° URSS-319, une photocopie certifiée conforme d’une affiche signée du même commandant en chef, en date du 19 février 1943, où il annonce que l’exécution de 400 otages a eu lieu le même jour à Belgrade ; troisièmement, sous le n° URSS-320, une photocopie certifiée conforme, de l’affiche publiée par la Kommandantur de Pozarevatz, datée du 3 avril 1943, où est annoncée l’exécution de 75 otages ; quatrièmement, sous le n° URSS-321, une photocopie certifiée conforme d’une affiche de la Kommandantur régionale à Pozarevatz, du 16 avril 1943, qui se rapporte à l’exécution de 30 otages ; cinquièmement, une copie certifiée conforme d’une affiche du commandant militaire de Belgrade, en date du 14 octobre 1943, annonçant l’exécution de 100 otages. Je présente ce document sous le n° URSS-322.
Je continue ma citation du rapport du Gouvernement yougoslave :
« Le meurtre systématique des otages est démontré par les renseignements suivants, qui furent recueillis par la commission d’enquête du Gouvernement yougoslave sur les crimes de guerre et qui sont basés sur les archives allemandes saisies. Ces déclarations se rapportent à la Serbie seule :
« Le 3 octobre 1941, à Belgrade, ont été fusillés 450 otages ; le 17 octobre 1941, à Belgrade, ont été fusillés 200 otages ; le 27 octobre 1941, à Belgrade, ont été fusillés 50 otages ; le 3 novembre 1941, à Belgrade, ont été fusillés 100 otages ;
« D’autres renseignements montrent une recrudescence effroyable de ces crimes à mesure que le temps s’écoule :
« Le 12 décembre 1942, à Kraguevatz, ont été fusillés 10 otages ;
le 12 décembre 1942, à Krusevatz, ont été fusillés 10 otages ; le 15 décembre 1942, à Brush, ont été fusillés 30 otages ; le 17 décembre 1942, à Petrowitz, ont été fusillés 50 otages ; le 20 décembre 1942, à Brush, ont été fusillés 10 otages ; le 25 décembre 1942, à Petrowitz, ont été fusillés 50 otages ; le 26 décembre 1942, à Brush, ont été fusillés 10 otages ; le 26 décembre 1942, à Petrovatz, ont été fusillés 250 otages ; le 27 décembre 1942, à Krusevatz, ont été fusillés 50 otages. »
On peut, je crois, vraiment dire, ainsi que l’affirme le Gouvernement yougoslave dans son rapport, que la liste de ces chiffres constitue à elle seule une preuve irréfutable. Je continue la citation :
« L’exécution d’otages était généralement conduite de façon barbare. Le plus souvent, les victimes étaient obligées de se mettre en groupe, les unes derrière les autres, en attendant leur tour et en observant l’exécution des groupes précédents. Ainsi, l’un après l’autre, tous les groupes étaient exterminés. »
Je soumets au Tribunal, sous le n° URSS-250, un rapport établi par le service de Police du Gouvernement « Quisling » de Milan Neditch. On y parle de l’exécution, le 11 décembre 1941, à Leskovatz, de 310 otages, dont 293 gitans. Je continue à citer le rapport du Gouvernement yougoslave :
« En examinant les lieux et en interrogeant les gitans, la direction régionale de la commission d’enquête sur les crimes de guerre à Leskovatz a établi les méthodes de cette exécution ». Avant de lire la citation, je présente au Tribunal le document auquel se réfère le Gouvernement yougoslave, sous le n° 226, en demandant la permission de le joindre au dossier en qualité de preuve. Dans le rapport yougoslave, on cite les lignes suivantes de ce document :
« Le 11 décembre 1941, de 6 heures du matin jusqu’à 4 heures de l’après-midi, les Allemands transportèrent dans leurs camions des otages arrêtés, par groupes de 20 hommes, les mains liées, jusqu’au pied de la montagne de Hisar. Là, ils furent forcés de grimper à pied dans la montagne... Ils furent rangés le long de tombes nouvellement creusées ; puis on les fusilla et on jeta les cadavres dans les tombes. »
Colonel Smimov, le Tribunal apprécie les efforts que vous avez faits pour exclure tout détail inutile et pour abréger vos explications. Le Tribunal espère que vous continuerez à faire tout votre possible en ce sens.
Certainement, Monsieur le Président.
L’audience est levée.