SOIXANTE ET UNIÈME JOURNÉE.
Lundi 18 février 1946.
Audience du matin.
J’ai une déclaration à faire et je diviserai mon exposé en paragraphes, comme suit :
1. Le Tribunal ne peut accepter le paragraphe 1 de la demande du Ministère Public en date du 11 février 1946 ayant rapport aux documents à décharge présentés par les accusés, mais ordonne cependant, conformément à l’article 24, d du Statut, que les avocats limitent leur documentation au strict minimum nécessaire à la réfutation des charges contenues dans l’Acte d’accusation.
Le Tribunal annoncera plus tard les décisions prises en ce qui concerne les paragraphes 2 à 5 de la requête du Ministère Public.
2. Concernant la nomination des témoins, etc., par la Défense, conformément à l’article 24, d du Statut, questions auxquelles se réfère le premier paragraphe du mémorandum en date du 4 février 1946, adressé au Tribunal par le Dr Stahmer, le Tribunal prescrit ce qui suit :
Afin d’éviter que la convocation des témoins et que la déposition des documents ne prennent trop de temps, sans préjudice du droit des accusés de pouvoir présenter de nouvelles requêtes une fois l’exposé des preuves par le Ministère Public terminé, chacun des avocats des accusés Göring, Ribbentrop, Hess et Keitel, est chargé de faire parvenir au Secrétariat général avant le jeudi 21 février, 5 heures de l’après-midi, une déclaration écrite, donnant les noms des témoins qu’il désire faire comparaître et le contenu des documents qu’il désire présenter, le tout accompagné d’un résumé des faits que l’on veut prouver par là même, ainsi que d’un exposé sur leur signification.
Le Tribunal fixe au samedi 23 février, 10 heures du matin, la séance publique, au cours de laquelle il pourra être pris position vis-à-vis de ces déclarations.
3. Le Tribunal donnera, en temps voulu, des directives pour de semblables déclarations concernant les autres accusés.
4. Le Tribunal fera connaître plus tard les décisions prises par lui sur d’autres questions soulevées par le mémorandum du Dr Stahmer.
Le Tribunal entendra maintenant la requête des avocats relative à une demande de suspension d’audience.
La Défense est reconnaissante au Tribunal de lui avoir accordé la possibilité de lui expliquer plus à fond aujourd’hui les raisons qui lui firent déposer le 4 février une requête demandant la suspension des débats une fois la présentation des preuves terminée. Cette demande englobe une série de propositions qui permettraient à la Défense d’étudier les faits incriminés d’une façon simple, sûre et aussi rapide que possible. Seuls, à mon avis, quelques points de la requête nécessitent de plus amples explications.
L’accusation portée contre chacun des accusés est d’avoir pris part à un complot. Cela signifie, chacun doit le réaliser clairement, que toute action reconnue criminelle au cours de ce Procès par le Ministère Public sera — mise à part toute considération d’auteur ou de complicité — reprochée à chacun des accusés et que chacun d’eux pourra être condamné pour ce fait.
Normalement, chaque avocat n’a à étudier plus particulièrement que certains sujets bien déterminés. Il n’existe cependant pas de domaine dont il puisse se désintéresser complètement.
Comme la plupart des avocats ne sont assistés que d’une seule personne — beaucoup travaillent même seuls — on peut par là même mesurer l’ampleur de la tâche que leur imposent l’étude et la discussion de la documentation qui leur est communiquée journellement par l’Accusation. Les indispensables entretiens avec les accusés absorbent nos heures du soir et les journées sans audience. Ces entretiens sont, de plus, rendus particulièrement pénibles par les mesures de sécurité. De ce fait, les défenseurs ne sont plus en mesure, cela se comprend facilement, de s’acquitter, en plus de leur participation aux audiences et du travail habituel de dépouillement de la documentation, du travail préparatoire, tant théorique que pratique, qui incombe à la Défense dans un procès de cette importance. On n’a pas encore terminé de produire la documentation. La Délégation russe apporte journellement de nouveaux documents. Ce serait, de l’avis de la Défense, mésestimer la portée et le poids de l’accusation portée actuellement par la Délégation russe, que d’exiger des avocats qu’ils cessent l’élaboration de la Défense, alors que l’Accusation n’est elle-même pas terminée.
Le Tribunal s’est déjà vu indiquer dans la requête les difficultés que l’on trouve à se procurer les documents probatoires nécessaires. Nous pouvons citer ici quelques exemples de ces difficultés, exemples auxquels chaque défenseur pourrait ajouter les siens.
Un défenseur avait, en novembre de l’année dernière, demandé la comparution d’un témoin extrêmement important dont la déposition était la clef de voûte de sa défense. La demande fut acceptée par le Tribunal. Bien qu’il s’agisse là d’un très haut fonctionnaire allemand, ce ne fut qu’en janvier de cette année que l’on put déterminer le camp dans lequel il se trouvait. Le témoin n’est pas encore, à ce jour, arrivé à Nuremberg. Le défenseur n’a, de ce fait, à l’heure actuelle, aucune idée des questions qui peuvent être posées au témoin et de la façon dont il répondra. Dans de nombreux cas, le lieu du séjour de tels témoins n’a pas encore pu être déterminé, bien qu’il s’agisse de témoins qui aient été convoqués par le Tribunal en novembre ou décembre dernier.
De plus, les défenseurs, toutes les fois que les témoins se trouvent dans des camps de prisonniers alliés et que ces témoins n’ont pas la possibilité d’indiquer leur lieu de résidence, ne peuvent pas aider à leur découverte.
On a invité une partie des défenseurs, pour permettre à certains témoins résidant actuellement hors d’Allemagne de déposer, à leur envoyer des questionnaires permettant à ces témoins de déposer à leur propre lieu de résidence.
Jusqu’à ce jour, de semblables questionnaires remplis ne sont, en aucun cas, revenus entre les mains des défenseurs intéressés.
En ce qui concerne les témoins vivant en Allemagne, on a plusieurs fois invité les défenseurs, soit à conduire eux-mêmes l’interrogatoire, soit à produire une déclaration écrite. Étant donné que les défenseurs ne peuvent quitter Nuremberg pendant les sessions, ils ne peuvent s’acquitter de cette tâche que si une longue interruption des débats intervient. Pour finir, un des défenseurs a, au début de novembre, demandé la production d’une série de documents qui sont indispensables à sa défense. Ces documents sont en la possession d’une des puissances signataires du Statut. Ils ont été examinés par les Ministères Publics et présentés par eux comme concourant à l’inculpation de l’accusé intéressé.
Le défenseur, jusqu’à présent, n’a pu encore prendre possession de ces documents à charge.
Nous voudrions, en plus, attirer à nouveau l’attention sur les difficultés techniques que soulèvent la traduction et le tirage en série des documents qui sont à produire par la Défense.
Un moment, Professeur Kraus. Vous parlez d’un document que vous dites indispensable, qui se trouverait entre les mains d’une puissance signataire du Statut, qui a été examiné par l’Accusation et produit comme preuve à ce Procès. Le document n’aurait cependant jamais été mis à la disposition de l’accusé. De quel document s’agit-il ?
Monsieur le Président, il s’agit d’une collection de documents dont les parties à charge ont été présentées par le Ministère Public, mais dont nous n’avons pas encore pu obtenir les parties à décharge. Monsieur l’avocat Kranzbühler pourra vous communiquer de plus amples informations à son sujet, car le cas le concerne.
Je sais que le Dr Kranzbühler a fait une demande. S’il est réellement question d’une portion de document, le Tribunal a déjà, à plusieurs reprises, spécifié que lorsque l’Accusation produit des portions de document, le document entier« doit être néanmoins mis à la disposition des avocats afin de leur donner la possibilité de commenter, de critiquer tout passage du document qui éclairerait d’un tout autre jour la portion déposée comme preuve.
Il s’agit d’un ensemble de documents et non pas d’un document unique, Monsieur le Président. Et le Dr Kranzbühler essaye d’obtenir maintenant les documents de cet ensemble qui sont à décharge, alors que seule la partie à charge a été déposée au Tribunal.
Très bien, continuez.
Les défenseurs sont reconnaissants à l’Accusation pour l’aide empressée qu’ils ont reçu d’elle dans la résolution des questions techniques. Les grandes difficultés que l’Accusation elle-même a rencontrées en la matière et qui, à plusieurs reprises, ont été discutées devant ce Tribunal, prouvent suffisamment que pour préparer convenablement un procès de cette importance, il faut un certain temps. La Défense tient à assurer le Tribunal de son intention de ne pas prolonger inutilement le Procès. Elle est pourtant d’avis qu’une préparation insuffisante avant le début de la Défense ne ferait qu’entraîner des retards correspondants, dans le cours même de la Défense. Le résultat d’une telle défense ne donnerait pas au Tribunal, dans les conditions où elle serait faite, la possibilité de prendre une décision équitable.
La Défense pense être d’accord avec le Tribunal sur le fait qu’un procès aussi important pour l’histoire de l’Humanité doit être conduit jusqu’au dernier jour avec la maîtrise et la réflexion qui, jusqu’à présent, l’ont caractérisé. D’autre part, l’impatience compréhensible de certains esprits qui voudraient voir le Procès se terminer rapidement peut entrer en ligne de compte. C’est dans ce sens que la Défense demande à l’Accusation de l’appuyer dans sa demande. Le délai demandé de trois semaines ne saurait être exagéré en proportion du laps total de temps que l’Accusation a jugé nécessaire pour terminer ce Procès.
Ce délai tiendrait compte aussi de ce que les défenseurs se trouvent dans une situation, tant morale que matérielle, difficile pour mener à bien leur défense.
Nous tenons à souligner aussi qu’une partie d’entre nous s’est ralliée à cette demande, bien que les accusés qu’ils représentent souhaitent une fin rapide de ce Procès. Mais nous sentons en conscience, et de par nos obligations professionnelles d’avocats, que nous n’avons pas à leur obéir.
C’est pourquoi je demande au Tribunal de vouloir bien prendre connaissance du fait qu’après discussion grave et approfondie avec mes collègues, nous sommes tous sans exception arrivés à la conviction que ce délai demandé de trois semaines représente un minimum que nous considérons comme indispensable pour nous permettre de préparer convenablement notre défense.
Professeur Kraus, le Tribunal aimerait savoir, dans la mesure où vous pouvez répondre à la question, si les avocats ont déjà découvert la totalité ou une grande partie des témoins qu’ils veulent faire comparaître et s’ils ont déjà décidé quels témoins ils désirent appeler.
Je ne peux pas répondre à cette question. Cela nécessiterait une enquête. A ma connaissance, il en va différemment suivant chaque cas. A ce point de vue, certains défenseurs sont moins prêts que d’autres et certains ne le sont pas du tout.
Plaise au Tribunal. Je crois qu’il serait indiqué, si j’ai bien suivi l’exposé remarquablement clair du Professeur Kraus, d’attirer l’attention du Tribunal sur deux aspects de la question :
1. Ce que le Professeur Kraus appelle la préparation intellectuelle ;
2. Les nécessités techniques relatives à la préparation de la Défense.
Sur le premier point, je renvoie le Tribunal au contenu de la demande écrite du Dr Stahmer à laquelle le Professeur s’est, en gros, rallié aujourd’hui. Il y est dit qu’une interruption des débats serait nécessaire pour préparer la Défense, une fois l’Accusation terminée, c’est-à-dire lorsque le Ministère Public sera disponible. En second lieu, les avocats de la Défense n’ont pas jusqu’à présent eu le temps de préparer leurs plaidoyers, ce qui assurerait un déroulement normal des débats.
Enfin, en troisième lieu, une ligne ou deux plus bas, on ne peut pas légitimement exiger des avocats qu’ils soient sur-le-champ en état de prendre position sur toutes les questions.
Je me permets d’attirer l’attention du Tribunal sur quelques dates. L’Acte d’accusation a été présenté à ce Procès le 18 octobre, c’est-à-dire il y a exactement quatre mois aujourd’hui. Les accusés ont tout de suite pris connaissance de l’Acte d’accusation et ce document est d’une telle notoriété que l’on peut escompter à bon droit que les avocats se seront assimilés assez rapidement son contenu, tout au moins les passages d’une portée générale. Le général Nikitchenko, qui présidait le Tribunal, avait alors déclaré à Berlin : il doit bien être dit que le Tribunal qui garantit dans les stipulations du Statut une procédure rapide quant aux questions soulevées par l’Accusation, ne tolérera aucun retard dans la préparation de la Défense ni du Procès. Je rappelle au Tribunal que l’Acte d’accusation recèle probablement plus de détails qu’aucun autre acte d’accusation dans l’histoire du Droit.
Le troisième point auquel je veux faire allusion est qu’une liste préliminaire des documents a été mise à la disposition des accusés à leur centre d’information, le 1er novembre. Ces premiers documents, bien que cette documentation soit incomplète, se chiffrent par plusieurs centaines et ont été déposés le 5 novembre.
A l’exception du Dr Bergold, avocat de l’accusé Bormann, tous les avocats des différents accusés étaient nommés au 10 novembre.
Puis, quatre discours détaillés furent prononcés par le Ministère Public, soulignant l’ampleur et l’importance de l’Accusation. Tout avocat ayant quelque expérience sait la haute importance que la Défense attache au discours d’ouverture qui expose les faits.
Comme l’a dit le Professeur Kraus, depuis le début de novembre, différentes demandes de comparution de témoins ont été faites. Je traiterai plus tard de différents points particuliers à ces demandes. Je voudrais cependant, dès maintenant, remarquer, sans entrer dans les détails, que toute personne qui a lu ces requêtes ne peut pas ne pas se rendre compte que la Défense a non seulement très rapidement estimé à sa juste valeur l’importance du cas dont elle se chargeait, mais a tout de suite déterminé la ligne de conduite qu’elle désirait suivre.
Autre chose : après que tous les accusés eurent été mis au courant des chefs d’accusation n° 5 1 et 2, conspiration concertée et guerre d’agression, ils se virent accorder, à Noël, une suspension de douze jours et le Président souligna, à cette occasion, que l’on en avait décidé ainsi pour leur donner aussi le temps de préparer leur défense. Je dois dire franchement que la plupart d’entre nous avons déjà eu à nous occuper d’importants procès où des vies humaines étaient en jeu, et que jamais il n’y fut question de quelque ajournement que ce soit. Mais je ne m’arrêterai pas à cela. Je voudrais maintenant relever que, pour ce qui est des chefs d’accusation 1 et 2, conspiration concertée et guerre d’agression, tous les accusés sont également impliqués et que tous les documents ayant trait à la question sont repris pour chaque accusé. Chacun des avocats est entré en possession de ces documents à la mi-janvier au plus tard. Tous les mémoires étaient terminés au 17 janvier, à l’exception de quatre. La question fut complétée par les exposés de MM. Dubost et Quatre, ainsi que ceux de mes collègues soviétiques. En outre, les transcripts dont chaque accusé reçoit un exemplaire en allemand montrent l’importance, le poids, que le Ministère Public attache aux accusations individuelles.
Nous savons tous par expérience que l’on ne peut préparer une défense, quelle que soit la nature du procès, sans devoir travailler même la nuit, mais je tiens à faire remarquer au Tribunal que l’aide apportée à la Défense, ainsi que le temps à elle accordé, sont considérables dans le cas présent.
Je parlerai plus brièvement du côté purement technique de cette affaire, car le Professeur Kraus a été assez loyal pour reconnaître que le Ministère Public a bien aidé la Défense en la matière. Je voudrais d’ailleurs ajouter que nous sommes prêts, pour tout ce qui est photocopie de documents allemands, copie ou tirage en grand de documents quels qu’ils soient, mise à la disposition de la Défense d’un personnel de bureau plus nombreux, à satisfaire toute demande qui nous sera adressée, même plus conséquente, dans la mesure cependant où cela nous sera possible.
Je vais maintenant aborder un point essentiel auquel le Professeur Kraus a déjà fait allusion, à savoir que le Ministère Public s’est vu accorder un temps considérable pour préparer, pour parachever ses exposés, et que la Défense pourrait revendiquer des droits correspondants.
A mon avis, je me permets de vous soumettre respectueusement cette opinion ; il existe une différence essentielle entre la tâche de l’Accusation et celle de la Défense. Le Ministère Public doit étudier l’ensemble du problème, tandis que la Défense choisit les points sur lesquels elle se défendra. Je ne peux de ce fait approuver le point de vue du Professeur Kraus, selon lequel il s’agirait d’autre chose ici, où nous avons affaire à une accusation de complot. Que l’accusation soit complot ou non, il y a certains faits qu’on ne peut discuter. Comme le Dr Stahmer l’indique dans son mémorandum, il y a des faits qui peuvent faire l’objet de controverses juridiques ou prêter à discussion quant aux conclusions qu’on peut en tirer. Le fait qu’une accusation est basée sur le complot ne change rien au fait que certaines questions peuvent ou ne peuvent pas être réfutées d’une façon probante.
Pour ma part, je ne suis pas jusqu’à présent arrivé à comprendre comment on pouvait conclure que, par exemple, la remise sur pied de l’Armée allemande, l’occupation de la Rhénanie, l’Anschluss de l’Autriche, l’existence de camps de concentration et les conditions qui y régnaient, la plupart des agissements de certaines divisions SS et d’autres organisations aux ordres de Himmler et tous autres faits reprochés pouvaient être un seul instant contestés, étant donné que les avocats ont eu la possibilité de contre-interroger des témoins sur ces questions et que ces contre-interrogatoires n’ont amené aucune justification des objections portées contre ces affirmations.
Je ne mets aucunement en doute, ce faisant, le bien-fondé de la décision prise ce matin par le Tribunal, ni ne cherche à l’ébranler. Je l’accueille au contraire avec un grand empressement, ce qui est tout naturel. J’espère cependant que le Tribunal ne me reprochera pas de révéler à titre explicatif que l’Accusation désirait, pour aider la Défense, résoudre les questions en litige et était prête, quant à elle, à accepter qu’un certain laps de temps lui soit accordé dans ce but. Mais les avocats ont affirmé — je n’en éprouve aucun ressentiment — qu’ils ne pouvaient le faire.
Je ne voudrais pas que le Tribunal puisse penser que nous ne sommes pas raisonnables, que nous manquons de compréhension. Nous savons, car nous avons aussi étudié l’autre aspect de la question, que certains problèmes techniques doivent être résolus, que l’argumentation doit être mise sur pied avant de pouvoir attaquer un cas. Nous comprendrions parfaitement que les défenseurs de Göring, Hess et Ribbentrop aient besoin d’un jour ou deux pour y voir plus clair. Je tiens cependant à affirmer sans ambages qu’à notre avis ce travail n’exige certainement pas une suspension de trois semaines.
Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit le Professeur Kraus, à savoir qu’il faut sauvegarder la dignité du Procès. Et à mon humble avis, il n’est pas nécessaire pour ce faire qu’il se déroule lentement. Ce serait non seulement un tort, mais bien plus, ce serait aller à rencontre de la clause du Statut auquel s’est référé le général Nikitchenko à Berlin.
En ce qui concerne les témoins, comme le Tribunal le sait, certaines difficultés se présentent en ce sens que les défenseurs ont d’abord demandé de nombreux témoins qui seront appelés à se répéter. Que deuxièmement ils n’ont commencé que depuis peu à se faire une idée exacte des témoins essentiels. Le Tribunal décidera d’ailleurs en la matière, comme il l’a déjà indiqué.
Je voudrais encore aborder un dernier exemple. Le Professeur Kraus a parlé de certains documents demandés par le Dr Kranzbühler. Il s’agissait, d’après ce que j’ai compris, du Journal des sous-marins. J’ai fait en sorte que l’assistant du Dr Kranzbühler puisse aller à Londres et examine à loisir ces documents à l’Amirauté. Telle est notre réponse. Je pense que cette façon de procéder est le meilleur moyen d’aider la Défense à entrer en possession des documents qu’elle désire.
Monsieur le Président, j’ai presque épuisé le temps qui m’est accordé et je conclus en disant que le Ministère Public a dû examiner et coordonner des actes qui s’étendent sur douze ans, et quelquefois vingt ans. Nous avons rassemblé et coordonné toute une documentation sur ces actes. Ce Procès, tel qu’il est présenté, s’appuie principalement sur des déclarations écrites ou rapportées par écrit, des accusés eux-mêmes.
La tâche des avocats est d’expliquer le sens des paroles des accusés, de démontrer irréfutablement que cela a bien été dit par eux. Ils ont eu pour ce faire les délais que je viens de mentionner et je ne veux pas me répéter. Les choses étant ainsi, l’Accusation, qui ne désire qu’aider la Défense dans la mesure du possible, tient à affirmer que la Défense ne peut raisonnablement demander des délais supplémentaires pour étudier, examiner les grandes lignes de ce Procès. De ce fait, nous nous prononçons respectueusement mais inéluctablement contre tout ajournement de plus de quelques jours, car le parachèvement des préparatifs et la mise en ordre des documents nécessite dans la pratique au plus une semaine, peut-être même moins.
Telle est, Monsieur le Président, le point de vue de mes collègues.
Le Tribunal va examiner la question et se prononcera ensuite. L’audience sera suspendue cet après-midi à 4 heures pour permettre d’examiner le reste des questions soulevées par le mémorandum du Dr Stahmer.
Très bien. Je voudrais encore, pour en finir, comme mes collègues m’ont demandé de le faire, préciser une question. Personnellement, je ne me suis pas prononcé dans mon exposé pour tel ou tel laps de temps. En effet, une fin de semaine peut entrer en ligne de compte, de même que de nombreux autres facteurs qu’il faut prendre en considération. Mes collègues tiennent cependant à faire savoir au Tribunal que si, à leur avis, l’on tient compte de l’époque à laquelle l’exposé de la Délégation soviétique se terminera, de même que les débats sur les organisations pour lesquels un certain temps est prévu, deux jours devraient suffire amplement bien que, comme je viens de le dire, éventuellement une fin de semaine peut s’y ajouter. Je voudrais que l’on se rende bien compte que notre décision est définitive. Merci.
Colonel Smirnov, voulez-vous continuer votre exposé ?
Je continue mon exposé en présentant de nouveaux cas concernant la Yougoslavie.
En vue de prouver que les exécutions criminelles d’otages ont pris en Yougoslavie une énorme extension, le Gouvernement yougoslave a fourni toute une série de photocopies de documents certifiés conformes et même de nombreux originaux. Je ne commenterai pas longuement ces documents ajoutés au rapport du Gouvernement yougoslave et je me limiterai à les présenter au Tribunal. Ces documents sont en effet suffisamment éloquents par eux-mêmes et n’ont pas besoin de commentaires. Je présente sous le n° URSS-256 (a) l’original d’une affiche du 12 août 1941 annonçant l’exécution de dix otages. Cette affiche est signée par le commissaire de Police de Lashko (Lask), Hradetzky.
De plus, je présente sous le n° URSS-148 la photocopie certifiée conforme d’une affiche annonçant une nouvelle exécution de 57 personnes. L’affiche est datée du 13 novembre 1941 et signée Kutschera.
Ensuite, je présenterai sous le n° URSS-144 la copie certifiée conforme d’une affiche du 21 janvier 1942 relative à l’exécution de quinze otages. Cette affiche-ci est signée Roesener.
Je présente sous le n° URSS-145 la photocopie certifiée conforme d’une affiche annonçant l’exécution de 51 otages en 1942 (date non précisée). Affiche également signée Roesener.
Le n° URSS-146 est l’original d’une affiche du 31 mars 1942 relative à l’exécution de 29 otages et encore signée Roesener.
Enfin je présente sous le n° URSS-147 la photocopie certifiée conforme d’une affiche selon laquelle le 1° juillet 1942, 29 otages ont été exécutés. A mon avis, il ressort clairement de cet ensemble de documents que l’exécution d’otages était pratiquée en Yougoslavie sur une grande échelle et systématiquement par les autorités allemandes.
Pour terminer ma démonstration sur la question, je présente au Tribunal, sous le n° URSS-304, un extrait du rapport n° 6 de la Commission extraordinaire du Gouvernement yougoslave pour la découverte des crimes de guerre. Je ne lirai que le premier paragraphe du rapport :
« Un groupe d’otages a été publiquement pendu aux crochets qui, habituellement, servent aux bouchers à pendre leur viande, à Celje. A Maribor, cinq des futures victimes furent contraintes de déposer le groupe d’otages fusillés avant eux dans des caisses et de charger ces caisses sur des camions. Ces cinq otages furent ensuite fusillés et les cinq suivants furent obligés d’effectuer le même travail. Et ainsi de suite. La rue Sodna à Maribor était couverte du sang qui ruisselait des camions. »
Si nous voulons présenter au Tribunal un tableau complet de ce que fut la domination terroriste des nazis dans les pays de l’Est européen, nous devons, tout au moins il nous le semble, ne pas passer sous silence la Grèce, qui fut aussi victime de la terreur nazie.
Par conséquent, je présente au Tribunal Militaire International un rapport du Gouvernement de la République grecque. Ce rapport est signé par l’ambassadeur de Grèce en Grande-Bretagne, ainsi que par un représentant du ministère des Affaires étrangères britannique et dûment certifié. Je vais lire de courts extraits de ce rapport qui a trait à la terreur allemande en Grèce et au système criminel des otages.
L’Allemagne déclara la guerre à la Grèce le 6 avril 1941, et le 31 mai déjà, le commandant allemand d’Athènes promulguait une ordonnance terroriste contre la population civile de Grèce. Le prétexte en était que, le 30 mai 1941, des patriotes grecs avaient enlevé la croix gammée de l’Acropole. Je vais lire un extrait de cet ordre du Commandant en chef allemand en Grèce. Cet extrait du rapport grec se trouve à la page 33 de la traduction russe. Cet ordre annonce de sévères châtiments pour les raisons mentionnées ci-après :
a) Attendu que dans la nuit du 30 au 31 mai, le pavillon de guerre allemand qui flotte au-dessus de l’Acropole a été enlevé par des inconnus (les coupables de cet acte et leurs complices seront punis de la peine de mort) ;
b) Attendu que la presse et l’opinion publique continuent toujours à exprimer ouvertement leur sympathie pour les Anglais, à présent chassés du continent européen ; » (Même des sympathies pour les Anglais étaient punies.)
c) Attendu que les événements en Crète (le commandant allemand fait ici visiblement allusion à la résistance légitime de la population crétoise) ne sont pas désapprouvés, mais tout au contraire approuvés par de nombreuses personnes ;
d) Attendu que, bien que cela soit expressément défendu, on continue toujours à manifester de la sympathie aux prisonniers anglais en leur offrant soit des fleurs, soit des fruits, soit des cigarettes, et que la Police grecque laisse faire au lieu d’intervenir avec tous les moyens dont elle dispose ;
e) Attendu que la grosse majorité de la population d’Athènes se conduit de façon inamicale envers les Forces armées allemandes... »
A partir de ce moment régna en Grèce un régime de terreur semblable à ceux instaurés par les nazis dans tous les territoires occupés par eux. Pour le confirmer, je cite un passage du rapport du Gouvernement grec, page 34 de la traduction russe. Je cite à partir de la quatrième ligne :
« En violation de l’article 50 de la Convention de La Haye, ils punissaient des innocents sous prétexte que la population entière devait être rendue responsable des actes perpétrés par quelques individus. Vouant également la population à la famine, ce moyen devait leur servir à affaiblir la résistance grecque.
Peu de gens comparaissaient devant des tribunaux militaires et, même dans ce cas, il ne s’agissait que d’une comédie grotesque. La politique de représailles comprenait la capture et l’exécution d’otages, des fusillades massives, le pillage et la destruction de villages, en représailles d’actions hostiles, conduites dans les environs, par des inconnus.
De ce fait, la grosse majorité de ceux qui étaient exécutés étaient des gens qui avaient été pris de façon tout à fait arbitraire dans les prisons et les camps et n’avaient rien à faire avec les faits en représailles desquels ils étaient exécutés. La vie de l’individu ne tenait qu’au bon vouloir du commandant local.
Il me semble juste de considérer le meurtre de milliers de personnes mortes de faim en Grèce comme l’un des moyens de terreur les plus efficaces employés par les fascistes allemands en Grèce. Dans le rapport du Gouvernement grec, à la page 236 (a) du texte russe, on dit à ce sujet ce qui suit :
« Sans aucun doute, la grosse majorité de la population grecque fut près de mourir de faim au cours des trois dernières années. Des milliers d’hommes devaient endurer la faim jusqu’à ce que finalement ils se voient secourus par mer. Le résultat en fut une mortalité accrue de 500 à 600% à Athènes, et de 800 à 1000% dans les îles. Pendant la période allant d’octobre 1941 à avril 1942, 27% des nouveaux-nés moururent et la santé de ceux qui survécurent était très précaire. »
Dans le rapport du Gouvernement grec, on cite aussi des extraits des rapports des missions neutres. Je cite un de ces passages, à la page 38 du texte russe. Je commence :
« Au cours de l’hiver 1941-1942, au moment où la famine régnait dans la capitale, les conditions en province étaient encore relativement supportables. Mais au cours de l’hiver suivant, le marché libre ayant épuisé les approvisionnements envoyés par le Canada pour venir en aide aux grandes villes, la situation se modifia du tout au tout. Au cours de notre premier voyage d’enquête en Grèce pour nous rendre compte des conditions générales, en mars 1943, nous avons rencontré des gens qui demandaient littéralement en pleurant un morceau de pain. La population de nombreux villages vivait uniquement d’un pain fait de farine ersatz, de poires sauvages et de glands, nourriture qui généralement est réservée aux porcs. Dans de nombreuses régions, les gens n’avaient pas d’autre pain depuis décembre. Nous étions invités dans les maisons et on nous montrait des casiers vides et des garde-manger vides.
« Nous avons vu des gens faisant cuire de l’herbe, sans beurre ni sel, simplement pour se remplir l’estomac. La population des villages les plus pauvres avait complètement dépéri. Les enfants étaient dans un état particulièrement déficient. Leurs bras et leurs jambes étaient squelettiques et leurs ventres rebondis. Ils avaient perdu la vitalité et la joie et étaient apathiques et épuisés. Il était extrêmement fréquent que la moitié des enfants soient incapables d’aller à l’école. »
Extrait du rapport de la Délégation suédoise, envoyée en janvier 1944, dans les îles du Péloponèse.
Pour montrer à quel point la méthode employée en Grèce par les criminels hitlériens et consistant à s’emparer d’otages fut poussée loin, je citerai des passages également empruntés au rapport du Gouvernement grec. De ce rapport, il ressort que, dès les premières semaines de l’occupation, les troupes nazies pratiquèrent l’exécution d’otages sur une grande échelle en Grèce. Je cite à ce sujet un extrait du rapport du Gouvernement grec, page 41 du rapport. J’en commence la citation, dans le texte russe, à la troisième ligne à partir du haut :
« Les otages étaient pris sans aucune discrimination, dans toutes les classes de la société ; il s’agissait de personnalités politiques, de professeurs, de savants, de juristes, de médecins, d’officiers, de fonctionnaires, de prêtres, d’ouvriers, de femmes Tous étaient étiquetés « communistes » ou « suspects » et envoyés dans des prisons ou camps de concentration.
« Au cours des interrogatoires, les détenus étaient soumis à toutes sortes de tortures raffinées. Les otages étaient enfermés dans des camps de concentration dans lesquels des prisonniers étaient soumis à un régime intolérable. »
Dans le rapport du Gouvernement grec, également à la page 41 du texte russe, il est dit à ce sujet :
« On laissait les détenus mourir de faim. Ils étaient battus et torturés. On les obligeait à vivre dans des conditions absolument inhumaines. Ils ne recevaient aucun médicament ni soins sanitaires. Ils étaient livrés au sadisme raffiné des gardes SS. Beaucoup d’entre eux étaient fusillés ou. pendus. Beaucoup sont morts des mauvais traitements reçus ou bien de faim. Seule une minorité recouvra la liberté et put vivre les journées qui virent la libération de leur patrie. Des otages étaient envoyés dans les camps de concentration d’Allemagne. C’est ainsi qu’un certain nombre de Grecs se trouvaient à Buchenwald, à Belsen, à Dachau, etc. »
Dans ce rapport on cite le chiffre total des otages assassinés. A cette même page 41, il est dit : « Environ 91.000 otages ont été fusillés. »
Pour vous permettre d’évaluer à sa juste valeur l’étendue des crimes que les hitlériens commirent en Union Soviétique à la suite de leur programme d’extermination de la population civile, je prie le Tribunal de bien vouloir se référer à la page 299 du livre de documents, où l’on trouve...
Vous avez abordé un sujet autre, qui ne se rapporte plus à la Grèce ?
Oui.
Nous interrompons l’audience pour quelques minutes.
Avec votre permission, Monsieur le Président, je laisserai de côté, sur les désirs du Tribunal, quelques documents. Comme ces passages que je sauterai sont étendus, je vous demande de pouvoir indiquer chaque fois aux interprètes le nombre de pages sautées.
Je demande au Tribunal de porter son attention sur un document qui témoigne à quel point l’extermination des citoyens soviétiques fut poussée dans les territoires momentanément occupés de l’URSS. Pour le prouver, je me réfère à un document que Messieurs les Juges trouveront page 291 du livre de documents, à la fin du dernier paragraphe, première et deuxième colonne. Il s’agit d’un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les dévastations, les pillages et les atrocités commises par les envahisseurs germano-fascistes dans la ville et la région de Rovno. Je dépose ce document sous le n° URSS-45. Je commence la lecture de l’expertise médico-légale relative à des citoyens soviétiques assassinés par les Allemands et dont les corps furent exhumés plus tard.
« De toutes les fosses d’inhumation découvertes dans la ville de Rovno et dans ses environs ont été retirés les cadavres de plus de 102.000 citoyens soviétiques et prisonniers de guerre, fusillés ou mis à mort de toutes autres façons par les Allemands. A savoir :
a) Dans la ville de Rovno, dans la rue Belaya, près d’un dépôt de bois : 49.000 ;
b) Dans la ville de Rovno, rue Belaya, dans un jardin potager : 32.500 ;
c ) Au village de Sossenki : 17.500 ;
d) Dans des carrières près du village de Vydumka : 3.000 ;
e) Sur les enclaves appartenant à la prison de la ville de Rovno : 500 ».
Je demande au Tribunal de porter son attention sur les indications contenues dans le texte suivant et rapportant les diverses méthodes d’exécution employées successivement par les criminels. Des fusillades en masse comme il ressort des points, a, b et c, furent perpétrées en 1941.
Des citoyens soviétiques appartenant à la population civile furent assassinés par asphyxie au gaz carbonique dans des camions à gaz en 1943, comme il ressort du paragraphe d. Des fusillades suivies de l’incinération des cadavres eurent également lieu en 1943 et des exécutions dans les prisons en 1944.
Je saute la page et demie qui suit et prie le Tribunal de porter son attention sur un passage du même document, page 240, deuxième colonne ; il y est question de l’anéantissement systématique des prisonniers de la prison de Rovno.
Je m’y arrêterai car cette façon d’anéantir des citoyens soviétiques était caractéristique du régime de terreur instauré par les brigands hitlériens dans les territoires momentanément occupés de l’URSS.
Je commence ma citation à la page 240 du livre de documents. Je cite :
« Le 18 mars 1943, le Volyn, journal des troupes d’occupation de Rovno, publia l’avis suivant :
« Le 8 mars 1943 des détenus de la prison de Rovno ont essayé « de s’enfuir, tentative d’évasion au cours de laquelle un employé « allemand de la prison et un gardien furent tués. Les gardiens de « la prison déjouèrent néanmoins cette tentative en s’y opposant « énergiquement. »
« Sur les ordres du commandant de la Police de sûreté et du SD, tous les détenus de la prison furent fusillés le jour même.
« En novembre 1943, le juge allemand de la circonscription fut assassiné par un inconnu. En représailles, les hitlériens fusillèrent plus de 350 détenus de la prison de Rovno.
Je ne citerai pas d’autres exemples de détenus fusillés dans les prisons car dans les films que nous projetterons devant le Tribunal, les juges trouveront toute une série de crimes semblables commis par les envahisseurs hitlériens sur les territoires de l’URSS.
J’en viens maintenant au chapitre suivant de mon rapport :
« L’anéantissement par représailles de populations villageoises ».
Dans la série sans fin des atrocités allemandes il y en a qui resteront longtemps, peut-être toujours, dans la mémoire des hommes, bien qu’il se puisse qu’ils entendent par la suite parler de crimes nazis encore plus abominables. Au nombre de ces forfaits inoubliables figurent l’anéantissement du petit village de Lidice en Tchécoslovaquie et les actes de barbarie commis envers la population de ce village.
Le destin de Lidice fut réservé à bien d’autres localités, qui parfois même furent traitées plus brutalement encore, dans l’Union Soviétique, en Yougoslavie, en Pologne. Mais le monde a appris le sort de Lidice et retiendra le nom de ce petit village comme un symbole des crimes nazis. La destruction de Lidice par les nazis eut lieu en représailles du meurtre légitime par des patriotes tchèques du protecteur de Tchécoslovaquie, Heydrich.
Le Procureur Général soviétique a présenté, lorsqu’il aborda la question de Lidice, un rapport officiel allemand sur cet acte de terreur, tiré du journal Der Neue Tag du 11 juin 1942. Je citerai de très courts extraits du rapport du Gouvernement tchécoslovaque, rapport que les juges trouveront page 172 du livre de documents :
« Le 9 juin 1942, sur l’ordre de la Gestapo, le village de Lidice fut encerclé par des soldats arrivés de la localité de Slany dans dix camions lourds. Tout le monde pouvait regagner le village, mais personne ne fut autorisé à en sortir. Un garçon de 12 ans essaya de s’enfuir, un soldat l’abattit sur place. Une femme tenta de s’échapper, une balle dans le dos mit fin à sa tentative. On trouva son cadavre dans les champs après la moisson.
« La Gestapo mena les femmes et les enfants dans l’école. « Le matin du 10 juin vit le dernier jour de Lidice et de ses habitants.
« Les hommes étaient déjà enfermés dans la cave, la grange et l’écurie de la ferme Gorak. Ils entrevoyaient le sort qui leur serait réservé et attendaient avec calme. Le prêtre Tcheribeck, âgé de 73 ans, les soutenait par ses prières. »
Je passe les deux alinéas suivants et continue ma citation :
« Les hommes furent transférés de la ferme Gorak dans un jardin situé derrière la grange et fusillés par groupes de dix. Cette tuerie dura du matin jusqu’à 4 heures du soir. Ensuite les bourreaux se firent photographier à côté des cadavres, sur le lieu même de l’exécution. »
Je passe les quatre paragraphes suivants et en arrive au sort du reste de la population de Lidice. Le sort réservé à la population masculine de Lidice a déjà été rapporté : 172 adultes et adolescents de plus de 16 ans furent fusillés le 10 juin 1942 ; 19 hommes qui les 9 et 10 juin travaillaient dans les mines de Kladno, furent par la suite arrêtés dans ces mines ou dans les forêts avoisinantes, puis amenés et fusillés à Prague. 7 femmes de Lidice furent aussi fusillées à Prague. Les 195 autres femmes furent déportées à Ravensbrück ; 42 moururent de mauvais traitements, 7 furent gazées, 3 disparurent, 4 femmes de Lidice furent transportées dans une maternité à Prague. Les nouveaux-nés y furent tués et les mères envoyées à Ravensbrück. Les enfants de Lidice furent arrachés à leurs mères quelques jours après la destruction du village. 90 d’entre eux furent envoyés à Lodz en Pologne et de là au camp de concentration de Gneisenau, dans le Wartheland. On n’a pas encore réussi à retrouver les traces de ces enfants. 7 de ces enfants, les plus jeunes, âgés de moins d’un an, furent amenés dans un hôpital d’enfants allemands à Prague, et après examen des experts racistes, envoyés en Allemagne. Ils devaient y recevoir une éducation allemande et des noms allemands. On a perdu toute trace de ces enfants.
Deux ou trois enfants naquirent au camp de concentration de Ravensbrück ; ils furent tués immédiatement après leur naissance.
Nombreux sont les villages soviétiques qui connurent le même sort que Lidice. De nombreux habitants de ces villages moururent dans des souffrances encore plus atroces, brûlés vifs ou victimes d’autres supplices.
J’abrège considérablement le nombre des exemples que je voulais présenter comme preuve au Tribunal et saute la page suivante. Je prie le Tribunal de porter son attention sur le texte figurant à la page 295, colonne 2 dans le livre de documents. Il s’agit d’une communication de la Commission extraordinaire d’État pour la recherche des crimes hitlériens dans la RSS de Lituanie, communication déjà présentée par mon collègue, le colonel Pokrovsky. Je n’en citerai qu’un alinéa :
« Le 3 juin 1944, le village de Perchepe, dans le district de Trakai, fut envahi par les hitlériens après avoir été encerclé. Ils s’y livrèrent à un pillage en règle. Après quoi, ayant enfermé les hommes dans une grande bâtisse, les femmes et les enfants dans trois autres maisons, ils mirent le feu à ces bâtiments. Les monstres fascistes rattrapaient et jetaient à nouveau dans les maisons en flammes ceux qui essayaient de s’en échapper. Ainsi fut brûlée vive toute la population de ce village, 119 personnes en tout dont 21 hommes, 29 femmes et, chiffre que je tiens particulièrement à souligner, 69 enfants.
Je prie maintenant le Tribunal de se référer à un autre document que je dépose sous le n° URSS-279. Il s’agit d’un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités des envahisseurs germano-fascistes dans les villes de Viazma, Gjatsk, Sichev à l’est de Smolensk et dans la ville de Rjev, district de Kalinine. J’aurais aimé pouvoir faire de plus longues citations de ce rapport, mais je dois me contenter de quelques extraits pour gagner encore du temps et éviter de reprendre dans les détails. Je saute deux pages du texte et j’en arrive à la page 145 de mon texte. Je cite le paragraphe 6 :
« Dans le village de Zaitchiki, les hommes de la Gestapo enfermèrent dans une maison Michel Zaikoff, 61 ans, Beliakov Nikitor, 69 ans, Begorova Catherine, 70 ans, Catherine Goloubjewa, 70 ans également, Igor Dadonov, 55 ans, Sirnova Mira, 7 ans et beaucoup d’autres, en tout 23 personnes, mirent le feu à la maison et ainsi, tous ceux qui s’y trouvaient furent brûlés vifs. »
Je passe deux paragraphes et lis le suivant :
« Lors du départ des Allemands du village de Gratchevo dans la région de Gjatsk, en mars 1943, l’adjoint du chef de la Feldgendarmerie allemande, le lieutenant Boss, enferma dans la maison de la kholkozienne Tchistrakoff, 200 habitants des villages dont les noms suivent en ferma les portes et y mit le feu. Les 200 personnes furent brûlées vives. »
Je ne citerai pas les noms de tous ceux qui périrent mais je prie le Tribunal de remarquer qu’il se trouvait là des personnes de 63, de 70 ans et des enfants de 3, 4 et 5 ans. Je passe encore deux alinéas pour en arriver au passage suivant :
« Dans les villages de Koulikovo et de Kolesniki, de la région de Gjatsk, les fascistes brûlèrent dans une isba tous les habitants du village sans distinction d’âge. »
Je termine par là la citation de ce document. Je désirerais maintenant déposer comme preuve un autre document allemand, sous le n° URSS-119. C’est une photocopie certifiée conforme de rapports du 15e régiment de police. Parmi ces documents nous trouvons un « compte rendu de l’expédition punitive effectuée contre le village de Borysowska, du 22 au 26 septembre 1942 ». Les membres du Tribunal trouveront ce document, page 309 du livre de documents. J’en cite un court extrait qui établit de façon indiscutable que, sous prétexte de lutte contre les partisans, les criminels hitlériens anéantissaient impitoyablement la population civile des villages soviétiques. Je cite la première partie du document tout de suite après le titre :
1° But. La 9e section doit anéantir le village de Borysowska contaminé par les partisans.
2° Effectifs. Deux pelotons de la 9e compagnie du 15e régiment de police, un peloton de gendarmerie du 16e régiment motorisé et un peloton de chars venant de Beresy-Kartuska. »
Je souligne, Messieurs les Juges, que l’expédition comprenait une unité de chars de Beresy-Kartuska. Contre qui cette unité de chars et les deux pelotons de gendarmerie ont bien pu être utilisés ? La réponse à cette question se trouve au paragraphe suivant du rapport :
3° Modalités d’exécution. La compagnie se réunit le soir du 22 septembre 1942 à Dyvine. Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1942 elle quitta Dyvine en direction de Borysowska. Vers 4 heures du matin le village fut encerclé par le nord et par le sud par deux pelotons. Au petit jour, le doyen du village réunit toute la population. Après vérification, avec l’aide de la Police de sûreté et du SD de Dyvine, cinq familles furent transférées à Dyvine. Le reste de la population fut fusillé par des commandos spécialement désignés et enterré à 500 mètres au nord-est de Borysowska. En tout 169 personnes furent fusillées, dont 49 hommes, 97 femmes et 23 enfants. »
Je pense que ces chiffres sont assez éloquents pour que je n’aie pas à continuer la lecture de ce document. Je saute deux pages et j’en arrive au chapitre suivant de mon rapport. Je prie le Tribunal de consulter la page 316 du livre de documents où se trouve le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les destructions commises par les envahisseurs germano-fascistes dans la région de Stalino. J’ai montré jusqu’ici que les envahisseurs germano-fascistes exterminaient les habitants des villages soviétiques en les brûlant vifs. Nous trouverons dans ce rapport la confirmation du fait qu’ils employaient cette méthode également dans les villes. Je dépose ce document sous le n° URSS-2. Je cite à la page 316 du livre de documents : « Dans la ville de Stalino, les envahisseurs allemands enfermèrent dans une grange les habitants d’une maison où logeaient des professeurs, en barricadèrent l’entrée et mirent le feu à cette grange après l’avoir arrosée d’essence. Toutes les personnes qui se trouvaient dans la grange furent brûlées vives à l’exception de deux petites filles qui échappèrent miraculeusement.
« Le 11 septembre 1943, la Commission extraordinaire (je saute le passage où est détaillée la composition de la Commission) procéda à l’examen des restes calcinés de la grange. Sur les lieux du sinistre on mit à jour les corps calcinés de 41 hommes. Dès les premiers jours de la guerre en URSS, la terreur germano-fasciste contre la population civile prit des formes monstrueuses. C’est ce que faisaient remarquer dans leurs rapports jusqu’à des officiers allemands qui, ayant pris part à la première guerre mondiale, soulignaient qu’ils n’avaient jamais vécu de semblables atrocités, même au cours de l’autre guerre.
Je me réfère donc de nouveau à un document allemand que je présente au Tribunal sous le n° URSS-293. Il s’agit de la photocopie certifiée conforme d’un rapport de l’ancien commandant du 528e régiment d’infanterie, le major Roesler, de même que d’un rapport du commandant Schirwindt de la 9e région militaire. Comme ce document est très intéressant, je me permettrai de le lire en totalité. Messieurs les Juges trouveront le passage à la page 319 du livre de documents. Je cite :
« Cassel, 3 janvier 1942. Major Roesler.
« Rapport : la mission qui m’a été confiée par le 52e régiment de réserve sur le sujet « Attitude envers la population civile à l’Est » me donne l’occasion de rapporter ce qui suit :
« A la fin de juillet 1941, le 528e régiment d’infanterie, que je commandais à l’époque, avançait vers l’Est sur Jitomir où il devait prendre ses quartiers et bénéficier d’une permission. Lorsque j’atteignis au cours de l’après-midi du jour d’arrivée fixé, avec mon état-major, l’endroit désigné pour prendre nos quartiers, nous entendîmes à proximité des salves se succédant à intervalles réguliers, salves suivies quelque temps après par des coups de revolver. Je décidai de m’informer de ce qui se passait et me dirigeai en éclaireur avec mon adjoint et mon officier d’ordonnance, les lieutenants von Bassevitz et Mueller-Brodman dans la direction des coups de feu. Nous eûmes bientôt l’impression que quelque chose d’atroce devait se passer, car quelque temps après nous vîmes des soldats et une population civile nombreuse qui affluaient vers une voie de chemin de fer nous faisant face, derrière laquelle, à ce que nous apprîmes, on procédait à des exécutions en masse. Pendant tout le temps des exécutions nous ne pûmes franchir le remblai. Nous entendions néanmoins à intervalles réguliers un coup de sifflet et immédiatement après une décharge d’environ dix fusils toujours suivie quelques moments après de coups de revolver. Lorsque enfin nous pûmes escalader le remblai, un tableau atroce se présenta à nos yeux, dont l’horreur imprévue nous saisit et nous dégoûta. Une fosse était creusée dans la terre, longue de 7 à 8 mètres et large de 4 mètres. La terre déblayée était entassée sur un côté de la fosse. Ce tas de terre et le mur de la fosse qu’il surplombait ruisselaient, de sang. La fosse était remplie de nombreux cadavres humains de tout âge et de tout sexe. Il y avait tellement de corps qu’il était difficile d’en estimer le nombre et qu’on ne pouvait se rendre compte de la profondeur de la fosse. Derrière l’amoncellement de terre, un commando de police était massé, commandé par un officier de la Police. Leurs uniformes portaient des taches de sang. Tout autour se tenait dans un large rayon une foule de Soldats appartenant à des unités se trouvant déjà là ; quelques-uns étaient en short, venus en spectateurs. Il y avait également de nombreux civils, femmes et enfants. Sur ces entrefaites, m’approchant au plus près de la fosse, je fus témoin d’un spectacle que je n’ai jusqu’à présent pas pu oublier. Dans cette fosse un vieil homme (il portait une barbe blanche), tenait encore une badine dans la main gauche. Étant donné que cet homme, comme on pouvait en juger par sa respiration saccadée, présentait encore signe de vie, je demandai à l’un des policiers de l’achever. Sur quoi le policier répondit avec un sourire : « Je lui ai déjà tiré sept fois dans le ventre, « qu’il crève tout seul maintenant ».
« Les fusillés n’étaient pas disposés de façon particulière dans la fosse mais demeuraient à l’endroit où ils étaient tombés après la salve. Tous étaient tués d’un coup de feu dans la nuque, puis achevés dans la fosse à coups de revolver. Je ne pense pas que ma participation à la première guerre mondiale et aux campagnes de Russie et de France dans cette guerre-ci m’ait amolli le caractère. J’ai vu des choses plus que pénibles dans les formations de volontaires auxquelles j’ai appartenu en 1919, mais je n’arrive pas à me rappeler avoir assisté à des scènes telles que celle que je viens de décrire. »
Je saute un paragraphe et continue :
« D’après ce que racontaient les soldats qui assistaient souvent à de telles scènes, l’on peut avancer que chaque jour plusieurs centaines de personnes étaient massacrées de la même façon.
« Signé : Roesler. »
La mentalité du remplaçant du commandant du 9e corps d’armée, chef de la 9e région militaire, qui transmit le rapport Roesler au chef du Wirtschaftsrüstungsamt à Berlin, est non moins caractéristique. Je cite ce document. Le Tribunal le trouvera à la page 318 du livre de documents :
« Cassel, 17 janvier 1942. »
« Contenu : atrocités commises à l’égard de la population civile à l’Est.
« Vu les nouvelles qui circulaient sur des exécutions massives en Russie, j’ai voulu remonter aux sources car je les tenais pour très exagérées. Je vous fais parvenir ci-joint un rapport du commandant Roesler qui confirme entièrement ces bruits. »
La dernière phrase est, elle aussi, caractéristique :
« Si de telles actions sont entreprises ouvertement, on ne pourra
empêcher qu’elles soient connues et critiquées en Allemagne.
« Signé : Schirwindt. »
Colonel Smirnov, savez-vous qui était le remplaçant du commandant du 9e corps d’armée, commandant la 9e région militaire ? Savez-vous aussi qui était le chef du Wirtschaftsrüstungsamt à Berlin ? Savez-vous si une réponse fut faite à ce rapport ?
Monsieur le Président, je ne pourrai répondre à ces questions que dans quelques jours. Ces sujets me sont inconnus et doivent tout d’abord être étudiés plus à fond. Je ferai entreprendre des recherches sur la question et donnerai au Tribunal une réponse, de même que je lui fournirai les documents s’y rapportant. Permettez-moi, en vue de faciliter la présentation des preuves, d’adjoindre au chapitre suivant de mon rapport deux albums certifiés conformes par la Commission extraordinaire d’État. Ces albums seront présentés à chaque membre du Tribunal.
De plus, je demande l’autorisation de passer quelques prises de vue sur l’écran. Je dois aussi remarquer que ces documents n’ont pas été choisis par moi, parce que spécialement impressionnants (le Tribunal trouvera des épisodes encore plus atroces dans notre livre de documents), mais parce qu’ils ont un caractère typique. Avant de présenter ces documents photographiques, je demande au Tribunal l’autorisation de présenter un dernier document allemand. Je le dépose sous le n° URSS-297. C’est la photocopie certifiée conforme d’un rapport du chef de la Police de sûreté et du SD interdisant de photographier ces assassinats collectifs appelés pour la circonstance exécutions. Il est remarquable que la plupart des photos que je présenterai, toute une série d’autres aussi, ont été prises par les Allemands. Ce fait attira l’attention des autorités de police qui défendirent aux criminels nazis de prendre de telles photos.
Je cite un court extrait de ce document. Le Tribunal trouvera le passage cité à la page 321 du livre de documents :
« Le Reichsführer SS a interdit les photographies d’exécutions dans une ordonnance du 12 novembre 1941, Tgb 1-1461/41 Ads. et a ordonné que si, pour des raisons de service, de telles photographies sont nécessaires, tout le matériel photographique devra être rassemblé aux archives. »
Je saute le paragraphe suivant et je cite celui d’après :
« Les chefs de groupes d’opérations ou de commandos spéciaux, à savoir le commandant de compagnie des Waffen SS et le chef de section des correspondants de guerre, seront rendus responsables dans tous les cas ou, des plaques, films et épreuves resteraient entre les mains de membres préposés à ces tâches. »
Je passe le reste du document car j’estime avoir montré amplement que les autorités de police étaient préoccupées du fait que les nombreuses photographies d’exécutions en masse prises par les criminels nazis constituaient une confirmation de ces exécutions.
Je me permets maintenant de commencer la présentation de ces photographies avec votre permission, Monsieur le Président.
Vous pouvez peut-être continuer votre exposé. Y en a-t-il encore pour longtemps ? Combien de temps ?
Il n’y en a plus pour longtemps.
Qu’attendez-vous, colonel Smirnov ?
Monsieur le Président, je pensais que l’électricité serait éteinte, mais il me semble qu’il se présente des difficultés techniques qui me sont inconnues. De ce fait, je ne peux commencer la présentation des photographies.
Il serait peut-être préférable de continuer votre exposé et de projeter les photographies après la suspension de midi. Combien de temps prendra cette présentation ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous, Monsieur le Président. Permettez-moi de passer à la deuxième partie de mon rapport, intitulé : « L’anéantissement systématique par les fascistes allemands des citoyens de l’URSS, de la Pologne, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie ».
« L’anéantissement en masse des populations civiles de l’Union Soviétique et des pays de l’est de l’Europe fut partout mené par les criminels germano-fascistes, ainsi qu’on peut le constater d’après les rapports et communiqués officiels relatifs à ces exécutions, dans les buts suivants :
1. Élimination des couches de la population considérées comme capables de leur résister.
2. Motifs d’ordre racial, réalisation des théories raciales basées sur la haine.
3. Représailles.
4. Prétendue lutte contre les partisans, que les fascistes allemands ne pouvaient ni capturer, ni supprimer. Aussi se vengeaient-ils en représailles contre la population civile. La méthode allemande consistant à exécuter des enfants était particulièrement infâme. L’emploi de moyens particulièrement cruels dans ces assassinats d’enfants, était l’une des particularités les plus atroces bien que spécifique du régime de terreur instauré pendant l’occupation par les hitlériens, sur les territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique. Immédiatement après l’arrivée au pouvoir des hitlériens, Hermann Göring s’occupa de faire interdire par la loi la vivisection. Il avait pitié des chiens, des cochons d’Inde et des cobayes soumis à l’expérimentation scientifique pour le bien de l’Humanité. Pour confirmation, je me réfère au livre de Göring intitulé Discours et articles édité en 1940 par la maison d’édition Gritzbach à Munich.
A la page 80 de ce livre nous trouvons un discours de Göring intitulé « Combat contre la vivisection ». Je n’en citerai aucun passage et me contenterai de faire allusion à une phrase de ce livre dans laquelle Göring s’arroge, vu son amour pour les animaux, le droit d’interner des hommes dans les camps de concentration.
Himmler, à une réunion de Gruppenführer SS à Posen déclarait (je cite le document PS-1919) : « Nous, Allemands, sommes le seul peuple qui traite de façon convenable les animaux. »
Mais ces criminels fascistes qui discutaient avec sentimentalité du sort des animaux, ordonnaient, de Himmler à Keitel, à leurs subordonnés, l’assassinat inhumain d’enfants, avec une cruauté absurde. Au cours de la réunion précitée, Himmler déclarait aussi ce qui suit (messieurs les juges trouveront la citation à la page 201, paragraphe 2, du livre de documents) : « Si quelqu’un vient me trouver pour me dire : « Vous ne pouvez pas faire creuser des fossés « anti-tanks par des femmes et des enfants. C’est inhumain car ils « mourront », je répondrais : « Vous êtes le meurtrier de votre propre race. » A la suite d’enquêtes multiples sur les atrocités perpétrées par les nazis en Union Soviétique, on a pu établir de façon irréfutable qu’au cours de ces exécutions massives de nombreux enfants avaient été jetés vivants dans les fosses. Pour le prouver, je vous renvoie au document officiel : « Les criminels allemands jetaient vivants des enfants dans les fosses. »
Je prie le Tribunal de porter son attention sur un document qui lui a déjà été présenté par mon collègue, le colonel Pokrovsky, sous le n° URSS-46. C’est un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités des envahisseurs germano-fascistes dans la ville et la région d’Orel. Le Tribunal trouvera ce passage page 334 du livre de documents, les trois dernières lignes de cette page, et page suivante, 335. Je cite :
« ... Les personnes fusillées dans la ville étaient évacuées, jetées dans des fosses, habituellement dans des lieux boisés. »
Dans les prisons, les exécutions avaient lieu de la façon suivante :
les hommes étaient placés en ligne face au mur et le gendarme tirait un coup de pistolet dans la région de la nuque. Ces coups de feu atteignaient des centres vitaux et amenaient d’ordinaire une mort immédiate. Dans la plupart des cas, les femmes étaient placées face contre terre et les policiers leur tiraient un coup de feu dans la nuque. Une autre méthode consistait à masser des hommes dans une tranchée et les y exécuter immédiatement. Ils étaient exécutés par armes automatiques et toujours dans la région de la nuque. On a découvert dans ces tranchées des cadavres d’enfants qui, d’après des témoins oculaires, y avaient été jetés vivants »
Je me réfère ensuite au document qui a été présenté au Tribunal sous le n° URSS-1. C’est un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises par les occupants allemands dans la région de Stavropol. Je cite un extrait de la page 271 du livre de documents, troisième paragraphe. Je cite :
« Durant l’inspection d’un ravin situé dans le voisinage du mont Koltzo, à 250 mètres du chemin... » — je saute la phrase suivante — « ... fut découvert un monticule de terre croulant, de dix mètres de longueur duquel sortaient différentes parties de corps humains. Là, du 26 au 29 juillet 1943, on procéda à des fouilles qui permirent de découvrir 130 cadavres. L’examen médico-légal révéla qu’une petite fille de quatre mois (le corps ne portait aucune trace de mort violente), avait été jetée vivante dans la tranchée et avait péri étouffée. »
Je saute une phrase et je continue la citation au paragraphe suivant :
« L’examen médico-légal de corps de nourrissons fit ressortir qu’ils avaient tous été jetés vivants dans la tranchée, en même temps que les cadavres de leurs mères, fusillées. Sur tous les autres corps furent découvertes des traces de tortures. »
Je me permettrai de me référer maintenant à un arrêt du tribunal militaire du front ukrainien, déjà présenté par moi sous le n° URSS-32.
Je pense que nous pouvons suspendre l’audience.