SOIXANTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Mardi 19 février 1946.
Audience du matin.
J’ai une déclaration à faire. La demande d’ajournement présentée par la Défense ne peut être agréée. Lorsqu’il a été décidé de faire une suspension à Noël, le Tribunal a averti la Défense qu’on n’en accorderait pas d’autres. Comme l’a déclaré le Ministère Public, les avocats ont eu plusieurs mois pour préparer leur défense qui s’appuie principalement sur des documents en langue allemande, écrits par les accusés eux-mêmes ou par leurs associés. Ils ont bénéficié également de l’aide constante du Tribunal et des Ministères Publics, en ce qui concerne les preuves documentaires et les témoins.
Le Tribunal a observé que bien des avocats ont trouvé possible de ne pas suivre constamment le Procès, ce qui est tout à fait normal, et le Tribunal ne voit aucune raison pour que les avocats n’utilisent pas le temps qui reste jusqu’à la conclusion des exposés du Ministère Public pour préparer leur défense en dehors de la salle d’audience.
En conséquence, le Tribunal décide que les arguments contre les groupes et organisations déclarés criminels seront présentés immédiatement après l’exposé des Ministères Publics contre les accusés individuels, et qu’ensuite les demandes de documents et de témoins présentés par les accusés, documents et témoins au sujet desquels il n’a pas encore été pris de décision, seront entendues en audience publique. Il se passera donc plusieurs jours pendant lesquels beaucoup d’avocats pourront se dispenser d’assister aux débats et préparer leur défense en dehors de la salle d’audience.
C’est tout. Vous pouvez continuer, colonel.
Monsieur le Président, vous m’avez demandé hier qui était le chef du service de l’armement et du matériel de l’Armée allemande en janvier 1942. Je n’ai pas pu répondre hier à cette question. Je vous annonce aujourd’hui que ce poste était occupé par le général d’infanterie Thomas.
En ce qui concerne la deuxième question que vous m’avez posée, à savoir quelles étaient les mesures prises au sujet de la correspondance sur laquelle porte le rapport du major Roesler, je me suis adressé à Moscou où se trouve cette correspondance. Il n’y a dans ces archives que des extraits de cette correspondance ; le reste se trouve dans d’autres archives. Nous les avons fait rechercher et, dès que nous aurons obtenu des renseignements précis, j’en ferai part au Tribunal. Cela pourra prendre un jour ou deux.
Avant de continuer l’exposé de mon rapport, je voudrais vous dire que je dois terminer aujourd’hui la présentation de toutes les preuves intéressant mon exposé. Comme j’en ai un nombre assez élevé, mon exposé aura un caractère quelque peu fragmentaire. Je tâcherai donc de ne pas m’arrêter à des détails et de ne plus répéter ce qui a déjà été exposé par les procureurs des autres nations. Ce procédé donnera à mon exposé un caractère un peu haché ; je prie le Tribunal de m’en excuser. Je poursuis maintenant mon exposé.
Le rapport de l’expertise médico-légale faite à Smolensk a déjà été déposé sous le n° URSS-48. Il est signé par un médecin soviétique éminent, membre de la Commission extraordinaire d’État, président de l’Académie de médecine, l’académicien Burdenko, par le premier expert médico-légal du ministère de la Santé, le Dr Prozorovsky, et d’autres experts. La conclusion ayant été déjà déposée par mon collègue le colonel Pokrovsky, je prie le Tribunal d’y joindre le texte même du rapport de cette expertise. Le Tribunal pourra ainsi non seulement se rendre compte des résultats, mais aussi des méthodes de recherches employées. Le Tribunal y trouvera la description détaillée des lieux d’inhumation où enquêtèrent les experts, ainsi que les examens minutieux des corps exhumés. Je ne relirai pas les passages de ce texte qui ont déjà été cités par le colonel Pokrovsky. Je passe quatre pages de mon rapport et je reprends à la page 213. Je voudrais citer un passage que les membres du Tribunal trouveront à la page 377 du livre de documents, tome II, paragraphe 2. Les experts y décrivent l’aspect typique des fosses où étaient enterrées les victimes des Allemands en 1941 et au début de 1942. Je commence ma citation :
« Les fosses où furent trouvés les cadavres ne sont pas à proprement parler des fosses communes. Les cadavres n’y étaient pas disposés en un rang, l’un près de l’autre, mais formaient une masse compacte, en plusieurs couches, de corps d’hommes et de femmes entassés les uns sur les autres. Dans cette masse de cadavres étendus, repliés ou à moitié repliés sur eux-mêmes, gisant sur le ventre, sur le côté, sur le dos, à genoux ou debout, la tête en haut ou en bas, les bras et les jambes entremêlés, il était impossible de séparer les corps avant de les sortir de la fosse. »
Cependant on ne trouve ces amas chaotiques de cadavres que pour l’exhumation des victimes des premières exécutions en masse qui eurent lieu en 1941 et au début de 1942.
Par la suite, lors des exhumations, les médecins légistes trouvèrent beaucoup de fosses avec des rangées régulières de cadavres. Messieurs les juges pourront trouver un exemple typique de ces tombes dans l’album consacré au camp de Lwow. A la page 15 de cet album, se trouve une vue d’une fosse de ce genre. Les cadavres y sont disposés en rangs réguliers, et cela s’explique par le fait...
Quel est cet album ?
C’est l’album consacré au camp de Lwow, Monsieur le Président. 11 a été déposé hier devant le Tribunal. La photographie dont je parie se trouve à la page 15. Elle a été trouvée dans les locaux de la Gestapo à Lwow.
Un extrait du rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités donne la raison de cette disposition régulière des cadavres.
Est-ce une photographie des corps tels qu’ils se trouvaient dans la fosse ou après qu’ils aient été déplacés ?
Non, Monsieur le Président, c’est une photographie prise par des agents de la Gestapo qui a été découverte dans les archives de la Gestapo à Lwow. En observant cette photographie, vous verrez que les corps sont disposés presque régulièrement ; il s’agit cependant d’exécutions en masse.
Quelle est la raison de cette disposition régulière des corps ? Le Tribunal trouvera la réponse à cette question à la page 290 du livre de documents, deuxième colonne du texte, huitième paragraphe. C’est le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises par les envahisseurs germano-fascistes dans la ville de Rovno et ses environs. Je commence la citation :
« Karpuk, ouvrier dans une exploitation allemande située près de la rue Belaya, raconte :
« J’ai vu plusieurs fois les hitlériens massacrer des citoyens soviétiques, des Ukrainiens, des Russes, des Polonais et des Juifs. Cela se passait ordinairement de la façon suivante :
« Les bourreaux allemands amenaient leurs victimes à l’endroit de l’exécution, les obligeaient à creuser une fosse, puis leur ordonnaient de se dévêtir complètement et de se coucher dans la fosse, face contre terre. Les hitlériens tiraient ensuite avec des pistolets automatiques dans la nuque de leurs victimes. Puis on mettait une deuxième couche d’hommes sur les cadavres des fusillés, et on les tuait ; ensuite une troisième couche, jusqu’à ce que la fosse fût remplie. Après cela, on versait de la chaux vive sur les cadavres « et on les couvrait de terre. »
On peut voir à quel point ce procédé horrible était répandu dans une courte citation relative aux exécutions de Maïdanek. Je cite un communiqué soviéto-polonais qui a déjà été déposé sous le n° -URSS Les membres du Tribunal trouveront le passage que je cite à la page 65 du livre de documents, première colonne du texte, paragraphe 14. Je commence la citation :
« Le 3 novembre 1943, 18.400 hommes furent fusillés dans le camp. 8.400 avaient été pris dans le camp même et 10.000 avaient été amenés de la ville et d’autres camps. »
Je passe la phrase suivante.
« Les exécutions commencèrent le matin et se terminèrent très tard dans la soirée. Les SS amenèrent les hommes complètement nus par groupes de 50 à 100, les firent coucher au fond des fosses, face contre terre, et les fusillèrent avec des armes automatiques. Puis un nouveau groupe de personnes dut s’allonger sur les cadavres ;
ils furent fusillés de la même façon, et ainsi de suite jusqu’à ce que les fosses fussent comblées. »
Je me suis spécialement occupé de chercher à quelle époque exactement remonte le premier exemple de ce procédé atroce. Les documents soviétiques prouvent que ce fut pendant la seconde moitié de l’année 1942. Mais on peut dire que, d’une façon générale, les mêmes méthodes d’exécution avaient déjà été utilisées en Pologne dès 1939 par des formations de police allemandes.
Grâce à l’amabilité de nos collègues britanniques, je puis présenter au Tribunal un document qui a été mis à notre disposition par le Ministère Public britannique. Voici une photocopie de ce document, dont l’original est conservé dans les archives de la Délégation britannique. Je crois pouvoir dire que si le Tribunal désire voir l’original, il sera facile de le lui montrer. La véracité des faits relatés dans cette correspondance est absolument indiscutable. C’est un rapport allemand, saisi dans les archives de l’aide de camp de Hitler. Je cite un extrait à la page 391 du livre de documents, tome II, deuxième paragraphe. Les médecins de l’Etat-Major allemand estimaient nécessaire d’adresser à Hitler un rapport sur ces exécutions, car « la propagande ennemie pourrait s’emparer de ce thème, ces exécutions étant publiques... »
Dans cette correspondance, je citerai encore un extrait du procès-verbal de l’interrogatoire d’un certain caporal Paul Kluge. Paul Kluge appartenait à une formation sanitaire stationnée à Schwetz. Il apprit que des exécutions de Polonais devaient avoir lieu au cimetière juif le dimanche 8 octobre 1939. Il avait décidé par simple curiosité d’aller voir le lieu d’exécution. Je ne cite que la partie de l’interrogatoire se rapportant à la méthode d’exécution. Les membres du Tribunal trouveront cet extrait à la page 393 du livre de documents, tome II, deuxième paragraphe. Je commence la citation :
« Nous pensions déjà que nous avions été victimes de faux bruits, et nous voulions rentrer dans nos casernes, lorsqu’un grand omnibus plein de femmes et d’enfants arriva au cimetière. Nous revînmes sur nos pas et nous vîmes comment on fit sortir de ce car un groupe composé d’une femme et de trois enfants âgés de trois à huit ans, qui furent amenés à une fosse déjà creusée, de 2 mètres sur 8.
« La femme fut obligée de descendre dans la fosse ; elle prit dans ses bras le plus jeune des enfants. Deux hommes du détachement punitif lui passèrent les deux autres enfants. La femme dut se coucher dans la fosse, face contre terre, et ses trois enfants se placèrent de la même façon à sa gauche. Ensuite quatre hommes du détachement descendirent également dans la fosse, dirigèrent leurs fusils de façon à ce que l’orifice du canon se trouvât à environ 30 centimètres de la nuque des victimes et fusillèrent ainsi la femme et ses trois enfants.
« Ensuite le Sturmbannführer commandant ce détachement m’ordonna d’aider à recouvrir les corps. Je m’exécutai et je pus ainsi voir de tout près comment les groupes suivants furent fusillés de la même façon que le premier. Il y eut en tout neuf à dix groupes de femmes et d’enfants qui furent tous fusillés par groupes de quatre dans la même fosse. »
Nous pouvons voir par là à quand remonte l’emploi de cette méthode d’exécution en masse.
Je passe la page suivante du rapport qui contient un autre procès-verbal donnant des renseignements analogues, et je présente les preuves relatives à d’autres procédés d’exécution en masse, encore plus atroces, que les criminels hitlériens employèrent de 1943 jusqu’à la fin de la guerre.
En effet, les criminels hitlériens, à partir de 1943, commencèrent à employer différentes mesures pour faire disparaître toute trace de leurs crimes et, notamment, à brûler les cadavres de leur victimes. Il a été prouvé par des documents que les hitlériens obligeaient leurs victimes à préparer le bois et les bûchers, puis à se coucher sur ces bûchers, après quoi la première couche d’hommes était fusillée. Les groupes de victimes suivants empilaient d’autres bûches sur la première couche de cadavres et devaient se coucher sur ces bûches pour être fusillés à leur tour.
Je demande au Tribunal de se référer à l’album de documents sur Auschwitz, qui contient aussi des photographies du camp de Kioga. Vous y trouverez une illustration typique de ce genre d’exécutions. Pour prouver ce fait, je me réfère au document qui a déjà été déposé au Tribunal sous le n° URSS-39. Le passage que je voudrais citer se trouve à la page 233 du livre de documents, deuxième colonne du texte, dernier alinéa :
« Le 19 septembre 1944, les Allemands procédèrent à la liquidation du camp de Kloga. L’Unterscharführer Schwarze et le chef de l’administration du camp, le Hauptscharführer Max Dalmann, prirent 300 hommes parmi les détenus et les obligèrent à porter des bûches dans une clairière. Puis 700 autres durent construire des bûchers. Lorsque les bûchers furent prêts, les bourreaux allemands procédèrent à l’exécution en masse des détenus. D’abord furent fusillés ceux qui avaient apporté les bûches et ceux qui avaient construit les bûchers, puis ceux qui restaient. L’exécution avait lieu dans les conditions suivantes : les policiers allemands du SD obligeaient les détenus, sous la menace du revolver, à se coucher à plat ventre sur le bûcher préparé et les fusillaient avec des armes automatiques et des revolvers. On brûlait ensuite les corps des fusillés sur ces bûchers. »
Je passe la partie qui suit pour aller plus vite. Pour prouver que les procédés employés dans d’autres camps étaient encore plus cruels, je prie les membres du Tribunal de se référer au document déjà déposé sous le n° URSS-38, rapport sur les atrocités des envahisseurs allemands à Minsk. Le passage que je vais citer se trouve, messieurs les juges, à la page 219, deuxième colonne, dernier alinéa :
La première partie de la citation montre comment, pour cacher leurs crimes, les envahisseurs germano-fascistes avaient construit, à côté du camp de Maly Trostianets, des installations crématoires assez primitives. Je cite le passage du document où il est question des exécutions qui eurent lieu près de ces installations crématoires. Pour faciliter la tâche des interprètes, je signale que j’ai passé trois pages du texte et que je me trouve à la page 223 du texte russe. Je commence à citer la déposition du témoin Savinsky :
« A 10 kilomètres de Minsk environ, près du village de Maly Trostianets, le camion s’arrêta à côté d’une grange. Nous comprîmes tous qu’on nous avait amenés ici pour nous fusiller. Sur l’ordre des bourreaux allemands, les femmes détenues durent sortir quatre par quatre du camion... »
Je ne trouve pas la citation. Que citez-vous ? Quel est le nom du témoin ?
Le nom du témoin est Savinsky, Monsieur le Président. Je pense que, si vous ne trouvez pas cet extrait, c’est parce que j’ai passé trois pages du texte.
Bien, continuez.
« ... Bientôt mon tour arriva. Avec Anna Golubovich, Ylia Semashko et une autre femme dont je ne connais pas le nom, je grimpai sur le tas de cadavres. J’entendis des coups de fusil, je fus légèrement blessée à la tête et je tombai. »
Je passe la suite qui expose comment cette femme échappa à la mort. Je cite le dernier alinéa :
« Les médecins légistes ont découvert sur les cadavres des blessures causées par des coups de feu dans la région de la tête et du cou. Les Allemands ont fusillé et brûlé dans la grange et sur les bûchers 6.500 personnes. »
Je saute encore trois pages du texte et je présente au Tribunal les preuves démontrant que les envahisseurs germano-fascistes ont organisé...
Colonel Smirnov, la traduction que nous avons entendue parlait de 63 personnes, alors que le texte écrit porte 6.500.
C’est la traduction écrite, Monsieur le Président, qui donne le chiffre exact. On peut d’ailleurs se référer au document original, le rapport de la Commission extraordinaire d’État. C’est une erreur grossière de l’interprète. Il a réduit plus de mille fois le nombre des fusillés.
Je passe donc les trois pages qui suivent, et je présente maintenant au Tribunal des preuves de l’existence de lieux spécialement destinés à ces exécutions en masse, où des centaines de milliers de personnes ont été exécutées. Les personnes qui devaient être fusillées étaient amenées à ces endroits non seulement des environs, mais aussi des coins les plus divers de l’Europe.
Je vais vous présenter de courtes citations démontrant l’existence de deux de ces lieux d’exécutions en masse, qui sont parmi les plus épouvantables, à savoir celui de Panarai, à 8 kilomètres de Vilnus, et le fort n° 9 ou le « Fort de la mort » à Kaunas, qui jouissait d’un renom particulièrement horrible.
Je cite le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes des envahisseurs hitlériens en Lituanie, qui a déjà été déposé. Les membres du Tribunal trouveront le passage que je cite à la page 294, deuxième colonne du texte, dernier paragraphe. Je signale aux interprètes qu’il s’agit de la page 228. Je passe les trois premiers paragraphes où il est indiqué que le lieu d’exécutions en masse de Panarai fut installé en juillet 1941 et qu’il fut utilisé jusqu’en juillet 1944.
Je cite donc à partir du quatrième paragraphe, où il est question des méthodes employées par les hitlériens pour dissimuler les traces des crimes commis en ce lieu d’exécution. Je commence ma citation :
« En décembre 1943 », dit le témoin Saydel Matvey Feodowitch, « on nous obligea à déterrer et à brûler des cadavres. »
Je passe la phrase suivante et je continue :
« Dans ce but, nous mettions sur chaque bûcher près de 3.000 cadavres. Nous les arrosions de pétrole, nous mettions des bombes incendiaires aux quatre coins et brûlions le tout. »
Des cadavres furent brûlés ainsi depuis la fin de 1943 jusqu’en juin 1944.
« Durant cette période, nous avons exhumé de neuf fosses, d’un volume total de 21.179 mètres cubes, au moins 100.000 cadavres, que nous avons brûlés sur les bûchers. Les derniers jours avant leur retraite, les hitlériens n’avaient plus le temps de brûler les cadavres des fusillés.
Je passe les trois paragraphes suivants et je cite la conclusion de l’expertise médico-légale :
« Les cadavres que nous avons examinés sont presque tous ceux de civils. Une petite quantité seulement portait l’uniforme. On a trouvé sur quelques cadavres des objets de piété catholiques ou orthodoxes. Au moyen des objets et des documents que nous avons trouvés, nous avons pu établir qu’il se trouvait parmi les fusillés des médecins, des ingénieurs, des étudiants, des chauffeurs, des serruriers, des cheminots, des couturières, des horlogers, des commerçants, etc. »
Je passe les trois paragraphes qui suivent, et je cite la conclusion :
« La Commission d’experts a établi que les bourreaux germano-fascistes ont fusillé et brûlé à Panarai au moins 100.000 personnes. »
Je cite plus loin le passage qui se rapporte au « Fort de la mort » à Kaunas. Je commence ma citation :
« Le fort n° 9 était appelé par les habitants de Kaunas « le Fort de la mort ». Il était situé au nord-ouest de la ville et c’était un vieil ouvrage fortifié en béton armé. Il y avait à l’intérieur un grand nombre de casemates que les Allemands utilisèrent comme cellules. Ce fort était complètement entouré d’un mur de béton et de fils de fer barbelés.
« Dès les premiers jours de leur arrivée à Kaunas, les hitlériens amenèrent dans le fort n° 9 près de 1.000 prisonniers de guerre soviétiques et les obligèrent à creuser des fossés dans un champ qui avait plus de cinq hectares, près du mur ouest du fort. Pendant les mois de juillet et août 1941, quatorze fossés furent ainsi creusés, chacun de 200 mètres sur 3 et 2 mètres de profondeur. Personne ne sortait vivant du fort n° 9. Les hitlériens y amenaient, par colonnes de plusieurs milliers, des femmes, des enfants, des jeunes gens, des adultes, des vieillards, pour les fusiller et les brûler ensuite. »
Je passe les trois paragraphes suivants et je continue ma citation :
« Dans le fort n° 9 furent fusillés des hommes de différentes nationalités : des Russes, des Ukrainiens, des Bielorussiens, des Lituaniens, des Polonais, des Juifs. Dans ce fort furent fusillés :
Boudginskiene, député du Soviet suprême de l’URSS, et Sibertas, député du Soviet suprême de la République Soviétique de Lituanie, ainsi que beaucoup d’autres. A part les citoyens soviétiques, les hitlériens massacrèrent des citoyens français, autrichiens et tchécoslovaques dans le fort n° 9. »
Un ancien gardien du fort n° 9, Naudjunas, a déposé comme suit :
« Le premier groupe d’étrangers, 4.000 hommes environ, arriva au fort en décembre 1941. J’ai parlé avec une femme qui m’a dit qu’on les amenait en Russie, soi-disant pour travailler. Le 10 décembre 1941 commença l’extermination des étrangers. On leur demanda de sortir du fort par groupes de 100, sous prétexte de les vacciner. Ceux qui partirent pour cette vaccination ne revinrent jamais. Ces 4.000 étrangers furent tous fusillés. Le 15 décembre 1941 arriva encore un autre groupe de près de 3000 hommes qui fut également anéanti. »
J’arrête là ma citation, je saute presque toute la page suivante, et je lis la conclusion :
« La Commission d’investigation a établi que les hitlériens ont exterminé dans le fort n° 9 près de 70.000 civils. Dans de nombreux cas, les méthodes employées par les fascistes allemands pour l’extermination en masse des citoyens soviétiques étaient particulièrement atroces. »
Je me réfère au document que j’ai déjà déposé sous le n° URSS-1 et qui est le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises dans la région de Stavropol. L’extrait que je cite se trouve page 268 du livre de documents. Je cite le second paragraphe :
« II a été établi qu’avant de quitter la ville de Georgievsk, les 8 et 9 janvier de cette année, les soldats allemands vendirent sur le marché de la ville de l’alcool et de l’eau de Seitz, sur l’ordre du pharmacien-chef des hôpitaux allemands de la ville, le Dr Baron von Heiman, et ceci dans le but d’empoisonner les citoyens soviétiques ; en effet, on a découvert par la suite que cet alcool était de l’alcool méthylique et que « l’eau de Seitz » n’était autre chose que de l’acide oxalique. Les habitants de la ville furent empoisonnés en masse. »
Parmi les atrocités commises par les fascistes sur le territoire de l’URSS, il faut citer en particulier les crimes commis contre les habitants de Leningrad. J’en ai déjà parlé quand j’ai mentionné hier les enfants de Leningrad.
J’abrège la citation tirée du rapport de la Commission extraordinaire d’État concernant la région de Leningrad, bien que personnellement j’eusse aimé que le Tribunal connaisse bien les souffrances infligées par les terroristes fascistes à la population de Leningrad qui est ma ville natale.
Je ne citerai donc que des renseignements d’ordre général sur les destructions et les crimes des Allemands à Leningrad. Le Tribunal trouvera le passage auquel je me réfère à la page 345 du livre de documents, tome II :
« Pendant les 900 jours du siège ininterrompu de Leningrad et l’occupation de ses faubourgs, les envahisseurs germano-fascistes ont commis des forfaits innombrables et des atrocités à l’égard de la population civile.
« Les Allemands ont jeté sur Leningrad 107.000 bombes explosives et incendiaires, 150.000 obus de gros calibre. Tous les habitants de Leningrad, à chaque instant, pendant les 900 jours de siège, étaient pour ainsi dire sur le champ de bataille ; à chaque minute ils risquaient la mort ou une mutilation. Les bombardements aériens et les bombardements d’artillerie ont fait 16.747 morts et 33.782 blessés. »
Je termine ma citation, je passe la page suivante de mon exposé et je demande seulement à messieurs les juges de regarder la page 347, tome II du livre de documents ; c’est un extrait du journal d’un des artilleurs allemands qui ont bombardé Leningrad. Ces notes sont particulièrement odieuses et cyniques.
Je ne présenterai que les chiffres des victimes de la faim à Leningrad, au cours du terrible hiver de 1941-1942. Je cite une phrase : « Le blocus de la faim dans la ville de Leningrad fit 632.258 victimes. »
Je passe les deux pages suivantes et je soumets les preuves relatives à l’utilisation par les criminels hitlériens de machines à tuer spéciales : emploi du benzol dans des machines spéciales, les « Sondermaschinen », « Gaswagen » ou « Douchegoubka » comme les appelaient les Soviétiques. Le fait même de l’emploi de toutes ces machines destinées à l’extermination en masse des hommes et des femmes soviétiques est une preuve accablante contre les dirigeants de l’Allemagne hitlérienne. Les installations spéciales pour l’extermination de gens enfermés dans des camions hermétiquement clos dont les tuyaux d’échappement étaient reliés à la carrosserie par des tuyaux de caoutchouc mobiles furent employés pour la première fois par les hitlériens sur le territoire de l’URSS en 1942.
Je rappelle au Tribunal que les camions à gaz sont mentionnés pour la première fois dans le rapport que j’ai déjà déposé sur les atrocités des envahisseurs germano-fascistes à Kertch. Ce document a été déposé sous le n° URSS-63. Il s’agit d’événements qui se sont déroulés au printemps 1942.
Je rappelle au Tribunal l’extrait des dépositions d’un témoin oculaire, Daria Demchenko, qui a vu les militaires allemands de Kertch tirer des camions à gaz les cadavres de citoyens soviétiques et les jeter dans un fossé anti-char...
A quelle page est-ce ?
Page 265.
Je l’ai, merci.
L’interprète a traduit : « A quelle date ? », c’est pourquoi je cherchais la date du document. Je vous prie de m’excuser.
Il est indiscutable que l’extermination en masse dans les camions à gaz a été mentionnée pour la première fois dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités des occupants germano-fascistes dans la région de Stavropol.
J’ai déjà déposé ce document sous le n° URSS-1.
Les investigations sur les atrocités germano-fascistes dans la région de Stavropol ont été faites sous la direction de l’un des plus grands écrivains russes, aujourd’hui décédé, membre de la Commission extraordinaire d’État, l’académicien Alexis Nikolaevitch Tolstoï. On procéda à une enquête extrêmement minutieuse avec la collaboration des experts les plus éminents de la médecine légale, car l’esprit humain, qui fixe des limites logiques à tout crime, ne pouvait admettre que très difficilement l’existence de ces machines.
Néanmoins l’enquête, corroborant les dépositions des témoins sur les terribles exécutions en masse de la population civile, a établi l’existence de ces « camions à gaz ».
Le rapport de la Commission extraordinaire d’État pour la région de Stavropol contient la première description détaillée des camions à gaz. Je vais citer ce passage que le Tribunal trouvera page 268, paragraphe 4. Je lis cet extrait, car les détails techniques qui s’y trouvent concordent totalement avec les détails techniques donnés par le Ministère Public américain. Les deux documents sont par conséquent corroborés l’un par l’autre, d’où leur importance. Je commence la citation :
« II a été prouvé que les Allemands ont procédé à l’extermination de la population civile de l’Union Soviétique par l’empoisonnement à l’oxyde de carbone dans des camions à gaz spécialement aménagés. Le prisonnier de guerre E. M. Fenichet a déclaré :
« En ma qualité de mécanicien, j’ai eu la possibilité de connaître en détail l’aménagement des voitures automobiles spécialement construites pour les exécutions par les gaz. La Gestapo de la ville de Stavropol possédait quelques-unes de ces voitures.
Elles étaient ainsi faites : longueur, 5 mètres ; largeur, 2 mètres ; hauteur, 2m. 50 ; elles avaient la forme de wagons sans fenêtres. « A l’intérieur, les parois étaient recouvertes de fer galvanisé ; sur le plancher, également recouvert de fer, il y avait un grillage en bois. La porte recouverte de caoutchouc se fermait hermétiquement au moyen d’un verrou automatique. Sur le plancher du camion, sous la grille, deux tuyaux métalliques... »
Je passe la fin de la phrase.
« Ces tuyaux étaient réunis l’un à l’autre par un tuyau de même « diamètre perpendiculaire aux deux autres. Ces tuyaux portaient de nombreux orifices d’un demi-centimètre de large. Le tuyau perpendiculaire était relié à un tuyau de caoutchouc qui passait par un orifice du fond métallique et se terminait par une vis à écrou s’ajustant exactement au pas de vis de l’extrémité du tuyau d’échappement. On branchait donc ce tuyau de caoutchouc sur le « tuyau d’échappement et tout le gaz qui s’échappait du moteur remplissait l’intérieur du camion. Ceux qui se trouvaient à l’intérieur du camion mouraient dans un laps de temps assez bref. On pouvait entasser dans un tel camion de 70 à 80 personnes Le « moteur de ces camions portait la marque « Saurer. »
J’omets le reste de la citation parce que le Tribunal connaît déjà les renseignements qui y sont contenus et je prie le Tribunal de considérer le paragraphe 1 de la page 270, qui parle d’un camion à gaz qui fut employé dans la région de Stavropol pour exécuter 660 malades d’un hôpital de la région. J’attire ensuite l’attention du Tribunal sur le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités germano-fascistes à Krasnodar. Je dépose ce document sous le n° URSS-42. Il se rapporte aux exécutions en masse dans les camions à gaz. Je ne citerai pas ce document et je continue mon exposé à la page 243. Je dépose ensuite sous le n° URSS-55 un verdict du Tribunal militaire du front du Caucase du Nord dont je ne citerai qu’un court extrait. Le Tribunal trouvera cet extrait à la page 439 du livre de documents, tome II, paragraphe 2. Je commence la citation :
« L’enquête judiciaire a également établi les mauvais traitements systématiques infligés par les bandits hitlériens à de nombreux citoyens soviétiques arrêtés et internés dans des caves de la Gestapo, et dont les corps étaient ensuite brûlés. Cette enquête a également établi l’extermination par asphyxie par l’oxyde de carbone dans des camions à gaz, « douchegoubkas », spécialement aménagés, de près de 7.000 citoyens soviétiques innocents, dont plus de 700 malades qui se trouvaient dans des hôpitaux et des cliniques de la ville de Krasnodar et des environs, parmi lesquels 42 enfants de 5 à 16 ans. »
Je saute une page et je présente ensuite au Tribunal un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités des envahisseurs germano-fascistes dans la ville de Kharkov et la région avoisinante, sous le n° URSS-43. Je ne le lirai pas, mais j’attirerai simplement l’attention du Tribunal sur un document qui le résume, et notamment sur un verdict du Tribunal militaire du quatrième front d’Ukraine qui a trait à cette question. Ce document a déjà été déposé sous le n° URSS-32. Les membres du Tribunal trouveront l’extrait que je voudrais citer à la page 222 du livre de documents, paragraphe 1. Je commence la citation :
« En vue de l’exécution en masse des citoyens soviétiques, les envahisseurs germano-fascistes ont employé des « Gaswagen », grands camions fermés connus en Russie sous le nom de « douchegoubkas ». Dans ces camions à gaz, les envahisseurs germano-fascistes entassaient les citoyens soviétiques et les tuaient par asphyxie à l’oxyde de carbone. Afin de cacher les traces de leurs forfaits et de ces exécutions en masse de citoyens soviétiques par l’asphyxie à l’oxyde de carbone dans les camions à gaz, les criminels germano-fascistes brûlaient les cadavres de leurs victimes. »
Je termine ici ma citation et j’omets les deux pages suivantes du texte ; je lis maintenant la page 251 du texte russe. Pour prouver qu’on employait les camions à gaz non seulement dans les lieux ci-dessus mentionnés, mais aussi dans d’autres endroits, je vous présente le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises par les Allemands à Kiev, déjà déposé sous la n° URSS-9. Le Tribunal y trouvera la preuve de l’emploi des camions à gaz à Kiev.
On vient de nous donner la traduction écrite de votre exposé, page 234. Nous avons déjà eu une page 234. Voulez-vous, que celle-ci soit 234-A ? Est-ce seulement une page que vous nous fournissez maintenant ?
Dans le texte anglais, Monsieur le Président, il y a un numérotage différent et il m’est très difficile de parler du texte qui est entre vos mains, étant donné que j’ignore la pagination de la traduction-anglaise.
C’est peut-être la page 234-A ?
Je me trouve déjà à la page 251 du texte russe.
Je crois qu’il vaudrait mieux suspendre l’audience maintenant, nous pourrons ainsi éclaircir cette question de traduction.
J’en suis resté à l’utilisation devenue très courante des voitures à gaz dans les régions de l’Union Soviétique temporairement occupées, exactement à un rapport de la Commission extraordinaire d’État ayant enquêté sur les crimes commis dans la ville et le district de Rovno. Les membres du Tribunal trouveront le passage à la page 291, colonne 2, alinéa 10 du livre de documents. Je ne lis qu’un seul alinéa : « Des exécutions en masse de prisonniers de guerre et de paisibles citoyens eurent lieu à Rovno à la mitrailleuse, par asphyxie à l’oxyde de carbone dans les « camions de la mort » et maintes fois on jeta des gens dans des fosses où ils furent enterrés vivants. Une partie des fusillés — en particulier ceux qui le furent dans les carrières du village de Vydumka — furent brûlés sur des emplacements aménagés d’avance. »
Je termine ici ma citation et reprends à la page 253 du texte, paragraphe 3. En vue d’une autre confirmation à ces actes, je me réfère aux constatations de la Commission extraordinaire ayant enquêté sur les crimes commis à Minsk. Le Tribunal trouvera cette citation à la page 215 du livre de documents, colonne 2, alinéa 2. Je ne lirai qu’un alinéa de ce rapport :
« Des milliers de citoyens soviétiques moururent de la main des bourreaux allemands dans des camps de concentration. »
Je saute les quatre phrases suivantes et je reprends à la déposition du témoin Moïsewitch qui dit :
« J’ai été témoin de la façon dont les Allemands tuaient les gens dans les voitures à gaz. Dans chaque voiture ils faisaient entrer de force de 70 à 80 personnes et les emmenaient dans une direction inconnue. »
Je termine la citation et j’attire seulement l’attention du Tribunal sur le fait qu’à Minsk les assassins utilisaient le principe des chambres à gaz pour construire des « voitures de mort ». Ce fait est également mentionné dans le rapport de la Commission extraordinaire.
Enfin, je me réfère au verdict du Conseil de guerre de la région de Smolensk du 15-19 décembre 1945, que le Tribunal trouvera à la page 72 du livre de documents. Il y est dit que les Allemands ont pratiqué de la même façon l’exécution, à l’aide d’oxyde de carbone, de citoyens soviétiques dans les voitures spéciales appelées « voitures à gaz ». Je ne crois pas que ce soit un effet du hasard si les voitures à gaz ont fait leur apparition sur le territoire de l’Union Soviétique en 1942. A cette époque, les criminels de guerre étaient persuadés de la victoire et continuaient à réaliser leur plan pour l’extermination des peuples de l’Europe. Ils ne craignaient pas, à cette époque, de répondre de leurs crimes. Voilà pourquoi, en 1942, apparaissent de nouveaux chaînons dans la longue chaîne de crimes des dirigeants de l’Allemagne fasciste. La technique fasciste de destruction entra en pleine action. Elle créa les voitures à gaz, les chambres à gaz dans les camps de concentration, des appareils électriques spéciaux, des fours crématoires et des bouteilles d’acide prussique pour l’exécution massive des condamnés.
Je vais maintenant continuer la présentation des documents qui concernent les camps de concentration pour la population civile. Mais cette question a déjà été largement traitée par les représentants des Ministères Publics qui ont parlé avant moi et je vais donc abréger, me limitant à une documentation nouvelle ou aux textes illustrant le film qui va être présenté aujourd’hui au Tribunal.
J’attire l’attention du Tribunal sur le fait qu’à la fin de 1941 et pendant toute l’année 1942, il y eut une période d’extension énorme des crimes commis par les germano-fascistes, particulièrement dans les camps de concentration. Pour confirmer ce fait, je me réfère au rapport du Gouvernement polonais. Le Tribunal trouvera à la page 138 du livre de documents la preuve qu’en 1941 commença la construction accélérée d’un des plus terribles camps d’extermination, le camp Treblinka n° 2, que les Allemands appelaient Treblinka B. Je me réfère aussi au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur Auschwitz. Le Tribunal trouvera ce rapport que je vais citer à la page 353 du livre de documents, tome II, colonne 2, alinéa 2. Je lis un court extrait de la page 257 :
« En 1941, le premier four crématoire, avec trois fourneaux, fut construit dans le camp d’Auschwitz pour brûler les corps de gens assassinés. A côté du four crématoire, se trouvait ce que l’on appelait « la salle de bains », en fait une chambre à gaz pour asphyxier les gens. Le premier four crématoire fut utilisé jusqu’au milieu de 1943. »
J’attire l’attention du Tribunal sur la phrase suivante : « Pendant l’été 1942, le Reichsführer SS Himmler inspecta le camp d’Auschwitz et ordonna de l’agrandir et d’y apporter des améliorations techniques. »
J’attire l’attention du Tribunal sur la page 136 verso, du livre de documents ; c’est un rapport du Gouvernement polonais qui prouve que le camp de Sobibur fut établi pendant la première et la seconde période de la liquidation des ghettos juifs. Mais la principale vague d’extermination passa dans ce camp au début de 1943. Dans ce même rapport, nous trouverons au dernier alinéa de la page 136 du livre de documents que le camp de Beljetz fut créé en 1940, mais c’est en 1942 qu’un appareil électrique spécial pour l’extermination en masse des gens fut installé. Sous le prétexte de les mener au bain, on les obligeait à se déshabiller et on les poussait dans la bâtisse où le plancher était électrise et ils étaient ainsi tués.
On a pris l’habitude de diviser les camps de concentration germano-fascistes en deux groupes : les camps de concentration « de travail » et les « camps d’extermination ». Je crois que cette classification n’est pas exacte, car les camps de concentration « de travail » servaient également à l’extermination des gens.
Je passe deux pages du texte et je cite page 260. Pour confirmer ce que je viens de dire, je me réfère au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur le camp de Janov à Lwow. Le Tribunal trouvera cet extrait à la page 59 du livre de documents, paragraphe 5, première colonne du texte. Je demande en même temps au Tribunal d’examiner la page 6 de l’album de photos consacré au camp de Lwow. C’est une photo portant pour légende :
« La tranchée dans la vallée de la mort ». Le sol de la tranchée est imprégné de sang sur une profondeur de 1 mètre 50. Les pages suivantes montrent les objets appartenant aux morts tués dans le camp. Cette photo a été prise par des experts médicaux à peu près deux mois après les exécutions en masse. D’après le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur le camp de Janov, on constate que dans ce camp, qui était officiellement un camp de travail ordinaire, plus de 200.000 citoyens soviétiques ont été exterminés, d’après les conclusions des experts.
Je cite le premier alinéa de la page 261 du texte russe. Je lis :
« En considérant l’emplacement des sépultures, les ossements et cendres dispersés sur plus de deux kilomètres carrés, la commission médicale a estimé que plus de 200.000 citoyens soviétiques ont été exterminés dans le camp de Janov. »
Je passe la partie suivante de mon exposé qui parle du régime de famine et d’épuisement qui régnait dans les camps de concentration. Ceci a déjà été exposé par un représentant du Ministère Public anglais, Sir David Maxwell-Fyfe. Je considère que cette question a été suffisamment traitée et qu’il n’est pas nécessaire d’en parler davantage. Je demande au Tribunal la permission d’attirer son attention sur un camp qui a été créé par les fascistes allemands pendant la dernière phase de la guerre. Je reprends à la page 265 de mon exposé.
Les camps de Maïdanek et d’Auschwitz ne servaient qu’à l’extermination de ceux qui y étaient internés. Ces camps n’étaient pas une menace directe pour les gens qui étaient au delà de leurs limites. Mais, vers la fin de la guerre, les fascistes allemands, ayant déjà subi des défaites importantes, inaugurèrent une nouvelle méthode atroce d’extermination de la population civile. C’est ainsi que furent créés en Russie blanche des camps de mort destinés non seulement à exterminer les internés du camp, mais particulièrement à propager parmi la population civile et dans les rangs de l’Armée rouge des maladies contagieuses. Dans ces camps, il n’y avait pas de fours crématoires ni de chambres à gaz, mais on peut les considérer comme les camps les plus affreux qui aient été créés par le fascisme pour exterminer des êtres humains.
Sous le n° URSS-4, je présente au Tribunal un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur l’assassinat de citoyens soviétiques par l’inoculation du typhus. Ce fait n’a pas encore été mentionné et je me permettrai donc de citer des extraits détaillés de ce rapport. Je commence la citation page 454 du livre de documents, colonne 1, premier alinéa. C’est le dernier alinéa de la page 266 du texte russe.
« Le 19 mars 1944, des troupes de l’Armée rouge qui avançaient près de Ozaritschi, district de Polessi, dans la République Soviétique de la Russie blanche, ont découvert, en bordure immédiate de la ligne de défense allemande, trois camps de concentration où se trouvaient plus de 33.000 enfants, femmes malades et vieillards. »
Je saute un alinéa et je reprends :
« Ces camps n’étaient que des terrains nus entourés de barbelés. Les approches des camps étaient minées. Il n’y avait aucune construction, même pas des huttes, sur toute l’étendue de ces camps. »
J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que ceci se passait au mois de mars, époque à laquelle il fait très froid en Russie blanche.
« Les internés couchaient à même le sol. Beaucoup d’entre eux, ne pouvant plus bouger, gisaient sans connaissance dans la boue. Il était interdit aux internés de faire du feu et de ramasser des broussailles pour se coucher dessus. A la moindre infraction à ces ordres, les hitlériens fusillaient les citoyens soviétiques. »
« En créant des camps de concentration dans les lignes avancées de défense, les Allemands choisissaient des endroits où ils ne pensaient pas pouvoir maintenir leurs positions. Puis ils concentraient de grandes masses de citoyens soviétiques dans ces camps, ils y mettaient des femmes, des enfants, des vieillards. Et finalement ils amenèrent des gens malades et complètement épuisés et des milliers de personnes atteintes du typhus, déportées des différentes régions alors occupées de la Russie blanche. Parmi les internés qui furent libérés de ces camps, il y avait 15.960 enfants de moins de 13 ans, 13.072 femmes malades et 4.448 vieillards. »
Je saute la page suivante et passe à la page 269 du texte russe. Je ne cite qu’un seul alinéa qui démontre comment les criminels rassemblaient des malheureux de toute la Russie blanche dans ces camps.
Madame L. Pekarkaya, qui fut libérée d’un de ces camps, a déclaré devant la Commission :
« Le 12 mars 1944, vers le soir, les habitants de la ville de Zhlobin furent obligés de se réunir, en une demi-heure, à la gare de Zhlobin-Sud. Là, les Allemands séparèrent les jeunes et les emmenèrent et nous poussèrent dans des wagons à bestiaux qu’ils fermèrent ensuite. Nous ne savions pas où on nous conduisait, mais nous avions tous les plus affreux pressentiments... Plus tard, nous avons vu qu’on nous conduisait par le chemin de fer de Rudobeikow ; on nous fit débarquer le soir du 15 mars. La nuit, dans la boue jusqu’aux genoux, nous fûmes envoyés dans un camp, puis conduits dans un autre. Sur le chemin, les Allemands nous battaient et fusillaient tous ceux qui ne pouvaient suivre.
« Une femme marchait avec ses trois enfants, l’un des petits tombe, un Allemand tire sur lui. Lorsque la mère et les deux autres enfants se retournent horrifiés, les soldats tirent sur eux à tour de rôle. La mère pousse un cri strident, mais un nouveau coup de feu la réduit au silence.
« La mère et le fils Bondarev sont aussi en train de marcher. L’enfant ne peut pas supporter la marche épuisante et tombe. La mère se penche sur lui, veut l’encourager par quelques paroles réconfortantes, mais ni la mère ni le fils ne se relèvent plus, ils ne reverront plus le ciel bleu, les Allemands les ont fusillés. »
Je saute la page suivante de ce document et commence à présenter des preuves que les Allemands avaient intentionnellement concentré des malades du typhus dans ces camps. Je cite trois alinéas de la page 271 :
« Libérée du camp, la citoyenne Mitracovitch A. S., domiciliée au village de Novobelitsza, a déclaré :
« Nous étions atteints de typhus et nous fûmes expédiés près du village de Mikul-Gorodok, dans un camp entouré de fils de fer barbelés. »
Z. P. Gavriltchik, une habitante du petit village de Nouvogroudok, a déclaré :
« Pendant trois jours, des malades atteints du typhus furent amenés en camions dans le camp, ce qui eut pour résultat de contaminer de nombreux internés bien portants. »
Je saute les deux pages suivantes du document et reprends au passage que les juges trouveront à la page 254 du livre de documents, deuxième colonne, sixième alinéa. Je lis :
« Le commandement de l’Armée allemande envoyait dans les camps qui se trouvaient tout de suite derrière leurs lignes de défense des agents qui avaient pour mission de surveiller la propagation du typhus tant parmi la population que parmi les troupes de l’Armée rouge. »
Plus loin, on trouve la déposition de l’un de ces agents, le traître Rassorgujev. Je saute la citation.
Pour terminer la présentation des preuves se rapportant à cette question, je vais lire seulement quelques extraits des conclusions des expertises médicales sur ces épidémies ; le Tribunal trouvera ce passage à la page 454, deuxième colonne du texte. C’est la page 274 du texte russe :
a) Pour les contaminer, les autorités allemandes ont mis dans les camps de concentration des citoyens soviétiques bien portants en contact avec des malades atteints de typhus.
b) Pour propager plus rapidement le typhus dans les camps, les Allemands ont pratiqué le transfert des malades d’un camp à l’autre.
c) Quand les malades refusaient de changer de camp, les autorités allemandes employaient la force.
d) Les autorités allemandes prenaient dans les hôpitaux les malades atteints de typhus pour les mettre dans les camps de concentration avec des gens bien portants.
e) La population civile soviétique fut contaminée par le typhus pendant la fin de février et le début de mars. » Ceci eut pour résultat l’infection massive des internés ; ce fait est démontré dans les alinéas suivants où il est dit que le commandement de l’Armée rouge a dû hospitaliser 4.052 citoyens soviétiques libérés rien que dans le petit village de Ozaritschi, district de Polessi. Parmi eux, on compte 2.370 enfants de moins de 13 ans.
J’omets la partie de mon exposé qui est consacrée aux renseignements précis sur le régime particulièrement sévère infligé aux internés de ces camps de concentration et je reprends à la page 277 de mon exposé où je parle des camps de concentration de « type ordinaire. »
Je vais citer quelques extraits très courts du rapport officiel du Gouvernement yougoslave sur le camp de Banitza, près de Belgrade, pour démontrer que les camps de Yougoslavie étaient dotés d’un régime aussi bestial que celui des autres camps de l’est de l’Europe.
L’extrait que je vais lire se trouve à la page 263 du livre de documents, deuxième volume. Je vais citer le troisième alinéa de ce rapport :
« Le camp de Banitza, près de Belgrade, fut créé par les autorités d’occupation dès le mois de juin 1941. D’après les documents saisis dans ce camp, on peut constater que 23.637 internés y ont été inscrits. Cependant, d’après les dépositions des témoins qui ont réussi à en sortir — et en particulier des agents du Gouvernement de Quisling qui travaillaient dans ce camp — on peut constater qu’il est passé un nombre plus élevé de victimes par ce camp. »
Je saute le paragraphe suivant et je lis :
« Le témoin Monchilo Demianovitch a participé, vers la fin de 1943, à l’incinération des cadavres de victimes du camp de Banitza. »
Je saute la fin de cet alinéa et continue la citation : « Pendant son interrogatoire, le 7 février 1945, il déclara à la Commission d’État yougoslave que, pendant la période où il travailla dans le camp, il avait pu compter 68.000 cadavres. »
Je saute les cinq pages qui suivent et qui contiennent des renseignements déjà bien connus du Tribunal. Je reprends à la page 283 du texte russe. Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-193, un extrait du registre de l’hôpital du camp de « Saitmischte » près de Belgrade.
Le rapport du Gouvernement yougoslave indique que ces hôpitaux ressemblaient plutôt à des chapelles mortuaires où on apportait des cadavres pour la messe funéraire. Il y avait des jours (je demande au Tribunal de se référer à la cote 1070) où des dizaines et même des centaines de cadavres de personnes mortes d’inanition furent apportés à l’hôpital. Par exemple, la cote 1070 mentionne 87 cadavres, la cote 1272, 122 cadavres et la cote 2041, 112 cadavres. Je pense que tout autre commentaire est superflu.
Les conditions de vie des internés dans les camps de concentration répartis dans les régions alors occupées de l’Union Soviétique étaient exceptionnellement dures. Je vais lire quelques courts extraits du rapport de la Commission extraordinaire d’État sur la République Soviétique de Lituanie. Je commence la citation :
« Sur le territoire de la République Soviétique de Lituanie, les hitlériens ont exterminé non seulement une grande partie de la population locale, mais encore des citoyens des régions d’Orlelk, de Smolensk, de Vitebsk et de Leningrad, qui y furent conduits. De l’été 1943 jusqu’au mois de juin 1944, plus de 20.000 personnes sont passées dans le camp d’Alitus (vous verrez ce camp dans le film qui sera présenté cet après-midi au Tribunal).
Je passe l’alinéa suivant et continue :
« Des conditions sanitaires très pénibles, une densité incroyable, le manque d’eau, la faim et les maladies, ainsi que les exécutions en masse, ont eu pour résultat qu’en quatorze mois près de 60.000 citoyens soviétiques périrent dans ce camp. »
Je passe les deux pages suivantes du texte et cite la page 288 de mon texte. On y parle des camps spéciaux établis par les Allemands sur le territoire de la République lituanienne pour des familles de militaires de l’Armée rouge. L’avis suivant fut affiché dans ces camps :
« Toute personne qui se plaindra des méthodes employées par les Allemands ou qui violera les règles du camp sera fusillée sans être entendue, incarcérée ou expédiée aux travaux forcés à perpétuité en Allemagne. »
J’omets un alinéa et continue : « L’Allemande Elisabeth Seeling, qui commandait quatre de ces camps, déclarait aux internés très fréquemment : « Vous êtes mes esclaves, je vous punirai comme bon me semble. »
Je me réfère en outre à un rapport de la Commission extraordinaire sur les atrocités des Allemands dans la ville de Kiev. Les meurtres qui y furent commis passeront également aujourd’hui dans un film.
Les interprètes ont des difficultés. Pourriez-vous essayer de parler plus lentement.
Je vais parler un peu plus lentement, Monsieur le Président ; si j’ai parlé vite jusqu’à présent, c’est parce que j’ai encore à soumettre de nombreux documents. Je suis donc obligé d’accélérer.
De ce rapport, je ne lirai qu’un extrait qui parle des méthodes d’extermination en usage dans le camp de Synetz. Je cite la page 289 du texte russe, troisième alinéa :
« Radomsky et Rieder imaginèrent toutes sortes de moyens pour l’extermination des citoyens soviétiques. Ils inventèrent, par exemple, le moyen suivant : des citoyens soviétiques furent obligés de grimper sur un arbre et d’autres furent obligés de scier l’arbre. Les gens tombaient avec l’arbre et se tuaient. »
Je passe à une autre citation qui est un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités commises dans la République Soviétique d’Estonie. Cet extrait témoigne du régime cruel que subissaient les internés dans des camps de concentration en Estonie. Je cite le dernier alinéa de la page 90 :
« Tous les jours, il y avait des flagellations publiques d’internés sur des bancs construite spécialement à cette intention. De plus, pour le moindre motif, on laissait les internés sans nourriture pendant deux jours ou on les attachait pendant deux ou trois jours à un poteau par les froids les plus cruels, etc. Les gardiens SS n’étaient pas les seules personnes à maltraiter les internés ; l’administration du camp et les médecins du camp y participaient aussi. Le médecin du camp, Bothmann, a battu lui-même deux internés, le docteur Saïkindson et le docteur Tsetzow. D’autre part, Bothmann empoisonnait systématiquement des internés malades, en leur faisant une injection sous-cutanée de poison (évipan). L’infirmier du camp, l’Unterscharfuhrer Gent, tua 23 internés âgés à coups de hache. Le témoin G. M. Ranter a déclaré qu’en février 1944, dans le camp de Kioga, deux enfants étaient nés ; ils furent jetés vivants dans le four crématoire. »
J’interromps la citation, car je pense avoir décrit assez clairement le régime de ces camps de concentration.
Je passe à la présentation des preuves concernant ce qu’on appelle les camps d’extermination. On a déjà fourni suffisamment de documents au Tribunal sur ce sujet pour que je me limite à quelques preuves qui se rapportent au film documentaire qui sera présenté cet après-midi.
Je suppose qu’il a déjà été suffisamment démontré que, dans les camps de concentration, on anéantissait les citoyens de toute l’Europe. On y envoyait des habitants de l’Europe orientale et de l’Europe occidentale. Sur ce sujet, en dehors des rapports officiels établis sur les camps, nous possédons un registre des internés d’une section du camp d’Auschwitz ; messieurs les juges pourront trouver ce registre dans l’album des documents sur Auschwitz ; des citoyens de tous les pays d’Europe y sont mentionnés.
L’extermination dans les camps de concentration s’opérait au moyen de méthodes techniques spéciales. J’attire l’attention du Tribunal sur un nouveau point que j’ai spécialement étudié en analysant les dossiers des camps de concentration. J’ai voulu établir combien de firmes de l’Allemagne fasciste s’occupaient de la construction des fours crématoires pour les camps de concentration.
Je vais présenter au Tribunal les preuves qu’il y avait en Allemagne au moins trois firmes spécialisées dans la construction des fours et des installations crématoires. Ceci démontre l’ampleur de tous ces crimes. J’omets les pages 293 à 303 et je passe à la présentation des preuves concernant ce fait. Je demande au Tribunal d’accorder son attention au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités des occupants germano-fascistes à Auschwitz. Je cite les documents figurant à la page 353 du livre de documents :
« La construction de nouveaux fours crématoires puissants fut confiée à la firme allemande Armand Topf et fils, à Erfurt, qui commença immédiatement à Birkenau la construction de quatre fours crématoires puissants et de chambres à gaz. On exigeait de Berlin une accélération immédiate des travaux pour qu’ils fussent terminés au début de 1943.
« Dans les archives du bureau, au camp d’Auschwitz, on a trouvé la vaste correspondance échangée entre l’administration du camp et la firme Topf et fils et, notamment, la lettre suivante :
« Topf et fils, Erfurt. 12 février 1943. Au centre de construction a des SS et de la Police à Auschwitz. Au sujet des fours crématoires « 2 et 3 du camp de prisonniers de guerre.
« Nous vous confirmons la réception de votre télégramme du 10 février dont la teneur est la suivante : Nous confirmons encore une fois la réception de votre commande de cinq fours en faïence triples, avec deux ascenseurs électriques pour monter les cadavres « et un ascenseur provisoire. Vous avez également commandé une installation pratique pour l’adduction du charbon et une autre pour l’enlèvement des cendres. Vous devez livrer toute l’installation du four crématoire n° 3. Nous espérons que vous prendrez toutes mesures nécessaires pour l’expédition immédiate de toutes les machines. »
Je passe le document suivant concernant « les salles de bains à usage spécial » (les chambres à gaz) et présente le document URSS-64, qui est joint au rapport du Gouvernement yougoslave. C’est la photocopie certifiée d’un document légalisé, comme il convient pour une maison sérieuse. Il s’agit des ateliers Didier. Cette correspondance se rapporte à la construction d’un four crématoire prévu pour le grand camp de Belgrade. Dans le document que je présente, la maison Didier se recommande comme possédant une expérience spéciale dans la construction d’installations crématoires pour les camps de concentration et comme étant parfaitement au courant des exigences de sa clientèle. Pour amener les cadavres au four, la firme avait étudié un nouveau convoyeur à cylindre avec deux roues. Elle estimait pouvoir exécuter les commandes mieux que les autres firmes et demandait une petite avance. Je présente quelques courts extraits de ce document. Voici les deux premiers alinéas : « Nous nous référons à la visite de votre fils et aux conversations qu’a eues avec lui notre collaborateur, M. Storl.
« Nous avons pris note de l’intention des unités de SS à Belgrade de construire un système de fours crématoires pour un grand camp de concentration et nous savons que vous avez été chargé de préparer les plans et de surveiller la construction avec l’aide d’un architecte de la région. »
J’interromps la citation et je lis encore un passage :
« Pour amener les cadavres dans les fours, nous proposons des convoyeurs cylindriques à deux roues. Pour le transport des cadavres de la morgue jusqu’au four crématoire, nous conseillons d’utiliser des châssis légers sur roues et nous vous soumettons les plans de ces chariots. »
J’interromps ma citation et présente au Tribunal le document URSS-225.
Il sera déposé tout de suite, Monsieur le Président. Puis-je m’y référer ?
On va vous l’apporter dans quelques minutes.
Je vous présente donc, sous le n° URSS-225, un nouveau document se rapportant à la construction de ces mêmes fours crématoires dans le camp de concentration de Belgrade. C’est une correspondance de la maison Kori Ombli au sujet de l’exécution de commandes. C’était une maison qui jugeait nécessaire de terminer même les lettres d’affaires par un « Heil Hitler ». En même temps, la firme Kori, qui connaissait bien sa clientèle, demandait encore une fois si deux fours seraient réellement suffisants. Elle rappelait qu’elle avait déjà construit quatre fours pour Dachau et cinq pour Lublin et assurait que ses fours avaient prouvé leur valeur pratique. Je vais lire au Tribunal un extrait très court de ce document que le Tribunal trouvera à la page 471 du tome II de son livre de documents. Je lis le premier alinéa, page 38 :« Pour compléter nos négociations sur la livraison des installations d’incinération, nous vous proposons nos fours crématoires au charbon perfectionnés qui ont prouvé leur valeur pratique.
« En corrélation avec la construction projetée, nous vous proposons deux fours crématoires, en vous priant cependant de demander encore une fois si deux fours sont vraiment suffisants. »
Je saute l’alinéa suivant et reprends :
« La surface nécessaire pour la construction des fours et des souffleries est indiquée dans les croquis. Le croquis J. 8998 montre la disposition de deux fours tandis que le croquis J. 9122 concerne les quatre fours de Dachau. Un autre croquis J. 9080 montre l’installation de Lublin, avec cinq fours crématoires et deux chaudières. »
J’omets ce qui suit et lis le dernier alinéa dont la fin est si édifiante : « En attendant de vos nouvelles, nous sommes toujours à votre service. Heil Hitler ! C. H. Kori (Société à responsabilité limitée). »
Nous avons donc établi que la construction des fours crématoires en Allemagne...
N’ayant pas le texte, le Tribunal aimerait savoir à qui cette lettre a été adressée.
Monsieur le Président, cette lettre fut adressée aux unités des SS à Belgrade. Ces documents furent saisis par le Gouvernement yougoslave. Les moyens d’extermination pratiqués à Banitza n’étaient pas jugés suffisants par les SS de Belgrade qui décidèrent de les améliorer. Ce fut l’objet de cette active correspondance de la Police et des unités de SS à Belgrade avec les diverses firmes allemandes.
Les autres lettres que vous avez citées étaient-elles toutes adressées à des unités de SS ?
Oui, Monsieur le Président, elles étaient également adressées aux SS. La première lettre a été envoyée à l’administration du camp d’Auschwitz par la firme Topf et fils. Puis-je continuer ?
Je vais maintenant présenter des preuves de l’existence de fours crématoires mobiles en dehors des fours fixes. Le Tribunal se souvient des chambres à gaz mobiles. C’étaient les voitures de mort. Mais il y avait aussi des fours crématoires mobiles. Un SS, Paul Waldmann, en témoigne. Il a pris part aux crimes des fascistes allemands qui ont exterminé 840.000 prisonniers soviétiques à Sachsenhausen. On a déjà présenté au Tribunal, sous le n° URSS-52, un document sur Auschwitz. Je cite le passage de la déposition du SS Waldmann qui a trait aux exécutions en masse à Auschwitz.
« Les prisonniers de guerre tués de cette façon étaient brûlés dans quatre fours crématoires mobiles, remorqués par des automobiles. »
Je passe les deux pages suivantes de mon exposé où l’on parle des chambres à gaz et des fours crématoires. Cette question est suffisamment éclaircie et je vais seulement attirer l’attention du Tribunal sur les horribles procédés employés par les criminels fascistes allemands pour l’utilisation industrielle des corps des prisonniers exécutés. Je présenterai plus tard au Tribunal les preuves irréfutables d’une utilisation encore plus horrible des cadavres humains.
Je veux maintenant passer au rapport sur Auschwitz, que le Tribunal trouvera au recto de la page 353 du livre de documents. Je lui demande de se reporter en même temps à l’album d’Auschwitz, aux pages 34, 35 et 36, où l’on voit les photos de 7.000 kilogs de cheveux de femmes destinés à être envoyés en Allemagne. Je lis :« A partir de 1943, les Allemands commencèrent le traitement industriel des os complètement incinérés. Ils commencèrent à broyer les os et à les vendre à la firme Strehm pour la production de superphosphates. On a trouvé des lettres de voiture portant sur l’envoi à la firme Strehm de 112 tonnes 600 kilogs de poudre d’os humains. On a également utilisé à des fins industrielles des cheveux coupés aux femmes désignées pour l’extermination. »
Je passe quelques pages de mon exposé et demande au Tribunal de se reporter aux conclusions des experts techniques, au verso de la page 65 du livre de documents, deuxième partie :
On a fait des recherches spéciales dans les chambres à gaz, et des réactions chimiques précises ont démontré que l’empoisonnement dans les chambres à gaz se faisait à l’aide de l’acide prussique (cyclon A et cyclon B) et de l’oxyde de carbone.
Je cite un paragraphe des conclusions des experts techniques :
« L’analyse chimique et sanitaire des chambres à gaz au camp de Maïdanek (voir page 319 du livre de documents, troisième partie) confirme et prouve que toutes ces chambres à gaz et en particulier les quatre premières, furent destinées et employées à l’extermination systématique des internés au moyen de gaz toxiques tels que l’oxyde de carbone et le cyclon. »
Je passe d’autres parties de mon exposé se rapportant aux camps d’Auschwitz et de Maïdanek. Je suppose que ce sujet est suffisamment connu du Tribunal. On envoyait une partie des gens immédiatement à la mort tandis qu’on en laissait un cinquième ou un sixième dans le camp jusqu’à épuisement complet. Je possède à ce sujet beaucoup de documents probants, mais je les omets pour économiser du temps et faciliter la tâche des traducteurs et passe à la page 324 de mon document.
Je cite quelques extraits sur la façon odieuse et lâche dont les internés étaient dépouillés à Auschwitz et à Maïdanek. Je demande au Tribunal de se reporter en même temps à l’album d’Auschwitz, page 27, où se trouve la photographie d’un stock de valises ayant appartenu aux internés. A la page 28, vous verrez des valises avec des étiquettes de divers pays, à la page 39, un stock énorme de vêtements d’enfants, ainsi qu’à la page 33.
Le document qui n’a pas été présenté en temps voulu au Tribunal vient d’être transmis (correspondance avec la maison Kori). Je vous prie de m’excuser pour ce retard.
Je cite uniquement la partie du rapport sur Auschwitz que le Tribunal trouvera à la page 325 du livre de documents, qui se rapporte aux découvertes de la Commission dans les dépôts de camp. Je cite le deuxième alinéa de la page 325 :
« Sur le terrain du camp d’Auschwitz se trouvaient 35 dépôts spécialisés dans rassortiment et l’emballage des vêtements et des effets. 29 de ces dépôts furent brûlés avec leur contenu par les troupes allemandes à l’approche de l’Armée rouge. Dans les 6 dépôts restants, on a trouvé :
1. Vêtements et sous-vêtements d’hommes..……348.820 séries.
2. Vêtements et sous-vêtements de femmes..….836.255 —
3. Chaussures de femmes...............…………………5.525 paires.
4. Chaussures d’hommes..................………………38.000
5. Et même des tapis......................………………..13.964
Je passe encore deux alinéas et je cite...
Nous allons suspendre l’audience.