SOIXANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Mercredi 20 février 1946.
Audience du matin.
Monsieur le Président, avec l’autorisation du Tribunal, nous allons vous présenter les preuves sur « le pillage des biens privés, publics et nationaux ». Ces preuves vous seront exposées par M. L. R. Shekel, conseiller d’État de deuxième classe à la Justice.
Messieurs les juges, ma tâche consiste à présenter au Tribunal les preuves des mobiles criminels et rapaces de l’agression hitlérienne et du pillage monstrueux de la Tchécoslovaquie, de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Grèce et de l’URSS.
Mes collègues ont déjà démontré que l’agression contre l’URSS, comme aussi contre les autres États européens, avait été projetée et préparée à l’avance par le Gouvernement criminel hitlérien. Je vais présenter au Tribunal une série de documents authentiques des conspirateurs eux-mêmes, ainsi que des extraits de leurs propres déclarations et discours, dont l’ensemble montrera que le pillage des biens privés, publics et nationaux dans les territoires occupés était également prémédité, projeté et préparé sur une vaste échelle. Je prouverai que les hitlériens, avec le sang-froid et la minutie de bandits et de tueurs professionnels, ont élaboré et préparé, en même temps que leurs plans d’agression purement militaires et stratégiques, un plan de pillage et de maraudage organisé, en calculant scrupuleusement et exactement leurs futurs bénéfices, leurs gains criminels, leur butin de brigands.
Pillage de la Tchécoslovaquie.
Le rapport officiel du Gouvernement tchécoslovaque sur les crimes perpétrés par les hitlériens sur le territoire de la République tchécoslovaque, première victime de l’agression allemande, a déjà été présenté au Tribunal sous le n° URSS-60.
La troisième partie de ce rapport contient un court extrait d’un article de Ley, publié le 30 janvier 1940 dans L’Angriff.
« C’est notre destin que d’appartenir à une race supérieure. Une race de niveau inférieur exige moins de place, moins de vêtements, moins de nourriture et moins de culture qu’une race de niveau supérieur. »
Cette attitude, cette ligne de conduite générale, a trouvé son expression concrète dans le fait que tous les territoires dont ils se sont emparés étaient soumis par les conspirateurs hitlériens à des pillages sans limites par des méthodes variées mais dont les résultats dévastateurs furent partout identiques.
Dans le rapport du Gouvernement tchécoslovaque figurent un grand nombre d’exemples à l’appui des différents chefs d’accusation.
Je lis le passage du rapport qui commence à la page 72 de la traduction russe, premier paragraphe :
« Le plan de campagne allemand contre la Tchécoslovaquie était dirigé non seulement contre la République en tant qu’unité politique et militaire, mais aussi contre le peuple tchécoslovaque en tant que tel, auquel furent enlevés non seulement ses droits politiques et sa vie culturelle, mais également son bien-être et ses ressources financières et industrielles.
1. Le pillage direct
a) Après Munich.
Aussitôt après Munich, toutes les entreprises industrielles et commerciales appartenant aux Tchèques et aux Juifs dans les régions enlevées à la République furent saisies par les Allemands sans aucune compensation. Aux Tchèques et aux Juifs furent enlevés tous leurs biens, l’équipement de leurs entreprises et de leurs bureaux, et ceci s’accompagnait souvent d’actes de violence et d’effusion de sang. »
Ce rapport relate ensuite les faits caractéristiques suivants, montrant comment Hitler fit connaissance avec la Tchécoslovaquie nouvellement conquise. Je lis le paragraphe b de ce chapitre intitulé :
« Après l’invasion du 15 mars 1939 ». Messieurs les juges trouveront cet extrait aux pages 3 et 4 du livre de documents :
« Hitler entra à Prague tard dans la soirée du 15 mars 1939 et passa la nuit dans la célèbre forteresse de Hradschin. Le jour suivant, il partit en emportant de nombreux Gobelins précieux. Si nous rappelons ce pillage, ce n’est pas tant en raison de la valeur des objets volés qu’en tant qu’exemple donné par le Chef du Parti et du Gouvernement allemand dès le premier jour de l’invasion.
Les bataillons allemands qui submergèrent Prague amenaient avec eux tout un état-major d’experts économiques, c’est-à-dire d’experts en pillage économique. Tout ce qui présentait une valeur quelconque pour l’Allemagne fut saisi, notamment les réserves importantes de matières premières, de cuivre, de fer blanc, de fer, de papier, de laine et de produits alimentaires.
Les moyens de transport, les wagons, les locomotives, etc., furent emmenés en Allemagne. Tous les rails en bon état dans le Protectorat furent enlevés et expédiés en Allemagne et remplacés par de vieux rails en provenance du Reich. Les wagons neufs commandés pour les lignes de tramways de Prague furent envoyés dans le Reich.
Les bâtiments de la Société tchécoslovaque de navigation du Danube (la majorité des actions appartenait au Gouvernement tchécoslovaque) furent partagés entre l’Allemagne et la Hongrie.
De précieuses œuvres d’art et des meubles disparurent des édifices publics, sans aucune tentative de quelque « justification légale » de ces pillages. Les tableaux, les statues, les Gobelins furent emmenés en Allemagne et le musée national tchèque, la galerie d’art moderne, les collections publiques et privées furent pillés. L’administrateur allemand de la Banque nationale tchécoslovaque arrêta toutes les opérations de transfert avec l’étranger et s’empara de la réserve d’or et de devises du Protectorat. Les Allemands saisirent ainsi 23.000 kilos d’or d’une valeur nominale de 737.000.000 de couronnes (5.265.000 livres sterling) et transférèrent l’or de la Banque des transactions internationales à la Reichsbank. »
Un des moyens de pillage total était la « germanisation de l’économie ». Je présente au Tribunal, comme preuve de ces crimes, l’extrait suivant du rapport officiel tchécoslovaque. Cet extrait se trouve aux pages 4 et 5 du livre de documents. Je lis :
« 2. Germanisation de l’économie.
A. Confiscation de la propriété agricole.
a) Après Munich.
Dans les régions occupées par l’Armée allemande au début d’octobre 1938, l’Allemagne commença à mettre la main sur toutes les fermes appartenant à des propriétaires tchèques ou juifs qui avaient fui pour des raisons politiques ou raciales, pour y installer des ressortissants allemands.
La réforme agraire tchécoslovaque de 1919, dans la mesure où elle favorisait les Tchèques, fut annulée et les Tchèques chassés de leurs propriétés et obligés d’abandonner aux Allemands bétail, matériel et meubles.
Officiellement, les Tchèques reçurent un dédommagement mais, en réalité, ils furent soumis à des impôts destinés à couvrir les dommages qu’ils auraient causés volontairement par leur fuite. Ces impôts surpassaient de loin les dédommagements.
Les grandes propriétés agricoles et les domaines appartenant à la République tchécoslovaque devinrent automatiquement propriété du Reich et tombèrent sous la juridiction des ministres du Reich compétents.
b) Après l’invasion du 15 mars 1939.
Après l’invasion, des directeurs, contremaîtres et spécialistes allemands, remplacèrent les Tchèques dans les entreprises d’État de la République tchécoslovaque. La germanisation de la propriété privée débuta évidemment sous le signe de l’« aryanisation ». La germanisation des régions agricoles de Bohême et de Moravie fut confiée à un organisme spécial, la « Deutsche Siedlungsgesellschaft » (société allemande pour le peuplement), ayant son centre administratif à Prague. Les cultivateurs tchèques se virent proposer pour leurs récoltes des indemnités qui ne correspondaient pas à leur valeur. La germanisation des campagnes, indépendamment de la germanisation pure et simple, tendait à appauvrir le plus grand nombre possible de familles tchèques.
Les nazis s’efforçaient de tirer le maximum de l’agriculture tchèque. Là aussi le but était double : d’une part, obtenir le maximum de produits alimentaires et, d’autre part, pousser la germanisation à fond.
Les fermiers furent chassés de leurs demeures afin de céder la place aux colons allemands. Des régions agricoles entières furent ainsi nettoyées des Tchèques. Les coopératives agricoles auxquelles était confié le contrôle de la production furent transformées en organisations obligatoires et peu à peu germanisées.
Le pillage de la propriété était accompagné du pillage des récoltes. De fortes amendes, et souvent même la peine de mort, menaçaient les cultivateurs tchèques qui n’observaient pas les dispositions relatives à la livraison et à la répartition des récoltes.
B. Expropriation des banques et des comptes courants.
En Tchécoslovaquie, les entreprises industrielles sont directement financées par les banques qui, souvent, possèdent la majorité des actions ou les contrôlent. S’étant emparés des banques, les nazis avaient désormais le contrôle de l’industrie.
a) Après Munich.
Après Munich, deux importantes banques allemandes, la Dresdner Bank et la Deutsche Bank, s’emparèrent des succursales des banques de Prague dans les régions cédées à l’Allemagne. La Dresdner Bank s’est ainsi emparée de 32 succursales de la Banque d’escompte de Bohême, et la Deutsche Bank de 25 succursales de la Böhmische Union Bank. Dès que ces deux banques eurent obtenu le contrôle des succursales Sudètes des banques, elles s’efforcèrent d’exercer également leur influence sur les sièges de ces banques situés à Prague. Les banques tchécoslovaques étaient des sociétés par actions. Toutes les sociétés, dont un directeur seulement était Israélite, furent considérées comme juives ; c’est ainsi que des biens non juifs furent également saisis.
b) Après l’invasion du 15 mars 1939.
Après l’invasion, plusieurs banques tchécoslovaques de Bohême sont devenues, par la voie de l’aryanisation, propriété de la Dresdner Bank. La banque allemande s’empara, entre autres, de la Böhmische Union Bank. Ainsi tombèrent aux mains des Allemands tous les intérêts financiers que ces banques possédaient dans l’industrie tchèque, de même que tous leurs titres et toutes leurs actions.
Dès lors commença l’affluence de capitaux allemands dans les banques tchèques, l’expropriation de ces dernières et leur incorporation dans le système bancaire allemand. La Dresdner Bank (qui administrait les biens du parti national-socialiste) et la Deutsche Bank se virent officiellement chargées de l’expropriation de fonds appartenant à des établissements de crédit tchécoslovaque.
Par diverses transactions, par l’influence exercée grâce à l’intermédiaire des diverses succursales Sudètes sur les sièges centraux de ces banques à Prague, par la réduction du nombre d’actions, qui fut augmenté ultérieurement par l’apport de fonds allemands, par l’appropriation des biens industriels qui leur permettait d’exercer leur influence sur les banques qui les contrôlaient auparavant et auxquelles on enlevait leurs intérêts dans l’industrie, etc., les deux banques berlinoises réussirent à établir un contrôle absolu sur les banques du Protectorat. La Gestapo les aidait dans leur tâche en faisant régner la terreur »
Je passe un alinéa de cet exposé et je continue au paragraphe intitulé :
« C. Destruction de l’industrie nationale.
a) Organisation obligatoire.
Après l’invasion, les Allemands organisèrent l’industrie tchèque du Protectorat sur le modèle allemand. Ils nommèrent un comité dans toutes les nouvelles sociétés et tous les « groupes » industriels, en désignant dans chacun d’eux ne serait-ce qu’un seul nazi en qualité de président ou de vice-président, ou tout simplement en qualité de membre, mais pratiquement tous les membres tchèques n’étaient que des figurants n’ayant aucun droit.
b) Les usines d’armement.
La Dresdner Bank acquit les usines les plus importantes de la Tchécoslovaquie, les usines Skoda à Pilsen et les usines tchécoslovaques Zbojobka à Brno. Les actionnaires furent obligés de céder leurs titres au prix nominal. La banque paya ces titres en billets de banque qui avaient été retirés de la circulation ou que les Allemands avaient confisqués dans la région cédée en vertu de l’accord de Munich.
c) Entreprises Hermann Göring.
La domination allemande sur les banques tchécoslovaques, et par conséquent sur l’industrie par l’intermédiaire des grandes banques de Berlin, fut réalisée avec l’appui de l’énorme « Entreprise Hermann Göring » qui acquit toutes les entreprises industrielles tchécoslovaques importantes, l’une après l’autre, à des prix dérisoires, en particulier sous prétexte d’aryanisation, sous la pression du Reich, au moyen de « mesures » financières et, enfin, par la menace de la Gestapo et des camps de concentration. Enfin, toutes les grandes entreprises tchécoslovaques, toutes les usines et toutes les manufactures d’armes, les exploitations houillères et l’industrie métallurgique tombèrent aux mains des Allemands. L’importante industrie de produits chimiques fut absorbée par le consortium allemand « I. G. Farben Industrie ».
Je passe le paragraphe du rapport qui indique que les mêmes méthodes furent employées pour l’industrie légère et j’arrive au paragraphe suivant, intitulé « Le pillage financier » :
« Après l’occupation du territoire cédé conformément aux clauses territoriales de l’accord de Munich, les Allemands refusèrent de participer au règlement de la dette nationale tchèque, quoiqu’ils eussent acquis des biens d’État extrêmement importants dans la région enlevée à la Tchécoslovaquie :
1.600.000.000 de couronnes d’obligations d’État — en petites coupures — étaient en circulation dans ces territoires occupés. Les Allemands se réservèrent le droit d’utiliser ces obligations en Tchécoslovaquie, en tant que monnaie légale ».
Ce rapport poursuit par la description du pillage organisé de l’économie financière de la République tchécoslovaque par les hitlériens. Pour gagner du temps, je ne lirai pas cet extrait et je ne vous citerai que le bilan de la Banque nationale tchèque.
Le bilan de la Banque nationale tchèque donnait les chiffres suivants dans la rubrique « Actif, divers » :
« Au 31 décembre 1938 845.000.000 de couronnes.
Au 31 décembre 1939 3.576.000.000
Au 31 décembre 1942 17.366.000.000 »
Je lis ensuite un extrait de la rubrique « Impôts » :
« Dès le déclenchement des hostilités, les nazis fixèrent « la contribution de guerre du Protectorat » à une somme annuelle de 2.000.000.000 de couronnes (ce qui représente 14.200.000 livres sterling). Les nazis prétendaient qu’ils en avaient le droit légalement, parce que « si les Tchèques ne faisaient pas la guerre, c’est que les Allemands la faisaient pour eux. Dès l’occupation, les Allemands s’emparèrent des revenus des divers impôts indirects et les versèrent au Trésor du Reich ».
Messieurs les juges, les extraits du rapport du Gouvernement tchèque que je vous ai présentés donnent un aperçu clair et précis des moyens par lesquels les hitlériens, s’étant emparés de la Tchécoslovaquie, soumirent ce pays au pillage le plus éhonté dans tous les domaines de sa vie économique : agriculture, industrie et finances.
S’étant emparé de toute l’économie nationale de la République tchécoslovaque, le Gouvernement hitlérien l’a mise au service de ses intérêts criminels. Il en tirait toutes les ressources possibles pour la préparation d’une agression contre les peuples de l’Europe, pour de nouvelles agressions militaires, poursuivant le but monstrueux de la suprématie mondiale de la « Race des seigneurs ».
Pillage de la propriété publique et privée en Pologne.
Je passe à la lecture de la quatrième partie du rapport officiel du Gouvernement polonais sur les crimes perpétrés par les hitlériens en Pologne occupée.
Ce rapport a déjà été soumis au Tribunal sous le n° URSS-93 et, conformément à l’article 21 du Statut, peut être considéré comme preuve irréfutable. Je lis un extrait de ce rapport que le Tribunal trouvera page 14 du livre de documents :
« Expropriation et pillage de la propriété privée et publique ».
« a) Le 27 septembre 1939, les autorités militaires allemandes publièrent un décret relatif au séquestre et à la confiscation des biens polonais dans les provinces occidentales. Aux termes du paragraphe 1 de ce décret, le séquestre peut être appliqué à la propriété de l’État polonais, des établissements publics polonais, des municipalités et des associations, des personnes privées et des corporations, et leurs biens peuvent être confisqués.
b) Le pouvoir des autorités militaires de disposer des biens polonais dans les provinces annexées a été transmis à un organisme spécial « Haupttreuhandstelle Ost » (service principal d’administration des biens sous séquestre dans les territoires de l’Est) créé par Göring le 1er novembre 1939, dont le siège était à Berlin et les succursales en Pologne. C’est à cet organisme que fut confiée l’administration des biens confisqués à l’État polonais ainsi que l’organisation de l’économie polonaise, conformément au plan élaboré par le Gouvernement du Reich.
c) En vertu du décret du 15 janvier 1940, tous les biens de l’État polonais furent « mis sous séquestre », ce qui signifiait pratiquement la confiscation de tous les biens de l’État dans les territoires annexés. Par un décret spécial en date du 12 février 1940, la même procédure était applicable aux propriétés agricoles et aux forêts.
d) Le décret du 31 janvier 1940 marque le début des confiscations de propriétés privées dans les provinces occidentales. Pour l’acquisition de la propriété ou le transfert du droit de propriété dans toutes les entreprises, dans les territoires annexés, il fallait des autorisations spéciales. Par un décret ultérieur, en date du 12 juin 1940, Göring donna les pleins pouvoirs à cet organisme spécial pour la saisie et l’administration, non seulement des biens de l’État, mais également de ceux des citoyens de l’ancien État polonais.
e) Cependant, la procédure de confiscation se poursuivait. La propriété des citoyens polonais pouvait être saisie et confisquée si le propriétaire ne recevait pas la nationalité allemande, selon le décret de Hitler en date du 8 octobre 1939. Les décrets ultérieurs ont trait au paiement des dettes, les administrateurs-séquestres étant en droit de ne payer les dettes qu’aux seuls créditeurs privilégiés. C’étaient les membres de la Deutsche Volksliste pour les dettes d’avant-guerre ainsi que les citoyens du Reich et de la ville libre de Dantzig pour les dettes ultérieures au 1er septembre 1939. »
Je passe deux pages de ce rapport où sont énumérées les organisations spécialement créées pour exécuter ces opérations de pillage ainsi que le pillage de la population juive de Pologne qui, comme le sait déjà le Tribunal, fut ensuite exterminée.
Je passe à la conclusion du rapport du Gouvernement polonais. Messieurs les juges trouveront le passage en- question à la page 17 de leur livre de documents.
De simples extraits du décret précité et des autres décrets pourraient donner une fausse idée des mesures que les accusés ont appliquées aux biens juifs en Pologne. Mais il faut ajouter que les mesures concernant les biens juifs en Pologne n’étaient qu’un prélude aux crimes ultérieurs beaucoup plus graves. Dans la conclusion de cette partie du rapport, il est dit fort justement :
« En plus des crimes qui ont été prouvés et exposés ici, il en existe des milliers d’autres qui restent dans l’ombre en raison même de l’envergure des massacres, des vols et des destructions ».
Il n’est pas possible d’énumérer ici tous les crimes commis en Pologne sous les ordres directs de l’accusé Frank qui assumait le pouvoir suprême dans le soi-disant Gouvernement Général.
La découverte et l’annexion au dossier du journal de Frank permet de se faire une idée claire et concrète des actes criminels perpétrés en Pologne sous sa direction par les hitlériens. Dans ce journal se trouvent également des notes intéressant directement le sujet que je traite. C’est pourquoi, avec votre permission, je voudrais soumettre des extraits de ce journal qui n’ont pas encore été lus.
Je cite un extrait du volume intitulé « Conférences des chefs de sections, 1939-1940 », pages 11 et 12 ; dans votre livre de documents, Messieurs les juges, vous trouverez cet extrait au verso de la page 21 :
« Mes relations avec les Polonais sont celles des fourmis avec les pucerons. Si je traite avec bienveillance le Polonais et si je le flatte, c’est parce que j’espère augmenter ainsi son rendement. Il ne s’agit pas ici d’un problème politique, mais d’un problème purement tactique et technique. Mais si, dans une usine, malgré toutes ces mesures, la production ne s’accroît pas ou si le moindre incident me fournit l’occasion d’intervenir, je n’hésiterai absolument pas à prendre des mesures draconiennes. »
Je cite un passage du volume intitulé Journal 1942.
« Dr Frank
Si l’on se souvient que 540.000.000 de zlotys en billets de la banque polonaise ont été saisis par le Gouvernement Général dans les territoires annexés de l’Est sans aucune contrepartie, cela constitue un tribut de plus d’un demi-milliard que le Gouvernement Général a payé à l’Allemagne, sans compter d’autres apports financiers. »
A la page 1277 du même volume, il est question de la conférence des gouverneurs du 7 décembre 1942, à Cracovie, où l’on discuta des mesures à prendre pour obtenir un accroissement de la production en 1942-1943. Un certain Dr Fischer déclare :
« La réalisation du nouveau plan de ravitaillement signifierait que, rien qu’à Varsovie et dans ses environs immédiats, 500.000 personnes cesseraient d’être ravitaillées. »
Dans le même volume, page 1331, Frank déclare :
« Je tâcherai de tirer du réservoir de cette région tout ce qui peut en être tiré. Pensez que j’ai réussi à envoyer en Allemagne 600.000 tonnes de céréales et qu’il faut y ajouter 180.000 tonnes pour les besoins des troupes cantonnées dans la région, ainsi que des milliers de tonnes de graines de semence, de graisses, de légumes, en plus de l’envoi en Allemagne de 300.000.000 d’œufs, etc., et vous comprendrez l’importance de ce territoire pour l’Allemagne. »
Le même Frank, page 1332, page 27 du livre de documents :
« Cependant, ces livraisons au Reich se heurtent à un obstacle considérable, car les livraisons qui nous sont imposées dépassent les capacités de ravitaillement de la région. Nous devons donc faire face au problème suivant : devrons-nous, dès le 2 février, priver 2.000.000 de personnes de la population non germanique de la région, de l’approvisionnement régulier en vivres ? »
Dans le volume intitulé Les conférences du travail de 1943, nous trouvons un compte rendu de la conférence du Travail du 14 avril 1943, à Cracovie. Le Tribunal trouvera page 28 du livre de documents l’extrait que j’ai l’intention de citer.
« Le président Naumann
Il nous faut, pour l’année 1943-1944, les quantités suivantes : 1.500 tonnes de sucre pour les Allemands, 36.000.000 de litres de lait frais écrémé pour les Allemands, 15.100.000 de litres de lait complet pour les Allemands. »
Je poursuis à la page 24, page 28 du livre de documents.
« L’an dernier, on a saisi plus de 20 % du bétail dans le Gouvernement Général. Des animaux, cependant indispensables à la production du lait et du beurre, ont été abattus l’année dernière pour assurer les livraisons au Reich et à l’Armée et le ravitaillement en viande. Pour obtenir 120.000 tonnes de viande, il faudrait abattre 40 % du troupeau restant. »
Plus loin :
« A la question posée par M. le Gouverneur Général, le président Naumann répond qu’on a pris, en 1940, 383.000 tonnes de céréales, en 1941, 685.000, en 1942, 1.200.000 tonnes. Ces chiffres montrent que les réquisitions augmentent d’année en année et s’approchent de plus en plus des limites du possible. On voudrait obtenir une augmentation de 200.000 tonnes : les dernières limites seront atteintes. Le régime de famine que subit le paysan polonais ne peut pas être indéfiniment restreint, car celui-ci doit garder la force de cultiver son champ et d’accomplir tous les autres travaux qu’on lui impose, comme le transport du bois pour l’administration des forêts. »
Pourtant, la réponse de Naumann, citée ci-dessus, n’influença aucunement la politique de pillage impitoyable auquel fut soumis le peuple polonais dont le sort, d’après les propres paroles de Frank, ne l’intéressait que sous un certain point de vue.
Dans le volume intitulé Journal du 1er janvier au 26 février 1944 se trouvent les déclarations cyniques faites par Frank à la conférence des dirigeants de l’agriculture allemande, le 12 janvier 1944 : c’est à la page 30 du livre de documents :
« Quand nous aurons gagné la guerre, on pourra transformer les Polonais, les Ukrainiens et consorts en chair à saucisse. Advienne que pourra. »
Je pense, Messieurs les juges, qu’après cette citation, je n’ai plus besoin, en tant que représentant de l’accusation soviétique, d’ajouter quoi que ce soit au chapitre des crimes perpétrés par les criminels hitlériens sur le territoire de l’État polonais.
En vérité, il suffit d’une seule de ces citations pour se faire une idée exacte du régime institué en Pologne par Frank, ainsi que sur Frank lui-même en tant que fondateur de ce régime.
Pillage des biens privés et publics en Yougoslavie.
En abordant la question du pillage et du vol des biens privés et publics en Yougoslavie par les hitlériens, je dois, Messieurs les juges, lire le chapitre correspondant du rapport officiel du Gouvernement yougoslave, déjà présenté au Tribunal Militaire International par le Ministère Public soviétique sous le n° URSS-36. En vertu de l’article 21 de l’Acte constitutif, ce rapport a valeur probatoire. Au sixième chapitre de ce rapport intitulé « Pillage des biens publics et privés », nous lisons (ce chapitre se trouve aux pages 32 et suivantes du livre de documents) :
« 6. Pillage des biens publics et privés.
Parallèlement à l’exploitation de la main-d’œuvre yougoslave, on procéda à un pillage systématique de la propriété publique et privée. Il fut pratiqué sous différentes formes et rentrait dans les cadres de différentes mesures. En définitive, l’Allemagne a réussi par ce moyen à extraire de la Yougoslavie occupée toutes les ressources économiques et toutes les valeurs, et à anéantir le pays au point de vue économique .
Nous ne citerons ici que quelques exemples de pillage organisé :
a) Mesures concernant la monnaie.
Comme dans tous les autres pays occupés, les Allemands, aussitôt après leur entrée en Yougoslavie, mirent à exécution toute une série de mesures concernant la monnaie, mesures qui leur ont permis d’exporter de Yougoslavie des quantités de marchandises et d’autres valeurs à des prix dérisoires. Le 14 avril 1943, c’est-à-dire avant l’occupation de toute la Yougoslavie, le Commandant en chef de l’Armée de terre allemande a promulgué un « Communiqué relatif au territoire yougoslave occupé », ajoutant qu’il agissait selon les pleins pouvoirs reçus du Führer et Commandant en chef des Forces armées. Le paragraphe 9 de ce communiqué fixe un cours obligatoire à la monnaie yougoslave : pour 1 mark allemand, 20 dinars yougoslaves. Ainsi, la valeur du dinar fut abaissée de force artificiellement. Le rapport du dinar au mark avant la guerre était beaucoup plus avantageux pour le premier. C’est là une preuve irréfutable de la violation des règlements de la Convention de La Haye relatifs à cette question, comme aussi de l’existence d’un plan prémédité pour la dévaluation de la monnaie yougoslave. »
Je soumets au Tribunal une photocopie certifiée conforme de ce communiqué sous le n° URSS-140 :
« La seconde mesure de pillage sur le terrain de la monnaie fut constituée par l’introduction de moyens coercitifs de paiement en Yougoslavie occupée : mise en circulation de billets de banque par la Caisse de crédit du Reich. Ce point est mentionné également à l’article 9 du communiqué soumis au Tribunal sous le n° URSS-140. Ces « mark d’occupation » n’avaient aucune garantie ni valeur en Allemagne même. Ils étaient imprimés en Yougoslavie au fur et à mesure des besoins de l’Armée et des autorités d’occupation allemandes et permettaient aux Allemands de pratiquer leurs achats aux prix les plus bas.
Le 30 juin 1942 — c’est-à-dire plus d’un an après — ces billets de la Reichskreditkasse furent retirés de la circulation. Les Allemands ne le firent qu’après avoir acheté en Yougoslavie tout ce que l’on pouvait encore acheter et après avoir liquidé et pillé la Banque nationale yougoslave. Pour la remplacer, les Allemands créèrent la Banque nationale serbe.
Afin que les Allemands ne perdissent rien à cette opération, il fut imposé à la Banque nationale serbe de procéder à l’échange des billets de banque du Reich retirés de la circulation contre de nouveaux dinars. Puis les Allemands retirèrent de la Banque nationale serbe les mark ainsi échangés, contre un simple reçu. Ainsi fut effectué un pillage éhonté qui a coûté à la Yougoslavie plusieurs milliards de dinars. »
Nous présentons au Tribunal la loi du 30 juin 1942 sur le retrait de la circulation des billets de la Reichskreditkasse sous le n° URSS-194, ainsi qu’une copie certifiée conforme de la loi du 29 mai 1941, relative à la Banque nationale serbe, sous le n° URSS-135.
Il ressort de ces documents que les autorités d’occupation allemandes ont, illégalement et de force, liquidé la Banque d’émission yougoslave et, sous prétexte que la Yougoslavie n’existait plus, exploité cette liquidation aux fins d’une spoliation monstre du pays.
Les Allemands n’ont créé la « Banque nationale serbe » que pour l’utiliser dans leur politique d’exploitation de la Serbie. A la tête de la banque étaient placées des personnes nommées par les Allemands.
Ce qui s’est produit avec la monnaie métallique yougoslave est également intéressant. Cette monnaie contenait un certain pourcentage d’argent et de laiton. C’est pourquoi elle fut retirée de la circulation et remplacée par une monnaie faite d’un alliage inférieur. Les Allemands ont naturellement envoyé en Allemagne la monnaie yougoslave d’une valeur intrinsèque supérieure.
« b) Les réquisitions et les amendes. »
Ce paragraphe se trouve, Messieurs les juges, à la page 42 du livre de documents.
« Le ministre du Reich, Speer, en sa qualité de chef suprême du département de l’Armement, a déclaré que la stabilisation des prix était la « Magna Carta » du programme d’armement. Dans son ordre du 25 mars 1943, Göring avait prescrit une nouvelle baisse des prix pour les marchandises importées de tous les pays occupés. Cet abaissement des prix put être atteint grâce aux mesures financières ainsi qu’aux réquisitions, confiscations, impositions, amendes et surtout à l’introduction d’une « politique des prix.
Le Gouvernement du Reich a réussi, au moyen des réquisitions, du système de maintien des prix au niveau le plus bas et des achats imposés, à dépouiller totalement les peuples yougoslaves. Les Allemands allèrent si loin que même les services Quisling, qui collaboraient avec eux, furent souvent contraints de déclarer qu’il était impossible de livrer les contingents exigés ».
« Il est dit, par exemple, dans un compte rendu du chef du district de Morava — de l’administration Quisling de Milan-Neditch — en date du 12 février 1942 :
l. Si on enlève aux paysans tant de têtes de bétail, ils ne « pourront pas cultiver leurs champs. D’une part, les autorités exigent que chaque pièce de terre soit cultivée et, d’autre part, « ils leur prennent le bétail sans autre considération.
2. Le prix d’achat du bétail est si bas que les paysans con- sidèrent cet achat comme une simple réquisition.
De tels exemples sont courants dans d’autres districts de Yougoslavie.
Pour piller le pays, les Allemands avaient souvent recours à une imposition systématique d’amendes de toutes sortes. Les amendes imposées par la Feldkommandantur en 1943 atteignaient, rien qu’à Belgrade, des proportions gigantesques : 48.818.068 dinars. A Nish en 1943, au cours des trois premiers mois et demi, les amendes perçues s’élèvent à la somme de 5.065.000 dinars.
Pour terminer, nous voudrions présenter quelques données sur la question du clearing. L’exportation des marchandises de Yougoslavie en Allemagne était déterminée par le clearing. Au 1er mars 1943, le solde au clearing en faveur de la Serbie se montait à la somme de 219.000.000 de mark, c’est-à-dire 4.380.000.000 de dinars. Vers la fin de l’occupation, l’Allemagne était débitrice de la Serbie pour une somme supérieure à 10.000.000.000.
Dans les autres districts de la Yougoslavie, la situation était la même dans son ensemble. Seules les formes du pillage changeaient suivant les conditions locales.
c) Confiscations.
Le moyen le plus profitable et le plus répandu pour piller la Yougoslavie fut le système des confiscations. Même avant l’occupation totale de la Yougoslavie, un ordre relatif aux confiscations fut promulgué, en 1941, dans la zone de combat. L’exécution de cet ordre amena la confiscation d’immenses quantités de produits agricoles, de matières premières, de produits semi-fabriques et autres. »
Je remets au Tribunal la copie de cette loi qui constitue le document URSS-206.
« Quand l’occupation fut entièrement réalisée, les autorités allemandes d’occupation, par différentes dispositions, introduisirent en Yougoslavie un système de confiscation de la propriété publique et privée. »
Pour épargner du temps, je passe une partie de ce rapport qui donne des exemples de confiscation de biens de la population yougoslave et je passe à la partie suivante, intitulée « Autres aspects du pillage ».
Messieurs les juges trouveront cet extrait à la page 52 du livre de documents.
« A côté de ces formes de pillage, pillage exécuté du moins dans le cadre de diverses dispositions, lois et ordres, des méthodes plus brutales furent pratiquées partout en Yougoslavie. Ce pillage n’était pas le résultat d’incidents séparés, mais faisait partie du programme allemand d’asservissement et d’exploitation.
Les Allemands pillaient tout, des installations industrielles et entreprises économiques au cheptel et aux produits alimentaires, enfin aux objets d’usage personnel. Voici quelques exemples :
1. Dès leur entrée en Yougoslavie, les Allemands pillèrent toutes les grandes entreprises commerciales et entrepôts. Ils organisaient leurs vols la nuit, surtout après le couvre-feu.
2. Dans l’ordre du Generalmajor Kubler, déposé sous le n° URSS-132 par le Ministère Public soviétique, nous lisons les phrases suivantes :
L’Armée doit se comporter brutalement, sans pitié, envers les « éléments hostiles de la population. Elle a l’ordre de priver l’ennemi « de tout moyen d’existence, en détruisant les localités abandonnées « et en saisissant toutes les réserves. »
Conformément à cet ordre et à d’autres instructions similaires, les Allemands pillaient le pays sous prétexte de « contrôle des réserves disponibles », ou pendant la destruction des « localités abandonnées ».
3. Les « expéditions punitives », qui durant l’occupation étaient devenues très fréquentes, pillaient naturellement les biens des victimes. De même étaient pillés les biens des prisonniers et des morts de l’Armée nationale de libération, ainsi que des centaines de milliers de détenus des camps de concentration.
4. Les Allemands n’épargnaient même pas les églises. Ainsi, la formation allemande « Einheit Konrad », opérant dans la région de Sibenik, pilla l’église Saint-Jean à Zablanze. De tels exemples sont nombreux.
Toutes les régions de Yougoslavie furent systématiquement pillées pendant quatre ans. Ces pillages étaient réalisés par les Allemands, soit sous le couvert de « mesures légales », soit même par des vols massifs. Les occupants nazis faisaient preuve de beaucoup d’imagination et utilisaient l’expérience acquise dans les pays occupés. Ils portèrent par cette action criminelle un tel préjudice à l’État yougoslave et à ses citoyens qu’on peut l’envisager comme la destruction économique du pays ».
Ainsi, Messieurs les juges, nous pouvons constater que le pillage des biens publics et privés de la Yougoslavie fut conduit, conçu et exécuté par les hitlériens suivant un plan prémédité, que ce pillage atteignit toutes les classes de la population et toutes les branches de l’économie du pays et qu’il entraîna pour l’État yougoslave tout entier et ses citoyens un préjudice économique considérable.
Nous allons maintenant suspendre l’audience pendant 10 minutes.
Je vais maintenant passer au chapitre suivant :
Pillage de le Grèce.
Le Tribunal a déjà pris connaissance du rapport officiel du Gouvernement grec sur les crimes commis par les hitlériens dans ce pays.
Les conspirateurs hitlériens, poursuivant leur politique de pillage impitoyable de tous les États occupés, commencèrent à piller les biens nationaux de la Grèce aussitôt après l’avoir envahie.
Dans la section de ce rapport intitulée « Exploitation », on cite des faits de pillage des biens privés et publics en Grèce. Je vais citer un extrait tiré du rapport grec dans la partie intitulée « Exploitation », qui figure à la page 59 du livre de documents :
« En raison de sa position géographique, la Grèce a été utilisée par les Allemands comme base d’opérations en Afrique du Nord. Ils ont également utilisé la Grèce comme centre de repos pour des milliers de soldats d’Afrique du Nord et du front de l’Est. Ils ont ainsi concentré en Grèce des forces beaucoup plus considérables qu’il n’était nécessaire pour l’occupation. Les légumes, les fruits, les pommes de terre, le beurre, les produits laitiers, la viande étaient réquisitionnés en grandes quantités pour satisfaire aux besoins de toutes ces troupes. La production normale étant insuffisante, on réquisitionnait du bétail, ce qui entraînait une diminution considérable du cheptel du pays ».
En dehors des réquisitions de ravitaillement pour l’Armée, les conspirateurs hitlériens prenaient en Grèce des sommes énormes pour couvrir les soi-disant frais d’occupation. Voici ce qu’indique le rapport du Gouvernement grec à ce sujet (page 60 du livre de documents) :
« Dans la période d’août à décembre 1941, on a versé aux Allemands 26.206.085.000 drachmes, c’est-à-dire une somme de 60% supérieure aux revenus de l’État pour la même période. En effet, d’après les conclusions des experts des deux puissances de l’Axe, le Dr Bartoni pour l’Italie et le Dr Barberin pour l’Allemagne, les revenus de l’État pour l’année se chiffraient à 23.000.000.000 de drachmes. L’année suivante, les revenus ayant diminué, les Allemands se servirent directement aux réserves du Trésor national. »
Pour piller la Grèce, les Allemands utilisèrent une autre méthode courante des nazis, c’est-à-dire les confiscations et les réquisitions. Pour gagner du temps, avec la permission du Tribunal, je ne lirai, sur ce point, qu’un très court extrait du rapport grec.
« Une des premières mesures prises au cours de l’occupation de la Grèce fut la saisie, par réquisition ou par confiscation, de tous les stocks du pays. Dans des maisons de commerce en gros et en détail, les Allemands ont réquisitionné entre autres 71.000 tonnes de raisins de Corinthe, 10.000 tonnes d’huile d’olive et confisqué 1.435 tonnes de café, 1.143 tonnes de sucre, 2.520 tonnes de riz et, au Pirée, un chaland entier de blé d’une valeur de 530.000 dollars. »
La Grèce étant divisée en trois zones d’occupation, les Allemands bloquèrent la région qu’occupaient leurs troupes. Après avoir interdit l’exportation de ravitaillement de cette zone, les hitlériens commencèrent à confisquer toutes les réserves de ravitaillement et d’autres marchandises, ce qui entraîna un sérieux appauvrissement et la famine pour la population.
Les conséquences de ce pillage furent si désastreuses pour la population qu’à la fin les autorités allemandes elles-mêmes durent reconnaître qu’elles avaient été trop loin. A la fin de l’année 1942, les autorités allemandes prirent, devant la Commission Internationale de la Croix-Rouge, l’engagement de restituer à la population tous les produits régionaux enlevés par les troupes d’occupation et exportés en Allemagne. En remplacement de ces produits, les Allemands s’engageaient à importer des produits de valeur calorique égale. Cependant, cette promesse ne fut pas tenue.
Comme dans tous les pays occupés, les Allemands répandaient sur le marché une grande quantité de billets de banque que rien ne garantissait, sous la dénomination de « mark d’occupation ».
Je cite un court extrait que le Tribunal trouvera à la page 63 du livre de documents :
« Dès le début, les Allemands ont lancé 10.000.000.000 de mark d’occupation, ce qui représentait la moitié de l’argent en circulation à cette époque. Au mois d’avril 1944, la circulation d’argent atteignit 14.000.000.000 de drachmes, c’est-à-dire qu’elle était 700 fois plus importante que celle du début de l’occupation. »
Après avoir provoqué une inflation aiguë, les Allemands achetèrent toutes les marchandises au prix d’avant l’occupation. Toutes les denrées achetées, ainsi que des bijoux, des objets d’or, des meubles, furent envoyés en Allemagne.
En Grèce, comme dans tous les pays occupés, les Allemands utilisèrent le système du clearing. Les marchandises destinées à l’exportation étaient tout d’abord confisquées ou soumises à un embargo de la part des autorités militaires ; ensuite, elles étaient « achetées » par des maisons allemandes, sur la base de prix établis arbitrairement. Le prix des marchandises établi de cette façon unilatérale était alors porté au crédit de la Grèce.
Les marchandises importées d’Allemagne étaient évaluées à un prix 200 à 500% supérieur à leur valeur réelle. Enfin, on porta au débit de la Grèce les marchandises importées d’Allemagne pour les besoins des troupes d’occupation. Ce pillage cynique était appelé « clearing » par les Allemands.
Je cite un court extrait du rapport du Gouvernement grec que le Tribunal pourra trouver à la page 64 du livre de documents :
« En conséquence, bien que la Grèce exportât en Allemagne toutes les réserves dont elle disposait, le clearing se chiffrait, au départ des troupes allemandes, par un solde de 264.157.574, 03 mark en faveur de l’Allemagne, alors que la balance de crédit en faveur de la Grèce, au moment de l’invasion par l’Armée allemande, se chiffrait à 4.353.428, 82 mark. »
C’est ainsi, Messieurs les juges, que les bandits nazis ont pillé les biens du peuple grec.
La spoliation e t le pillage des biens privés et publics en URSS.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, je passe à l’exposé du pillage monstrueux des biens privés, publics et nationaux auquel se sont livrés les usurpateurs hitlériens dans les territoires de l’Union Soviétique pendant l’occupation.
Les preuves irréfutables que je vais présenter vous montreront de quelle façon les usurpateurs fascistes, bien avant d’envahir l’URSS, avaient préparé un plan criminel de vol et de pillage des richesses et des biens nationaux. Comme tous les crimes commis sur les territoires occupés, le pillage et la spoliation étaient organisés depuis bien longtemps par les principaux criminels de guerre qui, grâce à la volonté et l’héroïsme des Nations Unies, se trouvent aujourd’hui au banc des accusés.
Tous les crimes commis par les milliers d’exécutants du plan des conspirateurs sur les grandes étendues de la terre soviétique, dans les steppes fertiles de l’Ukraine, dans les champs et les forêts de la Russie blanche, les riches champs de blé du Kouban et du Don, les jardins fleuris de la Crimée, dans la région de Leningrad et dans les provinces soviétiques baltes, tous ces actes monstrueux, ces vols, ce pillage aveugle de la propriété sacrée acquise par le travail paisible et noble des peuples soviétiques, Russes, Ukrainiens, Biélorussiens et tant d’autres, tous ces crimes furent conçus, préparés et organisés par le criminel Gouvernement hitlérien et le Haut Commandement de l’Armée allemande, par les grands criminels de guerre actuellement présents au banc des accusés.
Je vais commencer par présenter les preuves de la préméditation des crimes perpétrés sur le territoire de l’URSS. Je prouverai que la spoliation massive et totale et le pillage des biens nationaux, publics et privés, par les envahisseurs germano-fascistes n’étaient pas des actes isolés, des faits locaux ou le résultat du maraudage de soldats isolés ou en groupes, mais au contraire une partie essentielle du plan d’agression contre l’URSS, le but fondamental, la force centrale animant ce plan d’agression criminelle.
Je m’excuse, Monsieur le Président, si, au cours de la lecture des documents se rapportant à la préparation de cette catégorie de crimes, je suis forcé de citer des documents déjà présentés par mes collègues américains. Cependant, je m’efforcerai de ne pas répéter les citations déjà faites et de présenter seulement les passages que vous ne connaissez pas.
Pendant qu’était élaboré le « Cas Barbarossa », qui prévoyait toutes les questions stratégiques se rapportant à l’agression contre l’URSS, les questions économiques — comme on le sait — furent étudiées dans le cadre de ce plan.
Dans le document connu sous le nom de « Conférence interarmes du 29 avril 1941 », présenté par le Ministère Public américain le 10 décembre 1945 sous le n° USA-141, nous lisons :
« Objet de l’entretien : délibération sur la structure et l’organisation de la section économique du « Cas Barbarossa-Oldenbourg ».
Plus loin, dans ce document, il est indiqué que le Führer, contrairement à la méthode employée jusque là pour la préparation de mesures prévues, avait donné l’ordre de grouper toutes les questions économiques, qui seraient étudiées par un organisme central, l’État-Major économique « Oldenbourg », dirigé par le Generalleutnant Schubert ; cet Etat-Major dépendait du Reichsmarschall, c’est-à-dire de Göring. Ainsi, l’accusé Göring, dès le mois d’avril 1941, dirigeait les préparatifs de spoliation de l’URSS.
Pour en terminer avec ce document, j’aimerais seulement rappeler qu’il prévoyait l’organisation de groupes spéciaux d’inspection économique à Leningrad, Mourmansk, Riga, Minsk, Moscou, Toula, Gorki, Kiev, Bakou, Yaroslav et bien d’autres villes industrielles soviétiques.
La mission de ces groupes d’inspection était d’exploiter au point de vue économique un territoire donné, c’est-à-dire, comme il est expliqué plus bas, de résoudre toutes les questions touchant le ravitaillement, l’agriculture, l’industrie, l’approvisionnement en matières premières et produits manufacturés, ainsi que les questions relatives aux exploitations forestières, aux finances, aux banques, aux musées, au commerce et à la main-d’œuvre ouvrière. Comme vous le voyez, Messieurs les juges, ces groupes d’inspection avaient un vaste champ d’action et s’occupaient de questions tout à fait concrètes.
Le « Cas Barbarossa-Oldenbourg » fut développé plus tard dans les « Directives pour la conduite de l’économie dans les territoires nouvellement occupés de l’Est » (dossier vert), qui furent également étudiées et éditées secrètement avant l’agression contre l’URSS. Mais, avant de passer au « dossier vert », je voudrais présenter au Tribunal un autre document dont je lirai quelques extraits, intitulé « Dossier du Führer régional pour l’agriculture », qui a été présenté au Tribunal par mon collègue le colonel Smimov sous le n° URSS-89. Cette directive détaillée, élaborée et éditée à l’avance pour les futurs Führer régionaux à l’agriculture, portait le nom de « Dossier du Führer régional à l’agriculture » ; elle était datée du 1er juin 1941 et portait aussi le cachet « Absolument secret
Affaires secrètes du commandement ». Cette directive débute par les « 12 commandements pour la conduite des Allemands dans les territoires de l’Est et leurs rapports avec les Russes ». Mon collègue, le colonel Smimov, n’a lu qu’un seul de ces commandements. Par conséquent, avec votre permission, je vais lire les autres. Le Tribunal pourra trouver cette citation à la page 69 du livre de documents.
Voici le premier commandement :
« Vous, qui serez nos collaborateurs à l’Est, vous devez avoir pour principe que seul importe le rendement. Aussi exigerai-je de vous que vous vous donniez sans relâche et sans réserve à votre travail. » De quel travail il s’agit, les commandements suivants vont nous l’apprendre. J’en cite des extraits :
« 5e commandement : Il est essentiel que vous ayez toujours devant les yeux le but à accomplir. Vous devez vous attacher à ce but avec la plus grande ténacité. Vous serez d’autant plus libres dans le choix des méthodes à employer pour réaliser votre tâche. Ce choix des méthodes ne dépend que de vous.
6e commandement : Les territoires nouvellement annexés doivent être définitivement rattachés à l’Allemagne et à l’Europe ;
votre attitude y sera donc d’une importance décisive. La faiblesse de caractère d’un individu entraînera obligatoirement son licenciement. Quiconque aura été renvoyé pour cette raison ne pourra plus occuper de situation importante dans le Reich. »
Ainsi, non seulement on ordonnait aux futurs Führer à l’agriculture d’être cruels et impitoyables dans le pillage, mais on les prévenait des désagréments qu’ils s’attireraient en n’étant pas suffisamment cruels ou en dévoilant un « manque de caractère ». La même pensée est développée dans les autres commandements.
7e commandement : Ne vous demandez pas quel sera le profit du paysan, mais quel profit en tirera l’Allemagne.
8e commandement : Ne parlez pas, mais agissez. Vous n’aurez jamais le dernier mot avec un Russe ; il discute mieux que nous, c’est un dialecticien né. Seule votre volonté doit décider, mais elle doit être dirigée vers la réalisation de grandes tâches. Alors seulement elle sera morale, même dans sa cruauté. Gardez les distances avec les Russes, souvenez-vous que ce ne sont pas des Allemands mais des Slaves.
9e commandement : Nous ne voulons pas convertir les Russes au national-socialisme, mais seulement en faire un instrument entre nos mains. Vous devez conquérir la jeunesse, lui indiquer sa tâche, la tenir bien en mains et la punir sans pitié s’il y a du sabotage ou si le rendement est insuffisant. L’examen des requêtes vous prendrait le temps qui vous est nécessaire pour remplir vos devoirs d’Allemand. Vous n’êtes ni des juges d’instruction ni le « mur des lamentations ».
11e commandement :... L’estomac russe est élastique, aussi pas de fausse pitié. »
Tels sont les commandements destinés aux Führer à l’agriculture qui, plus exactement, devraient être appelés des « commandements pour anthropophages ». Le dossier commence par ces commandements, puis suit un programme complet et très fouillé du pillage de l’économie agricole de l’URSS. Nous lisons au début de ce programme :
« Directives générales de politique économique pour l’organisation de l’économie dans les territoires de l’Est, groupe agriculture. »
Voici le but de cette campagne, au point de vue politique du ravitaillement :
« Assurer le ravitaillement pour plusieurs années à l’avance tant de l’Armée allemande que de la population civile allemande. »
Comme vous le voyez, Messieurs les juges, on indique ici par une formule claire et nette les buts de l’agression contre l’URSS. Évidemment, cette formule n’englobe pas tous les buts. Ces buts ne se réduisaient pas au pillage du ravitaillement, et le pillage était loin de se limiter aux seuls produits alimentaires. Ce n’est qu’un extrait du dossier des Führer à l’agriculture et ils n’étaient pas les seuls à recevoir et à exécuter des directives de pillage. Dans son ensemble, ce dossier contient les différentes parties d’un programme soigneusement approfondi et tout à fait concret de pillage de l’économie rurale de l’Union Soviétique. Le Tribunal trouvera ce document page 67 du livre de documents :
« 1° 12 commandements.
2° Directives économiques générales.
3° Plan de l’organisation.
4° Instructions pour les Führer régionaux de l’économie rurale.
5° Notice pour le recrutement du personnel.
6° Instructions concernant la réception et l’administration des Sovkozes.
7° Instructions concernant la réception et l’administration des Kholkozes.
8° Instructions sur la réception et l’administration des MTS (Maschinen Traktoren Station, dépôts de machines et de tracteurs).
9° Instructions sur la comptabilité.
10° Ravitaillement d’une ville.
11° Calendrier des travaux agricoles.
12° Tableau des prix ».
Je ne veux pas, Messieurs les juges, prendre votre temps en lisant tout le document qui comprend 98 pages de texte dactylographié. Je le présente intégralement au Tribunal pour qu’il soit déposé au dossier du Procès. Je ne lirai que quelques lignes de ce document, déjà présenté au Tribunal par mes collègues américains le 10 décembre sous le n° USA-147. Ce document est un compte rendu du discours prononcé par Rosenberg au cours d’une conférence secrète du 20 juin 1941, consacrée aux questions de l’Est. Dans son exposé, Rosenberg a notamment déclaré :
« Le ravitaillement du peuple allemand est indubitablement, pendant ces années, la première des exigences allemandes à l’Est. A cet égard, les régions du Sud et du Caucase septentrional devront servir à établir l’équilibre de la situation alimentaire en Allemagne. Nous ne nous estimons nullement obligés de nourrir également le peuple russe des produits de ces régions de surproduction. Nous savons que c’est une nécessité cruelle qui ne laisse pas de place aux sentiments. Il est certain qu’il sera indispensable de procéder à une vaste évacuation et que les Russes auront sans doute à passer de très dures années. »
C’est ainsi que les chefs de l’Allemagne hitlérienne définissaient les devoirs qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés en préparant l’agression contre l’Union Soviétique.
Plus tard, au mois d’août 1942, le 26 et le 28 août, le Gauleiter Koch, qui venait d’arriver du Quartier Général de Hitler, prit la parole à la conférence de Rovno. Le procès-verbal de cette conférence a été retrouvé dans les archives de Rosenberg. Ce document a été aimablement mis à notre disposition par le Ministère Public américain ; c’est le n° PS-264. Je cite un extrait de ce document, page 74 du livre de documents :
« Il (Koch) a exposé de la façon suivante son point de vue politique et la mission qui lui incombe en qualité de Commissaire du Reich : il n’y a pas d’Ukraine indépendante. Le but de notre activité ne consiste pas à rendre les Ukrainiens heureux, mais à les obliger à travailler pour l’Allemagne. L’Ukraine doit donner ce dont manque l’Allemagne. Cette tâche doit être accomplie à n’importe quel prix... Le Führer exige de l’Ukraine 3.000.000 de tonnes de blé et ils doivent être livrés. »
Je démontrerai plus tard comment ce chiffre, préalablement fixé à 3.000.000 de tonnes, a été dépassé par les bandits hitlériens, dont l’appétit sauvage croissait de mois en mois. Toute cette organisation de pillage a été conçue et étudiée à l’avance par le criminel Gouvernement hitlérien, qui a en même temps mis sur pied un schéma d’organisation d’un mécanisme spécial pour l’exécution d’un pillage organisé et indiqué des méthodes concrètes pour le pillage des territoires occupés.
Je vais maintenant citer, avec la permission du Tribunal, quelques extraits d’un document secret du Reichsmarschall Göring, saisi par les unités de l’Armée rouge. Ce document est intitulé : « Directives pour la direction économique dans les territoires récemment occupés de l’Est » (dossier vert). Il a déjà été partiellement cité par mes collègues du Ministère Public soviétique et déposé sous le n° URSS-10. A la première page de ce document, que le Tribunal trouvera, page 76 du livre de documents, on lit :
« État-Major pour la direction économique dans les territoires de l’Est. Document secret de l’État-Major.
Note
La directive présente doit être considérée jusqu’au jour J comme document secret de l’État-Major (document d’État d’importance primordiale) et, après le jour J, comme un document public à ne transmettre qu’aux intéressés.
Directives pour la direction de l’économie dans les territoires récemment occupés de l’Est (dossier vert).
Première partie
Missions et organisation de l’économie.
Berlin, juin 1941.
« Imprimé au Commandement suprême des Forces armées. »
Il résulte du texte de ce document que ces directives ont été éditées juste avant l’agression de l’Allemagne contre l’URSS et étaient destinées à « renseigner les autorités militaires et les services économiques sur les problèmes économiques à résoudre dans les territoires de l’Est soumis à l’occupation ».
En exposant les problèmes économiques principaux, les directives indiquent au premier paragraphe :
« 1° Conformément aux ordres du Führer, il est indispensable de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’exploitation immédiate et totale des territoires occupés au bénéfice de l’Allemagne. Toutes les mesures qui pourraient empêcher la réalisation de ce but doivent être suspendues ou levées.
2° L’exploitation des territoires soumis à l’occupation doit être réalisée en premier lieu pour les produits alimentaires et le pétrole. Obtenir pour l’Allemagne autant de denrées alimentaires et de pétrole que possible, tel est le principal but économique de cette campagne. Accessoirement, l’industrie de guerre allemande doit recevoir des territoires occupés d’autres matières premières, dans la mesure où c’est techniquement réalisable, en maintenant toutefois le niveau de production de ces régions. »
Je passe la suite de cet extrait pour abréger et j’en arrive à la citation suivante, que le Tribunal trouvera page 78 du livre de documents.
« Ce serait une erreur que de croire qu’il faut suivre dans les territoires occupés une ligne de conduite uniforme, y rétablir l’ordre aussi rapidement que possible et leur donner une économie viable. Bien au contraire, le traitement à appliquer aux diverses régions doit être très varié. Le rétablissement de l’ordre et de l’économie ne doit être réalisé que dans les régions où nous pouvons trouver des réserves importantes de produits agricoles et de pétrole. »
Pour ne pas perdre de temps, je passe la deuxième partie de cette citation. Plus loin, ce plan de pillage organisé de l’Union Soviétique, établi bien à l’avance, prévoyait et étudiait en détail l’exportation d’URSS en Allemagne de toutes les matières premières, de tous les stocks et réserves de marchandises, ainsi que le pillage général de la population civile. Je cite comme preuve des extraits de ce document que je ne lirai pas en entier. Messieurs les juges trouveront des extraits soulignés aux pages 83, 87 et 88 du livre de documents.
« Toutes les matières premières et les produits demi-finis et finis qui nous sont nécessaires doivent être retirés du commerce. Le IV Wi et les services économiques le feront soit par de simples appels ou ordres, soit par des ordonnances de réquisition et de confiscation » (page 88).
« La centralisation et le transfert en Allemagne de toutes les réserves de platine, magnésium et caoutchouc doivent être immédiatement organisés. » (Extrait de l’article « Matières premières et utilisation des stocks de marchandises », paragraphe 1, b et c, page 87.)
« Les produits alimentaires ainsi que les objets d’usage quotidien et personnel et vêtements trouvés dans la zone d’opérations ou à l’arrière de ladite zone doivent, en premier lieu, être mis à la disposition du service IV a) pour subvenir aux besoins immédiats des troupes. » (Page 83, au verso.)
Dans l’article de ces instructions, intitulé « Organisation de l’économie », on donne le schéma d’un organisme aux nombreuses ramifications, créé spécialement pour réaliser le pillage organisé de l’URSS. Je cite une série d’extraits de cet article, que Messieurs les juges trouveront à la page 79 du livre de documents :
« Questions d’ordre général :
Pour assurer l’unité de direction de l’administration économique dans la zone des opérations militaires ainsi que dans les régions administratives qui vont être créées, le Reichsmarschall a formé F« État-Major pour l’administration économique des territoires de l’Est », qui lui est directement subordonné et dont la direction est assumée par son représentant, le secrétaire d’État Körner.
Les instructions du Reichsmarschall s’étendent à toutes les sphères de l’économie, y compris le ravitaillement et l’agriculture. »
En attirant l’attention du Tribunal sur les extraits que je viens de citer, je considère comme définitivement établi que l’accusé Göring, non seulement a été personnellement à la tête de l’organisation pour le pillage de la propriété privée, publique et nationale, mais encore, par la suite, a directement dirigé un énorme appareil créé spécialement dans ce but criminel.
Des extraits du « dossier vert » donnent un schéma très clair de la structure de cet organisme :
« L’organisation de l’économie dans la zone d’opérations.
Les services économiques subordonnés à l’État-Major économique pour les territoires de l’Est seront rattachés, dans tous les cas où leur activité s’étendra à la zone d’opérations, aux états-majors des armées et leur seront subordonnés suivant la hiérarchie militaire.
a) A l’arrière.
Une unité d’inspection économique est attachée à chaque commandant à l’arrière.
Une ou plusieurs unités économiques sont attachées à chaque division de protection.
Un groupe économique IV est attaché à chaque Feldkommandantur.
b) Dans la zone des armées.
Un département économique IV, avec un officier de liaison de la direction de l’économie militaire et des armements (Wi-Ru-Amt) est attaché à chaque haut commandement d’armée.
Un groupe économique IV, est attaché dans la zone des armées à chaque Feldkommandantur subordonnée aux hauts commandements d’armée. De plus, en cas de besoin, on enverra dans la zone des armées des commandos économiques subordonnés aux hauts commandements d’armée. »
Plus loin, au paragraphe 4 de la même partie, sous le titre « Étude détaillée de l’organisation des départements économiques » nous trouvons un schéma général de la structure de l’État-Major économique pour les territoires de l’Est.
Pour gagner du temps, je vais vous en donner un résumé. Le Tribunal trouvera le document auquel je me réfère, au recto de la page 79 du livre de documents :
Le chef de l’État-Major économique et son groupe de commandement (organisation du travail, hiérarchie et répartition de la main-d’œuvre).
Groupe Ia, chargé du ravitaillement et de l’agriculture, qui répartit tous les produits agricoles pour l’approvisionnement de l’Armée.
Groupe W, qui s’occupe de l’industrie, des matières premières, des exploitations forestières, de l’économie financière et bancaire, de la propriété immobilière et du commerce.
Groupe M, chargé de l’approvisionnement en munitions, des industries d’armement et des transports.
Des inspections économiques attachées aux groupes d’armées dirigent l’exploitation économique des régions de l’arrière.
Des commandos économiques, créés dans les territoires occupés par les divisions de protection, composées chacune d’un officier commandant et de quelques spécialistes.
Des groupes économiques attachés aux Feldkommandanturen, chargés de satisfaire aux besoins courants des troupes se trouvant dans le rayon d’action de la Feldkommandantur, ainsi que de préparer l’exploitation économique du pays pour les besoins de l’économie de guerre.
A ces groupes économiques étaient rattachés des spécialistes de l’exploitation de la main-d’œuvre, du ravitaillement et de l’agriculture, de l’économie industrielle et des questions d’économie générale.
Des sections économiques rattachées à un haut commandement d’armée composées de bataillons techniques spéciaux et des sections spéciales, ainsi que de sous-sections d’information de l’économie industrielle (en particulier pour les matières premières et le pétrole), des sous-sections pour le contrôle et la récupération des produits et machines agricoles, y compris les tracteurs.
Le même schéma prévoit également des détachements techniques spéciaux pour le pétrole (bataillons et compagnies) et ce qu’on appelait des « sections des mines ».
Ainsi, sous la direction directe de l’accusé Göring, il avait été prévu toute une armée de bandits de tous grades et de toutes spécialités qui furent formés et entraînés au pillage organisé du patrimoine national de l’URSS.
Pour gagner du temps, Messieurs les juges, au lieu de lire le texte complet du « dossier vert », je vais me borner à énumérer les autres sections de ce dossier qui portent les titres suivants (ceci se trouve à la page 77 du livre de documents) :
« Réalisation des différentes tâches économiques.
Transports de marchandises.
Contrôle militaire de l’économie.
Approvisionnement des troupes sur le pays.
Exploitation de la main-d’œuvre, mobilisation de la population locale.
Prises de guerre, réquisitions à titre onéreux, échelle des prix.
Industrie des armements.
Matières premières et répartition des stocks.
Finances et crédit.
Commerce extérieur et clearing.
Contrôle des prix. »
Ainsi le pillage dans tous les domaines de l’économie nationale de l’URSS était prévu.
Pour conclure, je vais lire l’ordre de Keitel en date du 16 juin 1941, dans lequel, six jours avant l’attaque sur l’URSS, il prescrivait à tous les détachements militaires de l’Armée allemande de suivre les directives du « dossier vert ». Je cite cet ordre (dans le livre de documents le Tribunal trouvera ce document à la page 89, au verso) :
« Sur l’ordre du Führer, le Reichsmarschall a donné des directives pour l’administration économique, destinées aux territoires qui seront soumis à l’occupation.
Ces directives (dossier vert) sont destinées à fournir à l’administration militaire et aux organismes économiques des renseignements sur les problèmes économiques des régions de l’Est qui seront soumises à l’occupation. Elles comportent des indications pour l’approvisionnement des troupes sur les ressources du pays et prescrivent à l’Armée de prêter assistance aux organismes économiques. Ces indications et dispositions doivent être suivies par les unités militaires.
L’exploitation immédiate et totale des régions occupées au profit de l’économie de guerre allemande, en particulier pour les denrées alimentaires et le pétrole, est d’une importance exceptionnelle pour la poursuite de la guerre. »
Je passe la deuxième partie de cet ordre qui indique en détail la manière de suivre les directives du « dossier vert », et je lis le dernier paragraphe de l’ordre de Keitel :
« Avec l’aide des Feldkommandanturen et des Ortskommandanturen (Kommandanturen locales) des régions agricoles et pétrolifères les plus importantes, l’exploitation du pays doit être menée sur une vaste échelle.
Signé : Keitel. »
L’ordre donné dans la dernière phrase de ce document, « l’exploitation du pays doit être menée sur une vaste échelle », a été exécuté par l’Armée allemande, et les régions occupées de l’URSS, dès les premiers jours de la guerre, ont été soumises au pillage le plus impitoyable.
A l’appui de mes dires, je présenterai plus tard au Tribunal une suite de documents allemands originaux, ordres, instructions, décrets, etc., émanant de divers chefs militaires.
Pour en terminer avec le « dossier vert », je dois constater que ce document surprenant est un témoignage convaincant des qualités exceptionnelles des conspirateurs hitlériens pour le pillage et de leur grande expérience en matière de « gangstérisme ».
Le vaste programme de pillage des territoires occupés de l’URSS, étudié jusque dans ses moindres détails, a été mis en application par les conspirateurs hitlériens dès le premier jour de l’agression contre l’URSS.
Outre le pillage organisé, réalisé au moyen d’énormes organismes créés à cet effet, composés de Führer à l’agriculture, inspecteurs, spécialistes en matière économique, bataillons techniques et de reconnaissance, groupes et détachements économiques, état-major économique, agronomes militaires, etc., le pillage a été largement encouragé par le Gouvernement hitlérien et le Commandement suprême des armées allemandes Ce qu’on encourageait surtout, c’était l’« intérêt matériel » des soldats et officiers allemands, auxquels on donnait toutes facilités pour piller la population civile et envoyer leur butin en Allemagne.
Le pillage général de la population des villes et des villages des territoires occupés de l’URSS et le transfert en masse en Allemagne des biens personnels des citoyens soviétiques, ainsi que des biens des coopératives agricoles et des biens nationaux, étaient exécutés partout où apparaissait la horde des agresseurs germano-fascistes, suivant un plan et des méthodes prémédités.
Je passe, Messieurs les juges, à la présentation de différents documents du Gouvernement soviétique concernant cette question.
Quelques mois à peine après la perfide agression de l’Allemagne contre l’URSS, le Gouvernement soviétique reçut des preuves indiscutables de crimes de guerre commis par les troupes hitlériennes sur les territoires soviétiques envahis.
Le Tribunal a déjà connaissance du document URSS-51 présenté par mes collègues : c’est une note du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’URSS, V. M. Molotov, du 6 janvier 1942. Pour éviter des répétitions et pour gagner du temps, je vais lire seulement quelques extraits de cette note qui se rapportent directement au thème de mon exposé. Vous trouverez les citations que je vais faire, soulignées, à la page 100 du livre de documents.
« Chaque pas de l’Armée germano-fasciste et de ses alliés sur les territoires envahis de l’Ukraine et de la Moldavie, de la Russie blanche et de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie, de la Carélie finlandaise, des districts et des régions russes, amène la destruction et l’anéantissement d’innombrables richesses matérielles et de valeurs culturelles nationales. »
Dernier paragraphe de cette citation :
« Dans les villages occupés par les autorités allemandes, la paisible population paysanne subit un pillage effréné. Les paysans se voient privés de leurs biens, acquis par des dizaines d’années de travail opiniâtre, de leurs isbas, de tout, jusqu’à la dernière chemisette d’enfant, jusqu’à la dernière poignée de blé. Dans de nombreux cas, la population, y compris les vieillards, les femmes et les enfants, est, sitôt après l’occupation du village, chassée par les occupants allemands de ses foyers et se trouve obligée de chercher un refuge dans des trous, dans des grottes, dans les bois, ou de coucher à la belle étoile. Les occupants, en plein jour, sur les routes, déshabillent et déchaussent les gens, le premier venu, même les enfants. Ils frappent sauvagement tous ceux qui essaient de protester ou d’opposer quelque résistance au pillage.
Dans les villages des régions de Rostov et de Vorochilovgrad en Ukraine, maintenant libérés par l’Armée rouge, les paysans ont subi de la part de l’envahisseur des pillages répétés, à chaque passage d’unités de l’Armée allemande. Chaque unité recommençait les perquisitions, le pillage, les incendies et les exécutions lorsque les livraisons de ravitaillement étaient insuffisantes. Il en était de même dans les régions de Moscou, de Kalinine, de Tula, d’Orel, de Leningrad et dans d’autres régions où l’Armée rouge a maintenant chassé les derniers restes des troupes des envahisseurs allemands. »
Pour gagner du temps, je ne veux pas lire les paragraphes suivants et je vais simplement dire au Tribunal qu’on y rapporte une série de faits concrets de pillage de la population civile dans diverses régions, villages, districts de l’Union Soviétique. On y cite les noms des gens pillés et la liste des objets et des valeurs qui leur ont été pris.
On trouve plus loin dans cette note :
« Les officiers et les soldats allemands se sont livrés, dans toutes les régions soviétiques occupées, à des orgies de pillage. Les autorités allemandes ont rendu légal dans leur Armée le maraudage et encouragé le pillage et les actes de violence. Le Gouvernement allemand y voit l’application du principe de banditisme qu’il a proclamé lui-même et d’après lequel chaque combattant de l’Armée allemande doit trouver dans la guerre son intérêt matériel personnel.
Dans l’instruction secrète du 17 juillet 1941, adressée à tous les chefs de groupes de propagande de l’Armée allemande et découverte par l’Armée rouge après l’anéantissement de la 68e division d’infanterie allemande, on prescrit directement de donner à chaque officier et soldat de l’Armée allemande le sentiment qu’il a un « intérêt matériel personnel dans la guerre. »
Des ordres du même genre, incitant l’Armée au pillage en masse et à l’assassinat des civils, ont été donnés aux autres Armées combattant aux côtés de l’Allemagne.
Sur le front germano-soviétique, et en particulier près de Moscou, on voit de plus en plus souvent des officiers et soldats vêtus de vêtements volés, les poches bourrées d’objets volés, leurs tanks remplis de vêtements, de chaussures et de linge de femmes et d’enfants arrachés à leurs victimes. L’Armée allemande devient de plus en plus une armée de brigands et de maraudeurs féroces qui pille et saccage les villes et les villages florissants de l’Union Soviétique, ravage et détruit les biens de la population industrieuse de nos villages et de nos villes ».
« Ce sont là des faits qui témoignent », dit la note, « de l’extrême dépravation et de la dégénérescence morale de l’Armée hitlérienne qui, par son pillage, ses vols et son brigandage, s’est attiré le mépris et la haine vengeresse de tout le peuple soviétique. »
Quelques mois plus tard, le 27 avril 1942, s’appuyant sur les comptes rendus des crimes commis par les troupes germano-fascistes qui continuaient à affluer, le Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, Molotov, a publié une seconde note sur « les crimes monstrueux, les cruautés et les violences des usurpateurs nazis dans les territoires soviétiques occupés et sur la responsabilité du Gouvernement et du Commandement allemands pour ces crimes ». Ce deuxième document est présenté au Tribunal...
Qu’entendez-vous par « publier » ?
Cela veut dire que cette note a été d’abord adressée à tous les Gouvernements avec lesquels l’URSS avait des relations diplomatiques ; le texte de cette note a été ensuite publié par la presse officielle soviétique. Ce document a déjà été présenté au Tribunal par le Ministère Public soviétique sous le n° URSS-51. Je vais également en résumer quelques extraits qui se rapportent au thème de mon exposé.
Nous pourrions maintenant suspendre l’audience.