SOIXANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Mercredi 20 février 1946.

Audience de l’après-midi.

L’HUISSIER AUDIENCIER

J’ai l’honneur d’informer le Tribunal que l’accusé Streicher, malade, n’assistera pas à l’audience cet après-midi.

(Attente de 5 minutes, le microphone ne fonctionne pas.)
LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

En raison de ce retard, le Tribunal siégera jusqu’à 5 h. 30 sans autre suspension. Colonel ?

CONSEILLER SHENIN

Je vais vous lire des extraits de la note du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères du 27 avril 1942 ; afin de gagner du temps, je ne vais lire, avec l’autorisation du Tribunal, que les extraits les plus importants de cette note. Cette note soulignait que les rapports adressés au Commissariat du peuple aux Affaires étrangères aussi bien que les documents saisis par le Gouvernement soviétique démontrent le caractère de préméditation des actes de pillage des bandes hitlériennes.

Je lis le dernier alinéa de la page 44 du texte russe :

« Dans l’annexe à l’ordre spécial 43.761/41 de la direction des opérations de l’État-Major général de l’Armée allemande, il est dit :

Il est indispensable de se procurer des vêtements par n’importe « quel moyen, en imposant des mesures coercitives à la population « des régions occupées. Il faut surtout confisquer les gants de laine « et de cuir, manteaux, vestes et écharpes, pantalons molletonnés, « chaussures de cuir et de feutre, bandes molletières.

Dans plusieurs localités des régions libérées de Koursk et d’Orel, on a trouvé un ordre ainsi conçu :

Les balances, sacs, blé, sel, pétrole, essence, lampes, pots et « poêles, stores, rideaux, toiles cirées, cuirs et peaux, phonographes « et disques doivent être remis à la Kommandantur ; les personnes « qui ne suivront pas cet ordre seront fusillées.

Dans la ville d’Istra, région de Moscou, les occupants ont confisqué les ornements des arbres de Noël et les jouets d’enfants. A la gare de Shakovsk, ils ont forcé les habitants à « livrer » le linge d’enfants, les horloges et les samovars. Dans les régions encore occupées par l’envahisseur, la population, qui est pourtant déjà réduite à la misère, est soumise à des pillages et des réquisitions incessantes depuis le premier jour de l’arrivée de l’Armée allemande. »

Je passe les extraits suivants de la note de M. Molotov et je termine par le dernier alinéa :

« Le simple rapport des faits montre que le brigandage préparé par le Gouvernement de Hitler sur lequel le Haut Commandement comptait pour l’approvisionnement de l’Armée et de ses arrières était réalisé partout :

Rien que dans 25 districts de la région de Toula, les envahisseurs ont saisi chez les citoyens soviétiques 14.048 vaches, 11.860 porcs, 28.459 moutons, 213.678 poules, oies et canards et détruit 25.465 ruches. »

Je passe le reste de la citation qui parle des réquisitions de bétail et de volaille dans les 25 districts de Toula. Messieurs les juges, les notes que j’ai lues n’exposent que quelques faits parmi les crimes et les pillages innombrables accomplis par les hitlériens sur le sol soviétique. Avec l’autorisation du Tribunal, je désire présenter maintenant quelques documents allemands d’après lesquels vous verrez ce que pensaient les chefs et les fonctionnaires allemands eux-mêmes de la conduite de leurs soldats. Je lirai plus loin des déclarations sans pudeur de chefs germano-fascistes disant qu’il ne faut pas gêner les soldats et les officiers allemands dans leur maraudage. Il est naturel que, dans ces conditions, la dépravation des troupes germano-fascistes ait atteint son apogée : on a même pu voir les nazis se voler les uns les autres, vérifiant le dicton russe : « Un larron vole le bâton d’un autre larron ».

Permettez-moi maintenant de vous lire quelques extraits d’un document que je dépose sous le n° URSS-285 ; c’est un extrait du rapport du commissaire régional allemand de Jitomir au commissaire général de cette ville, en date du 30 novembre 1943 ; vous trouverez ce document à la page 93 du livre de documents. Je lis :

« Avant l’évacuation de Jitomir par l’administration allemande, on a pu observer que les troupes de garnison ont enfoncé les portes des logements de ressortissants allemands et se sont emparés de tout ce qui présentait une valeur quelconque. On a même volé les bagages personnels des Allemands qui travaillaient encore dans leurs bureaux. Quand la ville a été réoccupée, on a pu prouver que les logements des Allemands n’avaient presque pas été dévalisés par les habitants mais que les troupes allemandes, dès leur entrée dans la ville, avaient commencé à piller les appartements et les usines. »

Je cite un deuxième extrait du même document :

« Les soldats, non contents de prendre tout ce qui peut leur être utile, démolissent en partie ce qui reste et brûlent les meubles de valeur, bien qu’il y ait suffisamment de bois de chauffage. »

Je lirai maintenant un extrait du rapport du commissaire régional allemand de Korostichev au commissaire général de Jitomir.

Messieurs les juges le trouveront à la page 94 du livre de documents. Je lis :

« Malheureusement, les soldats allemands se sont très mal tenus. Contrairement aux Russes, ils ont démoli les dépôts, alors que le front était encore loin. Les céréales, même les semences, furent saisies en quantités énormes. On peut l’admettre à la rigueur de la part des unités combattantes. »

« ... Dès le retour de nos troupes à Popelna, des soldats enfoncèrent les portes des dépôts. Le chef des groupements agricoles de région et de district fit clouer les portes qui furent de nouveau forcées par les soldats. »

Voici d’autres extraits du même document :

« Le groupement agricole de district m’a fait savoir que la laiterie a été pillée par des unités en retraite. Le beurre, les fromages, etc., ont été emportés par les soldats. »

Voici le second :

« La coopérative fut pillée sous les yeux des Ukrainiens. Les soldats ont même emporté la caisse. »

Troisième extrait :

« Les 9 et 10 de ce mois, on avait placé devant la coopérative de Korostichev un piquet de gendarmes, mais il ne put résister à l’assaut des soldats. »

Dernier extrait :

« Les porcs et la volaille étaient tués et volés par les soldats sans que personne en prît la responsabilité... Ces unités présentaient un spectacle véritablement catastrophique. »

C’est ainsi, Messieurs les juges, qu’un commissaire allemand, dans un rapport officiel, qualifie la conduite des soldats allemands. On ne peut douter de l’objectivité de ce rapport, d’autant plus qu’il est complété par le rapport officiel de la « Société germano-ukrainienne des fournitures pour l’Agriculture dans le commissariat général », adressé au commissaire général de Jitomir. Cette lettre décrit le résultat d’une descente de soldats allemands dans les locaux de la société dans les termes suivants :

« ... Les bureaux étaient complètement saccagés et dans un désordre indescriptible ».

Deuxième extrait ; je n’en cite qu’une partie :

« La maison située Hauptstrasse, 57 (20 pièces) présentait un spectacle affreux ; il n’y avait plus de tapis, plus un fauteuil ni un divan, tous les lits avaient disparu avec les sommiers et les matelas, ainsi que les chaises et les fauteuils de bois. »

Je passe une phrase :

« Les appartements sont dans un état indescriptible. »

Je laisse deux autres extraits du document. C’était, Messieurs les juges, un « cri du cœur » des pillards allemands de la « Société ukrainienne des fournitures pour l’Agriculture » qui se plaignaient des bandits de l’Armée allemande. Pour vous montrer que de tels faits ne se produisirent pas seulement dans les villes de Jitomir et de Korostichev, je vous présente encore un rapport du commissaire de la région de Kazatin où l’on peut lire textuellement :

« ... Les soldats allemands ont volé les produits alimentaires, le bétail, les voitures ».

Après ce début laconique mais significatif, suivent des détails non moins significatifs :

« ... Le caporal-chef réclama les clefs de la grange au commissaire régional sous la menace du revolver. Je lui répondis que la clef se trouvait dans ma poche ; il hurla : « La clef ! » puis il sortit son pistolet et le braqua sur ma poitrine en criant : « Je vous descendrai, espèce de tire-au-flanc ! » Tout en continuant à m’insulter, il fouilla mes poches et s’empara de la clef en disant : « Il n’y a que moi qui commande ici. »

Ceci se passait devant un grand nombre d’Allemands et d’Ukrainiens.

Le même fait est signalé dans un rapport du Dr Moisich, chef du Bureau central au commissaire général de Jitomir, en date du 4 décembre 1943. Tous ces documents sont présentés au Tribunal.

Je passerai maintenant, Messieurs les juges, à la lecture d’extraits des rapports et des communiqués de la Commission extraordinaire d’État pour la recherche des crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes et leurs complices. Avec votre permission, pour gagner du temps, je ne lirai que de courts extraits de ces documents et je ne donnerai qu’un résumé du reste.

Le Ministère Public russe a déjà présenté sous le n° URSS-45 un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les destructions, les pillages et les crimes commis par les hitlériens dans la ville de Rovno et dans sa région. Dans la section de ce rapport qui nous intéresse, nous trouvons :

« Pendant tout leur séjour à Rovno et dans la province de Rovno, les officiers, les soldats et les fonctionnaires hitlériens n’ont pas cessé de piller les civils soviétiques et ont entièrement saccagé les écoles et les établissements culturels. »

Je ne donnerai pas le détail des preuves énumérées dans ce rapport de la Commission.

Le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes commis par les hitlériens à Kiev, qui a été déposé sous le n° URSS-9, indique également que les hitlériens pillaient la population de Kiev. Je ne citerai qu’une phrase de ce rapport :

« Dans la ville de Kiev, les occupants allemands ont pillé l’équipement des entreprises industrielles et l’ont expédié en Allemagne. »

Suivant les ordres du Gouvernement allemand criminel et du Commandement suprême des Forces armées, les États satellites de l’Allemagne hitlérienne participèrent également au pillage et aux autres crimes. Ainsi les troupes roumaines, qui ont un moment occupé Odessa, pillèrent, conformément aux directives de leurs maîtres allemands et de concert avec les militaires allemands, cette ville florissante.

Dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes commis par les envahisseurs germano-roumains, il est dit entre autres :

« Pendant l’occupation d’Odessa, les Roumains causèrent un grand préjudice à la vie économique de la ville... Les envahisseurs germano-roumains saisirent dans les kolkhozes et chez les kolkhoziens et envoyèrent en Roumanie 1.042.013 quintaux de céréales, 45.227 chevaux, 87.646 bovins, 31.821 porcs, etc. »

Le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les « dégâts occasionnés par les envahisseurs germano-fascistes à l’industrie et à l’économie urbaine, aux institutions culturelles et établissements d’enseignement public de la région de Stalinsk », déjà déposé sous le n° URSS-2, nous donne aussi de multiples exemples de pillage et de transfert en Allemagne de l’équipement des usines de cette très importante région industrielle.

Je n’ai cité que quelques rapports de la Commission extraordinaire d’État relatifs à certaines régions de la République soviétique d’Ukraine. Cette florissante République soviétique fut soumise par les hitlériens à un pillage acharné. Les conspirateurs hitlériens considéraient l’Ukraine comme une de leurs meilleures conquêtes et la dépouillaient de ses richesses avec une avidité exceptionnelle.

Je voudrais lire quelques documents allemands confirmant ces faits. Dans une lettre de Rosenberg au Reichsleiter Bormann, datée du 17 octobre 1944, document déjà déposé par le Ministère Public américain, le 17 décembre, sous le n° USA-338, il est indiqué que la « Société commerciale allemande de l’Est pour l’offre et la demande agricole », pendant la seule période allant de sa fondation, en 1943, au 31 mars 1944, a ramassé et transporté en Allemagne :

« Céréales : 9.200.000 tonnes ; viande et produits à base de viande : 622.000 tonnes ; graines oléagineuses : 950.000 tonnes ; beurre : 208.000 tonnes ; sucre : 400.000 tonnes ; fourrage : 2.500.000 tonnes ; pommes de terre : 3.200.000 tonnes, etc. »

Tel fut le rapport de l’accusé Rosenberg au premier adjoint de Hitler sur ses « succès économiques ».

Il faut reconnaître que, pendant la première année de la guerre, les hitlériens mirent tant d’avidité à piller l’Ukraine que, même dans leur propre milieu, certains en éprouvèrent quelques scrupules. Je lis un extrait d’une lettre de l’inspecteur de l’armement en Ukraine au général d’infanterie Thomas, chef de la Direction de l’armement à l’OKW. Cette lettre est datée du 2 décembre 1941 ;

elle a été déposée par le Ministère Public américain le 14 décembre 1945 sous le n° USA-290. J’en lis un court extrait :

« L’exportation des excédents agricoles de l’Ukraine pour le ravitaillement du Reich n’est possible qu’à condition de réduire au minimum la consommation intérieure en Ukraine. Pour atteindre ce but, les moyens suivants ont été mis en œuvre :

1. Suppression de toutes les bouches inutiles (Juifs, populations des grandes villes de l’Ukraine telles que Kiev, qui ne sont absolument pas ravitaillées) ;

2. Réduction des rations alimentaires des Ukrainiens habitants d’autres villes ;

3. Réduction de la consommation alimentaire de la population rurale. »

Après l’exposé de ce programme, l’auteur fait les observations suivantes :

« Si l’Ukrainien doit travailler, nous devons assurer son existence physique et cela non pas pour des raisons sentimentales, mais par un calcul d’ordre uniquement économique. »

Je passe le paragraphe suivant. Le commissaire du Reich en Ukraine, Koch, poursuivait rigoureusement la politique de pillage impitoyable de l’Ukraine. Je présenterai ultérieurement d’autres documents également authentiques pour confirmer ce que je viens de dire. La politique de Koch avait l’entière approbation du Gouvernement hitlérien. Il faut noter qu’au début de la guerre, le pillage des territoires occupés de l’URSS fut organisé conformément aux ordres figurant au « dossier vert » dont nous avons déjà parlé.

Je présente au Tribunal sous le n° URSS-13 une lettre de Göring datée du 6 septembre 1941 et relative à « l’inspection pour la saisie et la répartition des matières premières ». Dans cette lettre, page 131 du livre de documents, Göring écrivait :

« La situation militaire exige que les réserves de matières premières découvertes dans les territoires nouvellement occupés de l’Est soient transférées le plus rapidement possible à l’industrie de guerre allemande. Les instructions à ce sujet se trouvent dans les « Directives pour l’administration économique des territoires occupés « de l’Est » (dossier vert). »

Je passe la dernière partie de cette citation.

Plus tard cependant, lorsque dans une partie des territoires occupés, et notamment en Ukraine, les Allemands établirent ce qu’ils appelaient « l’administration civile » et créèrent toute une série d’organismes économiques, des discordes commencèrent à éclater entre les nombreux organismes militaires et civils dont chacun s’occupait du pillage des territoires occupés.

Rosenberg, en sa qualité de ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, s’efforçait de faire liquider en Ukraine les organisations économiques militaires et de transmettre leurs fonctions à l’administration civile allemande.

Je présente au Tribunal sous le n° URSS-180 le brouillon d’un rapport adressé sur cette question au secrétaire d’État Körner et daté du 3 décembre 1943 :

« Objet :

1° Administration économique dans les territoires occupés de l’Est.

2° État-Major économique général pour les territoires occupés ».

« Le ministre Rosenberg, par sa lettre du 20 novembre 1943 adressée au maréchal du Reich, et dont copies ont été envoyées au chef du Haut Commandement de la Wehrmacht et au chef de la Chancellerie du Reich, a formulé les demandes suivantes :

1° Pour l’Ukraine :

a) Dissolution des services économiques militaires encore existants ;

b) Suppression de chef du service économique de groupe d’armées ; le quartier-maître général reprendra celles de ses fonctions intéressant l’Armée ;

c) En cas de maintien des chefs du service économique de groupe d’armées : suppression de l’union personnelle entre les experts auprès du Commissaire du Reich et ceux qui sont attachés au chef du service économique du groupe d’armées ».

Je passe la suite du rapport ; dans le même brouillon, nous trouvons plus loin des objections détaillées présentées par le général Stapf dans un mémoire adressé au maréchal Keitel, en date du 2 décembre 1943. Stapf y critique la proposition de Rosenberg et prend position pour le maintien de l’État-Major économique « Ost ».

Maintenant, avec l’autorisation du Tribunal, je vais présenter sous le n° URSS-174 un autre document authentique, une lettre de couverture adressée par le « Représentant permanent du Ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est » au secrétaire d’État Körner, et portant sur la même question. A cette lettre étaient jointes des propositions écrites de Rosenberg, dans lesquelles il insiste encore une fois pour que toute l’activité économique soit subordonnée à son ministère. Comme c’est un document assez long, je dépose l’original et je demande au Tribunal l’autorisation de ne pas le lire. Tout son intérêt réside dans ce que je viens de signaler au Tribunal, c’est-à-dire la proposition de Rosenberg.

Je passe deux pages de mon exposé et j’arrive à la page 62. Il semble que la proposition de Rosenberg soit restée sans réponse car, le 24 janvier 1944, Rosenberg adressa une nouvelle lettre à Göring à ce sujet. Je dépose cette lettre sous le n° URSS-179. Dans cette lettre, Rosenberg propose... (L’extrait que je vais lire, Messieurs les juges, se trouve à la page 151 du livre de documents.)

« ... Dans le but d’éviter les conflits d’autorité et de diminuer le personnel, nous demandons la suppression de l’État-Major économique « Ost » avec tous les services qui lui sont subordonnés et le transfert des pouvoirs de l’administration des territoires occupés de l’Est à l’administration placée sous mes ordres. »

Göring répondit par une lettre datée du 14 février. Je dépose cette lettre sous le même n° URSS-179. Je lis :

« Cher camarade de Parti Rosenberg,

J’ai reçu votre lettre du 24 janvier 1944 concernant l’administration économique dans les territoires occupés de l’Est. Maintenant justement que le commissariat du Reich en Ukraine est devenu presque entièrement zone des armées », — c’est une allusion à l’avance de l’Armée rouge — « j’estime qu’il serait judicieux d’ajourner notre conférence sur la future constitution de l’administration économique jusqu’à ce que la situation stratégique soit définitivement éclaircie. »

Ainsi, Messieurs les juges, les prétentions de Rosenberg se heurtaient à l’opposition d’autres instances allemandes qui refusaient énergiquement d’abandonner une « activité économique » aussi intéressante. Mais de son côté, Rosenberg ne se rendait pas et persistait dans ses exigences. Je dépose sous le n° URSS-173 le document suivant, une lettre de Rosenberg à Göring en date du 6 mars 1944. Dans cette lettre, Rosenberg fait état de son expérience acquise en Russie blanche, et réitère ses propositions. Je ne lirai pas cette longue lettre, puisqu’elle est présentée intégralement au Tribunal. Cependant Göring n’était pas convaincu et ne donna pas à cette question la solution que réclamait Rosenberg. Ce dernier, un mois après l’envoi de la lettre que je viens de lire, le 6 avril 1944, adressa à Göring un nouveau message. Je dépose ce document sous le n° URSS-176. Permettez-moi de ne pas le lire non plus, son contenu étant à peu près analogue à celui du document précédent ; il contient une justification détaillée qui — à mon avis — ne vous intéresse pas spécialement. Je passe donc la page 65 et je reprends à la page 66.

Ainsi, Messieurs les juges, alors que l’Armée rouge portait déjà des coups décisifs aux hordes germano-fascistes, les bandits hitlériens continuaient à se disputer le butin. Je ne crois pas avoir besoin de prouver que, pendant ce marchandage, les régions occupées étaient saccagées fiévreusement, par tous les organismes, aussi bien militaires que civils.

Maintenant, Messieurs les juges, je vais vous présenter quelques courts extraits du rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes commis par les envahisseurs hitlériens dans les Républiques socialistes soviétiques de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie, qui furent également soumises à un pillage impitoyable par les envahisseurs germano-fascistes. Tous ces rapports ont déjà été présentés au Tribunal par le Ministère Public.

Le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes hitlériens dans la République socialiste soviétique de Lituanie expose les faits suivants :

« ... D’après des données cependant incomplètes, dans les 14 cantons de la République socialiste soviétique de Lituanie, le contingent de bétail et de volailles, par suite de l’administration des envahisseurs hitlériens, s’est trouvé réduit, en comparaison avec les années 1940-1941, de 136.140 unités pour les chevaux, 565.995 pour les bovins et 463.340 pour les porcs... »

Dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes commis par les envahisseurs allemands dans la République socialiste soviétique de Lettonie, nous trouvons entre autres (je cite à la page 68, deuxième alinéa) :

« Les Allemands pillèrent en Lettonie tous les dépôts de tracteurs et de machines agricoles et, d’après des données encore incomplètes, envoyèrent en Allemagne 700 tracteurs, 180 camions, 4.057 charrues, 3.532 herses, 2.815 cultivateurs... »

Seconde citation :

« Par suite de la désorganisation de l’économie agricole lettone par les envahisseurs allemands, le contingent du bétail diminua de 127.300 chevaux, 443.700 bovins, 318.200 porcs, 593.800 moutons. »

Je continue par quelques extraits du rapport de la Commission extraordinaire d’État sur la République socialiste soviétique d’Estonie :

« Les envahisseurs allemands ont pillé sans retenue les populations rurales de l’Estonie. Le pillage se présentait sous forme d’impositions de produits agricoles. Les quantités de produits agricoles à livrer étaient énormes. »

Je passe une partie de la citation et je lis le second paragraphe de la page suivante :

« Les Allemands ont enlevé aux paysans et expédié en Allemagne 107.000 chevaux, 31.000 vaches, 214.000 porcs, 790.000 volailles. En outre, ils pillèrent à peu près 507.000 ruches. »

Je passe encore un paragraphe et je lis un dernier extrait de ce rapport :

« Les hitlériens enlevèrent 1.000 batteuses, 600 moteurs de batteuses, 700 locomobiles, 350 tracteurs et 24.781 machines agricoles de toute sorte appartenant personnellement aux paysans. »

Messieurs les juges, les envahisseurs germano-fascistes poursuivirent la même politique de pillage de la propriété privée, publique et nationale dans les régions occupées de Russie blanche, de Moldavie, de la République socialiste soviétique de Carélie finlandaise et de la République socialiste fédérative soviétique russe.

Dans les diverses régions de l’URSS et au cours de différentes périodes de la guerre, toutes les formations militaires et organisations ont employé les mêmes méthodes de pillage, selon un même plan, en poursuivant les mêmes buts criminels. Ce plan fut élaboré, ces buts furent déterminés, ces crimes furent organisés par les principaux criminels de guerre qui se trouvent actuellement au banc des accusés.

Le Ministère Public soviétique détient des dizaines de milliers de documents sur ce point. La présentation au Tribunal de cette énorme documentation aurait exigé tellement de temps qu’elle eut modifié et compliqué le déroulement du Procès. C’est pour cette raison que je ne lirai pas les rapports de la Commission extraordinaire d’État pour les diverses régions de la République de l’Union Soviétique, mais je passerai à la lecture des conclusions de la Commission extraordinaire d’État qui donnait un résumé statistique des dégâts matériels occasionnés par les envahisseurs germano-fascistes aux entreprises et organismes d’État, aux kolkhozes, aux institutions publiques et aux citoyens de l’URSS. Je dépose ce document sous le n° URSS-35.

Je ne lirai que les parties qui se rapportent directement au thème de mon exposé. Ces extraits sont à la page 71 du rapport :

« Les envahisseurs germano-fascistes ont détruit et pillé 98.000 kolkhozes, 1.876 sovkhozes et 2.890 dépôts de machines et de tracteurs. Ils ont tué, emmené ou expédié en Allemagne 7.000.000 de chevaux, 17.000.000 de têtes de gros bétail, 20.000.000 de porcs, 27.000.000 de moutons et chèvres, 110.000.000 de volailles. »

La Commission extraordinaire d’État a évalué les dommages causés à l’économie nationale de l’Union Soviétique et aux habitants des villes et des villages à 679.000.000.000 de roubles, aux prix officiels de 1941, dont :

« l. Entreprises et institutions d’État.. 287 milliards de roubles

2. Kolkhozes...................... 181

3. Populations urbaines et rurales.….. 192

4. Coopératives, syndicats et autres organisations communautaires.... 19 »

Je passe les paragraphes suivants de ce rapport où l’on donne les chiffres des dommages dans les différentes Républiques de l’Union et je passe au quatrième paragraphe où l’on parle des destructions des kolkhozes, des sovkhozes et des dépôts de machines agricoles et de tracteurs.

Pour gagner du temps, je ne citerai que quelques extraits de ce chapitre :

« En brûlant des villes et des villages entiers, les fascistes allemands dépouillaient complètement les habitants de ces villages. Ils tuaient sauvagement les paysans qui opposaient quelque résistance. »

Plus loin, on nous donne des exemples de faits de pillage dans la région de Kamenetz-Podolsk, la région de Koursk, dans le kolkhoze « Pour la paix et le travail » de la région de Krasnodar, dans le kolkhoze « Pour les temps » de la région de Stalino, ainsi que dans les kolkhozes des districts de Mohilev, Jitomir et autres. Les envahisseurs germano-fascistes ont également causé des dégâts énormes aux sovkhozes, propriétés du Gouvernement ; ils s’emparaient notamment des réserves de produits alimentaires et détruisaient les hangars et autres bâtiments des sovkhozes.

Autre extrait :

« Le haras n° 62 de la province de Poltava a perdu pendant l’occupation allemande ses juments de race, des trotters russo-américains. Avant la guerre, ce haras possédait 670 chevaux de race. Les Allemands ont fait de même dans toutes les autres fermes d’élevage. »

Je passe les autres extraits de ce rapport et j’arrive au paragraphe 6 de mon exposé qui concerne le pillage massif des citoyens soviétiques par les Allemands.

« Dans toutes les républiques, pays et régions occupés de l’URSS, les germano-fascistes pillaient la population des villes et des villages, s’emparaient des biens, des objets de valeur, des vêtements, des ustensiles domestiques et imposaient à la population civile des amendes, des impôts et des contributions. »

Plus loin dans cette section sont énumérés toute une série d’exemples concrets de pillage de la population soviétique dans les régions de Smolensk, d’Orel, de Leningrad, de Dniepropetrovsk, de Soumy, etc. Avec l’autorisation du Tribunal, je passe deux pages de mon exposé et, à la fin de la page 76, je lis le dernier paragraphe :

« Les envahisseurs allemands pillèrent la population soviétique sur toute l’étendue du territoire occupé de l’Union Soviétique.

La Commission extraordinaire d’État a évalué les dommages causés par les autorités occupantes aux citoyens soviétiques et a établi que les envahisseurs germano-fascistes ont démoli et brûlé plus de 4.000.000 de maisons, propriété privée de kolkhoziens, d’ouvriers et d’employés. Ils leur ont pris 1.500.000 chevaux, 9.000.000 de bovins, 12.000.000 de porcs, 13.000.000 de moutons et de chèvres et, en outre, se sont emparés d’une énorme quantité d’objets d’usage domestique ».

Les notes et les rapports de la Commission extraordinaire d’État donnent un tableau des crimes accomplis par les hitlériens dans les régions occupées de l’URSS. Ces crimes ont été organisés par les accusés.

Le fait que Göring, en sa qualité de Reichsmarschall et de plénipotentiaire du Gouvernement nazi pour le Plan de quatre ans, dirigeait directement l’activité des autorités militaires et civiles allemandes pour la préparation et la réalisation du pillage des territoires occupés est établi par les documents que j’ai déjà présentés. Néanmoins, je demande la permission de lire un dernier document sur cette question. C’est un ordre de Hitler du 29 juin 1941. Le Ministère Public américain a eu la bonté de mettre à notre disposition une copie de ce document qui n’a pas encore été lu et que je dépose sous le n° URSS-287. Nous lisons dans cet ordre :

« 1° Dans les territoires récemment occupés de l’Est, le Reichsmarschall Hermann Göring, en tant que plénipotentiaire au Plan de quatre ans, peut prendre dans le cadre des pouvoirs qui lui sont accordés toutes les mesures nécessaires pour l’exploitation au maximum de toutes les réserves et du potentiel économique de ces territoires, ainsi que pour l’organisation de l’agriculture au profit de l’économie de guerre allemande.

2° Pour cela, il a également le droit de donner directement des ordres aux services de l’Armée dans les territoires récemment occupés de l’Est.

3° Le présent ordre entre en vigueur à partir de ce jour. Il doit être promulgué par un décret spécial. »

Cependant, Messieurs les juges, le fait que des pouvoirs extraordinaires aient été donnés à Göring ne signifie pas que les autres accusés n’aient participé que passivement à l’organisation du pillage des territoires occupés. Tous ensemble, et chacun séparément, ils ont exercé une activité fébrile dans ce sens.

Frank dépouillait le peuple polonais, Rosenberg opérait en Ukraine et dans les autres territoires occupés de l’URSS, Sauckel et Seyss-Inquart ailleurs. Speer et Funk concevaient et dirigeaient les mesures de pillage pour les questions intéressant les ministères de l’Économie et de l’Armement, Keitel s’en occupait pour l’Armée.

Sur ce point, je voudrais présenter encore deux documents se rapportant à l’activité de Keitel dans le domaine économique. Je les dépose sous le n° URSS-175.

Le 29 août 1942, Keitel, en qualité de chef du Commandement suprême des Forces armées, a donné l’ordre suivant sous le n° 002865/42, « Confidentiel », relatif au ravitaillement de l’Armée. Je lis quelques extraits de cet ordre que le Tribunal trouvera page 181 du livre de documents :

« La situation alimentaire du peuple allemand exige que l’Armée contribue, dans la mesure du possible, à l’améliorer. Toutes les conditions nécessaires à cette action sont réunies dans la zone d’opérations ainsi que dans les territoires occupés de l’Est et de l’Ouest. Il importe avant tout, dans les territoires occupés de l’Est, d’assurer à l’avenir la livraison de plus grandes quantités de produits alimentaires et de fourrage. »

Je lis le second extrait :

« Tous les services devront mettre leur orgueil à atteindre coûte que coûte ce but, afin que, dans ce domaine aussi, l’Armée crée les conditions qui nous conduiront à la victoire, et considérer cette tâche comme un devoir d’honneur. »

Voici un commentaire des rapporteurs Klare et le Dr Bergmann, daté du 19 novembre 1942 et portant la mention « Très secret. Objet : Ravitaillement de l’Armée ». Je dépose l’original sous le même n° URSS-175 ; nous trouvons dans cette note l’appréciation suivante sur les résultats de l’ordre de Keitel cité plus haut. Je ne lirai que le premier paragraphe de cette note.

« Sur l’ordre du Führer, le chef du Commandement suprême des Forces armées a fait savoir par l’ordre du 29 août 1942 ci-joint que l’Armée doit, dans la mesure du possible, contribuer à améliorer la situation alimentaire du peuple allemand et pour cela doit prévoir dans les territoires occupés, non seulement le ravitaillement des armées sur le pays, mais aussi la constitution des stocks nécessaires au Reich.

Il ressort de cet ordre que la collaboration entre les services militaires et civils est devenue heureusement plus étroite. »

Maintenant, avec votre permission, je vais citer encore un document, un télégramme de Keitel du 8 septembre 1944. Je dépose l’original de ce document, qui a été mis à notre disposition par le Ministère Public américain. Il est enregistré sous le n° PS-743. Il n’a pas encore été déposé ; c’est pourquoi je le présente sous le n° URSS-286. Je lis :

« 1. État-Major de l’Armée. Intendance générale. Bureau du chef (Anna).

2. État-Major général de l’Armée de terre. Intendance générale. Section administrative (Anna Bu.).

3. Au Commandement en chef du groupe d’armées Nord.

4. Au Commandement en chef du groupe d’armées Centre.

5. A l’État-Major économique de l’Est.

6. A la première région militaire. »

Je lis le texte du télégramme :

« 1° Le Führer a chargé le Gauleiter Koch d’organiser l’exploitation des ressources locales dans les régions du Commissariat du Reich « Ostland » occupées par les troupes du front central. En outre, le Führer a placé toutes les autorités administratives locales allemandes sous la dépendance du Gauleiter Koch. Pour la réquisition des biens d’intérêt économique, le Gauleiter Koch doit rester en contact avec les organismes supérieurs compétents du Reich.

2° Tous les services de l’Armée doivent assister le Gauleiter Koch dans l’exécution de cette tâche. »

Ainsi, Messieurs les juges, même à la fin de 1944, alors que, sous les coups de l’Armée rouge et de ses alliés, l’Allemagne nazie courait à sa défaite définitive et que quelques mois à peine la séparaient encore de la catastrophe militaire et politique, Hitler, Keitel, Koch et tant d’autres tendaient encore leurs mains déjà raidies vers les propriétés et les biens d’autrui.

Telles sont les preuves des pillages et des vols commis par les hordes hitlériennes dans les territoires occupés de l’URSS. Ils ne se contentaient pas de dépouiller les vivants, ils s’attaquaient aussi aux morts. Mon collègue, le colonel Smimov, a déjà fourni des preuves suffisantes sur ce point. Je ne les répéterai pas ; je les rappelle seulement pour montrer l’étendue de ces crimes et leur cohérence.

D’après le témoignage de von Rauschning, dans son livre qui a déjà été présenté par le Ministère Public soviétique, Hitler dit un jour :

« J’ai besoin d’hommes à poigne que les principes ne retiendront pas quand il faudra faire disparaître quelqu’un, et s’ils volent alors une montre ou un bijou, je m’en moque. »

Hitler a trouvé de tels hommes en la personne des accusés et leurs complices. Parmi eux, l’accusé Göring, par la position qu’il a occupée dans le Gouvernement nazi, en tant que Reichsmarschall et plénipotentiaire au Plan de quatre ans, et parce qu’il était à la tête de ce système criminel créé pour le pillage des territoires occupés, comme l’établissent les documents que j’ai présentés, est responsable de ces crimes.

C’est pourquoi le procès-verbal de la Conférence secrète des commissaires du Reich dans les territoires occupés, qui eut lieu le 6 août 1942 sous la présidence de Göring, présente un intérêt particulier.

Ce document, comme beaucoup d’autres que j’ai eu l’honneur de présenter aujourd’hui au Tribunal, a été découvert et saisi par les autorités militaires soviétiques au mois de septembre 1945 à Léna en Thuringe, dans un bâtiment municipal.

Le contenu de ce document extraordinaire, un long discours de Göring et les répliques des chefs nazis des pays occupés (plusieurs des accusés ici présents ont pris part à cette conférence), est tel qu’il n’exige aucun commentaire.

Je commencerai directement, si vous me le permettez, par une série d’extraits de ce sténogramme :

« Procès-verbal pris en sténographie le jeudi 6 août 1942 à 4 heures de l’après-midi. Salle Maréchal Göring au ministère de l’Air.

Reichsmarschall Göring

Hier, les Gauleiter ont exposé leur point de vue. Bien que le ton et la manière de s’exprimer fussent différents, les Gauleiter ont été unanimes à reconnaître que le peuple allemand a trop peu à manger. Messieurs, le Führer m’a donné des pouvoirs tels qu’il ne m’en avait pas encore octroyés pour le Plan de quatre ans.

L’Allemagne domine actuellement, de l’Atlantique à la Volga et au Caucase, les plus riches greniers à blés qui aient jamais existé en Europe. Nos troupes ont conquis l’un après l’autre les pays les plus riches par leur configuration et leur fertilité, même si quelques-uns d’entre eux ne peuvent être considérés comme des greniers à blés. Je n’ai qu’à rappeler la fertilité inouïe des Pays-Bas, le paradis unique qu’est la France ; la Belgique est également très fertile, de même que la province de Posen, puis, surtout, le grenier à blé et à seigle de l’Europe, le Gouvernement Général, auquel sont rattachés les territoires extrêmement fertiles de Lemberg et de Galicie, dans lesquels la récolte est extraordinaire. Puis la Russie, la terre noire de l’Ukraine sur les deux rives du Dniepr, la boucle du Don avec ses territoires excessivement fertiles et peu touchés par les destructions. Nos troupes ont à présent, en partie, occupé ou sont en train d’occuper, par delà toutes les frontières, les régions fertiles situées entre le Don et le Caucase. »

Après cette énumération, Göring reprend :

« Dieu sait que vous n’êtes pas envoyés là-bas pour travailler au bien-être des peuples qui vous sont confiés, mais pour en retirer le maximum, afin que vive le peuple allemand. C’est ce que j’attends de vous. Il faut enfin cesser de s’occuper toujours des étrangers. J’ai ici des rapports sur les livraisons que vous proposez de faire. Ce n’est rien quand je considère vos pays. Il m’est absolument indifférent de vous entendre dire que vos gens tombent d’inanition »

Citation suivante :

« Voici ce que je ferai : les impositions que je vous ai données, je les ferai rentrer, et si vous n’êtes pas capable de le faire, je créerai des organismes qui les tireront de ces pays à n’importe quel prix, que cela vous plaise ou non. »

Citation suivante :

« Aux portes du territoire de la Ruhr se trouve la riche Hollande. Elle pourrait actuellement expédier dans cette région si durement frappée beaucoup plus de légumes qu’elle ne l’a fait. Ce que messieurs les Hollandais en pensent m’est absolument indifférent.

En somme, les seuls hommes qui m’intéressent dans les territoires occupés sont ceux qui travaillent pour l’armement et le ravitaillement. Ils ne doivent recevoir que ce qu’il leur faut pour pouvoir exécuter leur travail. Que messieurs les Hollandais soient de race germanique ou non, cela m’est totalement indifférent. S’ils le sont, ils n’en sont que plus bornés, et de grands personnages nous ont montré dans le passé comment il faut parfois traiter les Germains bornés. Même si l’on proteste de divers côtés, vous aurez malgré tout bien agi, car il n’y a que le Reich qui compte ».

Extrait suivant :

« Restons-en aux territoires de l’Ouest. La Belgique s’est bien occupée de ses propres affaires. C’est très judicieux de sa part. Ici aussi pourtant, Messieurs, je pourrais me mettre en colère. Si dans chaque coin de terre en Belgique on cultive des légumes, vous devriez avoir des semences. Lorsque nous avons voulu l’an dernier faire une grande campagne contre la jachère, l’Allemagne était loin de posséder les semences dont elle aurait eu besoin. Il ne nous est parvenu aucune livraison ni de Hollande, ni de Belgique, ni de France, bien que j’aie pu compter moi-même, dans une seule rue de Paris, plus de 170 sacs de semences de légumes. Il est très bien que les Français plantent des légumes pour eux-mêmes. Ils en ont d’ailleurs l’habitude. Mais, Messieurs, tous ces peuples sont nos ennemis, et vous n’en gagnerez aucun à votre cause par vos mesures humanitaires. Les gens se montrent actuellement charmants à votre égard, puisqu’il le faut. Laissez venir les Anglais, et vous verrez le vrai visage des Français. Ce même Français que vous recevez chez vous et chez qui vous êtes reçu vous fera rapidement comprendre que le Français hait les Allemands ». Voici la situation telle qu’elle est, et nous ne devons pas la voir autrement.

« Que la table royale belge soit garnie chaque jour de tant ou tant de plats, je m’en moque. Le roi est un prisonnier de guerre et s’il n’est pas traité en prisonnier de guerre, je me chargerai bien de le faire transférer en un endroit où il s’en rendra mieux compte. Ma patience est à bout. J’ai omis un pays où, en dehors de la pêche, il n’y a rien à prendre. C’est la Norvège. Quant à la France, je prétends qu’elle n’est pas encore cultivée au maximum. Le sol français pourrait être mieux utilisé encore si l’on forçait les paysans à travailler autrement. Deuxièmement, dans cette France, la population s’empiffre que c’en est un véritable scandale. D’autre part, Messieurs, si une voiture allemande stationne devant un restaurant français à Paris, elle est notée. Mais qu’il y ait toute une théorie de voitures françaises ne dérange personne. Je ne dirai rien, bien au contraire, je vous ferais plutôt des reproches si nous n’avions pas à Paris un restaurant de luxe extraordinaire où l’on mange très bien. Mais je n’admets pas que les Français viennent s’y promener. C’est pour nous que Maxim’s doit faire sa meilleure cuisine ».

Monsieur le Président, je vois qu’un des avocats désire intervenir. Je lui laisse la parole.

Dr ALFRED THOMA (avocat de l’accusé Rosenberg)

Monsieur le Président, je n’ai qu’une question à poser. Le représentant du Ministère Public n’a pas indiqué le livre de documents où se trouve ce document, ni le numéro qu’il porte. Il a seulement donné la page à laquelle messieurs les juges peuvent le trouver.

CONSEILLER SHENIN

Ce document a été présenté au Tribunal sous le n° URSS-170. On en a remis des photocopies à la Défense. Me permettez-vous de continuer, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT

Vous nous avez dit que ce document provenait des archives de l’accusé Göring, n’est-ce pas ?

CONSEILLER SHENIN

Oui.

« Pour les soldats et pour les officiers allemands, trois ou quatre restaurants de toute première classe, mais rien pour les Français. »

Je lis l’extrait suivant :

« Vous devez, comme de bons limiers, être à l’affût de tout ce qui peut être utile au peuple allemand. Il faut alors le sortir des dépôts en vitesse et l’envoyer ici. En prenant un décret, j’ai déclaré à plusieurs reprises : « Les soldats peuvent acheter tout ce qu’ils « veulent, tant qu’ils en veulent, autant qu’ils peuvent en « traîner... »

Vous allez me dire maintenant : « La politique étrangère de « Laval ? » M. Laval tranquillise M. Abetz, et M. Laval peut, en ce qui me concerne, aller chez Maxim’s, bien que ce soit interdit. Mais les Français devront apprendre à nous connaître. Vous n’avez aucune idée de leur audace. Nos amis pratiquent l’usure dès qu’ils apprennent qu’il s’agit d’un Allemand. Aussitôt, ils triplent leurs prix. Et si c’est le maréchal du Reich, ils demandent cinq fois le prix de l’article. Je voulais acheter un Gobelin. On m’en a demandé 2.000.000. On fit savoir à la femme que l’acheteur désirait voir le Gobelin. Elle répondit qu’elle ne pouvait le confier à personne. Elle dut alors se rendre chez l’acheteur et on lui fit savoir qu’elle se rendait chez le maréchal du Reich. A l’arrivée, le Gobelin coûtait 3.000.000. Je l’ai signalé. Croyez-vous que l’on fit quelque chose ? Je me suis adressé à la Justice française et celle-ci a fait comprendre à cette dame qu’elle ne devait pas pratiquer une telle usure à mon endroit.

Tout ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on peut tirer du territoire que nous avons actuellement entre les mains en donnant l’effort maximum et en mettant en œuvre toutes les forces, et ce qu’on en pourra diriger sur l’Allemagne. Quant aux anciennes statistiques d’importation et d’exportation, je m’en moque.

Et maintenant, les livraisons au Reich. L’an dernier, la France a livré 550.000 tonnes de céréales panifiables, et maintenant j’en exige 1.200.000 tonnes. Dans quinze jours, je présenterai un projet dans ce but. Plus de discussion à ce sujet. Peu m’importe ce qui peut arriver aux Français, nous aurons nos 1.200.000 tonnes. Fourrages : l’an dernier, 500.000 tonnes, maintenant 1.000.000. Viande : l’an dernier 135.000 tonnes, maintenant 350.000. Matières grasses : l’an dernier 23.000 tonnes, maintenant 60.000. »

L’extrait suivant concerne les quantités à fixer pour les livraisons des Pays-Bas, de la Belgique, de la Norvège et du Gouvernement Général. Les personnes présentes à la conférence, en réponse aux questions et aux directives de Göring, donnèrent des chiffres précis. Je passe une page et je lis :

« Maréchal Göring

Voici pour l’Ouest. Pour les acheteurs de vêtements, souliers, etc., c’est-à-dire tout ce qui se trouve sur le marché, nous donnerons encore un décret spécial.

Venons-en maintenant à l’Est. J’ai réglé la question avec la Wehrmacht. Elle renonce à ses demandes en Allemagne. Combien fallait-il de fourrage ?

Backe

1.500.000 tonnes, plus de 1.000.000 de tonnes de paille et 1.500.000 tonnes d’avoine. Nous ne pouvons pas satisfaire à de telles exigences.

Maréchal Göring

Eh bien, Messieurs, il n’y a rien d’autre à dire au sujet du ravitaillement de la Wehrmacht. Je ne veux rien entendre jusqu’à nouvel ordre, aucune réclamation. Ce pays, avec sa crème aigre, ses pommes et son pain blanc, pourra nous nourrir abondamment. La boucle du Don fera le reste. »

Citation suivante ; c’est Göring qui parle :

« Les troupes d’occupation en France seront évidemment nourries par la France. C’est si évident que je ne l’ai même pas précisé jusqu’ici. Et pour la Russie ! Il est notoire qu’elle est très fertile. La situation est donc encore meilleure qu’on ne peut l’imaginer... »

Nouvelle citation de Göring :

« J’ai été très heureux d’entendre dire que le commissaire du Reich dans les territoires de l’Est se porte si bien, que les gens sont gros et gras et s’essoufflent quand ils travaillent. Mais en tout cas, tout en continuant à appliquer ce traitement de faveur à certains groupes, je veillerai à ce que soient effectués des prélèvements dans cette zone d’approvisionnement inépuisable. »

Lohse, commissaire du Reich en Russie blanche, prend la parole. Je cite :

« Puis-je exprimer en quelques mots mon opinion à ce sujet ? Je veux bien donner davantage, mais à certaines conditions. Il est de fait que la récolte est bonne chez moi, mais, dans plus de la moitié du territoire de Ruthénie blanche, qui est bien cultivé, il est impossible de faire la moisson, tant qu’on n’aura pas mis un terme à l’activité néfaste des bandes de partisans ; voilà quatre semaines que j’appelle au secours. »

Lohse continue à parler de l’activité des partisans, mais Göring l’interrompt en disant :

« Mon cher Lohse, nous nous connaissons depuis longtemps, vous avez une imagination débordante.

Lohse

Je proteste, je n’invente rien. »

Je vais lire en conclusion les trois derniers extraits du discours de Göring :

« Funk, il nous faut en Ukraine et ailleurs des acheteurs du ministère de l’Économie. Nous devons les envoyer à Venise pour qu’ils achètent des bijoux de pacotille, ces affreux objets d’albâtre, des bibelots, etc. Je crois que c’est en Italie qu’on trouve le plus de camelote.

Voyons maintenant ce que la Russie peut fournir. Je crois, Riecke, qu’on doit arriver à tirer de l’ensemble du territoire 2.000.000 de tonnes de céréales panifiables et de fourrage.

Riecke

On les obtiendra.

Maréchal Göring

Alors nous devons en obtenir 3.000.000, en dehors des fournitures à la Wehrmacht.

Riecke

Non, les chiffres donnés concernent uniquement la Wehrmacht.

Maréchal Göring

Alors donnez-nous en 2.000.000.

Riecke

Non.

Maréchal Göring

Alors 1.500.000.

Riecke

Oui. »

Et la discussion se poursuit, toujours dans le même esprit. Göring termine ces déclarations par les phrases suivantes :

« Messieurs, je voudrais ajouter une chose. J’ai énormément de travail et beaucoup de responsabilités. Je n’ai pas le temps de lire les lettres et les mémoires dans lesquels vous déclarez ne pouvoir satisfaire à mes exigences. Je n’ai que le temps de m’assurer de loin en loin par les courts rapports de Backe que les engagements sont tenus. Sinon, nous devrions nous rencontrer bientôt sur un autre terrain. »

Comme vous le savez, Messieurs les juges, en dehors de Göring, assistaient à cette conférence les accusés Rosenberg, Sauckel, Seyss-Inquart, Frank, Funk et d’autres. Et vous avez entendu que Göring a terminé son discours par une menace directe à l’adresse des personnalités présentes :

« Sinon, nous devrions nous rencontrer bientôt sur un autre terrain. »

Cette menace s’est accomplie. Ils se sont bien en fait — dans toute l’acception du terme — rencontrés sur un autre terrain, ici même, sur le banc des accusés.

Ainsi la totalité des preuves citées démontre que ;

1° Le Gouvernement criminel nazi et le Commandement suprême des Forces armées avaient préparé depuis longtemps, en même temps que l’attaque de la Tchécoslovaquie, de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Grèce et de l’URSS par leurs armées, un plan de pillage massif et de vol des biens privés, publics et nationaux sur le territoire de ces pays.

2° Ayant élaboré ces plans criminels, les conspirateurs ont pris à l’avance toutes les mesures nécessaires à leur réalisation. Ils ont préparé notamment des cadres spéciaux d’officiers et de fonctionnaires pour le pillage des territoires à conquérir. Ils ont donné des instructions spéciales, des directives, et édité des recueils dans ce but. Ils ont créé une organisation spéciale avec de nombreuses ramifications, « inspections économiques », « détachements », « groupes », « sociétés anonymes », « délégués », etc., où étaient engagés de nombreux spécialistes, « agronomes militaires », « Führer de l’agriculture », « agents de renseignements pour l’économie », etc.

3° Conformément à ces plans préparés, ils ont réalisé ultérieurement l’immense pillage et le vol des biens privés, publics et nationaux sur les territoires occupés, ainsi que la spoliation de la population civile de ces régions, par la violence et l’arbitraire, ayant recours à des procédés d’une cruauté inouïe.

4° Dans le but « d’intéresser économiquement » les soldats et les officiers de l’Armée allemande à la guerre, les conspirateurs n’ont pas seulement laissé impunis le maraudage et le pillage des soldats et des officiers allemands, mais ont au contraire encouragé ces crimes et incité les militaires allemands à les commettre.

5° Par tous ces crimes, les conspirateurs ont causé d’immenses dommages matériels aux peuples des territoires occupés en les condamnant à la faim et à la misère, afin d’exploiter le résultat de leur action criminelle pour leur propre profit et enrichissement et ceux de leurs complices.

6° En étudiant, en préparant et en déclenchant des guerres d’agression contre les peuples pacifiques, les conspirateurs avaient pour but le pillage de ces peuples, et ils ont atteint ces buts criminels par des méthodes également criminelles.

En conséquence, les accusés ont sciemment et de sang-froid violé l’article 50 des Conventions de la Haye de 1907, les lois et les coutumes de la guerre, les principes généraux du Droit pénal tels qu’ils sont reconnus par toutes les nations civilisées, ainsi que les lois nationales des pays où ces crimes ont été perpétrés.

Ces agissements criminels, Messieurs les juges, tombent dans leur ensemble, et chacun en particulier, sous le coup de l’article 6 du Statut du Tribunal Militaire International. Pour tous ces agissements, tous les accusés doivent être reconnus coupables, et tous sans exception doivent en supporter la responsabilité à titre individuel ainsi qu’à titre de participants au complot.

Messieurs les juges, les documents que j’ai présentés au Tribunal et que j’ai lus à l’audience sont les témoins muets des crimes organisés et perpétrés par les accusés. Mais leur éloquence sera comprise par la conscience des juges car ils présentent sous leur jour véritable les actes d’arbitraire et les crimes des pillards hitlériens, ainsi que les souffrances indicibles de leurs innombrables victimes.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 21 février 1946 à 10 heures.)