SOIXANTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Vendredi 22 février 1946.
Audience du matin.
Plaise au Tribunal. L’accusé Fritzsche, malade, ne pourra jusqu’à nouvel ordre assister aux audiences.
Messieurs les juges, j’en arrive maintenant à la présentation des documents prouvant la culpabilité des accusés dans la destruction des villes, villages et installations diverses. Ces accusations sont portées en vertu du paragraphe C du chef d’accusation n° 3 de l’Acte d’accusation.
Nous démontrerons que ces destructions de villes et de villages ne peuvent être considérées comme étant le fruit du hasard ou comme nécessitées par les opérations militaires. Nous démontrerons que ces destructions étaient préméditées et exécutées suivant des plans soigneusement préparés par le Gouvernement hitlérien et le Haut Commandement allemand.
Nous démontrerons également que les destructions de villes et de villages, d’installations industrielles et de moyens de transport étaient comprises dans le plan général de la conspiration visant à l’asservissement des pays d’Europe, et autres, par l’Allemagne hitlérienne qui cherchait à dominer le monde.
Partout où sont passés les envahisseurs germano-fascistes, ils ont semé la mort et la destruction. Dans le feu des incendies étaient anéanties les machines les plus précieuses que le génie créateur de l’homme ait inventées Des entreprises, des maisons d’habitation, qui abritaient et procuraient du travail à des millions d’êtres furent dynamitées. Après cela, ceux qui restaient sans abri, des vieillards, des femmes et des enfants, devaient périr.
Les hitlériens, avec une cruauté toute particulière, détruisirent les villes et les villages des territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique, qui, suivant des instructions du Haut Commandement allemand, devait être transformée en désert.
Pour le prouver, je citerai un extrait du document déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-51 (2). Ce passage figure, Messieurs les juges, à la page 3 du livre de documents. Je cite :
« Dans un ordre récemment tombé aux mains de l’Armée rouge, non loin de la ville de Verkhovia, dans la région d’Orel, ordre destiné au 512e régiment d’infanterie allemand, et signé du colonel Schitting, on trouve les instructions suivantes, exposées avec un cynisme inimaginable :
La zone appelée à être évacuée doit avoir, après le départ des troupes, l’aspect d’un désert. Pour que les destructions soient totales, on devra incendier les maisons après les avoir remplies de paille, tout particulièrement les maisons en pierre. Les bâtiments en pierre devront être dynamités. En particulier on n’oubliera pas de détruire les caves. Les mesures devant amener la réalisation de cette politique de la « terre brûlée » doivent être étudiées dans le détail et appliquées impitoyablement ».
Tel est le texte de l’ordre destiné au 512e régiment d’infanterie allemand.
Ces destructions de villes et de villages correspondent donc à la création d’une zone désertique ordonnée à ses troupes par le Haut Commandement allemand dans toutes les régions de l’URSS dont les unités de l’Armée rouge chassaient victorieusement les envahisseurs.
Cet ordre au 512e régiment d’infanterie, mentionné dans le document que je viens de citer, je le dépose sous le n° URSS-168.
Connaissez-vous la date de cet ordre ?
10 décembre 1941. Il ressort de ce document que le Haut Commandement allemand prescrivait la destruction totale et impitoyable des localités habitées, que la destruction de ces localités avait été posée en principe et les modalités des destructions étudiées dans le détail.
Le Ministère Public soviétique possède une grande quantité de documents et de rapports concernant cette question. Je me limiterai à citer des extraits du verdict prononcé par un tribunal militaire régional contre le général de division Bemhardt et le général de brigade Hamann, verdict que je présente au Tribunal comme document à charge n° URSS-90. Le tribunal militaire a établi que les généraux Bemhardt et Hamann avaient agi conformément aux plans et directives du Haut Commandement de l’armée allemande. Je vais citer, Messieurs les juges, un court extrait de ce verdict, extrait figurant aux pages 24 et 25 du livre de documents :
« ... Ils procédaient à la destruction systématique des villes et des localités habitées, non seulement des bâtiments industriels, mais encore des hôpitaux, sanatoria, établissements d’enseignement, musées et autres établissements culturels, et même des maisons d’habitation, par principe. Ces dernières étaient dynamitées sans le moindre avertissement, si bien que sous les décombres on retrouvait les cadavres de citoyens soviétiques ayant péri dans l’explosion. »
La même préméditation présida aux destructions d’usines, centrales électriques et galeries de mines.
Pour le prouver, je ferai appel au rapport de la Commission extraordinaire d’État présenté au Tribunal sous le n° URSS-2. Ce document figure à la page 28 de votre livre de documents. Ce rapport contient des instructions secrètes du chef de la section économique du groupe d’armées Sud, instructions en date du 2 septembre 1943, enregistrées sous le n° 1/313/43, prescrivant aux chefs des commandos économiques de procéder à la destruction totale des installations industrielles. On y souligne le fait que :
« Les destructions ne devront pas être effectuées à la dernière minute, en pleine bataille ou lorsque les troupes commenceraient déjà à battre en retraite, mais en temps utile. »
La note du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, Molotov, en date du 27 avril 1942, présentée au Tribunal sous le n° URSS-51/3, nous renseigne sur le contenu des ordres du Haut Commandement allemand et sur la façon dont ces ordres furent exécutés. Je citerai quelques extraits de la deuxième partie de cette note, intitulée : « Destructions des villes et des villages ». Ces extraits figurent aux pages 6 et 7 du livre de documents qui est devant vous. Je cite :
« Sur l’ordre direct du Haut Commandement, l’armée germano-fasciste cause des destructions incroyables aux villes et villages soviétiques conquis et occupés par elle. »
Je passe la fin de la page 4 ainsi que le début de la page 5 de mon exposé.
Je crois que vous ne devriez pas sauter les quatre premières lignes de la page 5.
Monsieur le Président, je saute ce passage parce que je l’ai déjà cité hier. Cependant, si le Tribunal le désire, je le relirai volontiers.
Si vous l’avez déjà cité, il n’est pas nécessaire de le relire. L’avez-vous vraiment lu hier ? Je ne m’en souviens pas.
Oui, j’ai cité ce document hier, Monsieur le Président.
On me communique à l’instant, et je crois que c’est exact, que vous n’avez pas lu ces lignes, en haut de la page 5 à partir de « du 10 octobre 1941 ». Je crois qu’il est préférable que vous les lisiez. Je parle de l’ordre du 10 octobre 1941 qui est mentionné dans votre exposé.
Il s’agit d’un ordre à la 6 e armée allemande en date du 10 octobre 1941, signé du maréchal von Reichenau. Ce document a été déposé sous le n° URSS-12. Je cite :
« Les troupes ne s’intéresseront à l’extinction des incendies que pour préserver leurs cantonnements. Tout le reste, même les immeubles, peut être détruit. »
« A la fin de 1941 et au début de 1942, le Haut Commandement allemand publia une série d’ordres prescrivant aux unités allemandes obligées de battre en retraite devant la pression de l’Armée rouge de détruire tout ce qui ne l’avait pas encore été pendant l’occupation. Ainsi des milliers de villages, des quartiers urbains entiers et même des villes entières furent réduits en cendres, rasés par l’armée germano-fasciste en retraite.
La destruction systématique des villes et des villages soviétiques nécessita la mise sur pied par les envahisseurs allemands de toute une organisation criminelle sur les territoires soviétiques. Des instructions spéciales et des ordres détaillés du Commandement allemand sont consacrés aux méthodes à utiliser pour la destruction des localités soviétiques. A ces fins, des détachements spéciaux furent créés, spécialement entraînés pour ces activités criminelles. Voici, parmi tant d’autres, quelques-uns des rapports du Gouvernement soviétique. »
Je me réfère à nouveau à l’ordre adressé au 512e régiment d’infanterie, ordre que je viens de déposer sous le n° URSS-168 :
« Cet ordre... est un document de sept pages exposant de manière détaillée le plan de destruction des villages englobés dans la région occupée par le régiment, destructions s’échelonnant du 10 au 14 décembre inclus. Dans cet ordre, rédigé selon les règles en usage dans l’armée allemande, il est dit :
Les préparatifs de destruction des localités habitées doivent « se dérouler de telle façon que :
a) La population civile de ces localités ne soupçonne rien avant « l’annonce de leur destruction.
b) Les destructions puissent être entreprises soudainement et « en de nombreux endroits simultanément au moment fixé. Ce jour « venu, il faudra veiller soigneusement à ce qu’aucun des habitants « ne quitte la localité, surtout après l’annonce de la destruction ».
Dans un ordre du commandement de la 98e division d’infanterie allemande, daté du 24 décembre 1941, il est stipulé après énumération de 16 villages soviétiques à réduire en cendres :
« Toutes les réserves de foin, paille et produits divers devront « être incendiées. Dans les maisons d’habitation, il faut démolir « tous les poêles en y jetant des grenades à main, afin de les rendre « inutilisables.
Cet ordre ne doit en aucun cas tomber aux mains de l’ennemi. »
L’ordre de Hitler du 3 janvier 1942 est du même genre :
« S’accrocher à chaque localité habitée, ne pas céder un seul « pouce de terrain, se défendre jusqu’au dernier homme, jusqu’à la « dernière grenade, voici ce qu’exige la situation présente.
Chaque localité occupée par nous doit se transformer en foyer « de résistance. En aucun cas elle ne doit être cédée à l’ennemi, « même si elle est cernée par celui-ci. Si cependant, sur l’ordre du « Commandement supérieur, cette localité doit être abandonnée, « il faut tout incendier, tout raser, faire sauter tous les foyers, tous les fours.
Signé : Adolf Hitler. »
Hitler n’a éprouvé aucune honte à reconnaître publiquement que la destruction des villes et des villages soviétiques était l’oeuvre de son armée. Dans son discours du 30 janvier 1942...
Cet ordre du 3 janvier 1942, signé de Hitler, figure-t-il dans le rapport officiel du Gouvernement soviétique ? D’où provient-il ?
Cet ordre est inclus dans le rapport du commissaire aux Affaires étrangères, Molotov, qui constitue le document déjà présenté sous le n° URSS-51/3.
Dans le rapport de M. Molotov ?
Oui, dans la note du Commissaire du peuple, Molotov.
Dans son discours du 30 janvier 1942, Hitler déclarait :
« Là où les Russes ont réussi à percer le front pour réoccuper — croient-ils — des localités habitées, ces localités n’existeront plus ; ce ne seront plus que des ruines ». Abandonnant sous les coups de l’Armée rouge la région du Kouban, le Commandement allemand avait élaboré tout un plan d’opérations intitulé « Mouvement Kriemhilde » dont toute une partie est consacrée au plan de destruction. Ce plan nous est connu par un télégramme secret de deux pages destiné aux commandants d’États-Majors. Il est signé par Hitler. A la première page figure l’inscription « Secret A/2371, 17 exemplaires ». Le document que nous présentons au Tribunal sous le n° URSS-115 est le dix-septième de ces exemplaires de l’ordre de Hitler. Il porte la référence C-177 et figure aux pages 31 à 33 de votre livre de documents. Je vais citer l’article 2 de ce document :
« 2) Destructions en cas de retraite.
a) Toutes les installations pouvant servir à l’ennemi, cantonnements, routes, ouvrages d’art, digues, etc. devront être correctement détruites.
b) Toutes les voies de chemin de fer et toutes les voies provisoires devront être démontées ou définitivement détruites.
c) Tous les chemins en rondins construits sur les marécages doivent être rendus inutilisables et détruits.
d) Les installations et les puits de pétrole de la tête de pont du Kouban doivent être complètement détruits.
e) La destruction et l’embouteillage du port de Novorossiysk devront rendre son utilisation par la Flotte russe impossible avant longtemps.
f) Il faut également entreprendre sur une vaste échelle la pose de mines et de bombes à retardement.
g) L’adversaire devra retrouver un pays entièrement inutilisable pour longtemps, inhabitable et dévasté où, pendant des mois encore, exploseront des mines. »
Nous disposons encore de toute une série de documents mentionnant de tels ordres, mais je n’attirerai l’attention du Tribunal que sur deux d’entre eux. Je veux parler d’un extrait du journal de Frank se rapportant à cette question et d’instructions du commandant de la 118e division de destruction, opérant en Yougoslavie. Le passage du journal de Frank figure au tome consacré à la période allant du 1er mars 1944 au 31 mai de la même année, sous le titre « Conférence à Cracovie, le 12 avril 1944 ». On y trouve consigné pour le 17 avril, à la page 45 de votre livre de documents, le passage suivant. Je cite :
« L’important, c’est que l’ordre ait été donné aux troupes de ne rendre aux Russes que des territoires dévastés. S’il est nécessaire d’évacuer nos régions, on ne fera pas de différence entre le Gouvernement Général et les autres territoires. »
Je tiens à signaler également au Tribunal le document présenté sous le n° URSS-132 qui renferme des instructions secrètes signées du général de brigade allemand Kübler et adressées à la 118e division de chasseurs. Ces instructions furent saisies en juin 1944 par des détachements de l’Armée nationale yougoslave de libération. On y ordonne aux troupes de se comporter envers la population « avec rudesse et sans pitié » et de détruire les localités à évacuer.
Messieurs les juges, avant d’en finir avec cette partie de mon exposé, il me semble bon d’attirer votre attention sur un dernier point : La destruction de villes et villages paisibles fut non seulement ordonnée à priori et conduite de propos délibéré et sans pitié, mais encore exécutée par des détachements spécialement entraînés à ces tâches par le commandement allemand.
Pour le prouver, je présenterai quelques extraits qui n’ont pas encore été cités, tirés de documents officiels du Gouvernement soviétique. Dans la note du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères, Molotov, du 27 avril 1942, il est dit : (Le passage que je cite figure à la page 9 de votre livre de documents.) Je cite :
« Les détachements spéciaux créés par le Haut Commandement allemand pour procéder à la destruction des localités soviétiques et à l’extermination massive de la population civile accomplirent pendant la retraite des armées hitlériennes leur œuvre sanglante avec un sang-froid digne de criminels professionnels.
Ainsi, par exemple, les Allemands, avant de quitter le village de Bolchekrepinsk, région de Rostov, incendièrent méthodiquement, à l’aide de lance-flammes spéciaux, 1.167 maisons d’habitation de ce bourg prospère, l’hôpital, l’école et d’autres édifices publics. En même temps, les mitrailleurs abattaient sans avertissement les habitants qui s’approchaient de leurs maisons en flammes. Plusieurs de ces habitants furent ligotés, arrosés d’essence et jetés dans les maisons en flammes. »
Je saute une partie de la page 9 de mon exposé et j’en arrive à l’avant-dernier paragraphe de cette page. Dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État présenté au Tribunal sous le n° URSS-46, il est dit :
« Dans leur haine insensée pour les peuples soviétiques, haine née de leurs défaites sur le front, le commandant de la 2e armée blindée allemande, le général Schmidt, et le commandant de la région administrative d’Orel, le général de brigade Hamann, ont créé des détachements spéciaux chargés de détruire les villes, villages et kolkhozes de toute la région d’Orel. Ces bandes de pillards et d’incendiaires détruisaient tout ce qu’ils trouvaient sur le chemin de leur retraite. Ils détruisirent les monuments culturels et artistiques du peuple russe, ils incendièrent les villes, les bourgs et les villages. »
Le document présenté au Tribunal sous le n° URSS-279 rapporte les faits suivants :
« A Viazma et à Gjatsk, le chef de la 35e division d’infanterie, le général de brigade Merker, le chef de la 252e division d’infanterie, le général de brigade Schâfer, et celui de la 7e division d’infanterie, le général de brigade Roppert, avaient formé les détachements spéciaux d’incendiaires et de poseurs de mines qui incendiaient et faisaient sauter les maisons d’habitations, les écoles, les théâtres, les clubs, les musées, les bibliothèques, les hôpitaux, les églises, les magasins, les usines, ne laissant derrière eux que cendres et ruines. »
Dans le document présenté au Tribunal sous le n° URSS-2 figurent quelques indications données par des prisonniers de guerre allemands, je citerai quelques-unes de ces dépositions.
Le caporal Hennann Verhoitz, du 597e régiment d’infanterie de la 306e division de l’Armée allemande, prisonnier de guerre, a déclaré :
« En tant que membre d’un commando de démolition, j’ai pris part à l’incendie et au dynamitage de bâtiments publics et de maisons d’habitations à l’entrée principale de la ville de Staline. Personnellement j’ai mis en place des explosifs auxquels j’ai mis le feu ensuite. Ainsi, de par ma faute, cinq grands immeubles furent dynamités et plusieurs autres incendiés. »
On pourrait, Messieurs les juges, citer de nombreuses autres déclarations de ce genre ; je le répète, nombreuses sont les dépositions de ce genre contenues dans les rapports et documents en possession du Tribunal. Cependant, je pense qu’il n’est pas nécessaire de présenter tous ces documents. De tout ce qui a déjà été cité, nous pouvons tirer la conclusion que les destructions effectuées par les bandits hitlériens dans les territoires occupés étaient préméditées, qu’elles étaient systématiques et non pas accidentelles, qu’elles n’étaient pas le fait de soldats et d’officiers isolés, mais qu’elles étaient accomplies sur les ordres du Haut Commandement allemand. Je saute donc la page 11 de mon rapport et passe à la page 12.
Parmi les projets criminels des conspirateurs hitlériens, ceux qui prévoyaient la destruction des capitales de l’URSS, de la Pologne et de la Yougoslavie occupaient une place particulière et tout spécialement les plans de destruction de Moscou et de Leningrad. Grisés par leurs premiers succès militaires, les hitlériens élaborèrent des plans insensés d’anéantissement de cette industrie lourde, si chère au cœur des citoyens soviétiques et de leurs centres culturels. A cet effet, ils avaient déjà mis sur pied des commandos spéciaux. Ils se hâtèrent même de rendre publique leur décision « de ne jamais accepter la capitulation de ces villes », capitulation dont il ne fut d’ailleurs jamais question.
Il est important de remarquer que des expressions comme « raser une ville » ou « rayer de la surface du globe » étaient assez souvent employées par les conspirateurs hitlériens. Il ne s’agissait pas seulement de menaces. Ces actions criminelles furent perpétrées ; comme nous le verrons par la suite, ils réussirent en plusieurs endroits à raser jusqu’au sol des villages et des villes florissants.
Je saute un paragraphe de mon rapport. Je présenterai maintenant au Tribunal deux documents qui démasquent les intentions des conspirateurs hitlériens. Le premier de ces documents est constitué par la directive secrète n° Ia/1601/41 de l’État-Major de la Marine de guerre, en date du 22 septembre 1941, et intitulée :
« Avenir de la ville de Pétersbourg. » Ce document a déjà été présenté par nos collègues américains. C’est pourquoi, bien que nous possédions également un original de ce document dont il a été tiré plusieurs exemplaires, je pense qu’il est inutile de vous le lire.
Avec votre permission, Monsieur le Président, je rappellerai cependant son contenu. Cette directive indique que le « Führer a décidé de rayer de la surface du globe la ville de Pétersbourg », qu’il voulait soumettre la ville à un blocus étroit et la faire bombarder par l’artillerie et l’aviation jusqu’à destruction complète. Il y est également indiqué que, si des demandes de reddition étaient faites, elles devaient être repoussées par les Allemands. Il y est spécifié enfin que la directive émane non seulement de l’État-Major de la Marine de guerre, mais encore de l’OKW.
Je saute la page 13 de mon rapport, n’en citant que le dernier paragraphe.
Le deuxième de ces documents porte le n° C-123 et je le dépose sous le n° URSS-114. Il expose des directives également secrètes du Haut Commandement des forces armées en date du 7 octobre 1941 et portant le n° 44/1675/41. Ces directives sont signées par l’accusé Jodi. Ce document, Messieurs les juges, figure aux pages 69 et 70 de votre livre de documents. Je citerai le texte de ce document, ou plutôt j’en citerai quelques extraits, page 14 de mon exposé. Le premier paragraphe est conçu comme suit :
« Le Führer rappelle à nouveau que la reddition de Leningrad et plus tard de Moscou ne doit pas être acceptée si l’ennemi la proposait. »
Et plus loin, avant-dernier paragraphe de la même page :
« C’est pourquoi pas un soldat allemand ne devra pénétrer dans ces villes. Nous devrons sous le feu de nos armées forcer à regagner la ville tous ceux qui tenteraient de la quitter et de gagner nos lignes. On peut envisager favorablement la création de brèches relativement étroites restées libres qui permettraient l’exode de la population vers l’intérieur de la Russie. Toute ville, quelle qu’elle soit sera également attaquée par l’artillerie et l’aviation avant que l’on ne procède à l’assaut, afin d’amoindrir la capacité de résistance de sa population et d’inciter cette population à fuir. Nous ne pouvons assumer la responsabilité d’exposer la vie de soldats allemands pour sauver les villes russes, encore moins celle de ravitailler la population civile aux dépens de l’Allemagne. Ces volontés du Führer doivent être portées à la connaissance de tous les officiers supérieurs. »
Les conspirateurs hitlériens commencèrent à mettre à exécution avec une cruauté sans pareille leur projet criminel de détruire Leningrad. Dans le rapport de la Commission de la ville de Leningrad sur les crimes commis par les occupants germano-fascistes, sont décrits en détail les crimes monstrueux des hitlériens. Ce document a déjà été présenté au Tribunal sous le n° URSS-85. Je ne citerai que quelques faits typiques figurant à la page 15 du rapport, page 71 de votre livre de documents. Je cite :
« Par le fait des actes barbares commis par les envahisseurs germano-fascistes dans la ville de Leningrad et dans ses environs, 8.961 édifices industriels et annexes, d’un cubage de 5.192.427 mètres cubes, furent complètement détruits. 5.869 bâtiments, d’un cubage de 14.308.288 mètres cubes partiellement. Pour les maisons d’habitation, 20.627 d’un cubage de 10.081.035 mètres cubes le furent complètement, six édifices de caractère religieux furent détruits et 66 endommagés. Ces divers bâtiments anéantis ou endommagés par les hitlériens avaient une valeur de plus de 718 millions de roubles, les machines industrielles ou agricoles ainsi que les outils valant plus de 1.043 millions de roubles. »
Ce document montre que l’aviation et l’artillerie hitlériennes bombardèrent systématiquement de jour et de nuit des maisons d’habitation, des théâtres, des musées, des hôpitaux, des garderies d’enfants, des écoles, des instituts, des dépôts de tramways ainsi que de précieux monuments d’une valeur artistique et culturelle. Plusieurs milliers de bombes et d’obus tombèrent sur les bâtiments historiques de Leningrad, ses jardins et ses parcs.
Je me permettrai enfin de vous citer l’une des nombreuses dépositions d’Allemands dont il est question dans ce document et notamment le quatrième paragraphe de la page 14, page 84 de votre livre de documents. Je cite :
« Fritz Kôpke, adjudant-chef, chef de la 2e pièce de la 2e batterie de la 2e division du 910e régiment d’artillerie, a déclaré :
« Pour le bombardement de Leningrad, les batteries disposaient « de réserves de munitions renouvelables sans limitations. Chaque « servant de ces pièces savait que le bombardement de Leningrad « avait pour but la destruction de la ville et l’extermination de sa « population civile. C’est pourquoi ils considéraient avec ironie les « communiqués du Haut Commandement allemand qui parlaient de « bombardements d’objectifs militaires à Leningrad. »
Les conspirateurs hitlériens projetaient la destruction complète de la capitale de la Yougoslavie : Belgrade. Je rappellerai ici le document PS-1746, présenté au Tribunal le 7 décembre 1945. Il s’agit d’un ordre de Hitler en date du 27 mars 1941, relatif à l’agression contre la Yougoslavie. On sait que dans cet ordre, intitulé « Directives n° 25 », sont exposés tous les détails stratégiques et militaires de l’agression, et qu’entre autres on y mentionne que toutes les installations au sol de l’aviation yougoslave, ainsi que Belgrade, doivent être incessamment bombardées de jour et de nuit, jusqu’à destruction complète.
Je saute le premier paragraphe de la page 18 de mon exposé, car les faits dont il y est question ont déjà été mentionnés ici le 11 février. Je citerai quelques extraits des pages 22 et 23 du rapport officiel du Gouvernement yougoslave. Ces passages, vous les trouverez aux pages 111 et 112 de votre livre de documents. Je cite :
« La méthode et le caractère systématique de tels crimes, ordonnés d’ailleurs par le Gouvernement du Reich et l’OKW sont également confirmés par le fait que la destruction des localités et l’extermination des populations ne s’interrompaient pas au moment de la retraite des troupes allemandes en Yougoslavie. Parmi des milliers de cas analogues, la destruction de Belgrade et l’extermination de ses habitants au mois d’octobre 1944 est particulièrement typique. Les combats pour la libération de Belgrade durèrent du 15 au 20 octobre 1944. Avant même le début de ces combats, les Allemands préparaient systématiquement la destruction de cette ville. Ils dispersèrent dans la ville un nombre important de détachements spécialement formés et qui avaient pour mission d’exterminer la population et de dynamiter les édifices de la ville. Malgré l’avance rapide de l’Armée rouge et de l’Armée nationale de libération yougoslave, ces groupes, bien que n’ayant pu à cause de cette avance, remplir complètement la mission qui leur avait été confiée par le Commandement allemand, réussirent néanmoins à détruire un grand nombre de bâtiments dans les quartiers sud de la ville et à exterminer un nombre important de ses habitants.
Sur une plus grande échelle encore, le même désastre arriva dans la partie nord de la ville, au confluent du Danube et de la Save. Les Allemands allaient de maison en maison, en chassaient les habitants qu’ils refoulaient dans les rues, sans vêtements et pieds nus, plaçaient dans chaque habitation des produits très inflammables et mettaient le feu à tous les bâtiments. Lorsque les maisons étaient construites en matériaux très résistants, elles étaient minées. Les Allemands tiraient sur les habitants et tuaient ces gens sans défense. Les habitants de plusieurs immeubles importants y furent enfermés et brûlés vivants ou exterminés par l’explosion des mines. Les dégâts ainsi causés dans Belgrade se montent à la somme de 1.127.129.069 dinars d’avant-guerre. »
La destruction de Belgrade, décidée sur l’ordre de Hitler le 27 mars 1941, fut conduite d’après des instructions personnelles de l’accusé Göring en octobre 1944 et réalisée selon les méthodes appliquées par les hitlériens dans les territoires occupés de l’Est russe.
J’en arrive maintenant à la présentation des documents relatifs à la destruction systématique et préméditée de la capitale de l’État polonais, Varsovie. Je citerai trois documents qui dévoilent les intentions criminelles des conspirateurs fascistes, effacer cette ville de la surface de la terre. Le premier document que je présente est le document URSS-128. C’est un télégramme adressé à l’accusé Frank portant le n° 13.265 et signé par le gouverneur de la région de Varsovie, le Dr Fischer. Ce document se trouve dans le livre de documents à la page 148. Je cite le texte de ce télégramme :
« Au Gouverneur Général et ministre du Reich Dr Frank à Cracovie-Varsovie n° 13.265 — 11 octobre 1944 — 10/40 NS. Objet : nouvelle politique à l’égard de la Pologne. A la suite de la visite faite par le SS-Obergruppenführer von dem Bach au Reichsführer SS, je vous communique ce qui suit :
« ... L’Obergruppenführer von dem Bach a été chargé récemment de ramener le calme dans Varsovie, c’est-à-dire de raser la ville au cours d’opérations militaires, dans la mesure où cela n’amoindrira pas l’importance militaire de cette forteresse. Avant la destruction de la ville, on devra évacuer tous les stocks de matières premières, et les textiles ainsi que les meubles. La tâche la plus importante incombe donc à l’administration civile.
Je vous communique ces faits, car ce nouvel ordre du Fürher relatif à la destruction de Varsovie est un tournant dans la politique suivie à l’égard de la Pologne.
Le Gouverneur de la région de Varsovie actuellement à Sochatzew. Signé : Dr Fischer. »
Ce von dem Bach mentionné dans le télégramme est connu de vous, Messieurs les juges. Il a déposé devant le Tribunal le 7 janvier au soir. On se rendra compte de la façon dont l’Obergruppen-führer SS von dem Bach exécuta l’ordre de Hitler relatif à la destruction de Varsovie en lisant les dépositions écrites faites par lui sous la foi du serment le 28 janvier 1946 lors de son interrogatoire par le Procureur de la République polonaise, M. Sawitsky.
Je dépose l’original de ce procès-verbal, dressé en langue allemande et signé par von dem Bach, sous le n° URSS-313. Je citerai deux extraits de ce procès-verbal :
Nous écoutons votre objection.
Je m’oppose à la lecture de l’interrogatoire du témoin von dem Bach-Zelewski. Ce témoin a déjà déposé devant le Tribunal et on aurait pu à l’époque l’entendre ici au sujet de cet interrogatoire. Au cas où le Ministère Public soviétique ne voudrait pas renoncer à la production de ce document, je propose que le témoin von dem Bach-Zelewski, qui se trouve encore à Nuremberg, soit à nouveau entendu par le Tribunal afin que la Défense ait la possibilité de le contre-interroger.
Général Raginsky, avez-vous quelque chose à ajouter ?
Monsieur le Président, le procès-verbal de l’interrogatoire de von dem Bach-Zelewski a été transmis à la Délégation soviétique par le représentant du Gouvernement polonais. Il a été enregistré conformément à la loi et la déposition a été faite sous serment. C’est pourquoi nous estimons normal de présenter ce document au Tribunal sans avoir à convoquer von dem Bach-Zelewski pour un nouvel interrogatoire.
Si le Tribunal cependant estimait qu’on ne peut citer la déposition de ce témoin sans le convoquer à nouveau ici, alors nous sommes parfaitement d’accord pour ne pas perdre de temps, pour ne pas citer sa déposition, étant donné que les faits qu’elle rapporte sont abondamment prouvés par d’autres documents que je présenterai au Tribunal.
Puis-je vous demander, Général, si la déposition faite par von dem Bach devant la Commission polonaise est la même que celle faite devant le Tribunal ? Dans ce cas, elle n’aurait qu’un caractère cumulatif. Si elle est différente, la Défense a le droit de contre-interroger le témoin.
La déposition faite par BachZelewski devant le Procureur Général de la République polonaise complète celle qui a été faite devant le Tribunal. En ce qui concerne la destruction de Varsovie, BachZelewski n’a pas été questionné à ce sujet devant le Tribunal.
Général Raginsky, le Tribunal croit comprendre que vous êtes prêt à retirer ce document, étant donné que le témoin a déjà déposé sur la question. Le Tribunal considère que c’est la meilleure solution. De ce fait, le document sera rayé du procès-verbal dans la mesure où il y a déjà été inscrit.
Je crois qu’il est temps de suspendre l’audience.
Conformément aux décisions du Tribunal, je saute la page 21 de mon exposé, et passe à la page 22.
Je lirai au Tribunal un extrait du journal de l’accusé Frank, déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-223. Il se trouve à la page 45 du livre de documents. Je fais allusion au classeur Leitz renfermant toute une documentation intitulée : « Journal » et allant du 1er août au 14 décembre 1944. On y trouve consigné le contenu d’un télégramme, envoyé par Frank au ministre du Reich Lammers, que je cite :
« Le 5 août 1944, le Gouverneur Général envoyait le télégramme suivant au ministre du Reich Dr Lammers : « Presque toute la « ville de Varsovie est en flammes. Incendier les maisons constitue « le meilleur moyen de priver les insurgés de leurs repaires. Après « cette insurrection et sa répression, Varsovie subira son juste destin, « l’anéantissement complet. »
Les documents présentés établissent donc que les conspirateurs fascistes se proposaient de raser la capitale polonaise, Varsovie, et que l’accusé Frank a pris une part active à ce crime.
Sur toute l’étendue des territoires occupés de l’URSS, de la Yougoslavie, de la Pologne, de la Grèce et de la Tchécoslovaquie, les envahisseurs germano-fascistes détruisaient systématiquement et méthodiquement les localités habitées, et ceci sous prétexte de lutte contre les partisans. Des détachements spéciaux créés à cet effet par le Haut Commandement allemand brûlèrent et dynamitèrent, au cours de leurs expéditions punitives, des dizaines de milliers de villages, bourgades et autres localités habitées.
Je saute un paragraphe.
Des multiples documents à la disposition du Ministère Public soviétique, je n’en présenterai que quelques-uns qui caractérisent bien l’ensemble des méthodes employées par les hitlériens. Tout d’abord, le rapport d’un commandant de compagnie, le capitaine Kasper, en date du 27 septembre 1942 et intitulé : « Compte rendu de l’expédition punitive menée au village de Borissovka du 22 au 26 septembre 1942 » qui commence ainsi :
« Mission : la 9e compagnie doit détruire le village de Borissovka infesté de partisans. »
Je présente ce document au Tribunal sous le n° URSS-119. Je saute le début de la page 42 de mon exposé.
En janvier 1942, dans le district de Reseknes, République soviétique de Lettonie, les Allemands anéantirent le village de Aoudriny avec tous ses habitants, sous prétexte qu’ils avaient aidé des soldats de l’Armée rouge. Un avis du chef de la Police de sûreté allemande en Lettonie, le SS-Obersturmbannführer Strauch, rédigé en langues allemande, lettone et russe fut affiché dans toutes les villes de Lettonie.
Je présente au Tribunal une photocopie certifiée conforme de cet avis sous le n° URSS-262. Je lis un extrait de ce document. Cet extrait se trouve à la page 158 du livre de documents.
« Le chef de la Police de sûreté allemande en Lettonie fait savoir ce qui suit :
Les habitants du village de Aoudriny, district de Reseknes, ont « pendant plus de trois mois caché chez eux des soldats de l’Armée rouge, leur ont donné des armes et les ont aidés par tous les « moyens possibles dans leur activité contre l’Etat.
En punition, j’ai décidé :
a) que le village de Aoudriny serait rasé... »
Dans les districts occupés de la région de Leningrad, des expéditions punitives furent organisées sur une large échelle par les hitlériens. Comme il ressort du verdict du tribunal militaire de la région militaire de Leningrad, présenté par le Ministère Public soviétique sous le n° URSS-91, les hitlériens incendièrent, en février 1944, dix localités des districts de Dedovitchek, Poyerevitz et Ostrow.
Au cours de leurs expéditions punitives, les hitlériens incendièrent également les villages de Strachewo, Zapolie, du district de Pliouss, les villages de Bolchié, Liady, Loudony, etc. De nombreux commandos de représailles, obéissant aux instructions du Haut Commandement allemand, incendièrent des centaines de localités en Yougoslavie, prétextant la lutte contre les partisans.
Pour le prouver, je me rapporterai au chapitre 3 du rapport de la « Commission extraordinaire d’État pour la constatation des crimes des envahisseurs allemands ». Ce document a déjà été présenté sous le n° URSS-36, de même qu’un rapport spécial de la Commission d’État yougoslave portant le n° 2697/45 et signé du professeur Nedeikovitch, que je présente au Tribunal sous le n° URSS-309. Ces documents se trouvent aux pages 165 à 167 de votre livre de documents. Ils relatent de nombreux actes de destruction de bourgades par les hitlériens au cours de leurs expéditions punitives.
On peut citer en exemple les localités de Zagnezdié, Oudora, Mezkowac, Marcio, Grachnitza, Roudnika, Kroupnja, Rastovatch, Orak, Grabovitza, Dratchitch, Lozinda et bien d’autres encore. Des régions entières de Yougoslavie furent complètement dévastées au cours de l’occupation allemande.
Je présente également une photocopie d’un avis du Commandant en chef de la Serbie que je demande d’accepter sous le n° URSS-200.
L’original de cet avis est tombé entre les mains de l’Armée de libération yougoslave, en Serbie, ce qu’atteste selon la procédure régulière la Commission d’État yougoslave. Je ne lirai qu’un extrait de ce document.
« Le Commandant en chef de Serbie fait savoir ce qui suit :
Le hameau de Skela a été réduit en cendres et rasé. » Les commandos d’expéditions punitives allemands ont également opéré dans des localités de Pologne. J’en veux pour preuve le document URSS-368, affidavit du plénipotentiaire du Gouvernement polonais, M. Stefan Kurovsky. Il s’agit d’un appendice au rapport du Gouvernement polonais. Il se trouve à la page 169 de votre livre de documents. Ce document établit qu’au printemps de 1943, sur le territoire des districts de Zamoisk, Bilgoraisk, Khrube-chovsk et Krasnitzk, des Allemands, commandés par l’officier SS Globocznik, incendièrent complètement toute une série de localités et qu’en février 1944, dans le district de Krasnitzk, cinq villages furent anéantis par l’aviation.
En Grèce, un nombre considérable de localités habitées furent incendiées et rasées par les Allemands. En exemple, on peut citer les agglomérations de Amelofito, Kliston, Kizonia, Ano-Kerzilion et Kato-Kerzilion du district de Salonique, et les agglomérations de Mesovunos et Selli, du district de Korzani, etc.
Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-103, les photocopies certifiées conformes de trois rapports télégraphiques adressés par la 164e division d’infanterie allemande au chef d’État-Major de la 12e armée. Ces rapports figurent, Messieurs les juges, à la page 170 de votre livre de documents. Chacun de ces télégrammes se compose de 9 ou 10 lignes et ils sont tous rédigés de la même façon standard. Ces courts documents officiels révèlent les procédés monstrueux systématiquement employés par les nazis dans les territoires occupés par eux. Je ne lirai qu’un de ces rapports :
« 18 octobre 1941. Au chef d’État-Major de la 12e armée à Athènes — Rapport journalier :
1° — Les villages d’Ano-Kerzilion et de Kato-Kerzilion, à 75 km à l’est de Salonique, à l’estuaire de la Strouma, dont nous savions pertinemment qu’ils avaient soutenu une importante formation de partisans de cette région, ont été rasés le 17 octobre par notre division. Les habitants de sexe masculin entre seize et soixante ans, au total 207 personnes, ont été fusillés, les femmes et les enfants transférés ailleurs.
2° — Rien d’autre à signaler ».
Il n’est besoin d’ajouter aucun commentaire à ce document.
Je m’appuierai également sur un rapport officiel du Gouvernement grec présenté au Tribunal sous le n° URSS-358. Aux pages 39 et 40 du rapport, ce qui correspond à la page 207 de votre livre de documents, nous trouvons plusieurs cas d’incendie et de destruction de hameaux crétois. Ainsi les villages de Skiki, Prassi et Kanados furent complètement incendiés, en représailles du meurtre de quelques parachutistes allemands par des éléments de la police locale au moment de l’attaque de la Crète.
Certains villages ne furent détruits par les Allemands que parce qu’ils se trouvaient dans une zone où opéraient des partisans. Il est dit dans ce rapport que, sur 6.500 hameaux, 1.600 furent partiellement ou complètement détruits. On doit aussi ajouter que les Allemands bombardèrent intentionnellement des villes sans défense et causèrent ainsi de gros dommages à 23 villes grecques parmi lesquelles Yannina, Arta, Preveza, Tukkala, Larissa et Canée qui furent presque complètement anéanties. Ces faits sont mentionnés à la page 21 du rapport du Gouvernement grec, page 190 de votre livre de documents.
Messieurs les juges, le monde entier a été informé des crimes honteux perpétrés par les hitlériens à Lidice.
Le 10 juin 1942 vit le dernier jour de Lidice et de ses habitants. Les barbares fascistes laissèrent des preuves irréfutables de leur crime monstrueux. Ils firent tourner un film sur l’anéantissement de Lidice et il nous est donné de pouvoir projeter ce film devant le Tribunal. L’authenticité de ce document a été établie, après enquête, sur la demande du Gouvernement tchécoslovaque. D’après les résultats de cette enquête spéciale, nous pouvons affirmer que les prises de vues avaient été confiées à Franz Tremel, conseiller cinématographique de la NSDAP, et que ce dernier les avait réalisées en collaboration avec Miroslav Wagner. Ce document, vous le verrez, contient des images où vous pourrez remarquer les cinéastes hitlériens opérant leurs prises de vues sur la destruction de Lidice.
Je présente ce document au Tribunal sous le n° URSS-370. Je voudrais encore faire remarquer, Messieurs les juges, que ce documentaire allemand a été pris il y a quelques années et que l’état de la copie n’est pas irréprochable. De ce fait, il pourra se produire quelques ennuis techniques en cours de projection ; je prie le Tribunal de m’en excuser et lui demande la permission de commencer la projection.
Ce que les fascistes ont perpétré à Lidice, ils le répétèrent quelque temps après dans une autre localité de Tchécoslovaquie, à Lezaky.
J’en veux pour preuve un rapport du Gouvernement tchécoslovaque figurant aux pages 126 et 127. Il a été présenté au Tribunal sous le n° URSS-60. Ce rapport établit que :
« Lezaky, comme Lidice, est totalement détruit et, à sa place, ne s’élèvent plus que des ruines. »
Je passe à l’article suivant de mon exposé :
« Destruction de villages et de villes, de l’industrie et des moyens de transport des territoires de l’URSS. »
Messieurs les juges, j’ai exposé plus haut les directives générales du criminel Gouvernement allemand et du Haut Commandement en matière de destruction des centres habités, de l’industrie et des voies de communications en URSS.
Je passe maintenant à la présentation des documents attestant les dévastations perpétrées en exécution de ces directives par les hitlériens dans les régions de l’Union Soviétique qu’ils avaient momentanément occupées.
Je passe sur la destruction de quelques villes soviétiques et en arrive à la page 42 de mon exposé.
Le Ministère Public soviétique dispose de multiples documents capables de convaincre les criminels hitlériens d’avoir prémédité, en pesant avec cynisme le pour et le contre, la destruction, l’anéantissement systématique des villes, des cités, des fabriques, des voies ferrées et des moyens de transport.
Cependant, la présentation de toute cette documentation prolongerait à l’infini les débats. De ce fait, je me considère autorisé à citer isolément, sans avoir à reprendre tout les documents, certains renseignements établis par la Commission extraordinaire d’État.
Ainsi je ne citerai, du document déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-35, que les passages et les statistiques n’ayant pas été déjà cités, et seulement ceux qui concernent directement le thème que je développe. Ces extraits, vous les trouverez, Messieurs les juges, aux pages 223 et 224 de votre livre de documents. Je cite :
« Les envahisseurs germano-fascistes ont soit totalement, soit partiellement détruit ou incendié 1.710 villes et plus de 70.000 villages et bourgades. Ils ont brûlé ou détruit plus de 6 millions de bâtiments, laissant ainsi environ 25 millions de personnes sans foyer. Parmi les villes qui ont le plus souffert, figurent surtout de grands centres industriels ou culturels, ainsi : Stalingrad, Sébastopol, Leningrad, Kiev, Minsk, Odessa, Smolensk, Novgorod, Pskov, Orel, Kharkov, Voronej, Rostov-sur-le-Don et bien d’autres encore.
Les criminels germano-fascistes détruisirent 31.850 entreprises industrielles où étaient employés environ 4 millions d’ouvriers. »
Je saute les pages 43, 44, 45, ainsi que le début de la page 46 de mon exposé.
« Les hitlériens détruisirent 36.000 bureaux de poste et autres installations des transmissions... Au moment où ils procédèrent à l’occupation de certains territoires soviétiques et, bien plus, au moment où ils les quittèrent, les envahisseurs germano-fascistes infligèrent de gros dégâts aux lignes de chemin de fer et à la navigation.
Équipés de machines spéciales à défoncer les ballasts, ils mirent hors de service 26 grandes lignes et en endommagèrent 8 ».
Ils détruisirent de cette façon 65.000 kilomètres de voies ainsi que 500.000 kilomètres de câbles, soit des signaux automatiques et des systèmes de sécurité, soit des conduites téléphoniques et télégraphiques des chemins de fer. Ils firent sauter 13.000 ponts de chemin de fer, 4.100 gares, 1.600 installations hydrauliques. Ils détruisirent 317 dépôts de locomotives et 129 ateliers de réparation pour locomotives, ainsi que des installations de construction pour matériel de traction et de roulement. Ils détruisirent, endommagèrent ou transférèrent en Allemagne 15.800 locomotives et locomotives Diesel et 428.000 wagons.
L’ennemi infligea de gros dégâts aux installations, entreprises, institutions et navires des lignes de navigation opérant dans l’océan Glacial Arctique, la mer Blanche, la mer Baltique, la mer Noire et la mer Caspienne. Il coula ou endommagea partiellement plus de 1.400 navires pour passagers, cargos et autres navires spéciaux.
Les ports de mer de Sébastopol, Mariopol, Kertch, Novorossiysk, Odessa, Nikolaïev, Mourmansk, Lepaya et Talinn entre autres, aménagés d’installations nouvellement créées par la technique moderne, ont beaucoup souffert.
Les envahisseurs coulèrent ou saisirent 4.280 navires pour passagers, cargos et remorqueurs à vapeur des services de navigation intérieure et des services techniques auxiliaires, ainsi que 4.029 péniches. Ils détruisirent 479 installations portuaires et de débarquement, 89 chantiers maritimes et fabriques de machines. Reculant sous les coups de l’Armée rouge, les Allemands firent sauter ou détruisirent 91.000 kilomètres de grandes routes et 90.000 ponts routiers d’une longueur totale de 930 kilomètres. »
J’en ai ainsi terminé, Messieurs les juges, avec mon exposé.
Les documents présentés ou lus au Tribunal démontreront clairement que les conspirateurs hitlériens, dans tous les territoires dont ils s’étaient emparés en URSS, en Yougoslavie, en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Grèce, ont violé les lois et les coutumes de la guerre, les principes fondamentaux du droit pénal et les stipulations les plus évidentes des articles 46 et 50 de la Convention de La Haye de 1907.
Les documents soumis montrent également que, dans leurs plans, les envahisseurs allemands avaient prévu la destruction complète des villes et des villages desquels ils pouvaient être contraints de se retirer sous la pression des Forces armées de l’Union Soviétique.
Ces documents montrent enfin avec quelle cruauté bestiale et quelle sûreté implacable les hitlériens mirent à exécution leurs plans criminels, réduisant en poussière et en cendres les plus grands centres culturels et industriels.
Sur de vastes étendues, de la mer Blanche à la mer Noire et à la mer Egée, dans les territoires temporairement occupés par les troupes allemandes, les hitlériens ont, à dessein et conformément à leurs plans, détruit des cités, des villes et des villages fortement peuplés et florissants, russes, biélorusses, yougoslaves, grecs et tchécoslovaques.
Tout ceci est le résultat des activités criminelles du Gouvernement hitlérien et du Haut Commandement allemand dont les représentants se trouvent maintenant au banc des accusés.
Pour terminer, Monsieur le Président, j’aimerais présenter comme preuve, sous le n° URSS-401, un film documentaire sur les destructions opérées par les Allemands sur le territoire de l’Union Soviétique. Je présente au Tribunal les documents qui attestent l’authenticité de ce film.
Le Tribunal suspendra maintenant l’audience jusqu’à deux heures dix.