SOIXANTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Vendredi 22 février 1946.

Audience de l’après-midi.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Monsieur le Président. Avec votre permission, j’interrogerai un dernier témoin, Joseph Abgarovitch Orbeli, qui est ici présent. J’en aurai ainsi terminé avec les faits que je désirais vous soumettre à l’appui de mon exposé. Orbeli témoignera sur les destructions de monuments culturels et artistiques à Leningrad.

(Le Dr Servatius se dirige vers la barre.)
LE PRÉSIDENT

Avez-vous quelque objection à formuler ?

Dr ROBERT SERVATIUS (avocat de l’accusé Sauckel et du Corps des dirigeants politiques)

Je voudrais demander au Tribunal de décider si le témoin peut être entendu et si sa déposition peut nous être utile dans le cas présent. Leningrad n’est jamais tombée aux mains des Allemands. Cette ville n’a fait que subir les attaques des troupes et de l’Aviation allemandes ainsi qu’il est d’usage dans toutes les armées du monde. Il faudrait déterminer ce que ce témoin a l’intention de prouver.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que l’objection qui vient d’être faite n’est pas fondée ; le témoin sera entendu.

(Le témoin Orbeli gagne la barre.)
LE PRÉSIDENT

Quel est votre nom ?

TÉMOIN JOSEPH ABGAROVITCH ORBELI

Joseph Abgarovitch Orbeli.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter après moi la formule du serment en y mentionnant votre nom : Moi, Joseph Orbeli, citoyen de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, appelé à témoigner devant le Tribunal, promets et jure de ne dire que la vérité sur tout ce que je sais.

(Le témoin répète la formule.)
LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Témoin, quel poste occupiez-vous ?

TÉMOIN ORBELI

J’étais directeur du musée municipal de l’Ermitage.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Quelles sont vos titres scientifiques ?

TÉMOIN ORBELI

Je suis membre de l’académie des Sciences de l’URSS et de l’académie d’Architecture, membre actif et président de l’académie des Sciences d’Arménie, membre honoraire de l’académie des Sciences de l’Iran, membre de la Société d’antiquités à Londres, membre consultatif de l’institut américain d’Archéologie et d’Art.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Vous trouviez-vous à Leningrad pendant le blocus allemand ?

TÉMOIN ORBELI

Oui.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Savez-vous quelque chose sur la destruction des monuments artistiques à Leningrad ?

TÉMOIN ORBELI

Oui.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Pourriez-vous exposer au Tribunal les faits qui vous sont connus ?

TÉMOIN ORBELI

En plus des observations générales que j’ai pu faire après la cessation des hostilités autour de Leningrad, je fus le témoin oculaire des mesures prises par l’ennemi pour la destruction du musée et des bâtiments de l’Ermitage et du Palais d’hiver où étaient exposées les pièces du musée de l’Ermitage. Pendant de longs mois, ces bâtiments furent soumis à un bombardement aérien et à un tir d’artillerie systématiques. Deux bombes d’avion et environ trente projectiles d’artillerie tombèrent sur l’Ermitage. Ces obus causèrent des dommages étendus aux bâtiments. Quant aux bombes, elles détruisirent le système de canalisations et de conduites d’eau de l’Ermitage.

En observant les destructions causées à l’Ermitage, je voyais en même temps devant moi le bâtiment de l’académie des Sciences qui se trouvait sur l’autre bord du fleuve, notamment le musée d’Anthropologie et d’Ethnographie, le musée de Zoologie et le musée de la Marine qui étaient situés à côté dans les locaux de l’ancienne Bourse. Tous ces bâtiments ont été soumis à un tir extrêmement nourri d’obus incendiaires et je voyais les points d’impact d’une fenêtre du Palais d’hiver.

Le tir d’artillerie causa de gros dommages à l’Ermitage. L’un des obus détruisit l’entrée principale de l’Ermitage et endommagea la statue de l’« Atlanta ». Un autre obus, après avoir percé le plafond de la salle des Armoiries, l’une des plus belles salles du Palais d’hiver, y causa des dommages étendus. Deux obus tombèrent dans l’ancien manège du Palais d’hiver où étaient réunis les carrosses de la Cour, des XVIIIe et XIXe siècles. L’un de ces obus détruisit quatre carrosses du XVIIe siècle, extrêmement précieux, et un carrosse de parade du XIXe siècle. Un autre obus troua le plafond de la salle des Monnaies et de la salle des Colonnes, dans la partie principale de l’Ermitage, dont un balcon fut également détruit.

En même temps, un bâtiment annexe de l’Ermitage, rue Solianoi, l’ancien musée Streglitz, fut atteint par une bombe aérienne qui l’endommagea sérieusement, le rendant inutilisable. Une grande partie des collections qui se trouvaient dans ce bâtiment fut endommagée.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Dites-moi, témoin, vous ai-je bien compris ? Vous avez parlé de la destruction de l’Ermitage et vous avez parlé du Palais d’hiver. Est-ce un seul bâtiment ? Où se trouvait l’Ermitage dont vous nous avez parlé ?

TÉMOIN ORBELI

Avant la révolution d’octobre, l’Ermitage occupait un bâtiment spécial qui donnait sur la rue du Million et, de l’autre côté, sur le quai du Palais. Après la révolution, le petit Ermitage fut réuni à l’Ermitage, ainsi que le théâtre de l’Ermitage, bâtiment qui séparait le Palais d’hiver de l’Ermitage, ainsi que le Palais d’hiver lui-même. Donc, actuellement, l’ensemble des bâtiments qui constituent l’Ermitage se compose du Palais d’hiver, du Petit Ermitage, du Grand Ermitage, où se trouvait le musée avant la révolution, et du bâtiment du théâtre de l’Ermitage. C’est justement dans la cour du théâtre de l’Ermitage, construit sous le règne de Catherine II par l’architecte Quarenghi, que tomba la bombe incendiaire dont je viens de parler.

GÉNÉRAL RAGINSKY

A part la destruction du Palais d’hiver et de l’Ermitage, connaissez-vous d’autres destructions de monuments artistiques ?

TÉMOIN ORBELI

J’ai observé toute une série de monuments de Leningrad qui ont souffert à la suite des bombardements d’artillerie et des bombardements aériens. Notamment la cathédrale de Kazan, construite en 1814 par Voroniguine, la cathédrale de Saint-Isaac où le granit des colonnes porte encore aujourd’hui les traces des dommages. En outre, dans la banlieue de la ville, des dégâts étendus furent causés à un pavillon situé près de la cathédrale de Smoina, et construit par Rastrelli. Des dommages furent également causés par un tir d’artillerie à la forteresse de Pierre et Paul qui n’était cependant pas un objectif militaire.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Est-ce que vous connaissez d’autres destructions dans les environs de Leningrad ?

TÉMOIN ORBELI

J’ai pu me rendre compte en détail de ce qui était advenu des monuments de Peterhof, de Tsarskoïé-Sélo et de Pavlovsk. Dans ces trois villes, j’ai vu les traces des dommages importants causés à ces monuments. Il est difficile d’énumérer toutes ces destructions, car il y en a trop. Toutes révèlent la préméditation. En ce qui concerne la préméditation du bombardement du Palais d’hiver, je peux vous dire que les trente obus dont j’ai parlé ne sont pas tombés sur l’Ermitage en une seule fois, mais à plusieurs reprises et à raison d’un obus par tir.

A Peterhof, à part les dégâts causés au Grand Palais par l’incendie qui détruisit complètement ce monument, j’ai vu que les dorures des toits du Grand Palais, ainsi que celles du dôme de la cathédrale de Peterhof étaient détruites. Elles n’avaient pas pu tomber par suite de l’incendie, elles avaient été arrachées intentionnellement. Le palais « Monplaisir », le plus vieux bâtiment de Peterhof, construit par Pierre le Grand, portait l’empreinte d’une destruction systématique accomplie petit à petit et non pas en une fois. Les précieuses boiseries sculptées recouvrant les murs avaient été arrachées. Les anciens poêles hollandais, datant de Pierre le Grand, avaient disparu et on avait mis à leur place des poêles grossiers. A Tsarskoïé-Sélo, dans le Grand Palais construit par Rastrelli, les dommages portaient un caractère de dévastation voulue. Le parquet avait été enlevé et emmené pendant que le bâtiment lui-même était incendié. Dans le palais de Catherine, on avait aménagé un atelier d’armement et la forge était installée dans une cheminée du XVIIIe siècle de très grande valeur.

Dans le palais de Pavlovsk, qui fut également anéanti par l’incendie, toute une série de faits démontre que les objets de valeur qui se trouvaient dans ces salles avaient été emportés avant l’incendie.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Vous venez de déclarer que le Palais d’hiver, ainsi que les autres monuments artistiques que vous avez énumérés, avaient été détruits intentionnellement. Sur quelles données vous basez-vous pour le dire ?

TÉMOIN ORBELI

La préméditation du bombardement et des dommages causés par les obus d’artillerie à Leningrad pendant le blocus était claire, aussi bien à mes yeux qu’à ceux de mes collègues ; ces dégâts ne furent pas causés seulement par un ou deux tirs d’artillerie, mais eurent lieu à la suite du bombardement méthodique de la ville dont nous fûmes les témoins pendant des mois. Les premiers obus n’atteignirent ni l’Ermitage ni le Palais d’hiver. Ils servirent à régler le tir. Par la suite, le feu fut toujours dirigé dans la même direction. S’il s’était agi d’un bombardement ordinaire, le palais n’aurait été atteint que par un ou deux obus. On voyait que ce n’était pas une question de hasard.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Je n’ai plus de questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Un autre représentant du Ministère Public désire-t-il poser des questions ? Les avocats ?

Dr HANS LATERNSER (avocat de l’État-Major général et de l’OKW)

Témoin, vous avez dit à l’instant que l’Ermitage, le Palais d’hiver et le Palais de Peterhof avaient été détruits par des tirs d’artillerie et des bombes aériennes. Je voudrais savoir où se trouvaient ces bâtiments et d’où on les voyait de Leningrad ?

TÉMOIN ORBELI

Le Palais d’hiver et l’Ermitage qui est à côté se trouvent au centre de Leningrad, sur les bords de la Neva, non loin du pont du Palais où, pendant toute la durée des bombardements, il n’est tombé qu’un obus. De l’autre côté de la Neva, à côté du Palais d’hiver et de l’Ermitage, se trouvent la place du Palais et la rue Paul Kourer. Ai-je répondu à votre question ?

Dr LATERNSER

Je vous ai posé la question un peu différemment. Je voudrais savoir dans quelle partie de Leningrad se trouvent ces bâtiments ? Sont-ils au sud, au nord, à l’est, à l’ouest de la ville ? Pouvez-vous me donner ce renseignement ?

TÉMOIN ORBELI

Le Palais d’hiver et l’Ermitage se trouvent au centre même de Leningrad, sur les bords de la Neva.

Dr LATERNSER

Où se trouve le Peterhof ?

TÉMOIN ORBELI

Le Palais de Peterhof se trouve sur le bord du golfe de Finlande, au sud-ouest de l’Ermitage, si l’on prend l’Ermitage comme point de repère.

Dr LATERNSER

Pouvez-vous me dire si à proximité de l’Ermitage et du Palais d’hiver il y a des industries, en particulier des industries d’armement ?

TÉMOIN ORBELI

Autant que je sache, dans le voisinage de l’Ermitage il n’y a aucun établissement de nature militaire. Si vous voulez parler des bâtiments de l’État-Major, ils se trouvent de l’autre côté de la place du Palais et souffrirent beaucoup moins des bombardements que le Palais d’hiver. Les bâtiments de l’État-Major, qui se trouvent de l’autre côté de la place du Palais, ne furent, à ce que je crois, touchés que par deux obus.

Dr LATERNSER

Savez-vous si, à proximité des bâtiments que vous avez nommés, se trouvaient des batteries d’artillerie ?

TÉMOIN ORBELI

Sur toute la place près de l’Ermitage et du Palais d’hiver, il n’y avait aucune pièce d’artillerie, étant donné que dès. le début des mesures avaient été prises pour éviter les vibrations inutiles auprès des monuments culturels et artistiques.

Dr LATERNSER

Est-ce que les usines d’armement à Leningrad, à cette époque, ont continué à travailler ?

TÉMOIN ORBELI

Je ne comprends pas votre question. Quelles usines ? Les usines de Leningrad en général ?

Dr LATERNSER

Les usines d’armement de Leningrad ont-elles continué à travailler pendant le siège ?

TÉMOIN ORBELI

Je sais qu’à proximité de l’Ermitage et du Palais d’hiver et aux alentours immédiats il n’y avait aucune entreprise de nature militaire ; pendant le siège, on n’en n’avait pas établi, et il n’y en avait jamais eu auparavant, mais je sais qu’on faisait des munitions à Leningrad et qu’elles ont été employées avec succès.

Dr LATERNSER

Je n’ai plus d’autres questions à poser.

Dr SERVATIUS

Témoin, le Palais d’hiver est près de la Neva. A quelle distance se trouve, sur la Neva, le pont le plus près du palais ?

TÉMOIN ORBELI

Le pont le plus proche, qui est le pont du Palais, est situé à environ 50 mètres sur le quai, en longeant le quai, mais comme je l’ai déjà dit, pendant toute la durée des tirs d’artillerie, un seul obus est tombé sur le pont. C’est justement ce qui me permet d’être persuadé que le Palais d’hiver a été bombardé intentionnellement. Je ne peux croire que tirant sur le pont un seul obus l’ait atteint, alors que trente projectiles sont tombés sur le palais. L’autre pont se trouve sur l’autre bord de la Grande Neva, c’est le pont de la Bourse, qui relie l’île de Vassili à Petrograd. Ce pont n’a été touché que par quelques engins incendiaires jetés par avion, et le feu qui se déclara sur le pont de la Bourse fut rapidement éteint.

Dr SERVATIUS

Ce sont là des conclusions que vous tirez. Avez-vous des connaissances d’artillerie suffisantes pour pouvoir juger si le but était vraiment le château ou le pont ?

TÉMOIN ORBELI

Je n’ai jamais été artilleur, mais je pensais que si l’artillerie allemande tirait sur un pont, elle ne l’aurait pas touché avec un seul obus, tandis que trente obus sont tombés sur le palais qui se trouvait de l’autre côté. A ce point de vue, je suis artilleur.

Dr SERVATIUS

C’est votre conviction en tant qu’artilleur profane. Encore une question : la Neva était occupée par la Flotte. A quelle distance du Palais d’hiver étaient les bâtiments qui se trouvaient sur la Neva ?

TÉMOIN ORBELI

Sur cette partie de la Neva, il n’y avait pas de bâtiments militaires d’où l’on tirait. Toutes les unités militaires se trouvaient sur une autre partie de la Neva, loin du Palais d’hiver.

Dr SERVATIUS

Une dernière question. Avez-vous été à Leningrad pendant toute la durée du siège ?

TÉMOIN ORBELI

Je me suis trouvé à Leningrad du premier jour de la guerre jusqu’au 31 mars 1942. Je suis ensuite revenu à Leningrad après que les troupes allemandes en eurent été chassées. C’est alors que je procédai à l’inspection des divers palais de Peterhof, de Tsarskoïé-Sélo et de Pavlovsk dont j’avais la garde.

Dr SERVATIUS

Je vous remercie, je n’ai plus de questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Général, avez-vous d’autres questions à poser au témoin ?

GÉNÉRAL RAGINSKY

Nous n’avons plus de questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

(Le témoin se retire.)
GÉNÉRAL N.D. ZORYA (Avocat Général soviétique)

Messieurs, je vais aborder la présentation des preuves documentaires du Ministère Public soviétique qui confirment l’emploi du travail forcé par les conspirateurs hitlériens et son importance.

Le fascisme, avec ses plans de domination mondiale, avec son mépris du droit, de la morale, de la pitié et des considérations humanitaires, prévoyait la mise en esclavage des populations pacifiques habitant les territoires temporairement conquis, l’envoi de millions de personnes en Allemagne fasciste et l’utilisation par la contrainte de leurs aptitudes au travail. Le fascisme et l’esclavage sont deux conceptions qu’on ne peut séparer l’une de l’autre.

Je commence, Messieurs les juges, la présentation des documents relatifs à ce chef d’accusation par le rapport de la République yougoslave qui a déjà été déposé sous le n° URSS-36. Je prie le Tribunal de se reporter à la page 40 du rapport qui se trouve à la page 41 du livre de documents. Je lis le passage du rapport de la République yougoslave qui porte le titre : « Le travail forcé de la population civile » :

« La politique nazie de l’exploitation totale des régions occupées était également appliquée en Yougoslavie.

Le Gouvernement du Reich et l’OKW ont, sitôt après l’occupation de la Yougoslavie, introduit le travail obligatoire pour les populations des régions occupées. L’exploitation de la main-d’œuvre en Yougoslavie était réalisée dans le cadre du plan général allemand. L’accusé Göring, en tant que chef du plan économique allemand, donnait des instructions aux organismes qui lui étaient subordonnés, sur l’exploitation systématique de la main-d’œuvre des régions occupées.

Dans un rapport de Berlin, un des fonctionnaires importants du service économique de la Kommandantur allemande à Belgrade, Ranze, écrit que, conformément aux indications de Göring, les mesures prises dans le domaine de l’Économie et de l’Agriculture dans les pays occupés ne doivent pas servir les intérêts indigènes et que l’utilisation des travailleurs dans les régions occupées doit servir à l’économie militaire allemande.

Immédiatement après l’occupation de la Yougoslavie, les Allemands y installèrent leurs centres de recrutement pour les travailleurs « volontaires » pour l’Allemagne. Ils utilisèrent également, dans ce but, les organisations qui existaient déjà en Yougoslavie et jouaient le rôle d’intermédiaires pour le recrutement de la main-d’œuvre. Ils mettaient leur plan à exécution par ce moyen ; ainsi, par exemple, ils utilisèrent en Serbie le bureau central de placement, ainsi que la Bourse du travail. Par l’intermédiaire de ces organisations, ils déportèrent, jusqu’à la fin de février 1943, 47.500 travailleurs rien que pour la Serbie. Plus tard, ce nombre augmenta, mais nous ne possédons pas encore de données exactes sur ce point. Tous ces ouvriers furent employés par l’agriculture et l’industrie allemandes, où ils accomplissaient les tâches les plus pénibles. »

Dans le rapport de la République yougoslave, il est dit, plus loin, que la Gestapo et des Commissions spéciales usèrent de la contrainte et de la violence, et cela alla si loin que les « volontaires » étaient pourchassés dans les rues, où l’on procédait à des rafles par groupes entiers. Ils étaient ensuite expédiés de force en Allemagne.

Outre ces soi-disants travailleurs « volontaires », les Allemands ont envoyé en Allemagne, aux travaux forcés, un grand nombre d’internés des camps et des suspects politiques. Naturellement, ils devaient faire les travaux les plus pénibles dans les conditions les plus mauvaises de travail et d’existence. Dès 1942, de nombreuses victimes innocentes des camps de Bannitza, de Saymichte, etc., furent envoyées en Allemagne.

Le premier transport eut lieu le 24 avril 1942 et les départs suivirent sans interruption jusqu’au 26 septembre 1944. On déportait les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, les paysans, les ouvriers, les intellectuels, non seulement en Allemagne mais aussi dans d’autres pays occupés par le Reich.

D’après les registres du camp de Bannitza, qui ne donnent qu’un tableau incomplet des faits, plus de 10.000 internés de ce camp furent expédiés à l’étranger au travail forcé.

Les autorités allemandes en Serbie procédèrent à une série de mesures qui facilitaient le recrutement des travailleurs. La première mesure prise dans ce domaine consista en deux lois : la loi sur le travail obligatoire et sur les restrictions de la liberté du travail en date du 14 décembre 1941, et la loi sur le travail obligatoire national pour la reconstruction de la Serbie en date du 5 novembre 1941. Conformément à la première loi, toutes les personnes âgées de 17 à 45 ans pouvaient être appelées à travailler dans certaines entreprises industrielles dans des domaines déterminés de l’Économie. Conformément à la deuxième loi, des personnes pouvaient être utilisées dans les services civils pour la reconstruction nationale, ce qui, en fait, signifiait travailler au renforcement du potentiel économique et militaire allemand.

Les personnes qui tombaient sous le coup de ces lois sur le travail obligatoire demeuraient dans le pays, mais elles travaillaient cependant exclusivement au profit de l’exploitation économique allemande. Elles furent d’abord utilisées dans les mines de Bor, de Kostolapz, etc., à la construction de routes et de voies ferrées, dans les transports fluviaux, etc.

Le 26 mars 1943, le Commandant en chef allemand en Serbie a introduit en Serbie, par un ordre spécial, toutes les mesures dites d’économie militaire qui étaient appliquées en Allemagne. De cette façon, la Serbie se trouva soumise à la mobilisation générale du travail.

Par cette ordonnance, la population entière de la Serbie occupée se trouvait donc mobilisée dans l’économie de guerre allemande. Et, dans la pratique, les Allemands utilisaient le plus possible la main-d’œuvre serbe.

Il n’en était pas autrement dans les autres régions de la Yougoslavie occupée. Il n’est pas dans nos intentions d’envisager ici les multiples aspects de cette exploitation systématique et nous ne mentionnerons qu’un exemple, concernant la Slovénie occupée.

Conformément à un communiqué officiel de l’Union des paysans de Carinthie (Landesbauernschaft in Kärnten) publié le 10 août 1944 à Klagenfurt, chaque cas de grossesse de femmes non allemandes devait être rapporté à l’office de Placement de la main-d’œuvre. Ces femmes non allemandes se voyaient conduites de force à l’hôpital où on les faisait avorter après intervention chirurgicale. Il est expliqué dans le communiqué que « ces naissances étrangères, non « seulement occasionnent des perturbations dans le travail, mais « représentent encore un danger racial ». Il y est dit plus loin que les offices de placement de la main-d’œuvre doivent inciter les femmes enceintes de nationalité non allemande à se faire avorter.

Comme autre exemple de cette exploitation des forces vives de la Yougoslavie, je citerai une circulaire du Landrat du Kreis de Marbourg en date du 12 août 1944, qui se rapporte au recensement de toutes les personnes en âge d’être mobilisées dans l’Armée ou le service du Travail. Ce recensement touchait non seulement toutes les couches de la population locale, mais encore les Hollandais, Danois, Suédois, Luxembourgeois, Norvégiens et Belges qui se trouvaient dans cette région. »

J’en viens maintenant au rapport du Gouvernement de la République polonaise présenté au Tribunal par le Ministère Public soviétique sous le n° URSS-93.

Je me vois obligé, tout d’abord, de mentionner le rôle particulier joué par l’accusé Frank dans l’organisation des déportations forcées de travailleurs polonais vers l’Allemagne. Je me permettrai de lire quelques passages du journal de Frank. Ce journal a été présenté au Tribunal sous le n° URSS-223.

Lors d’une conférence avec ses chefs de section le 12 avril 1940 à Cracovie, Frank caractérisa son attitude envers les Polonais : Le passage que je vais citer figure au verso de la page 62 du livre de documents. Je cite :

« Sous la pression du Reich, il est désormais décidé, en vue de pallier l’insuffisance de l’enrôlement volontaire pour le travail en Allemagne, que des mesures de contrainte peuvent être appliquées. Cette contrainte signifie que l’on peut procéder à l’arrestation de Polonais des deux sexes. Il en est résulté certains troubles qui, d’après différents rapports, se sont multipliés et seraient de nature à amener des difficultés dans tous les domaines. Le Feldmarschall Göring a, en son temps, indiqué dans son grand discours qu’il était indispensable d’envoyer 1.000.000 d’ouvriers dans le Reich. Jusqu’ici il n’y en a que 160.000. L’arrestation de jeunes Polonais à la sortie des églises et des cinémas ne ferait qu’entraîner une nervosité toujours croissante des Polonais. »

Il est indiqué plus loin, et je cite :

« En principe, il (c’est-à-dire Frank) n’avait rien à objecter aux rafles d’éléments aptes au travail qui vagabondaient dans les rues, mais il estimait qu’il valait mieux procéder à des rafles organisées, qu’il était absolument justifié d’arrêter des Polonais dans la rue, de leur demander ce qu’ils faisaient, et où ils étaient employés, etc. »

Dans un entretien avec l’accusé Sauckel, le 18 août 1942, l’accusé Frank déclare ; (je cite un passage qui se trouve page 67 du livre de documents) :

« Je suis très content de pouvoir vous communiquer officiellement que nous avons jusqu’à maintenant envoyé plus de 800.000 ouvriers dans le Reich... Vous nous avez demandé récemment de vous procurer 140.000 travailleurs de plus, j’ai le plaisir de vous dire officiellement que, conformément à notre accord d’hier, 60% de ces ouvriers nouvellement requis seront envoyés dans le Reich avant la fin d’octobre, et les 40% qui restent avant la fin de cette année...

En plus de ce chiffre de 140.000, vous pouvez comptez sur un supplément de travailleurs du Gouvernement Général l’an prochain, car nous allons demander à la Police de s’en saisir. »

Frank a exécuté la promesse qu’il avait faite à l’accusé Sauckel.

Le 14 décembre 1942, lors de la conférence des chefs du Front du Travail du Gouvernement Général, Frank déclarait, vous le trouverez à la même page du livre de documents :

« Vous savez que nous avons donné au Reich plus de 940.000 ouvriers polonais. En conséquence, le Gouvernement Général est à la tête de tous les pays européens, en valeur absolue ou relative. Cet envoi est très important, et il a été reconnu comme tel par le Gauleiter Sauckel. »

Après cela, permettez-moi de citer un passage du rapport du Gouvernement de la République polonaise intitulé : « Déportation de la population civile pour le travail forcé ». Ce document se trouve pages 72 et 73 du livre de documents. Je cite :

« a) Dès le 2 octobre 1939, Frank a promulgué un décret sur l’introduction du travail obligatoire pour la population civile polonaise du Gouvernement Général. En vertu dudit décret les civils polonais étaient mis dans l’obligation de travailler dans des établissements agricoles, à l’entretien des édifices publics et des constructions routières, à l’entretien des cours d’eau, routes et chemins de fer.

b) Un autre décret du 12 décembre 1939 augmentait l’importance des groupes assujettis au travail obligatoire en y comprenant les enfants depuis l’âge de 14 ans. Un décret du 13 mai 1942 donna ’ aux autorités le droit d’utiliser les travailleurs requis même en dehors du Gouvernement Général.

c) Dans la pratique, la mise en application de ces décrets se transforma en une déportation massive des civils de Pologne à destination de l’Allemagne. Dans tout le Gouvernement Général, dans les villes et les villages, des affiches étaient collées à tout moment, pour inviter les Polonais à aller travailler « volontairement » en Allemagne. Toutefois, à la même époque, chaque ville et chaque village était informé du nombre de travailleurs qu’il devait fournir.

Cependant le résultat de ce recrutement fut en général très décevant. En conséquence, les autorités allemandes désignaient les gens qui devaient partir en les convoquant personnellement ou procédaient alors à des rafles dans les endroits publics et envoyaient directement en Allemagne les personnes qui étaient prises. Des rafles spéciales étaient organisées contre les jeunes travailleurs des deux sexes. Pendant des mois entiers, les familles ne recevaient aucune nouvelle des gens ainsi déportés ; ou alors, après un certain temps, arrivaient des cartes postales qui faisaient part aux familles des mauvaises conditions dans lesquelles vivaient ces travailleurs. Souvent, après quelques mois, les ouvriers revenaient chez eux dans un état de complète dépression physique et morale. Il existe des preuves concluantes sur le fait que, tandis qu’ils étaient soumis à ce travail obligatoire, des milliers de jeunes hommes furent stérilisés alors que des jeunes filles étaient forcées d’entrer dans des maisons de tolérance.

4) Ces ouvriers étaient envoyés chez des fermiers allemands où ils devaient travailler la terre, ou bien dans des usines ou encore dans, des camps de travail spéciaux. Les conditions d’existence dans ces camps étaient atroces.

e) Selon des estimations qui ne sont encore que provisoires, 100.000 femmes et hommes ont pour la seule année 1940 été envoyés en Allemagne.

f) A cette énorme armée de travailleurs esclaves, il faut également ajouter des milliers de Polonais déportés des territoires annexés et également 200.000 prisonniers de guerre polonais qui, par un décret de Hitler en date du mois d’août 1940, avaient été libérés des camps, uniquement pour être envoyés aux travaux forcés dans différentes régions de l’Allemagne.

g) Ces déportations continuèrent au cours des années de guerre. Le nombre total de ces travailleurs déportés atteignit le chiffre de 2.000.000. Les chiffres exacts ne peuvent évidemment être précisés, mais si l’on tient compte du fait que malgré la mortalité très élevée parmi ces déportés, environ 835.000 Polonais sont recensés à présent dans l’Allemagne de l’Ouest, cette estimation semble exacte.

« Tout le chapitre qui se rapporte à la déportation en vue du travail forcé est présenté ici sous une forme extrêmement condensée. Derrière ces quelques lignes se tient l’histoire de centaines de milliers de familles polonaises détruites, de tragédies de morts et de désolation. L’histoire de chacun de ces travailleurs était une tragédie incessante. Les pères abandonnaient leurs familles sans ressources, les maris abandonnaient leurs femmes sans soutien et presque sans espoir de les revoir. Ce chiffre de 2.000.000 cache tout un océan de vies brisées, englobant au minimum 10% de toute la population polonaise. C’était un crime épouvantable. La déportation et le travail forcé étaient des violations flagrantes des lois et usages de la guerre. »

Le rapport grec sur les atrocités allemandes présenté au Tribunal sous le n° URSS-365 établit ce qui suit. Je vous prie de vous référer à la page 74 du livre de documents :

« ... Tout comme dans les autres territoires occupés, la politique d’occupation des Allemands en Grèce était déterminée par deux facteurs essentiels : l’utilisation au maximum des ressources du pays dans l’intérêt de l’économie de guerre allemande de même que l’asservissement de la population à l’aide de méthodes terroristes systématiques ou d’oppression généralisée. Les Allemands poursuivaient une politique à la fois de pillage et de vengeance et transgressaient par là même des principes reconnus par le monde entier. »

D’un chapitre de ce rapport du Gouvernement grec intitulé :

« Recensement de la main-d’œuvre », j’aimerais citer deux passages :

L’un des problèmes auxquels l’administration allemande avait à faire face était celui du recrutement de la main-d’œuvre. Les hommes entre 16 et 50 ans furent tous sans exception soumis au travail obligatoire. Le droit de grève ne fut pas reconnu par la loi et toute tentative de grève sévèrement punie. Ceux qui suscitaient ou organisaient des grèves encouraient la peine de mort. Les grévistes comparaissaient en cour martiale.

Au début, les Allemands essayèrent d’embaucher les Grecs pour le travail en Allemagne en les soumettant à leur propagande et à l’aide de moyens de pression indirects. On leur promettait des salaires plus élevés et des conditions de vie meilleures. Comme ces méthodes de recrutement de « volontaires » n’amenaient pas les résultats escomptés, les Allemands les abandonnèrent et placèrent les travailleurs devant l’alternative soit de partir volontairement travailler en Allemagne, soit de se voir traiter en otages ».

Des mesures tout à fait analogues de déportation forcée de travailleurs vers l’Allemagne furent prises par les fascistes en Tchécoslovaquie. Cependant ce fut dans les territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique que les déportations de civils comme esclaves par les criminels fascistes prirent le plus d’ampleur.

Je désirerais maintenant m’arrêter — je serai bref — sur les mesures qui furent prises dans les territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique par les criminels hitlériens relativement au travail forcé.

Même bien avant d’attaquer l’Union Soviétique, les criminels de guerre assignaient à l’organisation du travail forcé, dans les territoires qu’ils se proposaient d’occuper, une importance particulière, ce qui ressort du document n° URSS-10 ou USA-315 que le Tribunal connaît sous la dénomination « Dossier vert » et dans lequel figure tout un chapitre intitulé : « Emploi et recrutement des populations locales ». Dans ce chapitre, on expose le principe du travail forcé pour les civils soviétiques. Vous trouverez ces idées exprimées aux pages 17 et 18, texte russe, du « Dossier vert », page 83 du livre de documents. Sous le titre « Recrutement de la population locale », aux paragraphes 2 et 3 du sous-chapitre a, deuxième partie du chapitre, il est expliqué ce qui suit :

« Les ouvriers des services publies, eau, gaz, électricité, des exploitations pétrolières, des usines de raffinage et des entrepôts de pétrole doivent être prévenus d’avoir à poursuivre leur travail. Si c’est nécessaire on pourra les menacer de peines diverses. »

Quelques lignes après, en haut, on trouve :

« Si c’est nécessaire, la main-d’œuvre sera répartie pour le travail en groupes. »

La non-rétribution des citoyens soviétiques astreints au travail forcé était déjà prévue par le « Dossier vert » de Göring et c’est ce qui arriva en réalité. A priori, on ramenait la question de la rétribution à celle de la nourriture. Les négriers fascistes ne s’intéressaient qu’au maintien de la capacité de travail des hommes.

A la page 18 de la traduction en russe du « Dossier vert », verso de la page 83 de votre livre de documents, l’on trouve...

LE PRÉSIDENT

Le document a déjà été lu.

GÉNÉRAL ZORYA

A ma connaissance, ce passage du document n’a pas encore été lu. Il s’agit d’un document du Ministère Public soviétique qui ne fut publié pour la première fois en totalité qu’en mai 1942, dans la note du commissaire du peuple aux Affaires étrangères, V. M. Molotov.

LE PRÉSIDENT

Si vous pensez qu’il n’a pas encore été lu, alors continuez s’il vous plaît.

GÉNÉRAL ZORYA

A la page 18 de la traduction russe du " Dossier vert » préparé par l’accusé Göring, il est fait au moins trois fois allusion aux ordres de limiter les frais du personnel en nourriture. Je ne retiendrai pas plus longtemps l’attention du Tribunal sur ce document et passe à la suite de mon exposé.

L’accusé Göring, dont le nom demeurera attaché à ces instructions organisant le pillage de l’Union Soviétique, car comment caractériser autrement ces documents, poursuivit sa carrière en préparant la déportation des travailleurs des territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique. Pour le prouver, je présenterai sous le n° URSS-386 un document qui éclaire cet aspect de l’activité de l’accusé Göring. A la vérité, ce document se compose de deux documents. Il s’agit d’une part d’un procès-verbal des entretiens du 7 novembre 1941 sur la question de l’emploi des Russes soviétiques, entretiens auxquels Göring prit part, d’autre part, d’une lettre qui accompagnait ce compte rendu. On fit tout d’abord établir 100 exemplaires du document, qui furent distribués à 14 services dont vous trouverez, Messieurs les juges, la liste à la fin de la lettre annexe, page 5 du texte russe.

Cette lettre annexe est signée du Dr Rachner, chef de l’administration militaire de l’État-Major économique de l’Est. Le compte rendu de la conférence a été rédigé par un certain von Normann qui, de toute évidence, faisait partie de ce service. Je pense qu’il est indispensable de citer quelques extraits de ce document. Je citerai notamment la page 6 du document russe, pages 95 et 96 du livre de documents :

« Conférence du 7 novembre 1941 au sujet de l’utilisation de la main-d’œuvre. Le maréchal du Reich a donné les instructions suivantes au sujet de l’utilisation de la main-d’œuvre russe :

1° Les travailleurs russes ont montré leur aptitude au travail au moment de la construction et de l’établissement de l’énorme industrie soviétique. C’est pourquoi cette main-d’œuvre doit maintenant être utilisée avec succès dans l’intérêt du Reich. Devant un tel ordre du Führer, les scrupules sont d’importance secondaire. Les désavantages de l’utilisation de cette main-d’œuvre doivent être réduits au minimum, c’est l’affaire des services de contre-espionnage et de la Police de sûreté.

2° Les Russes dans la zone des opérations militaires. Dans cette zone, les Russes devront être utilisés au premier chef pour la construction des routes et des voies ferrées, pour le travail de déblayage, pour le déminage, pour l’établissement des champs d’aviation. La plupart des bataillons allemands de travailleurs seront dissous (dans l’aviation par exemple). Les ouvriers qualifiés allemands devront être dirigés vers l’industrie de guerre. Manier la pelle et casser les cailloux ne constituent pas un travail pour eux ; les Russes seront là dans ce but.

3° Les Russes dans les territoires soumis à l’autorité des Commissaires du Reich et dans le Gouvernement Général. Ici les principes du paragraphe 2 s’appliquent également, avec en plus un emploi plus étendu dans l’agriculture. Le manque de machines devra être compensé par la main-d’œuvre que le Reich réquisitionnera dans les secteurs agricoles des régions de l’Est. Plus tard on assignera une quantité suffisante de main-d’œuvre locale, en vue de l’exploitation intensive des gisements de charbon russe.

4° Les Russes sur le territoire du Reich, y compris le Protectorat. Pour l’utilisation de la main-d’œuvre, les besoins devront également conditionner la fourniture de main-d’œuvre. En ce qui concerne ces besoins de main-d’œuvre, il faut se rappeler deux faits : que les travailleurs étrangers qui mangent beaucoup mais produisent peu doivent être déportés hors du Reich. Ensuite que dans l’avenir la femme allemande ne devra pas être utilisée aussi largement qu’aujourd’hui pour le travail. En même temps que les prisonniers de guerre russes, on devra utiliser la main-d’œuvre civile russe ».

Je saute une page de ce document et je reprends à la page 7. Au milieu de cette page commence le paragraphe B sous le titre « Le Travailleur libre russe ».

Mon collègue, le colonel Pokrovsky a déjà mentionné le fait que les hitlériens plaçaient la population civile dans la catégorie des prisonniers de guerre. Ils avaient ainsi la possibilité, d’une part, de falsifier dans leurs communiqués, dans des buts de propagande, le nombre de soldats de l’Armée rouge qui avaient été capturés et, d’autre part, d’employer la population civile comme source inépuisable de main-d’œuvre.

Le paragraphe auquel je viens de faire allusion commence ainsi :

« L’emploi et le traitement des travailleurs devront être les mêmes que ceux des prisonniers de guerre soviétiques. »

Il convient de remarquer que le compte rendu de cette conférence se termine par la mise au point suivante de l’accusé Göring (page 98 du livre de documents) :

« La mobilisation des travailleurs et l’utilisation des prisonniers de guerre doivent être poursuivies suivant un plan unique et doivent être coordonnées l’une à l’autre par des mesures appropriées. »

Revenant à la page 7 du même procès-verbal, nous trouvons une éloquente déclaration de l’accusé Göring au sujet des conditions de travail de la main-d’œuvre russe et en particulier des salaires.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Général Zorya, pouvez-vous nous dire si vous pensez terminer votre exposé cet après-midi ?

GÉNÉRAL ZORYA

J’ai l’intention de terminer mon exposé ce soir si possible.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie.

GÉNÉRAL ZORYA

Je voudrais lire maintenant quelques lignes du document que je viens de présenter au sujet des conditions de travail des travailleurs russes libres et de leur salaire :

« Les prescriptions suivantes seront observées en ce qui concerne les conditions de travail des travailleurs russes libres :

1. Les travailleurs recevront un peu d’argent de poche...

3. Étant donné que ce travail n’entraîne que peu de frais pour l’employeur, une attention particulière sera accordée à l’imposition de l’employeur. »

Pour rendre plus claire la déclaration ci-dessus, l’accusé Göring fait les suggestions suivantes (page 8 du texte russe, paragraphe B, alinéa 6) :

« L’utilisation des Russes ne devra en aucun cas permettre de s’écarter des principes de salaires appliqués dans les zones de l’Est. Toutes les mesures financières prises ici doivent être basées sur les instructions catégoriques du Führer qui considère que le paiement d’un salaire minimum dans l’Est est une nécessité, pour que l’Allemagne puisse faire face aux dépenses militaires et aux dettes qu’elle devra régler une fois la guerre terminée.

Toute violation de ces instructions sera punie de façon rigoureuse. »

Suivent deux lignes qui présentent un certain intérêt, en dehors même du fait qu’elles soutiennent l’accusation portée contre l’accusé Göring d’avoir instauré le système de travail forcé. Après s’être exprimé d’une façon si catégorique contre la « Violation du principe des salaires dans les territoires de l’Est », Göring a déclaré, pendant la même conférence, page 38 du livre de documents :

« Ceci s’applique évidemment à tout encouragement aux « aspirations sociales » sur le territoire russe colonisé. »

La lettre jointe aux minutes de la conférence contient des commentaires qui n’ajoutent rien de nouveau aux faits déjà présentés. Je ne la citerai donc pas.

Le document suivant, que j’estime nécessaire de présenter au Tribunal en lui demandant de l’accepter en qualité de preuve sous le n° URSS-379 (UK 82), est un décret de Göring en date du 10 janvier 1942. Je n’en lirai que les dix-huit premières lignes, qui se trouvent page 100 du livre de documents :

« Dans les mois à venir, l’importance de l’utilisation de la main-d’œuvre va encore augmenter. D’une part, la situation militaire exige l’appel de tous les jeunes gens pour permettre à l’Armée d’accomplir sa tâche, d’autre part, les industries de guerre ainsi que les autres parties de l’économie de guerre et l’agriculture doivent recevoir une main-d’œuvre suffisante, dont elles ont grand besoin. L’utilisation des prisonniers de guerre, en particulier de ceux qui viennent de Russie soviétique, jouera un rôle important dans la solution de ces problèmes.

Ce n’est que par une direction unifiée que l’on pourra assurer le succès de toute mesure qui pourra être prise dans ce domaine, et j’utiliserai tous les moyens pour y arriver.

C’est pour cette raison que j’ai donné à ma commission de la main-d’œuvre, qui s’est déjà occupée de toute la question de la main-d’œuvre pour le Plan de quatre ans. un pouvoir illimité pour diriger l’ensemble du programme de la main-d’œuvre ».

L’activité criminelle des conspirateurs fascistes dans l’organisation et l’extension du système du travail forcé a atteint par la suite une telle ampleur que le 21 mars 1942 Hitler promulgua un décret créant un service spécial, dont l’accusé Sauckel devait être le chef et qui devait grandement contribuer au développement de ces activités. Je n’insisterai pas plus longtemps sur ces faits historiques, puisqu’ils ont déjà été exposés par nos collègues américains, anglais et français.

Les liens vitaux qui rattachent le fascisme au système du travail obligatoire apparaissent en particulier dans le rôle qui a été joué dans ce domaine par le parti fasciste lui-même, aussi bien que par tout l’ensemble du Gouvernement fasciste.

J’aimerais maintenant soumettre au Tribunal quelques documents qui illustrent ce fait. Je présente sous le n° URSS-365 un exemplaire imprimé du « Rapport sur le Plan de quatre ans par le plénipotentiaire général pour l’utilisation de la main-d’œuvre. »

C’est l’exemplaire n° 1 daté du 1er mai 1942. Il se trouve à la page 101 du livre de documents. La première page du rapport renferme le décret de Hitler du 21 mai 1942 désignant Sauckel pour ce poste. A la seconde page se trouve un ordre de l’accusé Göring daté du 27 mars 1942 et expliquant les fonctions du plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre dans le cadre de l’organisation générale du Plan de quatre ans. Enfin, à la troisième page du rapport, se trouve un programme préparé par Sauckel pour l’anniversaire du Führer en 1942.

Messieurs, ce dernier document a déjà été présenté par le Ministère Public américain, mais je voudrais attirer votre attention sur la page 17 de la traduction russe. C’est l’ordre n° 1 de l’accusé Sauckel, en date du 6 avril 1942. Il est intitulé : « Nomination des Gauleiter comme plénipotentiaires à l’utilisation de la main-d’œuvre régionale. » L’ordre commence de la façon suivante (page 118 du livre de documents) :

« Je désigne par la présente les Gauleiter de la NSDAP comme mes commissaires à la mobilisation du travail dans les Gaue qu’ils administrent.

Leurs fonctions sont les suivantes :

1. L’établissement d’une collaboration sans heurts entre tous les organismes de l’État, du Parti, de l’Armée et de l’Économie qui s’occupent de questions de main-d’œuvre ; et par ce moyen, la création d’un équilibre entre les différentes conceptions et exigences, de façon à utiliser au mieux la main-d’œuvre... »

J’omets quelques paragraphes.

« 4. Enquête sur les résultats obtenus par l’utilisation de tous les ouvriers et ouvrières venant des autres pays. Des règlements spéciaux seront édictés à leur endroit.

5. Vérification de l’exécution des ordres donnés sur le ravitaillement, le logement, le traitement de tous les travailleurs des pays étrangers et des prisonniers de guerre employés comme travailleurs. »

Dans son programme pour la mobilisation du travail, présenté, comme je l’ai déjà fait remarquer, par l’accusé Sauckel à l’occasion de l’anniversaire de Hitler en 1942, Sauckel écrivait (cette partie du programme n’a pas été lue par le Ministère Public américain, elle figure à la page 105 du livre de documents :

« IV. Le plénipotentiaire général à la mobilisation du travail assisté d’un personnel de son choix, extrêmement réduit, s’appuiera uniquement sur les institutions existantes du Parti, de l’État et de l’Industrie ; la bonne volonté et la coopération de tous assureront le succès le plus rapide de ses mesures.

V. Le plénipotentiaire général à la mobilisation du travail, avec le consentement du Führer, du Reichsmarschall de la Grande Allemagne et du chef de la Chancellerie du Parti, a nommé tous les Gauleiter du Reich pour être ses propres plénipotentiaires dans les Gaue du parti national-socialiste.

VI. Les plénipotentiaires à la mobilisation du travail utiliseront dans leurs Gaue les propres bureaux du Parti. Les chefs des bureaux principaux de l’État et des Affaires économiques dans les Gaue assisteront les Gauleiter et les aideront dans toutes les questions concernant la mobilisation du travail.

Les personnalités les plus importantes à cet égard sont les suivantes :

Le président de l’Office régional du travail ;

Le dirigeant régional des travaux agricoles ;

Le conseiller régional de l’agriculture ;

Le conseiller économique du Gau ;

Le chef des Jeunesses hitlériennes du Gau ;

Le chef des associations féminines du Gau ;

Le chef du Front du Travail allemand, les plus hauts représentants de l’administration intérieure et générale et, en particulier, ceux du département de l’agriculture.

VII. La première et la plus essentielle des tâches des Gauleiter de la NSDAP, en leur qualité de commissaires dans leurs Gaue, est d’assurer la meilleure coopération possible entre tous les services qui, dans le Gau, s’occupent des questions de main-d’œuvre. »

Dans le même document, Sauckel s’adresse lui-même aux Gauleiter en leur demandant l’aide la plus entière en toute circonstance. Je ne voudrais attirer votre attention, Messieurs, que sur une seule déclaration de Sauckel dans ce document. Il annonce la décision de Hitler d’envoyer « dans le Reich, afin d’aider les paysannes allemandes, 400.000 à 500.000 jeunes femmes sélectionnées, saines et robustes, recrutées dans les territoires de l’Est » et cela afin d’épargner le travail obligatoire aux femmes et aux jeunes filles allemandes.

C’est apparemment afin d’expliquer les avantages de cette mesure que Sauckel écrivait : « Je vous prie de me croire lorsque je vous dis, en tant que vétéran fanatique du national-socialisme, qu’en définitive il n’y aurait pu y avoir de décision différente. »

L’importance du rôle joué par le parti fasciste dans l’organisation du travail forcé et dans la rigueur avec laquelle il fut appliqué ressort du document suivant que je présente au Tribunal sous le n° URSS-383. Ce document est une lettre de l’accusé Sauckel en date du 8 septembre 1942, intitulée « Mesures spéciales du plénipotentiaire général à l’utilisation de la main-d’œuvre relatives à la déportation des ouvrières de l’Est dans le but d’aider les mères de familles nombreuses dans les villes et dans les villages. »

Je me permettrai au cours de mes explications de me reporter un peu plus tard à ce document. Pour l’instant, je vous demanderai de porter votre attention sur le passage qui se rapporte directement au rôle joué par le parti fasciste dans cette organisation. A la page 3 du texte russe du document que je présente figure une partie intitulée : « Dispositions pour le choix de femmes de l’Est pour les travaux ménagers. »

LE PRÉSIDENT

Est-il vraiment intéressant de savoir si les femmes ont été envoyées ou non dans des maisons et si les Allemandes avaient ou non le droit d’avoir une ménagère à leur service ? Le point important, il me semble, est que ces femmes ont été déportées et déportées de force.

GÉNÉRAL ZORYA

Monsieur le Président, j’avais justement l’intention d’abréger au maximum cette partie de mon exposé. Je vais parler d’autre chose.

Je voudrais montrer quel rôle le parti fasciste a joué dans l’organisation du travail forcé à l’intérieur même de l’Allemagne et, en particulier, son rôle dans la répartition des femmes russes qui se trouvaient déportées en Allemagne. Il existe là-dessus deux courts documents que j’estime indispensable de présenter au Tribunal. Les Ministères Publics anglais et américain nous ont déjà parlé en détail du régime, aussi n’ai-je pas l’intention de m’y attarder.

Je voudrais m’arrêter à cette partie du document qui indique que les demandes à faire, dans le but d’obtenir une ouvrière de l’Est comme femme de ménage, doivent être vérifiées par le département du Travail qui décide si elles sont fondées ou non, puis soumises à l’approbation du chef régional de la NSDAP. Si le chef du Gau voyait un inconvénient à accorder une travailleuse à un foyer, le département du Travail refusait d’envoyer une travailleuse de l’Est au demandeur et refusait, en conséquence, la permission d’en avoir une. Le refus n’avait pas à être motivé et la décision était sans appel. Vous pourrez trouver ce fait à la page 129 du livre de documents. La formule de demande est jointe au document URSS-383. Cette demande contient un bref questionnaire sur la famille qui demande une travailleuse domestique ainsi que la réponse favorable ou défavorable de l’organisation du parti fasciste.

J’attire l’attention du Tribunal sur l’annexe du document URSS-383. Cette annexe porte le titre suivant : « Mémorandum à l’usage des maîtresses de maison, relatif à l’emploi des travailleuses de l’Est dans les ménages urbains et ruraux ».

Monsieur Dodd a déjà présenté cette annexe. Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur ce mémorandum et je vous demanderai simplement de regarder le sous-titre qui se trouve à la page 133. Je vous demande, Messieurs les juges, de faire attention au sous-titre de ce mémorandum. Il y est indiqué, entre parenthèses, qu’il a été établi par le plénipotentiaire général à la mobilisation des travailleurs, en coopération avec le chef de la Chancellerie du Parti et autres autorités compétentes.

Il serait difficile d’être plus précis. Des millions d’esclaves étrangers languissaient en Allemagne, tout Allemand pouvait acquérir des esclaves avec l’approbation et sous le contrôle du parti fasciste. Apparemment, ceci constituait un des éléments du nouvel ordre européen.

J’estime également indispensable de mentionner l’ordre de l’accusé Göring, daté du 27 mars 1942. Je ne soumets pas ce document parce qu’il a déjà été présenté par le Ministère Public américain.

« Afin de lui permettre l’exécution de ses tâches, le plénipotentiaire général à la mobilisation des travailleurs est autorisé par la présente à exercer les pouvoirs que le Führer m’avait délégués, de publier des directives à l’usage des plus hautes autorités du Reich et de leurs fonctionnaires subordonnés, des autorités du Parti et des sous-sections du Parti et organisations affiliées. »

Cet ordre de l’accusé Göring définit non seulement la contribution particulière apportée par le parti fasciste à la mise en œuvre du système du travail obligatoire, mais fait ressortir les pouvoirs extraordinaires de l’accusé Sauckel dans ce domaine.

Les documents que j’ai mentionnés jusqu’ici constituent la base sur laquelle le Ministère Public soviétique a fondé son opinion, base suivant laquelle le parti fasciste était, dans le cadre de l’État fasciste, le centre de toutes les mesures relatives au travail forcé.

Je voudrais maintenant analyser le rôle joué par le Haut Commandement militaire allemand dans l’organisation du travail obligatoire et dans la déportation et l’asservissement du peuple soviétique.

Pour préciser ce but, je vous présente sous le n° URSS-367 un document de l’OKH ayant trait à — j’emploie les termes mêmes du document — la « mobilisation de la main-d’œuvre russe pour le Reich ». Je prie le Tribunal de se reporter à la page 138 du livre de documents.

En premier lieu, considérons la source d’où émane ce document. On lit sur la première page dans le coin supérieur gauche :

« Haut Commandement de l’Armée de terre — État-Major général de l’Armée — Le Generalquartiermeister — Service de l’administration militaire — n° II/3210/42 — Secret ». En haut, à droite : « Quartier Général du Haut Commandement de l’Armée de terre, 10 mai 1942 » et de nouveau le cachet « Secret ».

Après ce titre, nous lisons dans ce document : « Objet : Ordre du Haut Commandement de l’Armée de terre — n° II/2877/42. Secret. 25 avril 1942 ; Ordre du Haut Commandement de l’Armée de terre, n° II/3158, 1942. Secret. 6 mai 1942.

Ainsi, le document que j’ai l’intention de citer ici émane de l’OKH et est basé sur des ordres précédemment donnés par l’OKH. A la fin de ce document, il y a une liste des destinataires auxquels ce document a été envoyé.

Je ne vais pas lire cette liste qui ne laisse subsister aucun doute sur la question de savoir qui était chargé d’exécuter les ordres contenus dans ce document. Les véritables exécutants étaient les autorités militaires.

Passons maintenant au contenu du document ci-dessus mentionné. Tout d’abord, quel était le but de l’OKH en envoyant une telle lettre ? La réponse à cette question se trouve dans le premier paragraphe de notre document que je vais maintenant déposer. J’abrège la citation :

« Le plénipotentiaire général à la mobilisation des travailleurs, le Gauleiter Sauckel, nommé par le Führer, a reçu l’ordre d’accélérer la mobilisation et la déportation des travailleurs russes pour satisfaire aux besoins toujours grandissants de l’armement technique et militaire du Reich.

« Le soutien indispensable de toutes les organisations militaires et locales (Kommandantur de campagne, Kommandantur locale, quartier général de la direction économique de l’Est, direction régionale, mairies, etc.) est nécessaire.

« Il s’agit ici de mesures d’une importance décisive pour l’issue de la guerre. La situation de la main-d’œuvre dans le Reich exige d’une manière urgente l’application immédiate et étendue des mesures citées qui doivent être considérées comme la tâche la plus importante de toutes les organisations. »

Je vais citer maintenant deux paragraphes de ce document qui sont réunis en une section intitulée : « Priorité des exigences de la troupe et de l’économie en matière de main-d’œuvre à l’Est ». Ce paragraphe contient les instructions suivantes et je cite maintenant la page 139 du livre de documents :

« Les besoins immédiats de l’Armée en main-d’œuvre doivent être satisfaits par priorité sur la mobilisation pour le Reich, mais seulement si ces besoins sont urgents et déterminés. L’étendue des besoins de l’Armée est déterminée par les États-Majors de l’Armée, par les commandants d’Armées et par les Commandants en chefs. En raison de la pénurie extrême de main-d’œuvre dans le Reich, il est nécessaire cependant d’apprécier strictement les besoins de l’Armée en main-d’œuvre. »

LE PRÉSIDENT

Général, n’est-il pas suffisant de dire que ce document stipule qu’il faut accélérer la mobilisation de la main-d’œuvre, dans le but de subvenir aux nécessités du Reich ? Est-ce que ce document contient d’autres faits ?

GÉNÉRAL ZORYA

Vous avez parfaitement raison, Monsieur le Président. Ce sera suffisant si l’on ajoute encore que le document parle non seulement de l’accélération de la mobilisation du travail, mais également de la participation des autorités militaires qui devaient fournir un cadre adéquat sous forme d’officiers préposés à cet effet.

Je passe au document suivant que j’ai l’intention de présenter au Tribunal. Il serait faux de croire que l’OKH n’a donné que des ordres de caractère général. En juillet 1941, l’accusé Keitel a appris que les services subalternes de l’organisation Todt de la région de Lwow payaient aux ouvriers du pays un salaire de 25 roubles. Keitel en fut indigné. Todt a immédiatement reçu une réprimande. Nous en venons ainsi au document suivant que je présente sous le n° URSS-366. Dans ce document, le ministre du Reich rapporte directement que le General-Feldmarschall Keitel a exprimé son mécontentement du fait que les services subalternes de l’organisation Todt du district de Lwow payaient aux travailleurs 25 roubles et se servaient des usines.

Todt déclare qu’à son dernier voyage, il avait déjà expliqué en détail à tous ses collaborateurs que les règles pour l’utilisation de la main-d’œuvre en territoire russe différaient de celles appliquées en Europe occidentale. Il explique ensuite dans le même document qu’il interdit catégoriquement l’attribution d’une somme quelconque et termine en disant :

« Aucune compensation ne sera donnée aux firmes pour des salaires qui ne se conforment pas aux règlements ci-dessus. Cet ordre est à communiquer à tous les services subordonnés et à toutes les firmes. Signé : Dr Todt. »

Le Gouvernement allemand et le Haut Commandement ont ordonné la mobilisation des civils soviétiques en vue de tâches qui mettaient leur vie en danger. Göring le dit au cours d’une conférence le 7 novembre 1941. Je présente sous le n° URSS-106 un document constitué par des ordres de Hitler du 8 septembre 1942. Il concerne l’utilisation du travail forcé pour la construction de fortifications sur le théâtre d’opérations de l’Est. Ce document provient des archives allemandes saisies par les Armées alliées à l’Ouest.

L’annexe de ce document indique qu’il est très secret et que la copie de ce document devait être communiquée à tous les États-Majors et divisions qui, après lecture, devaient le renvoyer à l’État-Major de l’Armée afin qu’il fût détruit.

Sur la page 2 du document se trouve l’ordre de Hitler ; je le lis :

« Quartier Général, 8 septembre 1942.

Les dures batailles défensives qui ont lieu dans la zone des groupes d’armées Centre et Nord me portent à faire connaître mes vues sur certains principes fondamentaux de la défense. »

Les paragraphes 1 et 2 des pages 1 à 7 concernent des principes généraux de défense qui ne nous intéressent pas aujourd’hui. A la page 148 du livre de documents se trouve le passage suivant que je cite :

« L’ennemi se permet de construire des positions sur une plus vaste échelle que nos propres troupes. Je sais que l’on alléguera que l’ennemi dispose de beaucoup plus de main-d’œuvre que nous pour la construction de ses positions. Il est par conséquent absolument nécessaire de faire usage, avec toute l’énergie possible, de tous les prisonniers de guerre et de toute la main-d’œuvre locale pour ces travaux. Ce n’est que sous ce rapport que les Russes, dans leur comportement brutal, nous sont supérieurs.

Par ce moyen cependant, on pourra épargner dans la mesure du possible, au soldat allemand de travailler à des positions de défense derrière la ligne de feu, pour qu’il soit libre d’accomplir ses propres tâches et qu’il soit maintenu en condition pour leur accomplissement. On manque trop souvent encore de la fermeté nécessaire qu’exige actuellement le combat pour notre sort, car nous ne luttons pas pour une victoire, mais pour l’existence et le maintien de notre peuple. »

Et plus loin : « Il est en tout cas plus humain de faire travailler la population russe par tous les moyens, comme elle a toujours été habituée à le faire, que de sacrifier ce que nous avons de plus précieux, le sang de notre propre peuple. »

Cet ordre est signé de Hitler.

Les troupes de l’Armée rouge ont également saisi un ordre des autorités allemandes d’occupation qui mentionne l’ordre du Haut Commandement de l’Armée sur le travail obligatoire dans la zone de combat. Je présente ce document sous le n° URSS-407. J’estime nécessaire d’en lire quelques extraits (page 149 du livre de documents) :

« Ordre. Conformément aux prescriptions du Chef du Haut Commandement de l’Armée sur le service du Travail Obligatoire dans la zone des opérations des territoires de l’Est nouvellement occupés, en date du 6 septembre 1943, toutes les femmes des classes 1924 et 1925 sont astreintes à la mobilisation pour le travail en Allemagne. »

Le paragraphe 5 de cet ordre prévoit : « Les personnes qui ne donneront pas suite à ce recensement dans le plus bref délai seront considérées comme des saboteurs et en seront tenues pour responsables, conformément aux lois militaires ».

Je résume ces données : Le Haut Commandement des Forces armées allemandes et l’accusé Keitel ont directement participé à la mise en œuvre de ce système d’esclavage et de travail forcé et ont librement utilisé l’appareil administratif militaire à tous ses échelons, afin de réaliser leurs buts criminels.

Je demande maintenant au Tribunal de bien vouloir se reporter au document suivant que je présente sous le n° URSS-381.

LE PRÉSIDENT

Général, est-ce que ce dernier ordre que vous nous avez cité émanait de Keitel ? Il me semble être signé par le chef de l’État-Major du Commandement militaire.

GÉNÉRAL ZORYA

Ce n’est pas un ordre de Keitel ; le document que je présente sous le n° URSS-381 est intitulé :

« Instructions pour les services économiques, section du travail, relatives à l’emploi de la main-d’œuvre à l’Est ».

LE PRÉSIDENT

Je croyais que vous aviez dit que c’était un ordre de Keitel.

GÉNÉRAL ZORYA

Le document précédent que j’ai présenté au Tribunal est bien un ordre de Keitel. Je vais maintenant vous parler de ces instructions. Je vous demande, Messieurs, de remarquer la date : 26 janvier 1942. Dans cette instruction que vous trouverez à la page 150 du livre de documents, il est indiqué que « les espoirs que le Reichsmarschall fonde sur l’organisation de la mobilisation de la main-d’œuvre doivent être réalisés à tout prix. La tâche de l’organisation économique et de l’administration de remplacement à l’Est consiste à combler, par le recrutement obligatoire de la main-d’œuvre russe, les vides qui ont été causés ces derniers mois dans l’économie nationale par le départ sous les drapeaux des plus jeunes classes. Cette solution est indispensable à la bonne conduite de la guerre. C’est pourquoi il faut y .arriver : si le nombre des volontaires ne correspond pas à ce que l’on espère, nous prendrons des mesures plus rigoureuses ».

Le Ministère Public américain a déjà présenté un document du Ministère Public soviétique sous le n° URSS-381 (a) intitulé « Instruction pour le traitement des travailleurs civils étrangers dans le Reich ». Je n’ai pas l’intention de citer ce document à nouveau, mais je considère comme indispensable d’indiquer.

Dr OTTO NELTE (avocat de l’accusé Keitel)

Le Président vient de s’enquérir du document n° URSS-407 et le représentant du Ministère Public l’a présenté comme un ordre de Keitel. Je viens de retrouver ce document. S’il s’agit bien du document immatriculé URSS-407 dans mon dossier, il n’est pas signé de Keitel, mais d’un commandant de place et d’un chef de l’Arbeitsamt. Est-ce le document qui vous a été présenté sous le n° URSS-407 ?

LE PRÉSIDENT

J’ai déjà fait remarquer que cet ordre n’émanait pas de Keitel.

Dr NELTE

Oui. Mais le représentant du Ministère Public nous a à nouveau assuré qu’il s’agissait d’un ordre de Keitel. C’est ce que je voulais rectifier.

GÉNÉRAL ZORYA

Le Tribunal me permettra de donner quelques éclaircissements à ce sujet. De toute évidence, le malentendu découle d’une erreur des interprètes. J’ai en réalité déclaré que des détachements de l’Armée rouge s’étaient emparés d’un ordre allemand et j’avais ajouté que cet ordre émanait des autorités allemandes d’occupation et se rapportait à un ordre de Keitel sur le travail forcé dans la zone de combat. Ce point peut être vérifié dans le compte rendu sténographique des débats. Cet ordre commençait par les mots suivants : « Conformément aux prescriptions du chef du Haut Commandement de l’Armée sur le service du Travail Obligatoire dans la zone des opérations des territoires de l’Est nouvellement occupés, en date du 6 novembre 1943, etc. » Je ne citerai pas ce texte plus avant.

Je demande au Tribunal de bien vouloir se reporter au document 11/3210 précédemment présenté par moi, ordre donné par le Haut Commandement des forces de terre en 1942. Dans ce document, il est fait allusion aux différents ordres de l’État-Major général de l’Armée sur l’utilisation de la main-d’œuvre à l’Est. L’ordonnance des autorités occupantes produite sous le n° URSS-407 se rapporte justement à l’un de ces ordres. C’est ce qui ressort très clairement des mots : « Conformément aux décisions du chef de l’OKW... » C’est tout ce que j’ai dit’ du document.

LE PRÉSIDENT

Je crains de ne pas vous avoir très bien compris. La traduction que j’ai sous les yeux dit ceci : « des unités de l’Armée rouge ont saisi une ordonnance se référant à l’ordre de Keitel sur le travail forcé dans les zones de combat... » et plus loin « que ceux qui se refusent à travailler seront considérés comme saboteurs et arrêtés ». Ce document porte un numéro d’ordre URSS. Il serait peut-être utile d’en lire quelques extraits. « Conformément aux décisions du chef de l’OKW en date du 6 février 1943 sur le service du travail... » Ensuite le document aborde la question de ceux qui seront considérés comme saboteurs. Il me semblait que vous affirmiez que Keitel aurait été chef de l’État-Major général du Haut Commandement. Prétendez-vous toujours qu’il était chef du Haut Commandement ?

GÉNÉRAL ZORYA

Je cite ce qui se trouve dans le document : « Conformément aux décisions du chef de l’OKW... » c’est ce qui se trouve dans ce document. Je n’ajouterai rien.

LE PRÉSIDENT

Je ne crois pas que la question vaille la peine de nous faire perdre plus de temps.

GÉNÉRAL ZORYA

Je reviens au document auquel j’en étais resté. Il a été présenté par le Ministère Public américain et est intitulé : « Instruction pour le traitement des travailleurs civils étrangers en Allemagne ». Je ne citerai pas la totalité de ce document. Je mentionnerai simplement que cet ordre prescrivait un régime spécial pour les travailleurs de l’Est qui, entre autre, devaient vivre en camps sous la surveillance d’un chef de camp. Toute vie normale était refusée aux travailleurs de l’Est. On interdisait aux travailleurs de l’Est même l’accès des églises et autres lieux publics. Ils étaient astreints au port d’un insigne spécial, un rectangle à bord bleu clair où se détachait sur fond bleu foncé le mot « Ost » en lettres blanches.

Pour l’utilisation des travailleuses de l’Est employées soit à la campagne, soit en ville, aux travaux domestiques, une deuxième note destinée aux maîtresses de maison remarque ce qui suit, page 131 du livre de documents :

« L’idée que se fera l’étranger de la détermination de notre peuple découlera de l’attitude personnelle et sociale de chacun de vous. La maîtresse de maison et ses proches devront toujours symboliser aux yeux des travailleurs étrangers la dignité du peuple allemand. »

Plus loin, il est dit : « Si par exception se trouvent employées dans le même ménage une servante allemande et une travailleuse de l’Est, on confiera plus particulièrement à la servante allemande le soin de s’occuper de l’intérieur familial et de surveiller la travailleuse. Les Allemands gens de maison doivent toujours jouir d’un meilleur traitement. »

Les conditions de travail généralement en vigueur n’étaient pas appliquées aux travailleuses de l’Est. Plus précisément, le soin de déterminer les horaires de travail était laissé à leurs négriers, ce qui ressort du paragraphe 4 de la note :

« Les travailleuses de l’Est employées en Allemagne à des travaux domestiques sont soumises à des conditions d’emploi spéciales. Les prescriptions du droit du travail allemand et des assurances sociales ne leur sont applicables que lorsque cela est expressément notifié. »

Les règlements auxquels elles étaient soumises sont du genre de ceux que, nous trouvons au paragraphe 9 du chapitre B de la note où il est dit ouvertement :

« Il ne leur est dû aucun moment de liberté. Les travailleuses de l’Est préposées aux travaux domestiques ne pourront, par principe, quitter le ménage que pour régler des questions ménagères. L’accès des restaurants, cinémas, théâtres et autres établissements similaires leur est interdit ».

Au paragraphe 10 de la note : « Les travailleuses de l’Est sont enrôlées pour une période indéterminée ».

Paragraphe 12 de la note : « Des sujets de nationalité allemande ne devront pas vivre dans la même pièce qu’une travailleuse de l’Est ».

Et paragraphe 14 : « Le vêtement ne peut, en principe, leur être assuré ».

Les deux documents que je viens de mentionner : « Instruction sur le traitement des travailleurs civils étrangers en Allemagne » et « Note aux maîtresses de maison employant des travailleuses de l’Est » mettent en lumière les conditions de travail inhumaines auxquelles étaient soumis les sujets soviétiques enrôlés de force par les Allemands.

Le Ministère Public soviétique dispose de nombreux documents consignant les dépositions de personnes qui ont personnellement enduré les horreurs de l’esclavage fasciste. Rien que la lecture de la liste de ces documents prendrait un temps considérable.

Dès le début de la guerre contre l’Allemagne fasciste, le Gouvernement soviétique disposait de nombreux documents prouvant les crimes des conspirateurs fascistes. Le premier de ces documents fut publié par le Gouvernement soviétique ; il s’agit d’une note en date du 6 janvier 1942 du commissaire du peuple aux Affaires étrangères V. M. Molotov.

Cette note présentée au Tribunal par le Ministère Public soviétique indique ce qui suit : « Les civils emmenés de force pour le travail obligatoire sont considérés comme prisonniers de guerre par les autorités allemandes et assimilés à ces prisonniers pour ce qui est de leur subsistance. A l’aide des rapports d’Etats-majors allemands, il a été établi que les paysans et autres civils tombés entre les mains des Allemands et déportés pour le travail forcé étaient automatiquement classés dans la catégorie des « prisonniers de guerre », artifice qui, bien qu’illégal, permettait d’exagérer considérablement le nombre de ces prisonniers. Aux environs de la ville de Plavsk, région de Toula, se trouvait un camp où l’on tenait enfermés avec des prisonniers de guerre les civils des villages environnants. Dans ce camp, les civils soviétiques étaient soumis à des tortures et des sévices inhumains. Parmi les paysans internés dans ce camp, l’on comptait aussi bien des adolescents que des vieillards ou des femmes. Pour toute nourriture, on leur distribuait chaque jour deux pommes de terre, un peu de gruau d’orge. Il mourait journellement dans ce camp de 25 à 30 personnes. »

Dans cette même note on déclare :

« Une fois Kiev occupé, les Allemands déportèrent comme main-d’œuvre tous les civils âgés de 11 à 60 ans sans discrimination de sexe, de profession, de nationalité ou d’état de santé. Des malades qui ne tenaient plus debout se voyaient pénalisés pour n’être pas venus travailler même quelques jours. A Kharkov, les envahisseurs cherchèrent particulièrement à ridiculiser les intellectuels ukrainiens de l’endroit. Le 5 novembre, tous les acteurs de théâtre reçurent l’ordre de se présenter au théâtre Chevtchenko pour y être recensés. Une fois les acteurs rassemblés, les Allemands les encerclèrent, les attelèrent à des voitures à chevaux et, à travers les rues les plus animées de la ville, les conduisirent au pas de course jusqu’au fleuve pour y chercher de l’eau. »

Un deuxième document du Gouvernement soviétique est la note du 27 avril 1942 du commissaire du peuple aux Affaires étrangères V. M. Molotov, présentée au Tribunal sous le n° URSS-51 (3). Le troisième chapitre de cette note porte le titre suivant : « Régime d’esclavage et de servage instaure dans les régions occupées de l’Union Soviétique et déportation de civils comme prisonniers de guerre ». Cette note rapporte ce qui suit :

« En Ukraine et en Russie blanche, les Allemands instaurèrent la journée de travail de 14 ou 16 heures. La plupart du temps ils ne rétribuaient pas les gens ou bien la rémunération était dérisoire. »

Il est dit plus loin :

« Dans des instructions secrètes consacrées aux « Problèmes présents des régions de l’Est » tombées entre les mains de l’Armée rouge au début de mars 1942, le général de division Weigang, chef de l’inspection militaire économique pour le front central, reconnaît que l’industrie ne pourra maintenir son niveau de production avec des travailleurs à moitié morts de faim ou vêtus de haillons... que la dévaluation de la monnaie mentionnée plus haut et la raréfaction des produits coïncident avec un dangereux manque de confiance des populations à l’égard de l’administration allemande, que cette situation peut avoir de graves conséquences, conséquences tout à fait imprévisibles, qui mettraient en jeu la sécurité de ces régions à l’arrière du front, ce que ne pourraient tolérer les troupes combattantes. Ces régions, le général allemand s’arroge le droit de les dénommer « nos nouvelles possessions coloniales à l’Est.

Le général allemand Weigang, reconnaissant aussi que l’effondrement complet de la production industrielle de ces régions a entraîné un chômage massif, donne alors les instructions suivantes pour l’accélération des déportations de travailleurs russes, ukrainiens, blancs-russiens et d’autres nationalités vers l’Allemagne :

Seule l’importation en Allemagne de main-d’œuvre russe, main d’œuvre saine et robuste, quelques millions de travailleurs pré-« levés sur les réserves humaines inépuisables des régions occupées <’de l’Est, nous permettra de résoudre l’urgent problème de nos « besoins fabuleux en main-d’œuvre et de pallier ainsi la catastrophique pénurie actuelle.

Dans un ordre saisi par les troupes de l’Armée rouge, il est prescrit d’exiger pour certains travaux pénibles le concours de toutes les populations civiles des régions occupées (si nécessaire), collaboration qui ne sera pas rémunérée. Et c’est l’impertinente explication :

Ainsi la population expiera sa part de responsabilité dans « les actes de sabotage déjà commis ou qui pourraient l’être par « la suite ».

Un « Avis », publié le 20 novembre 1941 à Kalouga et signé du commandant allemand de la ville, le commandant Portatius, mentionne ce qui suit :

« 1. Les travailleurs dont le travail ne donne pas satisfaction ou « qui ne feront pas le nombre d’heures fixé se verront pénalisés. « Les fautifs qui ne s’acquitteraient pas de ces amendes seront « soumis à des peines corporelles.

2. Les travailleurs qui n’ont pas répondu à la convocation « seront soumis à des peines corporelles et ne pourront espérer aucun « secours alimentaire de la ville.

3. Ceux qui se soustraient systématiquement au travail seront « de plus chassés de Kalouga. Les tire-au-flanc seront groupés en « sections et bataillons disciplinaires, logés en caserne et astreints « à des travaux pénibles ».

Cette note établit ensuite que la propriété des terres a été concédée à des Allemands. Ce nouveau régime agraire fut instauré en février 1942, par décret du Gauleiter hitlérien Alfred Rosenberg.

J’en arrive maintenant à la note du commissaire du peuple aux Affaires étrangères V. M. Molotov, qui fut publiée un an après celle du 27 avril 1942 dont nous venons de parler.

Le 11 mai 1943, le commissaire du peuple aux Affaires étrangères transmit à tous les ambassadeurs et plénipotentiaires des pays avec lesquels l’URSS entretenait alors des relations diplomatiques, une note intitulée :

« Déportation massive des civils soviétiques, leur asservissement par les fascistes allemands. Responsabilité des pouvoirs publics et des civils allemands en la matière ».

Cette note a été présentée au Tribunal sous le n° URSS-51 (4). Je considère comme nécessaire d’en lire quelques extraits. A la page 165 de votre livre de documents, on mentionne une déclaration de Göring lors des entretiens du 7 novembre 1941 que j’ai déjà cités. Je ne répéterai pas la totalité des déclarations de Göring en cette occasion. Je ne me reporterai qu’à cet ordre sanguinaire de Göring qui demande « de ne pas épargner les citoyens soviétiques, tout au contraire, d’en user avec eux, sous les plus futiles prétextes, avec une cruauté raffinée ». Cet ordre, consigné au chapitre IV, A 7 du document en question est conçu comme suit :

« Des mesures de sécurité ne sont efficaces que lorsqu’elles sont sévères et appliquées avec promptitude. Aussi, il n’y aura pas de milieu en matière de peines : privation de nourriture ou condamnation à mort en cour martiale. »

Le 31 mars 1942, Sauckel envoyait le télégramme suivant :

« Les recrutements de main-d’œuvre dont je vous ai rendu responsable, vous devez, vous aussi, les accélérer par tous les moyens jugés utiles et, si nécessaire, en appliquant strictement le principe du travail obligatoire. »

Le Gouvernement soviétique dispose du texte complet d’un rapport du commandant de la Police de sûreté et du SD auprès du chef de la Police SS de Kharkov. Ce rapport est intitulé : « Situation à Kharkov du 23 juillet au 9 septembre 1942. » Il y est dit :

« Les services responsables du recrutement de main-d’œuvre nouvellement projeté envisagent la situation avec une vive inquiétude, car le plus souvent les populations déclinent énergiquement les offres de travail en Allemagne. Présentement, la situation est telle que chacun cherche par tous les moyens à se dérober au recensement. Il n’est évidemment depuis longtemps plus question de départ volontaire. »

Je dois remarquer, Messieurs les juges, que l’accusé Sauckel, en tant que délégué général à l’utilisation de la main-d’œuvre, a activement pris part à ces activités criminelles, comme le démontre la note du commissaire du peuple aux Affaires étrangères que je viens de vous présenter.

J’en veux pour preuve le télégramme envoyé le 31 mars 1942 par Sauckel à ses collaborateurs, télégramme précisant les modalités d’utilisation des Russes et le travail à effectuer par la Commission de recrutement, que je présente sous le n° URSS-382. Dans ce télégramme Sauckel écrit :

« Il faut qu’immédiatement le nombre des enrôlements augmente de telle façon que dès avril, les transferts se soient accrus du double. »

L’accusé Göring apprécia vivement tous ces efforts de Sauckel ; il était à l’époque plénipotentiaire au Plan de quatre ans. Je me référerai à la conférence que tint Göring le 6 août 1942. Le procès-verbal de cette conférence a été présenté au Tribunal par le Ministère Public soviétique sous le n° URSS-170. Reportez-vous, je vous prie, aux pages 12 et 13 de ce compte rendu qui figure page 184 du livre de documents. Göring a déclaré :

« Je n’ajouterai qu’une chose ; je ne ferai pas l’éloge du Gauleiter Sauckel, ce serait superflu. »

LE PRÉSIDENT

Général, tout ceci n’a-t-il pas déjà été lu hier mot par mot ?

GÉNÉRAL ZORYA

Monsieur le Président, mon collègue a bien cité ce document mais il n’a pas, j’en suis persuadé, lu ce passage.

LE PRÉSIDENT

A mon avis pourtant, il a déjà lu le paragraphe : « Je ne ferai pas l’éloge du Gauleiter Sauckel, ce serait superflu. » Cela ne fait aucun doute, votre collègue s’est référé à l’extrait concernant Lohse que vous avez résumé.

GÉNÉRAL ZORYA

Je ne voudrais pas débattre la question avec Monsieur le Président, mais à ma connaissance, ce passage n’a pas été lu. Je peux d’ailleurs le sauter.

LE PRÉSIDENT

Il se peut que vous ayez raison, je ne sais pas.

GÉNÉRAL ZORYA

Alors je vais lire très vite ce passage. « Je ne ferai pas l’éloge du Gauleiter Sauckel, ce serait superflu. Néanmoins, ce qu’il a réalisé pendant cette courte période, trouver aussi rapidement des travailleurs aux quatre coins de l’Europe, les amener à pied d’œuvre, c’est une performance unique. Ce que je vais dire s’adresse à vous tous, messieurs : Si chacun d’entre vous fournit même un dixième de l’énergie qu’a dépensée le Gauleiter Sauckel, alors ce sera réellement un jeu pour vous de vous acquitter des tâches dont on vous a chargé, chacun dans votre spécialité ; j’en suis convaincu au plus profond de moi-même. Il ne s’agit aucunement de mots creux. »

J’en reviens maintenant à la note du commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’Union Soviétique, V. M. Molotov, en date du 11 mai 1943. Cette note indique plus loin le nombre des citoyens soviétiques déportés en Allemagne. On y signale également que les négriers allemands qui faisaient la chasse aux citoyens soviétiques pour les déporter organisaient de sanglantes répressions contre ceux qui cherchaient à leur échapper. Ainsi 75 civils furent fusillés à Gjatsk et 65 cheminots pendus à Poltava. Ces menus faits se reproduisirent dans d’autres villes. Des exécutions, des fusillades, des pendaisons s’y déroulèrent sur la même échelle.

LE PRÉSIDENT

J’avais cru comprendre au début de votre exposé que vous en auriez fini cet après-midi. Il est présentement 5 heures 5. Croyez-vous possible de terminer votre exposé cet après-midi ?

GÉNÉRAL ZORYA

Si je n’avais pas été interrompu par la Défense, 10 minutes durant, pour discuter d’un ordre, j’en aurais maintenant terminé avec mon exposé.

LE PRÉSIDENT

Pour combien de temps en avez-vous encore ?

GÉNÉRAL ZORYA

Pour 10 minutes au maximum.

LE PRÉSIDENT

Bon.

GÉNÉRAL ZORYA

La note établit que les citoyens soviétiques des territoires occupés par les Allemands opposèrent aux négriers une courageuse résistance de moins en moins sporadique, de plus en plus efficace. Le mouvement partisan gagna en ampleur quand les citoyens soviétiques eurent à résister aux déportations forcées, ce que relatent avec quelque nervosité les rapports secrets de l’Armée et de la Police allemande. Cette note consigne également .toute une série de déclarations émanant de citoyens soviétiques ayant réussi à échapper à l’esclavage allemand. Je ne lirai qu’un de ces témoignages, celui d’une paysanne, Barbara Bachtina, du khoikoze du village de Nikolaïvka dans la région de Koursk. Elle déclare :

« A Koursk, nous fûmes entassés dans des wagons à bestiaux, de 50 à 60 par wagon, avec interdiction d’en sortir. La sentinelle allemande ne cessait de nous flanquer des coups. A Lgov, on nous invita à quitter les wagons pour examen par une commission spéciale. On nous força à nous déshabiller complètement en présence des soldats et on nous examina. Plus nous approchions de l’Allemagne, plus notre convoi se vidait. Au départ, à Koursk, nous étions trois mille mais, à presque chaque station, nous abandonnions des malades ou des gens mourant de faim. En Allemagne, on nous enferma dans un camp où se trouvaient déjà des prisonniers de guerre soviétiques ; c’était une zone forestière entourée d’un haut barbelé. Quatre jours après, on nous répartit dans différentes entreprises. Ma sœur Valentine, treize autres jeunes filles et moi-même furent affectées à une usine d’armement. »

Le troisième paragraphe de la note décrit le régime auquel étaient soumis les citoyens soviétiques esclaves des Allemands. Le même paragraphe renferme aussi des considérations de Göring sur les travailleurs russes. Dans les instructions déjà mentionnées ci-dessus, Göring déclarait :

« Les Russes ne sont pas difficiles à contenter. De ce fait, l’on peut facilement assurer leur alimentation sans qu’il en résulte de perturbation sensible de notre ravitaillement. On ne doit pas leur faire prendre de mauvaises habitudes en les habituant à la cuisine allemande. »

Enfin, on cite également dans cette note de nombreuses lettres adressées par des Allemands eux-mêmes à des soldats du front de l’Est. Dans ces lettres sont décrites les vexations auxquelles étaient soumis les travailleurs soviétiques. Je vais lire un passage d’une de ces lettres. La lettre a été trouvée sur un soldat allemand tué, le soldat Wilheim Bock, de la 221e division d’infanterie. Cette lettre venant de Chemnitz lui avait été adressée par sa mère. Elle est ainsi conçue :

« Beaucoup de femmes et de jeunes femmes russes travaillent aux usines Astra. On les oblige à travailler 14 heures par jour et même davantage. Elles ne sont naturellement pas rétribuées. Elles se rendent et reviennent du travail sous escorte. Ces Russes sont si exténuées que parfois elles s’effondrent littéralement. Les gardes leur assènent souvent de durs coups de fouet. Les Russes n’ont pas le droit de se plaindre de ces coups, de la mauvaise nourriture. Ma voisine s’est procuré ces jours-ci une travailleuse. Moyennant une certaine somme, à verser à une caisse déterminée, elle a pu choisir, parmi les femmes qui venaient d’arriver de Russie, une servante à son goût. »

Ces lettres rapportent également des suicides en masse parmi les travailleurs russes.

La note se termine par une déclaration du Gouvernement soviétique établissant que la responsabilité de ces atrocités retombe sur la clique des dirigeants hitlériens et sur le Haut Commandement de l’Armée germano-fasciste :

« Le Gouvernement soviétique estime que sont également pleinement responsables des crimes énumérés tous les fonctionnaires hitlériens qui ont dirigé le rassemblement, le transfert, l’internement dans des camps, la vente comme esclaves, l’exploitation inhumaine des citoyens soviétiques arrachés à leur patrie et transférés de force en Allemagne... Le Gouvernement soviétique estime évidemment qu’une aussi grosse responsabilité pèse sur des hommes par ailleurs déjà reconnus coupables de crimes précis, comme Fritz Sauckel et Alfred Rosenberg. »

Il est enfin souligné dans cette note que :

« Le Gouvernement soviétique est persuadé et tient à faire savoir que tous les gouvernements intéressés sont bien d’avis que le Gouvernement hitlérien et ses hommes de confiance portent l’entière responsabilité de leurs crimes monstrueux, des privations et souffrances endurées par les millions de civils soviétiques intégrés de force dans le système esclavagiste des fascistes allemands et doivent être châtiés en conséquence. »

Ainsi se termine la note du commissaire du peuple Molotov. Si vous le permettez, ceci terminera aussi mon exposé.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 23 février 1946 à 10 heures.)