SOIXANTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Samedi 23 février 1946.
Audience du matin.
Avant de nous occuper des demandes des avocats, je vais donner lecture des décisions du Tribunal concernant le mémorandum du Dr Stahmer du 4 février 1946 et la requête du Ministère Public en date du 11 février 1946. Ces décisions sont les suivantes :
Le Tribunal ne prend pas de décision en ce qui concerne les paragraphes 2 à 5 de la requête du Ministère Public en date du 11 février 1946, relative aux moyens de preuves des accusés.
En ce qui concerne les paragraphes 2 et 7 du mémorandum du Dr Stahmer, daté du 4 février 1946, le Tribunal décide :
1. Les exposés des preuves en faveur des accusés seront entendus dans l’ordre où se trouvent les noms des accusés à l’Acte d’accusation.
2. a) Pendant la présentation des exposés des preuves en faveur des accusés, les avocats liront les documents, interrogeront les témoins et feront de brefs commentaires sur les moyens de preuves, afin de les rendre parfaitement compréhensibles.
b) Tout avocat pourra être assisté devant le Tribunal par un associé ou un autre avocat. Ce dernier pourra assister le défenseur, lui passer les documents, etc., mais il ne devra pas s’adresser au Tribunal ni interroger les témoins.
3. Preuves documentaires.
a) La Défense fournira au Secrétaire général l’original de chaque document déposé, si l’original est en sa possession. Si l’original est aux mains du Ministère Public, l’avocat lui demandera de lui remettre le document afin qu’il puisse le déposer. Si le Ministère Public s’y refuse, le Tribunal devra être saisi.
b) Au cas où l’original d’un tel document se trouverait aux mains du Tribunal, la Défense remettra au Secrétaire général une copie du document ou du passage considéré en indiquant le numéro du document et la date à laquelle il a été déposé.
Au cas où la Défense désirerait déposer un document dont l’original n’est pas en sa possession ou n’est pas à la disposition du Tribunal, elle donnera au Secrétaire général une copie de ce document ou du passage considéré en expliquant où et en possession de qui se trouve l’original et la raison pour laquelle il ne peut être produit. Cette copie sera certifiée conforme au moyen d’un certificat approprié.
4. Chacun des avocats réunira les copies des documents ou des parties de documents qu’il a l’intention de déposer dans un livre de documents, dont six exemplaires seront remis au Secrétaire général, deux semaines, si possible, avant la date prévue pour la présentation des preuves en faveur de l’accusé considéré. Le Secrétaire général assurera la traduction du livre de documents en anglais, en français et en russe et l’avocat aura le droit de recevoir un exemplaire de chacune de ces traductions.
5. a) La Défense demandera au Secrétaire général de mettre à sa disposition à Nuremberg les témoins qu’il aura désignés et qui auront été approuvés. Ces requêtes seront faites si possible au moins trois semaines avant la date prévue pour la présentation des preuves relatives à l’accusé. Le Secrétaire général fera, autant que possible, venir les témoins à Nuremberg une semaine avant cette date.
b) La Défense avisera le Secrétaire général la veille du jour où elle voudra convoquer son témoin, au plus tard avant midi.
6. a) L’accusé qui ne désire pas déposer comme témoin ne peut y être contraint, mais il pourra néanmoins être entendu par le Tribunal à n’importe quel moment, selon les articles 17, b et 24, f du Statut.
b) Un accusé ne peut témoigner qu’une seule fois.
c) L’accusé qui désire témoigner en son propre nom pourra le faire au cours de la présentation de sa propre défense. Le droit d’interroger et de contre-interroger un accusé qui témoigne, reconnu à la Défense et au Ministère Public par l’article 24 du Statut, pourra être exercé à ce moment-là.
d) L’accusé qui ne désire pas témoigner en son propre nom mais qui désire témoigner pour un co-accusé pourra le faire durant l’exposé des preuves relatif à cet autre accusé. Les avocats des autres accusés et les représentants du Ministère Public pourront l’interroger et le contre-interroger quand il aura terminé son témoignage pour le co-accusé.
e) Les alinéas, a, b, c et d ne limitent pas les droits du Tribunal à permettre à un accusé de témoigner à nouveau dans des cas exceptionnels si, de l’avis du Tribunal, l’intérêt de la Justice l’exige.
7. Outre les plaidoiries de chaque avocat prévues à l’article 24 h, un avocat représentant tous les accusés sera autorisé à s’adresser au Tribunal sur les points de Droit soulevés par l’Acte d’accusation et le Statut, et qui sont communs à tous les accusés ; il sera cependant tenu d’observer strictement les dispositions de l’article 3 du Statut.
Cet exposé aura lieu à la fin de la présentation de toutes les preuves au nom des accusés, mais ne devra pas durer plus d’une demi-journée. S’il est possible, une copie du texte écrit de cet exposé sera remis à temps au Secrétaire général, pour lui permettre de le faire traduire en anglais, en français et en russe.
8. En exerçant leur droit de faire une déclaration au Tribunal selon l’article 24 j, les accusés ne devront pas revenir sur les questions qui ont déjà fait l’objet de preuves, ou qui ont déjà été traitées par leur avocat au cours des plaidoiries prévues par l’article 24 h ; ils se borneront à traiter des questions complémentaires qu’ils considéreront comme nécessaires avant le prononcé du jugement et de la sentence par le Tribunal.
9. La procédure prescrite par cette décision pourra être modifiée par le Tribunal à n’importe quel moment, si cela semble nécessaire au Tribunal dans l’intérêt de la Justice.
Le Tribunal traitera maintenant des demandes de témoins et de documents faites au nom de l’accusé Göring. Le Tribunal se propose d’adopter la procédure suivante : Nous demanderons à l’avocat de l’accusé de nommer d’abord son premier témoin, puis le Ministère Public lui répondra ; ensuite l’avocat traitera de la deuxième requête et le Ministère Public répondra à nouveau ; ainsi nous entendrons la Défense et le Ministère Public sur chacun des témoins.
Il ne sera peut-être pas nécessaire de procéder de cette façon quand nous traiterons des documents : il vaudra peut-être mieux que la Défense présente ses documents en bloc et que le Ministère Public lui réponde également sur l’ensemble. Mais, en ce qui concerne les témoins, leur cas sera discuté individuellement.
Je donne la parole au Dr Stahmer...
Avant d’entrer dans le détail de ces questions, je demande au Tribunal de bien vouloir me faire savoir pour quelles raisons il a l’intention de traiter la Défense aussi différemment du Ministère Public. A l’article 24 du Statut, il est de fait mentionné que le Tribunal demandera au Ministère Public et à la Défense quelles preuves ils entendent soumettre. Cependant, cette décision n’a jusqu’à présent pas été appliquée au Ministère Public par le Tribunal. Je suis néanmoins heureux qu’aujourd’hui on ait accordé à la Défense la possibilité de présenter les témoins et les preuves qui jusqu’à présent n’avaient pu l’être par suite de certaines difficultés. Je suis en mesure de communiquer dès aujourd’hui au Tribunal les principales raisons qui rendent la comparution de ces témoins nécessaire et qui établissent l’admissibilité de ces documents. Je prie le Tribunal, comme cela a toujours été pratiqué jusqu’ici, de ne pas mêler le Ministère Public aux délibérations sur l’admissibilité d’un document.
En tant qu’avocat, je suis persuadé que cette pratique soumettrait mon exposé à une espèce de censure préalable du Ministère Public, qui mettrait en danger son unité et par la même toute ma démonstration. Je voudrais souligner que les objections de la Défense sont constamment repoussées sous le prétexte que la Défense pourrait être entendue plus tard à ce sujet.
Si l’on procède aujourd’hui à un tri parmi les documents, comme le propose le Ministère Public, nous courons le danger de ne plus pouvoir, par la suite, débattre les objections dont on avait ajourné la discussion. Pour toutes ces raisons, je demande au Tribunal de bien vouloir continuer à appliquer l’ancienne procédure et de dénier au Ministère Public le droit de s’opposer à la production d’un document.
L’avocat de Ribbentrop peut-il revenir au pupitre ? Le Tribunal n’a pas très bien compris le but de sa requête.
Je demandais que l’on déniât pour le moment au Ministère Public la possibilité de se prononcer sur l’opportunité de convoquer tel témoin ou sur l’admissibilité de tel document. Monsieur le Président, par « se prononcer » je veux dire que le Ministère Public ne devrait pas encore participer aux délibérations décidant de l’admissibilité d’un document.
Le Tribunal considère que votre requête ne peut pas être prise en considération pour la raison suivante : il est exact qu’on a demandé à la Défense de procéder dès maintenant aux requêtes relatives à la comparution des témoins et à l’admissibilité des documents, en application de l’article 24 d . La principale raison en est que le Tribunal doit faire venir ici tous vos témoins. Le Tribunal a depuis des semaines essayé de trouver vos témoins, de les faire parvenir ici et de vous procurer les documents qui vous sont nécessaires. L’admissibilité de ces témoins et de ces documents doit être décidée par le Tribunal ; mais il est évident que le Ministère Public doit pouvoir discuter de leur admissibilité, de même que la Défense a eu le droit de discuter de l’admissibilité des témoins et des documents du Ministère Public. Nous adoptons maintenant pour la Défense la même procédure qu’auparavant pour l’Accusation, avec cette seule différence qu’on a demandé aux avocats de faire des requêtes pour leurs documents et leurs témoins et de traiter de la question en une seule fois plutôt que de renouveler la demande pour chaque témoin et chaque document. Cela pour la seule raison que, comme je l’ai dit, le Tribunal doit trouver et faire venir ici les témoins de la Défense ainsi que les documents.
Vous demandiez que le Ministère Public ne puisse pas décider de l’admissibilité des témoins. Ce n’est pas le Ministère Public qui doit en décider mais le Tribunal. Le Ministère Public aura cependant le droit de discuter, de prétendre que tel témoignage est hors de propos ou cumulatif, que tel document n’est pas recevable. Je dois ajouter que tous ces documents doivent être traduits pour les besoins du Tribunal.
Monsieur le Président, nombreux sont les avocats, et je suis de ceux-là, auxquels il n’a pas encore été donné de pouvoir faire comparaître des témoins capables de leur fournir des informations décisives. Nous ne savons même pas de ce fait quelles sont les preuves que peut apporter un témoin, souvent pour d’importantes questions. Le Ministère Public entre en jeu, avant que nous sachions au juste dans quelle mesure il vaut la peine de soutenir la comparution de tel témoin ou la production de tel document ; nous nous trouvons alors en état d’infériorité par rapport au Ministère Public qui, de son côté, pour répondre aux objections de la Défense, sait de quoi parlera son témoin ou de quoi traitent les documents qu’il déposera.
A ce point de vue, la Défense se trouve foncièrement désavantagée et je suis d’avis que ce désavantage s’accentuerait encore si, outre le Tribunal, le Ministère Public était autorisé à se prononcer présentement contre tel ou tel document.
Il est exact qu’il est impossible de décider de l’admissibilité d’un témoignage ou d’une preuve jusqu’à ce que la véritable question soit posée. C’est pour cette raison que le Tribunal, dans les décisions qu’il a prises provisoirement sur les demandes de comparution de témoins, a jusqu’à présent agi d’une façon très large. S’il se trouve que la déposition d’un témoin a la moindre chance d’être de quelque intérêt, le Tribunal autorisera la convocation de ce témoin ; tout cela, bien entendu, en respectant les prescriptions du Statut, afin d’accélérer le plus possible les débats.
Sous ces conditions, le Tribunal permettra la convocation de n’importe quel témoin dont la déposition peut être intéressante. C’est tout ce que le Tribunal peut faire puisque, comme je viens de le dire, c’est à lui qu’incombe la tâche délicate de s’assurer des témoins de la Défense, qui ne peut s’en assurer elle-même.
Je vous remercie.
Continuons, Docteur Stahmer.
Monsieur le Président, je n’ai pas l’intention de répéter ce que vient de dire le Dr Horn, mais je crois que son intervention n’a pas été très bien comprise. Le Dr Horn voulait seulement se plaindre de ce que la Défense n’ait jamais été consultée à l’avance, qu’on ne lui ait jamais demandé si tel document présenté par le Ministère Public était à son avis recevable ou non. Nous avons toujours été pris au dépourvu.
Le témoin comparaît et toute possibilité nous échappe de pouvoir sur le champ élever quelque objection positive. Pour ce qui est de la critique des documents, ou plus précisément de leur admissibilité, on explique à chaque fois à la Défense que le moment n’est pas encore venu d’élever de telles objections...
Je vous demande pardon, Docteur Stahmer, vous ne m’avez pas compris. On n’a jamais dit à la Défense que ses objections à l’admissibilité de documents seraient remises à plus tard. Toutes les objections à l’admissibilité des documents ont été relevées immédiatement. Les observations relatives à l’importance des documents doivent être faites maintenant, pendant l’exposé de la Défense ; je ne veux pas dire aujourd’hui même, mais pendant l’exposé de la Défense.
Il y a une différence fondamentale entre l’admissibilité d’un document et sa valeur ; toutes les questions d’admissibilité ont été traitées immédiatement.
Oui, Monsieur le Président, je comprends très bien cette différence. Je n’ai pas voulu dire que l’on ne nous avait pas autorisé à critiquer l’admissibilité d’un document. J’ai toujours parlé de la critique de la valeur des documents.
Les objections à la recevabilité des documents, c’est-à-dire leur admissibilité, constituent, aux termes du Statut, un principe fondamental quant à leur admissibilité. S’ils sont pertinents, ils sont admissibles. Voilà ce que dit le Statut, et toutes les objections qui ont été faites par la Défense aux documents ou aux preuves ont été entendues par le Tribunal qui a pris une décision au moment même.
Docteur Stahmer, le Tribunal désire que je signale à la Défense qu’elle a été prévenue depuis longtemps de cette forme de procédure, prévue par l’article 24 d et suivant laquelle le Tribunal demanderait aux avocats de spécifier les noms de leurs témoins et les documents qu’ils ont l’intention de déposer et d’établir quelle est la valeur de ces témoins et de ces documents.
Il semble évident au Tribunal que cette procédure est véritablement nécessaire, si l’on se souvient que c’est au Tribunal qu’il incombe, au prix de grandes difficultés et de dépenses considérables, de trouver ces témoins et de les faire venir à Nuremberg, ainsi que de trouver les documents, si cela est possible, et de les faire venir à Nuremberg.
En ce qui concerne l’objection formulée par le Dr Horn ou vous-même vis-à-vis de la procédure adoptée envers le Ministère Public, la Défense a, à tout moment, la possibilité, si elle le désire, de faire rayer du procès-verbal un document qu’elle considère comme non recevable. Une des objections du Dr Horn, qui semble être également la vôtre, consiste à dire que la Défense n’a pas eu le temps de considérer si tel document ou tel témoin était pertinent, et par conséquent admissible. Vous avez eu assez de temps maintenant pour examiner cette question, et si vous désirez maintenant faire annuler un document ou un témoignage, vous pouvez faire une demande par écrit et le Tribunal la prendra en considération.
Comme je l’ai dit, cette procédure a pour but d’aider les accusés et leurs avocats et c’est une procédure nécessaire, car les accusés ne peuvent naturellement pas, non plus que les avocats, faire venir les témoins à Nuremberg et se procurer certains documents.
Afin que nous puissions le faire en leur nom, il est nécessaire que nous sachions quels témoins ils veulent convoquer et quels documents ils veulent déposer. Afin de ne pas perdre de temps et de ne pas faire de dépenses en pure perte, il est nécessaire de savoir si les témoins ou les documents ont la moindre chance d’être de quelque intérêt.
Je commencerai par désigner les témoins dont nous jugeons la comparution nécessaire. Je nommerai tout d’abord le général d’aviation Karl Bodenschatz.
Docteur Stahmer, le Tribunal ne désire pas que vous lisiez votre requête, mais si vous voulez dire aussi brièvement que possible pour quelles raisons vous voulez convoquer ce témoin, le Tribunal examinera votre demande. Le Ministère Public fera des objections s’il le désire, puis le Tribunal décidera.
Le témoin que je viens de nommer, le général d’aviation Bodenschatz, qui se trouve actuellement en prison à Nuremberg, a été depuis 1933 officier d’État-Major de Göring, puis plus tard chef d’une direction ministérielle. C’est-à-dire qu’il a toujours été en relation avec l’accusé Göring et est, de ce fait, au courant de tous les principaux événements de ce temps. Je l’ai retenu pour témoigner sur une série de faits dont le détail figure dans mon mémoire, en particulier parce qu’il a participé au début d’août 1939 aux entretiens de Soenke-Nissen-Koog où Göring rencontra les parlementaires anglais avec lesquels il essaya de trouver une solution pacifique aux difficultés qui, à cette époque déjà, opposaient l’Allemagne à la Pologne. Il y déclarait aux parlementaires britanniques qu’en aucun cas il ne devait y avoir de guerre, et qu’on devait s’employer par tous les moyens à régler pacifiquement le différend. Il a aussi rapporté des déclarations de Göring, déclarations échelonnées sur plusieurs années, en particulier de 1936 à 1939, et desquelles ressort la volonté de cet accusé d’éviter la guerre dans la mesure du possible. Göring déclarait que la politique allemande ne devait en aucun cas conduire à la guerre. De plus, ce témoin peut encore nous renseigner sur le comportement de Göring quand celui-ci entendit pour la première fois Hitler parler d’attaquer la Russie. En outre, il est au courant des idées sociales de Göring, idées qu’il eut la possibilité d’étudier très à fond dès 1939.
Voici, grossièrement tracés, les faits dont Bodenschatz peut témoigner.
Plaise au Tribunal. Puis-je faire une déclaration générale sur la procédure du Ministère Public ? Mes collègues de toutes les délégations m’ont demandé de parler de ces demandes particulières. Il y en a certaines sur lesquelles, si le Tribunal le permet, mes collègues désirent ajouter un mot car elles présentent un intérêt spécial pour eux, mais c’est moi qui, au nom du Ministère Public, traiterai d’une manière générale de ces requêtes. Le Ministère Public a procédé suivant ce principe que, s’il y a la moindre apparence de recevabilité dans la déposition d’un témoin qui a été convoqué, il n’y verra bien entendu aucune objection. Mais il désire déclarer nettement, comme le Tribunal le comprendra, qu’en ne faisant pas d’objections, il n’accepte pas pour autant, comme étant recevables, tous les points établis dans le document ou mentionnés par les avocats. En ne faisant pas d’objections, elle admet simplement qu’il y a un point recevable dans le document exposé. Ceci étant dit — et le Tribunal comprendra pourquoi je dois être prudent dans cette matière — le Ministère Public ne fait pas d’objections au témoignage du général Bodenschatz.
Je désire ensuite citer comme témoin un ancien Gauleiter, le Dr Uiberreither, qui se trouve actuellement en prison à Nuremberg. Il peut déposer sur les faits suivants : il peut donner des précisions sur une allocution...
Sir David, peut-être, étant donné ce que vous venez de dire, pourriez-vous indiquer dès le début de l’exposé de la requête du Dr Stahmer, si le Ministère Public formule des objections ; cela permettra peut-être d’aller plus rapidement ?
Je puis déclarer que nous n’avons pas d’objections à la déposition du Dr Ulberreither, sur la base des principes que je viens d’appliquer.
Je voulais simplement dire que si le Ministère Public indique qu’il n’a pas d’objections à faire contre un témoin, le Dr Stahmer pourra traiter plus brièvement de ce témoin.
Bien entendu.
Voulez-vous nous informer simplement de l’importance du témoignage, mais brièvement, puisque le Ministère Public n’a pas d’objections.
Bien.
Dans le cas particulier de ce témoin, ne conviendrait-il pas à la Défense, pour abréger, de déposer ce témoignage au moyen d’un affidavit ou d’un interrogatoire ?
Pour ce qui est du témoin Ulberreither, je n’y vois aucun inconvénient, pourvu que j’aie la possibilité d’obtenir la déclaration du témoin en personne.
Avant de passer au témoin suivant, pouvez-vous nous indiquer la substance de ce témoignage ?
Ulberreither était présent lorsque Göring, au cours de l’été 1938, fit devant les nouveaux Gauleiter d’Autriche son discours sur la politique du Reich, où il expliquait les buts du Plan de quatre ans. En outre, il était présent lorsque Göring peu après le 10 novembre 1938, c’est-à-dire peu après les démonstrations contre les Juifs, convoqua les Gauleiter à Berlin et critiqua devant eux ces procédés. Ce sont les deux principaux aspects de son témoignage.
Très bien. Nous pouvons donc passer au troisième témoin.
Il s’agit de Lord Halifax. Je ferai remarquer à son sujet...
Puis-je indiquer que des questionnaires ont été adressés à Lord Halifax et qu’il y a donné une réponse. Le Ministère Public n’émet pas d’objections à son témoignage par ce moyen. Bien entendu, il s’oppose à sa venue, mais nous comprenons que le Tribunal et le Dr Stahmer sont d’accord pour que Lord Halifax témoigne par questionnaire et nous n’élevons pas d’objections.
Très bien.
Je me contente des réponses à mon questionnaire et je ne réclamerai pas la comparution de ce témoin.
Le témoin suivant s’appelle Forbes. Je dois remarquer qu’il m’a déjà été permis de lui faire parvenir un questionnaire. Autant que je le sache, ce questionnaire a été envoyé. Il n’a pas cependant encore reçu de réponse.
Nous n’avons pas d’objections à élever contre le témoignage de Sir George Ogilvie-Forbes. Nous veillerons à ce que les réponses arrivent le plus tôt possible, mais Sir George est je crois, sans pouvoir l’affirmer, dans une capitale étrangère, et nous ferons tout notre possible pour que les réponses parviennent rapidement et pour faciliter les choses.
Je ne sais pas encore si je peux définitivement renoncer à ce témoin. Je ne pourrai m’en rendre compte que lorsque le questionnaire me sera remis. Il se peut, en effet, que ses réponses à certaines questions soient insuffisantes.
Voulez-vous parler de Dahlerus ou de Sir George Ogilvie-Forbes ?
Forbes.
Les questionnaires vous seront remis dès qu’ils auront reçu une réponse.
Bien, Monsieur le Président.
Je crois que cela est également valable pour Dahlerus. L’envoi de questionnaires a été accordé.
Je dois faire remarquer ce qui suit sur les déclarations de Dahlerus. Les déclarations de ce témoin me paraissent d’une telle importance qu’il ne pourrait tout dire dans un questionnaire. C’est pourquoi je demande qu’on fasse le nécessaire pour que ce témoin puisse être entendu ici. Si la chose n’était pas possible, je vous prierais de m’accorder la possibilité de l’entendre moi-même à Stockholm. Le Dr Siemers connaît personnellement M. Dahlerus et il va faire une déclaration à son sujet.
Je connais personnellement le témoin depuis de longues années. M. Dahlerus m’a écrit que le Dr Stahmer envisageait de l’entendre comme témoin. M. Dahlerus ne voit aucun inconvénient à venir à Nuremberg si le Tribunal le juge nécessaire. Dès que le Tribunal se sera déclaré d’accord, M. Dahlerus, d’après ce qu’il m’a écrit, pourra immédiatement venir ici. Permettez-moi, de plus, une question de principe. Lorsque des témoins importants, M. Dahlerus par exemple, sont appelés à répondre à des questions d’un intérêt historique très prononcé, il est probable que plusieurs avocats désireraient l’interroger, la question étant très vaste. De ce fait, le seul questionnaire du Dr Stahmer ne saurait, à mon avis, suffire en pareil cas. C’est pourquoi, partant de ce point de vue, je demande la citation du témoin.
Plaise au Tribunal. En ce qui concerne le témoin Dahlerus, le Dr Stahmer a établi un questionnaire comportant 62 questions. Je n’ai rien à dire là-contre, mais je le fais remarquer au Tribunal pour montrer que le Dr Stahmer a certainement épuisé toutes les questions.
Si le Tribunal veut se référer un moment à la demande de documents du Dr Stahmer, il verra que l’article 26 est le livre de Dahlerus, — le Tribunal voudra bien excuser ma mauvaise prononciation du suédois — Sista Forsoket (La dernière tentative) . C’est un livre assez long qui traite en détail de ce point, et le Tribunal a autorisé le Dr Stahmer à l’utiliser.
En outre, la proposition de M. Dahlerus a fait l’objet de questionnaires adressés à Lord Halifax, qui était alors ministre des Affaires étrangères, et à Sir George Ogilvie-Forbes, alors conseiller à Berlin. Sur les points les plus importants, notamment en ce qui concerne certaines conversations et certaines négociations, il n’y a pas de contestation possible.
A mon avis, il semble que la Défense dispose d’un matériel suffisant avec ce questionnaire, ceux adressés à Lord Halifax et à Sir George Ogilvie-Forbes, le livre et le témoignage de l’accusé Göring lui-même. Il n’est donc pas nécessaire de discuter plus longuement pour savoir si M. Dahlerus désire, peut ou doit revenir de Suède.
Sir David, puis-je vous demander si le Ministère Public a adressé à Dahlerus des questionnaires contradictoires ?
Non.
Une autre question : l’avocat de l’accusé Raeder a-t-il demandé que Dahlerus soit entendu comme témoin ?
Non, la seule autre demande dont j’ai connaissance a été faite par l’avocat de l’accusé Ribbentrop, sur un point particulier.
Avant que le Tribunal prenne une décision au sujet du témoin Dahlerus, je désirerais lui faire savoir que j’ai demandé la comparution de ce témoin pour l’accusé Ribbentrop. Le témoin Dahlerus a, dans les heures qui ont précédé la déclaration de guerre en 1939, joué un rôle décisif. Le témoin Dahlerus peut, en particulier, fournir un témoignage précieux sur le dernier document qui contenait les conditions de négociations ultérieures avec la Pologne. Ce document est à l’origine de la seconde guerre mondiale. Je crois que ce serait là une raison suffisante pour que le témoin Dahlerus soit entendu ici, d’autant plus que le Dr Siemers sait, comme il l’a déclaré, que le témoin Dahlerus est prêt, de sa propre initiative, à venir à Nuremberg.
Puis-je, étant donné l’importance que présente pour moi cette demande de comparution, ajouter encore quelque chose ? J’ai bien adressé à Dahlerus un questionnaire comportant 52 questions, mais je ne crois pas que ces questions épuisent le sujet. Il est en effet, comme je l’ai déjà fait remarquer, impossible de résumer tout ce que connaît le témoin en une série de questions qui puissent donner au Tribunal une idée complète de l’activité considérable qu’a déployée Dahlerus à cette époque, aussi bien dans l’intérêt de l’Angleterre que dans celui de l’Allemagne.
Très bien, le Tribunal considérera la question.
Après ce témoin, je nommerai le baron von Hammerstein, juge suprême à l’État-Major de la Luftwaffe, qui est en ce moment prisonnier de guerre des Anglais ou des Américains.
En ce qui concerne le Dr von Hammerstein, le Tribunal a autorisé l’envoi d’un questionnaire le 9 février ; le Dr Stahmer n’a pas encore déposé le questionnaire et le témoin n’a pas encore pu être atteint. Je n’ai pas d’objections contre ces questionnaires. Il semble que ce soit là exactement le type de témoin pour lequel les questionnaires se révèlent utiles. Il avait, autant que je comprenne, une fonction équivalente à celle de notre Judge Advocate General of the Air Force, et le Ministère Public n’a aucune objection à formuler contre le questionnaire demandé. S’il est possible de l’atteindre, le Dr Stahmer pourra lui adresser un questionnaire dès qu’il voudra.
Autant que je le sache, je n’ai pas encore reçu l’avis m’autorisant à lui faire parvenir un questionnaire. D’ailleurs, j’aimerais que Hammerstein vienne témoigner ici.
Vous devez faire une erreur à ce sujet, Docteur Stahmer, car d’après nos documents, le droit d’adresser un questionnaire a été accordé le 9 février.
Je ne peux pas le vérifier sur-le-champ, je le ferai plus tard. De toutes façons, je formule une requête. Hammerstein connaît les opinions de l’accusé depuis de nombreuses années, et cela sur des questions de grosse importance pour notre information personnelle : les opinions de l’accusé en matière de droit et sur le traitement à appliquer à la population des territoires occupés et aux prisonniers de guerre. A mon avis, il serait décisif que le témoin puisse exposer en détail ces faits au Tribunal, ce qui est impossible au moyen d’un questionnaire.
On me dit à l’instant que les questionnaires ont été envoyés et sont arrivés au secrétariat du Tribunal il y a un ou deux jours. Je n’ai par ailleurs rien à ajouter à ma précédente déclaration.
Oui, je crois que c’est exact.
Oui, Docteur Stahmer, le témoin suivant.
Il s’agit de Wemer von Brauchitsch junior, colonel de la Luftwaffe, fils du général von Brauchitsch, qui se trouve actuellement à la prison de Nuremberg.
Nous n’avons pas d’objection contre le colonel von Brauchitsch.
Ce témoin précisera la position prise par l’accusé dans la question du lynchage des aviateurs « terroristes » et sa conduite vis-à-vis des aviateurs ennemis en général.
Le témoin suivant est le général d’aviation Kammhuber qui se trouve actuellement prisonnier des Anglais ou des Américains.
En ce qui concerne le général Kammhuber. l’envoi d’un questionnaire a également été autorisé le 9 février de cette année. Le Dr Stahmer ne l’a pas encore envoyé autant que je sache. Ce témoin, lui non plus, n’a pas encore pu être atteint. Nous n’avons pas d’objection contre ce questionnaire et lorsqu’on le recevra, le Dr Stahmer pourra probablement décider s’il est nécessaire de faire venir ce témoin.
Je rappelle au Tribunal que ce projet a été présenté sous toute réserve par le colonel Griffith-Jones et c’est pourquoi je considère que cette question devrait être éclaircie au moyen d’un questionnaire.
Sir David, ne pensez-vous pas que nous pourrions faire une déclaration à ce sujet ?
Si nous connaissions le résultat des questionnaires, nous pourrions considérer la question. Le Tribunal se souviendra peut-être qu’il existait un plan des commandos de la Luftwaffe à Varsovie et dans d’autres régions hors d’Allemagne, et le colonel Griffith-Jones, en traitant de cette question, n’a pas déclaré positivement que ce plan avait été soumis à l’accusé Göring. Si donc nous avons une déclaration, nous serions prêts à l’examiner et à nous mettre d’accord sur ce point.
Oui, Docteur Stahmer.
Le général d’aviation Koller, actuellement dans un camp de prisonniers américain.
Le Ministère Public ne soulève pas d’objection contre le général Koller. Le Tribunal a ordonné, le 26 janvier, qu’il soit avisé. Il n’a pas encore été possible de l’atteindre, mais si on le trouve, les questions suggérées sont recevables, de l’avis du Ministère Public.
Général Student, actuellement dans un camp de prisonniers britannique.
Le Ministère Public n’élève pas d’objection à la convocation de ce témoin, mais si Votre Honneur le permet, je n’ai pas encore vu cette question avec mes collègues français. Autant que je sache, il n’y a pas d’objection, mais je voudrais me mettre d’accord avec eux.
Le Feldmarschall Kesselring, qui se trouve actuellement en prison à Nuremberg.
La question est la même pour ce témoin. La position du Ministère Public est la même que pour le témoin précédent.
Nous aimerions entendre quelques explications de votre part, Docteur Stahmer, sur la valeur du témoignage du maréchal Kesselring.
Je considère comme importants les faits dont il a connaissance. En effet, le Ministère Public a affirmé que Rotterdam avait été attaquée sans nécessité militaire et que, de plus, l’attaque était advenue à un moment où des négociations étaient déjà entamées pour la capitulation de la ville.
Vous ne dites pas où se trouve le général Student. Mais le général Student et le maréchal Kesselring doivent, si je comprends bien, témoigner exactement sur les mêmes faits. Par conséquent, si le maréchal Kesselring doit comparaître, ne serait-il pas suffisant d’adresser un questionnaire au général Student ou de lui demander un affidavit ?
Je suis d’accord.
Je suis également d’accord, Monsieur le Président.
Le Dr von Ondarza, médecin-chef de la Luftwaffe, dont le lieu de résidence ne m’est pas connu. Cependant, il a sans doute été libéré et est vraisemblablement retourné à Hambourg où il habite.
En ce qui concerne les deux témoins suivants, leurs témoignages porteront vraisemblablement sur le même point. Si j’ai bien compris — mon exemplaire est très mauvais — je crois pouvoir lire que l’accusé n’était pas informé des expériences faites par deux médecins, le premier doit être le Dr Rascher et le second le Dr Romberg, sur les détenus de Dachau et d’autres camps, que l’accusé lui-même n’avait jamais pris de dispositions d’aucune sorte pour faire faire des expériences sur des prisonniers ; que le général Milch (paragraphe A) a déclaré que l’accusé n’avait pas été informé des lettres qu’il avait échangées avec Wolff sur les expériences faites par le Dr Rascher à Dachau sur les détenus ; que le témoin n’avait même pas renseigné l’accusé à ce sujet et que le Dr Rascher, étant donné ses activités à Dachau, avait quitté la Luftwaffe et était entré dans les SS comme chirurgien. Un témoignage précis sur ce point serait d’importance. Nous n’avons pas d’objection à la comparution de ce témoin.
En ce qui concerne le premier témoin, le Dr von Ondarza, il n’a pas encore pu être atteint, bien que le Tribunal ait ordonné, dès le 26 janvier, qu’il soit avisé. Le maréchal Milch est ici en prison. Étant donné ces circonstances, nous ne voyons pas d’objection à convoquer le général Milch pour qu’il dépose sur ce point. Si l’on peut atteindre le chirurgien von Ondarza, je serais d’accord pour qu’on lui envoie un questionnaire, mais je ne crois pas...
Seriez-vous d’accord, Docteur Stahmer, si nous vous accordions la comparution du maréchal Milch et que nous procédions au moyen d’un questionnaire pour l’autre témoin dès qu’il aura pu être localisé ?
J’ai également étudié la question de savoir si ces témoignages étaient cumulatifs. Ce n’est pas le cas. La déposition que doit faire Milch est toute différente. L’accusé Göring attache une grande importance à la déposition d’Ondarza parce que le Dr Ondarza a été son médecin et sait exactement de quoi il est question. En outre, il doit indiquer que Göring n’a aucunement eu connaissance des expériences faites sur cinq cents cerveaux. Ces faits ne se trouvent pas dans ma requête, je viens seulement de les apprendre. Un long procès-verbal a été établi par le Ministère Public au sujet de ces cinq cents cerveaux. J’ai élevé des objections à ce moment-là, objections auxquelles il me fut répondu que l’on reviendrait en temps utile sur la question.
Le Tribunal prendra ceci en considération ; vous pouvez maintenant passer à Kömer.
Le secrétaire d’État Paul Kömer, qui se trouve actuellement à la prison de Nuremberg.
Le Ministère Public n’élève pas d’objections.
Docteur Stahmer, sur notre document, il apparaît que le témoin Kömer n’a pas été localisé et, dans votre requête, vous dites qu’il est à la prison de Nuremberg.
J’ai reçu de nouveaux renseignements. Je ne pourrais pas dire présentement par qui ils me furent communiqués.
Je crains de ne pas le savoir, mais je pourrai facilement le faire savoir au Tribunal. Je demanderai une vérification.
Si vous voulez bien.
On vient de me donner la liste des internés à la date du 19 février ; il ne semble pas figurer sur cette liste.
A la prison de Nuremberg ?
Oui.
C’est l’information que j’avais reçue.
Oui.
Bien. Docteur Stahmer, pouvez-vous continuer sur ce témoignage ?
Kömer devint, en 1933, secrétaire d’État. Il peut indiquer les buts poursuivis en 1933 en instituant les camps de concentration, nous renseigner sur le traitement des détenus et témoigner que l’accusé Göring n’en eut le commandement que jusqu’en 1934. En outre, il peut nous renseigner sur le but du Plan de quatre ans, sur les mesures et ordonnances prises, et également sur la réaction de l’accusé lorsqu’en 1938 il eut connaissance des manifestations antisémites.
Très bien, le Tribunal prendra ceci en considération.
Le Dr Lohse. Il s’agit d’un spécialiste de l’histoire de l’art et il se trouve dans un camp américain ou anglais.
D’après les renseignements que j’ai reçus, l’envoi d’un questionnaire a été autorisé le 9 février. Il n’a pas encore été soumis et le témoin n’a pas encore été localisé. Je n’ai pas d’objection à ce que des questionnaires soient adressés au Dr Lohse ou au témoin suivant, le Dr Bunjes, qui doit traiter des mêmes questions.
Les dépositions du témoin Lohse me paraissent d’une telle importance par rapport aux accusations très graves dont est l’objet l’accusé, que je demande au Tribunal de bien vouloir l’entendre comme témoin. Les preuves à produire sont courtes. Il doit témoigner sur l’attitude et le véritable comportement de l’accusé lors des acquisitions d’œuvres d’art qu’il fit dans les territoires occupés. La déposition sera courte, mais est d’importance si l’on veut juger clairement l’accusé. L’accusation portée par le Ministère Public à ce sujet est en effet extrêmement sérieuse.
Vous parlez du Dr Bunjes ?
Non, toujours de Lohse.
Plaise au Tribunal, les questionnaires constituent apparemment une méthode commode pour le Tribunal, et le Ministère Public propose respectueusement que nous examinions les réponses de Lohse aux questionnaires, après quoi le Dr Stahmer fera, si c’est nécessaire, une nouvelle requête.
Oui. Avez-vous quelque chose à dire à propos du Dr Bunjes ?
Le Dr Bunjes est également un spécialiste de l’histoire de l’art.
Son cas, Monsieur le Président, semble être exactement le même que celui du Dr Lohse et je ne pense pas avoir besoin de répéter ce que je viens de dire.
Est-il possible de l’atteindre ? Je ne sais pas où il se trouve.
Je crois que c’est la première mention du Dr Bun j es et nous ne savons pas encore s’il est possible de le trouver.
Peut-être le Dr Stahmer le sait-il ?
On me communique à l’instant que le Dr Lohse se trouve dans un camp à Hersbruck, aux environs de Nuremberg.
Je vais faire faire une enquête à ce sujet.
Quant au Dr Bunjes, savez-vous où il se trouve ?
Non. Il habite à Trèves, mais je ne sais pas s’il y est actuellement.
Bon, ceci termine-t-il votre liste de témoins ?
Oui.
Sont-ce là tous les témoins que vous aviez l’intention de faire convoquer ?
Oui.
Autant que vous puissiez le savoir, est-ce là votre liste définitive ?
Je ne peux pas prévoir, puisque le Ministère Public n’a pas encore terminé son exposé, dans quelle mesure j’aurai à formuler de nouvelles demandes.
Avant d’examiner vos documents, le Tribunal suspendra l’audience.
Peut-être pourrions-nous considérer les documents tous ensemble ? Avez-vous quelque chose à dire à ce propos ?
Monsieur le Président, puis-je encore faire une déclaration au sujet des témoins Koller et Kömer. Je viens d’apprendre que Koller avait été chef d’État-Major général de la Luftwaffe, et Kömer officier d’État-Major de grade inférieur. Tous deux ont été interrogés à plusieurs reprises par les autorités occupantes. Cette remarque facilitera peut-être la découverte de ces témoins.
J’en prends note et nous ferons naturellement de notre mieux pour aider à les retrouver.
Quels sont ces deux témoins ?
Koller et Kömer, Je ne fais aucune objection pour ces deux témoins.
Très bien.
Il serait peut-être opportun, s’il plaît au Tribunal, que j’explique la position générale du Ministère Public vis-à-vis des documents, après quoi le Dr Stahmer pourrait faire sa déclaration. Ces documents appartiennent à certaines catégories que je puis indiquer brièvement. Il y a là trois documents qui n’ont pas été déposés comme preuves, mais contre lesquels je n’élève pas d’objection : c’est le n° 19, l’accord naval anglo-allemand. C’est un traité et le Tribunal peut lui accorder valeur probatoire.
Oui.
Puis, la Constitution allemande, la constitution de Weimar du 11 août 1919 et, de nouveau, je prie le Tribunal de lui accorder valeur probatoire.
Certainement.
Le n° 30, le discours de Hitler du 21 mai 1935.
Oui.
Puis une série de documents qui, autant que je sache, ont été déposés. N° 4, le pacte rhénan de Locarno ; n° 5, le mémorandum aux Puissances de Locarno, du 25 mai 1935 ; n° 6, mémorandum aux Puissances de Locarno, du 7 mars 1936 ; n° 9, le Traité de Versailles ; n° 17, le discours de l’accusé von Neurath, du 16 octobre 1933 ; n° 18, la proclamation du Gouvernement du Reich, du 16 mars 1935 ; puis le n° 7, qui a été mentionné mais qui n’a pas été lu : c’est le discours de Ribbentrop à la Société des Nations du 19 mars 1936 ; tous ces documents ont été déposés ou mentionnés et nous n’élevons donc aucune objection en ce qui les concerne.
Puis nous avons une série de livres ; le Dr Stahmer n’a pour le moment pas donné d’autres indications : n° 1, le livre de Lord Rothermere, Avertissements et Prophéties ; n° 2, le livre de Sir Nevile Henderson, L’échec d’une mission ; n° 3, références à un certain nombre d’années de la publication Dokumente der Deutschen Politik.
Certains de ces documents semblent être cités à nouveau parmi ceux qui suivent. Les numéros 6 et 7, par exemple, ne sont-ils pas extraits des volumes des Dokumente der Deutschen Politik ?
Oui en effet, Monsieur le Président. Si vous le permettez, je vais vous indiquer les autres, afin que vous ayez connaissance de tout le groupe. N° 8, le livre de M. Fay Origine de la guerre mondiale, sur la première guerre mondiale ; n° 20, le livre de M. Winston Churchill Pas a Pas ; n° 24, le livre de l’accusé Göring La construction d’une nation ; n° 26 — que j’ai déjà mentionné — le livre de M. Dahlerus La dernière tentative.
En ce qui concerne ces livres, j’aimerais faire ressortir les deux points suivants : d’abord, il est matériellement impossible de traduire intégralement ces livres en russe et en français. Je crois que la plupart le sont déjà en anglais ; d’autre part, il ne peut être décidé de l’admissibilité de ces livres avant que nous ayons connaissance de l’extrait que le Dr Stahmer compte utiliser. Aussi le Ministère Public propose-t-il que le Dr Stahmer nous fasse connaître le plus tôt possible les extraits sur lesquels il s’appuiera pour qu’ils puissent être traduits et que nous puissions décider s’ils sont recevables ou non.
La quatrième catégorie de livres comprend, soit ceux dont l’édition n’est pas précisée, soit ceux qui sont manifestement sans intérêt pour nous. L’un de ceux que je viens de mentionner entre dans cette catégorie ; c’est le n° 8, L’origine de la première guerre mondiale de Fay ; n° 10, discours du Président Wilson, du 8 janvier 1918 : c’est le discours sur les 14 points ; n° 11, la note du Président Wilson, du 5 novembre 1918, qui est la note sur l’armistice ; n° 12, discours de M. Paul Boncour, du 8 avril 1927 ; n° 13, discours du général Bliss à Philadelphie, qui date d’avant 1921, car il est cité dans Ce qui s’est réellement passé à Paris, publié en 1921, n° 14, un discours de Lord Lloyd George, du 7 novembre 1927 ; n° 15, un article de Lord Cecil, du 1er mars 1924 et un autre du 18 novembre 1926 ; n° 16, mémorandum de Lord Lloyd George pour la Conférence de la Paix, du 25 mars 1919.
Puis-je m’arrêter un moment ici ? Autant que le Ministère Public puisse en juger, le seul intérêt qu’on reconnaisse à ces livres et documents est de discuter si le Traité de Versailles était d’accord avec les 14 points du Président Wilson et le Ministère Public estime que ce point est absolument étranger aux débats de ce Procès ; c’est justement une des matières contre lesquelles tout l’esprit du Statut met en garde et dont il ne doit pas être question au cours de ce Procès. Il se peut que j’aie tort, mais il me paraît difficile, en considérant l’ensemble de ces documents, de supposer qu’on puisse en donner une autre interprétation ; cela est néanmoins possible et le Dr Stahmer pourrait peut-être indiquer clairement quel en est le but et quand les documents sont trop longs, à quels extraits il se réfère. Mais si le but poursuivi est celui que j’ai indiqué, le Ministère Public, — et je parle au nom de tous mes collègues — déclare que cette question est absolument étrangère aux débats.
Je m’excuse, j’aurais dû comprendre dans la même catégorie les n05 21 et 22 qui sont deux lettres du général Smuts, datées de 1919 ; elles devraient être ajoutées à ces documents.
J’ai déjà parlé du n° 20, le livre de M. Churchill. Mise à part la question des extraits, l’Accusation demande que soit établi clairement le but poursuivi en citant ce livre.
Le n° 23 est une lettre de M. Tchitcherine, commissaire aux Affaires étrangères de l’URSS, au professeur Ludwig Stein.
Là encore, le Ministère Public n’a pas la moindre idée du but poursuivi par la déposition de cette lettre.
Pour le livre de l’accusé Göring dont j’ai déjà parlé, je demande qu’on nous en communique les extraits. Le n° 28, le livre du général Fuller sur la Guerre totale ou plutôt un essai sur la « guerre totale ». Là encore, le Ministère Public ne sait pas dans quel but il est présenté.
Dans la cinquième catégorie, le n° 27, constitué par les « Livres blancs » du ministère des Affaires étrangères du Reich.
J’attire l’attention du Tribunal sur le n° 4, document sur la politique anglo-française d’extension de la guerre ; sur le n° 5, autre document sur la politique d’extension de la guerre des puissances occidentales ; le n° 6, dossiers secrets de l’État-Major français ; le n° 29, la documentation et les rapports du ministère des Affaires étrangères allemand relatifs aux violations des conventions de La Haye sur la guerre sur terre et les crimes contre l’Humanité commis par les Puissances en guerre avec le Reich ; ces documents semblent devoir étayer l’argument « tu quoque » : si le Reich a enfreint la loi et les usages de la guerre, d’autres peuples en ont fait autant. De l’avis du Ministère Public, ces documents ne sont pas recevables. Ces règles ont été établies par les accords et ce n’est pas là un argument, quand bien même de telles violations auraient été commises.
D’autre part, il serait tout à fait impraticable et inadmissible que le Tribunal fût astreint à enquêter sur toutes les allégations, si peu fondées fussent-elles, suivant lesquelles la partie adverse n’aurait pas tenu ses engagements.
Le Ministère Public soutient — et là encore je parle au nom de tous mes collègues — que cette question est absolument hors de propos ; c’est pourquoi nous nous opposons à l’examen des moyens de preuve, qu’ils soient oraux ou documentaires, relatifs à ces questions. Bien entendu, nous avons toujours pensé qu’il n’y avait aucun inconvénient à ce que la Défense puisse consulter ces documents afin de se rafraîchir la mémoire, mais nous nous opposons à leur présentation comme preuves, pour les raisons que j’ai données.
Oui, Docteur Stahmer. Peut-être pourriez-vous nous dire, en ce qui concerne les livres, si vous êtes d’accord pour indiquer les passages auxquels vous voulez vous référer ? Vous ne pouvez pas attendre du Ministère Public ou du Tribunal qu’ils fassent traduire ces livres entièrement.
Ce n’était pas non plus mon intention et, à ce que je sache, j’ai placé en tête de ma liste de documents une série de remarques ; au paragraphe n° 2, je me déclare prêt à préciser les citations que je désire faire. Sur ce point, la critique va évidemment de soi.
Je comprends, très bien.
Le Ministère Public a soulevé un autre point, à savoir : les livres mentionnés par moi et qui se réfèrent au Traité de Versailles. Dans ce cas encore, je compte indiquer, de façon précise, quels extraits de mes livres je citerai. En principe, la Défense doit avoir le droit de prendre position à ce sujet, puisque après tout...
Docteur Stahmer, vous pourrez, si vous le désirez, commenter tous les livres mentionnés par Sir David et auxquels le Tribunal accordera une valeur probatoire, de même que tout document auquel le Tribunal accorde une valeur probatoire.
Je croyais que vous parliez du Traité de Versailles.
Non, je parlais d’ouvrages relatifs au Traité de Versailles.
Vous parlez des documents dont Sir David a donné les numéros : documents 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 21 et 22 ?
Oui.
Très bien.
Comme l’Accusation reproche en particulier aux accusés d’avoir violé le Traité de Versailles, la Défense se voit naturellement dans l’obligation de se prononcer sur la question :
le Traité de Versailles a-t-il réellement été violé et dans quelle mesure ? Dans quelle mesure était-il encore valable ? A ce point de vue, les livres et traités qui se rapportent à ces questions sont d’importance. Je pense que l’on ne pourra comprendre parfaitement le détail de ces questions que lorsque j’aurai présenté ces extraits. Je serai en mesure de le faire avant que la présentation des preuves soit commencée ; jusqu’à présent, il m’a été impossible d’effectuer le travail.
Ne confondez-vous pas la question de validité avec la question de droit ?
Non, Monsieur le Président.
Continuez.
Je suis d’avis que dans cet ordre d’idées la Défense peut aussi, et à bon droit, se prévaloir des « Livres blancs » car le contenu de ces livres est de très grande importance pour tout ce qui touche la « guerre d’agression ». Sur ce point, il est donc important de se reporter à ces livres. Dans ce cas encore, on ne pourra vraiment se prononcer que lorsque auront été présentés des extraits de ces livres. D’autre part, j’ai demandé à déposer des rapports relatifs aux violations de la Convention de La Haye. Je ne pense pas que cette requête puisse être rejetée sous prétexte, par exemple, que le Procès n’a pas pour but d’établir si d’autres ont eux aussi violé les traités. A mon avis, cette constatation serait néanmoins d’importance et cela pour deux raisons : tout d’abord, le jugement rendu ne sera équitable que s’il est établi que le comportement des adversaires a été au-dessus de tout soupçon. D’autre part, il se pourrait, dans le cas contraire, que les accusés aient alors agi par représailles.
Je crois que vous avez parlé des différents points, à l’exception des n° 20, 23 et 28 ; le n° 20 est le livre de M. Winston Churchill ; le n° 23 est le livre de Tchitcherine et le 28 celui du général Fuller ; examinons-les.
N° 20, le livre de Churchill Step by Step (Pas à pas) dans lequel Churchill pose la question suivante : l’Angleterre, concluant la convention navale de 1935, n’aurait-elle pas implicitement encouragé l’Allemagne à ne pas tenir compte du Traité de Versailles ? De plus, ce livre est d’importance pour moi parce que, autant que je puisse en juger, il permet d’évaluer l’étendue du réarmement anglais. Enfin, à plusieurs reprises, ce livre se prononce sur la personnalité de Hitler.
Je ferai remarquer très respectueusement au Dr Stahmer qu’il n’a fait que renforcer mon opinion ; quand le Dr Stahmer déclare que, pour parvenir à un jugement équitable du Tribunal en la matière, il serait nécessaire d’enquêter pour savoir si d’autres belligérants ont commis des violations de conventions, je ne peux que m’y opposer formellement. Je ne dirai rien de plus à ce sujet. En ce qui concerne M. Churchill, le Dr Stahmer a avancé trois points. D’abord le fait que certains passages du livre donneraient corps à l’opinion suivant laquelle l’accord naval affectait la validité du Traité de Versailles. Il y a, sur ce point, de nombreuses réponses à faire et en particulier que le fait que la France était une des parties de ce traité et que les États-Unis étaient partie à un traité semblable. Mais il est clair que les vues exprimées par M. Churchill dans ce livre, touchant les conséquences légales de tel ou tel traité, sont absolument étrangères aux débats. Il en est de même pour le réarmement anglais et la personnalité de M. Churchill lui-même. Je ferai respectueusement remarquer, sans entrer dans les détails, que le Dr Stahmer a, par ses exemples, confirmé l’argument selon lequel ces questions ne doivent pas être soulevées devant le Tribunal. Je ne désire pas en dire davantage.
Docteur Stahmer, le Tribunal aimerait savoir si vous désirez abandonner cette question ou si vous avez quelque chose à dire sur les observations de Sir David Maxwell-Fyfe à propos du livre de M. Churchill. Si vous le désirez, faites-le maintenant. Mais ensuite, et avant que vous ne terminiez, le Tribunal aimerait entendre ce que vous avez à dire sur les documents 8 à 22, au point de vue de leur importance pour les débats. Ainsi, les documents 10 et 11, les notes et discours du président Wilson, comment ces documents peuvent-ils avoir un rapport quelconque avec ce Procès ou même avec la validité du Traité de Versailles ? Mais faites votre exposé dans l’ordre qui vous conviendra.
Ces discours sont à l’origine du Traité de Versailles et, par là même, importants pour son interprétation. Il faut donc s’y reporter avant de prononcer sur le contenu du Traité, avant de décider si l’Allemagne était ou non dans son droit en le dénonçant, c’est-à-dire si l’Allemagne a violé ce traité ou si elle avait le droit de s’en libérer.
Est-ce tout ce que vous voulez dire à ce sujet ?
Oui.
Très bien. Avez-vous quelque chose à dire sur les n° 20, 23 ou 28 ?
J’ai déjà déclaré tout à l’heure ce que j’avais à dire sur le n° 20. Le n° 23 a trait aux mêmes questions, interprétation et contenu du traité.
La déclaration du ministère des Affaires étrangères de l’URSS en 1924. Bien. Vous dites qu’elle est d’importance pour l’interprétation du Traité de Versailles. Et le livre du général Fuller ?
Le général Fuller traite également, dans son exposé, de la personnalité de Hitler et du réarmement.
Bon. Ceci termine les documents.
Le Tribunal prendra une décision au sujet de vos témoins et de vos documents. Vous n’avez plus rien à dire à ce sujet ?
Non.
Je vous écoute, Docteur Exner.
Plaise au Tribunal. Je me permettrai d’ajouter quelque chose. En effet, je cours le danger de me voir refuser des documents décisifs pour mon client. Il s’agit de documents destinés à prouver que la partie adverse a, elle aussi, commis des crimes de guerre, elle aussi violé le droit des gens. Or, le représentant du Ministère Public a déclaré que cette question était étrangère aux débats en cours. Il n’est évidemment pas dans les intentions de la Défense de mettre le Ministère Public au rang des accusés. Cependant, cette question ne peut pas ne pas être abordée. En effet, il s’agit bien là de la question des représailles en Droit international. En matière de représailles, une action se justifie qui, en d’autres circonstances, contreviendrait au droit. Et il y a représailles lorsqu’une action est entreprise en réponse à une violation du Droit international par l’adversaire. Donc, pour pouvoir invoquer les représailles, et justifier ainsi son propre comportement, il faut d’abord démontrer que l’adversaire a violé le Droit international.
En second lieu, et ce point est d’importance, il est bien connu que cette guerre fut au début relativement humaine et...
Veuillez me pardonner, Docteur Exner, mais l’argument que vous nous présentez a déjà été complètement exposé par le Dr Stahmer. Il sera pris en considération par le Tribunal.
Veuillez continuer, Docteur Exner.
En second lieu, il est bien connu que cette guerre fut au début conduite conformément au droit des gens et avec humanité. Cependant, par la suite, l’exaspération des combattants devint telle qu’il se produisit des deux côtés des faits vraiment contraires au droit des gens. A mon avis, le mobile d’un acte répréhensible, quel qu’il soit, doit conditionner le jugement rendu. Lorsqu’on ne connaît pas le mobile d’un acte, on ne peut le juger équitablement. Et c’est justement cette exaspération engendrée, suivant un processus purement psychologique, par la façon dont, d’un côté comme de l’autre, on faisait la guerre, qui fut le mobile d’actes que l’on ne pourrait normalement justifier. Je prie par conséquent le Tribunal de ne pas déclarer ces documents irrecevables avant d’avoir examiné la question plus à fond.
Je désirerais faire la critique des principes qui président à l’heure actuelle aux discussions sur l’admissibilité d’un document. Si j’ai bien compris le Tribunal, on devait aujourd’hui aborder la question de l’admissibilité des témoins et des documents qui n’ont pas encore été produits. C’est ce qui avait été décidé par le Tribunal le 18 février. Et maintenant, le Ministère Public veut faire discuter les documents qui sont déjà en notre possession. Je demande au Tribunal de bien comprendre pourquoi je proteste aussi formellement contre cet état de fait. Il ne nous a nullement été donné de pouvoir, des semaines avant leur déposition, discuter de l’admissibilité des documents présentés par le Ministère Public. Quant à moi, si je dispose de documents, ceux par exemple dont on discute présentement, je dois avoir, en tant que défenseur, la possibilité de présenter ces documents sans recevoir l’approbation du Ministère Public. Sir David a déclaré que l’admissibilité des livres qui se trouvent ici au Palais serait examinée quand nous en aurions indiqué les passages intéressants, après quoi le Ministère Public déciderait de leur admissibilité. Sir David a de même déclaré que nombre des livres ne sont pas recevables. Si l’on admettait la chose, ce serait limiter les possibilités de la Défense à l’extrême, ce que je ne puis accepter sans protester.
Le Ministère Public a été autorisé à déposer des documents. Le Tribunal a déclaré qu’il n’y a pas de documents ni de dossiers que l’on ne puisse déposer. De ce fait, je ne vois pas pourquoi nous discuterions de l’admissibilité de ces documents, d’autant plus que, selon moi, le Tribunal avait décidé que nous aborderions aujourd’hui la question de l’admissibilité des documents qui nous manquent encore.
Je pense avoir déjà déclaré, ce matin, au nom du Tribunal — en répondant au Dr Horn, avocat de l’accusé Ribbentrop — que le Tribunal s’efforçait d’appliquer l’article 24 d du Statut qui prévoit que le Tribunal demandera au Ministère Public et à la Défense quels moyens de preuve ils désirent utiliser et que le Tribunal décidera de leur admissibilité. J’ai expliqué également pourquoi la Défense avait été traitée un peu différemment du Ministère Public : parce que, dans le cas de la Défense, le Tribunal a pour mission de trouver tous les témoins et de les faire venir ici et, dans bien des cas, de rechercher les documents. Il serait donc inutile, et d’ailleurs contraire aux dispositions du Statut, de demander au Tribunal de faire venir ici des témoins ou des documents avant que la question de leur admissibilité ait été traitée.
C’est ce que nous faisons en ce moment. Je croyais l’avoir expliqué clairement en réponse à l’argument du Dr Horn.
Il est parfaitement exact que l’on ne peut décider complètement de l’admissibilité d’un témoin ou d’un document avant d’avoir eu connaissance du passage du document ou des questions posées au témoin dont l’admissibilité est discutée. Par conséquent, la décision finale quant à leur admissibilité ne pourra être prise qu’au moment où le témoin déposera et répondra aux questions ou que le document sera déposé.
Oui. Excusez-moi, mais je ne crois pas que ceci réponde à tous les points du problème. Il est tout à fait juste que l’on discute ici de témoins et de documents qui ne sont pas encore à notre disposition. La question est tout autre quand il s’agit de documents déjà arrivés ici et qui se trouvent entre les mains de la Défense. Je citerai par exemple les « livres blancs » mentionnés par Sir David. Ils sont ici. Pourquoi aurions-nous maintenant à discuter de l’admissibilité de ces documents ? Cette question n’a rien à voir avec l’accélération du Procès ni avec l’obtention de documents.
Avez-vous quelque chose à dire, général Rudenko ?
Oui, Monsieur le Président. Sir David a déjà exposé le point de vue du Ministère Public sur la question soulevée par la Défense. Je voudrais ajouter quelques mots aux remarques de Sir David sur les déclarations de la Défense. Le Dr Exner a dit que la Défense n’avait pas l’intention de mettre le Ministère Public au rang des accusés, mais qu’elle désirait simplement que l’on procédât à une sorte d’enquête afin d’expliquer les événements et en déterminer les motifs qui, à son avis, ne sont pas clairs. Pour ce faire, il serait nécessaire d’examiner si les pays en guerre avec l’Allemagne n’ont pas, eux aussi, violé les Conventions de Genève et de La Haye.
A mon avis, il est au moins étrange — et je crois exprimer l’opinion de tous les Ministères Publics — d’entendre un avocat affirmer une telle opinion après trois mois de procès et alors qu’une quantité de preuves aussi énorme a été déposée par le Ministère Public.
Il est évident que la Défense a le droit de présenter des témoins et des documents relatifs à toutes les charges relevées contre les inculpés. Comme nous avons pu le voir au cours de l’audience de ce matin, au cours de l’examen des moyens de preuves demandés par l’accusé Göring, le Ministère Public a donné son accord à la plus grande partie des demandes de comparution de témoins. Mais en ce qui concerne la question soulevée par le Dr Exner, il existe entre nous des différences d’opinions, et des différences fondamentales.
Le Ministère Public considère qu’il est impossible de s’écarter de la constatation fondamentale et décisive qu’il s’agit ici du Procès des Grands Criminels de Guerre allemands. Le Tribunal examine et juge les atrocités commises par les criminels hitléro-fascistes et il résulte de ce fait que, compte tenu de ces circonstances, la Défense peut se réclamer, après examen du matériel de preuve présenté par le Ministère Public, de tout moyen de preuve dont elle estime pouvoir, dans une certaine mesure, modifier certains détails. Mais il est inadmissible, et ce serait une violation flagrante du Statut, d’abandonner l’examen de ces questions pour discuter de problèmes n’ayant aucun rapport avec ce Procès.
Le Ministère Public élève en conséquence une protestation énergique contre les demandes tendant à la présentation de documents n’ayant aucun rapport avec le Procès et dont l’examen nous écarterait sans aucun doute du sujet essentiel.
Voilà ce que je voulais ajouter, au nom du Ministère Public, aux déclarations de Sir David.
Avant de suspendre l’audience, je désire faire savoir que les quatre accusés suivants devront faire connaître les noms de leurs témoins et l’objet de leur déposition avant mercredi à 5 heures, ainsi que la désignation de leurs preuves documentaires et les indications concernant leur importance pour les débats.
Le Tribunal tiendra une audience semblable à celle d’aujourd’hui, samedi prochain à 10 heures, pour examiner la défense de ces accusés.
Le Tribunal suspend l’audience jusqu’à deux heures et quart.