SOIXANTE-SEPTIÈME JOURNÉE.
Lundi 25 février 1946.
Audience du matin.
Docteur Horn, il me semble que, la dernière fois, vous avez parlé du témoin Dahlerus.
C’est exact, Monsieur le Président, je demande au Tribunal de citer comme témoin suivant le général Köstring, qui était attaché militaire à Moscou, et qui est actuellement détenu à Nuremberg. Je suis également prêt à renoncer à la comparution de ce témoin si l’on me permet de présenter un affidavit.
Monsieur le Président, nous nous opposons à la citation de ce témoin ; le Dr Horn peut donc développer son argumentation autant qu’il le désire.
Vous vous opposez à la citation de ce témoin ?
Oui, Monsieur le Président.
Continuez.
Dans le cas présent, je voudrais néanmoins prier le Tribunal de bien vouloir inviter le témoin à comparaître. On m’avait primitivement dit que le témoin serait présenté par le Ministère Public. Puisque ce n’est pas le cas, je demande que ce témoin soit entendu, étant donné qu’il a pris part aux négociations germano-russes d’août et septembre 1939 et qu’il resta à son poste jusqu’au commencement des hostilités contre l’Union Soviétique. Il peut donc nous parler de l’attitude adoptée par les milieux allemands influents et les personnalités politiques à l’égard du pacte germano-soviétique. C’est pour ces raisons que je prie le Tribunal de bien vouloir citer ce témoin.
Comme l’a déjà dit Sir David Maxwell-Fyfe, le Ministère Public s’oppose à la citation de ce témoin. Je voudrais simplement en préciser la raison. Le fait que le témoin ait pris part à des négociations en août et septembre 1939 ou qu’il y ait assisté n’intéresse le Tribunal que dans une piètre mesure. Le Tribunal admet l’existence de ce traité ainsi que sa violation perfide par l’Allemagne. C’est pourquoi la citation de ce témoin, n’ayant d’autre but que de nous donner des détails sur ces négociations, ne servira qu’à prolonger inutilement les débats.
Monsieur le Président, je regrette, mais je n’ai pas compris la réponse du général.
Général, voulez-vous répéter s’il vous plaît ?
Volontiers ; je disais, me référant à l’objection présentée par Sir David au nom du Ministère Public contre la citation de ce témoin, que je désirais préciser que la citation de ce témoin, qui était présent aux négociations de Moscou en 1939, était inutile et sans intérêt pour le Tribunal. Le Tribunal sait qu’un tel traité a été conclu en 1939 et qu’il a été violé par l’Allemagne. J’estime que la citation de ce témoin est inutile, car son témoignage n’a aucun rapport avec les faits qui nous intéressent.
Je prie le Tribunal de bien vouloir considérer que le général Köstring est depuis des semaines interné à Nuremberg à la disposition du Ministère Public. Je prie donc le Tribunal de bien vouloir m’accorder la comparution de ce témoin, pour les motifs que je viens d’indiquer.
Le Tribunal examinera cette question. Docteur Horn, le Tribunal ne comprend pas en quoi le fait que le général Köstring soit détenu à Nuremberg constitue une réponse à l’objection soulevée par le Ministère Public, à savoir que le Tribunal ne s’intéresse pas aux négociations qui eurent lieu en septembre 1939, mais à la seule violation de ce traité. C’est pourquoi le Tribunal aimerait savoir si vous avez une réponse à faire à cette objection. La seule réponse que vous ayez donnée jusqu’ici est que le général Köstring se trouve à Nuremberg.
Monsieur le Président, le général Köstring devait témoigner du fait que le Pacte avec la Russie a été conclu avec l’intention formelle, de la part de l’Allemagne et de la part de mon client, d’en observer les clauses. Je n’ai plus rien à ajouter pour le moment, mais je demande au Tribunal d’accepter la comparution du témoin après avoir examiné les raisons qui ont motivé ma requête à cet égard.
Très bien. Le Tribunal examinera votre requête.
Le témoin suivant est un conseiller d’ambassade, le Dr Hesse, qui était autrefois au ministère des Affaires étrangères à Berlin, et qui se trouve probablement, dans le camp d’Augsbourg.
Monsieur le Président, il n’y a aucune objection à ce que ce témoin soit cité. Je ne sais pas si le Dr Horn veut le faire comparaître en personne ou s’il juge qu’un affidavit suffirait. Peu importe au Ministère Public, qui demande cependant au Dr Horn d’utiliser un affidavit aussi souvent que possible, et considère que ce procédé conviendrait fort bien au cas présent.
Dans ce cas un affidavit me suffira.
Le témoin suivant est l’ancien ambassadeur à Bucarest, Fabricius, vraisemblablement en captivité dans la zone américaine ou peut-être même déjà remis en liberté.
Il n’y a aucune objection à ce que ce témoin soit cité. Selon toute probabilité, ce témoin parlera d’un certain entretien dont le contenu a déjà été déposé devant le Tribunal et il l’interprètera sans doute différemment. Dans ces conditions le Ministère Public ne fait pas d’objection.
Le Tribunal examinera la question.
Le témoin suivant est le professeur Karl Burckhardt, président de la Croix-Rouge internationale à Genève, qui fut autrefois commissaire de la Société des Nations à Dantzig.
Messieurs, le Dr Burckhardt se trouve dans une situation très particulière. En tant que président de la Croix-Rouge internationale, c’est une personnalité à laquelle tous les pays belligérants, sans aucune distinction, doivent une grande reconnaissance. C’est pourquoi le Ministère Public estime que s’il peut donner un témoignage venant de Hitler lui-même, c’est-à-dire prouver qu’il a été informé par Hitler lui-même d’interventions personnelles de Ribbentrop, ou dire s’il a vu des lettres de Ribbentrop reçues par Hitler, aucune objection ne sera faite. Par contre, s’il devait simplement déclarer que Ribbentrop lui a fait part de telle ou telle chose, le Ministère Public soulèverait des objections.
Par conséquent, nous estimons qu’il serait utile que le témoin rédigeât un affidavit sur la source de ses informations. Cela fait, et si cette source est jugée satisfaisante, je suis persuadé que le Ministère Public acceptera le témoignage du Dr Burckhardt.
Nous estimons que le deuxième point est insignifiant : il s’agit du résultat des promesses de garantie faites à la Pologne par l’Angleterre à propos de Dantzig.
En plus des motifs que j’ai exposés dans ma requête, je puis encore ajouter que le professeur Burckhardt est allé en 1943 à Berlin rendre visite à Ribbentrop et à Hitler. Il peut donc faire des déclarations détaillées quant aux motifs sur lesquels j’ai basé ma requête. Voilà qui répond à la première question de Sir David. Néanmoins, je consens à ce que le professeur Burckhardt fournisse l’affidavit nécessaire ; on éviterait ainsi une comparution personnelle.
Le témoin suivant est l’ambassadeur suisse Feldscher qui, à notre connaissance, était en dernier lieu ambassadeur à Berlin.
Je suggère, Votre Honneur, qu’il soit procédé de la même manière que pour le Dr Burckhardt. La même solution me semble s’imposer.
D’accord, Monsieur le Président. Le témoin suivant est l’ancien Premier Ministre de Grande-Bretagne, M. Winston Churchill.
Plaise au Tribunal. Le Ministère Public s’oppose à cette requête et, malgré son respect pour le Dr Horn, estime qu’elle n’est pas fondée sur des raisons pertinentes.
La première partie est manifestement le compte rendu d’une conversation qui n’a rien à voir avec les faits qui nous occupent. La seconde partie est également en relation avec une conversation qui eut lieu, semble-t-il, quelques années avant la guerre, entre l’ambassadeur d’Allemagne et un personnage qui, à cette époque, n’occupait aucun poste officiel en Angleterre. Mais en quoi cette conversation est-elle pertinente à l’égard des problèmes qui nous sont posés ? Le Ministère Public estime que cette pertinence n’apparaît pas : elle n’existe même pas.
Voici ce que je voudrais répondre aux assertions de Sir David : le Premier Ministre Winston Churchill était à l’époque le chef de l’opposition au Parlement de Sa Majesté Britannique. En cette qualité, on peut lui attribuer une sorte de position officielle, d’autant plus qu’à ma connaissance, il touchait un traitement en sa qualité de chef de l’opposition.
Je suis persuadé que le Dr Horn serait la dernière personne à soutenir un point sur lequel il a été mal informé. M. Churchill ne fut jamais à la tête de l’opposition de Sa Majesté et certainement pas de 1936 à 1938, époque à laquelle l’accusé Ribbentrop était ambassadeur. C’était M. Attlee qui était alors à la tête de l’opposition ; M. Churchill n’avait pas de poste officiel. Il n’était qu’un membre secondaire et indépendant du parti conservateur. Je ne voudrais pas que mon ami soit la victime d’une erreur d’interprétation.
En tout cas, Monsieur le Président, M. Churchill était un des hommes d’État les plus connus en Allemagne. La déclaration faite par M. Churchill lors de sa visite à l’ambassade a été immédiatement rapportée à Hitler par Ribbentrop et ce fut selon toute probabilité, l’une des raisons qui incitèrent Hitler à faire les déclarations citées dans ce qu’on a appelé le document Hossbach, déposé sous le n° PS-386, qui contenait des déclarations et des explications si surprenantes pour les intéressés, et dans lequel le Ministère Public trouva la première preuve catégorique d’une conspiration dans le sens où l’entend l’Acte d’accusation.
En outre, je voudrais rappeler que M. Jones, représentant du Ministère Public anglais, indiqua qu’après la conquête de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne, les peuples anglais et polonais s’inquiétèrent beaucoup. C’est pourquoi des négociations eurent lieu entre l’Angleterre et la Pologne, qui conduisirent à un pacte de garantie.
En raison de la déclaration de Churchill dont je viens de parler et de celles d’autres hommes d’État britanniques importants, aux termes desquelles l’Angleterre voulait préparer en quelques années une coalition contre l’Allemagne afin de faire obstacle à Hitler par tous les moyens possibles, Hitler devint désormais plus âprement soucieux que jamais d’augmenter ses propres armements et de pousser ses préparatifs stratégiques.
C’est la raison pour laquelle je considère que les déclarations de M. Churchill sont extrêmement importantes et je demande instamment la citation de ce témoin.
J’ai déjà exprimé mon opinion, Monsieur le Président ; je n’ai rien d’autre à ajouter.
Le Tribunal aimerait avoir par écrit les observations faites par le Dr Horn à ce sujet. Il les a seulement entendues au microphone.
Voici les témoins suivants : Lord Londonderry, Lord Kemsley, Lord Beaverbrook, et Lord Vansittart ; ils ont déjà reçu des questionnaires.
Ces témoins seront interrogés au moyen de questionnaires et nous n’y faisons aucune objection.
Le témoin suivant est l’amiral Schuster, dont la dernière adresse était Kiel.
Nous nous opposons à la citation de l’amiral Schuster. La raison pour laquelle on veut le faire comparaître réside dans le fait qu’il a participé aux négociations qui ont abouti au traité naval anglo-allemand de 1935. On voudrait apparemment démontrer que ce traité a été conclu sur l’initiative de l’accusé. Le Ministère Public estime que la question des négociations antérieures au traité n’a rien à voir avec le cas qui nous occupe. Quant à ce traité, il est à la disposition du Tribunal qui pourra en prendre acte, ainsi que de mon contradicteur qui pourra y puiser tous les arguments qu’il voudra. Mais d’une façon générale, le Ministère Public désire insister sur le fait que toute discussion sur les négociations antérieures aux anciens traités représenterait une perte de temps intolérable, alors qu’il y a tant de questions importantes à soumettre au Tribunal.
Précisément, dans ce Procès, nous traitons directement la question des plans et des préparations. Il est donc à propos d’entendre des témoignages sur ce que le Gouvernement allemand, et particulièrement Ribbentrop, a projeté et préparé à ce moment. Les projets et les plans qui furent établis au cours des négociations qui conduisirent à la signature du traité naval furent poursuivis au delà de la conclusion de ce traité. Von Ribbentrop considérait ce traité, et l’amiral Schuster peut en témoigner, comme le fondement d’un traité d’alliance plus étroit entre l’Angleterre et l’Allemagne. Pour expliquer ces intentions au Tribunal et, partant, la politique poursuivie par l’accusé von Ribbentrop, j’estime que la comparution de ce témoin est très importante et je demande à Sir David de bien vouloir modifier son point de vue.
Je crains de ne pouvoir le faire. Mes collègues et moi-même avons examiné très soigneusement cette question. Je viens d’exposer notre attitude générale vis-à-vis des négociations antérieures aux traités, en particulier celles qui précédèrent les anciens traités. Malgré mon plus vif désir d’être raisonnable et d’aider le Dr Horn, je crains de ne pas pouvoir accéder à sa demande.
Je voudrais compléter les observations de mon collègue Sir David. Le Dr Hom nous avait demandé de justifier le point de vue du Ministère Public. Il me semble qu’il existe à ce sujet une divergence fondamentale entre la Défense et le Ministère Public. La Défense, en citant des témoins, prouve ou essaie de prouver que les accusés s’efforcèrent de conclure des traités pacifiques. Nous partons quant à nous d’un autre principe : la violation perfide des traités conclus, et les crimes commis en violation de ces traités. C’est pourquoi il est absolument inutile de citer des témoins pour démontrer que les accusés voulaient conclure des traités pacifiques. La violation de ces traités est de notoriété publique.
Docteur Hom, afin de mesurer l’intérêt du témoignage dont il s’agit, j’aimerais vous poser cette question : à supposer que Ribbentrop voulût conclure des accords avec l’Angleterre et ne désirât pas que l’Allemagne déclarât la guerre à ce pays, quel rapport cela aurait-il avec l’allégation que l’Allemagne élaborait des plans d’agression contre la Pologne ?
Monsieur le Président, pour pouvoir répondre à cette question d’une façon définitive et dans la mesure où elle concerne la conduite de la Défense, il me faudrait me reporter à l’ensemble de toute la politique et de toute la diplomatie de l’époque qui a précédé la seconde guerre mondiale.
A propos des raisons qui motivent mes demandes de témoins, je ne voudrais pas entrer dans une discussion sur de telles questions de principe, avant d’avoir examiné entièrement et à fond toutes les preuves mises à ma disposition, de m’être fait une opinion bien arrêtée et d’avoir établi une base pour fixer la conduite de la Défense. De la décision que Monsieur le Président avait prise pour la citation des témoins et selon laquelle le Tribunal devait nous aider à nous procurer les témoins et les documents, j’ai cru pouvoir déduire, quant à la citation des témoins, que nous n’avions qu’à donner des motifs qui, selon toute probabilité, seraient confirmés par les témoins eux-mêmes après un interrogatoire préliminaire. A dire vrai, je ne voudrais pas pour l’instant commettre à priori une erreur de jugement.
La question importante à considérer est de savoir quelles sont les preuves qui seront pertinentes ; mais comme vous ne désirez pas vous engager sur ce point, vous pouvez continuer.
Le témoin suivant est l’ambassadeur Paul Schmidt, interprète au ministère des Affaires étrangères à Berlin, qui se trouve maintenant selon toute vraisemblance à Oberursel, dans un camp réservé aux interrogatoires.
Plaise au Tribunal. Je voudrais préciser en ce qui concerne les deux témoins suivants dont les noms figurent sur la même requête, qu’ils sont appelés à témoigner sur le fait que l’accusé a demandé à Hitler à cinq ou six reprises la permission de démissionner. Je dois encore préciser au Tribunal, comme je l’ai déjà fait plusieurs fois, que, si ces témoins peuvent donner sur ce point des témoignages directs émanant de Hitler, nous n’aurons aucune objection à ce qu’ils soient cités. Mais s’ils doivent simplement déposer sur le fait que Ribbentrop leur aurait fait part de son intention de démissionner, cela, me semble-t-il, ne nous mène à rien. Il se peut cependant qu’ils aient vu des lettres envoyées à Hitler par Ribbentrop. Si tel est l’objet de leur témoignage, le Ministère Public estime alors qu’il est tout à fait en rapport avec la question qui nous intéresse et qu’il est de quelque poids dans la détermination de la culpabilité. Sinon, le Ministère Public se réserve le droit de dire si la question de culpabilité au sens où l’entend le Statut doit être abordée. C’est pourquoi je suggère une méthode d’opérer qui semble raisonnable, à savoir que ces deux personnes rédigent des affidavits sur leurs sources d’information et, de cette façon, la question que j’ai soumise au Tribunal sera réglée.
Suggérez-vous qu’ils envoient des dépositions sous serment plutôt que des questionnaires ? Des questionnaires ne seraient-ils pas préférables ?
Monsieur le Président, je crois que des questionnaires sur ces moyens d’information seraient préférables. Je ne pense pas qu’il vaille la peine de traiter la question deux fois.
Nous pouvons parler en même temps des deux témoins suivants ; je crois pouvoir dire déjà que Sir David m’opposera les mêmes objections que pour les autres témoins.
J’avais pensé que mon ami et moi-même aurions pu nous en tenir à la décision du Tribunal à propos de l’amiral Schuster.
Je renoncerai à la citation de ces deux témoins pourvu que le Tribunal m’accorde l’amiral Schuster.
Le témoin suivant est Dörnberg, ancien chef du Protocole au ministère des Affaires étrangères. Il est probablement à l’heure actuelle dans un camp d’internement à Augsbourg.
J’estime à nouveau, avec le plus grand regret, que les considérations de M. Dörnberg sur la foi à accorder aux déclarations du comte Ciano ne sont pas pertinentes. Si nous décidons de citer des témoins pour entendre leur point de vue sur la loyauté ou d’autres caractéristiques des hommes d’État européens, le Tribunal s’engagera sur une longue route qui ne le mènera à rien. C’est pourquoi je suggère respectueusement que le Tribunal rejette ce genre de témoignage.
Monsieur le Président, sur ce point je puis répondre que Ciano lui-même, dans son journal qui vient d’être porté à notre connaissance, présente cette preuve tout au moins quant à sa partie la plus importante — que M. Dörnberg devait nous apporter ; nous la soumettrons au Tribunal en temps voulu, d’une manière que je crois concluante.
Le second point de la déclaration de Dörnberg traite d’une question de décoration. Le Ministère Public russe a reproché à Ribbentrop d’avoir vendu la Transylvanie contre une haute décoration roumaine.
Pour ces motifs, je demande l’autorisation ou bien d’entendre M. Dörnberg ici, ou bien de lui demander un affidavit.
Oui.
Le témoin suivant sera l’ambassadeur Schnurre, directeur de la politique commerciale au ministère des Affaires étrangères et dont le domicile actuel m’est inconnu. Il est très probablement prisonnier dans la zone d’occupation britannique.
Le Ministère Public se permet encore d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire de citer un témoin qui doit nous déclarer si son chef politique avait l’intention de s’en tenir au traité qu’il avait signé. Les raisons mêmes qui sont données dans cette requête me semblent montrer qu’il s’agit simplement de discussion et de commentaires et nous soutenons que la comparution d’un témoin est à cet égard inopportune.
Je prie le Tribunal de bien vouloir m’accorder l’audition de ce témoin, car le seul fait que celui-ci puisse témoigner de la sincérité ou de la mauvaise foi de son chef n’est pas pour moi aussi décisif que celui de savoir qu’il témoignera à propos d’un important passage de l’Acte d’accusation, en exposant dans quelle mesure il participa aux discussions et négociations préliminaires qui eurent lieu à propos des bases de ce traité, en présence d’importantes personnalités.
Puis-je vous poser de nouveau une question à propos de la pertinence du témoignage en question ? A supposer qu’il soit exact qu’en août 1939, les autorités allemandes aient eu l’intention de s’en tenir aux termes du traité conclu avec la Russie, en dépendait-il ou pouvait-il en dépendre, que l’Angleterre dût soutenir la Pologne dans la guerre que l’Allemagne était sur le point de déclencher contre elle ? Il peut très bien se faire que les autorités allemandes aient eu l’intention de s’en tenir aux termes de l’accord avec la Russie, afin que celle-ci n’intervienne pas dans la guerre contre la Pologne et l’Angleterre. Comment les intentions qu’avait alors Ribbentrop pourraient-elles nous intéresser ?
Monsieur le Président, pour établir les faits criminels qui doivent, dans ce Procès, déterminer la culpabilité, il est important de savoir dans quelle mesure l’accusé von Ribbentrop, en sa qualité d’homme, s’efforça de maintenir le traité. Et c’est une autre question que de savoir comment il a pu être contraint par les nécessités politiques ou poussé par diverses influences à contribuer à une interprétation du traité différente de celle qui y avait été précisée à l’origine.
Veuillez continuer.
L’ambassadeur Ritter, qui faisait partie du ministère des Affaires étrangères et qui fut en dernier lieu chargé de la liaison entre ce ministère et le Haut Commandement de la Wehrmacht. Actuellement, il se trouve très probablement au camp d’Augsbourg.
La requête concernant l’ambassadeur comporte deux parties : la première soulève la question que nous venons de discuter à l’égard du traité germano-russe du 23 août 1939, et j’ai déjà indiqué le point de vue du Ministère Public à ce sujet.
La seconde partie traite de l’attitude de l’accusé à l’égard du traitement infligé aux aviateurs alliés. La question est la suivante : j’ai déposé un document qui a été préparé par l’ambassadeur Ritter et un autre document dans lequel celui-ci déclare que l’accusé Ribbentrop avait approuvé le mémorandum du ministère des Affaires étrangères allemand concernant des propositions sur le lynchage des aviateurs ou sur leur remise au SD, avant qu’ils ne puissent devenir prisonniers de guerre et être en droit de se réclamer de la Convention de Genève.
Si le témoignage doit tendre à prouver que la déclaration de l’ambassadeur Ritter, aux termes de laquelle Ribbentrop aurait approuvé le mémorandum, est inexacte, il est particulièrement opportun de l’entendre. Mais ces documents sont maintenant déposés et je ne vois pas très bien la raison pour laquelle le Dr Horn désire entendre le témoin sur cette seconde partie ; peut-être pourra-t-il nous le faire savoir.
Sir David vient précisément de donner la raison pour laquelle j’ai demandé la comparution du témoin. Celui-ci doit témoigner du fait que von Ribbentrop était opposé au traitement spécial auquel on se proposait de soumettre les aviateurs terroristes — du moins pour les actes prévus par la Convention de Genève — sans notification préalable aux puissances signataires de la Convention.
Le Dr Horn nous dit qu’il veut citer l’ambassadeur Ritter pour contredire les deux documents préparés par l’ambassadeur Ritter, et qui ont déjà été déposés. Il n’y a naturellement aucune objection a élever. S’il doit contredire son propre document, c’est évidemment un point particulièrement important.
Le Dr Horn accepterait-il que l’on envoyât des questionnaires à l’ambassadeur Ritter, ou bien le Ministère Public préférerait-il qu’il fût cité ici ?
S’il doit déposer sur ce point, le Ministère Public préfère qu’il soit cité, car les deux documents préparés par ce haut fonctionnaire ont été déposés et, s’il doit les contredire, j’estime qu’il doit venir le faire en personne.
C’est au Ministère Public qu’il appartient de décider.
Oui.
Le témoin suivant est M. von Grundherr, ancien ambassadeur d’Allemagne à Oslo, qui est vraisemblablement prisonnier des alliés.
Là encore, je ne veux pas m’attarder à des détails. En réalité, il y a un document déjà déposé devant le Tribunal, signé par l’accusé Rosenberg dans lequel celui-ci déclare que l’on donnait 10.000 livres par mois à Quisling pour qu’il s’entendît avec le témoin. Si le Dr Horn désire citer von Grundherr pour contredire la déclaration de l’accusé Rosenberg, j’affirme encore que le Ministère Public ne peut pas y faire d’objection.
Très bien.
A propos des témoins que j’ai inscrits sous les numéros 30 à 34, je me bornerai à dire que je désire les faire témoigner sur les sérieux efforts déployés constamment par Ribbentrop de 1933 à 1939 pour entretenir des relations étroites avec la France. Les témoins, surtout M. Daladier, qui était Président du Conseil en France, peuvent donner des détails substantiels sur ces efforts. Si le Tribunal décide que ces témoins, ou quelques-uns d’entre eux, doivent témoigner sous forme d’affidavits, je soumettrai les questions pertinentes au Tribunal.
D’après le Ministère Public les raisons énoncées pour la comparution de ces témoins sont trop vagues et trop générales pour justifier leur citation devant le Tribunal. Quand deux pays vivent en paix, le fait qu’un ministre des Affaires étrangères ou qu’un ambassadeur ait exprimé le vœu de voir ces bonnes relations se prolonger ou des souhaits du même ordre ne nous avance à rien : d’après le Ministère Public, ce serait une perte de temps que de faire comparaître des témoins dans ce but.
Cette question mise à part, les quatre premiers témoins, le marquis et la marquise de Polignac, le comte et la comtesse Jean de Castellane n’ont pas, autant que le Ministère Public puisse en juger, occupé de postes officiels quelconques : nous pouvons donc présenter une objection supplémentaire ; la citation de personnes, si honorables soient-elles, qui n’ont entretenu avec l’accusé que des relations d’amitié ne peut apporter de preuves pertinentes sur les intentions de celui-ci, et le Tribunal ne saurait les accepter.
En faisant comparaître ces témoins, la Défense voudrait précisément mettre en lumière le fait que les efforts pacifiques de Ribbentrop vis-à-vis de la France dépassèrent les simples déclarations rentrant dans le cadre de ce qu’on est convenu d’appeler la courtoisie internationale. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir m’accorder l’un ou l’autre des témoins de ce groupe.
Dr Horn, ces témoins me semblent, quant à l’intérêt de leur comparution, soulever l’objection que je vous avais opposée tout à l’heure. A supposer qu’il fût dans l’intention du ministère des Affaires étrangères allemand de s’assurer la neutralité de la France dans la guerre que l’Allemagne se préparait à faire, quel rapport cela a-t-il avec les intentions agressives de l’Allemagne à l’égard de la Pologne ?
Je voudrais prouver, en faisant déposer ces témoins, que l’accusé n’avait pas du tout l’intention de provoquer la guerre, ni de la préparer, mais qu’il a au contraire essayé, pendant des années, d’améliorer les relations de l’Allemagne avec les états voisins.
Le Ministère Public, Monsieur le Président, accuse également mon client de préparatifs de guerre contre la France et l’Angleterre ; si le Ministère Public veut renoncer à ce point de l’accusation, il m’est également possible de renoncer à ces témoins.
Très bien, nous considérerons cette question.
Le témoin suivant est M. Ernest Tennant, de Londres.
En ce qui concerne ce témoin, je dois dire que je ne le connais pas ; je n’ai jamais entendu parler de lui, et le seul renseignement que me donne la requête est qu’il appartient à la société Tennant et Cie, qu’il est membre du « Bath Club » et qu’il était bien connu de l’accusé Ribbentrop. Mais la raison pour laquelle on veut le citer constitue le comble de l’inopportunité. On nous dit qu’il peut déposer sur le fait qu’au début et vers le milieu de l’année 1930 l’accusé lui a demandé de le mettre en rapports avec Lord Baldwin, M. Mac Donald et Lord Davidson, dans le but de négocier avec ces derniers, et en vue d’établir de bonnes relations politiques entre l’Angleterre et l’Allemagne et de conclure une alliance. En 1936, l’accusé était ambassadeur à la Cour de St-James ; M. Mac Donald n’était plus premier ministre depuis 1935, mais était, je crois, Lord President of the Council. Lord Baldwin était alors Premier ministre et Lord Davidson était, je crois, chancelier du Duché de Lancaster dans la même administration et occupait ainsi une fonction relativement moins importante. Quel rapport cela a-t-il avec les problèmes soulevés devant ce Tribunal ? Je ne vois vraiment pas l’importance du fait qui a consisté pour l’accusé à demander à une personne n’occupant pas de fonction officielle de bien vouloir le présenter aux trois personnages que j’ai mentionnés. Je ne la vois vraiment pas, et je demande que ce témoin ne soit pas cité.
Monsieur le Président, en désignant les témoins, nous revenons toujours à la question fondamentale posée par le Ministère Public : que peut nous apprendre, sur la question de savoir si l’Allemagne a ou non attaqué la Pologne ou si elle est responsable d’avoir déclenché la guerre contre ce pays, un témoin qui appartiendrait à une nationalité tout à fait différente et n’aurait rien à voir avec la Pologne et les questions polonaises ? La Défense, par contre, est d’avis que toute la politique de l’Allemagne envers la Pologne ne peut être comprise que si on la considère dans le cadre formé par l’ensemble des politiques européennes. C’est pourquoi les avocats ont demandé des témoins que le Ministère Public voudrait exclure : ils peuvent nous fournir les matériaux nécessaires à la reconstitution de l’ensemble des événements. C’est dans cet esprit que je demande encore le Professeur Conwell-Evans de Londres.
Plaise au Tribunal. Je puis dire cette fois encore, que je n’ai jamais entendu parler du professeur Conwell-Evans. Il ne figure pas dans le Who’s who, la publication anglaise énumérant un grand nombre de citoyens britanniques titulaires de certains titres ou remplissant certaines fonctions. Mais je voudrais que le Dr Hom considère l’argument que je vais faire valoir devant le Tribunal : à supposer que tout ce qui est écrit dans la requête concernant le professeur Conwell-Evans soit confirmé ici mot pour mot par celui-ci, j’estime que cela n’avancerait en rien les débats, et que le Tribunal resterait exactement au même point, qu’il ait entendu ou non cette déposition. Après tout, l’accusé sera à même de témoigner lui-même et d’essayer de donner au Tribunal une impression exacte sur ses intentions en prouvant qu’il fut souvent de bonne foi. Le Ministère Public estime que le témoignage de ce personnage ne nous aiderait pas dans ce Procès, et ne se rapporte à aucune des questions soulevées devant le Tribunal.
Oui.
Le témoin suivant est Wolfgang Michel, d’Oberstdorf im Allgäu. C’est le témoin n° 38.
Ce témoin est indiqué comme l’associé de l’accusé dans ses affaires. La requête demande qu’il exprime son opinion sur l’attitude générale de l’accusé et sur son état d’esprit. A nouveau, le Ministère Public ne voit pas à quel point de vue cette déposition est pertinente. Il admet que l’accusé puisse tenir à ce que l’un de ses anciens associés donne un affidavit sur son comportement ; si cela suffit, le Ministère Public est prêt à l’accepter, mais il estime vraiment qu’il doit maintenir son affirmation logique qu’un tel témoin, qui se contentera de déclarer : « j’ai connu l’accusé pendant vingt ans, j’ai été son associé et j’ai toujours eu la plus haute opinion de lui », n’aborde aucune des questions que nous traitons devant le Tribunal, et que sa comparution est inopportune. Mais comme je le disais, si mon ami veut produire un affidavit, le Ministère Public l’examinera avec la plus grande sympathie.
Dans le cas du témoin Michel, un affidavit me suffira.
Monsieur le Président, je prie encore le Tribunal de bien vouloir revenir au témoin n° 5, le conseiller de légation Gottfriedsen.
Un instant, s’il vous plaît. N’alliez-vous pas parler du n° 38 ? Vous n’avez pas parlé du n° 37. Vous l’avez sauté, n’ est-ce- pas ?
Je crois qu’on me ferait pour ce témoin les mêmes objections que pour les témoins précédents. Comme je suppose que le Tribunal va prendre une décision de principe sur la question de savoir si les faits rapportés doivent être soumis ici, j’ai laissé de côté ce témoin et j’attends la décision du Tribunal.
Je comprends et maintenant vous désirez revenir au témoin n° 5, n’est ce pas ?
Je voudrais revenir au témoin n° 5, le conseiller de légation Gottfriedsen. Il eut la direction financière des affaires officielles et privées de Ribbentrop pendant de longues années. Plusieurs membres du Ministère Public ont reproché à l’accusé Ribbentrop de s’être approprié des objets d’art et différentes autres choses. Le conseiller de légation Gottfriedsen peut donner sur ce sujet des indications décisives, de nature à décharger l’accusé. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir m’accorder ce témoin.
Monsieur le Président, je viens à ce sujet de demander au Dr Horn s’il préférerait M. Gottfriedsen à M. von Sonnleitner ; le Dr Hom m’a dit que puisque c’était une question de choix, il répondait affirmativement. Le Ministère Public ne veut pas abuser. Je propose que ce groupe de témoins, qui sont d’anciens membres du ministère des Affaires étrangères, soit réduit à trois. Je crois que nous devons choisir celui qui nous aidera le plus, et le Dr Horn pense que c’est le conseiller de légation Gottfriedsen. Je ne vois pas d’objection à cette substitution à condition que le groupe de ces témoins soit réduit.
Seriez-vous d’accord pour envoyer des questionnaires ?
Oui, Monsieur le Président. Je demande alors le témoin Gottfriedsen.
Bien.
Mes demandes de citation de témoins sont maintenant terminées.
Je n’ai pas nommé certains témoins, parce que d’autres défenseurs les avaient demandés. Parmi ces témoins, se trouve l’interprète Schmidt. J’attache la plus grande importance à l’audition de ce témoin. Schmidt était l’interprète de Göring, il a assisté à presque toutes les négociations de politique étrangère avec les hommes d’État, et je demande qu’on veuille bien le faire comparaître. J’appuie ici la requête du Dr Hom.
Très bien, nous examinerons la question. Nous allons maintenant suspendre l’audience pendant dix minutes.
Monsieur le Président, puis-je ajouter quelque chose qui se rapporte à la convocation des témoins ?
J’ai appelé un certain nombre de témoins pour m’assurer de la date à laquelle commence la conspiration et de celle à laquelle mon client y entra. Le Ministère Public simplifie relativement les choses en affirmant dans l’Acte d’accusation, à propos de cette conspiration, qu’elle a commencé « un certain nombre d’années antérieurement au 8 mai 1945 ». S’il ne m’est pas permis de fournir de témoignages sur les années 1933 à 1938, le Ministère Public devra bien convenir que l’accusé Ribbentrop n’avait pas pris part à la conspiration avant 1939. Je vous demande de bien vouloir prendre cette remarque en considération dans la désignation des témoins.
Il serait utile que j’indique à grands traits ces points sur lesquels le Dr Horn aura à s’expliquer.
Le Tribunal se souviendra que les 8 et 9 janvier, j’ai fait l’exposé des charges relevées contre cet accusé. Le premier point traité était l’accession de Hitler au pouvoir en 1933. Le Ministère Public soutient que l’accusé a contribué de différentes façons à cette accession au pouvoir. Il a occupé par la suite des postes variés en contact direct avec Hitler. Si le Dr Horn veut bien se reporter au compte rendu de mon exposé, il y verra une description détaillée, avec l’indication de tous les documents présentés à l’appui, du rôle joué par son client dans l’agression contre l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Lituanie, la Pologne, l’Angleterre, la France, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l’Union Soviétique, et enfin les États-Unis ainsi que dans l’agression commise par le Japon contre les États-Unis. Tous ces faits sont exposés avec documents à l’appui. En se référant à eux, on trouvera les charges exactes portées à rencontre de cet accusé.
En dehors de cela, quatre questions se rapportant aux troisième et quatrième chefs d’accusation ont été spécialement soulevées :
D’abord, la pression exercée par l’accusé pour faire prendre contre les aviateurs alliés des mesures violant les lois et conventions internationales. Là encore, des documents ont été déposés à l’appui. En second lieu, il y a le témoignage du général Lahousen sur les déclarations de l’accusé au sujet du traitement infligé à la population polonaise. Troisièmement, il y a la responsabilité, dont l’accusé porte le poids, d’avoir nommé les différents protecteurs de Bohême et de Moravie, et de leur avoir donné des pouvoirs sans limite, ce qui eut pour conséquence les crimes commis contre les populations de ces régions. La même responsabilité existe vis-à-vis des Pays-Bas.
La troisième catégorie concerne principalement le traitement infligé aux Juifs. Nous possédons encore sur ce sujet un document officiel américain, le rapport de l’ambassadeur Kennedy ; il y a également une longue déclaration du ministère des Affaires étrangères sur la politique adoptée à l’égard des Juifs ; il y a enfin un document qui montre la préparation d’un congrès antisémite dont l’accusé devait être membre honoraire.
Je termine avec la question du pillage. Les preuves concernant les bataillons de Ribbentrop préposés au pillage ont été présentées l’autre jour par mon collègue soviétique.
Je crois que si le Dr Horn veut bien se reporter à ces différentes questions qui sont presque toutes, sauf la dernière, énumérées dans les procès-verbaux des 8 et 9 janvier, il verra qu’il n’y a aucune difficulté à déterminer le départ de ces allégations et leur réalité dans leurs détails particuliers.
Sir David, le Tribunal aimerait savoir si le Ministère Public a déterminé une date précise pour le commencement de la conspiration et s’il maintient que les accusés qui ont rallié le complot après cette date en portent la responsabilité.
Le Tribunal aimerait savoir si une personne qui a fait partie du complot postérieurement à sa création est responsable des actes commis antérieurement par les autres conspirateurs.
Pour répondre à ces questions dans l’ordre, je dirai tout d’abord que le Ministère Public estime que la date à laquelle commence la conspiration est celle fixée par le premier chef d’accusation. L’Acte d’accusation prétend que le parti nazi était l’âme de la conspiration, et que le point essentiel de la conspiration était constitué par le fait que le parti nazi devait obtenir le contrôle économique et politique de toute l’Allemagne afin de poursuivre les buts figurant dans les articles 1 et 2 de son programme. Cette phase de la conspiration a commencé quand le parti nazi est devenu en Allemagne une force politique qui a trouvé son plein développement en janvier 1933. C’était alors son dessein de violer les clauses du Traité de Versailles en employant la force si c’était nécessaire.
Mais (et cela figure au chef d’accusation n° 1), la conspiration était dynamique et non statique. En 1934, après que l’Allemagne eut quitté la Société des Nations et la Conférence du Désarmement, le caractère agressif de la conspiration se fit soudainement jour.
Le Ministère Public soutient qu’entre 1935, époque à laquelle fut introduit le service militaire obligatoire et où fut créée l’aviation allemande, et 1936, année où la Rhénanie fut réoccupée, la réalisation par la violence des desseins de l’Allemagne (c’est-à-dire ceux du parti nazi) devint manifestement un objectif qui s’imposa avec une force toujours croissante.
La situation se cristallisa lors de la réunion du 5 novembre 1937, au cours de laquelle Hitler déclara que l’Autriche et la Tchécoslovaquie seraient conquises dès que l’occasion s’en présenterait. Suivit la prise de l’Autriche en mars 1938, puis l’agression contre la Tchécoslovaquie, entreprise en mai 1938 et terminée avant le mois d’octobre.
Le Ministère Public affirme qu’à partir de ce moment le plan des guerres d’agression suivit la technique fameuse utilisée pour attaquer un pays, consistant à prendre des mesures agressives contre ce pays tout en donnant des assurances de paix à la nation qui était la suivante sur la liste des victimes.
A partir de ce moment, le déroulement des guerres d’agression a suivi le cours dont je viens de parler en esquissant les grandes lignes de l’accusation contre Ribbentrop. Je me résumerai en disant que le Ministère Public considère que le parti nazi a toujours été engagé dans cette action concertée pour obtenir le contrôle de l’Allemagne et poursuivre la réalisation de ses buts, mais que l’agression ne devint évidente qu’à partir de 1934 et au début de 1935.
Sir David, je voudrais vous poser quelques questions à ce sujet : Tout d’abord pouvez-vous nous dire à quelle date débuta la conspiration ? Il semble que le Ministère Public n’en ait pas connaissance. Et si vous la connaissez, voulez-vous nous la dire ?
La conspiration a commencé avec la formation du parti nazi.
Et quand cela a-t-il eu lieu ?
En 1921.
En 1921 ? La conspiration, génératrice de guerres d’agression a-t-elle commencé à cette date ?
Oui, elle a commencé quand Hitler a déclaré : « J’ai certains desseins dont l’un est d’abolir le Traité de Versailles » — ce qui veut dire aussi abolir le traité d’amitié avec les États-Unis, qui contient les mêmes clauses « Je les réaliserai par la force si c’est nécessaire. » Le Parti a toujours eu la conviction qu’il atteindrait ces buts.
Si des personnes se mettent d’accord pour commettre un acte illégal ou pour commettre un acte légal par des moyens illégaux, il y a ipso-facto crime de conspiration. La conspiration est constituée par l’accord des parties elles-mêmes et non par les mesures prises pour la réalisation de cet accord. C’est pourquoi les débuts de la conspiration se placent en 1921. M. Justice Jackson a dit clairement dans son exposé introductif, et je l’ai encore répété ce matin, que la réalisation des buts du Parti, et plus particulièrement des méthodes grâce auxquelles les conspirateurs ont essayé d’atteindre leurs desseins, revêtit une forme particulière au fur et à mesure que les années passaient, et devint définitive quand on décida de supprimer le Traité de Versailles en 1934, décision qui fut exécutée en 1935.
Je ne cherche pas à éviter de répondre aux questions de l’éminent magistrat américain, mais je voudrais résumer de façon exacte ce qui est déclaré dans le premier chef d’accusation sur les crimes et leurs éléments punissables, en m’exprimant le plus clairement possible.
Je ne vous aurais pas posé ces questions, Sir David, si la question avait été tout à fait claire pour moi. Permettez-moi de vous poser encore quelques questions : la conspiration entreprise en vue de commettre des crimes contre l’Humanité a-t-elle commencé en 1921 ?
Dans la mesure où on était prêt à utiliser tous les moyens, sans considération des droits, du salut et du bonheur des autres peuples, on peut dire qu’elle a commencé avec la naissance du parti nazi. La cruauté et le mépris du droit, du salut et du bonheur des autres étaient dès ses débuts l’apanage du programme nazi, dans la mesure où ces droits et ce bonheur se trouvaient contrarier ses projets.
Là encore l’application pratique de ces idées se développa au cours des années qui précédèrent la guerre. M. Biddle m’excusera si. je ne me souviens pas de documents exacts ayant trait à ce sujet. Mais, bien avant la guerre, on trouvait et retrouvait sans cesse dans les discours adressés par Hitler à ses complices cette cruauté et ce mépris à l’égard des populations non allemandes. C’est la base des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité ; ils furent conçus et développés par les méthodes que je vous ai décrites.
Avez-vous répondu au Président sur la question de la responsabilité des conspirateurs qui adhérèrent ultérieurement au Parti ? Si vous l’avez fait, cet accusé est responsable d’actes remontant à 1921.
Il y a à ce propos deux conceptions juridiques qui s’affrontent. Je ne peux parler qu’en connaissance du droit anglais, mais je crois que le droit américain lui ressemble beaucoup. En Angleterre, la conspiration est une infraction punissable d’après le droit commun. Il existe aussi certaines infractions punissables d’après certains textes, mais la conspiration reste une infraction de droit commun. Cette infraction consiste, comme je l’ai déjà dit, à s’entendre pour commettre un acte illégal, ou à commettre un acte légal par des moyens illégaux. S’il s’agit vraiment d’une conspiration il n’y a aucun doute d’après le droit anglais : si quelqu’un entre dans la conspiration à un stade ultérieur pour commettre un acte illégal quelconque, il pourra être reconnu coupable de conspiration, quelle que soit la date à laquelle il a pu y prendre part.
Le raisonnement par analogie avec lequel, je suis sûr, l’éminent juge américain est familier, nous donne l’exemple d’une pièce de théâtre. Le fait qu’un personnage n’entre en scène qu’au troisième acte ne veut pas dire qu’il soit le dernier à poursuivre l’idée de l’auteur, qui domine tout l’ensemble. Cette comparaison nous éclaire sur le cas. C’est un des aspects du droit sur lequel il n’y a pas de contestation possible.
L’autre aspect consiste à savoir jusqu’à quel point ceux qui s’associent pour commettre un crime sont responsables des actions commises par les autres, c’est-à-dire, en dehors du crime même de conspiration.
Pour prendre un exemple extravagant, mais qui éclaire la question, imaginons qu’un complot existe entre des cheminots pour faire sauter des trains, et qu’un certain nombre de cheminots décident en décembre de faire sauter un train le 1er janvier, et d’en faire sauter un autre le 1er février ; entre la date du 1er janvier et celle du 1er février, un nouveau cheminot entre dans la conspiration. J’espère que j’ai parfaitement exprimé ce que M. le Président et l’éminent juge américain voulaient dire. Il y a un doute sur la question de la responsabilité de ce nouveau cheminot dans un meurtre qui aurait été commis à l’occasion de l’accident du 1er janvier. J’espère m’être clairement fait comprendre. Je suppose qu’un individu entre dans cette conspiration le 15 janvier, après le premier attentat au cours duquel une personne a été tuée ; ceux qui y ont pris part sont coupables d’assassinat, mais pour l’individu entré ultérieurement, il peut y avoir un doute sur la question de savoir s’il encourt une responsabilité rétroactive. D’après le droit anglais, il subsiste au moins un doute, bien que cette solution soit discutable. Mais d’après le droit américain, comme on me l’a indiqué, il faudrait en conclure qu’il est responsable au même titre que les autres.
Vous nous avez montré cela très clairement, Sir David, mais je voudrais savoir quel est à ce propos l’avis du Ministère Public.
Je m’excuse de m’être montré théorique mais c’est un point difficile à éclaircir, et je voulais le rattacher au droit qui m’est le plus familier.
En ce qui concerne le cas présent, le Ministère Public affirme que les accusés doivent être déclarés responsables des conséquences des actes commis en application du programme de la conspiration. Il est assez difficile de rester dans l’abstrait sur ce sujet, et prenons plutôt un exemple : l’accusé Speer (ici encore je fais appel à ma mémoire) qui a donné assez tard son adhésion à la conspiration. Il devint ensuite ministre de la Production et de l’Armement, et formula des demandes pour le travail forcé auxquelles l’accusé Sauckel donna satisfaction.
Le Ministère Public soutient qu’il n’y a aucune difficulté à condamner l’accusé Speer sur tous les chefs d’accusation, à condition que le Tribunal accepte les preuves qui lui ont été soumises. Par ses actes, il a contribué à conspirer contre la Paix ; il s’est rallié et est entré dans la conspiration pour poursuivre les guerres d’agression ; il a pris part aux guerres d’agression, en réclamant le travail forcé ; il a été l’instigateur de crimes de guerre : en l’espèce les mauvais traitements infligés aux populations des pays occupés ; et, en favorisant l’activité de l’accusé Sauckel, il a commis des crimes contre l’Humanité puisqu’il a participé à des actes condamnés par les lois de tous les pays civilisés ; et (je fais toujours appel à ma mémoire) ces actes ont probablement eu lieu dans des pays dont on peut discuter le point de savoir s’ils ont été occupés après une invasion, la Tchécoslovaquie par exemple.
Tel que l’Acte d’accusation a été rédigé, il n’y a aucune difficulté, d’après le Ministère Public, à condamner sur chacun des chefs d’accusation tout accusé qui apparaît dans la conspiration à une date assez tardive.
J’ai encore une dernière question à vous poser. Je ne pose ces questions que pour déterminer clairement quels sont les témoins qui doivent être cités. Si l’on prend 1921 comme date de début de la conspiration, il est évident que cette époque n’est pas trop éloignée et que nous pouvons envisager la citation de témoins contemporains. Ne doit-on pas conclure ainsi ?
Une année... ?
Pas éloignée par rapport à la conspiration.
Non, c’est précisément une partie de l’Acte d’accusation.
Puis-je me permettre quelques brèves remarques à ce sujet ? Je me suis basé sur l’Acte d’accusation général pour ce qui touche à la date de la conspiration. L’Acte d’accusation stipule purement et simplement que la date définitive que l’on peut prendre comme point de départ de la conspiration est un moment quelconque antérieur au 8 mai 1945.
Le Procureur Général américain, dans son exposé introductif, a expliqué le programme du Parti tel qu’il avait été conçu en 1921, puis revu, je crois, en 1925, et l’a déclaré légitime et inattaquable, suivant la traduction allemande, tant que ses buts ne devaient pas être atteints par la guerre. Supposons maintenant que les chefs du Parti devaient poursuivre la conquête de ces objectifs par la guerre : on ne voit pas très bien quelles furent les considérations qui les amenèrent à choisir ces buts et la Défense, comme le Ministère Public, devrait prouver qu’à partir de ce moment, la poursuite de ces buts devait s’effectuer au moyen de la guerre. De plus, il est incontestable que très peu de personnes, peut-être même une seule, étaient au courant des plans de guerre. En ce qui concerne les divers accusés et mon client lui-même, les époques auxquelles ils vinrent rejoindre le Parti furent très différentes. Tout d’abord ils furent de simples membres du Parti. En conséquence, ils pouvaient supposer, comme le disait le Procureur Général, que le programme du Parti auquel ils avaient adhéré était légalement inattaquable. Voici la question qui se pose pour la Défense à propos de l’attitude à adopter : pour quelle période chaque accusé peut-il être rendu individuellement responsable de ces buts qui devaient être atteints par la guerre, mais qu’il avait d’abord considérés comme légitimes et inattaquables, c’est-à-dire qui, comme il le supposait antérieurement, ne devaient pas être poursuivis par des moyens agressifs ?
L’accusé Ribbentrop se joignit-il à un groupe de conspirateurs lorsqu’en 1932 il entra en contact avec les milieux du Parti ? Était-il, en sa qualité d’ambassadeur à Londres, déjà au courant de la conspiration puisqu’il en faisait partie ou bien peut-on considérer qu’il ne se rendit compte qu’au moment du document Hossbach que les buts politiques du Parti entraîneraient la guerre, ou le fut-il à un autre moment encore ? La Défense doit s’attendre à ce que le prévenu soit accusé par le Ministère Public d’avoir rallié la conspiration dès le premier moment où il adhéra au Parti et accepta ses desseins. Dans ce cas, je me réfère aux paroles prononcées par Sir David, selon lesquelles les débuts de la conspiration remontaient à 1921. Il est de mon devoir de prouver par des témoins que mon client, par exemple, s’est préoccupé jusqu’en 1939 de négociations de paix, afin de réfuter les assertions selon lesquelles il aurait à ce moment déjà projeté ou préparé des guerres ou pris une part décisive à ces plans et préparations. C’est pourquoi je demande au Tribunal de considérer avec attention mes demandes de témoins et de documents. Je constate également que cette discussion n’a pas répondu à ma question : quand a commencé la conspiration ?
Monsieur le Président, je ne veux pas recommencer un débat général. Mon désir est que le Dr Horn sache de quels faits Ribbentrop doit répondre. Je l’ai déjà dit mais je veux que ce soit parfaitement clair.
D’après les entrées de Das Archiv, Ribbentrop a adhéré au parti nazi en 1930, et entre 1930 et janvier 1933, il a été l’un des instruments de l’accession au pouvoir du parti nazi. Cette publication semi-officielle dit que des rencontres entre Hitler et von Papen, entre des nazis et les représentants de Hindenburg, ont eu lieu à cette époque dans sa maison de Berlin-Dahlem. C’est le premier point, il est très clair et figure au procès-verbal.
Le deuxième point consiste dans le fait qu’il occupa certaines situations entre 1934 et 1936 qui prouvent qu’il était un politicien nazi important et d’avenir et qu’il négociait en matière d’affaires étrangères. En 1936 il a justifié l’action de l’Allemagne, dénonçant le Traité de Versailles. L’accusé justifie cette action devant la Société des Nations ; il doit donc répondre de son attitude. La même année, il a négocié le pacte anti-Komintern. Il faudra qu’il s’en explique. A partir de ce moment, il y a toute une suite de documents allemands qui figurent dans les procès-verbaux des 8 et 9 janvier, qui montrent exactement le rôle joué par l’accusé dans les dix agressions commises contre dix pays différents. J’ai l’honneur d’affirmer devant le Tribunal que c’est un cas très clair, auquel l’accusé devra faire face et sur lequel il ne peut subsister aucun doute.
J’ai déjà résumé les charges relatives aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité. Le Dr Horn trouvera encore cette question exposée avec tous les documents mentionnés dans le procès-verbal du 9 janvier.
J’émets respectueusement l’opinion que, quoiqu’on puisse dire, le cas de l’accusé Ribbentrop est absolument clair.
Monsieur le Président, dans ma défense contre les charges exposées par Sir David, j’ai présenté des preuves qui viennent à rencontre de ces accusations. Cependant je ne me suis pas borné à les réfuter et il me faut répéter ce que je viens de dire : je dois considérer tous les points qui sont reprochés à l’accusé au point de vue de la conspiration, puisque, suivant l’avis du Ministère Public, l’accusé Ribbentrop participe à cette conspiration ; et nous ne pouvons éviter la question : quand commença la conspiration ? En supposant que mon client en fît partie, cette participation ne commença pas en 1930, comme l’affirme le Ministère Public — je le réfuterai — mais seulement en 1932. D’ailleurs j’entends prouver par des témoins et d’autres preuves qu’en 1932, et même plus tard, il n’a pas pris part à la conspiration.
Très bien, mais vous pourriez peut-être continuer à nous parler des documents sur lesquels vous entendez vous appuyer.
Monsieur le Président, j’ai eu l’occasion de parler officieusement des documents avec le Dr Horn et je crois qu’il voudrait disposer — en ce qui concerne les documents 1 et 14 — de ces livres comme instruments de travail qu’il pourra éventuellement utiliser et dans lesquels il pourrait même prélever des extraits pour illustrer son exposé. Nous n’avons évidemment aucune objection à cela. J’ai toujours soutenu qu’il ne pouvait y avoir d’objection à ce que la Défense se servît de n’importe quel livre dans ses travaux.
Je voudrais cependant demander au Dr Horn ou aux autres avocats qui désirent utiliser un extrait d’un livre au cours de la présentation de leur exposé, de nous faire connaître l’extrait en question et, si nécessaire, dans quel but ils entendent l’utiliser. Je dis si nécessaire parce que, dans la plupart des cas, ce sera facile à voir, mais dans d’autres cas, cet usage pourrait revêtir une signification particulière. Si ces extraits nous sont indiqués, la question de pertinence ne se posera pas lorsque l’affaire viendra devant le Tribunal.
Cela me paraît nécessaire pour que les documents puissent être traduits.
Certainement.
Je précise que l’extrait du livre ou l’extrait du document que le Dr Horn a l’intention d’utiliser devra être traduit.
Le Ministère Public apportera toute l’aide possible aux avocats dans ce but. Nous nous empresserons de les aider sur ce point.
Les cinq derniers documents qui sont désignés tombent dans une catégorie assez différente. Je n’en ai pas encore parlé avec le Dr Horn, mais je soumets respectueusement — et c’est le point de vue de tous les Ministères Publics — qu’il serait difficile de justifier comme preuve devant le Tribunal des collections complètes de journaux. Mais si le Dr Horn n’a que l’intention de s’y référer, cela devient possible. Je ne sais pas exactement s’il veut les utiliser ou simplement s’y référer. Je ne sais rien sur le n° 19 du Daily Telegraph, retiré de la circulation, je suppose que le secrétariat peut faire une enquête à ce sujet auprès des éditeurs.
Voici le dernier point que je voudrais soulever. Maintenant que les débats sont assez avancés, j’ai besoin de ces documents afin de les utiliser dans ma plaidoirie, et je voudrais demander que les numéros de ces journaux — il s’agit de trois ou quatre journaux réunis dans un volume englobant les publications du mois — soient mis à ma disposition aussitôt que possible avec l’aide du Tribunal.
Que dites-vous à propos de ce numéro du Daily Telegraph qui a été retiré ? Vous n’avez pas encore dit pourquoi il serait pertinent.
Le 30 ou le 31 août 1939, une édition du Daily Telegraph fut retirée de la circulation parce qu’elle donnait d’amples détails sur le contenu du mémoire que von Ribbentrop, alors ministre des Affaires étrangères du Reich, avait lu à Sir Nevile Henderson, ambassadeur d’Angleterre à Berlin. On a prétendu, et le Ministère Public en particulier, que Ribbentrop avait lu ces notes à Henderson tellement rapidement que ce dernier n’avait pu en comprendre les points essentiels. On verra, dans ce numéro du Daily Telegraph du 31 août 1939, dans quelle mesure l’ambassadeur Henderson fut à même de comprendre les déclarations de Ribbentrop ou la lecture du mémorandum telle qu’il la fit. C’est pourquoi je demande ce numéro du Daily Telegraph. Je suis convaincu que le Ministère Public pourra l’obtenir par les moyens qui sont à sa disposition, mais qui nous font défaut.
Monsieur le Président, c’est la première fois que j’entends parler de ce numéro retiré de la circulation et...
Voulez-vous dire que c’est la première fois que vous avez entendu parler d’un numéro qui aurait été retiré de la circulation ?
Je n’ai jamais entendu dire, excepté par le Dr Horn, qu’un exemplaire avait été retiré de la circulation ; j’aurai probablement à faire une enquête à ce sujet.
Je voudrais ajouter une chose : le Dr Horn vient de soulever un point qui met en cause son client et Sir Nevile Henderson. Pour la défense de l’accusé Göring, le Dr Stahmer a fait connaître dans un questionnaire que Göring avait demandé que le contenu de ce document fût révélé officieusement à M. Dahlerus à l’insu de l’accusé Ribbentrop. C’est le point qu’il souligne dans son questionnaire. Mais il ne s’ensuit nullement que la présentation que Sir Nevile Henderson a donné à l’entretien fût fausse, même si un communiqué a été publié sur ce document. Je ne veux pas mettre en question la mémoire de Sir Nevile Henderson, mais je vais faire une enquête sur ce sujet, dont je viens d’entendre parler pour la première fois.
Puis-je ajouter pour renseigner davantage le Tribunal que l’accusé Göring n’a fait parvenir ce mémorandum à l’ambassadeur Henderson qu’à une date ultérieure ? Il est donc d’une importance décisive de savoir si et quand Henderson eut connaissance de ce mémorandum et s’il l’eut en temps voulu pour pouvoir encore le communiquer à temps au Gouvernement polonais. C’est pourquoi je demande cette très importante édition du Daily Telegraph.
Merci, Docteur Horn. Nous allons continuer avec les preuves concernant l’accusé Keitel.
Me permettez-vous, Monsieur le Président, de faire une observation préliminaire aux débats qui sont prévus à propos des preuves qui intéressent l’accusé Keitel ? J’espère que les discussions sur les nombreuses demandes de preuves seront de ce fait considérablement réduites. Vous verrez, par ma requête écrite, que, pour la majorité des témoins, un témoignage revient sans cesse : la situation de l’accusé Keitel, en tant que chef de l’OKW et dans toutes ses autres fonctions officielles, sa personnalité, particulièrement en ce qui concerne ses relations avec Hitler, et la mise au point de la hiérarchie du commandement dans la Wehrmacht. Je produirai des preuves qui montreront combien est fausse l’image de l’accusé Keitel telle qu’elle a été forgée par l’opinion et par le Ministère Public quant à sa personnalité, sa compétence et ses activités. Aucun nom, au cours de ce Procès, n’a été si souvent prononcé que celui de l’accusé Keitel. Tout document qui, d’une façon quelconque, avait trait à des questions militaires, a été identifié avec l’OKW, et l’OKW à son tour avec Keitel. L’accusé croit, et cela me paraît à juste titre...
Je crois que le Tribunal appréciera les questions générales que vous abordez pour l’accusé Keitel quand vous plaiderez, mais il ne semble pas nécessaire au Tribunal que vous le fassiez maintenant.
Je ne fais que les indiquer pour rendre possible une appréciation d’ensemble de tous les témoins appelés à témoigner. Je crois que Sir David partage cette opinion, nous en avons parlé samedi. C’est pourquoi je voulais simplement au préalable exposer l’objet des témoignages qui auraient autrement exigé cinq ou six rubriques.
Voulez-vous dire, Docteur Nelte, que vous traiterez tous vos témoins en une seule série d’observations ? Pouvez-vous nous aider, Sir David ?
Oui, je crois. En dehors des témoins mentionnés qui sont aussi des accusés et se trouvent à la disposition du Tribunal, le Dr Nelte demande que soient entendus le Feldmarschall von Blomberg, le général Halder, le général Warli-mont et le chef du Service juridique de l’OKW, le Dr Lehmann. Le Ministère Public ne fait pas d’objection à la citation de ces témoins, qui doivent parler de l’accusé Keitel en tant que chef de l’OKW. En ce qui concerne le témoin Erbe qui, je crois, était fonctionnaire et qui est convoqué spécialement en vertu de son rôle dans le Comité de Défense du Reich...
A-t-on déjà envoyé les questionnaires ?
Oui, nous avons toujours prétendu que les questionnaires seraient suffisants et que ce dernier témoin ne devait pas comparaître à l’audience. En ce qui concerne le témoin suivant — Römer — que le Dr Nelte veut faire citer pour témoigner du fait que le décret qui avait trait à la marque au fer rouge des prisonniers de guerre soviétiques avait été pris par erreur et abrogé immédiatement sur l’ordre de Keitel, sa déposition est pertinente et nous n’avons aucune objection à formuler.
Nous n’élevons non plus aucune objection pour le général Reinecke qui parlera de questions concernant les prisonniers de guerre.
Pour M. Romilly, il n’y a pas d’objection, à condition que son intervention se limite aux questionnaires accordés et qu’il ne soit pas appelé à comparaître.
Mon ami, M. Champetier de Ribes, aura un mot à dire au sujet de l’ambassadeur Scapini. Je lui ai demandé de bien vouloir s’en occuper.
Nous arrivons à deux témoins, le Dr Junod et M. Petersen. Pour l’instant le Ministère Public ne voit pas pourquoi ces témoins viendraient se joindre au général Reinecke. Il y aura certainement des objections de la part du Ministère Public si le but du témoignage est de montrer que l’Union Soviétique ne traitait pas les prisonniers de guerre comme ils auraient dû l’être.
La citation du Dr Lammers a été acceptée par le Tribunal.
Et pour finir, trois témoins sont appelés pour dire que deux sténographes devaient assister aux discussions entre Hitler et l’accusé Keitel. Le Ministère Public ne considère pas ce fait comme capital. Si le Dr Nelte nous donne un affidavit de l’une de ces personnes, le Ministère Public ne discutera pas sur ce point. Pour parler franchement, cela ne nous intéresse absolument pas et nous sommes d’accord pour estimer qu’un affidavit suffira.
En résumé, et j’essaie seulement d’aider le Dr Nelte, les seuls sujets de discussion de la part du Ministère Public sont : la question de l’ambassadeur Scapini sur laquelle se prononcera le Ministère Public français, mes objections contre le Dr Junod et M. Petersen et ma suggestion d’un affidavit pour les trois derniers témoins. Il y a donc peu de différence entre nos points de vue. Voilà qui me permet de dire que, dans l’ensemble, le Ministère Public estime que les témoins du Dr Nelte sont pertinents. C’est pourquoi il n’élève aucune objection.
Je crois que le Dr Nelte a été informé du contre-temps dû au Feldmarschall Blomberg qui est très malade en ce moment. Je suis sûr, Docteur Nelte, que l’accusé Keitel serait le premier à accepter un arrangement pour obtenir son témoignage sans entraîner sa comparution personnelle.
Je remercie Sir David de sa grande obligeance ; il a rendu ma tâche plus aisée.
Je désire ajouter quelques remarques : je poserai des questions écrites au témoin Dr Erbe.
J’ai déjà adressé des questions écrites au témoin Petersen et, selon sa réponse, je le citerai ou non.
Je crois pouvoir dire que la citation du témoin Junod est pertinente parce que le Ministère Public soviétique a déclaré qu’une offre d’appliquer la Convention de Genève avait été refusé par Keitel. Le Dr Junod doit être entendu comme témoin parce que, au nom du service des prisonniers de guerre de l’OKW, il est entré en contact avec l’Union Soviétique pour assurer l’application de la Convention de Genève ; mais cet accord n’a pas pu être conclu.
Je crois que si le général Reinecke est le seul à être cité pour déposer sur ce point en sa qualité de chef du service des prisonniers de guerre, il ne pourra pas donner un témoignage suffisant puisqu’il ne pourra pas témoigner sur ce que le Dr Junod a fait en réalité. C’est pourquoi je vous demande d’entendre ce témoin.
En ce qui concerne les sténographes, je demande la permission de donner un affidavit.
Au sujet de l’ambassadeur Scapini, je tiens à dire que ce témoin était le représentant permanent du Gouvernement français de Vichy et qu’il était particulièrement chargé de s’occuper du traitement des prisonniers de guerre en Allemagne. Je crois que c’est un motif très suffisant pour qu’il soit entendu ici et que son témoignage soit considéré comme pertinent. Je ne connais pas son adresse, mais j’espère que le Ministère Public français pourra me renseigner.
Nous ne verrions aucun inconvénient à l’audition de l’ancien ambassadeur Scapini si sa déposition pouvait avoir, à notre sens, le moindre intérêt pour la recherche de la vérité ; mais les raisons que donne le Dr Nelte pour motiver l’appel qu’il fait à son témoignage nous semblent démontrer elles-mêmes l’absence totale de pertinence de ce témoignage. L’ancien ambassadeur Scapini, dit, en effet, l’honorable représentant de la Défense, pourrait démontrer et dire qu’il exerçait librement son contrôle dans les camps de prisonniers de guerre et que, d’ailleurs, ces prisonniers de guerre avaient un homme de confiance. Mais cela, nous en donnons bien volontiers acte à la Défense. Il est parfaitement exact que l’Allemagne avait consenti à ce que l’ancien ambassadeur Scapini dont on sait que, blessé de la guerre de 1914, il est aveugle, puisse visiter les camps de prisonniers et entendre, s’il ne pouvait pas les voir, les prisonniers de guerre français.
Mais la question n’est pas tant de savoir si les Allemands avaient consenti à ce qu’un inspecteur aveugle pût visiter les camps. La seule question posée par l’Acte d’accusation est si, malgré les visites de cet inspecteur et si, malgré la présence d’un homme de confiance dans les camps, il ne se passait pas dans les camps des actes contraires aux lois de la guerre.
A ce sujet, l’ancien ambassadeur Scapini ne pourrait certainement donner aucune réponse, car rien ne se passait évidemment devant lui, et c’est pourquoi le Ministère Public français estime que la déposition de l’ancien ambassadeur Scapini n’apporterait aucune lueur pour la recherche de la vérité.
Monsieur le Président, je ne savais pas que l’ambassadeur Scapini était aveugle. La délégation dont il était le chef faisait, à défaut de lui-même, des visites régulières dans les camps de prisonniers de guerre français. Il est certain que dans les camps de prisonniers de guerre se sont passées des choses qui constituaient des violations de la Convention de Genève, mais il s’agit ici de savoir si l’accusé Keitel et l’OKW, comme autorité supérieure, ont fait, ou tout au moins ont essayé de faire ce qu’ils devaient en qualité de chefs suprêmes des camps. L’OKW n’avait pas d’autorité sur les camps eux-mêmes ; il ne pouvait que donner des ordres concernant le traitement des prisonniers de guerre et autoriser les puissances protectrices à visiter les camps.
Les questionnaires seraient-ils suffisants dans le cas où nous nous en tiendrions à eux ? Pourrait-on adresser un questionnaire à M. Scapini ?
Vous voulez dire une audition à Nuremberg ? Est-ce que l’ambassadeur Scapini pourrait être entendu à Nuremberg ?
Non. Je vous demandais si des questionnaires seraient suffisants ? M. Scapini n’est pas à Nuremberg, c’est pourquoi je vous demande si des questionnaires écrits seraient suffisants.
Je demande si les questions écrites que je me propose d’établir seront suffisantes ou bien s’il me faudra attendre une autre décision ? Je pense que l’ambassadeur Scapini pourra me répondre par écrit et suivant sa réponse...
Oui, par écrit. Êtes-vous d’accord, Monsieur Champetier de Ribes ?
Parfaitement, Monsieur le Président.
Je crois que nous pouvons suspendre l’audience.