SOIXANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Mercredi 27 février 1946.

Audience du matin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise au Tribunal. Je voudrais demander l’autorisation de donner une courte explication sur l’origine du document relatif au Stalag Luft III dont il a été question à l’audience d’hier.

LE PRÉSIDENT

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

A l’époque où ont été rassemblées les preuves en vue de ce Procès, on écrivit à chaque Gouvernement intéressé pour lui demander s’il voulait fournir des rapports officiels. Ces rapports ont été reçus et versés au dossier par les divers Ministères Publics.

Le document concernant l’exécution de prisonniers au Stalag Luft III est un rapport de ce genre émanant du Gouvernement britannique. Il a été établi d’après divers renseignements qui sont inclus dans les pièces annexes ; ces renseignements comprenaient l’interrogatoire du général Westhoff, qui a été envoyé, ainsi que des milliers d’autres documents, à la Commission des crimes de guerre des Nations Unies, pour que cette Commission puisse décider s’il y avait là matière à intervention.

Ce document fut ensuite remis par la Commission des crimes de guerre des Nations Unies au Gouvernement britannique et il a été considéré comme faisant partie de la documentation du rapport britannique. Je certifie que c’est un rapport officiel du Gouvernement britannique et je suis spécialement autorisé par le Gouvernement de Sa Majesté à certifier l’authenticité de ce rapport. Cette autorisation est très courte et il serait peut-être utile que je la lise pour qu’elle puisse figurer dans le procès-verbal. J’en ai une copie qui m’a été envoyée sur papier officiel du Cabinet et signée par Sir Edward Bridges, secrétaire du Cabinet. L’original qui a été envoyé à l’Attorney général, nous concerne tous deux, mais il ne peut y avoir de doute sur son authenticité et il peut être produit si c’est nécessaire.

« Le Gouvernement de Sa Majesté du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a autorisé l’Honorable Sir Hartley Shawcross, K.C., M.P., Procureur Général britannique, nommé en vertu de l’article 14 du Statut, conformément à l’accord du 8 août 1945, et l’Honorable Sir David Maxwell-Fyfe, K.C., M.P., Procureur Général britannique adjoint, à certifier les documents présentés au Procès des Criminels de Guerre devant le Tribunal Militaire International, dans la mesure où ils constituent des documents du Gouvernement royal du Royaume-Uni. »

Je soutiens donc respectueusement que, par mon authentification personnelle, ce document est devenu un document officiel au sens de l’article 21 du Statut et que le Tribunal est par là même tenu de l’admettre comme tel. Dans ces conditions, je propose respectueusement au Tribunal d’admettre ce document comme preuve. Il appartient à la Défense de citer un témoin si elle le désire et de présenter des requêtes sur lesquelles le Tribunal statuera.

Mais je me permets de prétendre qu’un document certifié comme officiel, comme le sont tous les rapports d’un Gouvernement, doit être, en vertu du Statut, admis par le Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Sir David, le Tribunal a accepté hier ce document comme preuve, mais il est heureux d’entendre votre explication et constate que rien, dans ses décisions, ne contredit ce que vous avez déclaré.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Certainement, Monsieur le Président.

COLONEL SMIRNOV

Me permettez-vous de continuer ?

LE PRÉSIDENT

Oui, colonel Smirnov.

COLONEL SMIRNOV

Messieurs, je me permettrai de vous rappeler quelques chiffres que j’ai cités à la fin de l’audience d’hier. Je parle du chiffre des Juifs exterminés en Pologne et en Tchécoslovaquie. Je me permettrai de rappeler au Tribunal que le chiffre que j’ai cité hier, en me basant sur le rapport du Gouvernement polonais, est de 3.000.000 pour la Pologne. En Tchécoslovaquie, sur 118.000 Juifs, il en reste 6.000 seulement.

Je me permettrai, maintenant, de passer au rapport du Gouvernement yougoslave et j’en citerai un alinéa que les membres du Tribunal trouveront page 75 du livre de documents, troisième alinéa. Je cite :

« Sur 75.000 Juifs yougoslaves et environ 5.000 venus d’autres pays et se trouvant en Yougoslavie à l’époque de l’agression allemande, c’est-à-dire sur un chiffre total de 80.000 Juifs, il ne restait que 10.000 survivants après l’occupation. »

Je demande au Tribunal, pour renforcer les données de cette partie de mon exposé, de citer le témoin Abraham Gerzevitch Suzkever ; c’est un écrivain juif qui ainsi que sa famille, fut victime des criminels germano-fascistes dans les territoires alors occupés de la République soviétique de Lituanie. Je vous demande d’autoriser l’audition de ce témoin.

LE PRÉSIDENT

Oui.

(Le témoin s’approche de la barre.)
LE PRÉSIDENT

Comment vous appelez-vous ?

TÉMOIN ABRAHAM GERZEVITCH SUZKEVER

Suzkever.

LE PRÉSIDENT

Êtes-vous citoyen soviétique ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter après moi : « Moi, Suzkever Abraham Gerzevitch, citoyen des Républiques Socialistes Soviétiques, cité comme témoin dans ce Procès, promets et jure en présence du Tribunal de ne dire que la vérité sur tout ce que je connais dans cette affaire. »

(Le témoin répète le serment.)
LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez.

COLONEL SMIRNOV

Dites-nous, témoin, où vous trouviez-vous pendant l’occupation allemande ?

TÉMOIN SUZKEVER

Pendant l’occupation allemande, je suis resté à Vilna depuis le premier jour et presque jusqu’au dernier.

COLONEL SMIRNOV

Avez-vous été témoin oculaire de la persécution des Juifs dans cette ville ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui.

COLONEL SMIRNOV

Pouvez-vous en faire part au Tribunal ?

TÉMOIN SUZKEVER

Lorsque les Allemands s’emparèrent de Vilna, ma ville natale, elle comptait environ 80.000 Juifs. Aussitôt, au n°  12 de la Vilnaerstrasse, on organisa un Sonderkommando dirigé par Schweineberg et Martin Weiss. Les agents de ce Sonderkommando, les « chapun » comme les appelaient les Juifs, faisaient irruption jour et nuit dans les habitations des Juifs, s’emparaient des hommes, leur ordonnaient de prendre avec eux un morceau de savon et une serviette et les emmenaient à la bourgade de Ponari, à 8 kilomètres de Vilna, dont personne ne revenait. Lorsque les Juifs virent que leurs proches ne revenaient plus, une grande partie de la population se cacha, mais les Allemands dénichèrent les gens avec des chiens policiers. Ils en trouvèrent beaucoup. Ceux qui refusaient de les suivre étaient fusillés sur place. Je dois ajouter que les Allemands prétendaient que l’extermination des Juifs était légale. Le 8 juillet parut un ordre d’après lequel tous les Juifs devaient porter une marque blanche dans le dos ; plus tard également sur la poitrine. Cet ordre était signé par le commandant de la place de Vilna nommé Zehnpfennig. Le deuxième jour, un autre commandant allemand, Neumann, décida qu’il ne fallait plus porter ces taches, mais l’étoile jaune de David.

COLONEL SMIRNOV

Que signifie l’étoile jaune de David ?

TÉMOIN SUZKEVER

C’est une étoile hexagonale que les Juifs devaient porter sur la poitrine et sur le dos pour se distinguer des autres habitants.

Le troisième jour, encore un nouvel ordre : il fallait porter un brassard bleu avec une étoile blanche. Mais les Juifs ne connaissaient pas le signe qu’ils devaient porter parce qu’ils séjournaient très peu dans la ville. Ceux qui ne portaient pas ces insignes furent arrêtés et on ne les a jamais revus.

Le 17 juillet 1941, je fus le témoin oculaire d’un pogrom massif à Vilna dans la rue de Novgorod. Ce pogrom fut dirigé par Schweineberg et Martin Weiss, déjà cités, ainsi que par un certain Herring et un chef allemand de la Gestapo, Schönhaber. Les éléments du Sonderkommando encerclèrent tout l’arrondissement, poussèrent tous les hommes dans la rue, leur ordonnèrent d’ôter leurs ceintures et de poser leurs mains sur leurs têtes

(Le témoin fait le geste.) Lorsque cet ordre fut exécuté, on les dirigea tous vers la prison de Lutitchev, mais lorsqu’ils se mirent en marche, leurs pantalons commencèrent à glisser et ils ne pouvaient plus marcher. Ceux qui voulurent retenir leur pantalon avec la main furent immédiatement fusillés sur place dans la rue. J’ai vu moi-même, lorsque ma colonne se mit en mouvement, 100 à 150 hommes ainsi fusillés qui gisaient à terre et des ruisseaux de sang qui coulaient dans la rue comme si une pluie rouge était tombée.

Dans les premiers jours d’août 1941, alors que je me rendais chez ma mère, un Allemand m’interpella dans la rue des Documents et me dit : « Viens avec moi, tu joueras dans un cirque. » Pendant que je marchais à ses côtés, je vis qu’un deuxième Allemand emmenait un autre Juif qui était un vieux rabbin de ce quartier, du nom de Kassel, et un troisième Allemand qui entraînait un jeune Juif. Quand nous arrivâmes à la vieille synagogue qui se trouve dans cette rue, je vis qu’il y avait là un bûcher en forme de pyramide. Un Allemand sortit son revolver et nous dit de nous dévêtir. Quand nous fûmes nus, il prit une allumette et alluma le tas de bois. Alors, un autre Allemand apporta de la synagogue trois rouleaux de la Thora et nous les donna en nous disant de danser autour du bûcher en chantant des chansons russes. Ces trois Allemands étaient derrière nous et nous poussaient en riant vers le feu avec leurs baïonnettes. Lorsque nous fûmes presque sans connaissance, ils s’en allèrent.

Je dois dire que l’extermination en masse de la population juive de Vilna commença dès l’arrivée dans cette ville du commissaire de district, Hans Fincks, et du rapporteur aux affaires juives, Muhrer.

Le 31 août, sous leur direction...

LE PRÉSIDENT

En quelle année ?

TÉMOIN SUZKEVER

En 1941.

LE PRÉSIDENT

Continuez.

TÉMOIN SUZKEVER

Sous la direction de Fincks et de Muhrer, les Sonderkommandos encerclèrent le vieux quartier juif de Vilna, et en particulier la rue de Roudnitsk, la rue des Juifs, la rue Galonski, les rues Shabelski et Straschouna, où vivaient environ huit à dix mille Juifs. J’étais malade à cette époque et je dormais. Tout d’un coup, j’ai senti un coup de fouet. Quand je me suis levé du lit, je vis devant moi Schweineberg et, à côté de lui, un chien de grande taille. Schweineberg frappa tout le monde et nous poussa dans la cour. Quand j’y arrivai, j’y vis un grand nombre de femmes, d’enfants et de vieillards, tous Juifs habitant le quartier. Schweineberg fit encercler ce groupe de personnes par le Sonderkommando et nous dit qu’on allait nous emmener au ghetto. Évidemment, comme tout ce que disait l’Allemand, c’était encore un mensonge. Par colonnes, la nuit, nous traversâmes la ville jusqu’à la prison de Lutitchev et nous savions déjà tous qu’on ne nous conduisait pas au ghetto mais à la mort. Aux environs immédiats de la prison de Lutitchev, près du marché de Lutischkin, nous vîmes une double haie d’Allemands, armés de matraques blanches, qui étaient prêts à nous recevoir. Pendant que nous passions entre eux, ils nous frappaient avec leurs matraques. Si l’un d’entre nous tombait, on forçait le Juif qui était derrière lui à le relever et le porter à l’intérieur de la prison par une grande porte qui était ouverte. Je m’enfuis devant la prison ; je traversai la Vilia à la nage et je me cachai chez ma mère. Ma femme, qui avait été enfermée dans cette prison et qui s’échappa par la suite, me raconta qu’elle y avait vu le célèbre professeur juif Moloch Prilutzky agonisant, ainsi que le docteur Jacob Vigotzky, président de la communauté juive de Vilna, le jeune historien Pinkus Kohn et les célèbres artistes Hasch et Kadisch qui étaient déjà morts. Les Allemands battaient les prisonniers, leur enlevaient tout ce qu’ils avaient, puis, les menaient au village de Ponari.

Le 6 septembre, à 6 heures du matin, des milliers d’Allemands, sous la direction du commissaire de district, Hans Zincks, de Muhrer, Schweineberg, Martin Weiss et d’autres, encerclèrent toute la ville, fracturèrent les portes des maisons juives et ordonnèrent aux habitants de prendre ce qu’ils pouvaient emporter et de sortir dans la rue. Ensuite tout le monde fut dirigé vers le ghetto. Comme nous passions dans la rue Vilkomirovskaïa, je vis que les Allemands avaient fait sortir de l’hôpital les Juifs en traitement qui portaient leur costume bleu de malade. Ils furent mis en tête de la colonne et un opérateur de cinéma allemand filma cette scène.

Je dois ajouter que tous les Juifs ne furent pas mis dans ce ghetto. Fincks le fit d’après une idée bien arrêtée. Les habitants d’une rue furent poussés dans un ghetto et les habitants d’une autre rue dans la direction de Ponari. Pour commencer, les Allemands créèrent deux ghettos à Vilna. Dans le premier, il y avait 29.000 Juifs et dans le second 15.000. Environ la moitié de la population juive de Vilna ne parvint jamais dans un ghetto, mais fut fusillée sur la route. Je me rappelle, lorsque nous arrivâmes dans le ghetto...

COLONEL SMIRNOV

Un moment, témoin. Vous ai-je bien compris ? Avant l’arrivée au ghetto, la moitié de la population juive de Vilna avait déjà été exterminée ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui, c’est exact. A mon arrivée au ghetto, je vis que Martin Weiss y pénétrait avec une fillette juive. Il la regarda, tira un revolver de sa poche et la tua. Elle s’appelait Gitele Tarlov.

COLONEL SMIRNOV

Quel âge avait cette fillette ?

TÉMOIN SUZKEVER

Elle avait 11 ans. Je dois dire que les Allemands avaient organisé ce ghetto dans le seul but d’exterminer plus facilement sa population. Le chef du ghetto était Muhrer, le directeur des Affaires juives. Il donna toute une série d’ordres insensés. Par exemple, les Juifs n’avaient pas le droit de porter la moustache. Les Juifs n’avaient pas le droit de faire leur prière dans le ghetto. Lorsqu’un Allemand entrait dans le ghetto, tous les Juifs devaient se découvrir mais n’avaient pas le droit de le regarder.

COLONEL SMIRNOV

Étaient-ce des ordres officiels ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui, de Muhrer.

COLONEL SMIRNOV

Étaient-ils affichés dans le ghetto ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui, ils étaient affichés. Ce même Muhrer, quand il entrait dans les ateliers juifs, ordonnait à tous les travailleurs de se jeter à terre et d’aboyer comme des chiens. Le jour du Pardon, en 1941, Schweineberg et le Sonderkommando se ruèrent dans le deuxième ghetto et tous les vieillards qui se trouvaient dans les synagogues furent déportés à Ponari. Je me souviens d’un jour où Schweineberg entra dans ce deuxième ghetto et fit rassembler les Juifs par ses sbires.

COLONEL SMIRNOV

Qui étaient ces sbires ?

TÉMOIN SUZKEVER

C’étaient des soldats du Sonderkommando que la population du ghetto appelait ainsi.

COLONEL SMIRNOV

Les soldats du Sonderkommando étaient appelés sbires par la population ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui. Ces sbires chassèrent les Juifs des caves et voulurent les emmener à Ponari. Mais les Juifs savaient qu’aucun d’eux ne reviendrait, c’est pourquoi ils ne voulaient pas partir. Alors, Schweineberg se mit à tirer sur la population du ghetto. Il y avait à côté de lui un chien policier de grande taille qui, entendant ces coups de feu, sauta sur Schweineberg et essaya de le mordre à la gorge ; le chien avait l’air enragé. Schweineberg le tua et nous dit de l’enterrer et de pleurer sur sa tombe. Oui, nous avons réellement pleuré alors, parce que c’était ce chien qui gisait dans cette tombe et non pas Schweineberg.

A la fin de décembre 1941, un ordre fut publié dans le ghetto, aux termes duquel les femmes n’avaient pas le droit de donner le jour à des enfants.

COLONEL SMIRNOV

Je vous prie de nous communiquer la forme sous laquelle cet ordre fut publié.

TÉMOIN SUZKEVER

Muhrer vint à l’hôpital et dit aux médecins juifs que les femmes juives ne devaient plus donner le jour à des enfants ; si les Allemands apprenaient qu’une femme juive avait accouché dans le ghetto, son enfant serait immédiatement tué.

A la fin de décembre, ma femme accoucha d’un garçon dans le ghetto. Je n’étais pas dans le ghetto à ce moment, ayant échappé à ce qu’on appelait une « action d’extermination ». Quand je revins, j’appris que ma femme avait accouché d’un garçon deux jours avant, et je me dirigeai immédiatement vers l’hôpital ; je vis qu’il était encerclé par les Allemands. Il y avait devant l’entrée une voiture automobile noire auprès de laquelle se trouvait Schweineberg. Les sbires transportaient hors de l’hôpital des vieillards et des malades et les jetaient comme des bûches de bois dans cette voiture. Parmi eux, je reconnus l’écrivain et éditeur juif Grodninsky qui fut jeté comme les autres dans ce camion. Quand, le soir, les Allemands se retirèrent, j’entrai dans l’hôpital et vis ma femme éplorée. J’appris que, lorsqu’elle accoucha de son petit garçon, les médecins juifs de l’hôpital avaient déjà reçu l’instruction interdisant aux femmes juives de donner le jour à des enfants. Ils cachèrent l’enfant avec d’autres dans une chambre, mais quand la commission allemande entra avec Muhrer dans l’hôpital, elle entendit probablement les cris des nouveaux-nés. En tout cas, les soldats défoncèrent la porte de la pièce et s’y ruèrent. Quand ma femme entendit qu’on avait défoncé la porte de la chambre où se trouvait son enfant, elle se leva rapidement pour voir ce qu’on faisait et elle vit qu’un Allemand tenait l’enfant et lui mettait quelque chose sur les lèvres. Il le jeta ensuite sur le lit en riant. Quand ma femme prit l’enfant, elle vit qu’il avait déjà les lèvres noires. Quand j’arrivai à mon tour à l’hôpital, je vis que mon enfant était mort. Il était encore tiède.

Le jour suivant, je me rendis chez ma mère dans le ghetto et je vis que sa chambre était vide. Sur la table il y avait encore un livre de prières ouvert et un verre de thé auquel on n’avait pas touché. J’appris que la nuit précédente les Allemands avaient encerclé la maison et avaient emmené tous les habitants à Ponari. Dans les derniers jours de décembre 1941, Muhrer fit un cadeau au ghetto. C’était une voiture pleine des chaussures de tous les Juifs qui avaient été fusillés à Ponari. Parmi ces vieilles chaussures, je reconnus celles de ma mère.

Peu de temps après, le deuxième ghetto fut complètement anéanti et, dans les journaux allemands de Vilna, on écrivit que les Juifs de cette région étaient tous morts d’épidémie.

Le 23 octobre 1941 dans la nuit, Muhrer arriva et distribua à la population du ghetto trois mille cartes jaunes qui étaient de prétendus laissez-passer. Les porteurs de ces cartes avaient le droit de faire venir leurs proches et cela représentait environ 9.000 personnes. A cette époque vivaient dans le ghetto de 18.000 à 20.000 Juifs. Le lendemain matin, ceux qui possédaient des cartes jaunes furent conduits au travail et ceux qui restèrent dans le ghetto et n’avaient pas de carte jaune et ne voulaient pas aller à la mort furent massacrés dans le ghetto même. Le reste fut emmené à Ponari.

Je possède un document que j’ai trouvé après la libération de Vilna et qui a trait aux vêtements juifs de Ponari. Si ce document vous intéresse, je peux le montrer.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous ce document ?

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, je ne connais pas non plus ce document.

TÉMOIN SUZKEVER

Ce document dit — je ne lirai que quelques extraits :

(Le témoin lit le document en allemand.) Une partie seulement en a été traduite. Il a été déposé ultérieurement sous le n°  URSS-444.)

COLONEL SMIRNOV

Témoin, quand vous lisez un document, il faut le transmettre au Tribunal, parce que autrement nous n’avons pas la possibilité de nous faire une opinion à son sujet.

TÉMOIN SUZKEVER

Certainement.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous nous dire d’abord où ce document a été trouvé ?

TÉMOIN SUZKEVER

J’ai trouvé ce document au commissariat de district de Vilna, en juillet 1944, alors que notre ville venait d’être libérée des envahisseurs allemands.

LE PRÉSIDENT

Où dites-vous qu’il a été trouvé ?

TÉMOIN SUZKEVER

Au commissariat de district de la ville de Vilna, rue Gedemin.

LE PRÉSIDENT

Le bâtiment avait-il été occupé par les Allemands ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui, c’était le Quartier Général du commissaire de district allemand. Muhrer et Hans Fincks y habitaient.

LE PRÉSIDENT

Veuillez lire encore une fois la partie du document que vous venez de lire. Nous ne l’avons pas entendue.

TÉMOIN SUZKEVER

Certainement.

« A Monsieur le commissaire de la région de Vilna. Conformément à votre ordre, les vieux vêtements des Juifs de Ponari sont actuellement désinfectés et remis à l’administration de Vilna. »

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous le déposer.

COLONEL SMIRNOV

Témoin, la question suivante m’intéresse. Vous avez dit qu’au début de l’occupation allemande il y avait à Vilna 80.000 Juifs. Combien en restait-il après de départ des Allemands ?

TÉMOIN SUZKEVER

Après le départ des Allemands, il en restait environ 600.

COLONEL SMIRNOV

C’est-à-dire que 79.400 personnes furent exterminées ?

TÉMOIN SUZKEVER

Oui.

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, je n’ai plus de question à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que les autres Ministères Publics veulent poser des questions au témoin ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je n’ai pas de questions à poser.

M. DODD

Aucune question à poser.

LE PRESIDENT

Est-ce que la Défense veut poser des questions au témoin ? Non. Dans ce cas, le témoin peut se retirer. (Le témoin se retire.) Vous pouvez continuer, colonel Smirnov.

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, permettez-moi de modifier un peu mon exposé et de présenter un peu plus tard la partie consacrée aux persécutions religieuses. Je désirerais présenter maintenant, avec l’autorisation du Tribunal, la partie de mes explications intitulées : « Expériences sur les personnes vivantes ». Elle figure à la page 47 du texte russe.

Avant d’arriver à cette partie de mon exposé, je voudrais lire quelque brefs extraits d’un document, qui n’ont pas été lus par mes collègues américains, car ils sont consacrés à des expériences déjà décrites par le Ministère Public américain d’après d’autres documents. Il s’agit du document américain PS-400 (URSS-435) qui se rapporte aux expériences du Dr Rascher. Il vous est présenté sous la forme d’une photocopie réunissant une série de pièces. Je n’en citerai que deux alinéas qui confirment la prédilection du Dr Rascher pour le camp d’Auschwitz. Ce passage se trouve à la page 149 de votre livre de documents. Je commence la citation :

« Le plus simple serait que je sois transféré dans une unité des Waffen SS et que j’aille avec mon neveu à Auschwitz où j’éclaircirai plus rapidement, par une série d’expériences, le problème de réchauffement des corps glacés. Auschwitz se prête beaucoup mieux que Dachau à de tels essais, car il y fait plus froid et le camp est plus grand, ce qui permettra de moins attirer l’attention (les sujets soumis aux expériences crient quand ils ont très froid).

Très honoré Reichsführer, s’il est dans vos intentions d’accélérer ces expériences importantes pour l’Armée à Auschwitz, Lublin, ou dans n’importe quel autre camp de l’Est, je vous prie respectueusement de me donner bientôt un ordre en conséquence, afin que je puisse encore mettre à profit les derniers froids de l’hiver.

« Avec mes saluts très déférents, une sincère gratitude et Heil Hitler, je reste votre dévoué. S. Rascher. »

Je me permettrai de signaler au Tribunal que le désir du Dr Rascher d’aller à Auschwitz n’était pas fortuit, car justement on procédait à Auschwitz, sur des personnes vivantes, à des expériences d’une nature si horrible qu’elles dépassaient de loin ce qui avait lieu dans les autres camps de concentration du Reich.

Nous avons déjà déposé sous le n° URSS-8 le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes féroces commis par le Gouvernement allemand à Auschwitz. L’introduction de ce rapport contient ce passage que vous trouverez à la page 196 du livre de documents. Je ne lis qu’un alinéa :

« On créa dans le camp des hôpitaux, des blocs de chirurgie, des laboratoires et autres installations ; cependant ils étaient là non pas pour guérir, mais pour tuer. Des professeurs et des médecins allemands y procédaient à des expériences en masse sur des hommes, des femmes et des enfants bien portants. Il s’agissait de la stérilisation des femmes et de la castration des hommes. On inoculait à des enfants et à des hommes âgés le typhus et la malaria. On constatait les effets de divers poisons sur des personnes vivantes. »

Je voudrais souligner le fait que les expériences les plus fréquentes étaient celles de la stérilisation et de la castration. On avait bâti dans ce but plusieurs blocs dans le camp. Je vais citer deux extraits du rapport de la Commission extraordinaire d’État, que les membres du Tribunal trouveront à la page 196 du livre de documents, cinquième alinéa. Je commence la citation :

« Dans les sections sanitaires du camp d’Auschwitz avaient lieu des expériences sur les femmes. Dans le bloc n° 10 de ce camp étaient enfermées jusqu’à 400 détenues sur lesquelles on procédait à des expériences de stérilisation par les rayons X, avec ablation ultérieure des ovaires, et d’inoculation du cancer à la matrice. On provoqua des accouchements et on constata les effets du traitement des affections de la matrice causées par les rayons X. »

Je passe trois phrases et continue :

« Dans le bloc 21, on procéda à des expériences massives de castration des hommes en vue d’étudier les possibilités de stérilisation par les rayons X. La castration avait lieu un certain temps après. Ce traitement aux rayons X et ces expériences de castration turent faites par le professeur Schumann et le Dr Dering. On procédait souvent à l’ablation de l’un ou des deux testicules pour étudier le traitement postérieur aux rayons X. »

Afin de montrer au Tribunal sur quelle échelle étaient pratiquées ces expériences, je vais citer quelques extraits de la déposition du Dr de Vind, citoyen hollandais, figurant dans un document déjà présenté au Tribunal sous le n° URSS-52. Je ne vais pas citer toute la déposition, mais seulement les chiffres concernant le bloc 10, à la page 203 du livre de documents, dernier alinéa de la première colonne du texte. Je souligne que ces chiffres ne se rapportent qu’à un seul bloc, le bloc 10. Y étaient internées :

« 50 femmes de nationalités diverses arrivées en mars 1943, 100 Grecques arrivées en mars 1943, 110 Belges arrivées en avril 1943, 50 Françaises arrivées en juillet 1943, 40 Hollandaises arrivées en août 1943, 100 Hollandaises arrivées le 15 septembre 1943, 100 Hollandaises arrivées une semaine plus tard et, en outre, 12 Polonaises. »

Je me permettrai de citer ensuite un autre extrait de la déposition du médecin hollandais de Vind, déjà présentée au Tribunal sous le n° URSS-52. Je cite le passage dans lequel il parle des expériences auxquelles procéda un certain professeur Schumann sur 15 jeunes filles. Ce passage figure à la page 204 du livre de documents, première colonne du texte, troisième alinéa. Je commence la citation :

« Professeur Schumann, un Allemand : De telles expériences furent faites sur 15 jeunes filles de 17 à 18 ans, entre autres Bella Schimmi de Salonique (Grèce) et Dora Buena, également de Salonique. Sur ces 15 jeunes filles, quelques-unes seulement survécurent ; elles sont malheureusement encore entre les mains des Allemands, ce qui nous empêche d’avoir des renseignements définitifs sur ces essais brutaux ; mais ce qui suit est incontestable :

« Ces jeunes filles furent placées entre deux plaques et exposées à des ondes ultra-courtes. Une électrode était placée sur le bas-ventre, l’autre sur les fesses. Les rayons X étaient dirigés sur les ovaires qui étaient ainsi brûlés. Par suite d’un mauvais dosage, des brûlures graves furent occasionnées à ces jeunes filles sur le bas-ventre et les fesses ; l’une d’elles en mourut dans d’atroces souffrances. Les autres furent dirigées sur Birkenau dans des sections sanitaires ou des groupes de travail. Un mois après, elles revinrent à Auschwitz où elles subirent deux opérations de contrôle : une entaille en longueur, une autre en largeur ; on leur enleva ainsi tous les organes sexuels pour les examiner. Ces jeunes filles changèrent totalement d’aspect du fait de la disparition des hormones ; elles avaient tout à fait l’air de vieilles femmes. »

J’ai terminé ma citation.

La stérilisation des femmes et la castration des hommes ont été effectuées à Auschwitz sur une grande échelle à partir du début de 1942 et, un certain temps après la stérilisation, on procédait à la castration des hommes en vue d’un examen spécial des tissus. C’est ce que nous montre un rapport de la Commission extraordinaire d’État sur Auschwitz, qui contient de nombreuses dépositions d’anciens détenus de ce camp soumis à ces opérations. Le passage que je vais citer figure à la page 197 du livre de documents, deuxième colonne du texte. Je vais lire deux alinéas. Je commence la citation :

« Valigura, qui fut soumis à ces expériences, déclare :

Quelques jours après mon transport à Birkenau, dans les « premiers jours de décembre 1942, je crois, toute la population mâle « du camp, de 18 à 30 ans, fut soumise à la stérilisation des testicules « aux rayons X. J’en faisais partie. 11 mois après cette stérilisation, « c’est-à-dire en novembre 1943, je fus soumis à la castration. « 200 hommes furent stérilisés en un seul jour en même temps que moi. »

Le témoin David Sures, de Salonique, a fait la déposition suivante :

« Vers le mois de juillet 1943, mon nom fut porté sur la liste « spéciale, ainsi que celui de 10 autres Grecs, et nous fûmes tous « dirigés sur Birkenau. Là, nous dûmes nous dévêtir, fûmes soumis « à la stérilisation par les rayons X. Un mois après cette stérilisation, « nous fûmes appelés à l’administration centrale du camp où nous « fûmes castrés par opération. »

Naturellement, ce n’est pas par hasard que les expérience massives de stérilisation et de castration ont commencé. C’était la conséquence logique du principe de la théorie des fascistes allemands qu’il fallait empêcher la natalité chez les peuples qu’ils croyaient soumis à leur joug. Cela faisait partie de la technique démographique hitlérienne.

Sur ce sujet, je voudrais citer un court extrait du livre de Rauschning, La voix de la destruction, qui a déjà été présenté au Tribunal. Ce passage n’a pas été lu, il figure à la page 207 du livre de documents. Hitler disait à Rauschning ;

« Par destruction, je n’entends pas absolument l’extermination de ces hommes. J’emploierai simplement des moyens systématiques qui empêcheront la prolifération de ces peuples. »

Je passe trois phrases et continue :

« Il y a beaucoup de moyens qui permettent systématiquement et relativement sans douleur, en tout cas sans verser de sang, d’arriver à l’extinction de races indésirables. »

Ce passage figure à la page 137 du livre de Rauschning, publié en 1940 à New-York. La castration et la stérilisation furent instaurées à l’état de pratiques criminelles par les hitlériens dans les pays occupés de l’Est de l’Europe. Je voudrais présenter au Tribunal deux documents.

LE PRÉSIDENT

Peut-être pourrions-nous suspendre maintenant. Le Tribunal désirerait savoir le temps qui vous est nécessaire pour terminer votre exposé.

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, je pense en terminer aujourd’hui. Cependant, je voudrais demander au Tribunal la permission d’interroger trois témoins ; en outre, mon exposé durera encore à peu près une heure. Il est très difficile de déterminer exactement le temps qui m’est encore nécessaire, car des interventions que vous connaissez bien viennent souvent modifier notablement mes intentions.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
COLONEL SMIRNOV

Je demande au Tribunal d’accorder son attention à deux documents allemands très courts, déposés sous le n° URSS-400. Ce sont des photocopies certifiées conformes par la Commission extraordinaire d’État. Il s’agit de deux rapports du chef de la Police de sûreté, le lieutenant Frank, sur les conditions dans lesquelles une certaine Tzigane Lucia Strasdinsch avait le droit de résider dans la ville de Libau.

Premier document :

« Police de sûreté — Section de Libau, Libau, le 10 décembre 1941. Destinataire : le préfet de la ville de Libau. »

« Il est décidé que la Tzigane Strasdinsch Lucia n’a le droit de résider dans la ville que si elle se soumet à la stérilisation. Lui en faire part, et rendre compte du résultat. Frank, lieutenant de la Police de Protection et chef de service. »

Le deuxième document est un rapport de M. H. Grauds, préfet de la ville de Libau, au chef de service de la Police de sûreté :

« En réponse à votre lettre du 10 décembre 1941 sur la stérilisation de la Tzigane Lucia Strasdinsch, j’ai l’honneur de vous rendre compte que cette personne à été stérilisée le 9 janvier dernier à l’hôpital local, et de joindre à ce sujet une note n° 850 de l’hôpital, en date du 12 janvier ».

Pour confirmer l’étendue des expériences faites sur des personnes vivantes, je prie le Tribunal de se reporter au rapport de la Commission extraordinaire d’État sur Auschwitz. Le passage que je voudrais lire se trouve à la page 197 du livre de documents, première colonne, deuxième alinéa. Il y est dit que, dans les archives du camp, on a trouvé un aperçu statistique sur le nombre et la répartition en différentes catégories des femmes internées. Ce document est signé de Sella, commandant adjoint du camp. On y trouve la rubrique « Internés désignés pour différentes expériences » ; on indique dans une colonne :

« Femmes soumises aux expériences : le 15 mai 1944 : 400, le 15 juin 1944 : 413, le 19 juin 1944 : 348, etc ».

Pour terminer mon exposé sur les expériences sur des personnes vivantes, je me permettrai d’ajouter que les conclusions de la Commission médico-légale témoignent de l’ampleur de ces expériences. On en trouve un extrait dans le rapport sur Auschwitz, à la page 197 du livre de documents, première colonne, cinquième alinéa. Je passe la partie concernant les stérilisations et castrations parce que la question a été suffisamment éclaircie ; je ne citerai que les points 4, 6 et 7 du rapport. Il y est dit qu’à Auschwitz :

« On étudiait les effets de différentes préparations chimiques de diverses usines allemandes. Selon les dépositions d’un médecin allemand, le Dr Valentin Erwin, des représentants de l’industrie chimique allemande, le gynécologue Glauber de Königshütte et le chimiste Gevel ont acheté une fois à l’administration du camp 150 femmes en vue de semblables expériences. »

Je passe le point 5 et reprends au point 6 : « Expériences sur les hommes consistant dans l’application de produits chimiques irritants sur l’épidémie de la jambe, pour provoquer artificiellement des phlegmons et des ulcères. »

Point 7 : « Autres expériences, comme l’inoculation de la malaria, la fécondation artificielle, etc. »

Je passe les trois pages suivantes de mon exposé se rapportant aux détails de ces expériences. Je demande seulement au Tribunal la permission d’attirer son attention sur d’autres crimes commis par les médecins allemands, particulièrement l’assassinat des aliénés.

Je ne vais pas présenter beaucoup d’exemples. Le Tribunal peut se documenter à ce sujet dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État. Je parlerai seulement d’un crime commis à Kiev. Je cite un alinéa du rapport de la Commission extraordinaire d’État sur la ville de Kiev, que les membres du Tribunal pourront trouver à la page 112 du livre de documents, première colonne, sixième alinéa. Je commence la citation :

« Le 14 octobre 1941, un détachement de SS conduit par le médecin allemand de garnison Rikovsky pénétra de force dans l’hôpital de psychiatrie. Les hitlériens poussèrent trois cents malades dans l’un des bâtiments où ils restèrent plusieurs jours sans nourriture et sans boisson. On les fusilla ensuite dans une tranchée de la forêt de Kirilov. Les autres malades furent assassinés le 7 janvier, le 27 mars et le 17 octobre 1942. »

Dans le texte suivant du rapport de la Commission extraordinaire d’État, on lit les dépositions vérifiées et confirmées du professeur Kapoustianski, de la doctoresse Dzevaltovska, et de l’infirmière Trôpolska. Je présente au Tribunal, sous le n° URSS-249, une photocopie de ces dépositions et demande de la joindre au dossier en qualité de preuve. Je vais lire quelques extraits de ce document :

« Pendant l’occupation allemande de la ville de Kiev, l’hôpital de psychiatrie vécut des jours tragiques qui se terminèrent par sa destruction et son anéantissement complets. Un crime fut commis contre les malheureux aliénés, un crime tel qu’on n’en avait encore jamais vu dans l’histoire de l’Humanité. »

Je passe la fin de la phrase et cite la suivante :

« Durant la période de 1941-1942, 800 malades furent exterminés. » Je passe les deux alinéas suivants et poursuis ma citation :

« Le 7 janvier 1942, la Gestapo arriva à l’hôpital ; des sentinelles furent placées partout ; l’entrée et la sortie de l’hôpital furent interdites. Le représentant de la Gestapo exigea que l’on séparât les malades chroniques afin de les transporter à Jitomir. »

Je passe la phrase suivante :

« On cacha avec soin au personnel médical ce qui attendait les malades. Des voitures spéciales arrivèrent à l’hôpital et l’on y poussa 60 à 70 personnes par voiture. Ces atrocités se déroulèrent aux yeux de tous sous les fenêtres des pavillons. Les malades étaient chargés dans les voitures, puis tués. Les cadavres étaient rejetés des voitures aussitôt. Ces atrocités se poursuivirent pendant deux jours au cours desquels 365 malades furent exterminés. Les malades qui n’avaient pas perdu toute leur raison s’aperçurent bientôt de la vérité. On assista à des scènes déchirantes. Une jeune fille par exemple, la malade J., comprit, malgré tous les efforts du médecin, que la mort l’attendait. Elle sortit de la salle, entoura de ses bras le docteur et lui dit très doucement : « C’est la fin ? » Pâle comme la mort, elle se dirigea vers la voiture et y monta en refusant de se laisser aider. Tout le personnel était prévenu que toute critique ou expression de mécontentement était absolument déplacée et serait considérée comme du sabotage ».

Je vais encore citer une phrase de ce rapport :

« Un détail qui souligne bien le caractère ignominieux de ces meurtres est qu’ils furent commis le jour de Noël, pendant que les soldats allemands recevaient les arbres de Noël et que l’inscription « Dieu avec nous » brillait sur la boucle des ceinturons. »

Voilà qui termine ma citation ; je passe les quatre pages suivantes de mon exposé qui traitent de faits analogues, d’extermination des aliénés dans d’autres villes du pays où les mêmes méthodes que celles de Kiev ont été employées. Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve les photocopies de trois documents allemands certifiés par la Commission extraordinaire d’État. Ils témoignent du fait que l’assassinat par les fascistes allemands avait donné lieu à l’élaboration de formulaires spéciaux. Je présente le premier de ces documents sous le n° URSS-397. Il figure à la page 218 du livre de documents. Je le cite :

« A l’officier d’état civil de Riga — j’omets l’alinéa suivant — « Je certifie par la présente que les 368 aliénés incurables mentionnés dans la pièce ci-jointe sont décédés le 29 janvier 1942.

Signé : SS-Sturmbannführer Kirste. »

Le deuxième document est présenté sous le n° URSS-410. C’est une lettre du chef de la Police de sûreté et du SD de Lituanie portant le n° 357/42 g, datée du 28 mai 1942. Je cite l’unique alinéa du texte de ce document :

« Je certifie par la présente que les 243 aliénés incurables indiqués dans la pièce ci-jointe sont décédés le 14 avril 1942.

Signé : SS-Sturmbannführer Kirste. »

Le troisième document présenté sous le n° URSS-398, est un rapport du même chef de la Police de sûreté et du SD de Lituanie, daté du 15 mars 1943. Je vais en lire un alinéa :

« Je certifie par la présente que les 98 aliénés incurables indiqués dans la pièce ci-jointe sont décédés le 22 octobre 1942.

Signé : SS-Sturmbannführer Kirste. »

Je pense que je peux omettre une page et demie de mon exposé, mais je demande au Tribunal d’admettre sans que je le lise le document suivant, comme preuve des expériences faites sur des personnes vivantes. Je le dépose sous le n° URSS-406. Le document que je présente concerne des expériences faites dans un autre camp, celui de Ravensbrück. C’est la documentation réunie par la Commission polonaise d’enquête sur les Crimes de guerre. Elle contient des photographies très intéressantes. Je n’ai pas besoin d’y ajouter de commentaires.

Je demande maintenant au Tribunal la permission d’appeler un témoin, la citoyenne polonaise Shmaglevskaja ; le Ministère Public soviétique voudrait l’entendre sur les traitements infligés aux enfants dans les camps de concentration fascistes. Me permettez-vous d’appeler le témoin ?

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement.

(Le témoin s’approche de la barre.)
LE PRÉSIDENT

Voulez-vous d’abord me dire votre nom ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Severina Shmaglevskaja.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout-puissant de ne dire que la vérité

devant ce Tribunal, de ne rien celer qui ne me soit connu. Que

Dieu me prête assistance. Amen ». (Le témoin répète le serment.)

COLONEL SMIRNOV

Dites-moi, s’il vous plaît, témoin, si vous avez été internée au camp d’Auschwitz ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui.

COLONEL SMIRNOV

Pendant combien de temps êtes-vous restée à Auschwitz ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Du 7 octobre 1942 à janvier 1945.

COLONEL SMIRNOV

Quelles preuves pouvez-vous nous donner de votre séjour dans ce camp ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

J’ai un numéro tatoué sur le bras.

COLONEL SMIRNOV

C’est ce que les internés du camp appelaient « la carte de visite » ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui.

COLONEL SMIRNOV

Avez-vous été témoin oculaire du traitement que les SS appliquaient aux enfants du camp ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui.

COLONEL SMIRNOV

Voulez-vous nous raconter ce que vous avez vu à ce sujet ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Je peux vous parler des enfants qui sont nés dans le camp et de ceux qui y ont été amenés avec les transports juifs. Je peux parler de ceux qui ont été envoyés directement au four crématoire et de ceux qui y sont restés comme internés. Déjà, en décembre 1942, alors que j’allais travailler à 10 kilomètres de Birkenau...

COLONEL SMIRNOV

Permettez-moi de vous interrompre. Vous apparteniez à la section de Birkenau ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui, j’étais dans le camp de Birkenau qui était une annexe du camp d’Auschwitz et qui s’appelait Auschwitz 2.

COLONEL SMIRNOV

Continuez, s’il vous plaît.

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Je vis une femme qui était au dernier mois de sa grossesse. C’était tout à fait visible, elle était obligée de suivre les autres pour aller à 10 km au lieu de son travail et là, elle travaillait toute la journée comme un terrassier, une pelle à la main, afin de creuser des tranchées ; elle commença à être malade et demanda au contremaître, un civil allemand, de lui permettre de se reposer un peu ; il refusa et se mit à rire ; avec un autre SS, il commença à la brutaliser et à contrôler sévèrement son travail. C’était la même chose pour toutes les femmes enceintes et ce n’est qu’à la dernière minute qu’on leur permettait de ne pas aller au travail. Les enfants qui naissaient étaient immédiatement envoyés à la mort s’ils étaient juifs.

COLONEL SMIRNOV

Qu’entendez-vous par là ? Quand les envoyait-on à la mort ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

On les enlevait immédiatement à leur mère.

COLONEL SMIRNOV

Quand ? Quand les transports arrivaient ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Non, je parle des enfants qui naissaient au camp : quelques minutes après la naissance, on enlevait l’enfant à sa mère et la mère ne le revoyait plus. Au bout de quelques jours, la mère retournait à son travail. En 1942, il n’y avait pas encore de bloc spécial pour les enfants. Au début de 1943, lorsqu’on commença à tatouer les internés, les enfants nés dans le camp de concentration furent également tatoués : le numéro était tatoué sur la jambe.

COLONEL SMIRNOV

Pourquoi à la jambe ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Parce que l’enfant était trop petit, le numéro matricule avait cinq chiffres et n’aurait pas tenu sur son petit bras. Les enfants avaient la même série de numéros que les grandes personnes. Les enfants étaient internés dans un bloc à part et, au bout de quelques semaines ou d’un mois, on les transportait hors du camp.

COLONEL SMIRNOV

Où ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Nous n’avons jamais réussi à savoir où l’on envoyait ces enfants ; on les a enlevés pendant tout le temps qu’a existé le camp, c’est-à-dire de 1943 à 1944. Le dernier transport d’enfants s’effectua en janvier 1945. Ce n’était pas uniquement des enfants polonais, car il est notoire qu’à Birkenau se trouvaient des femmes de tous les pays d’Europe. Aujourd’hui encore, on ne sait pas si ces enfants sont vivants.

Je voudrais parler au nom de toutes les femmes d’Europe qui sont devenues mères dans les camps de concentration et demander aujourd’hui aux Allemands : « Où se trouvent ces enfants ? »

COLONEL SMIRNOV

Avez-vous vu de vos propres yeux des enfants envoyés dans les chambres à gaz ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui, je travaillais très près d’une voie ferrée qui menait au four crématoire. Le matin, quelquefois, je me trouvais près des latrines allemandes d’où je pouvais observer l’arrivée des transports. J’ai vu ainsi qu’avec les Juifs on amenait au camp beaucoup d’enfants, parfois des familles comptant plusieurs enfants. Le Tribunal sait sûrement qu’avant d’être amenés au four crématoire, les nouveaux venus étaient triés.

COLONEL SMIRNOV

La sélection était faite par les médecins ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Pas toujours par des médecins, parfois par les SS.

COLONEL SMIRNOV

Mais par des médecins aussi ?

TÉMOIN SMAGLEVSKAJA

Oui, par des médecins aussi. Au cours de cette sélection, un petit nombre de femmes juives, jeunes et bien portantes, étaient envoyées au camp, mais les femmes qui avaient des enfants sur les bras ou poussaient des voitures et celles qui avaient des enfants un peu plus âgés, étaient envoyées directement avec leur enfants au four crématoire. On séparait les enfants de leurs parents devant le four crématoire et on les conduisait séparément dans la chambre à gaz.

A l’époque où l’extermination des Juifs dans les chambres à gaz fut poussée au maximum, parut un ordre suivant lequel les enfants devaient être jetés dans le four crématoire ou bien dans les tranchées avoisinantes sans être asphyxiés au préalable.

COLONEL SMIRNOV

Je ne vous comprends pas. Ces enfants étaient-ils ainsi jetés vivants ou étaient-ils tués au préalable par un moyen quelconque ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA.

On les jetait vivants dans les tranchées et on entendait leurs cris dans tout le camp. Il est difficile de préciser le nombre de ces enfants qui sont morts ainsi.

COLONEL SMIRNOV

Pourquoi agissait-on ainsi ? Les chambres à gaz regorgeaient-elles de monde ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Il est difficile de répondre à cette question. Je ne sais pas si les Allemands voulaient économiser du gaz ou s’il n’y avait pas de place dans les chambres à gaz. Je voudrais ajouter qu’on ne peut se rendre compte exactement du nombre d’enfants qui ont péri du fait que les Juifs qui étaient dirigés directement au four crématoire n’étaient pas enregistrés ni, par conséquent, tatoués ; très souvent on ne les comptait même pas. Nous, les internés, si nous voulions nous rendre compte du nombre d’enfants qui périssaient dans les chambres à gaz, nous ne pouvions nous baser que sur le nombre des voitures d’enfants qui arrivaient au magasin ; parfois on nous en amenait des centaines, parfois des milliers.

COLONEL SMIRNOV

Par jour ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Ce n’était pas toujours le même nombre. Il y avait des jours où les chambres à gaz travaillaient depuis l’aube jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Je voudrais aussi parler du nombre assez élevé d’enfants internés dans les camps. Au début de 1943 arrivèrent au camp avec leurs parents des enfants polonais de Zamotschevna. En même temps commencèrent à arriver des enfants russes en provenance des régions occupées par les Allemands. A ces enfants s’ajoutèrent plus tard un petit nombre d’enfants juifs. On pouvait également trouver quelques enfants italiens dans ce camp de concentration. La situation des enfants était aussi pénible que celle des adultes et peut-être même plus pénible encore. Ces enfants ne recevaient aucun colis du fait qu’il n’y avait personne pour leur en envoyer ; d’autre part, les colis de la Croix-Rouge n’arrivaient jamais jusqu’aux internés. En 1944 arrivèrent au camp de concentration un grand nombre d’enfants italiens et français, tous ces enfants étaient atteints d’eczéma, de scorbut, avaient des tumeurs, ils souffraient de la faim et étaient très mal habillés, nu-pieds et sans aucune possibilité de se laver.

Au moment du soulèvement de Varsovie arrivèrent au camp des enfants de cette ville. Le plus jeune avait six ans. Ces enfants furent mis dans une baraque à part. Quand on commença à transporter systématiquement en Allemagne des internés de Birkenau, ces enfants furent affectés à des travaux pénibles.

A cette époque des enfants juifs hongrois arrivèrent et se joignirent à ceux de Varsovie pour travailler avec eux sur deux chantiers comme des adultes. Avec deux charrettes qu’ils devaient tirer eux-mêmes, ils transportaient d’un camp à l’autre du charbon, des briquettes, des machines en fer, du bois à parquet et autres objets lourds. Ils travaillèrent aussi au démontage des baraques au moment de la dissolution du camp. Ils restèrent au camp jusqu’à la fin. En janvier 1945, ils furent évacués et furent obligés de se diriger à pied sur l’intérieur de l’Allemagne dans des conditions aussi pénibles que les adultes ; sans nourriture, ils durent faire 30 kilomètres par jour sous la conduite des SS.

COLONEL SMIRNOV

Au cours de cette marche, des enfants sont-ils morts d’épuisement ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Je ne me trouvais pas dans un groupe qui comptait des enfants et me suis évadée le deuxième jour de cette marche.

Je voudrais dire quelques mots sur les méthodes de démoralisation employées dans les camps : tout ce qu’enduraient les internés était le résultat d’un plan systématique d’humiliation de l’homme. Les internés arrivaient au camp dans des wagons à bestiaux ; dès le départ, les wagons étaient hermétiquement fermés ; dans chaque wagon, on plaçait beaucoup de gens. Les gardes SS ne se souciaient pas du tout de leurs besoins naturels. Quelques internés avaient emporté des récipients qu’ils devaient souvent utiliser pour la satisfaction de leurs besoins naturels.

J’ai travaillé assez longtemps dans un magasin où l’on. apportait les ustensiles de cuisine de ces internés.

COLONEL SMIRNOV

Voulez-vous dire que vous travailliez dans un dépôt où l’on apportait les ustensiles de cuisine des gens exécutés ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Non, dans ce dépôt on n’apportait que les ustensiles de cuisine des gens qui arrivaient dans le camp.

COLONEL SMIRNOV

On leur prenait ces ustensiles ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui, naturellement. Je veux dire que dans certains de ces pots et de ces casseroles se trouvaient des restes de nourriture et, dans d’autres, des excréments humains. Chaque femme qui travaillait là avait un seau d’eau froide et devait, en une demi-journée, laver une grande quantité de ces casseroles et de ces récipients. Ces ustensiles, insuffisamment lavés, étaient donnés aux gens qui arrivaient dans le camp, qui devaient manger dans ces casseroles ou dans ces pots, si bien que dès les premiers jours, ils souffraient de la dysenterie ou d’autres maladies.

LE PRÉSIDENT

Colonel Smirnov, je ne crois pas que le Tribunal désire avoir autant de détails domestiques.

COLONEL SMIRNOV

Je suis entièrement d’accord avec le Tribunal. Le témoin n’a été cité que pour parler du traitement des enfants dans les camps de concentration.

LE PRÉSIDENT

Je vous prie de maintenir le témoin dans le cadre de la question sur laquelle vous désirez l’interroger.

COLONEL SMIRNOV

Que pouvez-vous ajouter sur le traitement infligé aux enfants dans le camp ? Avez-vous quelques faits nouveaux à nous communiquer sur ce sujet ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Je voudrais dire encore que les enfants étaient soumis au même système de démoralisation et d’humiliation par la famine que les adultes ; ils avaient tellement faim qu’ils étaient obligés de rechercher quelque nourriture parmi les détritus, par exemple des épluchures de pommes de terre.

COLONEL SMIRNOV

Dites-moi, je vous prie, pouvez-vous assurer dans votre déposition que la quantité de voitures d’enfants amenées dans l’entrepôt atteignait le chiffre de mille par jour ?

TÉMOIN SHMAGLEVSKAJA

Oui, certains jours.

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, je n’ai plus de question à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Est-ce qu’un représentant d’un autre Ministère Public veut poser des questions au témoin ? (Pas de réponse.) La Défense désire-t-elle poser des questions ? (Pas de réponse.) Le témoin peut se retirer. (Le témoin se retire.)

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, je voudrais passer au chapitre suivant de mon exposé, relatif à la création par les hitlériens de centres secrets d’extermination de citoyens paisibles. Il ne s’agit pas de camps de concentration, car les détenus ne vivaient habituellement dans ces lieux que dix minutes ou deux heures au maximum. De toute la documentation rassemblée sur ces horribles centres créés par les germano-fascistes, je me permettrai de présenter au Tribunal des documents qui en concernent deux ; celui de Treblinka et celui du village polonais de Kulm et je demanderai au Tribunal de citer un témoin à ce sujet : ce témoin est très intéressant parce qu’il est en quelque sorte un homme revenu de l’autre monde, car le chemin de Treblinka était appelé par les bourreaux allemands eux-mêmes « le chemin du ciel ». Je veux parler du témoin Rajzman et je demande au Tribunal l’autorisation de le citer pour qu’on puisse l’interroger.

LE PRÉSIDENT

Il est maintenant 12 h. 45. Il vaut mieux entendre ce témoin à deux heures. L’audience est levée.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14. heures.)