SOIXANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Mercredi 27 février 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal a été informé que le témoin Wielen qui a été mentionné hier se trouve dans un camp de prisonniers de guerre, près de Londres. Par conséquent, on pourra rapidement le faire venir ici afin de l’entendre.
Le Tribunal désire que la Défense décide si elle veut faire citer le général Westhoff et ce nommé Wielen afin de procéder à leur interrogatoire pendant la présentation des preuves par le Ministère Public, ou si elle préfère qu’on les fasse venir pendant la présentation des preuves par la Défense. Mais, comme je l’ai dit à propos de tous les témoins, ils ne pourront être cités qu’une seule fois.
S’ils sont interrogés pendant la présentation des charges du Ministère Public, tous les accusés, s’ils veulent exercer leur droit d’interroger les témoins, pourront le faire tout de suite après l’interrogatoire principal. Mais si la Défense décide de faire citer ces témoins pendant l’exposé de ses preuves, les témoins ne seront également cités qu’une seule fois et la faculté de les interroger sera exercée à ce moment-là.
En outre, la déclaration ou la déposition qui a été présentée hier et admise par le Tribunal sera lue au cours de l’exposé du Ministère Public, au moment choisi par ce dernier.
Monsieur le Président, je vous prie de me permettre de ne faire une déclaration sur cette question qu’après en avoir conféré avec mes collègues. Je pense que cela pourra être fait au cours de cet après-midi.
Si j’ai compris, vous voulez consulter les autres avocats avant de nous donner votre réponse. Très bien. Faites-la nous connaître dès que vous le pourrez. Continuez, colonel Smirnov.
Monsieur le Président, je voudrais maintenant procéder à l’interrogatoire d’un témoin.
Quel est votre nom ?
Rajzman Samuel.
Voulez-vous répéter ce serment après moi : Je jure devant Dieu tout puissant de ne dire que la vérité devant ce Tribunal et de ne rien celer qui me soit connu. Que Dieu me prête assistance. Amen.
Vous pouvez vous asseoir.
Dites-nous, témoin, ce que vous faisiez avant la guerre ?
Avant la guerre, j’étais comptable dans une maison d’exportation.
Quand et dans quelles circonstances avez-vous été interné à Treblinka II ?
Au mois d’août 1942, je fus arrêté dans le ghetto de Varsovie.
Combien de temps avez-vous passé à Treblinka ?
Un an, jusqu’au mois d’août 1943.
Vous êtes donc bien au courant du régime de ce camp ?
Oui, je le connais bien.
Je vous prie de le décrire au Tribunal.
Chaque jour arrivaient dans ce camp, trois, quatre ou cinq trains composés exclusivement de Juifs, venant de différents pays : Tchécoslovaquie, Allemagne, Grèce, Pologne, etc. Immédiatement après leur arrivée — en cinq minutes — ils devaient sortir des wagons et se mettre en rangs. Ils étaient répartis en groupes, femmes et enfants ensemble, hommes à part. Tous devaient immédiatement se dévêtir complètement et ce déshabillage avait lieu sous les coups de fouet de la garde. Les travailleurs du camp enlevaient immédiatement tous les vêtements et les portaient dans les baraques. Les déportés devaient aller tout nus jusqu’aux chambres à gaz.
Je vous demande de préciser comment les Allemands appelaient ce chemin qui conduisait aux chambres à gaz.
Cette rue s’appelait en allemand la « Himmelf ahrt-Strasse ».
C’est-à-dire la route du ciel ?
Oui. Si cela intéresse le Tribunal, je pourrai lui montrer le plan du camp de Treblinka que j’ai dessiné et, sur ce plan, la route en question.
Je ne crois pas que cela soit nécessaire, à moins que vous ne le désiriez, colonel Smirnov ?
Il me semble également que c’est inutile, Monsieur le Président.
Dites-moi, témoin, combien de temps une personne vivait-elle après son arrivée dans le camp de Treblinka ?
Le déshabillage et le trajet vers les chambres à gaz duraient dix minutes pour les hommes et quinze minutes pour les femmes. Pour les femmes, c’était un quart d’heure, parce qu’avant de les emmener aux chambres à gaz, on leur coupait les cheveux.
Pourquoi leur coupait-on les cheveux ?
Ces cheveux servaient à la fabrication de matelas pour les femmes allemandes.
Voulez-vous dire qu’il ne fallait que dix minutes entre le moment où ils sortaient du train et leur arrivée à la chambre à gaz ?
En ce qui concerne les hommes, je suis convaincu que cela ne durait pas plus de dix minutes.
Y compris le déshabillage ?
Oui.
Dites-moi, s’il vous plaît, si les personnes étaient amenées à Treblinka en camion ou par le train ?
Ces gens étaient surtout amenés par le train. Les Juifs des localités voisines étaient amenés en camions portant l’inscription « Expédition Speer ». Ils arrivaient ainsi des villes de Vaingrova, Sokolova et autres.
Dites-moi, s’il vous plaît, l’aspect qu’eut par la suite la gare de Treblinka ?
Au début, il n’y avait dans cette gare aucune inscription, mais au bout de quelques mois, le commandant du camp, Kurt Franz, fit construire une gare de chemin de fer remarquable avec toutes sortes d’inscriptions ; sur les baraques où l’on gardait les vêtements, il y avait les inscriptions suivantes :
« Buffet », « Caisse », « Télégraphe et Téléphone », etc. Il y avait même des horaires de trains vers Grodno, Suwalki, Vienne, Berlin, etc.
Si je vous ai bien compris, témoin, la gare de Treblinka était une gare factice avec des horaires de trains et des indicateurs de départ pour différentes villes ?
Lorsque les gens descendaient des trains, ils avaient réellement l’impression qu’ils se trouvaient dans une gare normale, avec des trains partant pour Suwalki, Grodno, Vienne, etc.
Que se passait-il ensuite pour ces gens ?
Ils étaient tout de suite conduits par cette « route du ciel » vers les chambres à gaz.
Dites-moi, s’il vous plaît, comment les Allemands massacraient-ils les gens à Treblinka ?
Pour les assassinats, chacun des gardiens allemands avait sa spécialité et je ne donne qu’un exemple. Nous avions un Scharführer nommé Menz qui avait pour spécialité de surveiller le soi-disant hôpital. Dans cet hôpital furent tués toutes les femmes faibles et tous les enfants qui n’avaient pas eu assez de force pour arriver, par leurs propres moyens, aux chambres à gaz.
Peut-être, témoin, pouvez-vous nous décrire cet hôpital ?
C’était une partie du camp, entourée d’une palissade en bois. On y amenait toutes les femmes, les vieillards et les enfants malades. On pouvait voir à l’entrée de l’hôpital un grand drapeau de la Croix-Rouge. Menz, qui avait pour principale occupation de mettre à mort les gens qui étaient amenés à ce camp, ne voulait laisser le soin de ce travail à personne. Il y avait des centaines de personnes qui s’en seraient peut-être acquittées mais il tenait à le faire lui-même.
Voici un exemple de ce qui arrivait aux enfants : Une fillette de 10 ans et sa petite sœur de 2 ans furent amenées du wagon :
lorsque la sœur aînée vit que Menz avait pris son revolver pour tuer sa sœur, elle se jeta sur lui en pleurant en lui demandant pourquoi il voulait tuer sa sœur. Il ne tua pas sa sœur, mais la jeta vivante dans le feu du four crématoire, et ensuite tua sur place la sœur aînée.
Un autre exemple : on amenait une femme âgée accompagnant sa fille dans un état de grossesse avancé. On conduisit cette dernière à l’hôpital, on la coucha par terre et on appela quelques Allemands pour assister à la naissance de l’enfant. Le spectacle dura deux heures. Lorsque l’enfant fut né, Menz demanda à la grand-mère, c’est-à-dire à la mère de l’accouchée, qui elle préférait que l’on tuât d’abord. Elle répondit qu’elle aurait aimé que l’on commençât par elle, mais, bien entendu, on fit juste le contraire. On tua d’abord l’enfant nouveau-né, puis la mère, et enfin la grand-mère.
Dites-moi, témoin, connaissez-vous le nom de Kurt Franz ?
C’était l’adjoint de Stengl, le chef du camp, et c’était le plus grand assassin du camp. En janvier 1943, il a déclaré que 1.000.000 de personnes avaient été tuées à Treblinka, ce qui lui valut d’être nommé Obersturmbannführer.
Je vous demande, témoin, de raconter maintenant la façon dont Franz tua la femme qui avait déclaré être la sœur de Sigmund Freud. Vous le rappelez-vous ?
Cela se passa ainsi : un train arriva de Vienne. J’étais sur le quai quand les voyageurs descendirent du wagon. Une dame âgée s’approcha de Kurt Franz, montra un passeport et dit qu’elle était la sœur du professeur Sigmund Freud. Elle demanda qu’on lui donnât un travail facile de bureau.
Franz regarda très sérieusement le document qu’elle lui présentait, dit qu’il devait sans doute y avoir une erreur, la conduisit près de l’horaire des trains, et lui dit que dans deux heures, un train reviendrait à Vienne. Elle pouvait laisser tous ses bijoux et tous ses documents et aller à l’établissement de bains ; après le bain, on lui préparerait les documents nécessaires et un billet pour Vienne. Naturellement, cette femme entra dans l’établissement de bains et n’en sortit jamais.
Dites-moi, témoin, comment êtes-vous parvenu à sortir vivant de Treblinka ?
J’était déjà complètement nu, sur la « route du ciel ». 8.000 Juifs étaient arrivés par le même convoi que moi, venant de Varsovie. Mais à la dernière minute, me trouvant au commencement de cette route, je fus remarqué par l’ingénieur Galewsky. C’était un de mes vieux amis de Varsovie, et c’était lui qui avait la surveillance des travailleurs juifs. Il me dit de faire demi-tour car on avait besoin d’un interprète d’hébreu, de français, de russe, de polonais et d’allemand. Il se servit de ce prétexte pour me faire donner un poste.
Vous apparteniez au commando de travail du camp ?
Oui. Au début, mon travail consistait à rapporter dans les wagons les vêtements des personnes tuées. Au bout de deux jours de travail, on amena de la ville de Waingrova ma mère, ma sœur et mes deux frères. Je dus les voir conduire à la chambre à gaz. Quelques jours plus tard, en emportant les vêtements dans les wagons, mes camarades trouvèrent les papiers de ma femme et de mes enfants. C’était tout ce qu’il me restait de ma famille, une photographie.
Dites-moi, témoin, combien de personnes arrivaient par jour au camp de Treblinka ?
De juillet à décembre 1942, il en arrivait en moyenne trois convois de 60 wagons par jour. En 1943, les convois arrivèrent en nombre plus restreint.
Dites-moi le nombre de personnes qui étaient anéanties en moyenne dans ce camp par jour ?
En moyenne, je pense que les Allemands exterminaient à Treblinka de 10.000 à 12.000 personnes par jour.
Combien de chambres à gaz servirent à ces massacres ?
Au début, il n’y avait que trois chambres ; par la suite on en construisit encore 10. Le plan prévoyait 25 chambres à gaz à Treblinka.
D’où tenez-vous qu’on voulait porter à 25 le nombre de ces chambres à gaz ?
Parce que tous les matériaux de construction avaient été amenés dans le camp. J’en demandai la raison puisqu’il n’y avait plus de Juifs. On me répondit : « Après vous, il y en aura d’autres, et il y aura encore beaucoup de travail. »
Dites-moi comment s’appelait aussi Treblinka ?
Quand le camp de Treblinka devint trop connu, une pancarte gigantesque porta l’inscription Ober-maïdanek.
Qu’entendez-vous par trop connu ?
Cela signifie que les personnes qui arrivaient en convoi apprenaient très vite que ce n’était pas une gare élégante, mais la station de la mort.
Dites-moi pourquoi cette station factice a été construite ?
Simplement pour éviter que les gens qui sortaient des trains ne deviennent nerveux et pour qu’ils se déshabillent calmement et sans incident.
Par conséquent, si je vous comprends bien, ce stratagème de criminels avait un but psychologique : on voulait surtout tranquilliser les victimes.
Oui, c’était dans un but psychologique.
Je n’ai plus de questions à poser au témoin, Monsieur le Président.
Les représentants des autres Ministères Publics ont-ils des questions à poser au témoin ?
Non, Monsieur le Président.
La Défense veut-elle poser des questions au témoin ?
Le témoin peut se retirer.
Je voudrais lire au Tribunal un extrait très bref de documents officiels tirés du rapport du Gouvernement polonais. Je veux parler des dépositions sous serment du témoin...
Colonel Smimov, avez-vous d’autres témoins à citer ?
Je voudrais citer encore un témoin pour la dernière partie de mon exposé. Il s’agit de l’archidiacre des églises de Leningrad, recteur du séminaire de Leningrad et doyen permanent de la cathédrale Nikolaï-BogoyavIenie, Lomakin.
Oui, vous pourrez entendre ce témoin aujourd’hui, et conclure également votre exposé aujourd’hui. Sommes-nous d’accord ?
Oui, Monsieur le Président. Me permettez-vous de continuer ?
Je voudrais citer un court extrait du rapport du juge d’instruction polonais qui a déjà été présenté au Tribunal sous le n° URSS-340. Je ne cite que le passage qui montre l’étendue des atrocités allemandes. Le rapport évalue à 781.000 le nombre de personnes exterminées à Treblinka et ajoute que les témoins interrogés ont dit qu’on avait trouvé des passeports anglais et des diplômes de l’université de Cambridge dans les vêtements des victimes. Cela signifie qu’à Treblinka les victimes arrivaient de toutes les contrées d’Europe.
Je présente ensuite comme preuve la déposition de Wladislav Bengasch, juge d’instruction de la ville de Lodz, au sujet d’un autre lieu d’extermination secrète. Cette déposition a été faite devant la Commission principale d’enquête polonaise. Elle constitue une partie des pièces jointes au rapport du Gouvernement polonais. Je voudrais en faire deux brèves citations qui concernent les méthodes d’extermination pratiquées à Helmno, à proximité de Lodz.
Je cite deux paragraphes que MM. les juges trouveront à la page 223 du livre de documents :
« Dans le village de Helmno se trouvait une villa inhabitée, entourée d’un parc, qui était propriété de l’État. Tout près, il y avait une forêt de sapins en partie soignée, en partie broussailleuse. C’est dans cet endroit que les Allemands installèrent un camp d’extermination. Le parc fut entouré d’une haute palissade de planches de telle façon qu’on ne pût pas voir ce qui se passait dans le parc et dans la villa. La population de Helmno fut éloignée du village. »
J’interromps ma citation et passe à la page 226 du livre de documents. Je lis le premier alinéa :
« L’organisation de l’extermination des gens avait été conçue de façon si adroite que les derniers transports ne pouvaient absolument pas deviner jusqu’à la dernière minute le sort des gens des groupes précédents. L’envoi de 1.000 à 2.000 personnes du village de Sawadki au lieu d’extermination et leur mise à mort se terminait à 14 heures. Les camions chargés de Juifs arrivaient dans la propriété, un représentant du Sonderkommando s’adressait aux nouveaux arrivants et leur assurait qu’ils allaient travailler dans l’Est où ils seraient bien traités et bien nourris, ajoutant qu’avant leur départ ils prendraient un bain et que leurs vêtements seraient désinfectés. Les Juifs étaient conduits de la cour dans une grande salle chauffée qui se trouvait au premier étage de la villa. Là, ils se déshabillaient et, vêtus seulement de leur linge de corps, ils descendaient dans un corridor, sur les murs duquel il y avait des inscriptions : « Médecin », « Bains ». La flèche portant « Bains » indiquait la porte de sortie, où on déclarait aux Juifs qu’ils seraient conduits à l’établissement de bains dans des voitures couvertes. En réalité, devant la porte de la villa, attendait une grande voiture ; au moyen d’une échelle, les Juifs y montaient directement et elle était rapidement chargée. Dans le corridor, des gendarmes, avec des cris et des coups, obligeaient les Juifs à monter très vite dans cette voiture automobile, en rendant impossible toute résistance. Quand la voiture était complète, les portes se fermaient, le chauffeur mettait le contact et tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur mouraient asphyxiés par les gaz. »
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de m’arrêter sur la partie du rapport qui confirme que c’était bien là un fourgon à gaz, déjà bien connu du Tribunal. Je ne citerai qu’une phrase de la page 10 de ce document, alinéa 3 :
« En tout, il faut évaluer à 340.000 le nombre minimum de victimes exterminées à Helmno : des hommes, des femmes, des enfants de tous les âges, des nouveaux-nés, jusqu’à des vieillards. »
Je pense que je peux terminer ici la partie de mon exposé relative aux lieux secrets d’extermination. J’en arrive maintenant à la partie qui a trait aux persécutions pour des motifs religieux.
Aussi bien dans l’Union Soviétique que dans les pays momentanément occupés de l’Europe de l’Est, les criminels germano-fascistes se couvrirent de honte en bafouant les sentiments religieux des peuples et en persécutant et assassinant des prêtres de toute confession.
Je citerai à titre de preuves quelques extraits qui proviennent des rapports de Gouvernements intéressés.
Vous les trouverez à la page 70 du texte russe, qui correspond à la page 80 de votre livre de documents. Nous y trouvons la description des persécutions infligées par les fascistes à l’Église orthodoxe tchèque.
Je n’en cite qu’un seul paragraphe :
« Le coup le plus dur fut porté à l’Église orthodoxe tchèque. Le ministère des Cultes à Berlin ordonna aux Églises de Tchécoslovaquie de se soustraire à l’obédience des diocèses de Belgrade et de Constantinople et d’adhérer à l’Église de Berlin. L’évêque tchèque Gorasd fut exécuté avec deux prêtres orthodoxes. A la suite d’une ordonnance spéciale du protecteur Daluege en date de septembre 1942, l’Église orthodoxe, soumise à la juridiction des Églises de Serbie et de Constantinople, fut dissoute sur le territoire tchèque ; toute activité religieuse lui fut interdite, et tous ses biens furent confisqués ».
A la page 69 du même rapport, qui correspond à la page 79 du livre de documents, dernier paragraphe, nous trouvons une description des persécutions de l’Église nationale tchèque. Elle fut persécutée par les fascistes allemands à cause de son nom, de ses sympathies pour le mouvement hussite et la démocratie, et à cause du rôle qu’elle a joué dans la fondation de la République tchécoslovaque. »
L’Église nationale tchèque fut complètement interdite en Slovaquie en 1940 et ses biens confisqués par les Allemands. L’Église protestante de Tchécoslovaquie fut également persécutée. L’extrait suivant se trouve à la page 80 du livre de documents, second paragraphe. Je commence la citation :
« Les Églises protestantes furent privées de la liberté de propager l’Évangile. La Gestapo surveillait étroitement le clergé afin de constater si les restrictions imposées étaient bien appliquées. La censure nazie interdisait même de chanter des hymnes qui glorifiaient Dieu pour la libération du peuple des mains de l’ennemi. La lecture publique de certains passages de la Bible était interdite. Les nazis s’opposèrent avec force à la lecture en chaire de certains enseignements de l’Église chrétienne, comme par exemple de ceux où il est question de l’égalité des hommes devant Dieu, du caractère universel de l’Église du Christ, de l’origine juive de l’Évangile, et ainsi de suite. »
« Toutes les allusions à Huss, à Ziska, aux Hussites et à leurs réalisations et également celles qui se référaient à Masaryk et à ses doctrines furent rigoureusement interdites. Même les livres religieux furent confisqués. Les chefs d’églises furent particulièrement persécutés, beaucoup de prêtres furent jetés dans les camps de concentration, parmi eux le président du Mouvement des étudiants chrétiens en Tchécoslovaquie. L’un des adjoints de ce président fut exécuté ».
A la page 68 du même rapport se trouvent des données sur la persécution de l’Église catholique en Tchécoslovaquie. Vous trouverez page 79 du livre de documents, au paragraphe 2, le passage dont je cite un court extrait :
« Dans les territoires annexés par l’Allemagne à la suite du pacte de Munich, toute une série de prêtres d’origine tchèque furent dépouillés de leurs biens et expulsés... Les pèlerinages dans les sanctuaires nationaux furent interdits en 1939.
« A la déclaration de guerre, 437 prêtres catholiques furent arrêtés, en même temps que des milliers de patriotes tchèques, et déportés dans les camps de concentration comme otages. Des vénérables hauts dignitaires de l’Église furent traînés dans des camps de concentration en Allemagne. C’était un spectacle tout à fait courant que de voir sur les routes, près des camps de concentration, un prêtre en loques, épuisé, attelé à une voiture à bras, et derrière lui, un jeune SA ou SS en uniforme avec un fouet à la main. »
Les croyants et le Clergé polonais furent également soumis à des persécutions cruelles. Je cite quelques brefs extraits du rapport du Gouvernement polonais. Les membres du Tribunal trouveront ce passage à la page 10 du livre de documents. Je commence ma citation :
« Jusqu’en janvier 1941, 700 prêtres environ furent assassinés. 3.000 autres étaient en prison ou dans les camps de concentration.
« Les persécutions contre le Clergé commencèrent immédiatement après la conquête par les Allemands du territoire polonais. »
Page 42 du rapport polonais, nous lisons :
« Le lendemain de l’occupation de Varsovie, les Allemands arrêtèrent environ 330 prêtres... A Cracovie, les collaborateurs les plus proches de l’archevêque Sapieha furent arrêtés et envoyés en Allemagne. Le chanoine Czeplicki, âgé de 75 ans, et son adjoint, furent exécutés en novembre 1939... »
Le rapport du Gouvernement polonais cite les paroles suivantes du cardinal Hlond :
« Le Clergé fut persécuté très durement. Ceux qui reçurent l’autorisation de rester furent l’objet d’humiliations innombrables, d’entraves dans l’accomplissement de leurs fonctions religieuses, privés de tous leurs revenus paroissiaux et de tous leurs droits. Ils sont entièrement livrés à l’arbitraire de la Gestapo... Le tout rappelle la vision apocalyptique de la Fides depopulata ».
Sur le territoire de l’Union Soviétique, les persécutions de la religion et du Clergé ont eu lieu sous forme de profanation et de destruction de tous les sanctuaires, couvents et églises ayant un rapport avec le mouvement patriotique du peuple russe, et d’assassinat des prêtres.
Je demande maintenant au Tribunal la permission d’interroger le témoin de l’Accusation soviétique, l’archiprêtre de l’église de Leningrad, le révérend Nikolaï Ivanovitch Lomakin.
Voudriez-vous me dire votre nom ?
Nikolaï Ivanovitch Lomakin.
Avez-vous l’habitude de prêter serment avant de témoigner ou non ?
Je suis prêtre orthodoxe. Lors de ma consécration en 1917, j’ai juré de dire la vérité toute ma vie. Je me souviens encore aujourd’hui de ce serment.
Très bien. Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez.
Témoin, vous êtes l’archiprêtre des églises de Leningrad,, c’est-à-dire que toutes les églises de cette ville se trouvent sous votre autorité ?
Oui, elles se trouvent toutes sous ma juridiction. Je dois les visiter périodiquement, et je dois faire des rapports au Métropolite sur l’état de ces églises et sur la vie des paroisses.
Les églises de la région de Leningrad étaient-elles également soumises à votre autorité ?
Actuellement, elles n’y sont pas, mais pendant le siège de Leningrad par les Allemands et l’occupation de la région, elles étaient sous mon autorité.
Après la libération de la région de Leningrad, deviez-vous, d’après les instructions du patriarche, parcourir la région et visiter ces églises ?
Non, pas d’après les instructions du patriarche, mais sur les instructions du métropolite Alexei qui, à cette époque, était à la tête de l’Éparchie de Leningrad.
Veuillez parler plus lentement, s’il vous plaît.
Ce n’était pas sur les instructions du patriarche Alexei, car à cette époque le patriarche s’appelait Sergei, mais sur les instructions du métropolite Alexei, qui dirigeait le diocèse et qui est actuellement patriarche de Moscou et de toute la Russie.
Dites-moi, je vous prie, témoin, où étiez-vous pendant le blocus de Leningrad ?
Je suis resté pendant tout ce temps-là à Leningrad.
Si je ne me trompe pas, vous avez été décoré de la médaille « pour la défense de Leningrad » ?
Oui, lors de la défense héroïque de Leningrad, cette haute distinction gouvernementale me fut décernée le jour de mon anniversaire.
Dites-moi, témoin, dans quelle église officiiez-vous au début du siège ?
Au début du siège, j’avais la charge du cimetière Saint-Georges, et j’ai été recteur de l’église Saint-Nicolas de ce même cimetière.
C’était donc une église dans un cimetière ?
Oui, c’est cela.
Peut-être pouvez-vous dire au Tribunal ce que vous avez observé pendant que vous avez officié dans cette église.
Volontiers.
Je vous en prie.
En 1941 et au début de 1942, j’ai été recteur de cette église du cimetière, c’est là que j’ai observé les scènes tragiques suivantes que je voudrais décrire en détail au Tribunal. Quelques jours après l’agression perfide de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique, j’ai remarqué l’accroissement rapide du nombre de services funèbres. C’étaient surtout des enfants, des femmes et des vieillards qui avaient été victimes des raids aériens allemands sur la ville ; c’étaient des citoyens paisibles de notre ville.
Tandis que, avant la guerre, le nombre de morts oscillait entre 30 et 50 par jour, pendant la guerre ce chiffre s’éleva rapidement à plusieurs centaines par jour. Il était matériellement impossible d’apporter tous les cadavres à l’église. Autour de l’église ont surgi des monceaux inouïs de cercueils pleins de débris de chair humaine, les cadavres affreusement mutilés des paisibles habitants de Leningrad, victimes des bombardements barbares de l’aviation allemande.
Parallèlement aux services funèbres pour les corps apportés à l’église, on prit l’habitude de dire des messes en l’absence des corps. Les croyants ne pouvaient pas apporter à l’église tous les corps de leurs parents et amis qui avaient été tués, car souvent ils gisaient sous les décombres des maisons détruites par les Allemands. On pouvait voir pendant la journée, autour de l’église des tas de 100 et 200 cercueils au-dessus desquels le prêtre lisait la messe des morts.
Excusez-moi, mais il m’est très pénible de parler de tout cela car, comme je l’ai déjà dit au Tribunal, je suis resté à Leningrad pendant tout le blocus, j’ai souffert moi-même de la faim, j’ai moi-même vécu toute l’horreur des bombardements allemands. A plusieurs reprises j’ai été blessé.
Leningrad connut en 1941-1942 un hiver particulièrement pénible. Les attaques incessantes de la Luftwaffe contre la ville assiégée, les tirs d’artillerie, le manque de lumière, d’eau, de moyens de communications, d’égouts et enfin la famine effroyable, faisaient peser sur la paisible population des malheurs sans précédent dans l’histoire de l’Humanité. Ces citoyens pacifiques et innocents souffrirent pour leur patrie d’une façon vraiment héroïque.
En plus de ce que je viens de vous raconter, je pourrais également décrire d’autres scènes horribles dont j’ai été le témoin au cours de la période où j’ai été curé de cette église. Le cimetière faisait très fréquemment l’objet d’importantes attaques de l’aviation allemande. Veuillez vous représenter la scène : les cercueils, les corps, les ossements et les crânes de ceux qui reposaient pour toujours, dispersés pêle-mêle sur le sol, les pierres tombales, et les croix éparpillées ! Imaginez les souffrances de ceux qui, ayant déjà eu la douleur de perdre les leurs, savaient que ceux-ci ne reposaient pas en paix, en considérant les énormes entonnoirs creusés par les bombes, parfois à l’endroit même où ils venaient d’ensevelir leurs proches parents et amis. Ils devaient à nouveau souffrir puisque les leurs ne pouvaient trouver le repos.
Témoin, dites-nous dans quelles proportions augmentèrent les services funèbres célébrés dans cette église pendant la famine ?
Comme je l’ai déjà dit, les services funèbres atteignirent le chiffre incroyable de plusieurs milliers par jour et ceci par suite des terribles conditions de vie entraînées par le siège et les bombardements incessants de l’aviation et de l’artillerie. J’aimerais raconter au Tribunal les faits dont j’ai été le témoin le 7 février 1942. Un mois auparavant, épuisé par la faim et les longues courses que j’avais à faire quotidiennement pour me rendre de chez moi à l’église, j’étais tombé malade. Deux de mes assistants me remplacèrent. Le 7 février, le jour de la Fête des Parents qui tombe peu avant le Carême, je me rendis à l’église : c’était la première fois depuis ma maladie. Un horrible spectacle se présenta à ma vue. L’église était entourée par des amas de cadavres, dont certains en bouchaient même l’entrée. Chaque tas comptait de 30 à 100 cadavres. Il n’y en avait pas qu’à la porte, mais également autour de l’église. J’ai également vu des gens, épuisés par la faim, tomber à côté du corps d’un des leurs qu’ils voulaient transporter au cimetière. De pareils drames se produisaient très fréquemment.
Témoin, pouvez-vous répondre à la question suivante : Quels dégâts subirent les églises de Leningrad ?
Comme je l’ai déjà déclaré, Messieurs les juges, je devais en ma qualité de doyen de ces églises,, les examiner de temps à autre et envoyer un rapport détaillé au Métropolite. Mes impressions et observations personnelles sont les suivantes : L’église de la Résurrection située sur le canal de Griboïe-doff, remarquable chef-d’œuvre artistique, a été gravement touchée par les tirs d’artillerie de l’ennemi allemand. Les coupoles furent détruites, les toits percés par les obus et de nombreuses fresques endommagées ou détruites.
La cathédrale de la Sainte-Trinité qui se trouve dans la citadelle d’Ismaïlovsk, monument décoré de frises superbes qui représentent l’épopée de la prise de la citadelle, a été gravement endommagée par les tirs systématiques des Allemands. La toiture a été complètement arrachée ; toutes les sculptures ont été détruites : seuls quelques fragments ont été épargnés.
Dites-moi, témoin, combien d’églises furent détruites et combien furent sérieusement endommagées à Leningrad ?
Les bombardements d’artillerie ont presque entièrement détruit l’église du cimetière Saint-Seraphim qui fut également endommagé par l’aviation : celle-ci a également causé la destruction de plusieurs églises. Je dois mentionner deux églises qui ont particulièrement souffert du siège de Leningrad ; c’est tout d’abord la cathédrale du Prince Vladimir, dont j’ai actuellement l’honneur d’être le curé. De février à juillet 1942, j’étais doyen de cette église et je dois porter à votre connaissance, Messieurs les juges, des faits qui pour être intéressants n’en sont pas moins terribles, et qui eurent lieu le Samedi Saint de 1942. A 5 heures du soir, heure de Moscou, l’aviation allemande entreprit un raid massif sur la ville. A 5 h. 30, deux bombes tombèrent sur la partie sud-ouest de la cathédrale au moment où les fidèles s’approchaient du tableau représentant la mise au tombeau de Notre Seigneur. Ils étaient là un très grand nombre qui voulaient remplir leur devoir de chrétiens, j’ai vu près de 30 personnes qui gisaient blessées sur le porche et dans différents autres endroits. Elles restèrent étendues là, sans secours, jusqu’à ce que des soins leur fussent apportés.
Ce fut une scène d’un désordre indescriptible. Les gens qui n’avaient pas eu le temps de rentrer dans l’église essayèrent de se jeter dans les tranchées-abris, tandis que ceux qui se trouvaient à l’intérieur, se couchaient affolés contre les murs de l’église, attendant que la mort arrive. L’explosion des bombes avait été si forte que pendant un certain temps, il y eut une chute ininterrompue de verre brisé, de plâtre et de ciment. Lorsque je descendis d’une chambre du second étage, je fus horrifié par la scène qui se présenta à mes yeux. Les gens se groupèrent autour de moi. « Père, êtes-vous vivant ? Père, que devons-nous penser des Allemands ? On nous a dit qu’ils étaient croyants, qu’ils aimaient le Christ, qu’ils ne feraient pas de mal à ceux qui croyaient en Dieu ? Où est donc la foi de ces gens qui peuvent ainsi tuer la veille de Pâques ? »
Je dois remarquer que ces attaques de l’aviation allemande se prolongèrent jusqu’au matin de Pâques. Cette nuit d’allégresse qui réveille l’amour du prochain au cœur des chrétiens, les Allemands en firent une nuit sanglante, une nuit de souffrance pour des innocents. Deux à trois jours passèrent. Dans la cathédrale du Prince Vladimir, — en tant que recteur, j’ai pu m’en rendre compte — dans les autres églises et cimetières apparaissaient les victimes de cette attaque conduite le jour de Pâques par la Luftwaffe : des vieillards, des femmes, des enfants...
Témoin, vous avez visité la région de Leningrad et pu constater l’état des églises. N’avez-vous pas été témoin oculaire...
Colonel Smirnov, si votre interrogatoire doit encore se poursuivre, nous préférons suspendre tout de suite l’audience pendant dix minutes.
Docteur Nelte, vous pouvez maintenant faire part au Tribunal de vos intentions en ce qui concerne le général Westhoff et le témoin Wielen.
Aux questions du Tribunal relatives aux témoins Westhoff et Wielen, je suis en mesure, après avoir consulté mes confrères, de déclarer ce qui suit :
1° Nous renoncerons provisoirement à ces témoins, si le Ministère Public s’abstient lui aussi présentement de produire les documents RF-1450 et URSS-413.
2° J’ai proposé le général Westhoff comme témoin et d’après les suggestions du Tribunal il me semble comprendre qu’il est accepté.
Oui, c’est fait.
Monsieur Roberts, Sir David pourrait-il venir un instant à l’audience ?
Il assiste présentement à une réunion des Procureurs Généraux. Je pourrais néanmoins le faire appeler en quelques instants, si je n’étais pas qualifié pour répondre à sa place à certaines de vos questions.
Je crois qu’il serait préférable qu’il soit à nos côtés. Il s’agit à vrai dire de déterminer si le document sera lu ou non.
J’apprends que la réunion vient de se terminer. Excusez-moi, je n’ai pas très bien compris ce que vous disiez, Monsieur le Président.
Je disais que nous avons à décider si le document sera lu par le Ministère Public. Le Dr Nelte a suggéré en effet, si j’ai bien compris, que le Ministère Public pourrait peut-être renoncer à la production de ce document.
Monsieur le Président, je suis personnellement convaincu que la Délégation britannique ne renoncera jamais à la présentation de ce document. Nous avons ou plutôt notre collègue soviétique a déposé ce document dans le but de prouver que les Allemands assassinèrent ces braves gens avec un sang-froid inouï. Ce document nous tient particulièrement à cœur, nous demandons qu’il soit lu.
Monsieur le Président, je n’ai pas demandé que ces documents ne soient pas lus. J’ai seulement demandé qu’on ne les produise pas présentement, je suppose que...
Oui, mais le Ministère Public a l’intention d’insérer ces documents dans le réquisitoire et si l’on attend, pour les présenter, que la Défense ait la parole, ils ne pourront jamais y figurer.
Je crois qu’il serait possible au Ministère Public de présenter au témoin, au cours d’un contre-interrogatoire, les documents qu’il veut maintenant produire.
Nous n’avons pourtant plus le temps d’organiser pour demain la comparution de Wielen et demain nous en aurons probablement fini avec le réquisitoire.
Oui, Monsieur le Président.
C’est pourquoi le document doit être lu aujourd’hui même. Par la suite nous convoquerons le général Westhoff et le témoin Wielen, à une époque qui vous conviendra.
Je croyais que le Ministère Public s’était réservé le droit de pouvoir, à tout moment du Procès, relever de nouvelles charges et par conséquent produire de nouveaux documents. C’est ce qui ressort du Statut. Il me semble donc que le Ministère Public pourrait très bien, sans se porter préjudice, différer la production de cette pièce jusqu’à ce que j’aie interrogé le témoin.
J’aimerais ajouter quelques mots à ceux que mon collègue, M. Roberts, vient de dire. Ce document qui est présenté au Tribunal a été mis à notre disposition par la Délégation britannique. L’article 21 du Statut nous autorise à le présenter à notre tour. C’est un de ces documents qui, conformément aux décisions du Tribunal du 17 décembre 1945, ne peuvent être mis en doute. Peu importe d’en faire ou de n’en pas faire la lecture devant le Tribunal. Par ailleurs, si la Défense, comme l’a annoncé ce matin Sir David Maxwell-Fyfe, a l’intention de s’élever contre ce document, c’est son droit. C’est tout ce que je désirais ajouter aux déclarations de M. Roberts.
Peut-être me permettrez-vous, Monsieur le Président, d’ajouter que le Tribunal a déjà, si je me souviens bien, déclaré le document recevable. C’est pourquoi je suppose qu’il devrait être lu comme document constitutif de l’Accusation. Peut-être aussi cette lecture serait-elle aussi à propos après l’exposé sur les organisations.
Oui. Je m’aperçois que Sir David vient d’entrer dans la salle.
Sir David, voici succinctement exposées les vues du Tribunal :
Il appartient au Ministère Public de déterminer l’époque où il désire présenter le document, ou bien maintenant ou bien, comme M. Roberts le suggère, après la discussion sur les organisations. Il a le choix. Quant aux deux témoins, ils pourront comparaître plus tard, à l’époque, d’ailleurs, où le désireront les défenseurs.
Monsieur le Président, je souscris entièrement aux déclarations de M. Roberts, tout au moins sous la forme où elles m’ont été présentées. Nous sommes d’avis que ce document doit faire partie du réquisitoire. Cependant si cela peut aider la Défense, nous consentons à ce que le document soit lu après le débat sur les organisations. Nous discuterons du moment. De toute façon le document comptera comme document à charge.
Très bien. Dans ces conditions, le document peut être lu à la fin de l’exposé des charges.
Je prie le Tribunal de m’excuser de m’être absenté. J’avais à régler d’autres questions intéressant le Procès.
Naturellement. Docteur Nelte, le Tribunal aimerait que vous nous fassiez savoir quand vous désirez citer le témoin afin que nous puissions avertir Londres du moment où le témoin Wielen devra être amené ici.
Je ne peux avancer l’époque à laquelle pourra comparaître tel ou tel témoin prévu dans mon exposé. On ne peut en effet prévoir combien de temps s’écoulera avant que je puisse les interroger. A mon avis, le Tribunal se rendra beaucoup mieux compte que moi de l’époque à laquelle il me sera donné de pouvoir interroger ce témoin. Je l’interrogerai lui aussi, dans le cadre des interrogatoires qui m’ont été accordés.
Docteur Nelte, ce témoin n’intéresse pas seulement votre client, mais encore les accusés Göring et Kaltenbrunner. C’est pourquoi le Tribunal souhaiterait que vous vous entendiez avec le Dr Stahmer et avec le défenseur de Kaltenbrunner pour lui faire savoir le moment le plus propice pour citer ces deux témoins. Nous pourrons ainsi déterminer l’époque où l’on fera venir Wielen et informer la direction des prisons du cas de Westhoff.
Nous avons déjà parlé de cette question et nous nous sommes entendus pour que chaque témoin soit appelé au moment où, dans mon exposé, j’aborderai le cas. Nous avons appris à l’instant que Sir David était d’accord pour que les documents soient produits après l’exposé sur les organisations.
Oui.
Puis-je continuer l’interrogatoire du témoin, Monsieur le Président ?
Oui, continuez.
J’ai une dernière question à vous poser, témoin. Dites-moi, lors de l’inspection des églises situées dans les environs de Leningrad, avez-vous constaté que la religion ait été tournée en dérision et les églises profanées ?
Parfaitement.
Ayez l’amabilité de renseigner le Tribunal sur ce que vous savez.
En juillet 1943, sur l’ordre du métro-polite Alexei, je visitais la région du Vieux-Peterhof et d’Oranien-baum. Voici ce que j’ai personnellement constaté ou appris des fidèles de ces régions. La plupart des faits se confirmèrent par la suite, à une époque ou le Nouveau-Peterhof avait déjà été libéré des Allemands. Tout ce que j’affirmerai peut être confirmé par des témoins oculaires.
Au Vieux-Peterhof, peu après l’occupation par les Allemands du Nouveau-Peterhof, en dix jours exactement, toutes les églises furent anéanties par l’artillerie et l’aviation allemandes. De plus, la Luftwaffe et l’artillerie allemande s’étaient arrangées pour que soient anéantis, en même temps que ces églises, les paisibles habitants de ces régions qui y avaient cherché refuge, fuyant les combats et les tirs d’artillerie. Toutes les églises du Vieux-Peterhof, à savoir l’église de Znamenska, l’église du cimetière de la Trinité ainsi que la petite église attenante de Saint-Lazare, la chapelle-musée de la villa de l’impératrice Marie-Théodorovna, l’église Saint-Seraphim et l’église du cimetière militaire furent détruites par les Allemands. En toute certitude, je puis affirmer que sous les décombres des églises Saint-Lazare et du cimetière militaire de l’église de la Trinité, de même que dans leurs cryptes, dans les tombes et caveaux de l’église de Znamenska, sont ensevelies ou enterrées quelque 5.000 personnes. Les Allemands ne permirent pas aux survivants de sortir des églises. Il est facile de concevoir l’état d’esprit de ceux qui étaient enfermés dans les caves de ces églises et les conditions dans lesquelles ils vécurent. L’air se raréfiait de plus en plus, un air respiré donc vicié, ou infecté par les excréments d’hommes presque morts de peur. Ils perdaient connaissance, étaient pris de vertiges, mais s’ils tentaient de s’échapper des églises pour gagner l’air libre, les fascistes inhumains répondaient par des coups de feu. Cette époque est maintenant lointaine mais je me rappelle encore très clairement ce qui arriva aux personnes dont je vais maintenant parler. Le tout m’a été rapporté par un proche parent de ces gens. Une petite fille se hasarda à quitter la crypte de l’église de la Trinité pour gagner l’air libre mais fut immédiatement abattue par un tueur allemand. Sa mère sortit aussi, pour faire rentrer l’enfant, mais tomba ensanglantée auprès d’elle. La citoyenne Romachova, qui m’a raconté cet épisode vit encore. Il m’est arrivé plus d’une fois de parler avec elle et c’est toujours avec horreur qu’elle rappelait ces choses. Et de tels cas n’étaient pas uniques.
Dites-moi, n’avez-vous pas été le témoin de la profanation des reliquaires ou d’autres objets du culte ?
Parfaitement, par exemple dans la ville de Pskov ; le tableau des dévastations présentées par cette ville était effroyable. En ce qui concerne la question qui m’a été posée je dois déclarer ce qui suit : Pskov était une véritable ville-musée, un véritable reliquaire de l’Église orthodoxe, parée de nombreuses
églises situées sur les rives du fleuve Velikaya et de ses affluents. Cette ville renfermait jusqu’à 60 églises d’importances diverses aux noms pittoresques. 39 de ces monuments étaient non seulement inestimables pour leur architecture hautement artistique, mais leurs icônes, tableaux, fresques d’un grand intérêt historique, reflétaient la grandeur et la variété de l’histoire séculaire du peuple russe. Il en était ainsi du Kremlin de cette ville et de son église de la Sainte-Trinité.
Que sont devenues ces églises, qu’en ont fait les Allemands ?
J’y viens immédiatement. Le Kremlin, la cathédrale de la Trinité avec son admirable rétable, furent pillés par les soldats allemands. Ils vidèrent complètement la cathédrale, ainsi d’ailleurs que toutes les autres églises de la ville. On n’y rencontrait plus un seul ornement ecclésiastique, le moindre vase sacré. Dans ces églises, tout a été pillé. La visite que je fis à la cathédrale de la Trinité faillit me coûter la vie. Une demi-heure avant mon arrivée, une mine placée juste devant les grilles de l’autel, fit explosion.
Ces grilles furent détruites et étaient maculées de sang. Quand j’arrivais je vis de mes yeux les cadavres de trois de nos soldats, tués par cette mine placée intentionnellement aux environs de l’autel. Des mines avaient également été placées à d’autres endroits.
Je voudrais d’ailleurs relater ici un autre détail des plus intéressants. Pskov fut libérée au mois d’août 1944. Une mine explosa encore dans l’église en janvier 1946 pour l’Epiphanie, explosion qui provoqua la mort de deux personnes. L’église Saint-Basile-au-Mont fut elle aussi minée de façon similaire. Cette fois, une mine fut placée à l’entrée de l’église. Je fus frappé d’étonnement par les tas d’immondices, de vieilles boîtes de conserves, etc., que je rencontrais dans toutes les églises. La cathédrale du monastère Saint-Jean avait été transformée en écurie par les Allemands. Une autre église, celle de l’Epiphanie, en cellier. Dans une troisième église, j’ai vu un dépôt de tourbe et de charbon. Mais pourquoi s’attarder à tous ces cas particuliers. De quelque côté que nous nous trouvions, notre cœur saignait à la vue de toutes les souffrances, de tous les pillages occasionnés par des gens qui osent parler d’une culture qui serait la leur et parmi lesquels certains prétendent qu’ils croient en Dieu. Où est leur foi ?
Je n’ai plus de questions à poser au témoin, Monsieur le Président.
Je voudrais pourtant demander au Ministère Public de pouvoir dire encore quelques mots sur ce qui s’est passé à Leningrad.
Vous devez le demander au Tribunal.
Je me suis un peu écarté de la procédure habituelle. Je prie le Tribunal de m’accorder l’autorisation.
Mais oui.
C’est dans l’église Nicolaï Bogoyavlenie, la cathédrale de Leningrad, que vivait le patriarche actuel Alexei, pendant le siège de la ville. Ayant prêché de juillet 1942 jusqu’à la fin de la guerre dans cette église, j’ai été témoin des bombardements répétés qu’elle avait subis de la part de l’artillerie allemande. On peut se demander avec étonnement quels étaient les objectifs militaires que ces héroïques soldats pouvaient trouver dans notre sainte église. Sitôt que commençaient les services religieux, qu’il s’agisse de fêtes solennelles ou de dimanches ordinaires, alors commençaient aussi à se diriger sur notre église des salves d’artillerie. Et quels tirs d’artillerie ! Pendant la première semaine de carême, en 1943, nous ne pouvions, le clergé et les fidèles, quitter l’église le jour depuis le matin très tôt jusqu’au soir très tard. Tout autour de l’église, ce n’était que mort et destruction. Je pus moi-même dénombrer les cadavres d’une cinquantaine de mes frères autour de l’église ; je ne pourrais indiquer de chiffre plus précis. Ils avaient essayé de quitter rapidement l’église avant la fin de l’alerte et avaient trouvé la mort, juste en sortant du sanctuaire. Je dus enterrer autour de l’église des milliers de civils déchiquetés par les attaques meurtrières de l’aviation et les tirs de l’artillerie. Des torrents de larmes furent versés pendant les services funèbres qui suivirent. Au cours d’un semblable bombardement, son Excellence notre Métropolite Alexei faillit être tué dans sa cellule par les éclats. Je voudrais encore ajouter — je ne retiendrai pas plus longtemps le Tribunal et en finis avec mon exposé — qu’il est assez surprenant que les bombardements les plus intensifs sur Leningrad eussent justement lieu aux jours de fêtes, alors que de grosses foules priaient dans les églises. Églises, stations de tramways et hôpitaux constituaient les cibles préférées de l’artillerie et de l’aviation allemandes. Ils étaient bombardés et détruits par tous les moyens, de même que les habitations des civils.
Vous raconter toutes les souffrances endurées, tout le sang versé par la population de Leningrad en ces sombres moments, exigerait trop de temps. J’ajouterai en conclusion que le peuple russe et les habitants de Leningrad ont rempli leur devoir national jusqu’à la fin. Malgré de terrifiants tirs d’artillerie et malgré les attaques aériennes, l’ordre régnait dans la ville, de même qu’une organisation parfaite. L’Église orthodoxe a partagé toutes les souffrances de la population. Par ses prières, en prêchant la parole de Dieu, elle consolait les croyants, mettait la confiance en leur cœur. Sur l’autel de la patrie, l’Eglise a apporté sa contribution volontaire.
Je n’ai plus aucune question à poser au témoin, Monsieur le Président.
Un autre représentant du Ministère Public désire-t-il interroger le témoin ? (Pas de réponse.)
Dans ces conditions le témoin peut se retirer.
Permettez-moi maintenant de dire quelques mots pour terminer mon exposé.
Certainement, je vous en prie.
Messieurs les juges, dans sa note du 6 janvier 1942, le Commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’URSS déclarait que le Gouvernement soviétique considérait comme de son devoir de « faire connaître au monde civilisé et à tous les honnêtes gens du monde entier » les crimes monstrueux des bandits hitlériens.
Au cours des batailles de cette guerre, la plus grande de toutes les guerres, des millions d’honnêtes gens remportèrent la victoire sur l’Allemagne fasciste. La volonté de millions d’honnêtes gens instaura ce Tribunal International dans le but de juger les principaux criminels de guerre. Chaque représentant du Ministère Public se sent soutenu par ces millions invisibles d’honnêtes gens, au nom desquels il accuse les chefs de la conspiration fasciste.
L’honneur m’est échu de conclure la présentation des preuves soumises par la Ministère Public soviétique. Je sais qu’en ce moment même des millions de citoyens de mon pays et avec eux des millions d’honnêtes gens à travers le monde entier s’attendent à une décision rapide et juste.
Messieurs les juges, permettez-moi de conclure sur ces mots.
Je voudrais présenter, Messieurs, quelques remarques pour le procès-verbal d’audience, qui ne prendront que quelques minutes.
Au cours de l’exposé fait le 23 novembre 1945 sur l’aspect économique du complot, certains documents ont été cités mais n’ont pas été officiellement présentés comme preuves. A cette date, le Tribunal décida qu’on n’avait pas accordé suffisamment de temps à la Défense pour examiner ces documents. C’est pourquoi nous ne les avons pas présentés, mais nous les avons mis à la disposition de la Défense. Depuis lors, ils ont été laissés au Centre d’information ; ils doivent être déposés pour la forme, mais comme des extraits en ont été lus en cours d’audience, il n’est pas nécessaire de revenir là-dessus. Ces documents sont les suivants :
Le premier document est le n° EC-14, que nous déposons sous le n° USA-758 (Tome II, page 240).
Le suivant est le n° EC-27 que nous déposons sous le n° USA-759 (Tome II, page 228).
Le troisième est le n° EC-28 que nous déposons sous le n° USA-760 (Tome II, page 226).
En cette occurrence, le document a été mentionné par erreur sous le n° USA-23 tandis que le numéro exact est bien USA-760.
Le n° EC-174 que nous déposons sous le n° USA-761 (Tome II, page 244).
Le n° EC-252 (Tome II, page 244) que nous déposons sous le n° USA-762.
Le n° EC-257 (Tome II, page 243) que nous déposons sous le n° USA-763.
Le n° EC-404 (Tome II, page 235) que nous déposons maintenant sous le n° USA-764.
Le n° D-157 (Tome II, page 234) que nous déposons maintenant sous le n° USA-765.
Le n° D-167 (Tome II, pages 240-241) que nous déposons maintenant sous le n° USA-766.
Le n° D-203 (Tome II, page 233) que nous déposons maintenant sous le n° USA-767.
Le n° D-204 (Tome II, page 233) que nous déposons maintenant sous le n° USA-768.
Le n° D-206 (Tome II, page 240) que nous déposons maintenant sous le n° 769.
Le n° D-317 (Tome II, pages 234-235) que nous déposons maintenant sous le n° USA-770.
Outre ces documents, le lieutenant Bryson qui a présenté les charges relevées à rencontre de l’accusé Schacht, a déposé comme preuve les documents n° EC-437 et 258 en entier, à condition que les traductions françaises et russes soient ultérieurement présentées au Tribunal. Le document EC-437 a été déposé sous le n° USA-624 et le n° EC-258 a été déposé sous le n° USA-625 (Tome V, pages 129 et 131).
Mais le Tribunal a décidé que ces documents ne seraient reçus intégralement, qu’après que les traductions complètes en auraient été terminées. Des exemplaires de ces documents, dans les quatre langues, ont été déposés au Secrétariat du Tribunal et au Centre d’information de la Défense ; c’est fait depuis quelques semaines, conformément à la décision du Tribunal. Nous déposons maintenant ces documents en entier comme preuves et nous présumons qu’ils garderont les numéros USA-624 et USA-625.
De même, dans l’exposé des charges concernant la responsabilité individuelle de l’accusé Schacht, récemment soumis au Tribunal et à la Défense, il est fait mention de quelques documents qui n’avaient pas encore été déposés comme preuves. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de retenir l’attention du Tribunal par la lecture de ces documents ; par contre, nous en avons fait reproduire certains extraits en allemand, en français, en russe et en anglais, et des exemplaires dans les quatre langues ont été mis à la disposition du Tribunal et du Centre d’information de la Défense. Ce sont les documents suivants et nous demandons qu’ils soient acceptés comme preuves :
Le n° EC-384, que nous déposons sous le n° USA-771 ; le n° EC-406 que nous déposons sous le n° USA-772 ; EC-456 que nous déposons sous le n° USA-773 ; EC-495 que nous déposons sous le n° USA-774 et EC-497 que nous déposons sous le n° USA-775 ; en outre, un interrogatoire de l’accusé Schacht, en date du 11 juillet 1945, qui est l’un des documents mentionnés dans l’exposé des charges sous le n° USA-776 ; et finalement, en rapport avec les fonctions que cet accusé a remplies dans l’économie, nous prions le Tribunal d’accepter comme preuves, dans leur totalité, les rapports secrets de la réunion des ministres, du 30 mai 1936, qui font partie de la série des documents numérotés PS-1301, déposés sous le n° USA-123. Ces rapports ont été mis à la disposition du Tribunal et des avocats dans les quatre langues utilisées dans le Procès.
Je désire également mentionner le document n° PS-1639 que nous déposons...
Le Ministère Public vient à l’instant de présenter au Tribunal, comme preuves supplémentaires, une série de documents qui concernent l’accusé Schacht. Ceux-ci sont contenus dans un dossier annexe qui nous est parvenu longtemps après que l’exposé des charges contre l’accusé Schacht eut été terminé.
Je n’ai pas l’intention d’élever une protestation contre cette façon d’agir ; mais, à mon avis, cette procédure, si le Tribunal l’autorise, entraînera certaines conséquences pour la Défense. Si cette procédure est admise, nous devrions également avoir l’autorisation de présenter des preuves supplémentaires à la fin de cette discussion, et même jusqu’à la fin de la présentation des preuves dans leur ensemble, si nous estimons que de telles preuves qui se composent principalement de documents peuvent encore être présentées en faveur de nos clients.
Il est indispensable que nous puissions aussi présenter ultérieurement des témoins, et je prierai le Tribunal de bien vouloir se prononcer à ce sujet.
Oui, Docteur Kraus, le Tribunal pense que le Ministère Public a le droit, comme il l’a fait, de demander que ces documents soient admis comme preuves ; et de même que la Défense aura le droit de demander de présenter toute preuve qu’il lui semblera utile d’offrir, même après que les charges contre chacun des accusés auront été examinées.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Je voudrais mentionner maintenant le document n° PS-1639 que nous déposons sous le n° USA-777. Ce document est intitulé « Manuel de Mobilisation de l’administration civile », édition de 1939, publié en février 1939 sous la signature de l’accusé Keitel en sa qualité de chef de l’OKW. Il porte l’indication « Très secret » et a été distribué au nombre de 125 exemplaires aux ministères les plus importants du Reich ainsi qu’à l’Armée et à l’Aviation.
L’original allemand est un document d’environ 150 pages. Nous en avons fait traduire en anglais, en russe et en français les pages 2 à 18 qui représentent la partie essentielle du document. D’après le texte lui-même, il semble que ce manuel de mobilisation avait déjà été publié et était révisé annuellement. Le volume que nous présentons entra en circulation au 1er avril 1939 et était donc la base d’opérations pour la mobilisation, au moment où les nazis déclenchèrent leur attaque contre la Pologne. Toutefois, nous désirons souligner d’abord que ce document se rapporte à cette partie du procès-verbal qui décrit les plans et les préparatifs d’agression nazis, car le manuel de mobilisation ou un manuel semblable avait été mis en circulation plusieurs années avant 1939.
En second lieu, nous déclarons que ce manuel ne fait que corroborer les lois secrètes nazies pour la défense du Reich, de 1935 et de 1938, qui se trouvent dans les documents PS-2261 et PS-2194 qui ont été déposés devant le Tribunal sous les n03 USA-24 et USA-36.
En troisième lieu, c’est encore une indication précise, à notre avis, des plans et préparatifs nazis en vue d’une guerre d’agression. La partie de l’exposé du Ministère Public qui traite de la préparation des nazis en vue d’une guerre d’agression a été présentée par M. Alderman, du Ministère Public américain, à l’audience du matin et de l’après-midi du 27 novembre 1945 (Tome II, pages 305 à 348.)
Étant donné que ce document a été traduit dans les quatre langues, nous supposons qu’il n’est pas nécessaire de le lire ; nous désirons cependant en citer deux extraits... Non, nous y renonçons car ils sont inclus dans les traductions et je ne vois pas la nécessité de les lire par l’intermédiaire des interprètes.
En outre, ce document a également été mentionné par le Procureur Général américain dans son exposé introductif et c’est le seul document mentionné dans ce discours qui n’ait pas été officiellement déposé comme preuve.
Enfin, j’aimerais régler une dernière question. Je désirerais demander au Tribunal l’autorisation de faire rayer du compte rendu des débats, un document probatoire qui a été déposé par un membre du Ministère Public américain.
L’avocat de l’accusé Rosenberg a-t-il des objections à ce que ce document soit rayé du procès-verbal ?
Je n’ai aucune objection à faire, Monsieur le Président.
Dans ces conditions, ce document sera rayé du procès-verbal.
Je n’ai plus qu’une dernière question à traiter ; je suis sûr que je pourrai en finir avant la levée de l’audience.
Au cours de l’exposé des preuves concernant l’accusé Ribbentrop, notre distingué collègue, Sir David Maxwell-Fyfe, Procureur Général adjoint britannique, a présenté le document PS-3358 sous le n° GB-158. C’était le 9 janvier 1946 (Tome V, pages 23-24).
Ce document est une circulaire du ministre des Affaires étrangères allemand en date du 25 janvier 1939, se rapportant à la « question juive considérée comme un élément de la politique étrangère allemande en 1938 ».
Sir David a déjà lu des extraits de ce document, y compris la première phrase du paragraphe qui figure à la page 3 du document.
J’ai discuté de cette question avec Sir David qui a eu la bonté de convenir que nous pourrions demander au Tribunal la permission d’ajouter deux phrases supplémentaires à la citation lue par ses soins. Nous estimons, en effet, avec Sir David que ces deux phrases supplémentaires, qui suivent immédiatement, apportent de nouvelles preuves sur la persécution des Juifs, et cela en corrélation avec les crimes contre la Paix.
Le Ministère Public désire donc que le paragraphe tout entier de la page 3 de la traduction anglaise de ce document, soit accepté comme preuve par le Tribunal, en accord avec la décision que vous avez généralement prise et appliquée dans d’autres situations semblables. Nous offrons maintenant une traduction française, russe, allemande et anglaise du paragraphe tout entier, pour éviter l’obligation de le lire. L’original est naturellement en allemand, mais je ne pense pas que le Tribunal désire que je le lise même si cela ne devait prendre qu’une minute ou deux. Ces deux phrases supplémentaires n’enlèvent rien au texte, mais ne font, à notre avis, que compléter quelque peu les preuves. Je puis les lire si vous le désirez.
Oui, je pense que vous pouvez le faire.
La phrase lue par Sir David est la suivante :
« Ce n’est pas par hasard que l’année fatidique 1938 a précipité la solution de la question juive en même temps que la réalisation de la notion de la Grande Allemagne, car la politique juive a été à la fois le point de départ et la conséquence des événements de cette année ».
Voilà la fin de la phrase qui a été lue par Sir David le 9 janvier (Tome V, page 23). Nous voudrions ajouter celle qui vient immédiatement après :
« La pénétration de l’influence juive et l’esprit destructeur manifesté par les Juifs dans la politique, l’économie et la culture ont paralysé la force et la volonté de redressement du peuple allemand plus encore peut-être que l’opposition politique des Puissances alliées qui furent nos ennemis pendant la guerre mondiale ».
Et, en outre, la seconde phrase qui suit immédiatement :
« C’est pourquoi la guérison de cette maladie du peuple était certainement l’une des conditions essentielles qui ont permis d’employer la force qui, en 1938, a réussi contre la volonté du monde à consolider l’unité de la Grande Allemagne ».
Nous pensions que ces deux phrases ajouteraient quelque chose aux preuves concernant la persécution des Juifs.
Ce sont là les seules questions que je désirais ajouter au procès-verbal.
Il y a quelque temps, j’ai écrit à M. Justice Jackson au nom du Tribunal, pour lui demander s’il pouvait présenter au Tribunal une liste des personnalités qui faisaient partie de l’État-Major allemand. Cela a-t-il été fait ?
Je suis au courant de cette communication. Je me souviens que M. Justice Jackson me l’a montrée. Si rien n’a été fait, cela ne saurait tarder. Il s’agit peut-être d’une omission.
J’ai eu une réponse de M. Justice Jackson me disant que ce serait fait.
Oui, je m’en souviens.
Le Tribunal vous serait reconnaissant de vous en assurer.
Je dois préciser à regret, que si cette diligence n’a pas été faite, j’en Suis vraisemblablement responsable. Je me souviens que cette lettre m’a été remise par M. Justice Jackson et je crois que je l’ai transmise aux services du colonel Taylor. Je vais m’en occuper immédiatement et veiller à ce que cette liste vous soit transmise.
La discussion sur les organisations serait, me semble-t-il, un moment propice pour le faire.
Parfaitement.
Un affidavit accompagnera cette liste et exposera comment elle a été établie.
Très bien, Monsieur le Président. Le lieutenant Margolies me signale qu’il pense que cela a été fait il y a deux jours, mais il n’en est pas absolument certain.
Il estime que cela a été fait ?
Il le croit, mais il va le vérifier.
Très bien. Le Ministère Public sera-t-il prêt demain matin à faire son exposé sur les organisations qu’il a demandé au Tribunal de déclarer criminelles, conformément à l’article 9 du Statut ?
Oui, le Ministère Public sera prêt à se faire entendre demain à 10 heures sur ce sujet.
Par la suite, les avocats des diverses organisations seront-ils prêts à présenter, à leur tour, leurs arguments ?
Donc, il est entendu que demain matin à 10 heures, nous siégerons dans ce but jusqu’à ce que la discussion soit close.
Les avocats des organisations sont prêts à participer, selon le vœu du Tribunal, à la discussion du nouveau sujet que présentera demain le Ministère Public. Celui-ci nous a aidé en mettant à notre disposition une copie des points essentiels qui ne figurent pas à l’Acte d’accusation. D’après la suggestion du Tribunal, nous discuterons non seulement ces points essentiels, mais également les nouveaux problèmes juridiques qui se sont posés récemment dans la mesure où ils se rapportent aux preuves présentées.
Les avocats des organisations seraient heureux si le Ministère Public pouvait leur faire connaître à l’avance le point de vue qu’il fera valoir demain sur les questions juridiques de façon à ce qu’ils puissent y répondre immédiatement.
Je ne sais pas. Nous n’avons eu jusqu’à présent, aucune copie de cette argumentation. Le Ministère Public pourrait peut-être nous indiquer s’il a établi son argumentation par écrit.
Sir David est mieux placé que moi pour répondre. Je veux seulement dire, comme je l’ai exprimé déjà, qu’on m’a informé qu’un résumé en a déjà été remis au Tribunal et à la Défense.
M. Justice Jackson travaille encore à ses observations. Il espérait pouvoir présenter un projet, mais des communications tardives, reçues ce matin des milieux intéressés du ministère de la Guerre, l’ont obligé à travailler jusqu’à maintenant. Nous croyons donc que la difficulté réside dans le fait qu’il ne sera pas à même de préparer une déclaration écrite.
Plaise au Tribunal. J’avais préparé deux annexes destinées à couvrir les deux premiers points de la déclaration faite par le Tribunal en janvier dernier, les éléments de criminalité et les accusés qui sont touchés par ces derniers, conformément à l’article 9 du Statut.
J’ai veillé à ce que des exemplaires en langue allemande soient fournis à tous les avocats. J’espère que chacun de ceux-ci en possède un. J’ai veillé également à ce que des exemplaires soient fournis au Tribunal.
J’y ai joint un addenda indiquant les références aux procès-verbaux d’audience et, dans certains cas, à chacun des points traités. Je crains qu’elles ne soient en anglais, mais ce sont des références aux paragraphes, de sorte qu’il ne doit pas être difficile pour les avocats de les englober dans leurs documents. Je crains qu’il nous soit impossible de remettre un exemplaire des explications de M. Justice Jackson et de moi-même.
Ce que j’avais l’intention d’ajouter concernait essentiellement les faits que je me suis déjà efforcé d’exposer à la Défense. Si les avocats des organisations veulent se mettre officieusement au courant de l’essentiel de mon argumentation, je me ferai un plaisir de leur faciliter cette tâche, si cela peut leur être utile. Je voudrais faire tout mon possible pour les aider.
Très bien. L’audience est levée.