SOIXANTE-DIXIÈME JOURNÉE.
Mercredi 28 février 1946.

Audience du matin.

Dr HORN

Lundi dernier, lorsque j’ai voulu donner les raisons pour lesquelles j’avais présenté une requête concernant la citation éventuelle de Winston Churchill comme témoin, le Tribunal m’a demandé de la soumettre par écrit afin de pouvoir statuer à son sujet. Cependant le Tribunal décidait le 26 février, avant d’avoir reçu une requête écrite, que cette comparution n’aurait pas lieu. Je présume qu’il s’agit d’une erreur, et je demande au Tribunal d’examiner à nouveau la question à la lumière des raisons exposées dans ma requête écrite.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal examinera à nouveau la question. Monsieur Justice Jackson, n’avez-vous pas proposé de discuter d’abord la question des organisations ?

M. JUSTICE ROBERT H. JACKSON (Procureur Général américain)

Si le Tribunal le veut bien, c’est en effet notre intention. Nous reprendrons le sujet, momentanément différé, des règles directrices pour déterminer la culpabilité des organisations ; c’est en partie le fruit de notre initiative. C’est aussi pour répondre aux questions posées par le Tribunal.

La reddition sans conditions de l’Allemagne a créé pour les vainqueurs de nouveaux et difficiles problèmes de droit et d’administration. Cette reddition étant la première qu’ait connue la société moderne, les expériences passées ne peuvent nous aider à fixer notre politique à l’égard des vaincus.

La responsabilité qui découle du double fait de demander et d’accepter la capitulation d’un peuple entier doit certainement comporter le devoir de faire une discrimination judicieuse et intelligente entre les éléments antagonistes du peuple en question, dont les réactions, en face de la politique et de la conduite qui le menèrent à la catastrophe ont été très différentes. Parvenir à faire cette distinction, tel est le but des clauses du Statut qui autorisent ce Tribunal à déclarer criminels des organisations ou des groupements.

Il est indispensable de comprendre ce problème, que le Statut tente de traiter, pour arriver à son interprétation et à sa solution.

Ces organisations s’immisçaient dans toutes les manifestations de la vie allemande. Le pays était divisé en petites principautés nazies dont chacune comptait environ cinquante maisons ; chacune de ces communautés avait ses chefs de Parti reconnus, sa police de Parti et ses espions dissimulés. Elles furent organisées en unités plus importantes avec des chefs de grade supérieur, des militants et des espions, le tout formant la pyramide d’un pouvoir illégal, dont le Führer occupait le sommet et dont la base était constituée par les fonctionnaires du Parti qui exerçaient une forte pression sur la population allemande.

Le despotisme nazi n’était donc pas seulement représenté en la personne de ces accusés. Il y avait un millier de petits Führer qui commandaient, un millier d’imitateurs de Göring qui se pavanaient, mille Schirach excitant la jeunesse, mille Sauckel faisant travailler les esclaves, mille Streicher et Rosenberg attisant la haine, mille Kaltenbrunner et Frank torturant et massacrant tandis que mille Schacht, Speer et Funk administraient, appuyaient et finançaient ce mouvement.

Le mouvement nazi était une force intégrée dans chaque ville, dans chaque province, dans chaque hameau. Tout d’abord, le pouvoir que le Parti tirait de ce système d’organisations contre-balança le pouvoir de l’État lui-même, puis finit par le dominer. Le vice principal de ce réseau d’organisations consistait dans le fait qu’elles étaient destinées à enlever au Gouvernement légal le pouvoir de commander les hommes et à transférer ce pouvoir aux chefs nazis. La liberté, le droit de disposer de soi-même et la garantie de la personne et de la propriété n’existent que là où le pouvoir de commander est détenu par l’État seul et n’est exercé qu’en application de la loi. Les nazis établirent cependant ce système privé de coercition en dehors et au mépris de la loi, avec des camps de concentration contrôlés par le Parti et des pelotons d’exécution qui appliquaient en secret les sanctions infligées.

Sans responsabilité devant la loi, et sans en recevoir mandat d’un tribunal quelconque, ces organisations pouvaient confisquer la propriété, supprimer la liberté, et même disposer de la vie. Elles ont joué un rôle décisif dans les excès prémédités et barbares du mouvement nazi. Elles servaient principalement à manier les foules en exploitant leur psychologie. En multipliant le nombre des individus travaillant à une même tâche, on tend toujours à diminuer chez l’individu le sens de la responsabilité morale et à augmenter chez lui le sens de la sécurité. Les dirigeants nazis étaient passés maîtres dans cette technique. Ils se servaient de ces organisations pour faire, devant la populace allemande, des manifestations impressionnantes en nombre et en force, telles que vous les avez déjà vues sur l’écran. Elles furent employées à exciter l’esprit populaire et à donner ensuite une satisfaction tumultueuse aux haines populaires qu’elles avaient suscitées ainsi qu’aux ambitions germaniques qu’elles avaient gonflées.

Ces organisations prêchaient la doctrine de la violence et employaient la terreur. Elles préparèrent, d’un bout à l’autre de l’Allemagne et des pays occupés, l’exécution systématique et disciplinée du plan criminel d’agression dont nous avons déjà parlé. L’épanouissement de ce système est représenté par le fanatique général SS Ohlendorf, qui déclara à ce Tribunal, sans honte et sans trace de pitié aucune, comment il dirigea personnellement la mise à mort de 90.000 hommes, femmes et enfants. Jamais tribunal n’entendit le récit d’un massacre plus terrible que celui que nous avons entendu de la bouche de Wisliceny, l’un de ses camarades SS. Leur propre témoignage montre la responsabilité qu’ont prise les SS dans le programme d’extermination qui a coûté la vie à 5 millions de Juifs — responsabilité que cette organisation assuma méthodiquement, sans remords et jusqu’au bout. Ces crimes dont nous nous occupons n’ont pas de précédent dans l’Histoire, d’abord en raison du nombre impressionnant des victimes, ensuite et surtout en raison des personnes qui unirent leurs efforts pour les perpétrer. Une très grande partie de la population allemande se laissa aller sans scrupule et inconsciemment à ces organisations dont les membres ne ressentaient aucune responsabilité individuelle quand elles allaient d’un excès à l’autre. D’un autre côté, elles développaient une émulation dans la cruauté et créaient la compétition dans le crime. Ohlendorf, à la barre des témoins, accusa d’autres commandants SS, dont les meurtres avaient dépassé les siens, d’avoir « exagéré » leurs chiffres.

Il n’y aurait ni justice ni sagesse dans une politique d’occupation de l’Allemagne qui imposerait aux Allemands passifs, désorganisés et inertes, les mêmes fardeaux que ceux qui devraient être assignés à ceux qui se liguèrent volontairement au sein de ces puissantes et célèbres bandes. Une des conditions essentielles requise par la Justice et indispensable à la réussite de l’administration quadripartite des territoires occupés réside dans la politique suivante : il faut faire une distinction entre la masse des Allemands et les organisations et les traiter de façon différente. Voilà le devoir essentiel qui s’impose ici à nous. Il semble hors de doute que le fait de punir quelques chefs suprêmes, en laissant subsister ce réseau de corps constitués au sein de la société d’après guerre, favoriserait la formation du noyau d’un nouveau régime nazi. Les membres de ces organisations, habitués à la voie hiérarchique, ont développé la technique d’une coopération à la fois secrète et publique et l’ont fait entrer dans les mœurs. Ils nourrissent encore un dévouement aveugle au programme nazi, interrompu mais non abandonné. Ils entretiendront les haines et les ambitions qui ont engendré l’orgie de crimes dont nous avons établi l’existence. Ces organisations colporteront d’une génération à l’autre les germes empoisonnés de l’impitoyable guerre d’agression. Le Tribunal a vu sur l’écran avec quelle facilité des gens qui ne sont apparemment que des travailleurs ordinaires, peuvent former en fait une unité militaire s’entraînant avec des pelles. La prochaine guerre et les prochaines agressions seront sûrement couvées dans les nids de ces organisations, si nous laissons se développer impunément le prestige et l’influence que leurs membres ont acquis.

La menace que font peser ces organisations est d’autant plus impressionnante lorsque l’on considère l’état de démoralisation de la société allemande. Il faudra des années pour qu’une autorité politique expérimentée puisse s’installer définitivement dans l’État allemand. Elle ne saurait acquérir rapidement la stabilité d’un Gouvernement soutenu par une longue habitude d’obéissance et de respect traditionnel. Les intrigues, l’opposition, l’éventualité d’un renversement que les systèmes de Gouvernement plus anciens et plus stables ont toujours eu à redouter d’un groupe de conspirateurs, constituent un danger réel et présent pour tout ordre social stable établi au sein de l’Allemagne d’aujourd’hui et de demain.

Dans la mesure où le Statut de ce Tribunal envisage l’application d’une justice vengeresse, il est évident qu’il ne pouvait négliger ces instruments organisés ni les instigateurs des crimes passés. Au début de ce Procès, j’ai déclaré que les États-Unis ne cherchaient pas à condamner la totalité du peuple allemand. Mais il importe de souligner que la condamnation des 21 individus qui se trouvent au banc des accusés ne servira pas à l’absoudre. Les torts qui ont été causés au monde par ces accusés et leurs subordonnés immédiats n’ont pas été le fruit de leur seule volonté et de leur seule énergie. Le succès de leurs projets n’a été rendu possible que parce qu’un grand nombre d’Allemands se sont organisés pour devenir le point d’appui et le levier qui permirent à ces dirigeants d’étendre et d’accroître leur puissance. Si le Tribunal néglige de condamner ces collaborateurs organisés pour la part de responsabilité qui leur incombe dans la catastrophe, cette défaillance sera considérée comme leur acquittement. Mais le Statut ne s’occupe pas seulement de justice vengeresse. Il manifeste l’intention de pratiquer une politique constructive dominée par des considérations préventives qui doivent avoir une valeur d’exemple.

L’objectif principal que l’on visait en demandant que la reddition de l’Allemagne fût inconditionnelle, était de laisser la voie libre à la reconstruction d’une société allemande sur une base telle qu’elle n’aurait plus la possibilité de menacer la paix de l’Europe et du monde. Les mesures temporaires prises par les autorités d’occupation ont pu, par nécessité — et en disant cela je ne les critique nullement — avoir été plus arbitraires et appliquées avec moins de discrimination qu’il n’aurait convenu à une politique de longue durée. Par exemple, d’après la politique de dénazification actuelle, aucune personne ayant appartenu au parti nazi ou à des organisations affiliées ne peut être employée dans aucune entreprise à un poste autre que celui de travailleur manuel, à moins qu’elle n’ait été nazie que de nom. Des personnes appartenant à certaines catégories influentes de la société se voient refuser, de gré ou de force, le droit de continuer la gestion de leurs affaires ou l’exercice de leur profession. Il est nécessaire de renvoyer ou d’exclure de l’administration et des postes importants dans les entreprises privées ou semi-publiques les personnes rentrant dans l’une des quelque quatre-vingt-dix catégories de gens qui passent pour avoir été soit des nazis actifs, soit des partisans nazis, soit des militaristes. Les biens de ces personnes sont sous séquestre.

Le Conseil de Contrôle a maintenant reconnu, comme le firent les auteurs de ce Statut, qu’un programme permanent, établi à longue échéance, devrait être basé sur une discrimination plus prudente et s’attacher à l’étude des cas individuels d’une façon plus serrée qu’il n’a été possible de le faire avec des mesures provisoires rapides. Il y a maintenant, au sein du Conseil de Contrôle, une tendance à reconsidérer toute la politique et toute la procédure de la dénazification. Cette politique sera fortement influencée par la décision du Tribunal déclarant que les organisations accusées sont criminelles ou qu’elles ne le sont pas.

L’intention contenue dans ce Statut était d’utiliser les débats et le jugement de ce Tribunal pour identifier et condamner ces forces nazies et militaristes dont l’organisation était si solide qu’elle constituait une menace permanente pour les objectifs durables en vue desquels nos pays respectifs ont sacrifié leur jeune génération. C’est à la lumière de ce grand dessein que nous devons examiner les clauses de ce Statut.

Il était évident que les procédures ordinaires ne pouvaient pas être adaptées à cette tâche sans modification. Aucun système de jurisprudence n’a jusqu’à présent mis au point une technique satisfaisante pour présenter un grand nombre de charges communes contre un grand nombre d’accusés. Le nombre d’accusés individuels qui peuvent être jugés avec équité au cours d’un seul procès ne peut dépasser de beaucoup celui de ceux qui sont actuellement assis au banc des accusés. Par ailleurs, le nombre de procès séparés au cours desquels on pourrait apporter le même volume de preuves concernant le plan concerté est, pour des raisons pratiques, très limité. Cependant, des débats contradictoires, dans le genre de ceux qui sont en cours, sont la meilleure garantie que le droit ait trouvée jusqu’alors pour que les décisions soient empreintes de justice et d’équité. La tâche des auteurs du Statut consistait à trouver un moyen de surmonter ces obstacles qui s’opposaient à une décision pratique et rapide, sans sacrifier en rien l’équité qui doit implicitement caractériser les débats. La solution prescrite par ce Statut n’est certainement pas dépourvue d’erreurs, mais aucun des critiques n’a pu en proposer une variante qui ne prive pas l’individu du droit d’être entendu ou qui n’envisage pas une multitude de longs procès qui la ferait s’effondrer et la rendrait impraticable. En tous cas, ce Statut est le plan adopté par nos Gouvernements respectifs et notre devoir ici est de l’appliquer.

Ce Statut tend essentiellement à séparer les conclusions générales, communes à tous les procès individuels, des conclusions spéciales particulières à chacun d’eux. Il peut être comparé à celui qui a été employé dans une certaine législation du temps de guerre aux États-Unis, lorsque ce pays eut à traiter le procès Yacus contre les États-Unis d’Amérique, au cours duquel il a été décidé que la qualité légale d’un ordre devait être déterminée par un tribunal indépendant et ne pouvait être soulevée par un accusé dans le cadre de sa défense. Les pays qui n’ont pas de constitutions écrites ni de données constitutionnelles pourront difficilement saisir la logique de cette décision, mais il s’agissait en l’espèce de séparer les questions générales relatives à l’ordre en tant que tel, des questions particulières qui en résulteraient quand un individu ferait l’objet d’une poursuite quelconque.

Le Tribunal International réglera les questions générales au cours de ce Procès où les organisations accusées seront défendues par un avocat et représentées par au moins un membre dirigeant.

D’autres membres pourront être entendus. Leurs requêtes pourront être acceptées si le Tribunal pense que la justice l’exige. La seule question soulevée dans ce Procès concerne la criminalité collective des organisations ou des groupes. Elle doit être décidée par un jugement déclaratif qui ne prononcera aucune peine ni contre l’organisation, ni contre ses membres individuels.

L’effet de la déclaration du Tribunal sur le caractère criminel d’une organisation est exposé dans l’article 10, que je lirai avec votre permission :

« Dans tous les cas où le Tribunal aura proclamé le caractère criminel d’un groupe ou d’une organisation, les autorités compétentes de chaque Signataire auront le droit de traduire tout individu devant les tribunaux nationaux, militaires ou d’occupation, en raison de son affiliation à ce groupe ou à cette organisation. Dans cette hypothèse, le caractère criminel du groupe ou de l’organisation sera considéré comme établi et ne pourra plus être contesté. »

Il est indiscutable que le Statut aurait pu se permettre de déclarer simplement que le fait d’avoir appartenu à l’une des organisations désignées serait considéré comme criminel et entraînerait des peines en conséquence. Si une décision de ce genre avait été prise, il n’aurait pas été possible à un individu, accusé d’avoir appartenu à une organisation, de contester le caractère criminel de cette organisation. Mais en le rédigeant l’été dernier, avant que toutes les preuves dont nous disposons n’aient été réunies, les auteurs du Statut n’ont pas voulu déclarer d’office ces organisations criminelles. Ils décidèrent de ne déterminer ce point que lorsque les faits auraient été présentés au cours de débats contradictoires. L’individu est manifestement avantagé par la procédure adoptée par le Statut qui laisse au Tribunal le soin de constater la criminalité au cours de débats où les organisations ont le devoir et les individus la possibilité d’être représentés. C’est en tout cas la meilleure assurance qu’il ait pu donner qu’aucune erreur ne serait commise au sujet de ces organisations.

D’après le Statut, les groupes et organisations nommés dans l’Acte d’accusation ne sont pas mis en jugement au sens conventionnel du terme. Ils sont plutôt dans l’état où ils se trouveraient devant une Chambre des Mises en accusation, suivant la procédure anglo-saxonne. L’article 9 fait une différence entre la déclaration de criminalité d’un groupe ou d’une organisation et « le procès d’un membre de ce groupe ou de cette organisation ». La compétence du Tribunal ne s’étend qu’aux « personnes » et le Statut ne prend pas ce terme au sens large, comme le font parfois certains Actes, pour y inclure d’autres personnes que les personnes physiques. Les groupes ou organisations cités dans l’Acte d’accusation n’ont pas été traduits en jugement comme des entités et le Tribunal n’a pas reçu le pouvoir de les condamner en tant que telles. Par exemple, il ne peut leur imposer une amende, même si cette organisation est propriétaire de biens. Il ne peut non plus condamner aucun individu en raison de son appartenance à telle ou telle organisation.

On doit également observer que le Statut n’exige pas de poursuites ultérieures contre qui que ce soit. Il stipule simplement que les autorités nationales compétentes auront le droit de juger des individus pour avoir été membres de ces organisations.

Le Statut reste silencieux sur la forme que devront revêtir ces procès ultérieurs. On n’a pas jugé raisonnable qu’il les organise sur la base des renseignements que nous possédions alors. Il n’était d’ailleurs pas nécessaire de le faire. Il y a une autorité législative permanente représentant les quatre Nations signataires, compétente pour reprendre la tâche que le Statut a abandonnée. Il serait naturellement nécessaire qu’un appendice au Statut déclarât compétents des tribunaux locaux, fixât la procédure à suivre et appliquât différentes peines aux différentes formes d’activité.

On a cependant exprimé la crainte que le silence observé par le Statut à propos des procès futurs n’entraînât l’arrestation et la condamnation automatiques des membres des organisations, en conséquence d’une déclaration de criminalité d’une organisation. On a également suggéré que ce point est ou pourrait être la conséquence de l’article II, 1 (d) de la Loi n° 10 du Conseil de Contrôle qui définit comme crime « le fait d’avoir été membre de catégories d’un groupe ou organisation déclarés criminels par le Tribunal Militaire International ». On ne pourrait déceler dans ce Statut, sans en insulter à la fois la lettre et l’esprit, l’intention d’infliger un châtiment sans laisser un droit de défense à l’accusé. Et je ne trouve pas que la Loi n° 10 du Conseil de Contrôle soit incompatible avec les termes du Statut. Il faudra évidemment organiser de nombreux procès pour atteindre tous les membres individuels. Mais ils ne porteront que sur des questions limitées ; de nombreuses personnes n’auront rien à répondre aux accusations qui seront soigneusement préparées ; les procès devront être rapides et ne comporteront pas de technique spéciale ; ils devront se dérouler dans la région où se trouve le domicile de l’accusé, et, incidemment, pourront être conduits tout au plus en deux langues.

Et je crois qu’il est normal que chaque personne ait le droit de défendre sa cause avant d’être déclarée punissable pour avoir été membre d’une organisation criminelle. Le Statut n’autorise pas les autorités nationales à condamner un ancien membre sans procès, il leur donne simplement le droit de « traduire tout individu devant les tribunaux ». Voilà ce qu’il stipule. Un procès signifie qu’il y a quelque chose à juger.

Le Statut refuse un seul des moyens de défense à la disposition de l’accusé : celui-ci ne peut, dans un procès ultérieur, remettre en question la criminalité de l’organisation proprement dite. Rien ne l’empêche d’affirmer que sa participation était involontaire et de prouver qu’il a agi sous la contrainte ; il peut prouver que l’organisation l’a déçu ou trompé, il peut montrer qu’il s’est retiré ou établir que seule une erreur d’identité a fait figurer son nom sur la liste.

Ce que le Statut et la Loi du Conseil de Contrôle condamnent dans le fait d’avoir été membre, c’est, bien entendu, l’adhésion spontanée et volontaire de l’individu. Le fait d’avoir été affilié à une organisation doit avoir été volontaire et intentionnel. On n’a jamais pensé incriminer la victime d’une obligation légale ou d’une contrainte illégale, d’une véritable fraude ou d’une ruse ; on ne saurait envisager des conséquences aussi injustes. Cependant, la mesure dans laquelle le membre a eu connaissance du caractère criminel de l’organisation est une autre affaire. Il a pu l’ignorer le jour de son adhésion, mais il a pu rester membre après avoir appris les faits. Il peut être accusé, non seulement de ce qu’il savait au début, mais de tout ce dont il fut mis au courant.

Il existe des garanties pour assurer l’exécution en toute bonne foi de ce programme. Elles prescrivent que l’action publique soit exercée avec discernement. Si les Puissances alliées avaient eu l’intention de punir ces individus sans autre forme de procès, ils l’auraient déjà fait avant que ce Tribunal ne soit constitué, et sans attendre sa décision. Nous pensons que le Tribunal est certain que les Puissances signataires, qui se sont volontairement associées pour faire ce Procès, observeront loyalement sa décision.

La Loi du Conseil de Contrôle ne s’applique qu’à l’appartenance aux catégories déclarées criminelles. Le langage tenu par le Conseil de Contrôle reconnaît à ce Tribunal le pouvoir de limiter l’effet de sa déclaration. Pour des raisons que je préciserai plus tard, je ne crois pas que ceci doive être interprété ou utilisé pour se prononcer sur des problèmes intéressant des sous-groupes, des sections ou des individus isolés qui peuvent faire l’objet de poursuites ultérieures. Il me semble qu’on devrait l’interpréter non comme une limitation de détails, après examen des preuves, mais comme une limitation de principe dans le sens que j’ai déjà indiqué : la contrainte, l’appartenance involontaire et autres motifs que le Tribunal peut reconnaître et apprécier sans s’arrêter aux preuves de moindre importance. Il ne prescrit pas au Tribunal de compiler les documents avant de prononcer son jugement et de s’occuper des seuls membres volontaires. La décision de ce Tribunal n’empêchera pas les procès futurs mais sera destinée à les guider.

On ne peut certainement pas dire qu’un tel plan manque de sérieux ou d’équité, qui sépare les questions générales se posant à propos de nombreux cas analogues de celles, particulières, qui ne s’appliquent qu’aux accusés individuels destinés à être poursuivis devant des tribunaux séparés, spécialement constitués à cet effet. Et, bien qu’il présente des difficultés de procédure peu coutumières, je ne pense pas que celles-ci soient insurmontables.

Avant d’en arriver à ces questions de procédure, je vais aborder le problème des critères, des principes et des précédents dans une déclaration de criminalité collective. L’ancienneté de la loi qui préside à la recherche de la criminalité des groupes, lui confère dans l’ensemble une autorité et une uniformité qui se retrouvent dans toutes les législations. Il est vrai que nous nous occupons ici d’une procédure qu’il serait facile de déformer et que l’on considère souvent comme étant en opposition avec la liberté de réunion ou comme la reconnaissance de la culpabilité par association. Il est également exact que les procédures menées contre les organisations sont étroitement apparentées à l’accusation de complot, le piège de cette législation ; les tribunaux y prêtent à juste titre un œil vigilant afin de ne pas en abuser.

Le fait est, cependant, que chaque forme de Gouvernement a cru nécessaire de traiter certaines organisations comme criminelles. Aucun Gouvernement, si tolérant soit-il, ne peut permettre la formation d’un pouvoir privé sous forme d’organisations, à un degré tel qu’il rivaliserait avec lui, lui ferait obstruction et dominerait le Gouvernement lui-même ; agir ainsi serait permettre à des hommes ingénieux de détruire la liberté. La complaisance, la tolérance et l’impuissance de la République de Weimar vis-à-vis de l’organisation grandissante du pouvoir nazi furent le signal de la mort de la liberté allemande.

La protection de la liberté du citoyen a exigé, même des Gouvernements libres, la promulgation de lois déclarant criminelles ces cellules de pouvoir qui menacent d’imposer leur volonté à des citoyens qui la refusent. Chacune des Nations signataires de ce Statut possède des lois déclarant criminels certains types d’organisations. Le Ku-Klux-Klan aux États-Unis s’épanouit à peu près à la même époque que le mouvement nazi en Allemagne. Il invoquait les mêmes haines, pratiquait les mêmes contraintes extra-légales et terrorisait de la même façon par des cérémonies magiques nocturnes. A l’instar du parti nazi, il était composé d’un noyau de fanatiques, mais il était soutenu par des personnes respectables qui, quoique en connaissant son illégalité, croyaient à son succès. De telles organisations attirèrent contre elles une série d’actes législatifs qui les visaient en tant qu’organisations.

Le Congrès des États-Unis avait également promulgué une loi rendant illégales certaines organisations. Un exemple récent fut celui du 28 juin 1940, lorsque le Congrès stipula que toute personne serait en situation illégale qui, entre autres, organiserait et contribuerait à organiser aux États-Unis une société quelconque, groupe ou assemblée de personnes destinées à apprendre, enseigner ou encourager le renversement ou la destruction par la force ou la violence d’un Gouvernement quelconque ou qui deviendrait membre ou affiliée d’une telle société, groupe ou assemblée de personnes, en en connaissant les desseins.

Il existe, dans les États de la Fédération américaine, de nombreux actes législatifs créant des infractions semblables. On en trouvera un exemple dans la loi de l’État de Californie sur les syndicats criminels ; celle-ci, après avoir donné une définition, déclare criminelle toute personne qui organise ou qui contribue à organiser un tel groupement et qui s’y affilie sciemment.

Les précédents du droit anglais, déclarant illégales des organisations et punissant ceux qui y appartiennent, datent de loin et sont compatibles avec la Constitution. L’un des premiers est la loi n° 30 des Indes britanniques, du 14 novembre 1836, qui stipule entre autres :

« Aux termes de la présente loi, il est décrété que quiconque sera convaincu d’avoir appartenu, soit avant, soit après la promulgation de cette loi, à une bande de malfaiteurs agissant soit à l’intérieur soit à l’extérieur des territoires de la Compagnie des Indes Orientales, sera passible de la peine des travaux forcés à perpétuité. »

Et l’Histoire a montré que cette loi réussit pleinement à supprimer les actes de violence.

D’autres précédents dans la législation anglaise sont constitués par la loi sur les sociétés illégales de 1799, les lois sur les réunions séditieuses de 1817 et de 1846, la loi sur l’ordre public de 1936 et les règles de défense 18 (b). Ces dernières, qui se heurtèrent à une vive opposition, avaient pour but de protéger l’intégrité du Gouvernement britannique contre les activités de la « Cinquième colonne » de ces mêmes conspirateurs nazis.

La Russie soviétique punit comme un crime la formation d’une bande criminelle et le fait d’y appartenir : les criminologistes de l’Union Soviétique appellent ce crime le « crime de banditisme », terme vraiment approprié à ces organisations allemandes. Le général Rudenko donnera au Tribunal des indications plus détaillées sur le droit soviétique. Quant au droit criminel français, il déclare crime l’appartenance à des organisations subversives. Mon distingué collègue français vous présentera plus de détails sur ce sujet.

Bien entendu, je ne veux pas prétendre que vaut seul ici le droit d’un seul pays, lui-même signataire. Mais il est clair que ce n’est pas l’expression ou la conception d’un seul système juridique, que tous les systèmes juridiques sont d’accord sur le fait qu’il y a des cas où certaines organisations deviennent intolérables dans une communauté libre.

En ce qui concerne les précédents allemands, il ne semble pas nécessaire de s’occuper du régime nazi, qui, bien entendu, supprima impitoyablement tous ses adversaires. Néanmoins, sous l’Empire et la République de Weimar, la discipline allemande du droit était honorable, et elle présente des exemples à la fois législatifs et jurisprudentiels du caractère criminel de certaines organisations. Parmi les exemples législatifs figure le Code pénal allemand, publié en 1871 : l’article 128 vise les associations secrètes et l’article 129 les organisations hostiles à l’État ; la loi du 22 mars 1921 sur les organisations paramilitaires ; la loi de juillet 1922 sur les organisations visant à renverser la constitution du Reich. L’article 128 du Code pénal de 1871 est particulièrement intéressant ; il stipule :

« La participation à une organisation dont l’existence, la constitution ou les buts doivent rester secrets vis-à-vis du Gouvernement, ou dans laquelle il est nécessaire de pratiquer une obéissance à des supérieurs inconnus ou une obéissance aveugle à des supérieurs connus, est punie de l’emprisonnement. »

Il serait difficile de promulguer une loi qui condamnerait plus expressément les organisations dont nous nous occupons que ce Code pénal allemand de 1871. J’attire votre attention sur le fait qu’il condamne les organisations dans lesquelles il est nécessaire de pratiquer une obéissance à des supérieurs inconnus ou une obéissance aveugle à des supérieurs connus. C’est exactement le genre de danger et de menace dont nous traitons.

Sous l’Empire, différentes unions nationales polonaises furent l’objet de poursuites criminelles. Sous la République, en 1927 et 1929, des jugements déclarèrent criminel tout le parti communiste allemand. En 1922 et 1928, des jugements frappèrent le corps des chefs politiques du parti communiste qui comprenait ce qu’on désignait sous le nom de corps des fonctionnaires. Les pouvoirs de ce corps des fonctionnaires correspondaient à peu près à ceux du corps des chefs du parti nazi que nous accusons ici. Les jugements prononcés contre le parti communiste par les tribunaux allemands atteignaient chaque caissier, chaque employé, chaque garçon de course, chaque saute-ruisseau et chaque chef local. En 1930, une déclaration de criminalité contre « l’union des combattants du front rouge » du parti communiste ne faisait aucune distinction entre les dirigeants et les simples membres.

Bien plus significatif est le fait que le 30 mai 1924, un jugement d’un tribunal allemand déclara que tout le parti nazi était une organisation criminelle. On fit évidemment preuve d’un manque de courage dans l’exécution de ce jugement, sinon nous ne serions pas ici. Cette décision ne se rapportait pas simplement au Corps des dirigeants que nous jugeons présentement, mais aussi à tous les autres membres. Toute la montée au pouvoir du parti nazi se fit à l’ombre de ce jugement d’illégalité prononcé par un tribunal allemand lui-même.

En déclarant des organisations criminelles, les tribunaux allemands sont partis de ce principe que tous les membres étaient réunis par un plan concerté auquel chacun participait, bien qu’à des échelons différents. En outre, les principes fondamentaux de la responsabilité des membres, tels qu’ils sont définis par la Cour suprême allemande, ressemblent d’une façon frappante aux principes qui dominent notre droit anglo-saxon sur les complots. Parmi les décisions des tribunaux allemands, on trouve entre autres qu’il importe peu de savoir si tous les membres ont poursuivi les buts interdits. Il suffit qu’une partie ait exercé une activité illégale. Et encore : « Peu importe que les membres du groupe ou de l’association aient approuvé ou non les buts, activités, moyens de travail et moyens de combat ». Et encore : « L’état d’esprit réel des participants importe peu. Même s’ils avaient eu l’intention de ne pas participer aux efforts criminels ou de les entraver, ceci ne peut faire disparaître leur responsabilité de membre effectif. »

Les organisations ayant des buts criminels sont partout considérées comme des complots et leur criminalité est jugée suivant la procédure applicable à la conspiration. La raison pour laquelle ces organisations sont dangereuses pour un peuple organisé a été brièvement exposée par un juriste américain faisant autorité : je cite le Manuel de Droit criminel de Miller :

« Une association est pénalement responsable lorsqu’elle vise à un but illégal ou utilise des moyens illégaux, même si le fait incriminé a été en réalité perpétré par un seul individu ; le fondement de cette responsabilité réside dans le fait que des personnes groupées pour commettre une infraction, soit comme moyen, soit comme fin, constituent un danger d’autant plus grand que le fait qu’elles sont groupées accroît leur puissance nuisible et qu’il est plus difficile de se protéger contre des desseins criminels et d’y mettre obstacle lorsqu’ils sont le fait d’un groupe d’individus que lorsqu’il s’agit d’une seule personne : enfin la terreur suscitée par une telle association crée dans le peuple un état d’esprit malsain ».

L’article 6 du Statut stipule que les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution du plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.

Ce n’est rien d’autre que l’expression de la loi qui réprime ordinairement le complot.

Les accusés individuels qui sont prévenus devant vous de conspiration seront, si elle est établie, rendus responsables des actes commis par d’autres en exécution du plan concerté.

Le Statut n’a pas défini la responsabilité du fait d’autrui par le seul terme de « conspiration ». Les crimes ont été définis en termes généraux et non techniques ; ils comprennent l’élaboration et l’exécution d’un plan concerté aussi bien que la participation au complot. On a craint qu’un autre procédé n’introduisît dans les débats des exigences et des limitations techniques qui auraient surgi à propos du terme « complot ». Il y a quelques divergences entre la conception anglo-saxonne du complot et les tendances des jurisprudences française, soviétique ou allemande. On a exprimé le vœu que des cas concrets soient tranchés à la lumière des considérations plus larges inhérentes à la nature du problème que j’ai exposé plutôt que d’en faire l’objet des raffinements d’aucune jurisprudence particulière.

Or, si l’on fait abstraction des difficultés de procédure soulevées par la multitude des instances, rien ne s’oppose à ce que chaque membre de l’une quelconque des organisations nazies qui sont accusées ici ne soit poursuivi en vertu de l’article 6 et condamné en tant que participant au complot, même si le Statut n’avait fait aucune mention des organisations. L’affiliation volontaire exprimait sans conteste l’adhésion à un plan concerté en vue d’un but commun.

Ces organisations ne prétendaient pas être simplement des groupes sociaux ou culturels : il était admis que leurs membres étaient unis pour l’action. Pour plusieurs d’entre elles, le fait de la réunion était prouvé par l’adhésion solennelle, la prestation d’un serment, le port d’un uniforme distinct, la soumission à une discipline. Il est abondamment établi que tous les membres de chaque organisation nazie s’unissaient suivant un plan concerté pour atteindre par des efforts combinés un but déterminé.

Les critères servant à déterminer si ces buts sont punissables ne sont certainement pas différents de ceux qui gouvernent la question de savoir si un groupement ou une conspiration est ou non légal. L’organisation a-t-elle employé des méthodes illégales ou a-t-elle poursuivi des buts illégaux ? S’il en est ainsi, la responsabilité de chaque membre d’une de ces organisations nazies, pour les actes commis par chaque autre membre, n’est pas foncièrement différente de la responsabilité pour complot qui existe aux États-Unis chez les hommes d’affaires qui s’unissent en violation des lois sur l’interdiction des trusts, ou chez d’autres accusés qui tombent sous le coup des lois sur les stupéfiants, sur les entreprises séditieuses ou autres lois pénales fédérales.

Parmi les principes appliqués quotidiennement par les tribunaux de Grande-Bretagne et des États-Unis à propos de la notion de complot, les plus importants sont les suivants :

Il n’est pas nécessaire d’être en présence d’une réunion ou d’un accord effectif. Il suffit, bien que des personnes aient pu jouer des rôles différents, qu’elles aient entrepris une action concertée et collaboré étroitement, dans le but commun d’accomplir une tâche commune.

Deuxièmement, une personne peut être responsable sans avoir même connu ses co-conspirateurs ou sans avoir su exactement quel rôle ils jouaient ou à quels actes ils se livraient ; de même une personne peut être poursuivie, même si elle n’a pas pris personnellement part aux actes criminels ou si elle était absente au moment où ils furent perpétrés.

Troisièmement, on peut endosser la responsabilité des autres co-conspirateurs, bien que les actes commis par eux n’aient été ni voulus, ni prévus, s’ils se sont déroulés au cours de l’exécution du plan concerté. Un co-conspirateur ne peut que donner carte blanche à un autre pour réaliser les desseins de la conspiration.

Quatrièmement, il n’est pas nécessaire, pour être responsable, d’avoir été membre de la conspiration au même moment que les autres participants ou au moment même de l’acte criminel. Lorsque l’on devient membre d’un complot, on adopte et ratifie ce qui a été fait précédemment et on reste responsable jusqu’à ce qu’on abandonne la conspiration en le notifiant à ses complices.

Ce ne sont là en vérité que des principes généraux : aucune société n’aurait été capable de subsister, si on n’avait pris des précautions contre l’accumulation de puissance de la part d’associations d’individus.

Naturellement, les membres d’organisations criminelles ou de conspirations qui commettent personnellement des crimes doivent en répondre individuellement, exactement comme ceux qui commettent les mêmes fautes sans le soutien d’une organisation. L’essence même du crime de conspiration ou d’appartenance à une association criminelle consiste dans la responsabilité pour des actes qu’on ne commet pas personnellement, mais qu’on facilite ou qu’on encourage. Le crime réside dans le fait de se lier à d’autres pour participer à un effort commun illégal, quelque licites que puissent être les actes personnels d’un participant considérés en eux-mêmes.

L’acte vraiment inoffensif qui consiste à mettre une lettre à la poste est suffisant pour lier quelqu’un à une conspiration, si la lettre est envoyée en vue de servir un plan criminel. Nous en avons des exemples sans nombre dans la jurisprudence des États-Unis où le fait de mettre une lettre à la poste peut vous mener, non seulement dans la catégorie des criminels possibles, mais encore devant les tribunaux fédéraux. Il existe des exemples innombrables de cette théorie d’après laquelle des actes licites commis au cours de l’exécution d’un dessein commun rendent quelqu’un responsable des actes criminels d’autrui perpétrés pour atteindre le même but. Les limites de cette loi sur la conspiration sont d’une portée importante pour la détermination des critères de la responsabilité des organisations. En tout cas, la responsabilité indirecte qui découle d’une appartenance volontaire symbolisée par le serment et dirigée vers la poursuite d’un but commun par la soumission à une discipline et à un ordre hiérarchique ne saurait être moindre que celle qui découle d’une collaboration libre avec un groupe indéterminé, comme il arrive en cas de complot habituel.

C’est une réponse à la suggestion selon laquelle le Ministère Public devrait prouver que chaque membre ou chaque groupe, fraction ou division de l’organisation est coupable d’actes criminels. Cette suggestion ignore le caractère de l’accusation de conspiration portée contre les organisations. Une telle interprétation réduirait en outre le Statut à une absurdité inapplicable. Concentrer dans un procès international les enquêtes exigeant telles ou telles preuves détaillées au sujet de chaque membre ou de chaque élément serait une tâche pour laquelle la durée de la vie de la génération actuelle ne suffirait pas.

Il est aisé d’avancer un cliché plausible mais superficiel, tel celui-ci par exemple : « Une personne doit être condamnée pour ses activités et non pour son appartenance à un organisme. » Mais on ignore ainsi que le fait d’appartenir à des organismes nazis constituait une activité. Cette appartenance n’était pas quelque chose que l’on passait à un citoyen passif comme un prospectus. Même un membre honoraire peut aider et appuyer puissamment un mouvement. Quelqu’un s’imagine-t-il que l’image de Hjalmar Schacht, assis au premier rang du Congrès du parti nazi de 1935 et arborant l’insigne du Parti, était présentée dans un film de propagande du parti nazi dans un seul intérêt artistique ? Le simple prêt que ce grand banquier fit de son nom à cette entreprise ténébreuse a donné un élan à cette dernière et lui a conféré une certaine respectabilité aux yeux de tous les Allemands hésitants. Il peut y avoir des exemples de membres qui n’en approuvèrent et appuyèrent ni les fins ni les moyens, mais les situations individuelles de cette sorte seront à apprécier au cours d’autres procès et non par ce Tribunal.

En d’autres termes, il est facile d’utiliser l’affiliation à une organisation : c’est un moyen rapide et simple, mais qui donne également un aperçu assez juste d’une conspiration chargée de faire ce qu’elle réalisa effectivement. C’est la seule idée dont doit s’inspirer le Tribunal au point où en est le Procès. Elle ne peut créer d’injustice, parce qu’avant d’être puni, chaque individu peut soumettre les faits de sa cause à une enquête judiciaire ultérieure plus détaillée.

Bien que le Statut ne le stipule pas, nous pensons que, d’après les principes juridiques ordinaires, la charge de la preuve, quant à une déclaration de criminalité, incombe bien entendu au Ministère Public. Notre tâche sera réalisée quand nous aurons établi ce qui suit :

1° L’organisation ou groupe en question doit être une agrégation de personnes visiblement associées en vue d’un dessein collectif et général.

2° Alors que le Statut reste silencieux sur ce point, nous pensons qu’il sous-entend que cette appartenance doit d’une façon générale avoir été volontaire : il n’est pas obligatoire de prouver ce caractère volontaire pour chacun des membres. Cela ne veut pas dire non plus que l’organisation doive être considérée comme non volontaire si la défense prouve qu’une petite fraction ou un faible pourcentage de ses membres furent contraints d’y adhérer. C’est une question de bon sens : dans son ensemble, était-on libre d’adhérer ou de rester en dehors de cette organisation ? Le fait d’en être membre n’est pas involontaire par le fait que c’était une bonne affaire ou une bonne politique de s’identifier avec le mouvement. N’est considéré comme une contrainte que ce que la loi reconnaît comme tel. Des menaces de représailles politiques ou économiques ne sauraient être prises en considération.

3° Les buts de l’organisation doivent être considérés comme criminels quand elle s’est proposé d’accomplir des actes dénoncés comme crimes dans l’article 6 du Statut. Aucun autre acte n’autoriserait la condamnation d’un individu, ou celle de l’organisation en liaison avec la condamnation d’un individu.

4° Les buts ou les méthodes criminels de l’organisation doivent avoir été d’un caractère tel que ses membres en général puissent être à juste titre accusés de les avoir connus. Cela non plus n’est pas spécialement exigé par le Statut. Naturellement, il n’incombe pas au Ministère Public d’établir que chaque membre de l’organisation était au courant ou de réfuter l’argument que quelques-uns aient pu adhérer à l’organisation sans connaître son véritable caractère.

5° Un accusé individuel doit avoir été membre de l’organisation et doit avoir été condamné pour un acte quelconque sur la base duquel l’organisation a été déclarée criminelle.

Je vais aborder maintenant les questions qui doivent être jugées devant ce Tribunal et discuter de l’opportunité de celles qui, nous semble-t-il, ne doivent pas l’être ici.

Le Procès sera accéléré si l’on s’entend bien sur la définition des questions à juger, j’ai déjà indiqué ce que nous considérons comme étant de justes principes de culpabilité. Il y a aussi des sujets qui, nous semble-t-il, n’ont rien à voir avec ce Procès ; certains sont mentionnés dans les questions précises posées par le Tribunal.

Un tout dernier point se présente à la décision du Tribunal, c’est la question de savoir si les organisations accusées peuvent valablement être déclarées criminelles ou non. Tout ce qui ne porte pas sur une question commune au cas de chaque membre et tout élément susceptible d’innocenter quelques membres seulement ne rentrent pas en ligne de compte dans ce Procès. Nous pensons à ce point des débats qu’il est sans pertinence qu’un ou plusieurs membres aient été contraints de donner leur adhésion si l’appartenance était en général volontaire. On peut admettre que cette contrainte constitue un bon moyen de défense pour un individu accusé d’avoir été membre d’une organisation criminelle, mais une organisation peut avoir des buts criminels et commettre des actes criminels même si une partie de ses membres se compose de personnes qui furent obligées d’y adhérer. Le problème de l’enrôlement forcé n’a rien à voir avec ces débats, mais il pourra être pris en considération pour le jugement d’individus ayant été membres d’organisations déclarées criminelles.

Nous pensons aussi qu’il n’est pas opportun de déclarer qu’un ou plusieurs membres des dites organisations étaient ignorants de leurs desseins ou de leurs méthodes criminelles si ces buts ou méthodes étaient de notoriété publique. Une organisation peut avoir des desseins criminels et commettre des actes criminels sans qu’un ou plusieurs de ses membres en soient informés. Si une personne adhère à ce qu’elle pensait être un club ou une société, alors qu’il ne s’agit que d’une association de malfaiteurs et de meurtriers, son ignorance ne disculperait pas ladite association considérée comme un groupement, bien que ce fait puisse constituer une circonstance atténuante dans les poursuites pour crime, intentées contre cette personne en raison de son appartenance à cette organisation. Et alors le critérium ne serait pas ce que la personne en question a effectivement connu, mais ce qu’une personne d’intelligence moyenne aurait dû remarquer.

Il est hors de propos de déclarer dans ces débats qu’un ou plusieurs des membres des organisations désignées ne se sont eux-mêmes rendus coupables d’aucun acte illégal. Cette proposition est le fondement de toute la théorie de la déclaration de criminalité des organisations. Le but poursuivi en déclarant criminelles ces organisations, comme dans toute accusation de conspiration, est de punir l’aide apportée aux crimes, bien que ceux qui les ont perpétrés ne puissent jamais être trouvés ou identifiés.

Nous savons que c’est à la Gestapo et aux SS, en tant qu’organisations, qu’incomba la responsabilité principale de l’extermination juive en Europe, mais en dehors de quelques exemples isolés, nous ne pourrons jamais établir quels membres de la Gestapo ou des SS ont en fait perpétré ces crimes. La plupart d’entre eux étaient cachés sous le caractère anonyme de l’uniforme ; ils commirent leurs crimes et disparurent. Les témoins savent que c’était un SS ou un membre de la Gestapo, mais il est impossible de les identifier. Tout membre coupable de participation directe à des crimes de ce genre peut, si nous pouvons le trouver et l’identifier, être jugé pour avoir commis des crimes bien déterminés, en plus de l’accusation générale d’appartenance à une organisation criminelle.

En conséquence, le fait qu’un ou plusieurs membres des organisations n’aient voulu commettre aucune infraction déterminée n’a aucune importance.

Le but de ces débats n’est pas d’atteindre des exemples de conduite criminelle individuelle ; ce ne sera pas non plus le but des procès ultérieurs ; il en résulte que de telles considérations n’ont pas leur place ici.

Une autre question soulevée par le Tribunal concerne la période de temps durant laquelle les groupes ou organisations nommés dans l’Acte d’accusation sont accusés de criminalité par le Ministère Public. Celui-ci pense que chaque organisation devrait être déclarée criminelle durant la période à laquelle se réfère l’Acte d’accusation. Nous ne prétendons pas que le Tribunal n’ait pas le pouvoir de rédiger sa déclaration afin de couvrir une période plus courte que celle indiquée dans l’Acte d’accusation. Cet Acte donne des précisions propres à chaque organisation ; nous pensons qu’il y a maintenant dans le procès-verbal des preuves suffisantes pour étayer l’accusation de criminalité portée contre chacune des organisations au cours de toute la période mentionnée dans l’Acte d’accusation.

Une autre question soulevée par le Tribunal est celle de savoir si des catégories de personnes comprises dans les groupes ou organisations accusés doivent être exclues de la déclaration de criminalité. Il est naturellement nécessaire que le Tribunal limite sa déclaration à quelques groupes ou organisations identifiables. Cependant on n’attend ni n’exige du Tribunal qu’il s’estime lié par le caractère formel de l’organisation. En élaborant le Statut, on a délibérément évité d’employer des termes ou des concepts susceptibles d’entraîner les débats dans une technique juridique se rapportant aux personnes juridiques ou aux « entités ».

Les différents systèmes juridiques divergent sur la subtilité de ces définitions. Il faut s’attacher à l’esprit du Statut et non à sa lettre. On ne saurait donner aux mots « groupe » et « organisation » une signification artificielle ou sophistique. Le mot « groupe » a été employé par le Statut dans un sens large, impliquant une structure ou un rapport plus général et moins rigide que le concept d’« organisation ». Les termes contenus dans le contexte du Statut ont le même sens que celui qu’on leur donne dans le langage courant. Le critérium pour identifier un groupe ou une organisation relève d’un sain bon sens naturel.

Il est important d’avoir présent à l’esprit que le Tribunal est sans conteste habilité à définir lui-même les groupes qu’il entend déclarer criminels. Par contre, la composition exacte et l’appartenance aux groupes et organisations ne constituent en rien des questions litigieuses de la compétence de ce Tribunal. Le Statut pas plus que la nécessité pratique n’exige du Tribunal qu’il définisse un groupe ou une organisation avec une précision telle que sa composition ou son appartenance s’en trouve déterminée.

Avec la création d’un appareil judiciaire pour le jugement ultérieur de ces problèmes, il a été reconnu que la décision du Tribunal sur ces points n’était pas en dernier ressort et qu’elle devait selon toute vraisemblance avoir une portée générale telle qu’elle englobe des personnes qui, après une enquête plus serrée, établiront qu’elles ne sont pas en cause.

Tout effort déployé par le Tribunal dans la question du renvoi de certaines personnes des fins de la poursuite, qu’il s’agisse de cas particuliers ou d’un nombre plus considérable d’affaires, prolongerait les débats d’une façon inopportune, transgresserait les limites posées par le Statut et provoquerait des erreurs préjudiciables en essayant de définir les limites précises de preuves qui ne tendent pas à ce but.

Une des sinistres particularités de la société allemande, telle qu’elle existait au moment de la reddition, était que l’État lui-même ne jouait qu’un rôle secondaire dans l’exercice du pouvoir politique, tandis que les contrôles vraiment draconiens qui s’étendaient sur la société allemande étaient organisés en dehors du Gouvernement légal. Cette tâche était accomplie grâce à un réseau serré, soigneusement tissé, d’organisations exclusives formées de volontaires sélectionnés, qui étaient obligés d’exécuter sans hésitation, ni discussion, les ordres des dirigeants nazis.

LE PRÉSIDENT

Le moment vous semble-t-il favorable pour suspendre l’audience ?

M. JUSTICE JACKSON

Certainement, Monsieur le Président.

(L’audience est suspendue.)
M. JUSTICE JACKSON

Le Ministère Public s’en tient aux termes de l’Acte d’accusation et estime que chaque groupe ou organisation devrait être déclaré criminel en soi et qu’aucune enquête ne devrait être ouverte et aucune épreuve examinée quant à la disculpation d’une ou de plusieurs catégories de personnes entrant dans une classification de ce genre. Aux raisons pratiques d’épargner le temps du Tribunal s’allient des considérations pratiques favorables aux accusés. Un seul procès, se déroulant en un seul endroit, qui prétendrait prononcer un interdit contre des milliers d’accusés de différentes régions d’Allemagne, ne pourrait compter faire justice à chaque membre à moins de durer indéfiniment. Dans l’avenir, des procès locaux de cas individuels protégeront les droits des membres mieux que ne pourrait le faire ce Tribunal.

En ce qui concerne la Gestapo, les États-Unis, et je le suppose tous mes collègues, acceptent d’en exclure les employés de bureau, sténographes, portiers, et autres personnes remplissant des fonctions routinières qui n’avaient rien d’officiel. En ce qui concerne le Corps des dirigeants du parti nazi, nous nous en tenons à la position prise au moment de la présentation des preuves et qui consistait à inclure les suivants : le Führer, les Reichsleiter, les chefs des départements et services principaux, les Gauleiter et leurs officiers d’état-major, les Kreisleiter et leurs officiers d’état-major, les Ortsgruppenleiter, les Zellenleiter et les Blockleiter, mais sont exclus les membres des états-majors de ces trois derniers fonctionnaires.

En ce qui concerne les SA, nous considérons qu’il est souhaitable que la déclaration exclue de façon expresse :

1° Ceux qui portaient l’insigne sportif des SA.

2° Les unités de la milice contrôlée par les SA (Landwacht) qui ne faisaient pas, comme nous l’a révélé l’examen des preuves, strictement partie des SA ; il faut exclure également les membres de la ligue nazie des invalides de guerre (Nationalsozialistische Kriegsopferversorgung) et de la réserve SA, de façon à n’inclure vraiment que la partie active de l’organisation.

Le Ministère Public pense qu’il n’existe aucun moyen de preuve permettant ou justifiant la séparation d’une ou de plusieurs catégories de personnes à l’intérieur des organisations accusées : aucun autre élément des groupes désignés ne doit être exclu. Dans ce sens, nous soulignons à nouveau les principes de la conspiration. Le fait qu’une fraction d’une organisation n’a pas commis d’acte criminel et n’a fait qu’occuper des fonctions administratives ou techniques ne lui enlève pas sa responsabilité criminelle si ses activités ont contribué à la réalisation d’entreprises criminelles.

J’aimerais aborder maintenant la question des décisions en matière de procédure qui seront prises ultérieurement devant le Tribunal.

Plus de 45.000 personnes ont adressé conjointement des demandes au Tribunal pour être entendues sur les accusations portées contre les organisations. Le volume de ces requêtes a suscité des craintes quant aux débats futurs. Il y a sans doute encore des difficultés à surmonter, mais mon étude m’a révélé que les difficultés avaient été fortement exagérées.

Le Tribunal a pleins pouvoirs pour décider s’il donnera suite à ces demandes d’audition. Le Ministère Public tiendrait naturellement à ce qu’il soit accédé à toute demande nécessaire, non seulement pour faire justice, mais pour éviter de donner l’impression de faire moins que ne l’exigerait la stricte justice et nous ne considérons pas que la rapidité des débats soit une chose aussi importante que le fait de donner la possibilité de présenter tous les faits réellement pertinents.

L’analyse des causes qui ont suscité ce torrent de requêtes indique que leur valeur n’est pas proportionnée à leur nombre. Le Tribunal a publié environ 200.000 notices imprimées sur le droit de comparaître devant lui et sur celui de se défendre. Elles ont été envoyées dans les camps alliés de prisonniers de guerre et d’internés. La notice a été publiée dans tous les journaux de langue allemande et a été fréquemment radiodiffusée. Les enquêtes montrent que ces notices ont été affichées dans tous les baraquements des camps et que dans de nombreux camps elles ont fait l’objet d’une lecture aux internés. Les 45.000 personnes qui répondirent en présentant des requêtes aux fins de comparution proviennent principalement d’une quinzaine de camps de prisonniers de guerre et de camps d’internement sous contrôle britannique ou américain. Parmi les requêtes reçues : environ 12.000 viennent de Dachau, 10.000 de Langwasser, 7.500 d’Auerbach, 4.000 de Staumühle, 2.500 de Garmisch et quelques centaines des autres camps.

Nous avons mené une enquête sur ces demandes, de même que sur l’expédition des notices, et nous serons heureux de mettre tout renseignement que nous avons recueilli à la disposition du Tribunal.

Une enquête a été conduite dans le camp d’Auerbach, situé dans la zone américaine, principalement pour déterminer les raisons qui ont motivé ces requêtes et la méthode employée pour qu’elles nous parviennent. Elle a été faite par le lieutenant-colonel Smith-Brook-hart, le capitaine Drexel Sprecher et le capitaine Krieger, que le Tribunal connaît bien. Le camp d’Auerbach est un camp de prisonniers de guerre qui comprend surtout des SS. Les détenus y sont au nombre de 16.964 hommes de troupe et 923 officiers. La notice du Tribunal Militaire International a été affichée dans chaque baraque et a été lue à tous les internés. Toutes les requêtes adressées au Tribunal ont été transmises sans aucune censure. 7.500 membres des SS ont demandé la possibilité de se défendre.

Les résultats indiquent que ces requêtes ont été envoyées en réponse directe à la notice et qu’aucune pression n’a été exercée par qui que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du camp. Tous ceux qui ont été interrogés prétendent n’avoir aucune connaissance des crimes commis par les SS ou de leurs buts criminels, mais ont exprimé de l’intérêt pour leur sort individuel plutôt qu’un désir quelconque de défendre l’organisation. Nos enquêteurs ne nous font connaître aucun indice établissant que ces membres aient des preuves ou renseignements supplémentaires à fournir sur la question générale de la criminalité des SS en tant qu’organisation. Il leur semblait qu’afin de se couvrir, il était nécessaire de déposer une requête ici.

Si nous passons maintenant à l’examen des requêtes, nous pouvons constater qu’à première vue la plupart des membres ne prétendent pas apporter des preuves relatives au problème général que l’on juge ici. Ils affirment presque sans exception qu’ils n’ont ni commis, ni été témoins, ni été au courant de crimes imputés à l’organisation. Si l’on définit correctement les problèmes à trancher, une requête de ce genre est insuffisante à première vue pour justifier une intervention personnelle.

Un examen soigneux de la notice du Tribunal, à laquelle répondent ces requêtes, révèle qu’elle ne contient pas un mot susceptible d’informer un membre, surtout un profane, du caractère restreint des données que nous examinons ici, ni du fait qu’il aura plus tard la possibilité, quand il sera poursuivi, de présenter sa défense personnelle. D’un autre côté, je crois que la notice crée l’impression, surtout chez un profane, que tout membre peut être condamné et puni par ce Tribunal et que c’est là sa seule chance de se faire entendre. Je crois qu’un examen soigneux de ces notices confirmerait cette impression, ainsi qu’une étude approfondie des requêtes.

Il y a également parmi les juristes des divergences d’opinion sur la meilleure façon de procéder, et le cas qui nous occupe ne présente pas d’exception à la règle qu’il y a toujours des thèses différentes qui s’affrontent. Mais j’avancerai diverses suggestions sur la façon dont nous pouvons procéder pour apporter une solution équitable et opportune à ces questions.

En considération de ces faits, nous suggérons qu’on procède de la manière suivante pour mener à bien cette question des organisations. Nous proposons :

1° Que le Tribunal formule et exprime dans l’ordre l’étendue des problèmes et la délimitation des questions qu’il désire entendre.

2° Qu’une notice, informant les membres d’une façon convenable du caractère restreint de ces questions et de la possibilité qu’ils auront plus tard d’êtres jugés individuellement, soit envoyée à tous les requérants et publiée de la même façon que la notice originale.

3° Que des mandataires officiels soient nommés, comme l’autorise l’article 17, e du Statut, pour examiner les requêtes, signaler celles dont les déclarations sont insuffisantes et pour aller dans les camps afin d’y recueillir des témoignages pertinents. Les avocats et les représentants du Ministère Public doivent, naturellement, assister ces mandataires et être entendus devant eux. Ces mandataires devront réduire tout témoignage à une déposition et rapporteront le tout devant le Tribunal pour qu’un résumé en soit versé au procès-verbal des débats.

4° Le principe de la représentation pourra être également utilisé pour simplifier cette tâche. Les membres de certaines organisations, se trouvant dans des camps déterminés, pourront être invités à déléguer un ou deux d’entre eux pour les représenter au cours de la présentation de leurs preuves.

Il n’est peut-être pas hors de propos de rappeler au Tribunal et aux avocats que le Ministère Public, afin d’épargner le temps du Tribunal et d’éviter des preuves cumulatives, a écarté de ces preuves beaucoup de documents pertinents qui démontrent la répétition des crimes commis par ces organisations. Il n’est pas exagéré d’espérer que les preuves cumulatives de caractère négatif seront également limitées.

On a exprimé quelque crainte quant au nombre de personnes qui pourraient être atteintes par la déclaration de criminalité que nous demandons. Certaines personnes semblent plus affectées par un million de châtiments que par le caractère effroyable de cinq millions de meurtres. Au maximum, le nombre de personnes punies n’atteindra jamais le nombre des crimes perpétrés. Néanmoins, il est impossible de préciser, même approximativement, le nombre de personnes qui pourraient être atteintes par la déclaration de criminalité que nous demandons.

Les chiffres de source allemande exagèrent sérieusement ce nombre parce qu’ils ne tiennent pas compte des pertes sérieuses qui se sont produites dans la dernière partie de la guerre, et ne font pas de réduction pour les membres qui étaient comptés deux fois, ce qui arrivait fréquemment. Par exemple, nous avons la preuve que 75% des membres de la Gestapo faisaient également partie des SS. Nous savons que l’Armée américaine a estimé, en gros, à 130.000 le nombre des personnes détenues qui semblent avoir appartenu à des organisations accusées. Je n’ai pas reçu de chiffre des autres autorités militaires alliées. Mais personne ne peut prévoir combien, parmi ces individus seront en fait poursuivis, au lieu de tomber sous le coup du programme de dénazification. Quel qu’en soit le nombre, nous pouvons être sûrs d’une chose, c’est qu’il est si élevé qu’une enquête approfondie de chaque cas menée par ce Tribunal prolongerait les débats au delà de tout ce qu’il serait possible de supporter. Toutes les questions portant sur le fait de savoir si des individus ou des sous-groupes appartenant à des organisations accusées, doivent échapper à la déclaration de criminalité doivent être laissées à l’appréciation des tribunaux locaux, situés près du domicile des accusés et à proximité des sources d’information. Les débats pourront avoir lieu en une seule langue, deux au plus, au lieu de quatre ; il y sera fait état des témoignages que les deux parties adverses apporteront à propos de chaque point particulier.

Ce n’est pas le moment de passer en revue les preuves relevées contre chaque organisation particulière. Nous estimons qu’elles ne devront être résumées qu’après que les preuves générales auront été présentées. Mais c’est ici qu’il faut dire que le choix des six organisations nommées dans l’Acte d’accusation n’a pas été fait au hasard. Les raisons principales qui ont guidé ce choix sont les suivantes :

Ces organisations, prises dans leur ensemble, détenaient en définitive toute la puissance du régime nazi ; elles étaient non seulement les plus puissantes, mais les plus néfastes du régime et leurs membres y avaient en général adhéré volontairement.

Le Corps des dirigeants du parti nazi était constitué par les directeurs et agents d’exécution principaux du parti nazi ; celui-ci était la puissance dissimulée derrière l’État allemand et qui le dominait en fait tout entier. Le Cabinet du Reich était la façade par laquelle le parti nazi traduisait sa volonté en actes législatifs, administratifs et exécutifs. Les deux piliers qui assuraient la sécurité du régime nazi étaient les Forces armées, dirigées et contrôlées par l’État-Major général et le Haut Commandement, et les forces de Police : la Gestapo, les SA, le SD et les SS. Ces organisations incarnent toutes les puissances nuisibles du régime nazi.

Ces organisations ont également été choisies car, tout en étant représentatives, elles n’étaient cependant pas assez étendues pour faire courir à des Allemands innocents, passifs ou indifférents, le risque d’être pris dans le même filet que les coupables. Les fonctionnaires gouvernementaux sont représentés, mais non pas tous les administrateurs, chefs de services ou fonctionnaires ; seul le Cabinet du Reich, qui est le cœur même du nazisme dans le Gouvernement, a été nommé. L’armée est accusée, mais pas le soldat ou l’officier moyen, quel que soit son grade. Seuls les grands chefs, l’État-Major général et le Haut Commandement sont nommés. Les forces de Police sont accusées, mais non pas chaque policier ni la police ordinaire qui n’accomplissait que des fonctions policières normales. Seuls sont nommés les éléments de police dont les moyens de répression étaient les plus terroristes : la Gestapo et le SD. Le parti nazi est accusé, mais non pas chaque électeur allemand, pas même chaque membre ; seuls les dirigeants sont visés. Tous les fonctionnaires et tous les employés du Parti ne sont pas inclus : seuls sont désignés les « détenteurs de souveraineté », pour employer le jargon métaphysique du Parti, qui étaient les véritables chefs, et leurs officiers d’état-major aux échelons les plus élevés.

Je pense qu’il est important d’examiner la tâche que nous entreprenons ici à propos du parti nazi et de la comparer au programme de dénazification qui est en cours d’application et qui n’est basé sur aucune déclaration de criminalité, afin de voir dans sa véritable perspective l’accusation que nous portons contre le parti nazi.

Un tableau a été préparé : c’est une simple représentation graphique de la proportion de personnes que nous avons accusées et que nous demandons au Tribunal de déclarer comme ayant appartenu à des organisations criminelles. Dans la première colonne, vous trouverez les 79 millions de citoyens allemands, contre lesquels nous ne portons aucune accusation. La colonne suivante comprend les 48 millions d’électeurs qui, en réponse au referendum, votèrent pour le maintien au pouvoir du parti nazi. Nous ne portons pas d’accusation contre ces derniers, bien que ceux qui soutinrent le parti nazi rentrent plus ou moins dans le cadre du programme de dénazification. Ensuite, viennent les 5 millions de membres du parti nazi, ceux qui y adhérèrent en prêtant un serment de fidélité. Mais nous n’avons pas l’intention d’atteindre 5 millions de personnes, bien que je n’hésite pas à dire qu’il y aurait de bonnes raisons pour le faire ; mais pour de simples raisons pratiques, il n’est pas possible d’atteindre tous ceux qui faisaient partie techniquement et peut-être moralement de cette conspiration. Ainsi, les 40 millions d’électeurs sont écartés ; les 5 millions de membres sont éliminés et les premiers que nous nous proposons d’atteindre sont les dirigeants nazis, en commençant par les Blockleiter, qui apparaissent dans la dernière petite case de la quatrième colonne du diagramme. Il est vrai que nous commençons par les chefs de blocs locaux, auxquels leurs fonctions conféraient des responsabilités : responsabilité de surveiller leurs cinquante foyers, responsabilité d’espionner leurs activités et d’en présenter des rapports, responsabilité, ainsi que les preuves le révèlent, de les discipliner et de les diriger : aucun mouvement politique ne peut prospérer dans les salons et les bureaux. Il doit atteindre les masses du peuple et ces chefs de blocs étaient les éléments essentiels de diffusion du programme dans les masses populaires et les agents chargés de les soumettre en les terrorisant.

J’estime, d’après ce diagramme, que l’accusation que nous portons ici est très modérée, puisqu’elle n’atteint que des personnes qui ont reconnu avoir assumé des responsabilités de chef, et non des personnes qui ont pu être, d’une manière quelconque, amenées à suivre le Parti.

Nous avons également mis en accusation les formations du Parti, telles que les SA et les SS. Celles-ci prêtaient main forte au Parti : c’étaient elles que les chefs de blocs étaient autorisés à appeler à la rescousse s’ils avaient besoin de mater une personne se trouvant dans leur bloc de cinquante maisons. Mais nous n’accusons pas toutes les formations du Parti, ni l’un des vingt (ou plus) groupes affiliés ou contrôlés par le Parti, organisations nazies dont l’appartenance était théoriquement ou pratiquement obligatoire, comme par exemple les Jeunesses hitlériennes et l’union des étudiants. Nous n’accusons pas les organisations professionnelles nazies, bien qu’elles aient été dominées par les nazis ; c’est le cas du Corps des fonctionnaires nazis, de l’organisation des professeurs et de l’organisation des juristes nationaux-socialistes, associations ne méritant cependant pas qu’on leur témoigne plus de charité qu’aux autres. Nous n’accusons pas les organisations nazies qui avaient un but légitime, telles que les organisations s’occupant d’œuvres sociales. Deux de ces formations seulement ont été nommées, les SA et les SS, les plus anciennes des organisations nazies, qui n’avaient pas d’autre but que d’exécuter les plans nazis et qui ont activement participé à tous les crimes dénoncés par le Statut et fourni la main-d’œuvre nécessaire à la commission des crimes que nous avons établis. En administrant une justice préventive, en vue d’éviter la répétition de ces crimes contre la paix, contre l’humanité et de ces crimes de guerre, il serait beaucoup plus catastrophique d’acquitter ces organisations que d’acquitter les 22 individus qui se trouvent au banc des accusés. La puissance maléfique de ces accusés a fait son temps. Ce sont des hommes déconsidérés. Celle de ces organisations subsiste. Si ces organisations sont blanchies ici, le peuple allemand en conclura qu’elles n’ont pas fait de mal, et il sera de nouveau aisément embrigadé dans ces organisations reconstituées sous d’autres noms, avec le même programme. En administrant un juste châtiment, il ne nous serait possible d’acquitter ces organisations qu’en concluant qu’aucun crime n’a été commis par le régime nazi. Car il est irréfutable que ces organisations ont soutenu chacun des buts nazis et se sont unies pour exécuter chacune des mesures nécessaires à leur réalisation.

Le fait de ne pas condamner ces organisations conformément aux termes du Statut reviendrait à déclarer que les buts et les méthodes nazis ne peuvent pas être considérés comme criminels et que le Statut du Tribunal les déclarant tels est sans valeur.

Je crois que mes collègues qui ont des points de vue différents à présenter sur la question aimeraient être entendus sur ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Justice Jackson et Sir David Maxwell-Fyfe, le Tribunal pense que la méthode la plus commode consisterait à entendre l’argumentation présentée par les représentants de tous les Ministères Publics, puis les arguments des avocats qui désirent être entendus. Après quoi, le Tribunal désirera probablement poser quelques questions aux Procureurs Généraux.

M. JUSTICE JACKSON

Cette méthode nous convient parfaitement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise au Tribunal. M. Justice Jackson a traité des principes généraux qui, d’après le Ministère Public, gouvernent l’attitude que nous devons adopter à l’égard des organisations nommées dans le Statut. Je n’ai pas l’intention de répéter ni même de souligner ces arguments. Je m’efforcerai de m’en tenir au paragraphe 4 de la décision prise par le Tribunal le 14 janvier de cette année. Il s’agit :

a) De faire pour chaque organisation incriminée le résumé des éléments qui, à notre avis, doivent la faire déclarer criminelle. Par souci de simplification, je les appellerai les éléments constitutifs des crimes.

b) D’indiquer quels sont les actes des accusés pris individuellement qui permettent, conformément à l’article 9 du Statut, de déclarer criminels les groupes ou organisations dont ils étaient membres. Pour des raisons de commodité, et conformément aux termes du Statut, je désignerai ces accusés sous le nom d’accusés membres.

c) J’ajoute que ce que j’ai exprimé par écrit sous a et b représente le résumé indispensable des exigences formulées au paragraphe 3 de la décision du Tribunal.

Puis-je encore ajouter un mot de caractère technique ?

Je pense qu’il conviendrait que le Tribunal et les avocats aient des copies de mes propositions avant que je ne prenne la parole ici. En conséquence, des exemplaires en ont été fournis aux membres du Tribunal, aux interprètes d’audience, ce qui va de soi, et des copies en allemand ont été mises à la disposition des avocats des organisations, ainsi que de ceux de chacun des accusés individuels.

Pour aider les juges et les avocats, j’ai fait circuler deux addenda qui contiennent des références supplémentaires aux procès-verbaux et documents et concernent un certain nombre de points qui se trouvent dans les appendices originaux. Ces addenda sont rangés d’après les numéros des paragraphes, et bien qu’ils soient en anglais, ils doivent être aisément utilisables par la Défense. Il en résulte que nous avons un résumé dans les appendices A et B qui renvoie à toutes les parties du procès-verbal et en certains cas aux documents. Je n’ai pas l’intention de lire intégralement toutes les questions mentionnées dans ces appendices A et B, mais j’indiquerai comment elles s’intègrent dans la conception du Ministère Public à ce point des débats. Naturellement, je serai toujours disposé à en lire toute partie que le Tribunal estimerait utile.

Je crois qu’il serait bon de prendre comme point de départ les questions essentielles de preuve que M. Justice Jackson a indiquées. Le Tribunal me permettra peut-être de reprendre ces cinq points.

1° L’organisation ou le groupe en question doit être un rassemblement de personnes ayant des relations visibles avec un but collectif général.

C’est là la première condition exprimée par M. Justice Jackson.

2° L’appartenance à ces organisations doit être, en règle générale, volontaire, bien qu’une minorité de membres involontaires ne soit pas susceptible de modifier la situation.

3° Les buts de l’organisation doivent être criminels, en ce sens qu’ils comportent l’accomplissement d’actes dénoncés comme criminels par l’article 6 du Statut.

4° Les buts ou méthodes criminels de l’organisation doivent avoir été d’une nature telle qu’un homme raisonnable en aurait tiré un jugement précis sur l’organisation à laquelle il adhérait ; autrement dit, ces buts ou ces méthodes auraient dû révéler à cet homme le type de l’organisation à laquelle il était affilié.

5° Certains accusés individuels, un au moins, doivent avoir été membres de l’organisation et doivent être convaincus d’avoir commis un acte sur la base duquel une déclaration de criminalité pourrait viser l’organisation.

Je ne crois pas que je puisse éviter de passer les organisations en revue à ces différents points de vue, mais je crois que ceci peut être fait brièvement. Par conséquent, je me propose de traiter les organisations en série.

Je prends d’abord la Reichsregierung. Dans l’appendice B de l’Acte d’accusation, ce groupe est défini comme étant constitué par trois classes :

D’abord les membres du Cabinet ordinaire, après le 30 janvier 1933. Le terme de « Cabinet ordinaire » désigne :

a) Les ministres du Reich, c’est-à-dire les chefs des départements du Gouvernement central ;

b) Les ministres du Reich sans portefeuille ;

c) Les ministres d’État agissant comme ministres du Reich ;

d) Les autres hauts fonctionnaires habilités à prendre part aux réunions du Cabinet.

La deuxième catégorie est constituée par les membres des conseils des ministres pour la défense du Reich.

La troisième catégorie est constituée par les membres du conseil de Cabinet secret.

Nous estimons qu’à la lumière des preuves présentées au Tribunal, il n’y a aucun doute que la première des conditions posées par M. Jackson est remplie : il existe une relation manifeste avec un but général collectif et cette organisation est en général volontaire, au sens de la seconde condition.

Les buts de l’organisation sont exposés au paragraphe 4 de la section A de mon appendice A et les allégations générales du Ministère Public figurent au paragraphe 2. Permettez-moi de citer ce passage très bref :

« Grâce à leur pouvoir législatif et aux fonctions qu’ils remplissaient, les membres de la Reichsregierung ont donné un caractère légal à la politique des conspirateurs nazis et ont formé collectivement un groupe de personnes exécutant les décisions administratives des conspirateurs nazis. »

Le Ministère Public applique cette allégation générale aux crimes définis par l’article 6 du Statut et rapportés dans les paragraphes 5, 6, 7 et 8 de cet appendice. Si le Tribunal désire que je traite plus abondamment de ces paragraphes, je suis disposé à lire et à commenter ceux qu’il choisira.

Si on se souvient que la Reichsregierung possédait des pouvoirs politiques, législatifs, administratifs et exécutifs et que la plupart de ses membres détenaient en même temps des postes importants dans le Parti et dans les activités gouvernementales en dehors du Cabinet, on se rendra compte qu’un pouvoir politique énorme était concentré dans les mains de ce groupe. Comme je l’ai dit, la Reichsregierung traduisait sous forme d’ordonnances et exécutait par la pratique législative le programme des conspirateurs.

Si le Tribunal veut bien se reporter à mon appendice B, il verra que 17 sur les 21 accusés traduits ici étaient membres de la Reichsregierung. Le Ministère Public a présenté un imposant volume de preuves contre ces 17 accusés. Il estime maintenant qu’il suffit de déclarer que ces 17 accusés doivent être condamnés aux termes de chaque chef d’accusation et, par conséquent, conformément à chaque paragraphe de l’article 6 du Statut. Ces accusés font, en outre, partie de la Reichsregierung au sens de la cinquième condition de M. Justice Jackson.

Les actes mentionnés et exposés dans le paragraphe 4 de mon appendice A et dans les autres paragraphes qui suivent sont d’une nature telle qu’aucune personne occupant une fonction ministérielle n’aurait pu manquer d’avoir une connaissance fondée de sa nature et de ses buts.

Je passe maintenant au Corps des dirigeants du parti nazi. M. Justice Jackson a indiqué que les conspirateurs avaient besoin d’être soutenus par d’importants éléments. Hitler se vantait de la domination totale du Reich, de ses institutions et de ses organisations intérieures et extérieures par le parti national-socialiste.

Au sein du parti nazi, organisé sur la base du « Führerprinzip », la politique et l’activité étaient déterminées non pas par les adhérents pris dans leur ensemble, mais par le corps de ceux qui détenaient la souveraineté et par leurs états-majors. Ces dirigeants étaient tous des délégués politiques obligés de soutenir et de traduire en actes les doctrines du Parti. A chaque échelon, des conférences fréquentes et régulières avaient lieu pour traiter des mesures politiques et de leur exécution. Les dirigeants tenaient le Parti en mains, mais ils tenaient aussi la population tout entière sous la ferme emprise des conspirateurs, par l’instrument de contrôle que constituait cette hiérarchie descendante des dirigeants.

Le Ministère Public estime que tous ces dirigeants font partie de l’organisation qu’il dénonce comme criminelle, et que, comme M. Justice Jackson l’a indiqué, il faut y comprendre les états-majors des Reichsleiter, des Gauleiter, des Kreisleiter, dont les fonctions sont définies dans n’importe quel volume de l’annuaire de l’organisation nationale-socialiste.

Ainsi que M. Justice Jackson l’a exprimé, le Tribunal remarquera que nous avons écarté les états-majors et Hoheitsträger aux derniers échelons. Le Ministère Public estime qu’il n’y a aucun doute que les conditions exposées aux points 1 et 2 des principes exposés par M. Justice Jackson sont remplies. Les paragraphes 1, 2, 3 et 4 de la section B de mon appendice A exposent les éléments constitutifs des crimes. Le Ministère Public indique dans mon appendice B les accusés qui sont visés et, dans une autre partie de cet appendice, il montre — d’après les postes occupés par ces accusés comme membres du Corps des dirigeants dans le Gouvernement et dans le parti nazi, et aussi en raison des rapports étroits qui existaient entre ce Gouvernement du Reich et le Parti — qu’il est clair que le Corps des dirigeants est une organisation criminelle qui s’est rendue coupable de tous les crimes imputés à tous les accusés mentionnés par l’Acte d’accusation, y compris ceux qui faisaient partie du Corps des dirigeants et ont, à ce titre, fait l’objet d’explications précises devant le Tribunal.

Le parti nazi est le cœur de la conspiration et de la criminalité que nous établissons et les accusés constituent le noyau central du parti nazi. A nouveau, le Ministère Public déclare que quiconque a vécu en Allemagne et a occupé un poste de direction quelconque, ce qui impliquait la subordination directe aux ordres du parti nazi, ne pouvait manquer d’avoir une connaissance très précise des intentions des dirigeants et des méthodes employées pour les réaliser. Ce cercle intérieur se trouve dans une position tout à fait différente de celle des gens les mieux informés à l’extérieur de l’Allemagne.

Je passe maintenant aux SS auxquelles je joindrai le SD. Le Ministère Public rappelle respectueusement au Tribunal les explications sur la composition des SS et leur évolution, mentionnées brièvement dans l’appendice B de l’Acte d’accusation. Le Ministère Public s’en tient à ces explications qui, lui semble-t-il, sont suffisamment claires. Je n’ai pas l’intention de les lire pour l’instant.

Le Tribunal a entendu l’exposé des charges relevées contre les SS (Tome IV, pages 167 à 237), l’exposé sur les camps de concentration (Tome III, pages 502 à 524), ainsi que les preuves que l’on a apportées contre l’accusé Kaltenbrunner, dont les références figurent à l’additif. Le Tribunal a également entendu, dans l’exposé des Délégations française et soviétique, une immense quantité de preuves supplémentaires concernant les SS. Nous estimons qu’il n’y a pas de difficultés au sujet des trois premiers points suggérés par M. Justice Jackson et que la criminalité des SS a été prouvée à maintes reprises.

En ce qui concerne le quatrième point, je me permets de me reporter au paragraphe 4 de la section C de mon appendice A ; les crimes des SS ont été commis d’abord sur une échelle si vaste et ensuite sur une zone si étendue, que leurs buts et méthodes criminels, qui ont frappé de stupeur l’Humanité depuis le début de ce Procès, devaient être connus par leurs membres. Il était difficile d’aller d’une ville allemande à une autre sans passer auprès d’un camp de concentration, et chaque camp de concentration était le théâtre des crimes des SS. Dans mon appendice B, le Tribunal trouvera énumérés les membres des SS qui figurent comme accusés dans ce Procès et, dans la seconde partie, un résumé des crimes commis par l’accusé Kaltenbrunner. Le Ministère Public donne à ce dernier une importance sinistre, mais ne néglige pas non plus les crimes des autres accusés qui étaient membres des SS.

Dr OTTO PANNENBECKER (avocat de l’accusé Frick)

Puis-je me permettre de dire ici que le nom de l’accusé Frick a été mêlé, par erreur, à ces activités ? Sur la liste des postes occupés par l’accusé Frick, ne figure rien de semblable.

LE PRÉSIDENT

Que voulez-vous dire ? Qu’il ne faisait pas partie des SS ?

Dr PANNENBECKER

L’appendice dit que Frick était membre des SS. Ce n’est pas le cas et il l’a affirmé dans une déclaration sous serment.

Dr SEIDL

Dans l’annexe qui vient d’être lue par le représentant du Ministère Public, l’accusé Frank est également désigné comme ayant fait partie des SS. Dès le début du Procès, le Ministère Public américain en a soumis la liste. C’est le document PS-2979 déposé sous le n° USA-7. Ce document montre que Frank n’a jamais, à aucun moment, été membre des SS, ni général SS, comme l’affirme l’Acte d’accusation.

De plus, je tiens à faire remarquer au Tribunal qu’il y a plusieurs mois, lors de l’exposé des charges contre les SS en tant qu’organisation criminelle, le nom de l’accusé Dr Frank n’a jamais été mentionné. Je dois donc admettre qu’il s’agit là d’une erreur dans l’établissement de cette liste.

Dr THOMA

Je voudrais faire, au sujet de l’accusé Rosenberg, la même déclaration que mon confrère le Dr Seidl Rosenberg figure dans l’appendice A qui donne la liste des éléments accusés ; il y est désigné comme membre des SA. Il n’a jamais été membre des SA, et il l’a d’ailleurs déjà déclaré au Tribunal lors d’un interrogatoire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Les accusés auront naturellement l’occasion de réfuter ces allégations qui sont toutes contenues dans l’Acte d’accusation ; mais, compte tenu de ce qui a été dit, je vais vérifier moi-même ces points.

Je passe maintenant à la Gestapo. Là encore, le Tribunal trouvera la formation et l’historique de la Gestapo exposés dans l’appendice B de l’Acte d’accusation ; les éléments constitutifs du crime qui lui est imputé sont exposés dans les paragraphes 1, 2 et 3 de la section D de mon appendice. Le second additif donne des références très détaillées sur chaque point des actes criminels qui lui sont reprochés. Le Ministère Public estime, d’après les explications données, qu’il est clair que les quatre premières conditions de M. Justice Jackson sont remplies. Les stipulations des articles 7 et 8 du Statut interdisent, selon le Ministère Public, à la Défense de se fonder sur le caractère officiel de la Gestapo. Si le Tribunal veut bien se reporter à mon appendice B, il verra que les accusés Göring, Frick et Kaltenbrunner y sont accusés d’avoir été membres des SS, et dans la dernière partie de cet appendice nous les accusons, ce qui correspond aux faits, d’avoir commis leurs crimes en qualité de chefs responsables de cette organisation.

Nous en arrivons maintenant aux SA. A nouveau, je mentionnerai les paragraphes 1 et 2 de la section E de mon appendice A, et je demande au Tribunal de remarquer qu’en dehors de l’exposé complet des phases ou périodes d’activité, chacun des éléments constitutifs du crime contient des références au procès-verbal des audiences, au cours desquelles ces points ont été prouvés. Je rappelle au Tribunal la déclaration de M. Justice Jackson qui montre que le Ministère Public a écarté tous les organismes affiliés, y compris même les membres qui n’étaient que membres de la réserve, au sujet desquels on pourrait discuter, ne serait-ce que pour des raisons sentimentales, quant à leur liaison étroite avec l’organisation. C’est pourquoi il n’est pas inutile que je rappelle ce point au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il préférable de suspendre l’audience maintenant.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)