SOIXANTE ET ONZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 1er mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal a décidé de modifier le rôle. Il ne siégera pas en audience publique demain samedi, mais en chambre de conseil lundi ; il recevra, dans l’ordre, les requêtes des quatre accusés suivants, tendant à citer des témoins et à présenter des documents.
Un avocat désire-t-il encore prendre la parole sur la question ?
L’objet principal des débats d’hier et d’aujourd’hui est de savoir quelles sont les preuves pertinentes dans la procédure engagée contre les organisations.
Une question préliminaire à éclaircir est en particulier celle de la notion de l’organisation criminelle. Ce n’est donc pas le devoir des défenseurs de ces organisations de faire de longs exposés à ce sujet. Ce sera l’objet des plaidoiries finales. L’objet de la discussion actuelle se restreint pour la Défense à la question de la force probante des moyens de preuve et à certaines questions fondamentales.
Suivant l’ordre prévu par l’Acte d’accusation, notre confrère le Dr Kubuschok a parlé hier le premier, en sa qualité de défenseur du Gouvernement du Reich. Dans son exposé, il a traité les questions générales, conformément au paragraphe 1 de la décision du Tribunal du 14 janvier 1946. Pour éviter des répétitions inutiles, je désire, dans mon exposé, me référer pleinement aux remarques juridiques de mon confrère, le Dr Kubuschok. Je prie également le Tribunal de bien vouloir se rappeler le contenu de l’exposé d’hier auquel je fais allusion.
En ce qui concerne la définition de l’organisation criminelle, je voudrais ajouter encore quelques brèves remarques complémentaires. La disposition du Statut selon laquelle le Tribunal peut déclarer criminelles les organisations en question a été évidemment élaborée à dessein. Le Tribunal n’est pas obligé de les déclarer criminelles, il peut ici exercer librement son droit de décision.
Si le Tribunal arrive à la conclusion que cette déclaration de criminalité peut ou doit conduire à des conséquences impossibles, insupportables et injustes, le rejet des requêtes présentées par le Ministère Public devient alors naturellement un devoir.
Mes confrères ont déjà exposé quelle portée considérable pour les membres de ces organisations pouvait avoir la déclaration de criminalité de l’organisation et comment beaucoup d’innocents seraient touchés par cette déclaration. En ce qui concerne les con-séquences juridiques pour les membres, on ne saurait insister avec assez de force sur le fait que la totalité des membres de ces organisations sera touchée d’une manière directe, étant donné que la décision du Tribunal précise qu’on leur impute un crime, à savoir le crime d’appartenance à l’organisation déclarée criminelle. Le fait que cette appartenance constitue un crime ressort de toute évidence des articles 10 et 11 du Statut. Il est dit dans l’article 10 que les Tribunaux compétents des diverses zones d’occupation peuvent poursuivre tous les membres des organisations déclarées criminelles, en raison de leur appartenance à ces organisations. Il est spécifié, en outre, qu’au cours de ces procès, le caractère criminel ne pourra plus être contesté. En conséquence, si les membres peuvent être inculpés pour leur appartenance à l’organisation, et si chaque accusation devant un tribunal ne peut avoir pour objet qu’un crime, il en ressort que l’appartenance à l’organisation est qualifiée crime. Par ailleurs, dans l’article 11 du Statut, l’appartenance à une organisation déclarée criminelle est clairement qualifiée crime et cela ressort du texte même de l’article dont je cite ce passage : « ... d’un crime autre que son affiliation à une organisation ou à un groupement criminels... ». De la même manière, la loi du 20 décembre 1945 caractérise expressément comme un crime l’appartenance à une organisation déclarée criminelle. Il en résulte que la constatation du caractère criminel du groupe ou de l’organisation par le Tribunal entraîne une conséquence directe pour tous les membres, celle d’avoir commis un crime parce qu’ils ont appartenu à une organisation. Ce qui conduit impitoyablement à des conséquences insupportables.
Il n’est pas exact de dire que les membres peuvent se disculper dans les procès suivants intentés devant les divers tribunaux militaires ; si la simple appartenance à ces organisations est classée comme un crime, ils ne peuvent qu’objecter sur la question de culpabilité qu’ils n’ont pas été membres de ces organisations. Si M. Justice Jackson est de l’avis qu’ils peuvent objecter, lors de ces procès ultérieurs, qu’ils sont devenus membres de ces organisations par obligation ou parce qu’ils ont été trompés, l’admissibilité de cette objection semble être fort douteuse.
M. Justice Jackson lui-même a indiqué que les arguments touchant les personnes ou les biens ne peuvent justifier une telle obligation. Mais quelle autre obligation pourrait encore jouer un rôle ? Selon le droit pénal allemand, il ne pourrait s’agir que de la contrainte physique, et encore seulement pour la durée pendant laquelle elle s’est exercée. La crainte de désavantages personnels ou touchant au patrimoine ne doit pas non plus être une excuse pour ceux qui sont restés dans ces organisations.
Ainsi, le membre de l’organisation déclarée criminelle ne pourra, dans les procès ultérieurs, que présenter un certain nombre de circonstances atténuantes qui pourraient influencer sur le degré de la peine. On peut se demander si ces conséquences sont compatibles avec les principes de la justice. Dans la mesure où il s’agit de membres innocents, on ne peut répondre à cette question que par la négative.
M. Justice Jackson est en outre d’avis qu’on ne saurait probable-ment trouver aucun membre de ces organisations qui fût innocent, étant donné qu’il ne serait pas concevable pour la raison humaine qu’une personne eût adhéré à ces organisations sans savoir, dès le début ou tout au moins très rapidement, quels étaient les buts et les méthodes de ces organisations. Ce point de vue peut paraître compréhensible pour l’observateur qui regarde en arrière, une fois que les crimes imputés à ces organisations ont pu être clairement mis en lumière. Mais personne ne pourra contester que l’intime conviction des membres sur les buts et les tâches de ces organisations était ou peut avoir été totalement différente à l’époque.
Si l’on se ralliait à la conception de M. Justice Jackson, la dis-position de l’article 9 du Statut qui prévoit l’audition des membres de ces organisations sur le caractère criminel de ces organisations n’aurait absolument aucun sens. Il serait alors tout à fait superflu d’admettre des preuves de ce genre. De plus, il serait superflu de discuter sur le caractère criminel, contrairement à ce que le Tribunal a lui-même proposé.
S’il fallait conclure avec M. Justice Jackson que le bon sens devait permettre à tous les membres de reconnaître qu’ils participaient aux crimes prévus par l’article 6 du Statut, alors la dis-position sur le plan commun et sur le complot suffirait pleinement pour poursuivre et punir ces membres déclarés coupables dans leur totalité. Il n’eût pas été nécessaire alors de déterminer le contenu de la déclaration de criminalité et de statuer sur ses conséquences.
Les considérations suivantes montrent que la déclaration de criminalité de ces organisations n’est pas nécessaire, elle est même superflue.
M. Justice Jackson a déclaré qu’on ne songeait naturellement pas à accuser maintenant les innombrables membres de ces organisations, car ce fait provoquerait une foule de procès qui ne pourraient pas être terminés en l’espace d’une génération. Il s’agira donc simple-ment de chercher les vrais coupables et de les trouver, puis de les juger. C’est pourquoi il n’est nullement nécessaire de toucher un si grand nombre de membres par cette déclaration de criminalité, pour ensuite choisir ceux qui sont les véritables coupables. Ce choix peut être fait sans toucher cette masse énorme.
Il est absolument incontestable, dans une organisation comportant de nombreux membres, qu’un grand nombre d’entre eux ont été innocents. Le Statut le reconnaît ainsi que le Ministère Public, en ce sens que ce dernier veut exclure les catégories les moins importantes de ces organisations parce qu’il est évidemment d’avis que ces catégories n’ont rien à faire avec les crimes, sinon elles eussent été membres du complot ou y auraient participé.
Mais, en dehors de ces catégories, il y a encore un certain nombre d’autres membres à propos desquels il ne peut être question d’une culpabilité dans le sens du droit pénal. Par exemple, les personnes qui n’avaient aucune idée des buts du groupe. Toutes ces personnes seraient nécessairement déshonorées par la déclaration de criminalité et devraient en outre être punies si elles étaient accusées. J’ajouterai, d’une manière seulement accessoire, que leur participation à l’organisation et la diffamation qui résulterait de la déclaration de criminalité comporteraient pour elles un grand danger pour leur existence matérielle. Ici, il faut encore une fois se demander si toutes ces conséquences ont été examinées d’après le principe de tous les systèmes répressifs selon lequel seuls les coupables peuvent être punis. Il faudrait répondre par la négative, d’autant plus que, dans le cas présent, les membres forcément touchés par le verdict de culpabilité ne pourraient pas se défendre juridiquement. On a déjà indiqué que l’audition de la majorité des membres serait impossible pour des raisons d’ordre technique. Il en résulte la situation singulière suivante : le Tribunal prononcerait un verdict intéressant tous les membres sans savoir si ce verdict ne touchera pas aussi un grand nombre de membres innocents.
Lorsque M. Justice Jackson signale que la question débattue ici ne constitue pas un précédent, mais qu’elle existe dans le droit pénal de tous les autres pays et particulièrement en Allemagne, nous ne pouvons nullement nous ranger à cet avis. Les lois et la jurisprudence allemandes qui ont été citées présentent un caractère totalement différent de celui du Statut. L’Allemagne, comme presque tous les autres pays, ne connaît pas de sanctions appliquées à des organisations, mais seulement des sanctions applicables à des individus. Aucune décision judiciaire allemande n’a été non plus prononcée selon laquelle une organisation a été condamnée en tant que telle ou a été déclarée criminelle. Il est vrai qu’il est possible qu’au cours des procès contre les membres d’une organisation criminelle, les attendus des jugements aient mentionné et constaté le caractère criminel de l’organisation. Mais cette constatation n’avait alors d’effet que pour les membres qui étaient punis et non pour ceux qui n’étaient ni accusés ni condamnés.
Les dispositions des articles 128 et 129 du Code pénal allemand sont des dispositions qui confirment précisément l’opinion de la Défense, car elles ne menacent que les membres participants et non pas les organisations elles-mêmes. De même, dans les lois françaises qui ont été citées, il n’est question que de peines pour la participation et l’adhésion à certaines organisations dont les buts sont punissables. Ces bases juridiques ne donnent aucune possibilité de déclarer criminelle l’organisation elle-même.
Monsieur le représentant du Ministère Public français a cité tout d’abord les articles 265 et 266 du Code pénal. La première disposition interdit la création d’organisations à but punissable ; la deuxième ne condamne que les participants. De même, la loi française du 10 janvier 1936 sur les ligues armées et les groupes civils ne prévoit que la condamnation des participants. Il en est de même pour la loi également citée du 26 août 1944, qui ne prévoit qu’une responsabilité individuelle. Aucune des lois précitées ne permet la condamnation d’organisations. Elles ne peuvent donc que confirmer le point de vue juridique de la Défense.
Si, à titre exceptionnel, des organisations peuvent être condamnées en tant que telles en Angleterre et aux États-Unis, ce ne peut être que pour certains types d’infractions et ne peut entraîner que la dissolution de l’organisation ou des amendes. Dans les procès de ce genre, il est naturellement nécessaire que l’organisation, en tant que telle, soit représentée par ses mandataires et ses organes et qu’elle ait la possibilité de se défendre, alors que, dans la procédure actuelle, les organisations comme telles sont citées devant le Tribunal, bien qu’elles n’existent plus et que leurs organes soient absents. Jamais, dans aucun pays, des organisations n’ont été déclarées coupables ou criminelles, jamais les membres de ces organisations n’ont pu ou dû être poursuivis et punis pour leur simple appartenance. C’est là que réside ce précédent singulier qui est en contradiction avec les normes juridiques actuelles de tous les pays. Je crois pouvoir dire que l’Angleterre ou les États-Unis ne pourraient jamais se décider à promulguer une telle loi à l’usage de leurs propres nationaux. Il est ainsi démontré que la déclaration qui a été demandée doit conduire automatiquement aux conséquences graves et tout à fait insupportables que j’ai indiquées. Il en résulte que le rejet de cette demande de déclaration de criminalité présentée par le Ministère Public s’impose au nom de la Justice.
Ce fait n’instituerait pas pour autant une violation du Statut, car ce dernier n’impose pas au Tribunal cette déclaration de criminalité. De cette façon, on éviterait une injustice qui nuirait à l’intégrité de la décision du Tribunal aux yeux de nos contemporains et des générations futures.
Ce que je viens d’exposer m’amène à demander au Tribunal de rejeter la déclaration de criminalité d’une organisation, ce qui est en son pouvoir ou, s’il faut concevoir l’idée de criminalité d’une organisation, de le faire de telle manière que les membres innocents soient à l’abri de graves conséquences. On ne peut y parvenir que par une définition analogue à celle qui a été proposée hier par mon confrère, le Dr Kubuschok. En conséquence, il faudrait admettre les modes de preuves qu’il a proposés, s’ils n’ont pas perdu entre temps tout caractère de pertinence parce que, pour des raisons d’ordre juridique, on ne peut donner suite à la requête du Ministère Public tendant à condamner ces organisations.
Pour l’État-Major et l’OKW que je représente, il en résulte la nécessité d’admettre les éléments de preuve complémentaires suivants :
1e Il ne s’agit, dans ce que l’on est convenu d’appeler « État-Major » et « OKW », ni d’un groupe ni d’une organisation. Je voudrais, pour le montrer, donner les explications suivantes :
a) M. Justice Jackson est d’avis qu’un groupe représente une conception plus étendue qu’une organisation, qu’il n’est pas nécessaire de le définir et que le simple bon sens est en mesure de le concevoir. Je dois objecter ici que ceux qui occupaient les plus hauts postes de commandement représentaient les sommets d’une hiérarchie militaire que l’on trouve dans toutes les armées du monde. Il n’y avait pas de relations entre les membres de ces groupes. On ne peut pas conclure qu’il existait entre eux des relations, du fait qu’ils avaient des rapports de service et qu’ils faisaient partie de la voie hiérarchique. Par ailleurs, le fait que les personnes que le Ministère Public veut inclure dans ce groupe ont été réunies pendant huit ans par suite de leurs fonctions ne peut entraîner un lien qui puisse amener à la conception de groupement. Pour qu’il y ait groupement, il est absolument nécessaire qu’il y ait un élément de liaison s’ajoutant aux pures relations de service.
b) Exception faite pour les chefs des États-Majors généraux de l’Armée de Terre et de l’Armée de l’Air, aucun individu du groupe ne fait partie de l’État-Major général. L’État-Major général de l’Armée de Terre et de l’Armée de l’Air — j’ajoute ici que la Marine n’avait pas d’État-Major — se composait, sous la direction de son chef, d’officiers d’État-Major qui étaient adjoints aux grands chefs militaires en qualité de conseillers tactiques. Pour ces raisons, la désignation ou le nom donné par le Ministère Public à ce groupe fictif est faux et susceptible d’entraîner des erreurs.
2° . Il faudrait aussi apporter la preuve — et ce point s’ajoute aux allégations avancées par mon confrère le Dr Kubuschok — que pour le groupe de l’État-Major et l’OKW, les tenants des différents services réunis dans le groupe ne sont pas entrés dans ce groupe volontairement et n’y sont pas restés volontairement non plus. Ces preuves me semblent devoir être admises pour les raisons suivantes :
M. Justice Jackson a exposé hier que l’adhésion ou la qualité de membre d’un groupe devait être volontaire. Mais cette condition n’est pas remplie dans le groupe que je représente. Les chefs militaires accusés sont pour la plupart sortis de l’Armée impériale et de la Marine impériale. Tous ont servi dans la Reichswehr bien avant 1933. Ils n’ont pas adhéré à un groupe, mais étaient des officiers de la Wehrmacht et ils n’ont accédé à ces fonctions, qu’ils ne pouvaient choisir, qu’en raison seulement de leurs services militaires. Ils ne pouvaient pas non plus se soustraire à ces fonctions sans enfreindre les règles de la discipline militaire.
3° De plus, je considère qu’il faudrait admettre tous les thèmes de preuves se rapportant à l’accusation contenue dans le résumé des arguments contre le groupe de l’État-Major et de l’OKW que je représente. La présentation des preuves sur ces points pourrait s’opérer de la manière suivante :
a) Une série d’intéressés pourraient faire des déclarations sous serment dont on pourrait tirer une conclusion sur l’attitude type d’un nombre donné d’entre eux.
b) Certains représentants typiques du groupe devraient être entendus par le Tribunal sur les points à prouver.
c) Tout moyen de preuve présentant un caractère de pertinence quelconque devrait être admis.
Nous vous demandons d’admettre provisoirement ces preuves, sous réserve d’une décision ultérieure sur leur valeur comme l’a proposé également M. Justice Jackson pour les preuves du Ministère Public, le 14 décembre 1945, car il est impossible de porter actuellement un jugement définitif sur l’importance des preuves.
Il dépend en effet de deux conditions que les preuves soient nécessaires et pertinentes :
1° Le Tribunal veut-il, dès l’abord, en raison des points de vue de droit qui lui ont été présentés, écarter la déclaration de criminalité de ces groupes ? 2° Dans la négative, de quelle manière fixera-t-il la définition du groupe criminel et de l’organisation criminelle ?
Ces deux points ne peuvent pas encore être éclaircis définitivement, car il y aura beaucoup à dire sur les problèmes très importants, très difficiles et en partie entièrement nouveaux qui ont été soulevés, ainsi que sur l’exposé impressionnant de M. Justice Jackson. Un de mes collaborateurs est occupé à préparer sur tous ces problèmes et questions, un mémoire qui sera prêt dans deux ou trois semaines environ. Je prie le Tribunal de bien vouloir réserver à mes confrères, aussi bien qu’à moi-même, la possibilité de reprendre ultérieurement position.
Je voudrais encore ajouter que le Tribunal devrait définir la notion d’organisation.
M. Justice Jackson, le Tribunal serait heureux d’entendre votre réponse à ce sujet.
Je n’ai pas grand-chose à dire en réponse. Il y a toutefois un ou deux points auxquels j’aimerais répondre. On a proposé une disjonction entre le procès des organisations et le Procès actuel. Je pense que c’est impossible d’après le Statut. Je crois que le Procès doit se poursuivre dans l’unité. Naturellement, il est possible de traiter à des moments distincts des parties différentes du Procès, mais la juridiction conférée par l’article 9 pour le procès des organisations est limitée. C’est lors d’un procès intenté contre tout membre d’un groupement, etc., que cette décision doit être prise et elle doit l’être en corrélation avec les actes pour lesquels chaque personne peut être condamnée. C’est pourquoi je pense qu’une disjonction portant sur plusieurs jours ou semaines est impossible actuellement.
Il m’est difficile de comprendre l’argument présenté par plusieurs représentants des organisations, selon lequel il y aurait une grande injustice à déshonorer les membres de ces organisations ou à stigmatiser leur attitude par une déclaration de criminalité. J’estime que, s’ils ne sont pas déjà déshonorés par les preuves qui ont été déposées ici, le déshonneur serait difficile à atteindre par une simple déclaration de criminalité. Ce n’est pas nous qui déshonorons les membres de ces organisations. Ce sont les preuves soumises au cours de ces débats et elles proviennent en grande partie de ces accusés eux-mêmes, qui apportent la honte aux membres de ces organisations. Le véritable but de ces investigations sur les organisations est de déterminer quelle partie de la société allemande a participé activement à l’extension de ces crimes, de façon que ces éléments puissent être condamnés. Naturellement, si quelque honte en résulte nous devons dire, je pense, qu’elle ne vient pas de nos pays. Elle est venue surtout des individus qui sont là au banc des accusés et de ceux que les hasards de la guerre a soustraits à notre atteinte.
Il semble y avoir aussi un malentendu ou tout au moins nous ne sommes pas d’accord, sur ce qu’on doit comprendre quand nous considérons ces organisations comme volontaires en général. L’examen proposé par l’avocat des organisations semble, à mon avis, supprimer complètement toute procédure pratique.
Comparons la Wehrmacht et les SS pour montrer ce que j’entends par organisation généralement volontaire. La Wehrmacht, en général, était soumise au recrutement forcé, bien qu’elle comprît naturellement un grand nombre de volontaires. Or, je ne crois pas qu’il soit justifié, sous prétexte qu’il y avait des volontaires dans la Wehrmacht, d’en faire une organisation de volontaires. Par contre, les SS étaient une organisation de volontaires, bien que certaines personnes fussent obligées d’y entrer. On ne peut pourtant pas considérer que l’organisation SS a été mise sur pied par conscription, à cause de quelques membres de même qu’il serait faux de considérer la Wehrmacht comme une organisation de volontaires, à cause de quelques membres ; dans aucun de ces deux cas nous ne serions justifiés à renverser les faits. C’est le caractère général de toute l’organisation qui détermine l’essence de ces organisations.
Bien entendu, il en serait autrement si le Tribunal admettait que sa déclaration de criminalité ne s’applique pas à des groupes, sous-groupes ou individus recrutés de force ; je ne veux pas discuter sur ce point. J’ai, dès le début, insisté sur le fait que, naturellement, nous ne voulions pas poursuivre ceux qui étaient enrôlés obligatoirement. Mais si vous siégez ici, pendant des semaines, pour déterminer qui a été enrôlé de force et où conduit ce principe, je pense que nous serions loin d’en terminer avec nos tâches.
Beaucoup d’arguments ont été présentés aux termes desquels nous n’aurions pas de preuves suffisantes ou nous manquerions de preuves, pour démontrer que la criminalité de ces organisations était connue des membres. Et il me semble qu’on en a tiré la conclusion que nous aurions à démontrer que tout membre de l’organisation... ou plutôt que nous ne pourrions pas rendre responsables les membres qui ne connaissaient pas le programme criminel de ces organisations. Cela conduit, je crois, à examiner la valeur des preuves plutôt que le principe, mais il me semble, là encore, que nous pouvons résoudre ces questions par le simple bon sens.
Supposons que quelqu’un organise une société littéraire pour l’étude de la littérature allemande, et réunisse des fonds pour construire dans ce but un foyer, une maison. Si quelques accusés devenus employés de cette société détournent secrètement les fonds dans un but criminel, alors que pour le public, l’apparence reste celle d’une société littéraire, il pourrait très bien se faire qu’un membre ne soit pas poursuivi, tant qu’on n’aura pas prouvé sa connaissance des actions criminelles. Si un syndicat, présenté sous le couvert d’améliorer la vie de ses membres, voit ses fonds ou ses biens ou le prestige de son nom engagés par ceux qui le dirigent dans des voies criminelles, vous aurez alors une situation où les membres ne peuvent pas être accusés de connaissance de l’entreprise. Mais lorsque je parle de « connaissance suffisante » pour pouvoir poursuivre les membres, je ne veux pas parler de l’état d’esprit de chaque membre pris individuellement, ce serait un procédé absurde pour n’importe quel tribunal. D’abord explorer l’état d’esprit d’un individu ne donne jamais de résultats satisfaisants ; de plus, il est impossible d’explorer l’état d’esprit d’un million de personnes. Nous ferions beaucoup mieux d’abandonner complètement nos poursuites.
Mais regardons le programme dans son ensemble. Comment ces quelques hommes, qui étaient à la tête de ce régime nazi, ont-ils pu tuer cinq millions de Juifs, comme ils se sont vantés de l’avoir fait ? Ils ne l’ont pas fait de leurs propres mains ; il a fallu une discipline, une organisation. Il a fallu organiser tout un personnel pour le faire. Ce personnel n’a pas été rassemblé n’importe comment. Il fut organisé, dirigé et utilisé.
Comment le meurtre de cinq millions de Juifs en Europe pouvait-il demeurer secret ? Les camps de concentration n’étaient-ils pas connus dans tous les pays ? Ils étaient tristement célèbres dans tous les pays du monde, et cependant ou nous affirme que le peuple allemand ne les connaissait pas.
Nos représentants officiels protestaient contre le massacre des Juifs par la voie diplomatique et par d’autres moyens et on nous affirme que c’était un secret en Allemagne. Le nom de la Gestapo était connu dans le monde entier. Il n’est pas un seul homme parmi les avocats qui n’eût pâli de frayeur si la nuit quelqu’un avait frappé à sa porte et déclaré qu’il venait au nom de la Gestapo. On ne peut prétendre que la Gestapo était ignorée en Allemagne et connue dans le reste du monde.
Or, les hommes qui faisaient partie de ces organisations devaient, tout de même, être au courant de certains faits. Il était évident que les SS et les SA et autres organisations n’avaient d’autre but bien arrêté que de poursuivre le programme nazi. Ils voulaient se rendre maîtres des rues.
Voilà, de toute évidence, ce que nous montrent les preuves. Le programme était de notoriété publique et il a été poursuivi grâce à ces organisations.
Il me semble ainsi que nous arrivons à la situation dans laquelle, à propos d’une affaire similaire, le Chef Justice Taft a déclaré à la Cour Suprême des États-Unis : « Nous, juges, nous ne sommes pas obligés de fermer les yeux sur les choses que tous les autres hommes peuvent voir ». Or, ces choses étaient ouvertement connues de tout le monde.
Il est un peu difficile, pour un Américain, d’écouter avec patience tous les arguments continuellement présentés ici, selon lesquels nous aurions l’intention de punir de la peine de mort ou de façon très sévère des personnes qui furent innocemment prises dans ce réseau d’organisation. Si nous avions le moindre dessein de répandre la mort en Allemagne, nous ne nous serions pas tracassés pour établir ce Tribunal et présenter nos preuves devant le monde entier. Nous avions encore des munitions lorsque l’Allemagne s’est rendue et le pouvoir matériel d’exécuter n’importe qui.
A l’heure de la victoire, les Puissances ont volontairement soumis au jugement de ce Tribunal la question de la criminalité de ces organisations et il me semble un peu exagéré d’entendre que nous sommes ici pour nous venger sur des personnes innocentes. Je pense qu’il est difficile pour ceux qui ont survécu au régime nazi de comprendre combien nous répugnons à tuer n’importe quel être humain. C’est une révélation de l’état d’esprit de ceux qui ont survécu au régime nazi plutôt que du nôtre.
Je passe maintenant à la loi n° 10 du Conseil de Contrôle. Je ne sais pas si vous avez un exemplaire de ce texte. La loi n° 10 du Conseil de Contrôle fait un crime de l’appartenance à l’un des groupements qui peuvent être condamnés. Je pense que c’est exact et que cela devrait suffire pour traduire devant un Tribunal, qui examinerait en détail le cas de chaque individu, quiconque était membre d’une telle organisation. C’est tout ce que contient en substance cette déclaration : la possibilité de poursuivre l’individu. Il est exact que le châtiment peut aller jusqu’à la peine de mort. Tant que la peine de mort est imposée par une société elle peut être appliquée dans certains de ces cas : les SS, responsables de la destruction du ghetto de Varsovie, par exemple ou ceux des SS qui s’avèrent avoir été responsables de la direction de l’opération, même s’ils ne participèrent pas eux-mêmes à l’exécution.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que dans l’article 3 de la loi n° 10, les peines les plus légères sont également prévues. La restitution des biens acquis irrégulièrement est d’une des peines qui peuvent être imposées ; la privation de certains ou de tous les droits civiques en est une autre. Durant cette période de reconstruction de la société allemande, ces peines légères peuvent très bien être imposées aux gens qui faisaient partie de ces plans concertés. Sinon, vous auriez la situation suivante : les individus qui se sont organisés pour imposer par la force le programme nazi tout d’abord au peuple allemand et ensuite au monde seraient traités exactement de la même façon que les Allemands qui en furent les victimes.
N’est-il pas de notre devoir, en tant que Puissance occupante d’un pays vaincu, de faire une distinction entre ceux qui ont organisé cette catastrophe et ceux qui sont restés passifs et impuissants devant tout ce déploiement de force accablant ? L’avocat de l’un des accusés a déjà montré qu’un membre des SA avait été nommé conseiller municipal dans sa commune. Ce n’est pas parce qu’un homme a fait partie des SA qu’on doit lui ôter la vie, lui prendre ses biens ou le condamner aux travaux forcés à perpétuité. Mais il est indispensable d’avoir un moyen de trier ces gens pour découvrir ce qu’ils sont et les intentions qui étaient les leurs.
Cette loi du Conseil de Contrôle — je suis assez franc pour le dire, je ne l’aurais pas rédigée de cette façon — laisse, en premier lieu, beaucoup de latitude aux Puissances occupantes en ce qui concerne les poursuites à intenter. Je ne partage pas les craintes des avocats de voir des millions de personnes inculpées. J’ai oublié à combien de millions ce chiffre était estimé. Je sais que les États-Unis se sont déjà suffisamment plaints d’avoir à juger 130.000 personnes. C’est pourquoi nous ne voulons pas en juger des millions.
C’est pour cette raison que nous avons consenti à exclure certaines catégories dans les cas où il nous a semblé que leur exclusion ne causerait aucun préjudice à l’aboutissement de notre tâche dans son ensemble.
Je voudrais indiquer clairement pourquoi nous ne voulons pas, dans ce Procès, approfondir la question de toutes les subdivisions de ces organisations nazies et des fonctions de chacune d’entre elles. Vous en avez entendu nommer quelques-unes, elles sont innombrables. Certaines ont existé très peu de temps et ont ensuite disparu. Je suis incapable de dire le temps que demanderait le procès de chacune de ces subdivisions. Nous ne voulons pas voir ce Tribunal discrédité. Ce n’est pas un tribunal de simple police, il n’a pas été établi dans ce but ; et ce sera la fonction d’un tribunal de simple police, après que ce Tribunal aura fixé les principes généraux, de reprendre les cas individuels ou de plusieurs individus et de déterminer s’ils rentrent ou non dans les catégories établies, selon la définition fixée.
Je ne sais si un groupe de SS à cheval était moins dangereux qu’un groupe à pied. J’ai toujours associé l’art équestre avec la guerre, mais je sais qu’il faudrait longtemps pour le prouver. Je ne sais si les officiers des groupes motocyclistes SS étaient moins dangereux ou moins criminels que ceux qui n’avaient pas de motocyclettes, mais j’estime que plus un groupe était mobile, plus il avait de possibilités pour entreprendre de pareilles actions criminelles.
Quant aux médecins, je ne me prononce pas. Je ne pense pas qu’il nous appartienne de nous occuper de cette question ; mais il me semble que l’existence d’un service de santé présupposait des blessés. Ces entreprises étaient moins innocentes qu’elles ne le paraissent. Il faudrait beaucoup de preuves pour l’établir et pour approfondir tous ces cas et il me semble qu’il ne rentre pas dans la tâche de ce Tribunal d’approfondir des questions de ce genre.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’examiner en détail les cas des groupes plus que ceux des individus ; car si on le faisait pour le groupe, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas pour l’individu, étant donné que si le groupement est déclaré criminel, chaque membre de ce groupe a le droit d’être entendu avant d’être condamné. Il se pourrait très bien que les autorités occupantes décidassent que tel groupe dans son ensemble ne doit pas être poursuivi. Nous ne nous faisons aucune illusion à ce sujet. Nous n’allons jamais pouvoir mettre la main sur toutes les personnes qui ont commis des actes criminels, à plus forte raison les innocents. Toutefois, s’ils sont poursuivis, il se pourrait que le groupe fût traité dans son ensemble de façon qu’il n’y ait qu’une seule décision concernant chacun des groupes.
En tout cas, comme chaque individu doit être entendu, il ne semble pas nécessaire d’entendre les sous-groupements des organisations principales qui doivent être déclarées criminelles. S’il y avait une raison quelconque d’approfondir cette question et de décider individuellement qui est coupable et qui ne l’est pas, il est certain que le Statut aurait donné au Tribunal le droit de prononcer également des peines. Il n’y aurait alors plus aucune raison de tenir des procès ultérieurs.
Il me semble que nous devons considérer cette éventualité en quelque sorte à la lumière d’un acte d’accusation. Il est vrai que c’est une accusation contre tous les membres du groupe. Elle n’aurait aucun effet si elle n’était pas suivie d’un procès et d’une condamnation, pas plus que n’aurait d’effet un acte d’accusation qui ne serait pas suivi d’un procès. La déclaration aura pour effet que les Puissances occupantes pourront poursuivre les membres individuels et les juger. Des considérations administratives s’y joindront ; il faudra déterminer le degré de complicité avec le groupement. Il se pourra qu’il soit décidé que ceux qui n’étaient que de simples membres, et non pas des officiers chargés d’une certaine responsabilité dans ces groupements, ne seront pas poursuivis. Nous ne pouvons pas dire exactement ce qui sera nécessaire.
Pour parler franchement, je ne sais pas au juste quelle sera la quantité de personnel disponible que les États-Unis pourront ultérieurement affecter à ces procès. Il y a des difficultés que je ne sous-estime pas, mais je suis absolument sûr que l’idée d’un massacre en masse ou d’un châtiment en masse du peuple allemand est une notion de pure fantaisie et n’est en accord ni avec l’esprit de ce Procès, ni avec le but du Statut.
Je crois que c’est là tout ce que j’ai à dire, à moins que le Tribunal n’ait à me poser des questions auxquelles je serais heureux de répondre.
Monsieur Justice Jackson, il y a une ou deux questions que je désirerais vous poser.
Tout d’abord, à votre avis, les termes de la fin de l’article 11 — les trois dernières lignes — où il est prévu que « Le Tribunal saisi pourra, après l’avoir reconnue coupable, lui infliger une peine supplémentaire indépendante de celle déjà imposée par le Tribunal International pour sa participation aux activités criminelles de ce groupe ou de cette organisation », et en particulier les termes « pour sa participation aux activités criminelles de ce groupe ou de cette organisation » ajoutent-ils quelque chose à la définition du mot « affiliation » de l’article 10 ?
Non, je ne le pense pas. En réalité, les termes de cet article m’ont tracassé, quant à leur signification exacte, vu qu’aucune peine ne doit être infligée par ce Tribunal pour la participation aux activités d’un groupe. Le but de cet article était de préciser que le châtiment d’un crime individuel — s’il s’agit de quelqu’un qui a commis un meurtre individuel ou qui est coupable d’avoir participé au plan d’une guerre d’agression — n’a rien à voir avec la sanction qu’il peut encourir pour avoir été membre d’une organisation criminelle, ou vice versa ; autrement dit, c’est pour indiquer clairement que les deux châtiments ne s’excluent pas mutuellement. Mais j’avoue que la rédaction de l’article laisse beaucoup à désirer.
En second lieu, un individu qui serait jugé devant un tribunal national serait-il entendu sur la question de savoir s’il connaissait en fait les buts criminels du groupement ?
Je crois qu’il serait entendu à ce sujet, mais je ne pense pas qu’il y aurait ce que nous appellerions aux États-Unis une défense totale. Il y aurait peut-être une défense partielle ou mitigée. Je pense que le tribunal qui le jugerait pourrait bien estimer qu’il aurait dû savoir ce qu’était l’organisation, même s’il le nie ; le fait de le nier, si on le croit, pourra atténuer sa faute, mais ne le disculpera pas entièrement. En d’autres termes, je ne pense pas que vous puissiez prendre comme critère décisif de culpabilité l’état d’esprit d’un de ces membres, car vous n’avez ni le droit ni la possibilité de contrôler son état d’esprit. Je crois qu’il faut pouvoir juger sur une preuve plus concluante que sa simple déclaration.
Si je vous ai bien compris, vous avez dit qu’il n’appartenait pas au Tribunal de limiter ou de définir les groupements qui devaient être déclarés criminels ; mais, comme le Statut ne les définit pas, ne faut-il pas que le Tribunal donne une définition du groupement ?
Je crois qu’il faut que le Tribunal décrive le groupe qu’il condamne d’une façon suffisamment précise pour fournir une base qui permette de traduire les membres en justice pour la seule affiliation. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de définir exactement les détails de la culpabilité. Celle-ci est définie par le fait même de l’affiliation plutôt qu’au moyen des concepts d’imputabilité ou d’innocence. Il se pourrait ainsi qu’il y eût de petits groupements dans les SS qui, lorsqu’on les jugera, seront considérés comme non coupables d’avoir participé aux crimes de l’organisation. Je ne crois pas que ce soit à ce Tribunal de distinguer ceux d’entre eux qui sont coupables et ceux qui ne le sont pas. Il ne me semble pas nécessaire de les séparer. Les SS sont une organisation bien connue. Ses limites sont aisément définies par l’affiliation de ses membres et, dans ce cercle, il ne me paraît pas utile de faire des exceptions.
Mais si l’on devait faire une distinction essentielle sur la question de criminalité entre le Corps principal des SS et, par exemple, les Waffen SS, ne serait-il pas du devoir du Tribunal de faire cette distinction ?
Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je pense, lorsque ce membre sera jugé — il peut avoir été enrôlé de force ou être demeuré après son temps comme volontaire ou avoir servi comme conscrit après son service — qu’il ne sera pas nécessaire de l’éliminer à ce stade des débats au cours desquels il sera jugé par défaut. Je crois fermement que le principe selon lequel les actes accomplis pendant la durée du service obligatoire ne doivent pas être condamnés par le Tribunal, constitue un tout autre problème.
Est-ce que ce Tribunal peut, aux termes de l’article 10, limiter les droits des tribunaux nationaux, soit en définissant les groupements, soit en donnant une définition du mot « affiliation » dans l’article 10 ?
Plaise à Votre Honneur. Je crois que chaque tribunal, dans ses jugements, a le droit d’inclure des dispositions qui éviteront les abus et je ne pense pas que ce Tribunal manque de pouvoirs pour protéger ses décisions contre des altérations ou des abus. Il me semble que c’est là la question, plutôt que celle de savoir si les tribunaux nationaux négligeront cette déclaration, lorsqu’ils jugeront ces individus — je ne pense pas que ce Tribunal pourrait les en empêcher. Mais je suppose que vous vouliez parler des conséquences de cette déclaration ; et je crois que ses effets peuvent être limités. Je suis convaincu que le Tribunal doit avoir pleins pouvoirs pour protéger son jugement contre tout mauvais usage.
Pensez-vous que ce Tribunal pourrait donner des directives aux tribunaux nationaux en vue de prendre certains moyens de défense en considération ?
Je ne crois pas qu’il soit possible de le faire de cette façon et je suppose que le Tribunal pourrait définir les catégories d’une manière telle que la déclaration n’atteindrait que les gens qu’elle désire englober. Autrement dit, je crois que la déclaration que fera le Tribunal reste sous son propre contrôle. Si vous vous éloignez de la déclaration, je pense que vous n’aurez plus aucun contrôle sur les tribunaux nationaux ; mais, dans la mesure où ils se reposeront sur la déclaration, vous pourrez en contrôler l’effet, à condition que ses effets ne soient pas en contradiction avec les dispositions du Statut.
Vous avez fait certaines propositions, je crois, pour obtenir toutes les preuves qui vous semblent nécessaires. Voulez-vous ajouter quelque chose à cela ?
Je n’ai rien à y ajouter, Monsieur le Président. Je me rends compte que les défenseurs ont de grandes difficultés pour obtenir des preuves, étant donné la médiocrité des communications. J’éprouve moi-même des difficultés, beaucoup de difficultés à faire remettre les lettres. Tout est très difficile. Mais je dirai au Tribunal catégoriquement — on a mentionné un camp hier, je ne sais plus exactement lequel, où un avocat a essuyé un refus de pouvoir consulter son client — que pour ce qui concerne la zone américaine, les avocats, s’ils sont dûment accrédités, auront toutes facilités pour se rendre dans n’importe quel camp pour y trouver toutes les preuves qu’ils jugeront nécessaires. S’ils y sont à l’heure des repas, ils seront nourris, et s’ils y sont la nuit, ils y seront logés. Nous ferons tout notre possible pour les aider. Naturellement, il se pose un problème de sécurité. Les avocats ne peuvent pas entrer simplement dans un camp et demander à parler à n’importe qui ; mais tant qu’ils se conformeront aux règles de sécurité, ils ne seront gênés en aucune façon, mais aidés dans toute la mesure du possible.
Je vous remercie.
Monsieur Justice Jackson, j’aimerais vous poser quelques questions. Quelques-unes seront des répétitions de ce que M. le Président vous a dit. Vous m’excuserez si j’en répète une ou deux ; mais la plupart de ces questions se rapportent au but de cette analyse qui est, je crois, de trouver une définition des organisations, — qui ne serait évidemment pas définitive — mais pour nous faire une idée de ce qui importera aux accusés dans la préparation de leur défense. Les questions sont donc formulées dans ce sens, plutôt que pour élaborer une théorie de la définition.
Vous avez proposé d’exclure les comptables, les sténodactylo-graphes et les plantons qui faisaient partie de la Gestapo. Si nous acceptons cela, ne serons-nous pas obligés d’exclure ces catégories des autres organisations criminelles ?
Non, je ne le pense certainement pas, Monsieur le juge. Je crois qu’il y a une différence entre le cas où le Tribunal doit prendre une décision particulière à la suite d’une concession faite aux accusés par le Ministère Public, et celui où le Tribunal prend une décision de lui-même sur un plan général. Il pourrait sembler logique, si nous acceptions le principe que les comptables, sténodactylographes et plantons de la Gestapo ne doivent pas être inclus, qu’aucun comptable, sténo dactylographe ou planton ne doive plus l’être. Ce n’est pas le cas. Les rapports du personnel variaient selon les organisations. D’après ce que nous savons sur la situation de la Gestapo, nous sommes satisfaits de ce que les comptables, sténodactylographes et plantons de cette organisation n’y soient pas compris et nous ne désirons pas perdre plus de temps là-dessus.
Quel en est le motif ? Est-ce parce qu’ils ne savaient pas ce qui se passait dans la Gestapo ?
Je ne pense pas qu’ils aient eu une connaissance suffisante pour pouvoir être compris dans la Gestapo ou un pouvoir suffisant pour faire quoi que ce soit s’ils étaient au courant. Ce qu’il doit advenir des personnages secondaires constitue l’une de ces questions que le Tribunal est inévitablement entraîné à traiter, s’il entreprend de fixer les limites de lui-même, plutôt que de les laisser apparaître administrativement selon le choix de ceux que nous poursuivons. L’une des difficultés du Tribunal, c’est qu’il essaye d’être logique, et peut-être doit-il être logique. J’ai toujours pensé que c’était le grand mérite du système du jury dans lequel les jurés n’ont pas à être logiques ; et le Ministère Public n’a pas non plus à l’être. Il peut sembler illogique d’exempter les petits exécutants d’une organisation et de ne pas le faire pour une autre ; il y avait cependant des différences entre les organisations.
Pour prendre un exemple — je pense que des preuves ont été déposées à ce propos ou le seront ultérieurement — l’accusé Göring fit remarquer à une réunion que les chauffeurs de certains officiers avaient tiré de biens juifs des profits, allant jusqu’à un demi-million de Reichsmark. Normalement, on pourrait penser que le chauffeur d’un grand personnage est un homme qui n’a pas grand-chose à dire, ou de la part duquel on peut s’attendre à savoir beaucoup de choses sur ce que faisait son maître ; vous voyez que vous avez de grandes différences dans les relations de ces hommes vis-à-vis de leurs commettants. Je tiens pourtant à faire remarquer que les États-Unis n’ont pas parcouru 3.500 milles pour venir ici afin de juger des comptables, des sténodactylographes et des plantons. Ce n’est pas là la catégorie de personnages que nous poursuivons, même s’ils étaient tant soit peu au courant, car ce ne sont pas eux qui ont troublé la paix du monde. Je crois qu’il y a peu de raisons de craindre que cette catégorie de personnes soit englobée dans des questions aussi importantes que celles que nous avons à résoudre ici — à moins qu’il n’y ait lieu de croire que leur culpabilité s’étende au delà de leur travail quotidien.
Mais, malgré cela, vous comptez inclure ces catégories lorsqu’il s’agit des SS ?
Je ne les exclus pas.
Pour moi, cela signifie que vous les incluez.
S’ils étaient membres, ils seraient inclus. S’ils étaient de simples employés, ce serait autre chose ; mais s’ils avaient prêté serment et étaient devenus partie intégrante de l’organisation des SS, j’estime que leur situation est différente de celle de simples employés d’un service du Gouvernement.
Dans ce même genre de considérations, vous avez déclaré, en essayant de définir ce qu’était une organisation criminelle, que l’affiliation devait avoir été — je cite vos propres mots — « généralement volontaire », ses buts ou méthodes connus et notoires et « d’un caractère tel que l’ensemble de ses membres peuvent être accusés d’en avoir connaissance. »
Je vais vous demander quelque chose qui est peut-être une répétition de ce que M. le Président vous a demandé, mais il se peut que vous puissiez préciser un peu plus.
Ne serait-il pas incompatible avec le critère de la criminalité que vous proposez de refuser de considérer si une partie essentielle de l’organisation — cette partie pourrait représenter un tiers ou plus de l’organisation, telles par exemple les Waffen SS au sein des Allgemeine SS — ou bien avait été enrôlée de force, ce qui constitue un critérium ou bien ne connaissait pas les buts criminels ? Car si un nombre aussi important de membres s’avéraient innocents, d’après ces critères, ne serait-il pas nécessaire, soit de refuser de faire une déclaration générale du fait que les conditions de culpabilité de l’organisation dans son ensemble ne seraient pas suffisamment évidentes, soit alors d’exclure les parties innocentes du jugement rendu sur l’organisation déclarée criminelle ?
Voilà une question un peu complexe. Pourtant, si le critère de culpabilité est la connaissance ou la connaissance supposée du but de l’organisation, il me semble que s’il existe des preuves manifestes qu’une grande partie des membres n’étaient pas au courant ou ne pouvaient même pas l’être, ces preuves sont valables non seulement en tant que telles, mais aussi pour établir la définition elle-même.
Votre question comprend deux idées principales qui doivent être traitées séparément. D’abord la conscription et la connaissance présentent deux problèmes très différents.
Pour ce qui est de la conscription, je pense comme je l’ai déjà dit que, si le Tribunal trouvait bon de soustraire à son jugement les membres des organisations recrutés par la force, je serais d’accord. J’ai toujours admis que nous ne cherchions pas à atteindre les hommes enrôlés de force. Si c’est le pouvoir écrasant de l’État qui les a mis dans cette situation, je ne trouve pas que nous devrions les poursuivre.
Si le Tribunal déclare que les Waffen SS doivent être exclues parce qu’elles étaient formées de conscrits, cela soulève une question de fait.
Oui.
Cela soulève donc une question de fait qui nous préoccuperait pendant trois semaines et c’est ce que je désire éviter. Car les Waffen SS ont été différentes à des époques et sous des conditions diverses. Nous nous engagerons dans un labyrinthe de difficultés si nous entreprenons d’appliquer le principe que le conscrit ne doit pas être puni. Il me semble que la question de savoir si un individu ou un groupe d’individus entre dans cette catégorie ou non doit être laissée aux tribunaux nationaux ; autrement dit, j’estime que ce Tribunal devrait établir des principes et non se charger de ce que j’appellerais les « petites affaires » d’un tribunal de simple police où ces principes seraient appliqués aux individus.
Puis-je vous interrompre sur le premier point ? Je pense alors que vous trouveriez juste que nous exprimions dans la déclaration une limite générale de l’enrôlement forcé, sans toutefois désigner à qui cette limitation doit s’appliquer ?
Je n’aurais aucune objection à faire sur cette désignation. L’autre question maintenant, c’est celle de la connaissance qui est infiniment plus complexe. Nous ne voulons pas nous en prendre à des innocents. Nous n’éprouvons pas un tel besoin d’avoir des individus à juger, que nous essayions d’arrêter des gens qui n’avaient pas d’intentions criminelles en vue. Mais il ne peut y avoir l’ombre d’un doute que toute personne affiliée, d’une façon quelconque, à ce mouvement ne sût qu’il conduisait à la guerre et à une guerre d’agression. Ces gens ne pouvaient ignorer que ces organismes, sous la direction du parti nazi, entretenaient des camps de concentration pour anéantir l’opposition politique et pour emprisonner les Juifs ; ils ne pouvaient ignorer toutes les horreurs qui se passaient dans ces camps.
Nous demander de prouver la connaissance individuelle ou nous demander d’accepter la déclaration personnelle de chacun sur son état d’esprit, n’aurait d’autre effet que de ne pouvoir condamner les gens. Il me semble que l’étendue de ces crimes et leur universalité — ils ont eu lieu dans toute l’Allemagne où les camps de concentration faisaient partie du paysage — font qu’ils ne peuvent être ignorés de la grande majorité de la population allemande et je crois que c’est suffisant pour accuser les principales organisations du parti nazi qui furent responsables de ces choses et les ont parfaitement connues. Pour moi, la connaissance n’est pas ce que quelque membre, à la barre des témoins, pourra dire sur ce qu’il savait ou ne savait pas, mais ce que, à la lumière des conditions du moment, il aurait dû savoir et ce dont il peut être accusé.
N’en résulterait-il pas qu’il serait mutile de prouver ce qui était généralement connu ?
Eh bien, je pense que la preuve de ce qui se passait doit servir à fixer le point à partir duquel on était censé connaître.
Estimez-vous qu’il soit interdit aux accusés d’apporter une preuve sur ce qui était généralement connu et sur ce qui se passait ?
S’agissant de ce qui était généralement connu, je ne pense pas que le démenti d’un accusé, prétendant qu’il n’a rien su, ait une importance quelconque.
Ce n’était pas là ma question. Je voudrais savoir s’il serait permis à un témoin d’affirmer que les actes des organisations particulières n’étaient pas généralement connus de leurs membres. Excluriez-vous cette assertion ?
Certainement, parce que je ne la croirais pas ; mais peut-être ma...
Excusez-moi. Donc vous ne permettriez pas aux accusés d’avancer cette preuve ?
Certainement pas. Je crois que le Tribunal prendra pour acquis, d’après les témoignages déjà reçus, que ces faits devaient être connus en Allemagne. Je crois qu’il ne serait pas permis à un citoyen américain de venir, par exemple, déclarer en justice qu’il ignorait que les États-Unis fussent en guerre, fait qu’il était tenu de connaître. Il me semble que l’importance de ces faits est parfaitement établie ainsi que les liens quotidiens et étroits qui reliaient ces organisations au programme criminel.
Monsieur Justice Jackson, je n’ai plus que deux ou trois questions à vous poser. L’une concerne l’État-Major général. Est-ce que la date précise à laquelle un individu a été nommé à l’une des fonctions énumérées dans l’annexe B de l’Acte d’accusation, a de l’importance pour établir s’il était membre de l’organisation, en l’espèce, l’État-Major général ?
Je dois peut-être vous avertir que je ne suis pas un militaire. Je ne suis pas un spécialiste en la matière et avant de répondre à votre question, je préférerais me renseigner auprès de quelqu’un qui soit plus compétent que moi.
Je vous ai posé la question en tant que juriste et non en tant que militaire. Supposons qu’un de ces individus soit devenu Commandant en chef d’un groupe d’armées, une fois que les guerres d’agression eurent été projetées et leurs préparatifs terminés. Par exemple, après 1942, disons après Pearl Harbour, au moment où l’Allemagne s’apprêtait à la défensive : Est-ce que le fait qu’il ait accepté ce commandement à cette date suffit pour le déclarer membre de l’organisation ?
Je pense que oui.
La raison pour laquelle je vous ai posé cette question, Monsieur Justice Jackson, est la suivante : je crois que vous aviez indiqué dans votre exposé introductif que le fait de commencer la guerre était un fait criminel plus important que celui de la poursuivre et je me demandais si, dans ce cas, il y aurait une différence à prendre en considération ?
Je pense qu’en acceptant, il a approuvé tout ce qui s’était passé jusqu’alors ; et il me semble que le fait même d’être apparu à un moment donné est un gage d’approbation de tous les actes commis antérieurement qui se sont déroulés conformément au principe du complot. Je crois qu’une difficulté se présenterait dans le cas d’un individu qui n’aurait pas eu de rapports avec le parti nazi.
Si vous preniez, par exemple, un individu qui aurait désapprouvé toute la conduite du Parti, qui n’en serait jamais devenu membre, qui aurait pris publiquement une position nettement opposée et qui n’aurait pris aucune part à la guerre jusqu’au jour où son pays fut envahi et qui aurait déclaré alors : « qu’importe ce qui s’est passé jusqu’à présent ! Mon pays est envahi, je combats pour sa défense. » J’aurais évidemment du mal à condamner cet homme. Mais je ne connais pas d’exemple pareil !
Monsieur Justice Jackson, je n’ai plus qu’une question à vous poser, elle concerne la loi n° 10 du Conseil de Contrôle, du 20 décembre, qui me trouble un peu. Je crois que cette date est exacte.
Vous avez parlé d’une raison pour déclarer les organisations criminelles et pour amener les personnes devant le Conseil de Contrôle aux fins de triage. Je suppose que cette opération pourra se faire sans aide de notre part ?
C’est exact.
Vous avez dit quelque chose de très intéressant :
Vous avez déclaré que l’Acte d’accusation n’aurait pas été rédigé ainsi, si vous aviez été chargé de le faire.
Comment l’eussiez vous rédigé, si ce n’est pas une question indiscrète ?
Je crois que je n’aurais pas rendu les peines énumérées dans l’Acte d’accusation applicables à tous les crimes. On a établi toute une liste de crimes qui, à mon sens, vont des crimes les plus graves aux plus légers ; et les peines encourues vont de la peine de mort à la privation du droit de vote aux prochaines élections.
Par exemple, vous n’auriez pas décrété la peine de mort pour les membres des SA qui auraient cessé de l’être en 1922 ?
Certainement non. Et j’aurais défini les peines d’une façon plus précise. Tel le Mikado, j’aurais essayé de fixer des peines proportionnées aux crimes au lieu de laisser la décision à l’arbitraire.
Monsieur Justice Jackson, quels sont, d’après vous, les moyens de défense autorisés par la loi du Conseil de Contrôle ? Ne devons-nous pas nous assurer que les membres du Tribunal s’accordent pour permettre certains moyens de défense ou qu’ils précisent les moyens de défense qui seront vraiment autorisés ?
Aucun moyen de défense n’est expressément autorisé. Je présume qu’une défense est autorisée si elle s’appuie sur la sincérité de l’adhésion de l’individu à telle organisation, soit par libre choix, soit comme résultat d’une contrainte ou d’un abus de confiance — et par contrainte, je veux dire contrainte légale. Je ne crois pas que le fait pour un individu d’être devenu membre en pensant que c’était de bonne politique pour ses affaires et que ses clients pourraient l’abandonner s’il n’adhérait pas au Parti, puisse être considéré comme le résultat d’une contrainte. Mais toute défense est acceptable, qui s’appuie sur le fait d’une adhésion sincère.
Une question encore. Si le Tribunal était d’avis que la déclaration de criminalité d’une organisation relevât essentiellement du domaine du législateur, ainsi qu’il a été suggéré par certains membres de la Défense, plutôt que du domaine judiciaire, ne serait-il pas opportun que le Tribunal considérât l’autorité législative du Conseil de Contrôle et fît une semblable déclaration, ce qu’il a le pouvoir de faire sans aucun doute, puisqu’il exerce le droit qui lui est conféré par l’article 2 du Statut ?
Je ne suis pas d’accord, Monsieur le juge. A mon avis, ce Tribunal a été instauré par les quatre grandes Puissances afin de déterminer officiellement, d’après les preuves soumises et les faits qui s’en dégagent, quelles sont les organisations qui présentent un caractère tel que leurs membres doivent être poursuivis pour y avoir adhéré. Le fait qu’un autre organisme, qui ne délibère pas en audience publique et qui n’est pas constitué comme ce Tribunal, puisse atteindre le même résultat administrativement ou autrement n’est pas, à mon avis, une considération valable. Je crois que nous nous déroberions ainsi à notre devoir. Il y a peut-être d’autres façons de l’accomplir, mais c’est celle que nos Gouvernements ont choisie.
Vous pourriez évidemment punir ces membres individuellement, sans autre formalité. Nous les avons en notre pouvoir, enfermés dans des camps. Mais nos Gouvernements ont décidé qu’aucune peine ne leur serait infligée avant un examen approfondi des preuves, et dans ce cas je pense que...
Mais vous ne pensez pas que le Conseil de Contrôle ait le pouvoir de le faire indépendamment de nous ?
Je ne vois pas de limitation aux pouvoirs du Conseil de Contrôle. Il n’y a pas de statut. C’est une question de vainqueur et de vaincu ; et je crois que c’est justement une des raisons pour lesquelles nous devons observer très fidèlement les directives de nos Gouvernements dans notre façon d’agir. Malgré leur puissance sans bornes — si ce n’est dans le domaine physique, et même celui-là leur est presque entièrement soumis à l’heure actuelle — ces Gouvernements se sont volontairement soumis à cette procédure, et il me semble donc que, en tant que juristes tout au moins, nous ne devrions rien faire pour discréditer cette procédure ou pour l’éviter.
Ce sont toutes les questions que j’avais à poser.
Je voudrais demander à M. le Procureur Général Jackson quelques précisions au sujet des conséquences de la déclaration de criminalité d’une organisation. Voici qu’un individu appartenant à l’une des organisations qualifiées de criminelles, par exemple un SS ou un membre de la Gestapo, est traduit devant la juridiction militaire d’une Puissance occupante. D’après ce qui a été dit jusqu’à présent, il pourra se justifier en prouvant que son adhésion au groupement a été une adhésion forcée. Il n’était pas volontaire et, si j’ai bien compris, il pourra se justifier aussi en établissant qu’il n’a pas connu le but criminel de l’organisation. Telle est, du moins, l’interprétation qui a été consacrée par le Ministère Public et défendue par lui. Nous la considérons comme exacte.
Mais je suppose que le Tribunal dont il s’agit ait une conception différente. Je suppose qu’il estime que la condamnation de l’individu, membre de l’organisation criminelle, soit une condamnation obligatoire, une condamnation automatique. En définitive, l’interprétation qui a été défendue par M. le Procureur Général Jackson n’est écrite dans aucun texte. Cela ne figure pas dans le Statut. Alors, en vertu de quels textes le tribunal dont il s’agit sera-t-il obligé de se conformer à cette interprétation ?
Les décisions de ce tribunal éventuel seront liées par la déclaration de ce présent Tribunal, dont l’autorité sur le tribunal ultérieur est définie par le Statut ; cette définition, il est vrai, se borne à déclarer que la criminalité de l’organisation en cause ne doit pas être remise en question. Il ne pourrait y avoir de condamnations sans jugement, car le pouvoir accordé par le Statut a pour but d’amener les individus devant la Justice pour avoir appartenu à une organisation. Certes, il incomberait alors au Ministère Public, en appliquant les principes ordinaires de la procédure, de prouver cette adhésion. Je crois que la preuve qu’un individu a adhéré à l’organisation suffira pour l’inculper : mais alors l’accusé pourra invoquer pour sa défense, l’existence d’une contrainte morale ou physique ou de menaces envers lui, et il faudra le juger. Toutefois, selon le Statut, les déclarations du Tribunal ne peuvent servir qu’à traduire en justice les membres des organisations.
Si je comprends bien, c’est l’autorité du Tribunal Militaire International qui s’imposera aux juridictions particulières des États et les obligera à consacrer l’interprétation dont il s’agit ; mais alors, j’en conclus que, dans la pensée de M. le Procureur Général Jackson, le jugement du Tribunal Militaire International, le jugement que nous rendons, devra contenir une précision à ce sujet. M. Jackson a dit tout à l’heure, d’accord je crois avec M. Biddle, que le statut de la Charte nous permet de définir l’organisation criminelle. Il y aurait dans notre jugement, non seulement la détermination des groupements que nous considérons comme criminels, mais il y aurait une définition de l’organisation criminelle ; et, de même, il y aurait des précisions concernant les cas d’irresponsabilité, le cas par exemple d’adhésion forcée. Il y aurait des précisions que les tribunaux particuliers des États seraient obligés de respecter. C’est bien la pensée de M. le Procureur Général Jackson ?
Mais alors, la question que je pose est la suivante, qui rejoint la question de M. Biddle : n’est-ce pas en somme conférer à notre juridiction un certain caractère législatif ? Nous ne sommes pas une juridiction ordinaire puisque nous consacrons des dispositions, par exemple la définition d’une organisation criminelle qui, généralement, trouve place dans une loi, et, en même temps, notre jugement contient des dispositions qui limitent les cas de responsabilité individuelle, c’est-à-dire qu’en somme nous participons au rôle du législateur, comme d’ailleurs cela a été soutenu hier.
Je pense qu’il est vrai que notre juridiction a un certain caractère législatif et revêt un caractère accusatoire. Elle tient un peu des deux. Mais je n’y vois rien qui puisse compliquer le problème. Aux États-Unis, les pouvoirs législatif et judiciaire sont nettement séparés. Aucune limitation de ce genre n’est imposée à ce Tribunal et si vous comparez la déclaration que vous ferez soit à un acte judiciaire, soit à un acte législatif, elle sera également valable en tant qu’acte des Quatre Puissances ; attendu que celles-ci ne sont nullement tenues à refuser aucun pouvoir au Tribunal.
La question que je viens de poser paraît n’avoir qu’un intérêt théorique. Voici cependant la conséquence pratique que j’envisagerais, que je serais tenté d’en tirer, et sur laquelle je demanderai votre avis :
Si nous avons un certain pouvoir législatif, en ce sens que nous pouvons limiter l’incrimination, admettre des causes d’irresponsabilité ou des excuses, est-ce qu’il est absolument exclu que nous limitions également la sanction ?
Tout à l’heure, M. Biddle et M. Jackson s’occupaient de la loi n° 10 et M. Jackson formulait quelques critiques au sujet des peines qui ne sont pas individualisées, puisque ces peines peuvent aller jusqu’à la peine de mort, jusqu’au châtiment capital. Évidemment, il y a des crimes pour lesquels le châtiment capital apparaît comme justifié, comme les crimes contre l’Humanité, mais n’est-il pas excessif d’envisager, même comme maximum à l’égard d’un délit que nous appellerions peut-être en France un délit purement matériel, à l’égard du délit d’appartenance à une organisation criminelle, n’est-il pas excessif de prévoir la peine de mort, et le Tribunal Militaire International ne peut-il pas être amené à réduire de façon excessive la notion d’organisation criminelle, en perspective précisément de ce châtiment, qui paraîtrait trop sévère ?
En d’autres termes, est-ce que M. Jackson exclut absolument, pour le Tribunal Militaire International, la faculté d’édicter une peine ou, sinon une peine, un maximum de peine, applicable au crime d’appartenance à un groupement criminel ?
Je ne pense pas qu’il soit du ressort du Tribunal de distribuer les peines, pour la raison qu’aucun pouvoir n’a été accordé à ce Tribunal, de condamner qui que ce soit d’autre que les accusés mêmes de ce Procès ; je veux dire, aucun pouvoir de condamner pour le seul fait d’avoir été membre de l’une des organisations. C’est pourquoi je pense qu’aucun pouvoir accessoire n’a été donné pour contrôler les pénalités ; mais le pouvoir de déclarer une organisation criminelle peut, incidemment, conférer le pouvoir de déterminer ce qu’est cette organisation, et je ne saurais douter de la capacité du Tribunal de trouver une définition détaillée, quoique je doute que cela soit très prudent. Cependant, le pouvoir de condamner un individu pour avoir appartenu à une organisation n’est absolument pas conféré à ce Tribunal, et j’estime que le lui accorder serait étendre abusivement ses pouvoirs.
Ce sont les seules questions que je voulais poser.
L’audience est suspendue pendant dix minutes.
Désirez-vous ajouter quelque chose, ou voulez-vous qu’on vous pose des questions, Sir David ?
D’abord, si le Tribunal le permet, je voudrais ajouter quelques mots sur trois ou quatre points que nous avons discutés.
Dans le premier point qu’il a soulevé, le Dr Kubuschok a prétendu que le fait de demander une déclaration de criminalité contre les organisations était irrecevable pour deux raisons : 1° Parce qu’elle était fondée sur une instruction de la jurisprudence anglo-saxonne, qui permet de condamner un groupement d’individus, moyennant certaines limites ; 2° Parce que les organisations ont été dissoutes il y a quelque temps.
Je pense qu’il est important d’insister sur le fait que ce n’est pas là la conception juridique qui est à la base de cet article du Statut. Il est réellement fondé, à mon avis, sur une doctrine que l’on trouve dans la plupart des systèmes juridiques : la res adjudicata , ou la conception d’un jugement in rem en opposition à un jugement in personam . C’est-à-dire que c’est dans un intérêt général et public que la discussion sur un point particulier ne doit pas être interminable et que, si le Tribunal compétent a pris une décision sur un point important et d’intérêt général, ce point ne doit plus être remis en cause par la suite.
Le Ministère Public est formellement d’avis que ce Tribunal, qui a pu prendre connaissance des preuves se rapportant à toute l’existence et décrivant tout le fonctionnement de la conspiration nazie, est le tribunal compétent, et même le seul compétent, pour décider de la question de la criminalité.
Ce serait un projet absolument non viable et qui prendrait un temps fantastique, que d’envisager que chaque Gouvernement ou tribunal militaire ait à décider, l’un après l’autre, de la question de la criminalité de ces grandes organisations. C’est pourquoi le Statut fixe la procédure selon laquelle cette question de principe sera réglée, une fois pour toutes, par ce Tribunal.
Le fait que les organisations ont été dissoutes administrative-ment n’est pas pertinent. Ce qui importe, c’est ce qu’a été la nature des organisations quand elles vivaient. Voilà la question sur laquelle le Tribunal doit se prononcer. Nous prétendons, bien que ce ne soit pas expressément formulé dans l’article 9, qui l’implique cependant avec une clarté suffisante, que la question du caractère criminel doit être tranchée au cours du procès contre les accusés individuels. Nous déclarons que, toutes considérations d’ordre pratique mises à part, l’article 9 va nettement à rencontre de la disjonction des procédures, suggérée par deux ou trois avocats.
Je ne veux ajouter qu’un mot à ce qui a été dit sur la loi n° 10 par le Dr Kubuschok, qui a déclaré que cette procédure était véritablement dirigée contre les individus. Il y a au moins deux réponses à faire : La première, que j’ai tenté de donner au sujet du concept légal dont découle l’idée d’une déclaration. La seconde, qui a été soulignée devant le Tribunal, à propos des droits de la Défense. A mon avis, l’adhésion à une organisation est une question de fait. Dès lors, les défenses alléguant une contrainte, une fraude ou une erreur — pour prendre trois exemples — doivent être autorisées. La troisième est que tout document tel que le Statut — et cela s’applique à tout acte législatif — suppose toujours une application intelligente et raisonnable de ses dispositions. A mon avis, il serait donc oiseux de considérer que, dans le cas d’une disposition telle que celle de l’article 10 — qui prévoit clairement le droit de poursuite — ces dispositions s’appliqueraient à chaque individu susceptible d’être poursuivi aux termes de cet Acte. Selon notre dicton : « Les cas épineux font le mauvais droit ». Il me semble donc que ce serait une faute de prendre une décision ou de faire une interprétation sur la base d’un cas très épineux et fort peu probable.
Si je le puis, je voudrais dire quelques mots sur l’argument présenté de façon si intéressante par le Dr Servatius et mentionné, il y a quelques instants, par l’éminent magistrat français.
Selon moi, ce Tribunal ne possède aucun pouvoir législatif. Par contre, il a une fonction judiciaire clairement établie, et je voudrais éclaircir ce point : je ne qualifie pas sa fonction dé « quasi-judiciaire » ou de n’importe quelle autre qualification. C’est simplement une fonction judiciaire. La première partie de ce devoir est de définir ce qui est criminel. A mon avis, comme M. Justice Jackson l’a dit hier, ceci ne présente aucune difficulté. Le mot criminel se trouve dans l’article 9, trois articles après l’article 6. Dans ce texte, ce mot s’applique à une organisation dont les buts ou objectifs, les méthodes ou les activités entraînaient à commettre les crimes énumérés dans l’article 6. Une fois que le mot criminel a été défini, il s’agit alors d’examiner judicieusement les preuves pour décider si telle organisation a commis ces crimes, s’ils en étaient le but, comme je l’ai déjà établi.
Toutefois, je demanderai respectueusement au Tribunal d’hésiter longuement avant d’accepter l’argument du Dr Servatius, et pour reprendre les propres termes de ce dernier, de déterminer le contenu du mot criminel en se fondant sur ses propres conceptions de la politique et de l’éthique. Cela impliquerait un facteur dangereux, nouveau et incertain dans le Procès. A mon avis, la ligne de conduite est claire et rien dans le Statut ne permet de confirmer la prétention, assez inattendue, qu’un corps érigé en tribunal puisse s’arroger un pouvoir législatif.
Une fois de plus, je voudrais, avec la permission du Tribunal, ajouter un mot sur les conclusions tirées par le Dr Servatius de la question de la criminalité comme base de décision sur la pertinence des preuves. Sa première conclusion était qu’on reconnaissait le but criminel d’une organisation à sa constitution ou à son Statut. J’accepte naturellement qu’on examine le but, mais je n’accepte pas la limitation à la constitution ou au Statut. Le but criminel peut se révéler par les déclarations ou les publications des chefs de l’organisation, et aussi, comme je l’ai déclaré, par leur conduite, c’est-à-dire leurs méthodes et leurs actions. Je suis d’accord avec le Dr Kubuschok sur le point d’examiner le but en premier lieu, mais je ne suis pas d’accord sur la limitation qu’il impose à sa recherche.
Le second point qu’il a fait valoir est que l’article 1 énumère des crimes qui n’ont pas été commis au sein de l’organisation ou qui ne sont pas en rapport avec elle, ou qui n’ont pas été commis d’une façon continue pendant une période déterminée.
La première partie de son argument semblerait indiquer clairement que si les crimes n’ont pas été commis au sein de l’organisation ou ne sont pas en rapport avec elle, celle-ci est manifestement dans une situation très favorable. Mais je répondrai d’abord à sa deuxième affirmation en déclarant qu’il n’entre pas en ligne de compte, dans ce Procès, de juger des crimes qui n’ont pas été commis en relation avec l’une ou l’autre des organisations. Les crimes dont nous nous occupons s’étendent, en fait, sur la période indiquée dans l’Acte d’accusation, mais j’estime qu’un tel critère n’est pas d’un grand secours. C’est ainsi que nous revenons au premier point du Dr Kubuschok : les buts, tels qu’ils sont dévoilés par les déclarations, les méthodes ou les activités des organisations, sont les principaux critères sur lesquels on peut se baser.
La troisième objection présentée par le Dr Kubuschok est qu’un nombre important de gens ne connaissaient pas les buts criminels ou ne savaient pas que des crimes étaient commis d’une façon continue. Je voudrais essayer de souligner, ainsi que l’a fait M. Justice Jackson, que le critère choisi par le Ministère Public est « la connaissance positive » ; c’est-à-dire : une personne de bon sens devait-elle, en tant que membre, être au courant de ces crimes ? Voilà, à mon avis, la véritable réponse sur la pertinence de la « connaissance » que possédait un membre d’une organisation.
Il n’est que trop vrai que, durant la période dont il s’agit, un très grand nombre de personnes prirent l’habitude, empruntée à l’autruche, de se cacher la tête pour éviter d’acquérir la connaissance de choses qu’il leur était désagréable de savoir. A mon avis, un tel comportement de la part d’un membre ne lui serait d’aucun profit, et la seule réponse à cet argument est d’adopter le critère que nous avons proposé : une personne dans cette situation pouvait-elle, raisonnablement, connaître les crimes qui étaient commis ?
Le quatrième point du Dr Kubuschok est qu’un nombre appréciable de membres, ou certains groupes indépendants, ont adhéré à telle organisation par contrainte ou par erreur ou en y étant obligés par des ordres supérieurs.
Nous répondons simplement que cet argument ne peut valoir que pour la défense d’un membre individuel ; et cette excuse ne pourra être acceptée que s’il peut prouver qu’il n’a pas pris une part personnelle aux actes criminels en question.
Le dernier point du Dr Kubuschok est qu’un nombre appréciable de membres n’étaient que « membres honoraires » des organisations. Nous répétons que cette explication n’est valable que pour la défense d’un membre individuel et cela ne change ou n’accroît en rien les moyens de défense dont il peut disposer.
Le seul autre point du Dr Kubuschok, qui, à mon avis, doit être mentionné, est relatif à la méthode de présentation des preuves, à propos de laquelle il a dit que certains droits de la Défense étaient universels. Le premier de ceux qu’il revendique est le témoignage direct et oral et, selon lui, chaque accusé individuel devrait avoir ce droit. Mais il a admis que c’était pratiquement impossible et il a proposé comme solution d’obtenir de certains représentants des groupements qui sont internés, des affidavits indiquant le pourcentage de ceux qui prirent part à des actes criminels ou les connurent.
Je voudrais signaler au Tribunal qu’il est dit expressément dans le Statut que les membres des organisations ont le droit d’adresser au Tribunal une requête à fin d’audition, que le Tribunal a le droit d’accepter ou de rejeter. C’est une question d’interprétation aussi bien que de bon sens, qu’il n’y aurait pas de raison de donner au Tribunal le droit de rejeter une telle requête si, implicitement, chacun avait le droit d’être entendu. Une seule réponse à cela : le Tribunal a un pouvoir discrétionnaire pour décider quelle sera la ligne de conduite à suivre pour se procurer les preuves. Le Ministère Public, par la voix de M. Jackson, a indiqué qu’il n’avait aucune objection à formuler contre un moyen raisonnable de rassembler des preuves. Ce que le Ministère Public demande, c’est qu’on ne présente pas devant le Tribunal des preuves qui n’ont trait qu’à la question de la culpabilité individuelle d’un membre.
Votre Honneur, j’aurais pu traiter, et j’étais prêt à le faire, un certain nombre de points soulevés par d’autres avocats. J’espère qu’ils ne penseront pas que je ne respecte pas leurs arguments, mais je sais que le Tribunal désire poser certaines questions et je ne veux pas lui faire perdre de temps.
Je voudrais cependant traiter d’un point, car je ferai ainsi d’une pierre deux coups. Hier, quand j’ai traité la question des SA, le Dr Seidl — et je regrette qu’il ne soit pas ici — souleva l’objection que l’accusé Frank n’était pas membre des SA, et le Dr Loeffler, en parlant aujourd’hui des SA, allégua que les activités des SA semblent avoir pris fin en 1939, et, au fond, furent sans importance après le putsch de Röhm en 1934.
Je trouve une citation intéressante dans la publication semi-officielle, Das Archiv, d’avril 1942 ; comme elle est très courte et se rapporte aux points que nous traitons, je me permets de la lire au Tribunal pour qu’elle paraisse dans le procès-verbal. A la page 54, je lis :
« Unités SA du Gouvernement Général. Conformément à l’ordre du chef d’État-Major des SA, une unité SA a été créée dans le Gouvernement Général, dont le commandement est exercé par le Gouverneur Général, le SA-Obergruppenführer Dr Frank. »
Je cite ce texte pour montrer en conclusion, ainsi que toutes les preuves le démontrent, qu’en ce qui concerne les SA, comme cela a été fait pour toutes les autres organisations, le Ministère Public présente des preuves de crimes commis même au delà de la période qui a été spécifiée. Je ne voudrais pas retenir plus longtemps l’attention du Tribunal, mais je suis à sa disposition pour les questions qu’il voudrait me poser.
Je crois que je n’ai qu’une question à vous poser. Si je vous comprends bien, vous prétendez que le Ministère Public a prouvé des faits dont on peut conclure que chaque personne raisonnable qui aurait adhéré à une organisation quelconque devait savoir que cette organisation était criminelle.
Certainement.
Vous serez d’accord avec moi pour admettre que la preuve d’un fait en contradiction avec ceux dont vous avez tiré la connaissance du caractère criminel peut être présentée par la Défense ?
Certainement. Si la Défense cherchait à prouver, pour prendre un exemple poussé à l’extrême, que l’action des SS dans les camps de concentration d’abord et ensuite dans les massacres de Juifs et de commissaires politiques sur le front russe s’exerça, malgré l’immense étendue de ces territoires dans lesquels ces crimes furent perpétrés, d’une manière telle que personne n’en eut connaissance, et s’il existe des preuves pertinentes sur ce point, elle pourrait prétendre qu’il ne s’agit pas là d’une question d’observation directe, mais de simples rumeurs.
Je vous ai posé cette question parce que certaines remarques de M. Justice Jackson me paraissaient ne pas s’accorder avec la réponse que vous venez justement de donner.
Je crois, si j’ai bien compris, que M. Justice Jackson a dit qu’il pourrait ne pas être pertinent de prouver qu’un membre individuel ne connaissait pas les crimes ; il m’a semblé que nos deux interprétations s’accordaient l’une avec l’autre.
Oui.
Vous pensez donc, Sir David, que les moyens de preuve sur la connaissance générale que peut avoir une partie importante d’une organisation seraient pertinents, n’est-ce pas ?
Oui, ce serait pertinent si ce n’était absurde ; je veux dire, la prétention d’ignorer certains faits pourrait être si absurde que le Tribunal n’aurait même pas besoin d’ordonner une enquête à ce sujet.
Cela peut évidemment s’appliquer à plus d’un témoignage. Mais le point qui m’importe est que, selon vous, des preuves témoignant d’une connaissance générale dans toute une organisation seraient des preuves pertinentes.
Oui, certainement.
Or, je vous demande si cela serait vrai dans le cas d’une partie importante d’une organisation, telle que les Waffen SS ?
J’essaie d’envisager cela dans la réalité et c’est ce que je trouve difficile. L’exemple que vous donnez est difficile à imaginer. Prenons quatre divisions bien connues, la division Totenkopf, la Polizeidivision, la division « Das Reich »... et la 12e Panzer Division. Si l’on tentait de prouver que ces divisions, pour lesquelles il y a tant de preuves de leur participation aux crimes, n’avaient aucune connaissance de ces crimes, il me semble que le Tribunal aurait raison de rejeter une telle allégation.
Oui, mais ne s’agirait-il pas plutôt de savoir si les actes des membres de certaines divisions étaient généralement connus parmi les Waffen SS dans leur ensemble ?
J’indique très respectueusement qu’il est très difficile de voir comment la connaissance ou l’absence d’une telle connaissance des buts criminels de la part d’une division particulière des Waffen SS pourrait affecter la question de la criminalité des SS dans leur ensemble.
Je répète que je ne vous parle pas de la connaissance que peut en avoir une division particulière ; je vous parle de la connaissance générale, à travers toutes les Waffen SS, des actes d’une unité particulière.
Eh bien, si quelqu’un se propose de déclarer : « Je connaissais chaque division des Waffen SS et, à mon avis, aucun membre des Waffen SS n’a eu connaissance ou n’a eu aucune possibilité de connaître les crimes en question, alors la preuve serait admissible ; mais sa valeur serait si négligeable que je doute qu’elle puisse retenir longtemps l’attention du Tribunal.
Mais je reconnais que si quelqu’un, fort de son témoignage, est prêt à déclarer : « Je puis parler, car j’ai à soumettre des preuves concluantes sur la situation dans son ensemble » je ne vois pas comment le Tribunal pourrait refuser de l’écouter.
La question est importante, car nous devons indiquer à la Défense, quelles preuves elle peut produire, et le faire très rapidement.
Certainement.
Alors permettez-moi de vous poser quelques autres questions. Sur quoi vous basez-vous, Sir David, pour déclarer que le Cabinet du Reich fut une organisation criminelle, à dater du 30 janvier 1933, alors que si je m’en souviens bien, ce cabinet ne comptait que trois membres du parti nazi : Göring, Hitler et Frick ? Estimez-vous que si trois personnes, parmi un assez grand nombre, une vingtaine environ, pouvaient être considérées comme faisant partie d’une organisation criminelle, le Cabinet dans son ensemble doive être considéré comme criminel ?
Certainement. Sur la base des faits. Nous ne devons pas oublier que Hitler avait refusé le poste de vice-chancelier, durant les mois qui précédèrent cette date. Il avait refusé, parce qu’en tant que vice-chancelier il ne pouvait pas exécuter le programme de son Parti. C’est sur cette base que l’accusé von Papen négocia avec Hitler, et que celui-ci accéda au pouvoir le 30 janvier. Le Ministère Public prétend que ceux qui faisaient partie de ce Cabinet, savaient qu’ils faisaient partie d’un Cabinet avec lequel Hitler comptait exécuter son programme, ainsi qu’il a été déclaré en de nombreuses occasions. Voilà le premier point.
En second lieu, le Ministère Public prétend que l’accusé von Papen s’y associa, en introduisant les conspirateurs nazis dans le Gouvernement, en toute connaissance de cause et avec l’intention de les laisser agir à leur guise en Allemagne.
Il en est de même, bien qu’on n’ait pas approfondi la question de la même manière parce qu’ils ne sont pas accusés, pour les industriels qui collaborèrent avec eux et le Parti au sein du Cabinet du Reich. On peut affirmer qu’ils étaient au courant et appuyaient — tel un Gustav Krupp ou un Kurt von Schröder — les buts de ces nazis qu’ils introduisirent et avec lesquels ils coopérèrent dans le Gouvernement.
En troisième lieu, ce sont les personnalités nazies dans le Gouvernement, Hitler lui-même, l’accusé Göring, Frick et le Dr Goebbels qui devint, je crois, ministre de la Propagande en même temps ou très peu de temps après cette date qui prouvent et qui ont prouvé par leurs actes, qu’elles n’étaient pas personnes à se contenter de la seconde place. Ces individus introduisirent immédiatement le Führerprinzip dans les opérations de l’État ; les autres membres du Cabinet de cette époque acceptèrent le Führerprinzip comme idée directrice et s’unirent pour hisser Hitler, l’accusé Göring et les autres conspirateurs au pouvoir, ce qui leur permit d’exécuter les crimes monstrueux dont on les accuse.
Je veux vous donner un autre exemple. C’est quelques mois après ces événements que l’accusé Schacht devint plénipotentiaire à l’Économie de guerre, et commença la préparation économique de la création du potentiel de guerre de l’Allemagne.
Pour toutes ces raisons, j’estime que le Cabinet du Reich à cette date était délibérément favorable aux nazis. Il en était de même pour l’accusé von Neurath. C’est en particulier ce que le Ministère Public reproche à von Neurath d’avoir vendu sa respectabilité et sa réputation aux nazis, afin de les aider à acquérir moyennant cette réputation et cette respectabilité, leur prestige en Allemagne, auprès des milieux conservateurs allemands et auprès des milieux diplomatiques en Europe avec lesquels von Neurath était en relation.
Pour toutes ces raisons, Monsieur le Président, je soutiens que le Cabinet du Reich, à cette époque, était entièrement contaminé par cette criminalité que nous réprimons au cours de ce Procès.
En ce qui concerne les chefs politiques, je voudrais vous poser une question, Sir David :
A votre avis, serait-il nécessaire d’établir la responsabilité des chefs politiques de rang inférieur pour montrer qu’en tant que groupe, ils étaient au courant des plans pour mener une guerre d’agression ou pour commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’Humanité ? En d’autres termes, je suppose qu’il nous faut prouver cette connaissance. Cela découle-t-il simplement du fait que ces crimes furent perpétrés ou existe-t-il des preuves manifestes d’une telle connaissance ?
Il existe de telles preuves, et je me permettrai de les indiquer : dès le début de la période de l’acquisition du contrôle totalitaire en Allemagne, qui est la première phase de la conspiration, il existe en dehors du programme du Parti, les extraits de la revue Der Hoheitsträger et vous vous souviendrez que les Hoheitsträger sont tous les chefs politiques.
Sur le programme antisémite, il y a les documents USA-240 (PS-3051) et USA-332 (PS-3063), (Tome IV, pages 55 et 56). Sur la question des crimes de guerre contre les aviateurs alliés, vous vous souviendrez qu’un document fut envoyé aux Reichsleiter, Gauleiter, Kreisleiter, disant que les Ortsgruppenleiter devaient être informés oralement du lynchage des aviateurs alliés. Ce document porte le n° PS-057, (Tome IV, pages 58 et 59). Et la preuve que cette suggestion fut suivie par au moins un Gauleiter est démontrée dans le document USA-325 (L-154), (Tome IV, page 59). Nous avons également un ordre de Himmler aux officiers supérieurs SS qui devait être transmis oralement aux Gauleiter et prescrivait que la Police ne devait pas intervenir dans les rixes entre Allemands et aviateurs alliés ; c’est le document R-110 (USA-333) (Tome IV, page 57). Il y a aussi un discours de Goebbels incitant la population à assassiner les aviateurs alliés, (Tome IV, page 58).
De même, en ce qui concerne la main-d’œuvre étrangère, il existe un télégramme de Rosenberg adressé aux Gauleiter, leur demandant de ne pas empêcher la confiscation des biens de certaines compagnies et de certaines banques.
Il y a la conférence de Jodl aux Reichsleiter et aux Gauleiter, un peu plus tard ; puis une lettre non datée de Bormann à tous les Reichsleiter et Gauleiter, les avisant que l’OKW avait donné des ordres aux sentinelles d’utiliser leurs armes, si besoin était, pour obtenir l’obéissance des prisonniers de guerre.
Sir David, permettez-moi de vous interrompre un moment. Je connaissais les preuves concernant les Gauleiter et Reichsleiter ; mais ma question, si vous vous en souvenez, se rapportait aux chefs de rang inférieur, c’est-à-dire les Blockleiter.
Eh bien, j’estime que même dans le cas des Blockleiter, il existait quatre sources d’information :
Mein Kampf, le programme du Parti, Der Hoheitsträger, et les conférences qui étaient constamment données au sein de l’organisation.
Comme je l’ai dit, j’ai déjà parlé des preuves concernant les Juifs, le lynchage des aviateurs alliés, et je crois avoir mentionné la lettre de Bormann aux Reichsleiter, aux Gauleiter, et aux Kreisleiter, sur l’intensification du travail des prisonniers de guerre. Il y a aussi une instruction de Bormann aux Kreisleiter, qui concerne l’enterrement des prisonniers de guerre soviétiques. Un décret adressé jusqu’à l’échelon des Gruppenleiter assurait le rendement des ouvriers étrangers.
Toutes ces questions ont été présentées au Tribunal. Estimons qu’il y a des preuves particulières sur tous ces points. Sur le plan général, comme je l’ai dit, vous avez les publications qui ont été déposées en même temps que la preuve que des conférences étaient tenues qui, en dehors du Führerprinzip lui-même, permettaient d’assurer l’obéissance du peuple aux désirs du Führer, en se servant des Zellenleiter et des Blockleiter.
Laissez-moi vous poser encore deux questions, qui se rapportent aux SA. Estimez-vous qu’un membre des SA qui aurait adhéré à l’organisation, mettons en 1921, et qui aurait donné sa démission l’année suivante est coupable d’avoir conspire en vue de l’établissement d’un plan de guerre d’agression et coupable de crimes de guerre ?
Oui, dans le même sens que celui où j’ai répondu à votre question, il y a deux jours, au sujet du début de la conspiration. Un homme qui a pris une part active et volontaire, en tant que SA, en 1921, à soutenir le parti nazi, en soutenait également le programme qui avait été publié et qui avait les buts que vous venez de citer.
Je crois que ce point est clairement exposé à l’article 2 du programme : il fallait se débarrasser du Diktat de Versailles, faire l’Anschluss, incorporer tous les Allemands dans le Reich, ce qui est naturellement un euphémisme pour dire "qu’ils voulaient supprimer l’Autriche et la Tchécoslovaquie. L’homme dont nous parlons, avait bien ces buts dans l’esprit.
En ce qui concerne les crimes de guerre, je me permets de répéter la réponse que je vous ai donnée, l’autre jour : c’était un principe essentiel du parti nazi, de n’avoir aucune considération pour la vie et la sécurité d’un peuple qui s’opposerait à leurs ambitions. Une personne qui adhérait délibérément à une organisation qui avait des intentions telles qu’elles étaient de plus en plus clairement exposées et mises en pratique, à mesure que les semaines succédaient aux semaines, prenait part au premier pas important qui devait entraîner le genre humain dans les misères que nous avons vues. Car c’est le principe, appliqué à toutes les circonstances de la vie et de la souffrance humaines qui a causé les crimes poursuivis par ce Tribunal.
Bien ; je vois ce que vous voulez dire sur la participation des crimes de guerre, mais je tiens à être parfaitement clair : comment le fait d’avoir commis des crimes de guerre au début de 1939 pourrait-il être imputé à un homme qui a adhéré aux SA en 1921 et démissionné en 1922 ?
Si vous spécifiez crimes de guerre, je me permets de vous rappeler les derniers termes de l’article 6 : « Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices, qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis, sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan ». D’après le Statut, à mon avis, c’est suffisant pour les rendre responsables de ces crimes.
Une dernière question. D’après vous, quelle était la fonction des SA après la « purge » de Röhm ?
Leur fonction était encore de soutenir toutes les activités nazies dans la vie allemande. Vous vous souviendrez que le Dr Loeffler a soigneusement et. honnêtement écarté le 10 novembre 1938. J’ai donné un autre exemple, de la manière dont les SA furent institués dans le Gouvernement Général. Il y en a eu encore d’autres que vous trouverez, je crois, dans l’annexe que j’ai préparée sur la participation des SA — même si elle était limitée elle existait néanmoins — aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité.
Mais la raison d’être des SA, après cet événement, fut de montrer qu’il restait trois milliers d’hommes organisés qui avaient porté les nazis au pouvoir et qui avaient eu la force de le faire. Deux millions et demi d’adhérents se joignirent encore à eux pour élever très largement leur nombre. Ce chiffre s’abaissa un peu plus tard, mais il était encore très élevé en 1939. Les SA apportèrent au parti nazi une force injustifiée. Elles le soutinrent vivement à toutes les occasions. Partout où devait avoir lieu une manifestation, les SA étaient là pour donner leur appui. Elles formaient un instrument essentiel pour le maintien du contrôle nazi sur le Reich.
Je présume donc que, selon vous, leur fonction n’a pas changé sensiblement après la « purge », n’est-ce pas ?
Leur but ne changea pas. Il ne leur restait pas grand-chose à faire, étant donné qu’à la fin de 1933, tous les autres partis politiques étaient dissous. Un des rôles des SA, ainsi que le Dr Loeffler l’a signalé, consistait à protéger l’accusé Göring lorsqu’il faisait un discours — je dirais plutôt que c’était pour empêcher les autres de parler librement — et à prendre part aux batailles entre les divers groupes. Ce n’était plus nécessaire, car toute opposition politique avait été détruite. Les SA devinrent donc une sorte de rassemblement de personnes toujours prêtes à donner leur aide bruyante et à applaudir à grand fracas Vous avez dû entendre, Monsieur le Président, ces réunions transmises par radio avec leurs applaudissements scandés. Les SA jouaient donc un rôle de soutien plutôt que de moyen de lutte contre l’opposition ; le but était toujours essentiellement le même : conserver l’étreinte.
Docteur Dix, il est 17 h. 15. Pensez-vous que cette discussion puisse se terminer cet après-midi, avant 18 heures ?
Monsieur le Président, je crois pouvoir terminer en cinq minutes.
Très bien. Est-ce que les autres Procureurs désirent ajouter quelque chose ?
Je voudrais faire quelques brèves remarques, Monsieur le Président.
Combien de temps pensez-vous que cela vous prenne ?
Environ dix minutes, je pense, pas davantage.
Est-ce que le Procureur français voudrait ajouter quelque chose ?
Je n’ai rien à ajouter.
Docteur Dix, je voudrais savoir si nous pourrons en terminer avec cette discussion ce soir. Le général Rudenko désire parler pendant dix minutes, et si la Défense... Naturellement, vous comprendrez qu’une discussion de ce genre ne peut se prolonger trop longtemps ; en temps ordinaire, on entend l’avocat d’une partie, puis l’avocat de l’autre, puis les réponses. Mais on ne va pas au delà. Savez-vous combien d’avocats désirent parler ?
Je le sais, Monsieur le Président.
Je crois que nous ferions mieux de suspendre l’audience maintenant et de siéger en audience publique demain. Nous pourrons demain terminer cette discussion en une heure. Êtes-vous d’accord, général Rudenko ?
Je suis d’accord, Monsieur le Président
Les avocats pensent-ils que nous pourrons conclure en une heure demain matin ?
Très bien, nous allons donc lever l’audience jusqu’à dix heures demain matin.