SOIXANTE-TREIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 4 mars 1946.
Audience du matin.
Il y a quelques jours, le Tribunal a donné des instructions afin de faire coïncider la lecture à l’audience du rapport officiel britannique, relatif aux responsabilités de l’assassinat de 50 officiers de la RAF avec l’interrogatoire du général Westhoff et du Haut conseiller à la Cour, Wielen. Permettez-moi de citer quelques-uns des passages essentiels de ce rapport officiel du Gouvernement britannique. Je cite les parties du document qui, d’une part, indiquent les caractéristiques générales de ce crime et, d’autre part, en déterminent la responsabilité.
Colonel Smirnov, vous déposez ce document ? Vous voulez le faire accepter comme preuve ?
Ce document a déjà été déposé, Monsieur le Président, il a déjà été admis par le Tribunal et je ne voudrais en citer que quelques extraits. Il est déposé sous le n° URSS-413.
Très bien.
Je cite le premier paragraphe du rapport officiel britannique :
« Dans la nuit du 24 au 25 mars 1944, 76 officiers de la Royal Air Force s’enfuirent du Stalag Luft III à Sagan en Silésie, où ils étaient détenus comme prisonniers de guerre. Quinze d’entre eux furent rattrapés et ramenés au camp, trois purent s’enfuir de façon définitive et huit furent détenus par la Gestapo après avoir été rattrapés. En ce qui concerne les 50 autres, l’information suivante fut donnée par les autorités allemandes :
a) Le 6 avril 1944, à Sagan, le lieutenant-colonel Cordes qui remplissait les fonctions de commandant du Stalag Luft IlI, lut au doyen des officiers britanniques, le Group Captain Massey, une communication officielle du Haut Commandement allemand d’après laquelle 41 officiers (dont les noms n’étaient pas indiqués) avaient été fusillés, quelques-uns d’entre eux ayant offert une résistance au moment de leur arrestation, d’autres, ayant essayé de s’enfuir pendant qu’on les ramenait à leur camp ;
b) Le 15 avril 1944, à Sagan, un membre de l’État-Major allemand du camp, le capitaine Pieber, communiqua au nouveau doyen des officiers britanniques, le Group Captain Wilson, la liste des 47 officiers fusillés ;
c) Le 18 mai 1944, à Sagan, le doyen des officiers britanniques reçut communication des noms de trois autres officiers, ce qui porte le total à 50 ;
d) Le 12 juin 1944, ou aux environs de cette date, le ministre de Suisse à Berlin reçut du ministère allemand des Affaires étrangères, en réponse à l’enquête qu’il effectuait à ce sujet, une note déclarant que 37 prisonniers de nationalité britannique et 13 prisonniers de nationalité non britannique avaient été fusillés à la suite de la résistance opposée au moment où ils avaient été rattrapés ou au moment d’une tentative d’évasion. Cette note mentionne également le retour à Sagan des urnes contenant leurs cendres, afin qu’il soit procédé à leur inhumation ».
La note officielle allemande indique donc que ces officiers avaient été fusillés alors qu’ils tentaient de s’enfuir. En réalité, comme l’a montré la commission d’enquête britannique, ces officiers avaient été tués par la Gestapo sur l’ordre direct de Keitel, et Göring le savait parfaitement. Je me permettrai, pour confirmer ceci, de citer deux paragraphes ou plutôt deux points de ce rapport officiel britannique et, notamment, les points 7 et 8. Je commence la citation :
« Le Generalmajor Westhoff était, au moment de ces évasions, le chef de la section générale des prisonniers de guerre. Le 15 juin 1945, il fit une déclaration dans laquelle il disait que lui-même et le général von Grävenitz, inspecteur des camps de prisonniers de guerre, avaient été appelés à Berlin quelques jours après cette tentative d’évasion et avaient été interrogés par Keitel. Ce dernier leur dit qu’il avait été blâmé par Göring, en présence de Himmler, parce qu’il avait laissé échapper des prisonniers de guerre. Keitel déclara : « Messieurs, ces évasions doivent cesser. Nous devons faire « un exemple, nous prendrons des mesures extrêmement sévères. Je « ne peux que vous dire que les officiers qui se sont enfuis seront « fusillés. Je pense que la plupart d’entre eux sont déjà morts. » « A une objection de von Grävenitz, Keitel répondit : « Ceci m’est « complètement égal. Nous en avons parlé devant le Führer et nous « n’y pouvons rien changer. »
Je continue ma citation au paragraphe 8 du rapport officiel britannique :
« Max Ernst Gustav Friedrich Wielen était à cette époque l’officier qui commandait la Police Criminelle à Breslau. Il a également fait une déclaration, datée du 26 août 1945, dans laquelle il déclarait que pratiquement tous les officiers de la Royal Air Force qui s’étaient enfuis avaient été repris et qu’aussitôt après, il avait été appelé à Berlin où il fut mis en présence d’Arthur Nebe, chef de la Police criminelle, qui lui montra un ordre télégraphique de Kaltenbrunner déclarant que, sur l’ordre exprès du Führer, plus de la moitié des officiers qui s’étaient enfuis de Sagan devaient être fusillés après avoir été repris. Il a été établi que Müller avait reçu des ordres correspondants et qu’il devait les transmettre à la Gestapo. D’après Wielen, la Police criminelle qui était responsable du regroupement de tous les prisonniers repris, remit à la Gestapo ceux qui devaient être fusillés ainsi qu’une liste des prisonniers de guerre que les autorités du camp considéraient comme des perturbateurs. »
Je voudrais encore citer la partie du rapport officiel du Gouvernement britannique qui traite des méthodes d’enquête appliquées aux officiers individuellement.
Cette documentation a été classée et divisée en trois parties. Je voudrais citer les dates des enquêtes pour ces trois parties. Je cite à la page 3, paragraphe 2 du texte russe :
« Les capitaines Wernham, Kiewnarski, Pawluk et Skanziklas.
Le 26 mars 1944 ou aux environs de cette date...
Colonel Smirnov, avez-vous l’intention de donner lecture des documents sur lesquels est basé ce rapport ?
Je voudrais seulement, Monsieur le Président, citer maintenant le texte du rapport, et notamment les parties qui témoignent des méthodes d’investigation appliquées aux officiers, individuellement. Je voudrais donner lecture du paragraphe de ce rapport, traitant des trois groupes d’officiers.
Le paragraphe 4 ?
Oui.
Très bien.
Je cite :
« Le 26 mars 1944 ou aux environs de cette date, ces officiers furent interrogés au commissariat de police de Hirschberg et furent transférés à la prison civile de cette ville. Au matin du 29 mars, Pawluk et Kiewnarski furent emmenés, et un peu plus tard Skanzikias et Wernham. Les deux groupes étaient sous escorte, mais leur destination était inconnue. On ne les a pas revus depuis et les urnes qui arrivèrent plus tard au Stalag avec leurs noms portaient la date du 30 mars 1944. »
Et maintenant, le groupe des officiers aviateurs britanniques :
« Le commandant Cross, les capitaines Casey, Wiley et Leigh et les lieutenants Pohe et Hake.
Entre le 26 et le 30 mars 1944, ces officiers furent interrogés au quartier général de la Police criminelle à Görlitz, puis ramenés à la prison, dans cette même ville. Pendant l’interrogatoire, Casey se vit déclarer qu’il perdrait sa tête, Wiley et Leigh qu’ils seraient fusillés. Hake avait de graves engelures et était incapable de marcher à pied, ne fût-ce que sur une courte distance. Le 30 mars, les officiers quittèrent Görlitz dans trois voitures, accompagnés par dix civils allemands du genre Gestapo. Les urnes qui furent envoyées ensuite au Stalag portaient leurs noms et prouvaient que leurs cadavres avaient été brûlés à Görlitz le 31 mars 1944.
Les capitaines Humphreys, McGill, Swain, Hall, Langford et Evans, les lieutenants d’aviation Valenta, Kolanowski, Stewart et Birkland. Ces officiers furent interrogés au quartier général de la Police criminelle à Gorlitz entre le 26 et le 30 mars. On dit à Swain qu’il serait fusillé, on menaça Valenta et on lui déclara qu’il ne s’enfuirait plus jamais. Kolanowski était extrêmement déprimé après cet interrogatoire. Le 31 mars, les officiers furent emmenés par un groupe de civils allemands dont l’un au moins appartenait au groupe qui était venu le jour précédent. Les urnes reçues plus tard au Stalag portaient leurs noms et montraient que leurs corps avaient été brûlés à Liegnitz, à une date qui n’a pas été définie. »
Je désire attirer l’attention du Tribunal sur le fait qu’on dispose d’indications analogues au sujet d’autres officiers également abattus par les Allemands au Stalag Luft IlI.
La page suivante du texte donne des indications concernant les capitaines Grisman, Gunn, Williams et Milford, le lieutenant Street et le sous-lieutenant McCarr. On a des renseignements analogues pour le capitaine Long, le commandant J. E. Williams, les capitaines Bull et Mondschein, le lieutenant Kierath, le lieutenant Stower, le capitaine Tobolski, le lieutenant Krol, les capitaines Wallen, Marcinkus et Brettell, le lieutenant Picard ainsi que les lieutenants Gouws et Stevens, le commandant Bushell et le lieutenant Scheidhauer, le lieutenant Cochran, les lieutenants Espelid et Fugelsang, le commandant Kirby-Green, le lieutenant Kidder, le commandant Catanach, le lieutenant Christensen et le capitaine Hayter.
Je me permettrai, par la suite, de citer encore un point de ce rapport, et notamment le paragraphe 6 du rapport officiel britannique, ainsi que le paragraphe 5, qui est également important.
J’allais vous demander de lire le paragraphe 5.
Je cite le paragraphe 5 :
« Conformément à la déposition des survivants, aucun de ces officiers n’avait résisté lors de son arrestation, ni n’avait, par la suite, essayé de s’enfuir. Tous étaient d’accord sur le fait que les conditions météorologiques étaient défavorables et que cette tentative aurait été une folie. Ils voulaient revenir au Stalag, accomplir leur temps de punition et ensuite tenter leur chance une nouvelle fois.
Le représentant suisse, M. Gabriel Naville, faisait remarquer, le 9 juin 1944, dans son rapport sur sa visite à Sagan, que la crémation des corps des prisonniers de guerre morts était absolument insolite — l’usage voulant qu’on enterrât les corps dans un cercueil et qu’on leur rendît les honneurs militaires — et que c’était la première fois, à sa connaissance, que les corps des prisonniers de guerre étaient incinérés. On peut remarquer ensuite que si, comme le prétendaient les Allemands, ces 50 officiers qui furent rattrapés dans des régions de l’Allemagne très diverses, avaient opposé une résistance quelconque au cours de leur arrestation, ou avaient essayé de s’enfuir par la suite, il est probable que quelques-uns d’entre eux auraient été blessés, et très improbable qu’ils aient tous été tués. A cet égard, il est extrêmement significatif que le ministère allemand des Affaires étrangères ait refusé de donner à la Puissance protectrice les détails habituels sur les circonstances dans lesquelles chacun de ces officiers avait perdu la vie. »
Ce sont là les parties du rapport officiel du Gouvernement britannique que j’ai eu l’honneur d’exposer au Tribunal.
Je crois qu’il serait peut-être préférable de lire également l’appendice afin de donner le résumé des preuves sur lesquelles s’appuie le rapport, paragraphe 9.
Je ne désirais pas à l’origine lire cet appendice, parce qu’il a déjà été cité en son temps par Sir David Maxwell-Fyfe. Je vais le relire avec plaisir.
« 9. Cet appendice donne la liste des preuves documentaires sur lesquelles est fondé ce rapport. Les documents auxquels il se rapporte y sont joints. Appendice :
Preuves documentaires sur lesquelles est basé le rapport ci-dessus :
1° Procès-verbaux de la Commission d’enquête instituée à Sagan sur l’ordre du doyen des officiers britanniques, au Stalag Luft IlI et transmis par la Puissance protectrice.
2° Déclarations des témoins alliés suivants :
a) lieutenant-colonel Day ;
b) capitaine Tonder ;
c) capitaine Dowse ;
d) capitaine Wymeersch ;
e) capitaine Green ;
f) capitaine Marshall ;
g) capitaine Nelson ;
h) capitaine Churchill ;
i) lieutenant Neely ;
j) adjudant-chef Hicks.
3° Déclarations des Allemands suivants :
a) Generalmajor Westhoff ;
b) Oberregierungsrat und Kriminalrat Wielen (deux dépositions) ;
c) colonel von Lindeiner.
4° Photocopie de la liste officielle des morts, remise par le ministère allemand des Affaires étrangères à la légation suisse à Berlin, le 15 juin 1944, ou aux environs de cette date.
5° Rapport du représentant de la Puissance protectrice, sur sa visite au Stalag Luft III, le 5 juin 1944 ».
Colonel Smirnov, pour le procès-verbal, vous devriez peut-être aussi lire les signatures et l’inscription figurant à la fin du document.
Le document est signé par le général de brigade Shapcott, attaché militaire, et est certifié conforme par le ministère de la Guerre, bureau du Procureur Général militaire, Londres, 25 septembre 1945.
Colonel Smirnov, dans la mesure où il s’agit du Procureur Général russe, est-ce que ceci constitue la fin de l’exposé du Ministère Public ?
Oui.
Merci.
Monsieur le Président, le rapport présenté à l’instant par le Ministère Public soviétique se rapporte, dans son paragraphe 9, à des documents dont on a déclaré qu’ils ont servi de base et qu’ils sont joints au rapport. A l’appendice se trouve la liste des différents documents sur lesquels se base ce rapport. Je prie le Tribunal de décider si le document URSS-413 satisfait aux exigences formulées par l’article 21 du Statut puisque les documents sur lesquels il se fonde et qui sont expressément mentionnés dans le rapport n’ont pas été produits en même temps. Je prie le Tribunal de demander au Ministère Public de présenter également ces documents à la Défense.
Docteur Nelte, voulez-vous dire que vous n’avez eu que le rapport du général de brigade, et que vous n’avez vu aucune partie des autres documents sur lesquels le rapport est fondé ?
A une phase antérieure de ce Procès, le Tribunal avait décidé...
Oui, mais je ne vous ai pas demandé ce que nous avons décidé, je vous demande ce que vous avez reçu. Avez-vous reçu du Ministère Public l’ensemble des documents ou seulement le rapport du général de brigade ?
Je n’ai reçu que le rapport, sans l’appendice.
Le Tribunal avait certainement l’intention de faire remettre à la Défense la totalité du document. Il faudra le faire rechercher afin que vous puissiez avoir tous les documents.
Ceci n’a apparemment pas eu lieu. Dans l’annexe, on se réfère expressément à des déclarations du général Westhoff et de l’Oberregierungsrat Wielen. Le texte de ces deux déclarations m’est inconnu. Il n’est pas joint au rapport.
Il faut que vous les ayez. Le Ministère Public doit veiller à ce que l’ensemble du document sois mis à la disposition de la Défense.
Monsieur le Président, je ne crois pas que l’ensemble du document ait été polycopié, mais si le Dr Nelte veut nous faire savoir s’il désire l’avoir en totalité ou en partie seulement, nous l’aiderons de notre mieux. Nous ne désirons absolument pas lui refuser quoi que ce soit. Nous désirons qu’il ait tout ce qu’il désire.
Sir David, pourriez-vous dire au Tribunal si le Ministère Public a maintenant terminé son exposé ?
Oui, Monsieur le Président. Ceci termine notre exposé.
Très bien. Dans ce cas, le Tribunal va continuer à examiner les demandes de documents et de comparution de témoins, présentées par le deuxième groupe de quatre accusés : Kaltenbrunner, Rosenberg, Frank et Frick.
L’accusé Kaltenbrunner demande la comparution d’un certain nombre de témoins que je vais me permettre de nommer. D’abord, le professeur Dr Burckhardt.
Avec la permission du Tribunal, nous adopterons la même procédure que pour les quatre premiers accusés.
En ce qui concerne les trois témoins suisses, Burckhardt, Brachmann et Meyer, l’envoi de questionnaires a été autorisé le 15 décembre ; ils ont été déposés le 28 janvier. Le Ministère Public considère que ces questionnaires sont assez vagues et propose qu’ils soient rédigés sous une forme plus précise. Le Ministère Public n’a aucune objection de principe contre ces questionnaires et je suis sûr qu’en ce qui concerne leur forme, le Ministère Public et le Dr Kauffmann pourraient facilement s’entendre. Ceci s’applique aux trois premiers témoins.
Nous apprenons qu’aucun de ces trois témoins n’a encore pu être joint.
Je suis respectueusement d’accord, Monsieur le Président. Le Ministère Public n’a pas d’objections de principe à ces questionnaires et si nous pouvons aider le Tribunal à trouver ces témoins, nous serons heureux de le faire.
Quand les questionnaires ont-ils été remis au Ministère Public ?
Le 28 janvier, Monsieur le Président.
Les objections du Ministère Public ont-elles été communiquées à la Défense peu de temps après, ou quand ?
Je regrette. Je crains de ne pas savoir la date, Monsieur le Président.
Le mieux ne serait-il pas que le Ministère Publie approuvât sur une formule de questionnaire convenable, tandis que le Secrétaire Général continuerait son enquête afin de trouver les témoins ?
Si le Dr Kauffmann veut bien se mettre en rapport avec moi, je suis certain que nous pouvons nous mettre d’accord sur une forme qui reçoive notre approbation mutuelle.
Très bien.
Il n’est donc, je crois, pas nécessaire que je répète le détail des questions mentionnées dans le questionnaire. Il y en a 19. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de les répéter.
Non, certainement pas.
Le quatrième témoin est l’ex-ambassadeur d’Allemagne à Belgrade, Neubacher. Il se trouve en ce moment au camp d’internement d’Oberursel, près de Francfort prisonnier des Américains.
Nous n’avons pas d’objections en ce qui concerne ce témoin.
Le Tribunal désire-t-il que j’indique le sujet de déposition ?
Oui, je vous prie.
Neubacher, de l’avis de l’accusé Kaltenbrunner, pourra témoigner que l’ordre donné par Hitler en octobre 1944 de cesser la persécution des Juifs, fut le résultat d’une suggestion de Kaltenbrunner. Ce témoin pourra, en outre, témoigner que lorsque Himmler fut nommé chef du RSHA, il chargea l’accusé de s’occuper des départements IlI et IV. Ceci me semble très important, car jusqu’ici l’accusation se basait sur le fait — et certains documents semblent le prouver — que des liens certains existaient entre l’accusé et l’Amt IV. Neubacher pourrait témoigner à ce sujet.
Docteur Kauffmann, si ce sont là les questions que vous avez l’intention de poser à Neubacher, ne pourraient-elles l’être au moyen d’un questionnaire ?
D’après les informations que Kaltenbrunner m’a données, il attache une grande importance, pour des raisons faciles à comprendre, à la présence de ce témoin à l’audience. Je crois que Kaltenbrunner considère ce témoin comme l’un des plus importants. Il aimerait beaucoup qu’il comparaisse.
Le Tribunal examinera cette question.
Le témoin suivant est le n° 5, Wanneck. Il est en prison en zone américaine, à Heidelberg.
Le Ministère Public estime que la déposition du témoin Wanneck fait double emploi. D’après la requête du Dr Kauffmann, ce témoin doit déclarer que Kaltenbrunner s’occupait principalement du service de renseignements et qu’il était opposé à la persécution des Juifs. Cette question est déjà traitée par le témoignage de Neubacher, et par le contre-interrogatoire du témoin cité par le Ministère Public, Schellenberg, qui était le chef de l’Amt IV. Comme le Dr Kauffmann l’a fait ressortir dans sa note sur le témoin n° 4, Neubacher, l’Amt IV était un service de renseignements.
Je laisse au Tribunal le soin de décider si on peut ou non avoir recours à un interrogatoire écrit de ce témoin. Mais je considère que le témoignage de Wanneck est d’importance. On peut le considérer comme cumulatif dans une certaine mesure, mais certains détails le font aller plus loin. Je suis donc d’accord, en principe, pour une déposition écrite.
Le sixième témoin est Scheidler.
Sir David, pensez-vous qu’il serait inopportun d’envoyer un questionnaire ?
D’une manière générale, je n’y vois aucune objection. En ce qui concerne Scheidler, il était, si je comprends bien la requête, l’adjoint de l’accusé Kaltenbrunner et, à ce titre, le Ministère Public n’y voit pas d’objection. Mais je pense qu’il est opportun d’attirer l’attention du Tribunal sur le fait que les six témoins suivants, de 6 à 11 inclus, doivent tous traiter des camps de concentration. Les témoins 6, 8, 9 et 11 traitent de Mauthausen. Je voudrais prévenir le Dr Kauffmann que je demanderai qu’on procède à un choix parmi ces six témoins.
Le Ministère Public est d’avis que la requête pour l’adjoint de Kaltenbrunner est opportune, mais qu’elle amènera des objections en ce qui concerne des témoins ultérieurs.
L’accusé considère naturellement comme important que son adjoint soit entendu, car ce dernier a été à son service pendant des années et l’a accompagné dans tous ses voyages, comme Kaltenbrunner me l’a dit lui-même. Il sait, par exemple, que le message radiotélégraphique à Fegelein, mentionné dans l’Accusation, ne provient pas de Kaltenbrunner, et que ce radiogramme n’a jamais été envoyé ; il sait également que Kaltenbrunner avait fait tous les préparatifs pour que le camp de Theresienstadt fut rendu accessible à la Croix-Rouge. Ce sont là des faits dont les témoins cités jusqu’ici n’ont pas fait mention, mais qui jettent une certaine lumière sur la personnalité de l’accusé.
Vous parlez de Scheidler ?
Oui.
Sir David, le Tribunal voudrait que vous traitiez de l’ensemble de ce groupe de témoins. Après quoi, le Dr Kauffmann pourra vous répondre.
Avec plaisir, Monsieur le Président. Le témoin suivant est Ohlendorf, qui a déjà été appelé comme témoin par le Ministère Public. Comme j’ai pu le voir, la situation est la suivante : le Dr Kauffmann a contre-interrogé le témoin Ohlendorf sur la responsabilité de Kaltenbrunner au sujet des camps de concentration, le 3 janvier de cette année. Ceci figure au procès-verbal (Tome IV, page 343).
Le témoin n° 12, Wisliceny, n’a pas été contre-interrogé par le Dr Kauffmann en tant que défenseur de Kaltenbrunner. Il serait tout indiqué pour traiter de cette question. Naturellement, si le Dr Kauffmann tient particulièrement à faire comparaître à nouveau Ohlendorf, il en avisera le Tribunal. Telle est la situation.
Docteur Kauffmann, si vous avez eu la possibilité d’interroger contradictoirement le général Ohlendorf et avez mis a profit cette occasion, n’était-ce pas le moment de lui poser les questions que vous aviez à poser au nom de l’accusé Kaltenbrunner ?
Monsieur le Président, je me permettrai de vous rappeler que Kaltenbrunner a été malade pendant plus de 12 semaines et que je n’ai pu obtenir de lui à peu près aucune information. Lors de l’audience du 2 janvier, le Tribunal m’avait accordé expressément le droit de procéder au contre-interrogatoire des témoins à une date ultérieure. J’avais — le Tribunal s’en souviendra — demandé un délai et il me fut alors permis de procéder au contre-interrogatoire des témoins au moment qui me conviendrait. Ceci est noté au procès-verbal de l’audience du 2 janvier.
Comme ces témoins ont tous été entendus en l’absence de Kaltenbrunner, j’aimerais procéder aux contre-interrogatoires en sa présence. Je suis prêt, néanmoins, à y renoncer si j’ai la possibilité de parler auparavant au témoin. Peut-être alors s’avérera-t-il qu’il n’est pas nécessaire d’entendre l’un ou l’autre des témoins.
Qu’entendez-vous par l’un ou l’autre des témoins ? Quel est l’autre témoin ? Voulez-vous dire Wisliceny ?
Le n° 7, Ohlendorf, puis le n° 11, Höllriegl, le n° 12, Wisliceny ainsi que le n° 14, Schellenberg. Tous ces témoins ont déjà été entendus ici lors de la maladie de Kaltenbrunner.
Qu’en pensez-vous, Sir David ?
Je proposerais que le Dr Kauffmann interroge contradictoirement les témoins n° 11, Höllriegl et n° 12, Wisliceny, qui n’ont pas été contre-interrogés jusqu’à présent. Ensuite, s’il reste encore des points particuliers à traiter par le témoin Ohlendorf, le Dr Kauffmann pourra présenter une requête particulière au Tribunal.
Oui, le Tribunal aimerait connaître votre position au sujet de la proposition faite par la Défense, en vue d’une entrevue avec les témoins et de la discussion de leurs témoignages avant leur comparution. Je crois qu’il y a une distinction entre le contre-interrogatoire, avant lequel les avocats des accusés n’ont pas le droit de voir les témoins, et la comparution d’un témoin, avant laquelle la Défense a la possibilité de s’entretenir avec lui.
Le Ministère Public estime qu’à moins de circonstances très spéciales, doivent simplement être contre-interrogés les témoins cités par le Ministère Public. Je crois que le Dr Seidl a parlé de circonstances spéciales touchant le cas d’un témoin concernant spécialement l’accusé Hess. Mais, en règle générale, le Ministère Public est d’avis que les témoins cités par lui doivent être contre-interrogés par la Défense sans qu’ait lieu au préalable un entretien privé.
Sir David, le Tribunal voudrait connaître votre opinion. Évidemment, nous ne trancherons pas la question maintenant, mais nous voudrions savoir si vous pensez qu’il serait opportun de permettre aux avocats des accusés de voir les témoins en question en présence d’un représentant du Ministère Public ; cela permettrait peut-être d’abréger les débats si, à la suite, les avocats ne désirent plus procéder au contre-interrogatoire du témoin.
Je crains que cela ne nécessite des entretiens avec mes collègues sur chaque témoin en particulier. Je n’ai malheureusement pas encore traité ce point avec eux. Les témoins 11 et 12 ont été cités par mes collègues américains et, sans revenir sur l’opinion que j’ai exposée au Tribunal, je serais heureux d’en parler avec eux et d’en informer le Tribunal, peut-être un peu plus tard dans la journée. Bien entendu, il se peut qu’il surgisse en l’occurrence une question spéciale concernant un témoin particulier.
Peut-être puis-je donner quelques explications. Le témoin Ohlendorf m’avait été réservé pour un contre-interrogatoire. A la suite d’un arrangement avec le Ministère Public américain, j’ai renoncé à contre-interroger Ohlendorf, moyennant quoi j’ai été autorisé à lui parler. Il me semblerait équitable que cette mesure fût également appliquée aux autres témoins. Je renonce au contre-interrogatoire et j’aurai l’autorisation de parler aux témoins au préalable. Il se peut que l’un ou l’autre des témoignages se révèle mutile.
Je ne suis pas très sûr, Docteur Kauffmann, que vous ayez compris ce qu’on vient de vous dire. Nous sommes d’avis que, quand un témoin est cité par le Ministère Public, les avocats des accusés ont certainement le droit de le contre-interroger, mais non pas de le voir au préalable. Mais, d’autre part, si la Défense cite un témoin pour son propre compte, l’avocat alors, a le droit de le voir auparavant...
Oui, c’est ce que je veux dire, mais si je peux parler au témoin au préalable, le Tribunal comprendra bien que j’aimerais autant que possible éviter la présence d’un représentant du Ministère Publie, car les raisons pour lesquelles je pourrais être amené à renoncer à un témoin seraient alors connues du Ministère Public. Je pense que le Tribunal comprendra cela et cela me paraît également équitable.
Je voulais simplement faire ressortir la différence d’opinion entre le Ministère Publie et vous-même. Le Ministère Public dit que s’il cite un témoin, la Défense n’a le droit que de le contre-interroger.
Pouvez-vous continuer au sujet de ce groupe, Sir David ?
Certainement. En ce qui concerne le témoin n° 8, Eigruber, il n’est plus à Nuremberg ; il est arrêté comme accusé éventuel au procès du camp de Mauthausen qui sera jugé par un Tribunal militaire ; le Ministère Public suggère donc que, puisqu’il fait partie du groupe de témoins traitant des camps de concentration en général et de Mauthausen en particulier, il dépose au moyen d’un questionnaire.
En ce qui concerne le témoin n° 9, Höttl, il doit déposer sur deux aspects d’un même point, à savoir que Kaltenbrunner donna de sa propre initiative l’ordre d’abandonner le camp de Mauthausen et qu’il prit des mesures pour faire relâcher par Himmler les détenus des camps de concentration. Ceci semble encore constituer des points d’ordre général qui peuvent être traités au moyen de questionnaires.
Ceci est également valable pour le témoin von Eberstein, qui doit déposer sur le fait que Kaltenbrunner n’aurait pas donné l’ordre de détruire le camp de concentration de Dachau, et qu’il n’a pas donné l’ordre d’évacuer Dachau. Le Ministère Public suggère que cette déposition fasse l’objet d’un questionnaire.
En ce qui concerne le témoin suivant, Höllriegl, le Ministère Public n’a pas d’objection à ce qu’il soit à nouveau contre-interrogé. Il suggère respectueusement au Tribunal de faire déposer ce témoin au sujet de Mauthausen qui est une des principales questions sur lesquelles ce groupe de témoins doit déposer.
Puis-je ajouter quelque chose ?
Voulez-vous inclure également dans ce groupe le témoin n° 12 ?
Il n’est pas dans ce groupe parce qu’il traite de la question des rapports de Kaltenbrunner avec Eichmann et des rapports qu’il a reçus concernant les mesures antisémites. Nous n’avons pas d’objection à ce que ce témoin soit de nouveau appelé en vue d’un contre-interrogatoire, car le Dr Kauffmann ne l’a pas encore interrogé contradictoirement.
Bien. Docteur Kauffmann ?
En ce qui concerne le témoin Eigruber, n° 8, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait que ce témoin se trouve ici à Nuremberg, mais je suis d’accord pour envoyer un questionnaire. La nature de sa déposition me semble être importante, car ce que doit prouver Eigruber n’est ni plus ni moins que ceci : le camp de concentration de Mauthausen était dirigé directement par Himmler, par l’intermédiaire de Pohl et du commandant du camp. Kaltenbrunner nie avoir eu des connaissances détaillées au sujet du camp de Mauthausen. Le témoin Höttl...
Vous faisiez erreur en disant qu’il était ici à Nuremberg. Sir David dit qu’il a quitté Nuremberg en vue de comparaître devant un Tribunal militaire. Peut-être, dans ce cas-là, ne verriez-vous pas d’objections à ce qu’on procède à un interrogatoire écrit.
Oui. Le témoin Höttl est, d’après moi, un témoin important. On sait que Kaltenbrunner est accusé également d’avoir participé à la conspiration contre la Paix. Sur ce point, je me propose de prouver que Kaltenbrunner dès 1943 a mené une politique de paix active. Un nom important à cet égard est celui de M. Dulles. D’après Kaltenbrunner, il aurait été l’homme de confiance du Président Roosevelt. M. Dulles était en Suisse et, d’après les indications de Kaltenbrunner, nombreux contacts furent pris dans ce but. Je pense que la nature de cette preuve est pertinente.
Vous voulez dire que vous voulez entendre le Dr Höttl en personne et qu’il ne peut pas déposer au moyen d’un questionnaire ?
Oui, si je peux le demander.
Le Tribunal examinera cette question.
Le témoin n° 10, le général de la Police Eberstein est cité pour prouver que les allégations d’un autre témoin nommé Gerdes sont inexactes. Le Tribunal se souviendra peut-être que le Ministère Public avait présenté une déposition sous serment provenant d’un nommé Gerdes qui a joué un rôle important à Munich. C’était l’homme de confiance de l’ancien Gauleiter de Munich. Dans cette déclaration sous serment, ce Gerdes accuse Kaltenbrunner d’avoir donné l’ordre de détruire Dachau par bombardement. Ceci est formellement contesté par Kaltenbrunner.
Cette question peut sans inconvénient être traitée au moyen de questionnaires ; nous saurons ainsi si, oui ou non, Kaltenbrunner a donné l’ordre de détruire le camp de concentration de Dachau ou celui d’évacuer Dachau ? Ce sont là des questions qui peuvent sans aucun doute être réglées au moyen de questionnaires.
Je suis d’accord. En ce qui concerne le témoin suivant n° 11, Höllriegl, qui a déjà été entendu, le même problème se présente ; à savoir : aurai-je la possibilité de parler au témoin avant sa déposition ? Kaltenbrunner conteste qu’il ait jamais vu de chambres à gaz.
Docteur Kauffmann, le témoin n° 11 ne fait-il pas double emploi avec le témoin n° 6 que vous désiriez tout particulièrement citer ?
Oui, Monsieur le Président.
De toute manière, le Tribunal examinera la question de savoir si vous serez autorisé simplement à contre-interroger le témoin ou, dans le cas des témoins 11 et 12, à les citer vous-même.
Oui. Encore un mot au sujet du témoin n° 12. Il est bien connu que Eichmann est l’homme qui a exécuté toute l’opération d’extermination des Juifs. Et le nom de Kaltenbrunner a été mentionné en relation avec cette opération. Kaltenbrunner nie y avoir participé. C’est pour cela aussi que je considère que le témoin Wisliceny est important.
Oui. Nous en avons ainsi terminé avec ce groupe. Et les autres, Sir David ? Sont-ils dans la même catégorie ?
Pas exactement, mais je crois qu’il serait opportun que j’en parle maintenant. Le n° 13, Dr Mildner, doit témoigner que Kaltenbrunner n’a pas autorisé le chef de la Gestapo à signer des ordres de détention préventive ou d’internement. Je suggère, qu’étant donné les preuves apportées précédemment par Scheidler et par Neubacher, le n° 4, le témoignage du Dr Mildner, fait double emploi et que des questionnaires doivent suffire.
En ce qui concerne Schellenberg, le n° 14, j’ai déjà dit que le Ministère Public ne fait pas d’objection à sa nouvelle comparution en vue d’un contre-interrogatoire.
Enfin, le Dr Rainer ; nous nous opposons à la citation de ce témoin : en effet, l’objet de sa déposition, la recommandation de Kaltenbrunner aux Gauleiter d’Autriche de ne pas s’opposer à l’avance des troupes des puissances occidentales et de ne pas organiser de mouvements de « Werwolf » est, à notre avis, étranger aux débats de ce Tribunal.
Oui. Dr Kauffmann ?
Le témoin n° 13, Dr Mildner, se trouve en prison à Nuremberg. J’ai demandé que ce témoin soit cité parce qu’il a remis une déposition sous serment, contenant certaines accusations contre l’accusé Kaltenbrunner, que Kaltenbrunner conteste. Je ne crois pas qu’on puisse élucider la question avec un questionnaire.
J’en viens au témoin 14...
Le Dr Mildner avait déposé un affidavit ?
Oui.
Il y a dans l’Acte d’accusation une référence à la déposition sous serment du témoin en question. Je crois que ceci se passait le 3 janvier. Le nom de ce témoin apparaît en corrélation avec les charges présentées contre Kaltenbrunner. Il y a une ou deux dépositions sous serment...
Si l’affidavit n’a pas été déposé devant le Tribunal, nous n’y pouvons rien.
Nous ne l’avons pas vu autant que je me souvienne. Savez-vous quelque chose à ce sujet, Sir David ?
Je n’ai pas pu retrouver cet affidavit du Dr Mildner ; je ne m’en souviens pas, mais je vérifierai volontiers la référence que le Dr Kauffmann a donnée.
Naturellement, si le Ministère Public a fait usage de l’affidavit, vous n’auriez pas d’objection à ce que le témoin soit cité en vue d’un contre-interrogatoire ?
Non, en principe. La raison pour laquelle je suis surpris est que c’est en général ce point de vue qui a été défendu quand on a cherché à faire usage de l’affidavit ; le défenseur a demandé à ce que le témoin soit cité ; mais je ferai faire des recherches sur ce point particulier. Mais, d’une manière générale, le Tribunal peut être persuadé que, à moins que nous ne mettions en avant un point particulier, quand un affidavit a été déposé par le Ministère Public et que nous n’en n’avons pas discuté, c’est que nous tenons à faire comparaître le témoin, si cela est opportun.
Je n’ai pas compris que le Dr Kauffmann ait dit que l’affidavit avait été réellement déposé par le Ministère Public, mais qu’on y avait fait quelque allusion. Est-ce exact Docteur Kauffmann ?
Je peux vérifier cela en quelques minutes, si vous le permettez, Monsieur le Président. J’ai les dossiers du 3 janvier sous la main.
Docteur Kauffmann, nous allons vous donner l’occasion de vérifier. Nous suspendons l’audience pendant dix minutes.
Dans le procès-verbal du 2 janvier, le nom de Mildner apparaît non point à propos d’un affidavit mais à propos d’une lettre émanant d’un tiers. Cette lettre n’est que mentionnée. Ce n’est donc pas un affidavit. Je voudrais demander que Mildner soit interrogé par écrit.
Maintenant, le témoin n° 15...
Le n° 14... ?
Nous avons déjà traité du témoin n° 14.
Bien. Alors nous passons au n° 15.
Le n° 15 est l’ancien Gauleiter Rainer. Je voudrais également vous demander d’entendre ce témoin, qui se trouve actuellement à Nuremberg. L’objet de sa déposition me paraît suffisamment important. Ce n’est pas que l’Accusation ait prétendu le contraire, mais si nous traitons de la paix et des violations qu’elle a subies, il me paraît opportun que l’accusé essaye de prouver qu’il a tout fait pour éviter que plus de sang ne soit répandu.
Un questionnaire vous satisferait-il en ce qui concerne ce témoin ?
Oui, Monsieur le Président.
Bien.
Je n’ai encore déposé aucun document, Monsieur le Président. Plus tard, je pourrai présenter quelques affidavits, mais comme je ne les ai pas encore reçus, je ne puis le faire en ce moment.
Le Tribunal entend, Docteur Kauffmann, que vous désirez réserver votre droit de présenter de nouvelles requêtes concernant le dépôt de documents à une date ultérieure.
Oui, c’est ce que je demande.
Le Tribunal examinera cette question et vous fera connaître sa décision par la suite. Docteur Thoma ?
Le Dr Thoma suggère que nous traitions de la liste des documents.
Très bien.
Les six premiers documents sont des extraits de divers livres de philosophie, et le Ministère Public estime qu’ils sont étrangers au débat sur l’idéologie propagée par l’accusé Rosenberg, qui constitue une partie des charges relevées contre ledit accusé. Naturellement, si le Dr Thoma désire simplement citer des extraits de ces livres au cours de son exposé et s’il nous fait connaître les passages qu’il désire citer, afin que la préparation technique puisse être facilement mise au point, nous n’avons à première vue aucune objection.
Ceci nous amène donc au n° 6. Ce ne sont alors que des ouvrages de philosophie générale, mais le Ministère Public envisage avec un, certain désarroi tous les livres que l’on désire verser comme preuves, à l’idée que ses représentants seront obligés de les lire. Je crois avoir bien précisé notre position. Si le Dr Thoma désire simplement s’en servir pour illustrer son argumentation et s’il nous fait connaître les passages qu’il a l’intention de citer, nous ne présentons aucune objection d’ordre général. Nous sommes cependant opposés à ce que ces textes soient déposés comme preuves, étant donné qu’ils ne concernent pas les débats en cours.
Messieurs, je crois que seule la considération des idées philosophiques existant avant l’entrée en scène de Rosenberg peut faire comprendre l’état psychologique morbide dans lequel se trouvait le peuple allemand après sa défaite, au cours de la première guerre mondiale, et que seule la connaissance de cet état psychologique peut faire comprendre pourquoi Rosenberg pensait que ses idées pourraient apporter une aide au peuple allemand.
Je désire vivement prouver que les théories de Rosenberg représentent une phase de la philosophie contemporaine, enseignée sous la même forme par de nombreux autres philosophes, à la fois en Allemagne et à l’étranger. Je suis très heureux de réfuter les accusations portées contre l’idéologie de Rosenberg suivant lesquelles elle serait une idéologie abâtardie et je citerai l’expression une « idéologie malpropre ». Je dois me souvenir que les membres du Ministère Public et particulièrement M. de Menthon, qui s’est plus spécialement livré à une étude de l’idéologie nationale-socialiste, ont commis la faute très naturelle qui consiste à confondre les extravagances et les abus que l’on en fit, habituellement dénommés « Nazisme », avec son contenu philosophique réel. La Révolution Française fut, je le crois, représentée de même comme un désastre de première grandeur par les peuples voisins et tous les princes d’Europe se virent appelés à la combattre.
Je crois que les assertions de M. de Menthon ont fait une impression particulière sur le Tribunal. Elles représentaient la doctrine nationale-socialiste comme dénuée de toute valeur spirituelle et la décrivaient comme une dangereuse idéologie. Je crois que nous devons admettre le fait qu’elle a également été répandue dans d’autres pays à cette époque. J’aimerais donc qu’il me soit permis d’exposer les systèmes philosophiques de l’époque en question et je pense ici aux enseignements d’autres philosophies relatifs aux principaux concepts de Rosenberg et surtout aux questions de sang et de race, et du sol en tant que fait naturel (it en tant qu’espace vital politique et économique. La science déclare que ces idées sont fondées sur l’interprétation irrationnelle de faits naturels et historiques. Ce n’est pas une raison pour s’en débarrasser sous le prétexte qu’ils sont antiscientifiques, bien qu’ils puissent être inquiétants pour le rationalisme et l’humanisme.
J’aimerais surtout prouver que ces idées ont été respectées et développées par la science rationnelle et empirique en raison de leur signification profonde, qu’elles ont été mises en pratique par d’autres pays dans leur politique et, ce qui est important, qu’elles ont été introduites dans les pratiques politiques d’autres pays. Je ne ferai que rappeler les lois américaines sur l’immigration qui donnent aussi la préférence à certaines races.
Si je comprends bien ce que dit le Dr Thoma, il désire utiliser à titre d’arguments et illustrations les enseignements d’autres philosophes. S’il a l’intention d’en citer des passages, tout ce que le Ministère Public demande, c’est qu’il nous indique lesquels il a l’intention de citer. Nous déclarons cependant qu’il ne nous appartient pas d’examiner de façon détaillée un livre de M. Bergson par exemple, en tant qu’instrument de preuve. C’est une distinction parfaitement claire et j’estime que le Dr Thoma pourra développer la question qu’il vient de soulever, dans les limites que je viens de suggérer.
Docteur Thoma, le Tribunal aimerait savoir quelles sont à proprement parler vos intentions. Avez-vous l’intention de déposer comme preuves certains extraits de divers livres et demandez-vous au Tribunal de les lire, ou demandez-vous simplement que l’on mette à votre disposition des livres que vous pourriez consulter ou lire afin d’incorporer à votre exposé certaines idées trouvées dans ces livres ?
Je demande au Tribunal de prendre note, ou du moins d’accorder une valeur probatoire au contenu des livres que je présenterai. Je ne lirai pas tous les extraits de ces livres, mais je prierais le Tribunal de bien vouloir prendre note des idées générales. Il serait très important à mon avis que le Tribunal ait vraiment entre les mains les citations que je voudrais faire, de façon à ce qu’il puisse se faire une idée claire de la situation philosophique et en particulier de la situation morale du peuple allemand après sa défaite dans la guerre mondiale.
Mais ces livres n’ont aucune autorité juridique. Vous ne pouvez citer devant un Tribunal International que des livres qui font autorité en matière de droit international. Vous pouvez naturellement extraire des idées de n’importe quel livre et les introduire dans votre exposé, mais vous ne pouvez pas les citer comme faisant autorité.
Messieurs, en présentant des citations extraites de philosophes connus qui avaient des idées analogues à celles de Rosenberg, je me propose de prouver que cette idéologie doit être prise tout à fait au sérieux. Ensuite, je voudrais prouver que ces traits de l’idéologie de Rosenberg que l’on a flétris comme immoraux et nocifs en sont des exagérations et des abus. A mon sens, il est très important pour le Tribunal de se rendre compte par la considération de l’histoire de la philosophie que même les meilleures idées — comme celles de la Révolution Française par exemple — peuvent être défigurées. Je voudrais établir ce parallèle historique en ce qui concerne le national-socialisme et l’idéologie de Rosenberg.
J’ai également besoin de ces livres pour prouver que Rosenberg ne combattait les idéologies étrangères que sur le plan spirituel et qu’il n’était pas en mesure de protester plus énergiquement contre l’application brutale de son idéologie sous la forme du national-socialisme. Il autorisait sous réserve la discussion scientifique de ses œuvres et ne fit jamais appel à la Gestapo contre ses adversaires théologiques. Il pensait que ses idées sur le plan ethnique ne devaient pas être mises en pratique par la force, mais que chaque peuple devait garder son caractère racial propre, et qu’on ne pouvait permettre le mélange que dans le cas de races apparentées. Il croyait que cette idéologie était dans l’intérêt du peuple allemand et de l’humanité en général.
C’est pourquoi je pense que le Tribunal, afin d’avoir une vivante image des circonstances entourant le développement du national-socialisme, doit s’informer des conditions spirituelles du moment.
Le Tribunal prendra en considération les arguments que vous avez fait valoir.
Le document n° 7 contient des extraits de certains livres. Les cinq premiers sont pris dans les ouvrages de Rosenberg lui-même, et le dernier est un livre écrit par un autre auteur sur Hitler.
Je suggère que si le Dr Thoma désire soutenir les thèses contenues dans la première moitié de sa note, à savoir que l’accusé Rosenberg ne considérait pas l’individu et la race, l’individu et la communauté comme des éléments opposés, mais représentait la conception néo-romantique suivant laquelle la personnalité trouve sa perfection et sa liberté intérieure en développant et en représentant en elle-même la communauté de l’esprit racial, si donc le Dr Thoma veut citer les extraits des livres de Rosenberg sur lesquels il fonde ses arguments, il peut les présenter à tout moment de son exposé qui conviendra. Il en est de même en ce qui concerne les points particuliers exposés dans la seconde partie de sa note, et là encore, s’il veut nous indiquer les extraits pertinents, ils pourront être examinés et la question de leur opportunité pourra être traitée au moment de leur présentation.
Mais là encore, je m’oppose formellement à ce que le Tribunal ou le Ministère Public soient dans l’obligation de lire tous ces ouvrages et de les considérer comme des moyens de preuve. J’ai déjà développé cet argument au sujet du document précédent.
Messieurs, si je cite les propres paroles de Rosenberg, et si je demande au Tribunal d’en prendre connaissance officiellement, j’aurai la bonne fortune de pouvoir prouver que la philosophie et l’idéologie de Rosenberg se différencient absolument des exagérations et des abus qui lui furent imputés et contre lesquels il s’éleva lui-même.
Je suis à même de prouver que, d’après ses écrits, Rosenberg désirait clairement que le « Führerprinzip » (principe du chef) fut limité dans ses effets par la fondation d’un Conseil spécial exerçant une autorité consultative. En outre, je suis en mesure de prouver que le Mythe du XX e siècle était une œuvre tout à fait personnelle de Rosenberg qui, en aucun cas, n’a été acceptée sans réserves par Hitler. De plus, je suis tout particulièrement en mesure de prouver que Rosenberg, comme ses œuvres le montreront, ne voulait absolument pas entendre parler de l’extermination des Juifs et que, toujours d’après ses œuvres, il n’a pris aucune part aux préparatifs psychologiques de la guerre et a travaillé à la réalisation, sur le plan pacifique, d’une entente internationale et particulièrement entre les quatre grandes puissances européennes de l’époque. C’est pourquoi je prie le Tribunal de m’autoriser à présenter comme instrument de preuve des citations véritables et authentiques de ses œuvres.
Docteur Thoma, le Tribunal examinera toute la question du dépôt de ces livres et de ces extraits.
Le n° 8 appartient à un domaine entièrement différent. Les onze premiers documents semblent être des livres et des publications d’inspiration juive et de caractère anti-national. Le Ministère Public rappelle au Tribunal que les questions à débattre sont celles-ci : les accusés et leurs complices se sont-ils engagés dans une politique de persécution antisémite ? En second lieu, les accusés ont-ils participé aux dernières manifestations de cette politique, à savoir, l’extermination délibérée des Juifs ? Le Ministère Public estime que le fait que des publications juives, s’étendant sur une période de plusieurs années, contenaient des assertions plus ou moins agréables aux Chrétiens, est en relation très lointaine avec ces terribles accusations et n’est pas pertinent.
Messieurs, à ce sujet, je voudrais répondre ce qui suit : il n’est pas ici question de prouver que les mesures nazies contre les Juifs étaient justifiées, mais il s’agit de tirer au clair les raisons psychologiques de l’antisémitisme en Allemagne ; je pense être en droit de vous demander d’entendre quelques citations de ce genre, extraites des journaux, puisque par leur nature même, elles devaient heurter les susceptibilités chrétiennes et patriotiques d’un très grand nombre de gens. Je voudrais également creuser plus profondément la question, afin de montrer la raison de l’existence dans l’Histoire et la religion d’un « problème juif », ainsi que la raison de l’opposition tragique entre le peuple juif et les autres races. Je voudrais citer en même temps, à cet égard, des extraits de la littérature Israélite et de la littérature théologique.
Le Tribunal examinera la question.
Je crois que le Tribunal peut examiner en même temps les documents restants n° 9 à 14. Ils semblent porter sur des points spécifiques, — et je dis cela sans aucune intention d’offense — sur des questions plus pratiques, du fait qu’ils traitent du gouvernement des territoires de l’Est dont cet accusé était responsable. Le Ministère Public n’a aucune objection à ce que mon ami fasse usage de ces documents de la façon qui lui convient.
Je voudrais encore mentionner les questions suivantes concernant les documents.
J’ai quatre autres documents qui ont été en partie admis par le Tribunal. Je n’ai pas encore pu les déposer parce qu’ils ne m’ont pas été transmis. Mais je voudrais communiquer au Tribunal qu’il s’agit d’abord d’une lettre de Rosenberg à Hitler, datée de 1924, dans laquelle il demande de ne pas être agréé comme candidat au Reichstag ; ensuite d’une lettre de Rosenberg à Hitler concernant son renvoi du poste de rédacteur en chef du Völkischer Beobachter en 1931, à la suite de la grande agitation provoquée au sein du peuple allemand par le Mythe du XX e siècle de Rosenberg. Rosenberg demanda alors que l’on considérât son œuvre comme purement personnelle, ce qui était exact, et que si elle était de nature à nuire au Parti, il demanderait à être relevé de son poste de rédacteur en chef du Völkischer Beobachter. En troisième lieu, je voudrais citer un ordre de juin 1943, adressé par Hitler à Rosenberg, ministre pour les territoires occupés de l’Est, dans lequel Hitler invite Rosenberg à s’en tenir aux questions de principe. En quatrième lieu, une lettre manuscrite de 8 pages, adressée par Hitler à Rosenberg en 1925.
Et le quatrième document ?... Voulez-vous nous indiquer quel est le quatrième document ?...
J’y viens. Quatrièmement : une lettre de Hitler à Rosenberg, datée de 1925, dans laquelle Hitler indique les raisons pour lesquelles il ne veut absolument pas prendre part aux élections du Reichstag ; le point de vue de Rosenberg à l’époque était que le Parti devait entrer au Reichstag pour coopérer sur le plan pratique avec les autres partis. J’apprends à l’instant que cette lettre est de 1923.
Ce point, Messieurs, est d’une importance décisive. Dès le début, Rosenberg voulait que la NSDAP collabore avec les autres partis. Il y aurait donc là le contraire d’une conspiration et cela dès le début.
Puis-je communiquer au Tribunal la copie de ces quatre enquêtes ?
Monsieur le Président, ces documents me paraissent être des pièces isolées et leur admissibilité pourra être établie quand le Dr Thoma nous aura indiqué leur but au cours de son exposé. Je ne pense pas que le Tribunal doive prendre une décision définitive dès maintenant.
J’aimerais mentionner le fait que j’ai déjà demandé au Secrétaire Général d’admettre ces documents.
Docteur Thoma, avez-vous ces documents en votre possession ?
Les seuls documents qui manquent sont les quatre que je viens de mentionner. Ils se trouvent encore entre les mains du Ministère Public.
Ils sont aux mains du Ministère Public ?
Oui.
Je ne le savais pas. Si le Dr Thoma désire ces documents, nous ferons de notre mieux pour les trouver. Je n’en ai entendu parler pour la première fois que lorsque le Dr Thoma a commencé son exposé il y a quelques minutes. Si le Ministère Public a ces documents, ou peut les trouver, il les mettra naturellement à la disposition du Dr Thoma, ou lui en remettra des copies.
Puis-je vous demander, Docteur Thoma, pourquoi vous n’avez pas présenté de requête écrite pour ces quatre documents ?
J’en ai remis une, Monsieur le Président, il y a plusieurs jours, peut-être une semaine. J’ai fait la première demande dès le mois de novembre.
Pour ces quatre documents ?
Voici ce qui se passe : les deux premiers documents m’ont été accordés dès novembre ou décembre 1945, mais je ne les ai pas encore reçus.
Très bien. Nous examinerons cette question ;
nous en avons donc fini avec vos documents, n’est-ce pas ?
Oui.
Monsieur le Président, en ce qui concerne les témoins, il serait peut-être plus commode que j’indique le point de vue du Ministère Public pour les six premiers par exemple. Le Ministère Public n’élève aucune objection contre le premier témoin qui est Riecke, secrétaire d’État au ministère de l’Agriculture, ni contre le Dr Lammers dont la comparution a déjà été demandée par quantité d’autres accusés ; je n’ai pas d’objection contre le conseiller ministériel Beil, qui est le délégué principal de l’Office central de la main-d’œuvre et de la politique sociale au ministère de l’Est.
En ce qui concerne le témoin suivant, le n° 4, le Dr Stellbrecht, le Ministère Public estime qu’il s’agit là de problèmes d’ordre très général qui ne semblent pas être d’un très grand intérêt. Nous pensons que le Dr Stellbrecht doit être éliminé ou tout au plus que l’on pourrait traiter la question par un bref questionnaire.
Nous élevons également des objections contre les témoins 5 et 6, le général Dankers et le professeur Astrowski. Le premier est cité afin de déclarer que certains théâtres et musées en Lettonie sont restés intacts et que des centaines de milliers de Lettons ont supplié qu’on les autorise à pénétrer dans le Reich.
Il y a également des documents au sujet de certaines lois. Le Ministère Public pense que ce genre de preuves ne concerne pas à proprement parler les charges relevées contre l’accusé Rosenberg et, là encore, il élève des objections.
Quant au professeur Astrowski, que l’on dit être le chef du conseil central de la Ruthénie blanche et dont on n’a pas encore déterminé le domicile, mais qui, aux dernières nouvelles, se trouvait à Berlin, il doit témoigner afin de prouver que le commissaire général à Minsk a déployé tous les efforts possibles pour sauver les biens culturels de la Ruthénie blanche. Là encore, le Ministère Public répond que c’est là une allégation très générale et assez vague, et que, si l’accusé ainsi que certains de ses fonctionnaires sont cités pour témoigner sur la politique et l’administration de Rosenberg, il nous semble que ces témoins 5 et 6 sont vraiment inutiles.
Je pourrais peut-être aussi traiter du n° 7 parce que ces sept premiers témoins sont l’objet d’une note du Dr Thoma ; le n° 7 est le Dr Haiding qui est le directeur de l’Institut allemand d’ethnologie ; on désire le faire comparaître afin de prouver que Rosenberg favorisa dans les pays baltes le développement des institutions culturelles et qu’il en fonda de nouvelles. Le Ministère Public pense que ce témoin tombe dans la même catégorie que Dankers et Astrowski. Mais si, en ce qui le concerne, il y a un point important à examiner, le Ministère Public est d’avis que cette question pourra être réglée au moyen d’un questionnaire. En tout cas, nous pensons qu’il n’y a pas lieu de le faire comparaître.
Il serait bon que le Tribunal prît connaissance de la note figurant sous le n° 8, au sujet de ces témoins. Le Dr Thoma déclare : « les témoins peuvent présenter des preuves pour la réfutation de l’accusation soviétique suivant laquelle Rosenberg a participé à l’élaboration d’une idéologie mondiale ayant pour but l’extermination des Slaves et la persécution de tous les éléments dissidents. »
Le Ministère Public estime que les trois témoins qu’il a proposés et, si cela est nécessaire, l’envoi de questionnaires à Stellbrecht et à Haiding, suffiront amplement sur ce point.
Je suis d’accord avec Sir David sur le fait que des questionnaires seront suffisants en ce qui concerne le Dr Haiding et le Dr Stellbrecht. Au sujet des témoins 5 et 6, mon intention était de faire comparaître des gens qui ont réellement vécu dans ces pays et qui ont des impressions personnelles à l’égard des activités culturelles de Rosenberg ; je vous demande de bien vouloir autoriser la comparution de ces témoins.
Bien. Le Tribunal prendra ceci en considération.
Le témoin Scheidt doit déposer sur les relations de Rosenberg avec Quisling ; ce point a été traité dans les questionnaires établis par la Défense et dans les questionnaires contradictoires du Ministère Public. C’est là, manifestement, une partie importante de l’affaire et je propose au Tribunal de ne pas se prononcer sur la comparution de Scheidt jusqu’à ce que les réponses aux questionnaires écrits aient été soumises au Tribunal.
Le n° 10 est Robert Scholz, chef de division à l’État-major spécial des « Beaux-Arts ». En gros, le but de ce témoignage est de montrer que l’accusé Rosenberg n’a pas détourné d’objets d’art à son profit personnel. Le Tribunal a ordonné la citation de ce témoin le 14 janvier mais, le 24 janvier, la demande de citation de ce témoin a été retirée et maintenant, elle est renouvelée par le Dr Thoma. Si le Tribunal veut bien se reporter à la première enquête du Dr Thoma, il constatera que ce témoignage est limité à certains actes bien précis à propos desquels peut parler M. Scholtz. Le Ministère Public suggère donc que le Tribunal adopte le procédé commode d’envoyer un questionnaire à M. Robert Scholtz et examine la façon dont il peut répondre aux diverses questions particulières posées par cette note.
Messieurs les juges, la déposition du témoin Wilhelm Scheidt touche à la question de Norvège. Le témoignage de Scheidt est décisif à l’égard des déclarations faites par Quisling, des décisions qu’il a prises de son propre chef, sans y être invité ni par le Service de politique étrangère de Rosenberg, ni par le Ministère Public des Affaires étrangères du Reich. Je crois qu’une audition personnelle, un contre-interrogatoire, de ce témoin serait de première importance, parce qu’il peut donner beaucoup de renseignements détaillés qui nous apprendront si Hitler a mené ou non une guerre d’agression contre la Norvège.
Pour l’Amtsleiter Wilhelm Scheidt, on m’avait accordé un questionnaire et j’ai déjà fait des démarches afin d’en conférer avec le Ministère Public. Ce témoin n’a pas fait de déposition sous serment, mais je dois indiquer au Tribunal que je devrais être présent lors de l’établissement de cet affidavit et qu’il devrait m’être permis de poser moi-même des questions au témoin, en même temps que le Ministère Public. J’aimerais renouveler ma demande en vue du contre-interrogatoire du témoin Wilhelm Scheidt.
Docteur Thoma, si la déposition de ce témoin à l’audience vous a été accordée, il n’est pas nécessaire qu’un représentant du Ministère Public assiste à votre entrevue avec le témoin, où qu’il soit ; le fait que le témoin vous ait été accordé vous donne le droit de le voir en tête-à-tête et d’obtenir de lui les renseignements que vous désirez. M’avez-vous compris ?
Jusqu’à présent, on m’a accordé un affidavit, mais on ne m’a pas encore accordé de faire comparaître le témoin.
Je voulais simplement vous rendre claire la différence entre les questionnaires écrits et la permission de faire déposer un témoin. Si vous vous en tenez aux questionnaires écrits, vous ne verrez pas le témoin, mais si vous le faites déposer ou si vous présentez un affidavit émanant de lui, vous pourrez lui parler à votre convenance avant la rédaction de son affidavit ou avant sa déposition.
Alors, je dépose une requête en vue de faire comparaître Wilhelm Scheidt comme témoin.
Je prends bonne note de votre demande.
Au sujet de Robert Scholtz, j’aimerais indiquer que Scholtz était, à l’état-major spécial, le responsable de l’exécution des mesures de protection des œuvres d’art dans les secteurs de l’Est et de l’Ouest. J’aimerais indiquer aussi que beaucoup d’experts allemands qualifiés étaient membres de cet état-major spécial et qu’ils sauvegardèrent, restaurèrent et protégèrent ces œuvres d’art, les conservant à la postérité, ceci de la façon la plus consciencieuse et au prix d’un travail énorme. La façon dont cet état-major spécial a travaillé est donc d’une grande importance pour beaucoup de gens ; Robert Scholtz connaît chaque détail des travaux, il peut témoigner en particulier du fait que Rosenberg ne s’est absolument rien approprié des immenses richesses et des trésors artistiques qui passèrent par ses mains et qu’il tenait un compte scrupuleux de ceux qui étaient envoyés à Hitler ou à Göring. Il sait aussi que toutes ces œuvres d’art, ou du moins la plus grande partie, restèrent sur place, surtout à l’Est, et qu’elles ne furent amenées dans le Reich que plus tard, quand il devint dangereux de tarder. Je prie le Tribunal de bien vouloir entendre ce témoin important.
Docteur Thoma, pouvez-vous nous expliquer pourquoi la requête a été retirée le 24 janvier ?
Autant que je me souvienne, à cette date, le Ministère Public anglais ou américain a déclaré que nous ne reviendrions pas sur la question de l’Einsatzstab. Mais le Ministère Public français a maintenant fait des déclarations détaillées sur le pillage subi par la France et les déclarations de ce témoin prennent un nouvel intérêt.
Très bien. Cela termine votre liste de témoins, je pense ?
J’ai une autre demande à vous adresser : j’ai déposé une requête au Secrétaire général concernant un témoin ; il s’agit du secrétaire d’État Bräutigam, qui était directeur au ministère de l’Est, et il doit déposer sur le fait que Rosenberg, comme ministre de l’Est, ne persécuta pas les Églises mais rendit un édit de tolérance qui accordait la liberté religieuse à toutes les confessions ; que, d’autre part, Rosenberg s’opposa toujours à l’usage de la force, a toujours suivi une politique d’encouragement de la culture et était d’avis que la classe paysanne devait être renforcée et établie sur des bases saines ; qu’enfin, et ceci me semble très important, que Rosenberg reçut au ministère de l’Est de nombreuses lettres et télégrammes de remerciements émanant du clergé soviétique. Messieurs, si Dankers et Astrowski ne sont pas acceptés comme témoins, je demande qu’ils soient remplacés par Bräutigam.
J’ai encore un témoin à proposer. Pour montrer la façon dont Rosenberg a traité ses adversaires scientifiques, j’aimerais citer l’un de ceux-ci, le Dr Künneth, professeur d’université qui écrivit un livre important attaquant le Mythe ; il vous dira que les adversaires de la philosophie de Rosenberg n’étaient pas effrayés par la Gestapo et n’avaient rien à en craindre.
Bien. Sir David, voulez-vous parler de ces deux derniers témoins ?
D’après moi, les deux derniers témoins ne concernent pas exactement les charges relevées contre cet accusé par le Ministère Public ; ce sont des témoins ordinaires de moralité et, si je puis dire — j’espère que le Tribunal me permettra l’expression sans que je paraisse irrévérencieux — ce sont des témoins qui viendront affirmer que l’accusé Rosenberg ne ferait pas de mal à une mouche, et nous avons souvent constaté le fait. Ceci exprime en bref à quoi se ramène ce genre de preuve, et je demande respectueusement au Tribunal, d’accord avec mes collègues, qu’on n’en fasse pas l’objet d’un témoignage oral et qu’on rejette ce témoignage, ou bien, s’il y a un point particulier à débattre, qu’on en traite par un affidavit.
L’Acte d’accusation impute-t-il à l’accusé Rosenberg la persécution anti-religieuse ?
L’Acte d’accusation dit qu’il. a pris part à l’enseignement anti-religieux. Je crois me souvenir que c’est là une des charges relevées contre lui. Je crois qu’il v a eu entre Rosenberg et l’accusé Bormann un échange de lettres relatif aux opinions anti-religieuses de Rosenberg. Je ne me souviens pas sur le moment s’il existe des preuves de sa participation personnelle à des destructions d’églises.
On me rappelle à l’instant qu’il est déclaré à l’appendice « A » qu’il a autorisé et dirigé, en y participant, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité y compris de nombreux crimes de tous genres contre les personnes et les biens.
Très bien ; ces questions seront examinées par le Tribunal.
Le premier témoin que je demande à citer est le Dr Hans Bühler, secrétaire d’État auprès du chef du Gouvernement Général ; ce témoin se trouve en détention préventive à Nuremberg et c’est le témoin le plus important pour l’accusé Frank ; il doit déposer sur l’ensemble de la politique du Dr Frank dans le Gouvernement Général, étant donné qu’il en était le chef durant toute la période s’étendant de l’établissement du Gouvernement Général jusqu’à la fin.
Vous n’avez aucune objection à élever contre le Dr Bühler, Sir David ?
Non, je n’en ai pas ; le seul point que je désire faire ressortir c’est que l’accusé Frank cite un nombre énorme de témoins pris parmi ses propres fonctionnaires, une quinzaine à peu près. Si je n’élève pas d’objections contre le Dr Bühler, je me propose de demander au Tribunal de réduire considérablement le nombre des témoins qui sont pris parmi les fonctionnaires du Gouvernement Général ; peut-être sera-t-il utile au Dr Seidl que je lui indique, avant la suspension d’audience, mon intention de proposer au Tribunal qu’il autorise la comparution du Dr Bühler et un affidavit du Dr von Burgdorff ; on pourrait également envisager la comparution de Mlle Hélène Kraffzcyck, secrétaire particulière de l’accusé, du Dr Bilfinger et du Dr Stepp, mais non pas celle de la série des fonctionnaires du Gouvernement Général.
Vous dites donc que vous suggérez la comparution du Dr Bühler ?
Du Dr Bühler, oui.
Et des affidavits de...
Un affidavit de Burgdorff, la déposition du Dr Lammers qui figure sur une liste générale...
Oui.
La comparution de la secrétaire particulière, Mlle Kraffzcyck, n° 7 et des n° 9 et 10.
Quels sont les noms ?
Dr Bilfinger et Dr Stepp.
Un instant.
Si l’on autorise la comparution de ces témoins, je suggérerais que les n° 13 à 20, divers fonctionnaires des services du Gouvernement Général soient refusés.
Je dirai que, de l’avis du Ministère Public, la demande de comparution la plus inopportune est celle du n° 18, le Dr Eisfeldt, directeur des eaux et forêts.
Oui.
Je pensais qu’il serait peut-être agréable au Dr Seidl de connaître l’opinion du Ministère Public. Bien entendu, s’il a d’autres suggestions à faire, nous serons heureux de les prendre en considération.
Docteur Seidl, nous continuerons sur ce sujet après la suspension d’audience.
Je désire faire savoir auparavant que le Tribunal suspendra l’audience de cet après-midi à 16 h. 30.