SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 8 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal ne siégera pas en audience publique demain.
J’ai quelques mots à dire sur la déclaration du Dr Stahmer. Celui-ci a déclaré qu’il n’était pas en possession du document concernant les atrocités allemandes à Katyn. Je ne parle pas de l’existence de ce document, mais je déclare au Tribunal que le 13 février de cette année, 30 exemplaires en allemand de ce document ont été remis, sous le n° URSS 54, à la salle des documents, à l’intention de la Défense. Nous ne pensions pas être obligés de remettre les documents individuellement à chacun des avocats, estimant qu’il était suffisant de les déposer à la salle des documents et que la Défense ferait les démarches nécessaires. C’est tout ce que j’avais à dire.
Il doit y avoir une erreur sur le numéro de ce document. A cette époque, lors de l’audience publique, M. le représentant du Ministère Public soviétique l’a déposé sous le n° URSS-64. Il n’a pas été diffusé et ne m’a pas été transmis, même après deux demandes au bureau d’information des avocats.
Nous vérifierons.
Si je vous comprends bien, Hermann Göring avait, avant le printemps de 1943, une grosse influence sur les milieux dirigeants du Reich ?
Avant 1943, c’est-à-dire jusqu’à cette date, Hermann Göring avait toujours accès auprès du Führer et son influence était très grande.
En fait, c’était le personnage le plus important en Allemagne en dehors du Führer lui-même, n’est-ce pas ?
Il avait dans le Reich une très grande influence.
Le commandement de l’Armée de l’air lui était spécialement dévolu et il en tirait une fierté particulière, n’est-ce pas ?
En sa qualité d’ancien aviateur, il était très fier d’avoir organisé la Luftwaffe et de pouvoir la diriger.
Il croyait plus qu’aucun homme de son temps à l’efficacité de l’Aviation comme arme de guerre, n’est-ce pas ?
En tout cas, il était convaincu que sa Luftwaffe était très puissante ; je ne peux que répéter ce que j’ai dit tout à l’heure : au début de la guerre, en 1939, la Luftwaffe n’avait pas encore atteint ce degré de puissance. Je répète qu’à ce moment elle n’était pas prête pour la guerre, tant sous le rapport de ses cadres, de son matériel que de l’instruction de son personnel.
Mais, à partir du moment où vous avez collaboré avec Hermann Göring, vous avez rapidement organisé la Luftwaffe ?
L’organisation de la Luftwaffe se fit relativement vite.
Vous m’avez dit l’époque à laquelle vous aviez rejoint Göring, mais je l’ai oubliée : quand était-ce ?
Je rejoignis Hermann Göring en avril 1933, A ce moment-là, il n’y avait pas encore de Commandant en chef de la Luftwaffe, mais un Commissariat du Reich à l’Aviation. Cependant, dès ce moment, on commença à organiser la Luftwaffe. Mais ce ne fut qu’après 1935, à partir du moment où fut proclamée la liberté des armements, que le rythme s’accéléra.
Et la production du matériel aéronautique portait essentiellement sur les bombardiers, n’est-ce pas ?
Il y avait des bombardiers mais il y avait aussi des chasseurs.
Göring était également chargé de l’exécution du Plan de quatre ans ?
Il avait reçu du Führer l’ordre de faire exécuter le Plan de quatre ans.
Il occupait également divers autres postes ?
Hermann Göring était, en dehors de ses fonctions de Commandant en chef de la Luftwaffe, responsable de l’exécution du Plan de quatre ans. Auparavant, au moment de la prise du pouvoir, il était ministre de l’Intérieur de Prusse, président du conseil de Prusse, président du Reichstag et Grand Maître des Forêts.
Je remarque que vous utilisez ici, comme vous l’avez fait au moment où vous avez été interrogé par le Ministère Public américain, le terme de prise du pouvoir. Était-ce une expression courante dans votre groupe pour désigner l’accès au pouvoir d’Adolf Hitler ?
On ne peut l’affirmer car, à ce moment, c’était tout à fait légal ; en effet, c’était le parti national-socialiste qui était le plus fort ; le parti le plus fort a désigné le Chancelier du Reich et avait par conséquent la plus forte influence. 11 ne faut pas dire que le pouvoir a été usurpé, mais que le parti national-socialiste avait simplement acquis parmi les partis, la situation la plus influente, grâce au moyen tout à fait légal des élections.
Il faudrait alors changer ce terme de prise du pouvoir ?
Oui, il faut le changer ; c’était une expression couramment employée par la presse à cette époque.
Göring poursuivit ses relations avec Hitler sans rupture officielle jusqu’en 1945, n’est-ce pas ?
Jusqu’en 1945, il n’y eut pas de rupture ouverte. Ce n’est que tout à fait à la fin, comme je l’ai dit tout à l’heure, qu’eut lieu l’arrestation.
L’arrestation constitua donc la première rupture ouverte entre Hitler et Göring ?
Oui, ce fut la première grande rupture apparente entre les deux hommes Mais depuis 1943, comme je l’ai dit tout à l’heure, il y avait dans leurs rapports des divergences qui allaient s’aggravant.
Mais ces divergences restèrent cachées au peuple allemand ?
Le peuple allemand ne pouvait pas s’en rendre compte, ce n’était pas très apparent. Cet état de choses commença au printemps 1943 et évolua jusqu’en 1945 : les relations entre les deux hommes devenaient de plus en plus tendues.
Sont-ce les SS qui ont procédé à son arrestation ?
Je l’ai seulement entendu dire ;
on raconte qu’une section de SS se serait rendue à l’Obersalzberg pour arrêter Hermann Göring dans sa petite maison, et qu’il y aurait été détenu. Peut-être le témoin qui sera entendu tout à l’heure, le colonel von Brauchitsch, qui assistait à cette arrestation et qui a été arrêté lui-même, pourra-t-il donner plus de détails.
Vous n’avez pas été arrêté par les SS ?
A cette époque, depuis le 20 juillet 1944, date à laquelle je fus grièvement blessé, j’étais en convalescence à l’hôpital près de Berchtesgaden, à Bad-Reichenhall.
Au cours des conférences auxquelles vous assistiez, n’était-il pas d’usage qu’à 1 issue d’un discours adressé par Hitler à votre groupe, Göring, en sa qualité de personnalité la plus marquante, assurât le Führer, en son nom et au nom des autres officiers, de son appui pour tous ses projets ?
Je n’ai pas assisté à toutes les conférences ; je n’y jouais que le rôle d’auditeur : à l’issue des discussions, disons plutôt des conférences, auxquelles j’ai participé, il arrivait de temps en temps que le Reichsmarschall fit une déclaration assurant le Führer que ses ordres seraient exécutés, mais pour l’instant je ne me souviens pas, en particulier, d’une telle conférence.
Vous ne pouvez vous souvenir d’aucune conférence au cours de laquelle cela ne se serait pas produit ?
Cela ne se faisait pas toujours, au contraire ; ce n’était pas un principe. Au Reichstag, Hermann Göring faisait toujours une déclaration à l’issue des séances ; à la fin des séances du Reichstag, il exprimait sa confiance à Adolf Hitler.
Ne le faisait-il pas à chacune des réunions d’officiers auxquelles assistait le Führer ?
Je vous prie de répéter cette question, je ne l’ai pas très bien comprise, je m’excuse mille fois... Je voudrais vous informer qu’à la suite de ma blessure mon acuité auditive a baissé de 60%, c’est pourquoi je demande, je m’en excuse, que la question soit répétée.
Très bien. Vous souvenez-vous d’une conférence quelconque qui ait eu lieu entre Hitler et son État-Major et au cours de laquelle Göring n’aurait pas, en tant qu’officier le plus ancien, donné à Hitler l’assurance de son appui pour l’exécution de ses plans ?
Quelques-unes des conférences auxquelles j’ai participé comportèrent une conclusion de cette sorte ; la plupart de ces conférences n’étaient pas suivies d’un discours de clôture. Quand le Führer avait fini de parler, la réunion était terminée.
En 1943, quand Göring commença à perdre de son influence sur Hitler, ne fut-ce pas pour lui une très mauvaise période ?
Hermann Göring en souffrait ; il m’a dit, à plusieurs reprises, que cela lui était extrêmement pénible.
Il souffrait du fait que le Führer avait perdu confiance en lui ?
Comment ?
Souffrait-il de ce que la Führer perdait confiance en lui ? Était-ce là la cause de ses préoccupations ?
Cela a pu y contribuer, mais il y eut des divergences de vue au sujet de la Luftwaffe.
Au printemps de 1943, vous est-il apparu, ainsi qu’à Göring, que la guerre était perdue pour l’Allemagne ?
Je ne puis l’affirmer ; le Reichsmarschall ne m’a pas déclaré, en 1943, que la guerre était perdue, mais seulement qu’il y avait de grandes difficultés, que la situation pourrait devenir dangereuse. Je ne me souviens pas que le Reichsmarschall m’ait dit, au printemps de 1943, que la guerre était définitivement perdue ou qu’il m’ait fait une déclaration du même genre.
Le Reichsmarschall n’a-t-il pas donné aux Allemands l’assurance qu’il n’était pas possible que leurs villes fussent bombardées comme Varsovie, Rotterdam et d’autres villes l’avaient été ?
A ma connaissance, il n’a pas donné d’assurance en ces termes. Avant la guerre, au moment où notre force aérienne était en plein développement, je veux dire au début de la guerre, c’est-à-dire au moment où les grands succès en Pologne et en France étaient manifestes, il a dit au peuple allemand que la Luftwaffe ferait tout son possible pour éviter à notre pays de grandes attaques aériennes. A cette époque, il pensait que c’était parfaitement justifié ; on ne pouvait pas clairement prévoir que les événements prendraient plus tard une autre tournure.
Il avait donc assuré le peuple allemand que la Luftwaffe serait à même d’écarter de l’Allemagne les bombardiers ennemis ?
Je ne me souviens pas qu’il ait donné au peuple allemand une assurance officielle, sous la forme d’un décret ou d’un grand discours. On a dit de la Luftwaffe qu’elle était nettement supérieure après ses succès de Pologne et de France. Je n’ai pas eu connaissance qu’une annonce officielle ait été faite au peuple allemand.
En tout cas, il devint évident, au printemps de 1943, que si une garantie de ce genre avait été donnée, elle était trompeuse ?
En 1943, la situation était toute différente, car c’est avec un nombre écrasant d’unités que les Aviations anglaise et américaine entrèrent en scène.
Il est également exact que les défenses anti-aériennes de l’Allemagne se révélèrent parfaitement incapables de faire face à la situation ? N’est-ce pas là un fait ?
L’organisation de la défense antiaérienne de l’Allemagne était devenue très difficile, car elle ne se basait pas uniquement sur les équipages d’avions ; c’était aussi une guerre de radio, de technique, dans laquelle il faut admettre que l’ennemi nous était bien supérieur. Ce n’était donc pas uniquement une lutte dans les airs, mais également une guerre de radio.
N’est-il pas devenu évident, en 1943, que l’Allemagne ne pouvait pas faire face à la situation ?
En 1943 cela n’était pas absolument évident : il y eut des variations, des hauts et des bas. On fit des efforts pour développer la production des chasseurs, au détriment de celle des bombardiers. On ne pouvait pas parfaitement se rendre compte qu’il était impossible de s’opposer avec succès à l’Aviation ennemie. Cela ne devint évident qu’à partir du milieu de 1944.
Le Führer n’a-t-il pas perdu sa confiance en Göring au fur et à mesure que les raids sur l’Allemagne prenaient plus d’importance ?
Oui, en effet, à partir du moment où l’Aviation britannique commença ses attaques massives sur les villes allemandes, et en particulier lorsque se produisit la première grande attaque des Anglais contre Cologne. A partir de ce moment, il devint visible que des divergences de vues, d’abord assez légères, s’élevaient entre ces deux hommes.
Hitler n’a-t-il pas reproché à Göring de l’avoir trompé sur la force de la défense aérienne de l’Allemagne ?
J’ignore si le Führer a blâmé le Reichsmarschall d’avoir commis une faute sous ce rapport. Les entretiens entre Adolf Hitler et le Reichsmarschall se faisaient toujours en dépit de leurs rapports tendus, sur un ton très modéré Les critiques seraient devenues plus violentes en 1944 ou 1945, mais je n’y assistais plus, car depuis le 20 juillet 1944 j’avais quitté mon service.
Je vous ai posé une question. Je ne voulais pas dire par là que Hitler avait accusé Göring de lui avoir fait des déclarations volontairement fausses, mais seulement que ce dernier l’avait trompé et s’était mépris sur la force de la défense aérienne allemande. N’était-ce pas l’opinion générale dans votre milieu ?
Non, il ne peut pas être question de tromperie. Les rapports que l’Aviation envoyait au Führer étaient toujours exacts. Les faiblesses de la Luftwaffe lui ont également été signalées.
Quelle était la nature des efforts déployés par l’accusé Göring, efforts dont vous venez de dire qu’ils étaient prodigieux, pour reprendre son influence sur le Führer ?
Chaque fois qu’il y avait des conférences, le Reichsmarschall, par mon intermédiaire, faisait demander de pouvoir y assister. Le Reichsmarschall venait plus souvent que de coutume au Quartier Général du Führer. Il me déclara aussi :
« Je tenterai tout pour retrouver les bons rapports que j’entretenais avec le Führer ».
N’eut-il pas particulièrement soin, après le printemps de 1944, de ne rien faire qui pût blesser le Führer ?
Je ne peux rien dire de plus sur l’année 1945, car je n’étais plus en service, je n’avais plus de rapports avec eux.
Le bombardement des villes allemandes était-il devenu réellement gênant en 1944, en raison des critiques sévères que le peuple faisait au Gouvernement ?
Le peuple allemand a terriblement souffert de ces bombardements, et je ne puis dire qu’une seule chose : c’est Adolf Hitler qui en a souffert le plus. Quand on lui rapportait qu’une ville avait été bombardée, il en était profondément ému, de même que le Reichsmarschall, car les horreurs d’un tel bombardement étaient indescriptibles. J’ai vécu moi-même quelques-uns de ces bombardements à Berlin, et celui qui les a subis ne les oubliera jamais de sa vie.
Ne devenait-il pas de plus en plus embarrassant pour Hitler et pour le Reichsmarschall d’en expliquer les raisons au peuple allemand ?
On n’avait pas à l’expliquer, car le peuple allemand le ressentait lui-même. Aucune explication ne fut donnée ; on fit seulement savoir que toutes les mesures possibles seraient prises pour parer à ce danger.
Et à cette époque vous saviez, aussi bien que le Reichsmarschall, qu’aucune mesure ne permettrait d’empêcher ces attaques ?
Non, non, non, j’ai déjà dit tout à l’heure, qu’il s’agissait d’une guerre de radio et il y eut un moment où nous avons pu trouver de nouveaux moyens pour contrecarrer les tentatives de l’ennemi dans ce domaine.
Au moment où vous avez déclaré au peuple allemand que toutes les mesures seraient prises, aviez-vous alors à votre disposition des moyens efficaces pour empêcher le bombardement des villes allemandes ?
Ah, oui !
Quels étaient donc ces moyens et pourquoi n’ont-ils pas été mis en action ?
Nous avions par exemple les moyens suivants : les centres les plus importants étaient protégés par une puissante artillerie anti-aérienne ; puis il y avait les moyens radio-techniques, les émetteurs de brouillage qui devaient permettre, et ont permis en partie, de troubler la radio des avions ennemis.
Les efforts destinés à satisfaire le peuple allemand qui souffrait des bombardements aériens n’étaient-ils pas l’objet de grandes préoccupations de la part du Reichsmarschall ?
Le Reichsmarschall désirait vivement que la population fût informée.
Et il voulait également savoir si la population était satisfaite ?
Satisfaite est bien vite dit. Il ne pouvait qu’assurer le peuple allemand qu’il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour empêcher ces attaques.
Avez-vous vu le Reichsmarschall et Hitler au moment où sont parvenus les rapports sur les bombardements de Varsovie, de Rotterdam et de Coventry ?
Je ne me souviens pas si j’étais présent au moment de l’arrivée de ces rapports.
Vous ne les avez jamais vus réagir d’une manière quelconque devant ces bombardements, je suppose ?
Je sais seulement que Varsovie était une forteresse très fortement occupée par l’Armée polonaise et disposant d’une bonne artillerie. Je sais également que les forts étaient garnis et qu’à deux ou trois reprises Adolf Hitler déclara qu’il fallait faire évacuer la population civile. Cette proposition fut rejetée, on n’évacua que les ambassades étrangères, tandis qu’un parlementaire entrait dans la ville. L’Armée polonaise défendait la ville avec acharnement derrière une succession de forts. Les forts extérieurs avaient également d’importantes garnisons, et de l’intérieur de la ville, l’artillerie lourde était mise en action. C’est à ce moment-là seulement, lorsque l’ultimatum, c’est-à-dire la demande d’Adolf Hitler, fut repoussé, que commença l’attaque
Coventry était-elle une ville fortifiée ?
Coventry n’était pas une forteresse, mais c’était une ville où se trouvait l’industrie clé de l’Aviation ennemie, une ville dans laquelle on construisait des moteurs d’avions, une ville dans laquelle se trouvaient, à ma connaissance, beaucoup d’usines de pièces détachées d’avions. En tout cas, l’Aviation avait reçu l’ordre de ne bombarder que les centres industriels. Si la ville a été touchée, c’est bien compréhensible, avec les moyens de navigation de l’époque.
Vous avez été interrogé en novembre 1945 par le colonel Williams ?
C’est exact.
Et le colonel Williams vous a demandé des renseignements sur certains incidents provoqués en 1939 le long de la frontière polonaise ?
Parfaitement.
Voudriez-vous indiquer au Tribunal ce que vous savez de ces incidents provocateurs ?
Je ne sais rien de positif ; le colonel Williams m’a demandé si j’étais au courant de l’incident qui devait être provoqué à la station d’émission de Gleiwitz ; j’ai répondu que je n’en savais rien. Il apparaissait seulement que les événements de la frontière polonaise présentaient beaucoup d’analogie avec ceux de la frontière tchèque On pouvait peut-être en déduire, ce n’était là qu’une opinion personnelle, que ces incidents étaient voulus, mais je n’ai jamais eu une preuve quelconque du fait que l’on ait préparé quelque chose de notre côté.
N’avez-vous pas, le 6 novembre 1945, fait au colonel Williams la déclaration suivante ?
« J’ai entendu parler de ces incidents, mais j’avais à cette époque l’impression que toutes ces provocations avaient leur origine de notre côté, du côté allemand ; mais comme je l’ai dit, je n’en ai aucune preuve réelle, bien qu’ayant toujours eu cette impression. »
N’avez-vous pas déclaré cela ?
Si.
Et que vous en aviez parlé à certaines personnes, ce qui n’avait fait que renforcer cette impression, est-ce exact ?
Mes souvenirs sont maintenant très imprécis. Je sais seulement que la presse me l’avait laissé supposer.
Ne vous a-t-on pas posé cette question ?
« Ne pensez-vous pas que les comptes rendus de la presse sur ces incidents étaient faux et que ces incidents eux-mêmes étaient simplement créés dans le but de fournir le prétexte à une invasion ? »
Et n’avez-vous pas fait cette réponse ?
« C’était effectivement mon opinion, je ne puis pas le prouver, mais je sais parfaitement que j’avais l’impression que tout avait été mis en scène par nos soins ».
N’avez-vous pas fait cette réponse à la question que je viens de citer ?
Le procès-verbal va nous le montrer. Si cela s’y trouve, c’est que je l’ai dit, mais pour l’instant je ne me souviens pas du texte exact.
Vous ne niez pas le fait, cependant ?
J’en avais le sentiment, mais ce n’était qu’une opinion purement subjective.
Mais c’était votre opinion ?
Oui.
Maintenant je vous demande si vous n’avez pas été interrogé sur les intentions du Führer de déclarer la guerre à la Pologne, et si vous n’avez pas fait cette réponse :
« Messieurs, il est très difficile de répondre à cette question, mais je crois pouvoir dire, sous la foi du serment, que le Führer désirait la guerre contre la Pologne. Je l’ai su par tout son entourage et par les remarques qui étaient faites autour de lui. J’étais présent la nuit où Hitler imposa à Henderson ses conditions au sujet de Dantzig et je pus déduire des entrevues que le Führer avait eues avec l’ambassadeur... j’eus l’impression qu’il ne désirait vraiment pas voir les Polonais accepter ces conditions. »
Avez-vous effectivement fait cette réponse au colonel Williams ?
Je puis répliquer à cela que je n’ai pas assisté à la conférence ; si j’ai fait une telle déclaration, c’est que je ne me suis pas exprimé correctement. Je n’ai pas assisté à l’entretien du Führer avec Henderson, je me trouvais dans les antichambres avec les autres aides de camp et là j’ai pu entendre les conversations de différents groupes. Les uns disaient ceci, les autres disaient cela, et j’en ai déduit que les conditions posées à Henderson pour les Polonais nécessitaient une réponse dans un délai tellement bref, le lendemain à midi, qu’elles cachaient une intention déterminée.
C’est donc là l’impression que vous avez eue en vous trouvant dans l’antichambre et en échangeant des propos avec l’entourage de Hitler, cette nuit-là ?
Il y avait là des aides de camp, le chef de la presse et les personnes qui attendaient dans l’antichambre sans prendre part à la conférence.
Je vais encore vous poser une autre question au sujet de votre interrogatoire, afin de rendre parfaitement clair le sujet qui nous occupe. Ne vous a-t-on pas posé la question suivante :
« Nous pouvons donc résumer votre déposition de ce matin en disant que vous saviez en 1938, plusieurs mois avant l’agression de l’Allemagne contre la Pologne, que Hitler avait la ferme intention d’attaquer ce pays et de mener contre lui une guerre d’agression. Est-ce exact ? »
Et n’avez-vous pas fait cette réponse ?
« Je puis simplement dire avec certitude qu’à partir de la nuit où il déclara à Henderson qu’il voulait Dantzig et le corridor, j’avais acquis la conviction que Hitler avait l’intention de mener une guerre d’agression. »
Vous a-t-on posé cette question et avez-vous fait cette réponse ?
Si cela figure au procès-verbal, c’est que je l’ai dit.
Si cela ne s’y trouvait pas, ce serait néanmoins le sens de votre témoignage actuel ? N’est-ce pas un fait ?
Je peux dire avec précision que la remise des conditions posées par Hitler à Henderson et la brièveté du délai accordé à ce dernier pour y répondre m’ont amené à penser qu’il y avait quelque intention derrière tout ceci. C’est ce que je voudrais exprimer de façon précise à l’instant même.
Je demande que l’on vous montre le document L-79 (USA-27).
Vous avez déjà vu cette pièce, témoin ?
Le colonel Williams m’a communiqué une copie de ce document. Je lui ai dit que, personnellement, je ne me souvenais pas d’avoir été présent Mais si mon nom figure sur le procès-verbal, c’est que j’y ai assisté.
Mais votre nom figure sur le document !
C’est donc que j’y ai assisté. Je ne me souviens pas du thème de cette conférence J’ai dit au colonel Williams à l’époque qu’on en avait certainement parlé, puisque le colonel Schmundt, dont je connais l’écriture - on m’a montré le document — est un homme qui fait ses comptes rendus d’une façon extrêmement consciencieuse.
Et tout cela est de son écriture ?
C’est son écriture autant qu’il me semble.
Et c’est signé du colonel Schmundt ?
Oui, par le lieutenant-colonel Schmundt. Les corrections qui s’y trouvent ne sont pas de sa main.
Mais le corps du document est bien de sa main ?
Oui, il est de sa propre écriture, je la connais.
Et lorsque le colonel Williams vous a interrogé à ce sujet, vous avez pris le temps de le lire, et vous avez dit : « Je crois que les pensées exprimées ici sont exactes ; ce sont bien les pensées que le Führer avait l’habitude de nous exposer en petit comité ». C’est bien ce que vous avez déclaré à ce moment-là ?
Oui, c’est ce que j’ai dit.
Et vous avez dit- « Je ne puis me souvenir si ces choses ont été exprimées ce jour-là, mais il est possible que les pensées exprimées ici soient celles d’Adolf Hitler ». Vous l’avez dit au colonel Williams ?
Oui, c’est ce que j’ai dit au colonel Williams.
C’est tout ce que je désirais vous demander au sujet de ce document.
Je désire maintenant que l’on vous montre le document PS-798, qui a été déposé sous le n° USA-29.
Autant que je sache, le colonel Williams m’a également montré un exemplaire de ce discours du Führer.
Oui, c’est exact, et vous avez dit alors que vous ne vous souveniez pas si vous étiez présent ou pas, mais que les pensées qui y étaient exprimées...
Que les pensées qui y étaient exprimées étaient exactes.
Elles sont exactes ? Bon, cela suffit.
Je dois encore ajouter quelque chose ; j’ai essayé de parler une autre fois au colonel Williams, mais je n’ai pas pu le joindre ; j’étais probablement présent lors de cette conférence.
Bon, nous admettrons maintenant cette déclaration ; il est inutile que vous recherchiez le colonel Williams.
Je demande que l’on vous montre le document n° PS-3471, qui a été déposé sous le n° USA-580.
Est-ce là votre écriture ?
Oui, c’est mon écriture.
Et ce document est signé de vous ?
Oui.
C’est une note sur une conférence du 2 décembre 1936, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Vous avez préparé ce mémorandum pour vos dossiers, est-ce exact ?
Je ne me souviens plus à qui je l’ai donné.
Je vois là : « Mémorandum sur la conversation », est-ce cela ?
Oui, c’est un mémorandum.
Göring n’était-il pas présent à cette conférence ?
Il a dû la présider, oui. Je vois là : « Présent : général Göring ».
Mais le mémorandum précise que c’est lui qui a présidé la conférence ?
Oui.
Étaient également présents : Milch, Kesselring et tous les autres dont le nom figure sur la liste qui se trouve en tête de la note.
Oui.
Et vous avez noté ensuite que Göring... A propos, tous ces personnages n’étaient-ils pas en liaison avec l’Armée allemande ?
Ils appartenaient tous à la Luftwaffe et c’étaient eux qui, à cette époque, en étaient les chefs. Le général Milch s’occupait de l’armement, le Generalleutnant Kesselring était, je crois, chef d’État-Major général ; tous occupaient des postes dirigeants.
Vous dites qu’ils s’occupaient tous de la Luftwaffe ? Et cette réunion se tint le 2 décembre 1936 ? Est-ce exact ?
C’est exact.
Göring ouvrit la conférence en disant ; « La presse du monde entier s’alarme du débarquement de 5.000 volontaires allemands en Espagne. L’Angleterre a protesté ainsi que la France ». Cela doit vous rafraîchir la mémoire. C’est bien ce qui s’est passé ?
Oui.
Ensuite Göring déclara : « La situation générale est très sérieuse » et affirma qu’il en prenait toute la responsabilité ?
Oui, la situation générale était sérieuse. L’Angleterre réarmait intensément et il fallait prendre des mesures sérieuses.
N’a-t-il pas dit ensuite : « Le silence est désirable jusqu’en 1941 ; cependant nous ne pouvons savoir s’il y aura des complications avant. Nous sommes déjà en état de guerre, mais aucun coup de feu n’a encore été tiré ». A-t-il bien dit cela ?
Oui, c’est consigné dans ce procès-verbal.
Et il a également déclaré : « A compter du 1er janvier 1937, toutes les usines devront travailler pour l’Aviation comme si la mobilisation avait été ordonnée »
Oui.
Cela se trouve au procès-verbal ?
Oui, cela figure au procès-verbal.
Vous avez en outre déclaré que Göring n’avait pas eu au préalable connaissance des mesures prises contre les Juifs dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938,
Oui, je le déduisis du fait que le lendemain il était consterné lorsqu’il vint me voir.
Il en a été informé le lendemain ?
Le lendemain, on en parlait dans la presse, dans les journaux.
Vous avez dit qu’il éleva des protestations contre les personnes qui avaient provoqué ces mesures ?
C’est ce qui m’a été rapporté par le capitaine Wiedemann. Le capitaine Wiedemann, qui était interné ici avec moi, m’a dit que Hermann Göring se serait rendu quelques jours après, avec des documents, chez le Führer, pour protester contre ce qui s’était passé.
De qui s’est-il plaint ?
Il ne m’en a pas parlé. Wiedemann m’a seulement rapporté qu’il s’était plaint de Heydrich et de Goebbels.
Je n’ai pas entendu votre réponse.
Wiedemann m’a raconté — je ne l’ai pas appris directement de Hermann Göring — mais Wiedemann m’a raconté qu’il s’était plaint des auteurs de cette affaire, qui auraient été Heydrich et Goebbels.
Heydrich et Goebbels étaient tous deux des hauts fonctionnaires du régime hitlérien ?
Le Dr Goebbels était ministre de la Propagande du Reich et Heydrich était le chef de la Gestapo
Ainsi, dès que Göring eût entendu parler de ces pogroms, il éleva des protestations auprès de Hitler contre le fait que ces mesures avaient été inspirées par de hauts fonctionnaires du régime hitlérien ?
Je ne connais pas les détails de cet entretien ; seul le capitaine Wiedemann pourrait en témoigner.
L’influence qu’exerçait alors Göring tant sur Hitler que sur le pays tout entier avait alors atteint son apogée ?
En effet.
Et si je vous ai bien compris, il réunit immédiatement les Gauleiter ?
Cette réunion des Gauleiter eut lieu quelques semaines plus tard J’en ai seulement entendu parler par l’ancien Gauleiter de Styrie, le Dr Ulberreither, qui se trouve interné ici avec moi et qui y a assisté.
Combien de temps a-t-il attendu avant de procéder à cette réunion ?
Le Dr Ulberreither m’a dit qu’elle avait eu lieu quelques semaines plus tard.
Savez-vous qu’il tint une conférence, le 12 novembre 1938, à son bureau au ministère des Transports aériens ?
Je ne m’en souviens pas.
Et vous souvenez-vous que Heydrich et Goebbels, ainsi que d’autres, étaient présents à cette réunion ? Est-ce là la réunion que vous venez de mentionner ?
Il faudrait peut-être le demander au Dr Ulberreither qui a assisté à la réunion. Il m’a dit qu’en dehors des Gauleiter, Goebbels était présent.
Göring avait-il coutume de faire rédiger des procès-verbaux des conférences qu’il présidait ?
Hermann Göring avait toujours des sténographes qui rédigeaient des procès-verbaux de ces réunions.
Et vous voudriez laisser entendre que Göring a été consterné et révolté par les manifestations antisémites de la nuit du 9 au 10 novembre 1938 ?
Oui, cela n’était pas dans ses idées car, comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, il disait que c’était une grande injustice, une sottise sur le plan économique, et que cela nuirait à notre réputation à l’étranger Le Dr Ulberreither m’a dit que c’est dans ce sens qu’il avait parlé aux Gauleiter.
Avez-vous su que le 12 novembre, deux jours après ces pogroms, Göring promulgua le décret qui condamnait tous les Juifs à une amende d’un milliard de Reichsmark, confisquait leurs primes d’assurances et publiait une ordonnance qui les excluait de la vie économique ? Êtes-vous au courant de ces faits ?
J’en ai entendu parler. Mais je n’avais rien à voir avec l’esprit de ce décret ni avec les mesures prises ; je n’étais qu’un aide de camp militaire.
Ces écrits ont été promulgués deux jours après les pogroms contre lesquels il a élevé des protestations. Est-ce exact ?
Je ne connais pas l’enchaînement des faits.
C’est tout.
Plaise au Tribunal. Il y a encore une question que je désire éclaircir. Vous avez mentionné une réunion qui eut lieu dans le Schleswig-Holstein en juillet ou en août 1939, au cours de laquelle Göring rencontra un certain nombre d’Anglais. La première fois que vous avez parlé de ces Anglais, vous les avez décrits comme étant des membres du Gouvernement et, la seconde fois, vous les avez mentionnés comme des spécialistes des affaires économiques.
Autant que je me souvienne, il s’agissait de dirigeants de l’économie britannique et non de membres du Gouvernement.
Je vous remercie. Serait-il exact de dire que c’étaient des hommes d’affaires et de gros industriels qui n’avaient aucune relation avec le Gouvernement ?
Je ne sais pas quelle influence avaient ces personnages ; en tout cas, Hermann Göring déclara à la fin qu’ils devaient faire valoir leur influence en faveur de la paix auprès des autorités compétentes en Angleterre.
Pensez-vous que cette conférence entre Göring et ces personnages ait eu lieu à l’instigation de Dahlerus ?
On suppose que Dahlerus a été l’auteur de ce rapprochement, mais je n’y ai pensé qu’après un entretien avec le Dr Stahmer qui m’en a déjà parlé Le Dr Stahmer m’a dit qu’il savait que M. Dahlerus avait prié ces messieurs de venir en Allemagne et c’est à la suite de ce renseignement que j’ai formulé cette hypothèse.
Pensez-vous que Dahlerus ait eu pour but, en provoquant cette rencontre de personnalités allemandes et anglaises, de leur faire confronter leurs pointa de vue respectifs ?
Après cette entrevue, M Dahlerus était retourné à Berlin ; c’est là que je l’ai rencontré et je tirai des conversations que nous avons eues l’impression qu’il désirait vivement le maintien de la paix entre l’Angleterre et l’Allemagne. J’ai également eu l’impression qu’avec l’aide du maréchal Göring il essayait d’établir des relations avec les milieux influents anglais.
Une dernière question ; savez-vous qu’au cours des négociations relatives à cette rencontre et au cours de la rencontre elle-même, Dahlerus soutint auprès de Göring le point de vue britannique et s’efforça en particulier de lui faire comprendre que devant la politique agressive poursuivie par le Gouvernement allemand, les Anglais perdraient peu à peu patience.
Je ne me souviens pas d’avoir discuté avec Dahlerus sur le sujet que vous venez de mentionner.
Avez-vous d’autres questions à poser ?
Non.
Je n’ai qu’une question à poser au témoin. (Au témoin.) Dans le procès-verbal du 2 décembre 1936 qu’on vous a montré tout à l’heure et que vous avez devant vous, il y a un paragraphe qui n’a pas été lu entièrement et que j’estime essentiel pour l’explication des buts et du sens de cette entrevue. Il y est dit :
« La situation générale est très sérieuse. La Russie veut la guerre, l’Angleterre arme considérablement. Donc, ordre : A partir d’aujourd’hui, se tenir prêt à toute éventualité sans égards aux difficultés financières. Le général en prend la pleine responsabilité. »
Est-ce que cet ordre : « A partir d’aujourd’hui, se tenir prêt à toute éventualité », a été donné uniquement parce que la Russie, comme on le dit ici, désirait la guerre et parce que l’Angleterre armait fortement ? En était-ce là le motif ?
Que voulez-vous dire ?
Était-ce la gravité de la situation générale qui avait motivé cet ordre : « A partir d’aujourd’hui, se tenir prêt à toute éventualité » ?
Cet ordre n’impliquait nullement une intention agressive mais constituait une mesure défensive.
Voudriez-vous répéter ?
Cela n’impliquait pas une intention agressive, mais constituait, à mon avis, une mesure défensive.
Quand nous lisons ici : « Le général en prend la pleine responsabilité », cela se rapporte-t-il aux mots : « sans égards aux difficultés financières » ?
Cela se réfère aux difficultés financières, car le Reichsmarschall avait à ce sujet de fréquentes difficultés avec le ministre des Finances, étant donné que la Luftwaffe avait légèrement dépassé son budget.
Merci, je n’ai plus de questions à poser.
Le témoin peut se retirer.
Le témoin que j’aimerais faire comparaître maintenant est le Feldmarschall Milch.
Quel est votre nom ?
Erhard Milch.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez.
Témoin, avez-vous participé à la Première Guerre mondiale ?
Oui.
En quelle qualité ?
J’ai d’abord été officier d’artillerie ; à la fin de la guerre, j’étais capitaine d’aviation.
Quand avez-vous quitté l’Armée à la fin de la première guerre mondiale ?
Au printemps 1920.
Quelles ont alors été vos occupations ?
Je me suis occupé d’aviation civile.
Quand avez-vous repris vos fonctions dans la Wehrmacht ?
En 1933.
Immédiatement dans l’Aviation ?
Oui.
Quel poste occupiez-vous au début de la Seconde Guerre mondiale ?
J’étais Generaloberst et inspecteur général de la Luftwaffe.
A quel moment commença le réarmement de la Luftwaffe ?
En 1935
Dans quelle mesure ?
On mit sur pied une armée aérienne à caractère défensif.
Pouvez-vous donner des indications précises à ce sujet ?
L’Allemagne avait, en 1933, quitté la Société des Nations et par le fait même la Conférence de Désarmement. Hitler avait essayé de continuer ses pourparlers de désarmement avec différents pays. Devant leur échec, l’Allemagne commença à réarmer et on se demanda si les autres pays approuveraient ou non cette attitude. L’Allemagne estima donc qu’il lui était absolument nécessaire également d’assurer sa force militaire dans les airs et qu’il lui fallait créer une armée aérienne suffisante pour la défense de son territoire. Cette idée de défense se traduisit par le fait que les premières fabrications portèrent sur des chasseurs et des pièces de DCA. De même, l’organisation de l’Aviation allemande était basée sur un système défensif qui "consistait en quatre régions aériennes que l’on peut imaginer en traçant une croix sur la carte de l’Allemagne : les régions nord-est, sud-est, nord-ouest et sud-ouest. La Luftwaffe, ainsi organisée, n’avait en rien la puissance nécessaire pour mener une guerre d’agression ni une guerre de grande envergure. A côté des chasseurs, on construisit également des bombardiers, mais ces formations n’étaient désignées chez nous que sous le nom de « Risiko-Luftwaffe », ce qui signifiait que leur rôle était d’empêcher, dans la mesure du possible, qu’un voisin de l’Allemagne ne lui fît la guerre.
Quelles furent les relations de la Luftwaffe avec les Aviations étrangères, à partir de 1935 ?
Dans les années qui suivirent immédiatement 1935, l’Allemagne n’avait pas d’Aviation à proprement parler ; seules les premières unités et les premières grandes écoles venaient d’être créées et c’est à cette époque que l’industrie de l’Aviation se développa. Avant le réarmement, cette industrie était insignifiante. J’ai appris par hasard que l’industrie aérienne, au moment de la prise du pouvoir, occupait de 3 000 à 3.300 personnes — constructeurs, commerçants, techniciens et ouvriers.
Les premiers contacts avec les étrangers dans le domaine de l’Aviation ont eu lieu en 1937, lorsqu’au mois de janvier de cette année une commission britannique, dirigée par le vice-maréchal de l’Air Courtney, chef du service de renseignements de l’Aviation britannique, accompagné de trois officiers supérieurs, se rendit en Allemagne. J’ai moi-même reçu cette commission et lui ai servi de guide pendant tout son séjour. Nous nous sommes conformés à tous les désirs que ces messieurs ont pu formuler sur ce qu’ils voulaient voir. C’est ainsi que furent constituées les premières unités et particulièrement notre unité d’instruction, où les nouveaux modèles étaient essayés ; nous leur avons aussi- montré notre industrie, nos écoles, et tout ce qu’ils désiraient voir A l’issue de nos entrevues, le vice-maréchal anglais proposa l’organisation d’un échange de plans entre l’Angleterre et l’Allemagne, J’ai demandé l’approbation de mon Commandant en chef et je l’ai obtenue. Nous avons, à cette époque, communiqué à l’Angleterre les projets de l’Aviation allemande pour 1937, 1938 et, je crois, 1939 ; de leur côté, les Anglais nous ont aussi donné les données numériques correspondantes. Nous convînmes que tout changement dans l’organisation des plans et toute construction de nouveaux modèles feraient l’objet d’un nouvel échange de documents. Cette visite s’est déroulée sous le signe de la camaraderie et a servi de point de départ pour des contacts ultérieurs.
Au mois de mai de cette même année 1937, j’ai été, en qualité de représentant de mon Commandant en chef, invité en Belgique avec plusieurs autres personnes, dans le but d’y rendre visite à l’Aviation belge. Puis en juillet...
Pouvez-vous me donner des renseignements plus détaillés au sujet de cette visite en Belgique ?
On nous avait réservé un accueil très cordial. Je fis la connaissance du ministre de la Guerre, du ministre des Affaires étrangères et du président du conseil des ministres de Sa Majesté le roi, sans compter les officiers de l’Armée de l’air qui m’intéressaient au premier chef. Des deux côtés, le ton de la discussion fut très amical et les Belges affirmèrent leurs sentiments d’amitié envers l’Allemagne.
Y eut-il, là aussi, des échanges de documents ?
Non ; ici les échanges ne se sont pas faits de la même façon : ce n’est qu’ultérieurement que nous avons montré aux Belges notre Aviation, lorsque le général Duvier, chef de leur Armée de l’air, nous rendit notre visite.
Il y eut ensuite, au mois de juillet 1937, une grande réunion internationale, au cours -du meeting international d’Aviation de Zurich qui se tenait alors tous les cinq ans. Au cours de ce meeting, nous avons intentionnellement exposé nos derniers modèles de chasseurs, de bombardiers, de bombardiers en piqué, ainsi que les nouveaux moteurs que nous venions de sortir et tout ce qui pouvait avoir un intérêt d’ordre international- En dehors des Allemands, il y avait d’importantes délégations ; française, italienne, tchèque, belge. Une commission d’officiers britanniques était également venue pour voir notre matériel, sans prendre part aux épreuves en tant que représentants de la Grande-Bretagne. Nous avons, dans le plus large esprit de camaraderie, montré notre matériel aux Français, aux Anglais et aux représentants des autres nations. Il y avait par exemple le chasseur Messerschmidt 109, celui dont on s’est servi jusqu’à la fin de la guerre avec quelques améliorations. Il y avait les derniers bombardiers Donner, le dernier Stuka de chez Junkers ainsi que les moteurs Daimler-Benz 600 et 601 et les moteurs Junkers.
Docteur Stahmer, je ne crois pas que tout ce luxe de détails nous intéresse vraiment.
Témoin, faites-nous grâce de détails, soyez bref.
Puis en octobre 1937, nous fûmes invités en France, par le Gouvernement français, à rendre visite à l’Armée de l’air. On peut dire de cette visite qu’elle s’est déroulée dans une atmosphère de réelle camaraderie. Peu de temps après, environ une semaine plus tard, nous fûmes invités par l’Angleterre à lui rendre la visite du maréchal Courtney. Là encore, on nous montra des usines, diverses organisations, des écoles, et l’Académie de guerre. De même, en ce qui concerne l’industrie, on nous montra les « Shadow factories », c’est-à-dire des usines qui, en temps de paix, fabriquent des produits ordinaires pour passer, en temps de guerre, à la construction des avions et des moteurs d’avions. Il y eut aussi un échange de visites avec la Suède.
Je crois que je peux m’en tenir là.
Avez-vous participé à une entrevue qui eut lieu chez le Führer le 23 mai 1939 ?
Oui.
A quel titre ?
J’ai brusquement reçu l’ordre de m’y rendre, le matin même, parce que le Reichsmarschall était absent.
Vous souvenez-vous des détails de cette entrevue ?
Le Führer fit un long discours devant les trois Commandants en chef des Armées de terre, de mer et de l’air, ainsi que leurs chefs d’État-Major. Quelques autres personnes étaient également présentes. L’essentiel de la déclaration de Hitler tenait dans sa résolution d’établir un couloir vers la Prusse orientale à travers le corridor polonais. C’est ainsi qu’il a parlé des complications éventuelles qui pourraient en découler à l’Ouest. Il s’agissait uniquement d’un discours, non pas d’une conférence ou d’une discussion.
A-t-on parlé d’autre chose encore ou a-t-il fait d’autres déclarations. Vous souvenez-vous d’autres détails ?
Oui. Il se demandait si les puissances occidentales, et il pensait sans doute surtout à la France, resteraient sur la réserve ou interviendraient.
A-t-il parlé de la possibilité d’une agression contre la Pologne ? Ou, si je me souviens bien, n’a-t-il fait que parler de la solution du problème du Corridor ?
J’ai compris qu’il désirait résoudre ce problème à tout prix : il pensait débuter par des négociations, mais au cas où elles auraient échoué, une solution militaire pouvait être envisagée.
Y a-t-il eu des commentaires ou des discussions sur ce sujet ?
Non, ceux qui avaient assisté à cette déclaration reçurent l’ordre formel de ne faire aucun commentaire, même entre eux. On m’interdit par exemple d’en informer le Reichsmarschall qui était absent. Hitler déclara qu’il s’en chargerait lui-même. Je me souviens que c’est à ce moment-là que fut donné ce fameux ordre intitulé « ordre n° am08011946 zl du Führer », que nous devions afficher dans tous nos bureaux et dont il a déjà été fait mention. Cet ordre stipulait que personne ne devait dire à quiconque ce que celui-ci n’avait pas besoin de savoir, qu’il ne fallait rien dire plus tôt qu’il n’était nécessaire et qu’on ne devait pas dire à quiconque plus qu’il n’en devait savoir.
Alors, vous n’avez pas instruit le Reichsmarschall de ces faits ?
Non, cela m’avait été interdit.
Quand a-t-il été mis au courant ?
Je l’ignore.
Que pensait le maréchal Göring de la guerre ?
J’avais toujours eu l’impression, et ceci est devenu patent lors de l’occupation de la Rhénanie, qu’il craignait que la politique de Hitler ne conduisît à la guerre A mon avis, il était opposé à la guerre.
Quand avez-vous découvert pour la première fois que Hitler avait projeté une expédition contre la Russie ?
C’était, autant que je m’en souvienne, au printemps 1941. Puis-je me reprendre encore une fois ? Il faut que je vérifie. Le 13 janvier, le Reichsmarschall me dit que Hitler s’attendait à une attaque russe contre l’Allemagne Je n’en ai plus entendu parler pendant un certain temps et le Reichsmarschall ne m’a pas fait part de son opinion ; en tout cas, dans les semaines et les mois qui suivirent, je n’ai rien appris de plus. Il faut dire d’ailleurs qu’à cette époque j’étais très peu à Berlin et ne suis pas allé du tout au Quartier Général car j’étais alors en tournée d’inspection. Quand je revins, je ne sais plus si c’est en mars ou en avril, un de mes subordonnés me fit à l’occasion d’une question vestimentaire, un rapport dans lequel il me demandait s’il fallait prévoir des équipements d’hiver au cas d’une guerre contre la Russie Cette question me surprit beaucoup On ne m’avait prévenu de rien Je me suis contenté de lui répondre que si une guerre avec la Russie éclatait, nous aurions besoin de vêtements pour plusieurs hivers et je lui ai précisé le genre d’équipement qu’il fallait, à mon avis, adopter.
Avez-vous eu un second entretien avec le maréchal Göring au sujet de cette guerre ?
Oui.
Quand ?
Le 22 mai, revenant d’une de mes randonnées, j’entrai à nouveau en contact avec le Commandant en chef. C’était à Veldenstein où Göring vivait à cette époque. Là, je lui parlai de cette question et je lui dis, qu’à mon avis, c’était pour lui un devoir historique que d’éviter cette guerre, car elle ne pourrait se terminer que par l’anéantissement de l’Allemagne. Je lui rappelai que nous ne pouvions pas délibérément nous engager dans une guerre sur deux fronts. Le Reichsmarschall me répondit qu’il avait déjà utilisé tous ces arguments mais qu’il était tout à fait impossible de dissuader Hitler. Il considéra comme sans espoir mon offre d’essayer de parler encore une fois à Hitler. Il n’y avait, disait-il, rien à faire. Il ressortait clairement de ces paroles qu’il était contre cette guerre et qu’il ne la désirait nullement, mais qu’il lui était impossible, dans sa situation, de dissuader Hitler de son projet.
Ressortait-il de ses paroles qu’il avait exposé ses objections à Hitler ?
Oui, il me parut évident qu’il avait également soulevé devant Hitler la question d’une guerre sur deux fronts et lui avait exposé les arguments que j’avais moi-même fait valoir. Mais il me dit qu’il n’y avait pas d’espoir. Je voudrais encore ajouter quelques mots au sujet de ce 23 mai. Après cette entrevue, considérant que l’Aviation allemande n’avait que très peu de réserves de bombes disponibles, j’ai fait une demande pour que l’on en fabriquât. Auparavant, Hitler avait considéré que cette suggestion était inutile et superflue. Le problème de la pénurie de fer se posait. Donc, après cette entrevue, et sous l’impression que des difficultés pouvaient survenir, j’ai attiré l’attention du Führer sur le fait que l’Aviation ne serait pas en mesure de faire intervenir ses bombardiers. Hitler refusa de nouveau ma demande après le 23 mai, en disant qu’il me ferait savoir en temps utile si nous avions besoin de bombes. Lorsque nous avons attiré son attention sur le fait que la fabrication des bombes demanderait plusieurs semaines, plusieurs mois, il déclara que nous disposerions pour cela de tout le temps voulu. J’en ai déduit, car je n’avais le droit d’en parler à personne, que les paroles prononcées par Hitler le 23 mai n’étaient pas aussi sérieuses qu’elles m’étaient apparues tout d’abord.
Quand avez-vous eu ce dernier entretien au cours duquel Hitler refusa de faire fabriquer des bombes ?
Ces faits se passaient à peu près... j’en ai parlé au mois de mai, au moment où nous avons pris conscience de la situation. Ultérieurement, à la fin de l’été, j’ai de nouveau attiré son attention là-dessus, là encore sans succès. L’ordre de fabriquer des bombes n’a été donné par Hitler, malgré nos efforts pour signaler cette lacune, que le 12 octobre 1939. Hitler a dit, autant que je m’en souvienne : « Mes tentatives en vue de maintenir la paix avec l’Ouest après la campagne de Pologne ont échoué. La guerre continue. Maintenant, nous pouvons et nous devons fabriquer des bombes.
Hitler ne vous a-t-il jamais déclare qu’il était fermement résolu à vivre en paix avec les puissances occidentales ?
Oui. Je ne suis pas entré dans le détail de mes visites. Lorsque je suis revenu de France, j’ai passé deux heures chez Hitler à l’Obersalzberg, pour lui faire mon rapport sur ma visite en France. De même, après ma visite en Angleterre, environ 15 jours plus tard, j’ai fait à Hitler un rapport de plusieurs heures qui l’a beaucoup intéressé. Après ce second exposé, c’est-à-dire après la visite en Angleterre, il a déclaré : « Je conduirai ma politique comme bon me semblera, mais vous pouvez tous être assurés que je m’appuierai toujours sur l’Angleterre. J’essaierai toujours de collaborer avec elle ». Cet entretien a eu lieu le 2 novembre.
En quelle année ?
Le 2 novembre 1937
Vous avez parlé de deux entrevues.
Oui, la première eut lieu après ma visite en France et la seconde après ma visite en Grande-Bretagne. Hitler, qui ne connaissait pas l’étranger, était très heureux d’avoir d’un soldat des renseignements sur l’accueil, la physionomie, l’armement des nations étrangères.
Quels étaient les rapports du maréchal Göring et de Himmler ?
Cela n’a pas toujours été très clair pour moi. J’avais l’impression qu’il y avait chez Himmler un sentiment de rivalité. Cependant leurs rapports étaient très corrects et très courtois en apparence Ce qu’ils étaient en réalité, je ne puis le dire.
Au mois de mai 1942, un échange de lettres eut lieu entre vous-même et le SS-Obergruppenführer Wolff.
Oui.
A propos d’expériences médicales sur les internés du camp de Dachau. Pouvez-vous nous donner des renseignements à ce sujet ?
On m’a déjà interrogé ici, à Nuremberg, au sujet de ces questions et les détails dont je ne me souvenais pas m’ont été remis en mémoire par deux lettres, une lettre de Wolff qui était aide de camp de Himmler, et une seconde lettre de Himmler qui m’a été adressée ainsi que la réponse que j’y ai faite. Il s’agit d’expériences de refroidissement et de chambres à basse pression. Ces lettres m’ont été adressées pour la seule raison que Himmler ignorait la filière administrative de la Luftwaffe Elles furent transmises à l’inspection sanitaire, qui ne dépendait pas de moi, et qui rédigea une réponse et la soumit également à mon examen. Je l’ai modifiée quelque peu et l’ai expédiée. Je n’ai pas lu le rapport envoyé à ce sujet par Himmler Il avait également offert un film ; je ne l’ai pas vu. L’inspecteur du service de santé auquel j’ai demandé de quoi il s’agissait m’a déclaré que la Luftwaffe connaissait parfaitement les deux problèmes et que les expériences dans les chambres d’altitude avaient été pratiquées par de jeunes médecins qui s’étaient déclarés volontaires. De même, les expériences sur le refroidissement ne présentaient aucun intérêt pour la Luftwaffe Nous nous sommes tous deux mis d’accord pour déclarer que nous ne voulions pas nous occuper de cette affaire. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait. Il me répondit que c’étaient des criminels qui étaient soumis à ces expériences. Je lui ai demandé de quelle façon. Il m’a répondu : « De la même manière que les jeunes médecins qui s’y étaient soumis d’eux-mêmes ». Nous avons alors écrit une lettre sur un ton très poli, comme il se devait, lorsqu’on s’adressait à ces services, mais qui était un refus total. Nous ne voulions pas être mêlés à cette affaire. Dans la lettre de Himmler, j’avais été prié d’exposer l’affaire au Reichsmarschall. J’avais l’impression que, par ces expériences, les SS voulaient faire du zèle devant Hitler. Ce sont aussi les termes dans lesquels le chef du service de santé s’est exprimé.
Au cours d’un entretien plus important avec le Reichsmarschall sur des questions tout à fait différentes, j’ai brièvement fait allusion à cette affaire, car je pouvais m’attendre à ce que Hitler lui en parlât lui-même un jour et qu’il ne fût au courant de rien. Le Reichsmarschall m’a demandé, lorsque] je lui ai parlé de ces expériences : « Qu’est-ce que cela veut dire ? », et je lui ai donné la réponse que l’inspecteur du service de santé m’avait faite. Je lui ai dit que nous ne voulions pas nous en mêler et que nous les désapprouvions. Il m’a déclaré qu’il était du même avis, mais m’a conseillé d’être très prudent, de ne pas provoquer ni de malmener le SD. Je ne sais pas ce dont il s’est agi lors de ces expériences. Je ne sais pas ce qu’on a fait de ces hommes. Je ne me l’explique pas encore.
Le Reichsmarschall le savait-il ?
Non, certainement pas.
Le Dr Rascher a-t-il quitté votre service peu de temps après pour se rendre aux SS ?
Je ne peux pas le dire ; je ne connais pas le Dr Rascher et je n’avais rien à voir avec cette question de mutation. Rascher n’était pas sous mes ordres, pas plus que le chef du service de santé ou le service du personnel.
Savez-vous si le maréchal Göring a donné aux troupes qui étaient sous son commandement l’ordre d’anéantir les troupes de sabotage ou de déférer sans jugement au SD les aviateurs terroristes ennemis qui étaient faits prisonniers ?
Non, je n’ai jamais rien su à ce sujet.
N’avez-vous jamais entendu parler de rien dans ce sens ?
Non.
Quelle était en général l’attitude du Reichsmarschall vis-à-vis de ces aviateurs prisonniers ?
J’ai eu autrefois l’occasion de m’entretenir fréquemment de ce sujet avec le Reichsmarschall.
Je voudrais présenter une objection. Je crois que nous avons été très larges en autorisant toutes ces déclarations, mais ceci me semble dépasser le cadre des moyens de preuve acceptables Ce témoin a déclaré qu’il n’avait aucune connaissance du sujet, qu’il ne connaissait pas les ordres déposés comme preuves et il prétend expliquer l’attitude du Reichsmarschall. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il fasse des déclarations sur des faits qui pourraient apprendre à ce Tribunal l’attitude du Reichsmarschall, mais j’estime que le fait pour un témoin d’exprimer l’état d’esprit d’une autre personne, dépasse vraiment les limites de ce que nous pouvons considérer ici comme moyens de preuves. Cela ne nous aide aucunement à résoudre les problèmes qui se posent à nous et, avec tout le respect que je dois au Tribunal, je proteste contre cette question et la réponse qui peut y être donnée, en raison du fait qu’elle ne constitue pas une preuve recevable.
Docteur Stahmer, je crois que vous devez limiter vos questions à des faits à des observations touchant directement l’accusé Göring Puisque le témoin vient de dire qu’il n’a jamais entendu parler d’activités dirigées contre les aviateurs terroristes, je ne vois pas comment il peut déposer sur l’attitude de l’accusé Göring sur ce point.
Monsieur le Président, je formulerai donc ma question de cette manière le maréchal Göring a-t-il parlé avec le témoin du traitement réservé aux aviateurs ennemis abattus ?
Non.
C’est bien là un fait, à mon avis ?
Il ne m’en a jamais parlé.
J’ai encore une question à poser. Vous a-t-il dit qu’il désavouait toute cruauté dans le traitement de l’ennemi ?
Je voulais justement en parler à l’instant. 11 me l’a dit avant la guerre, alors que nous évoquions la première guerre mondiale.
Qu’en a-t-il dit ?
Qu’une fois abattus, ils étaient pour nous des camarades. Tel a été le sens général de ses paroles.
Je n’ai pas d’autres questions à poser à ce témoin. Je le mets à la disposition de la Défense et du Ministère Public.
Quelqu’un d’autre désire-t-il interroger le témoin ?
Témoin, comme vous le savez, le Ministère Public a déclaré criminel un certain groupe de personnes composé des plus hauts chefs militaires. Ce groupe vous le connaissez ?
Oui.
Existait-il auparavant dans la Wehrmacht un groupement analogue de services de ce genre ?
Je n’ai pas compris la question.
Existait-il auparavant, au sein de la Wehrmacht, un groupement de services analogue à celui qui vient d’être constitué ?
Oui, je crois que tant qu’il existera une armée, il y aura toujours un groupe de chefs de haut rang, placés sous l’autorité de leur Commandant en chef.
Les responsables de ces services s’occupaient-ils de l’élaboration des problèmes techniques militaires sur l’ordre de Hitler ou bien étudiaient-ils des thèmes de leur propre initiative pour en confier l’exécution à Hitler ?
Non, les chefs militaires n’ont agi que sur les ordres de leurs supérieurs, c’est-à-dire les généraux de la Luftwaffe, sur un ordre du Commandant en chef de la Luftwaffe qui, lui, recevait ses ordres du Commandant en chef de l’Armée qui était Hitler et, auparavant, Hindenburg.
Savez-vous si ce prétendu groupe de l’OKW et de l’État-Major général, tel qu’il vient d’être constitué, a jamais été réuni ?
Avant l’attaque contre la Pologne, seuls furent réunis par Hitler les chefs de l’Armée et de la Marine engagés dans cette région ; de même furent réunis au printemps 1940, avant l’attaque à l’Ouest, les commandants intéressés. A ma connaissance, il en fut de même avant l’attaque contre la Russie.
Avez-vous parfois assisté à de telles conférences ?
A quelques-unes, oui.
Pouvez-vous nous dire comment se déroulait un de ces entretiens ? Il y a en particulier un point auquel j’attache beaucoup d’importance : les chefs militaires supérieurs avaient-ils la possibilité de faire des contre-propositions ?
Je me souviens de la conférence qui eut lieu avant la campagne de Pologne, à l’Obersalzberg, chez Hitler. C’était le 22 août. Les Commandants en chef des trois armes étaient présents ainsi que les commandants d’armées. Hitler se tenait devant, derrière un grand pupitre ; les généraux étaient assis sur des chaises. Comme à l’habitude, il expliqua ses motifs, exposa la situation politique et fit part de ses intentions. Au cours de cette conférence, il fut tout à fait impossible aux généraux de riposter ou de discuter. Je ne peux pas dire s’il y eut d’autres conférences portant sur des détails ; je ne connais que l’allocution de Hitler.
Au moment de l’attaque contre la Russie, on procéda autrement : nous étions réunis autour d’une grande table et les commandants de groupes d’armées et d’armées devaient exposer leurs projets sur la carte et indiquer la méthode qu’ils comptaient employer pour exécuter les ordres reçus. Sur quoi Hitler donnait d’une manière générale son assentiment ou bien, dans certains cas, indiquait qu’il préférait que l’on renforçât telle ou telle position. Cependant, ses objections étaient très peu nombreuses.
Ces conférences avaient donc davantage le caractère d’une transmission d’ordres ?
Parfaitement.
Pouvez-vous me dire si un membre quelconque de l’Etat-Major général ou du groupe dit État-Major et OKW fît jamais une proposition contraire au Droit international en vigueur ?
Pas que je sache.
Savez-vous si les membres de ce prétendu groupe rencontraient fréquemment des hommes politiques ou des membres influents du Parti ?
A mon avis, non, en ce qui concerne la majorité d’entre eux ; mais il va sans dire que les chefs des différentes armes de la Wehrmacht ou le chef de l’OKW ont dû avoir de fréquents entretiens avec des hommes politiques. Mais, en règle générale, les commandants de groupes d’armées, d’escadres ou d’armées n’en avaient pas l’occasion.
Les membres de ce prétendu groupe, qu’ils appartinssent à l’Armée de terre, à la Luftwaffe ou à la Marine, avaient-ils des discussions entre eux ?
Quand ils avaient à collaborer à une tâche commune, telle que celle qui existait entre le Commandant en chef d’une armée ou d’un groupe d’armées avec un commandant d’escadre, il y avait toujours un échange de vues. Mais les relations entre chefs voisins étaient plus lâches et elles n’existaient pas du tout entre chefs plus éloignés.
Ces entrevues avaient donc lieu uniquement en vue de mener à bien l’exécution d’une tâche commune ?
Oui, uniquement dans ce but.
Au sein de la Luftwaffe, ce groupe comprenait des officiers qui avaient rempli pendant un certain temps la fonction de chef de l’État-Major de l’Air, ou de Commandant en chef de la Luftwaffe ou de commandant d’escadre ? J’ai ici la liste de ces généraux de l’Armée de l’air qui appartenaient à ce groupe et je voudrais vous demander, à propos de quelques-uns d’entre eux, quels étaient leurs grades et leurs fonctions au début de la guerre. Quel était, au moment de la déclaration de guerre, le grade du général Korten ?
Je crois, sans toutefois pouvoir l’affirmer, qu’il était colonel ou lieutenant-colonel.
Savez-vous quelles fonctions il occupait ?
Je crois qu’il était chef de l’État-Major de l’escadre aérienne de Munich.
D’août 1944 jusqu’en octobre 1944, le général Kreipe a été chef d’Etat-Major de la Luftwaffe. Quel était son grade au moment de la déclaration de guerre ?
Je crois qu’il était commandant ou lieutenant-colonel.
Savez-vous quelles fonctions il occupait ?
Non, je ne peux le dire exactement. Je crois qu’il était chef d’État-Major d’un corps aérien.
Et quel grade pouvait-il avoir comme chef d’État-Major d’un corps aérien ?
De commandant à colonel, suivant le cas.
Le général Koller fut, lui aussi, pendant très peu de temps, chef d’État-Major de la Luftwaffe. Quel était son grade au début de la guerre ?
Je crois qu’il était lieutenant-colonel.
J’ai encore quelques noms. Savez-vous quelles fonctions occupait le général Dessloch au moment de la déclaration de la guerre et quel était son grade ?
Je ne m’en souviens pas exactement : peut-être colonel ou Generalmajor.
Et le général Pflugbeil ?
Également.
Et le général Seidel ?
Je crois que Seidel était déjà général au moment de la déclaration de guerre.
Et quelles fonctions occupait-il alors ?
Il était Generalquartiermeister à l’État-Major.
Quel était son rang par rapport à un Commandant en chef, à un commandant de division ?
Cela correspondait environ au rang de commandant de corps.
J’ai encore quelques questions à poser sur la Luftwaffe et ses chefs suprêmes. Il ressort de votre déclaration, qu’en 1939 la Luftwaffe n’était pas parfaitement prête pour la guerre ? Pouvez-vous indiquer les raisons de ce manque de préparation de la Luftwaffe ?
De 1935 à 1939, en si peu d’années — j’ai déjà mentionné les chiffres de l’industrie — il était impossible à n’importe quel soldat dans n’importe quel pays de mettre sur pied une force aérienne capable de faire face aux difficultés qu’elle devait affronter à partir de 1939. C’eût été impossible : impossible de mettre sur pied les unités, de créer les écoles et de les doter du personnel instructeur nécessaire, impossible de faire les mises au point nécessaire sur les avions, puis de les construire en série. Il était également impossible, en un laps de temps si court, de former et d’entraîner des équipages suffisamment qualifiés pour s’adapter à la technique poussée de la navigation aérienne moderne. Impossible également d’obtenir en si peu de temps le personnel au sol qui est si important au point de vue technique et de le mettre à la disposition de l’Armée et de l’industrie aériennes. De même...
Plus lentement, je vous prie.
Le témoin nous a déclaré que c’était impossible. Il est inutile d’entrer dans les détails.
Je n’ai plus que quelques questions à poser. La Luftwaffe pensait-elle rencontrer une résistance lors de l’invasion de l’Autriche ?
Non, nous savions pertinemment qu’il n’y aurait pas de résistance et nous n’avions pas emmené d’armes.
Quel accueil vous y a-t-on fait ?
Plus cordial qu’il n’aurait pu l’être dans notre propre pays.
Avez-vous, en tant que Feldmarschall, été prévenu du projet de déclaration de guerre à l’Amérique ?
Non.
Dans ce Procès, on porte de graves accusations contre des soldats allemands et leurs chefs pour des atrocités qu’ils auraient commises. Chaque soldat n’a-t-il pas été suffisamment instruit des règles du Droit international ?
Si, chaque soldat avait un livre de solde. A la première page de ce livre de solde, étaient collés les dix commandements du soldat, qui traitaient de toutes ces questions.
Pouvez-vous me donner des exemples des commandements figurant sur ce feuillet ?
Oui, par exemple, qu’un prisonnier ne devait pas être abattu, que le pillage était interdit J’ai d’ailleurs mon livre de solde sur moi... Traitement des prisonniers, Croix-Rouge, inviolabilité de la population civile, attitude du soldat fait prisonnier et, en conclusion, menace de sanctions en cas de désobéissance.
Lorsqu’on apprenait que des soldats s’étaient livrés à des excès et à des violences contre les populations civiles, les chefs compétents intervenaient-ils, à votre connaissance, avec la rigueur nécessaire ?
Oui, je connais des cas, j’ai eu connaissance de cas où la peine de mort a été infligée.
Les chefs s’efforçaient donc, en toute occurrence, de maintenir la discipline des troupes ?
Oui. Je peux en citer un exemple marquant : un général d’Aviation s’était approprié un bijou qui appartenait à une étrangère. Il a été condamné à mort et exécuté. C’était, je crois, en 1943 ou 1944.
Témoin, à l’époque critique de 1939, vous aviez avec l’accusé Göring des rapports de service étroits. Avez-vous eu connaissance, par lui, d’un vaste plan pour le déclenchement d’une guerre de grande envergure ?
Non.
A votre avis, les autres grands chefs militaires en ont-ils entendu ou pu en entendre parler ?
Non Toutes les mesures prises par Hitler, à partir de l’occupation de la Rhénanie, le furent très brusquement, en général, après quelques heures de préparatifs Ce fut le cas notamment pour l’Autriche, la Tchécoslovaquie et pour Prague, Nous ne fûmes avertis qu’une seule fois à l’avance, à propos de l’affaire de Pologne, dont j’ai déjà parlé et pour laquelle il y eut une conférence le 23 mai.
Dans tous les autres cas, ce fut donc une surprise pour les chefs militaires ?
Une surprise complète.
J’ai une dernière question à vous poser. Quelles étaient, pendant la guerre, les possibilités de démission des grands chefs militaires ?
Ce point a déjà été soulevé à plusieurs reprises. J’en ai fait moi-même l’expérience ; il était interdit de faire une offre de démission. On nous avait déclaré que si quelqu’un avait une raison pour partir, il en serait informé par ses supérieurs, et que, dans un État autoritaire, le subordonné, le citoyen, n’avait pas le droit de démissionner de sa propre initiative, qu’il fût militaire ou civil.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
L’audience est suspendue jusqu’à lundi matin.