SOIXANTE-DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 11 mars 1946.
Audience du matin.
Docteur Laternser, aviez-vous terminé votre interrogatoire ?
Il ne me reste que quelques questions à poser au témoin.
Témoin, je voudrais revenir très rapidement sur la question de la préparation de l’Aviation allemande à la guerre en 1939 ; je voudrais vous demander si la collaboration de la Lüftwaffe avec l’OKW, l’Armée de terre et la Marine était assurée en 1939.
A mon avis, la Lüftwaffe, en 1939, n’était pas préparée à une guerre d’envergure. Il n’y avait aucun accord avec les autres parties de l’Armée. Tout au moins, je n’étais pas au courant de telles relations.
Si ces relations avec les autres parties de l’Armée avaient existé, les auriez-vous connues ?
Je le crois, car à ce moment, j’en aurais certainement été avisé.
Comment s’établissait la collaboration entre les services les plus importants, à l’intérieur de la Lüftwaffe ?
Depuis 1937, d’une façon assez lâche. L’État-Major général, le service technique et le service du personnel étaient séparés et travaillaient chacun de leur côté.
Témoin, vous venez de mentionner l’État-Major général. Qu’entendez-vous par État-Major général de la Lüftwaffe ?
L’État-Major, en allemand, représente les assistants des chefs. Autrement dit, ce sont de jeunes officiers soumis à un entraînement spécial et placés auprès des officiers commandants. à partir des commandants de division.
Qu’y avait-il dans cet État-Major général de la Lüftwaffe ?
D’abord les officiers des services de l’État-Major général de la Lüftwaffe, depuis le chef de l’État-Major général de la Lüftwaffe lui-même, puis les officiers d’État-Major détachés auprès des divisions, corps et flottes aériennes.
Quel était le délai prévu pour la réorganisation de la Lüftwaffe ?
On n’avait pas encore ordonné de réformes importantes, bien qu’on en eût parlé assez longtemps avant le déclenchement des hostilités. On voulait former ultérieurement une aviation plus importante, mais autant que je m’en souvienne, les plans envisagés prévoyaient six à huit ans de travail.
En quelle année les plans auraient-ils été réalisés ?
Entre 1944 et 1946, je suppose.
Il semble qu’il y ait une difficulté technique ; deux traductions nous parviennent en même temps ; d’ailleurs le témoin aussi bien que l’avocat parlent trop rapidement.
En 1939, y avait-il déjà une organisation de chasseurs de jour et de nuit ?
Non, elle n’existait pas encore.
Y avait-il une organisation pour les bombardements ?
Non, du moins pas celle qui eût été nécessaire pour une guerre d’agression.
Où en étaient les terrains à cette époque ?
Il y avait beaucoup de terrains inférieurs à 1.000 mètres de diamètre. Les pistes étaient suffisantes pour des chasseurs, mais non pour des bombardiers lourdement chargés.
Quel était l’état du réseau de transmission de la Lüftwaffe ?
Le réseau de transmissions de l’État-Major, c’est-à-dire le réseau de câbles, n’existait à peu près pas. Il a fallu l’improviser ultérieurement pendant la guerre.
Quel était l’état du service d’information de l’aviation ?
Celui-ci non plus n’était pas encore organisé. En ce qui concerne les bombardiers, je pourrais ajouter, pour donner un exemple marquant, que l’on construisit dans les premières années des prototypes de bombardiers quadrimoteurs utilisables pour les bombardements de nuit. Ils furent mis à l’essai mais, en 1937, je crois, on abandonna leur construction quoiqu’ils fussent parfaits du point de vue technique. On voulait éviter d’engager de grandes dépenses pour la construction de ces avions, car on ne s’attendait pas à une guerre à cette époque. Ceci se passait au moment où le Feldmarschall Kesselring était chef d’État-Major général ; la question fut portée devant le Reichsmarschall, qui souscrivit à l’abandon de ces types de bombardiers.
A quelle époque était-ce ?
Je vais regarder et je vous réponds tout de suite. C’est le 29 avril 1937 que le Reichsmarschall, sur l’avis du chef d’État-Major général, a stoppé la fabrication de ces bombardiers à grand rayon d’action. C’est ainsi qu’en 1939 il n’y avait pas de bombardiers de nuit comparables aux appareils anglais du type « Lancaster » ou autres.
Où en était le personnel volant ?
Pour cette aviation relativement faible nous avions un personnel de remplacement à peine suffisant- Le manque de personnel de remplacement était le principal handicap à la reconstruction. En particulier, la détermination des délais limites dépendait de la formation du personnel. La question du personnel était primordiale. Il était possible de construire plus rapidement des avions, mais il était impossible d’instruire plus rapidement les équipages et, comme je l’ai dit vendredi, c’était le premier point à considérer, pour déterminer une date quelconque. Les pilotes et le personnel technique ne sont d’aucune utilité s’ils ne sont pas suffisamment entraînés. Des hommes instruits à moitié sont plus nuisibles qu’utiles.
Docteur Laternser, je ne veux pas interrompre votre interrogatoire, mais nous écoutons le témoin depuis près de vingt minutes et tout ce que j’en ai déduit est que la Lüftwaffe n’était pas prête à faire la guerre en 1939 Il me semble que l’on consacre beaucoup trop de temps à des détails.
Je n’ai plus qu’une question à poser sur ce. sujet : y avait-il des réserves d’aluminium, de magnésium et de caoutchouc et des possibilités de production de ces matériaux ?
Non, pas suffisamment.
J’ai encore une dernière question : témoin, vous avez mentionné, lors de votre interrogatoire de vendredi, l’ordre de base n° 1 et vous en avez déjà indiqué le contenu. Je voudrais à ce propos vous demander si cet ordre fut strictement observé ?
Oui, très strictement.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Un autre avocat désire-t-il encore poser des questions au témoin ?
Je demande l’autorisation de poser quelques questions au témoin.
Témoin, vous souvenez-vous depuis quand Hitler avait demandé la construction d’usines d’aviation protégées contre les attaques aériennes dans des installations souterraines ou bétonnées ?
A partir de l’année 1943, je crois, l’année des grands bombardements anglais.
Vous souvenez-vous d’une entrevue à l’Obersalzberg, au début d’avril 1944, au cours de laquelle vous avez présenté à Hitler quelques observations au sujet des difficultés de construction et des ordres donnés par Hitler a la suite de cette conversation ?
Oui, à cette occasion, Hitler demanda de très solides constructions ; je crois qu’il demanda six usines de 600.000 mètres carrés chacune, protégées par des ouvrages bétonnés. Plus tard, Speer qui, malade, n’avait pas assisté à cette réunion du mois d’avril, éleva des objections. Il estimait que ces constructions étaient trop importantes et trop tardives. 11 obtint plus tard que toutes les constructions qui ne pourraient pas être mises en chantier avant juin 1944, c’est-à-dire qui ne seraient pas utilisables dès le début de 1945, fussent abandonnées immédiatement.
Ce qui m’intéresse surtout, c’est la question des ouvriers. Est-ce que, lors de cette entrevue à l’Obersalzberg, le Führer a affecté la main-d’œuvre requise pour la construction des usines qu’il demandait ?
Oui, je crois pouvoir me souvenir qu’à la suite d’une objection présentée par l’un des assistants, il déclara qu’il s’occuperait lui-même de fournir la main-d’œuvre.
Vous avez dit, témoin, que M. Speer était opposé à ces constructions. Quel fut le développement ultérieur de cette affaire ? Speer n’assistait pas à cette réunion, n’est-ce pas ?
Non, il était malade à cette époque.
Pourriez-vous nous décrire brièvement ce qui arriva ?
Pendant la maladie de Speer, le Führer reçut d’un autre côté des requêtes demandant que l’on retirât ces constructions au ministère Speer. Il y eut des difficultés dues au fait que, théoriquement, les constructions dépendaient toujours de Speer, mais qu’elles lui étaient pratiquement retirées. Il n’avait plus la moindre influence sur les travaux depuis que le service des constructions de l’organisation Todt dépendait directement du Führer. Ainsi, Speer était de plus en plus écarté de cette sphère d’activité.
On a beaucoup parlé de grandes constructions, mais pratiquement on a fait très peu de travail.
Hitler a-t-il remis directement un ordre écrit à M. Dorsch et Speer en a-t-il reçu copie ? En savez-vous quelque chose ?
Si mes souvenirs sont exacts, il y a eu un ordre écrit et Speer en a reçu une copie. Je me souviens vaguement que Speer m’a montré un jour un ordre semblable.
Une dernière question : M. Dorsch fut donc chargé directement par le Führer de s’occuper des constructions et des ouvriers ?
Oui.
Témoin, vous étiez membre de l’Office central du Plan, pouvez-vous me dire si cet Office central du Plan était autorisé à prendre des décisions sur la répartition de la main-d’œuvre allemande ou étrangère ?
Non.
Mais a-t-il jamais pris de telles décisions ?
L’Office central du Plan n’avait à assurer que la répartition des matières premières ; il était également chargé d’exercer un certain contrôle sur les communications, mais cette activité était absolument indépendante de celle relative aux matières premières. En ce qui concernait la répartition des ouvriers, cet organisme n’avait aucun devoir ni aucun droit, et n’en a jamais exercé aucun. Il a cependant essayé d’acquérir une certaine influence dans le domaine de la répartition de la main-d’œuvre car, en tant que service de l’armement, il était bien placé pour voir quels étaient les besoins. Mais il s’éleva des difficultés appréciables, si bien que l’Office central du Plan dut abandonner ce travail.
On n’est donc pas arrivé à une décision ? Nous avons ici des procès-verbaux qui montrent qu’il était souvent question des problèmes de main-d’œuvre à l’Office central du Plan
Oui, très fréquemment, car les services de l’armement qui y étaient représentés s’intéressaient tout particulièrement à cette question. Mais les discussions portaient surtout sur les questions relatives au traitement des ouvriers, ravitaillement et autres.
Une dernière question sur ce point : le plénipotentiaire général à la répartition de la main-d’œuvre considérait-il l’Office central du Plan comme un organisme susceptible de prendre des décisions au sujet du plan général d’utilisation de la main-d’œuvre ?
Non, il ne le pouvait pas, car c’est lui-même qui détenait cette autorité.
Y avait-il en 1943 et 1944 des réserves de main-d’œuvre allemande et Speer a-t-il demandé l’utilisation de ces réserves au lieu d’ouvriers étrangers ?
Oui. Speer a demandé à plusieurs reprises que l’on engageât les réserves d’ouvriers allemands, même si cette mobilisation était difficile à réaliser. Il s’agissait d’une façon générale de main-d’œuvre féminine, de femmes ayant un métier mais qui, pendant la guerre, en dehors de leur ménage, n’avaient rien à faire.
Témoin, vous avez dit tout à l’heure que l’accusé Speer avait été malade en 1944. Pouvez-vous dire à quelle époque il tomba malade et jusqu’à quand ?
A partir de février et, je crois, jusqu’au mois de juin.
Merci. Savez-vous si cette longue maladie a été exploitée pour diminuer son autorité et son influence et qui y était principalement intéressé ?
La diminution de son influence se faisait surtout sentir dans le domaine des constructions. Il m’est très difficile de citer des personnes qui auraient pu souhaiter lui succéder.
Cette situation s’est-elle aggravée après le 20 juillet ?
Elle a toujours été en s’aggravant et la position de Speer est devenue de plus en plus difficile car ses idées s’écartaient de plus en plus des conceptions officielles.
Merci. Puis-je maintenant vous demander de rappeler vos souvenirs sur un autre point ? En février 1945, par ordre de Hitler, l’accusé Speer fut chargé de la répartition des véhicules motorisés et, si je ne me trompe, vous deviez être son adjoint. Pouvez-vous me donner des indications sur l’état des communications à ce moment et me dire dans quelles proportions le rendement des usines d’armements dépendait de la situation des transports ?
L’état des transports et des communications approchait à tel point de la catastrophe à la suite des attaques des bombardiers américains que nous ne pouvions plus véhiculer les denrées les plus essentielles ni le matériel d’armement. Nos grandes forges de la Ruhr étaient particulièrement touchées et leurs communications avec les centres métallurgiques du centre de l’Allemagne de Berlin et de la Saxe à peu près coupées. Si des mesures très strictes n’avaient pas été prises et des pouvoirs extraordinaires accordés, l’effondrement total, dû uniquement aux difficultés de transport, n’eût été qu’une question d’heures. Telle était la situation.
Devait-on s’attendre à ce que Speer, dans sa position, donnât la priorité de transports à l’armement ? Que fit-il ?
Non. Speer pensait comme moi que les armements ne pouvaient plus avoir d’intérêt à ce stade des opérations et il a, de son propre chef, donné la priorité au ravitaillement de la population. Le plus urgent était d’évacuer les stocks alimentaires des régions que nous pouvions craindre de perdre.
Ces mesures étaient-elles prises pour le ravitaillement journalier ou pour le ravitaillement à long terme ?
On pensait qu’il fallait mettre en sécurité la plus grande quantité de denrées disponibles et transportables.
Témoin, un des points les plus délicats à cette époque était le transport par route. Le nombre de camions et la quantité de carburants assignés à l’armement furent-ils réduits et savez-vous ce qu’ordonna Speer au sujet des camions à partir de la mi-février 1945 ?
Je sais que l’armement n’avait jamais assez de camions, que même les ordres essentiels ne pouvaient être exécutés. On dut avoir recours à des moyens de fortune : tramways, voitures à chevaux, etc. Si je me souviens bien, Speer a mis ces moyens de transport à la disposition de la population allemande afin de faciliter autant que possible la distribution du ravitaillement.
La question du carburant était l’une des plus épineuses à cette époque, n’est-ce pas ?
Oui, c’était la plus critique.
Témoin, savez-vous si, après février 1945, Speer a fait passer la réparation des usines d’engrais travaillant pour l’agriculture avant celle des usines de production d’essence ?
Je m’en souviens, car nous avons longuement discuté, Speer et moi, sur les mesures les plus urgentes à prendre, puisque nous devions nous attendre à la catastrophe imminente. Il pensait qu’il fallait en premier lieu faire le maximum pour aider le peuple allemand à passer les très durs moments qui suivraient l’effondrement. Il fallait d’abord s’occuper du ravitaillement, du stockage et de la répartition des denrées.
Deuxièmement, éviter la destruction des usines allemandes qui étaient encore entre nos mains, et ceci à rencontre de l’ordre de Hitler que nous appelions ordre de « la terre brûlée ».
Troisièmement, s’occuper du passage de la production de guerre à la production de paix pour les usines qui resteraient ; d’abord l’équipement agricole, fabrication des machines et des pièces de rechange ; les ordres reçus par les usines devaient être exécutés, même si ces usines tombaient entre les mains de l’ennemi ou si, après la fin des hostilités, les contrats d’armement du Gouvernement se trouvaient automatiquement annulés.
Témoin, je vous remercie d’avoir parlé aussi succinctement et clairement, mais pouvez-vous maintenant me donner des détails sur la façon dont on a empêché les destructions ?
Docteur Flächsner, voulez-vous m’expliquer en quoi les questions que vous posez sont pertinentes et à quelle partie de l’Accusation elles se rapportent ?
Monsieur le Président, l’accusé Speer a été accusé d’avoir fait partie d’un complot général, d’un plan général, pour la conduite d’une guerre d’agression jusqu’au 7 mai 1945. Je crois qu’il est important pour le jugement de montrer que, bien avant cette date, l’accusé Speer exerçait une activité qui n’avait plus rien à voir avec ce plan général.
Toutes les preuves que vous avez apportées dans les quinze dernières minutes intéressent les années 1943 et 1944, Il s’agit de conférences pour la mise sur pied d’usines de bombardiers et, si j’ai bien compris, du fait que Speer se préoccupait davantage de nourrir le peuple allemand que de construire des usines d’armement. Je ne comprends pas en quoi cela nous intéresse
Le premier point se rapportait à un document PS-1584 que le Ministère Public a présenté contre mon client. Il y est dit que lors d’une conférence à l’Obersalzberg on avait ordonné la construction de certaines usines, construction qui aurait nécessité l’emploi de 100.000 Juifs hongrois. L’interrogatoire du témoin a révélé que l’accusé Speer ne peut être tenu pour responsable de ces constructions, car Hitler en avait directement donné l’ordre à un autre Ce point de l’accusation est donc éliminé. C’était le but de la première question.
Le deuxième point, concernant l’opposition aux destructions et la protection de l’agriculture et du ravitaillement du peuple allemand, se rapportait à l’accusation du complot général Toutes les réponses données par le témoin établissent le contraire ; ses activités, contrairement aux affirmations du Ministère Public, n’avaient rien à voir avec le plan concerté ; elles ne servaient pas l’effort de guerre mais étaient tournées vers une économie de temps de paix.
Speer n’a jamais été accusé d’avoir essayé de ravitailler le peuple allemand pendant la guerre. Le Ministère Public ne saurait lui en faire le reproche.
Monsieur le Président, je n’ai jamais dit que le Ministère Public avait porté cette accusation. Il doit y avoir une erreur de traduction.
Témoin, une dernière question : pouvez-vous nous dire les informations que Speer donnait au Führer sur les conséquences des grandes attaques aériennes sur Hambourg et d’autres villes ?
Il lui fit toujours des rapports détaillés et à plusieurs reprises attira son attention sur les difficultés qui en résultaient.
Merci.
Témoin, l’Office central du Plan s’occupait-il également des questions de main-d’œuvre ?
Oui.
Y déterminait-on les besoins en main-d’œuvre ?
L’usine intéressée les déterminait et les services du travail nous les communiquaient. Nous avons aussi soumis des chiffres sur le manque de main-d’œuvre dans l’armement.
Excusez-moi de vous interrompre Quand on avait déterminé le chiffre des effectifs nécessaires, que faisait-on ? Pourquoi établissait-on ces chiffres ?
On déterminait le nombre d’ouvriers manquants en raison des demandes continuelles d’ouvriers pour l’industrie de guerre.
N’était-ce pas pour avoir davantage d’ouvriers ?
Non, ce sont les usines qui exigeaient les ouvriers ; nous soutenions les usines auprès de Sauckel en lui transmettant les demandes ; nous lui indiquions, par exemple, quels étaient les chiffres qui, à notre avis, étaient exagérés.
Ces chiffres représentaient-ils la somme totale des ouvriers demandés ?
Non. c’était un chiffre général, selon les statistiques déterminées par les services de Sauckel.
Qui déterminait les besoins, Sauckel ou les demandeurs ?
C’étaient les usines.
Et quel était le rôle de l’Office central du Plan en ce qui concernait les problèmes de main-d’œuvre ?
L’Office central du Plan répartissait les matières premières. Il devait donc s’occuper aussi des moyens de production des matières premières.
Je ne parle pas des matières premières mais des ouvriers.
Laissez-moi parler, vous verrez ce que je veux dire. Il fallait produire des matières premières et, pour les produire, il fallait des ouvriers dans les mines et dans les usines d’aluminium par exemple...
Témoin, puis-je vous interrompre ? Il est clair que pour fabriquer il faut de la main-d’œuvre, mais je voudrais savoir qui la demandait et qui, en dernière analyse, établissait le chiffre exigé ?
La demande était faite par les usines et c’est Sauckel qui déterminait les chiffres. Il mettait à notre disposition autant d’ouvriers qu’il pouvait, mais il a toujours donné moins qu’on n’avait demandé.
Était-il tout à fait indépendant, ou le Führer avait-il à intervenir dans la décision ?
Autant que je sache, le Führer intervenait fréquemment et Sauckel était souvent appelé à conférer avec le Führer.
N’y a-t-il pas eu chez le Führer des entretiens sur tous les programmes fondamentaux, au sujet de ces questions de main-d’œuvre ?
Non, pas spécialement pour la question des ouvriers, mais on a pu aborder, à l’occasion, le sujet chez le Führer ; cependant ces entretiens étaient la plupart du temps très brefs, le Führer ne voulant pas s’occuper de ces questions.
Quelle était la place du Plan de quatre ans dans cette affaire ?
Le Plan de quatre ans est intervenu, mais seulement pour représenter Hitler qui ne voulait pas traiter lui-même de ces questions de détail.
Savez-vous que, conformément aux ordonnances, Sauckel dépendait du Plan de quatre ans, c’est-à-dire de Göring, et qu’il devait recevoir les ordres de lui ?
Je ne suis pas très au courant de ces questions.
Une autre question : quel était le comportement des ouvriers étrangers ? Travaillaient-ils bien et avec bonne volonté ?
La plupart étaient d’excellents ouvriers.
Comment expliquez-vous cela ?
Les premières années, ces ouvriers étaient contents d’avoir du travail et du pain. Autant que je puisse juger, ils furent bien traités chez nous, leurs rations étaient supérieures à celles de la population allemande. Ils reçurent, comme les ouvriers allemands, les rations de travailleurs de force, attribuées aux travailleurs de l’industrie lourde et moyenne et à ceux qui faisaient des heures supplémentaires. Les Français et les Russes travaillaient particulièrement bien. J’ai eu l’occasion d’entendre des plaintes au sujet des ouvriers néerlandais.
Connaissez-vous les. ordres de Sauckel sur le traitement des ouvriers ?
Je me souviens que Sauckel nous a fait une fois un exposé sur ce sujet à l’Office central du Plan.
Son point de vue était-il humanitaire ou très strict ?
Sa position était très humanitaire. Il avait reçu de Hitler une tâche très difficile. Autant que je sache, lui-même avait été ouvrier et il connaissait en particulier le dur métier de marin ; il était par conséquent bien disposé envers les ouvriers.
Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin.
Témoin, avez-vous participé aux manœuvres de la Wehrmacht en 1937 ?
Oui, au Mecklembourg, je crois.
Vous souvenez-vous si des officiers étrangers y avaient été invités ?
Oui, il y avait une nombreuse délégation anglaise avec un général qui fut nommé, par la suite, gouverneur de Gibraltar.
Le général Ironside ?
Oui, Ironside Je lui ai parlé personnellement et j’ai reçu certains membres de son état-major. Il y avait aussi des officiers italiens et de beaucoup d’autres pays. Je ne peux dire pour l’instant de quels pays, car je l’ai oublié.
Y avait-il aussi une mission française ?
Je crois que oui. Je ne puis l’assurer. Je ne peux me souvenir de faits si éloignés. Mais, à coup sûr, j’ai parlé au général Ironside.
Témoin savez-vous si à cette époque, on a montré à ces officiers étrangers les éléments les plus modernes de l’armement allemand ?
Oui.
A-t-on montré ce matériel à l’œuvre ?
On ne l’a montré qu’à l’œuvre, sauf un nouvel avion qui n’était pas encore en service, mais qui fut montré inachevé.
Savez-vous si l’Allemagne a permis aux puissances étrangères d’inspecter son équipement de défense passive ?
Oui, souvent. Un certain M. Fraser est venu me voir d’Angleterre avec Lord Trenchard. M. Fraser s’intéressait à l’équipement de défense passive et on lui a montré immédiatement les installations les plus récentes.
C’était à quelle époque, s’il vous plaît ?
En 1937 ou 1938 ; je vais regarder si je trouve la date. (Le témoin consulte ses notes.) Le 1er juillet 1937.
Savez-vous s’il vint encore des visiteurs de Grande-Bretagne ?
Il y eut un échange entre nos services et les Anglais. Personnellement, les présentations faites, je ne prenais plus part aux entrevues.
Je vous remercie. Une autre question : vous souvenez-vous du conflit qui s’éleva à l’occasion de la réoccupation de la Rhénanie ?
Oui.
Vous savez l’émotion qu’elle causa ?
Oui.
La Lüftwaffe a-t-elle participé à la réoccupation de la Rhénanie, pour préciser, de la rive gauche du Rhin ?
Je ne puis répondre pour l’instant. La réoccupation de la Rhénanie fut si soudaine qu’elle me surprit pendant une permission. A mon retour, l’occupation était en bonne voie. Je sais que Dusseldorf a été occupée par la Lüftwaffe. J’y allai moi-même quelques jours après.
Mais c’est sur la rive droite du Rhin ?
Oui, sur la rive droite.
Sur la rive gauche du Rhin vous ne savez rien ?
Non, je ne puis rien en dire pour l’instant. Je ne crois pas qu’il y ait eu de terrain d’aviation sur la rive gauche ; de toute façon je ne m’en souviens pas exactement.
Vous dites que la réoccupation de la Rhénanie s’est produite subitement, mais la Lüftwaffe n’avait-elle rien préparé en prévision d’un événement de ce genre ?
La décision fut prise pendant ma permission : toutes les unités dont nous disposions ont été naturellement utilisées, mais c’était très peu.
D’accord, mais éclaircissons complètement ce point : la Lüftwaffe fut-elle mise en état d’alerte pour la première fois pendant votre permission ?
Oui, sinon je ne serais pas parti en permission.
A quelle époque se situe la première alerte de la Lüftwaffe avant la réoccupation ?
Peut-être 14, 15 ou 16 jours avant, au maximum.
Témoin, vous avez déjà parlé vendredi d’une participation de la Lüftwaffe aux opérations militaires de l’Anschluss en mars 1938. A quelle date ont commencé les préparatifs de la Lüftwaffe dans ce but ?
Les préparatifs commencèrent moins de 48 heures auparavant. J’en suis absolument sûr.
Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de préparatifs militaires pour cette affaire ?
Environ 36 heures avant l’entrée des troupes en Autriche.
Je vous remercie.
Témoin, est-il exact que vous n’ayez jamais été habilité à donner des ordres et que vous n’ayez eu aucune relation de service ni avec, la Gestapo ni avec les camps de concentration ?
Je n’ai jamais rien eu à faire avec ces services.
Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de l’installation de ces camps ?
C’est en 1933 que j’ai entendu dire, par des rumeurs publiques, qu’on venait d’établir des camps ou plutôt un camp de concentration.
Dans les années suivantes, avez-vous reçu des informations plus détaillées concernant d’autres établissements de ce genre ?
A la fin de la guerre, je ne connaissais que Dachau et Oranienbourg. J’ignorais tout des autres camps de concentration. Sur ma propre demande, j’ai pu visiter le camp de Dachau, en 1935, avec des officiers supérieurs de la Lüftwaffe. Je n’ai pas vu d’autres camps de concentration et je n’ai rien su de ce qui s’y passait.
Quelle impression avez-vous eue au cours de votre visite sur l’établissement lui-même, sur le traitement des détenus, etc. ?
A cette époque, on avait tellement parlé de cette question en Allemagne, même dans nos milieux d’officiers, que je me suis décidé à aller voir moi-même. Himmler accéda immédiatement à ma demande. A cette époque, je crois qu’il n’existait que Dachau, J’y trouvai les groupes d’internés les plus divers : un groupe de criminels, tous récidivistes, et d’autres groupes composés également de récidivistes, mais pour des délits et non pour des crimes. Il y avait un autre groupe d’internés qui avaient participé au putsch de Röhm, Je reconnus l’un d’eux pour l’avoir vu une fois auparavant. Il avait été un chef SA de rang élevé et était dès lors interné. Le camp était administré militairement ; il était propre et bien organisé. Nous y avons vu une boucherie et une boulangerie. Nous insistâmes pour nous faire servir la nourriture des prisonniers. Elle était bonne, et l’un des chefs du camp nous expliqua qu’il nourrissait très bien les prisonniers parce qu’ils étaient employés à un travail dur. Tous les prisonniers auxquels nous avons parlé nous ont dit pourquoi ils étaient internés, Par exemple, un homme nous dit qu’il avait été condamné vingt fois pour faux, un autre dix-huit fois pour coups et blessures et d’autres délits. Mais je ne peux pas dire si l’on nous a tout montré dans ce grand camp.
Vous venez de dire à l’instant que la question avait été discutée dans les milieux d’officiers. Ultérieurement, après votre visite, avez-vous fait part à quelqu’un de vos impressions sur Dachau ?
Je n’en ai parlé à presque personne ; j’ai seulement répondu aux questions de quelques camarades intimes, comme je l’ai dit antérieurement. Je n’étais d’ailleurs pas seul ; il y avait plusieurs autres officiers avec moi et, sans aucun doute, ils ont dû avoir l’occasion de discuter ce sujet en petits comités.
Dans les camps de concentration, on perpétra des atrocités inouïes. En avez-vous eu connaissance et, si oui, quand pour la première fois ?
J’ai pu m’en rendre compte pour la première fois le jour où j’ai été fait prisonnier, quand des internés d’un petit camp auxiliaire du voisinage passèrent là où j’étais gardé C’était la première fois que je voyais cela de mes propres yeux. J’ai appris le reste pendant ma captivité par les différents documents qui nous ont été montrés.
Vous ignoriez donc complètement qu’en Allemagne et dans les territoires occupés il y avait plus de 200 camps de concentration ?
Je l’ignorais complètement. Je viens de citer les noms des deux seuls dont j’ai connu l’existence.
On pourrait vous opposer qu’il était impossible d’ignorer ces faits. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il ne vous fut pas possible d’être mieux informé de cet état de fait ?
Parce que les personnes qui le savaient n’en ont pas parlé, sans doute parce que cela leur était interdit. Je crois pouvoir le dire d’après un document, présenté à l’appui des charges contre l’État-Major général, dans lequel Himmler considéré à tort comme un des grands chefs militaires — avait donné un ordre à cet effet. Il s’agit d’une conférence des chefs supérieurs de la Police, en 1943 je crois.
Est-il exact de dire qu’il était impossible de révéler ce qui se passait dans les camps de concentration, sans risquer sa vie ?
Tout d’abord, personne, pas plus que moi, ne connaissait le nombre des camps de concentration. Ensuite, tout le monde ignorait ce qui s’y passait Seul un petit cercle de gens initiés devait le savoir. Le SD en outre, était fort redouté de toute la population et pas uniquement des petites gens Si quelqu’un essayait de pénétrer ces secrets, c’était au péril de sa vie. Comment voulez-vous que les Allemands aient été au courant de ces faits, s’ils ne pouvaient ni les voir ni en entendre parler ? La presse allemande n’en a jamais parlé, pas plus que la radio. Ceux qui écoutaient la radio étrangère risquaient les peines les plus sévères, le plus souvent cela signifiait la mort. On n’était jamais seul. Il vous fallait toujours penser que si vous vouliez enfreindre cette loi, d’autres vous surprendraient et vous dénonceraient. Je sais que beaucoup de gens en Allemagne ont été condamnés à la peine de mort pour avoir écouté la radio étrangère.
Avez-vous entendu parler des déportations massives de Juifs vers les territoires de l’Est et quand pour la première fois ?
Je ne peux indiquer la date. D’une façon ou d’une autre, je ne sais plus exactement ; j’ai entendu dire que des Juifs avaient été installés dans des villes-ghettos spéciales de l’Est. Je crois que cela devait être en 1944 ou aux environs, mais je ne puis garantir que cette date soit exacte.
Vous venez de parler de ghettos. Saviez-vous que ces déportations massives étaient l’étape préliminaire de l’extermination massive ?
Non, je ne l’ai jamais entendu dire.
Puis-je vous poser à ce propos une autre question : est-ce que vous aviez quelque notion de l’existence du camp d’extermination d’Auschwitz ?
Non, je n’ai entendu prononcer ce nom que beaucoup plus tard. Je l’ai lu dans la presse au cours de ma captivité.
On avait formé à l’Est des Einsatzkommandos. Ils y exécutèrent des missions d’extermination, en particulier d’extermination des Juifs Saviez-vous que Hitler avait créé ces Einsatzkommandos ?
Non, j’en ai entendu parler pour la première fois à la prison de Nuremberg.
Saviez- vous qu’une campagne spéciale pour l’extermination des Juifs a été lancée dans les provinces du sud-est du Reich, campagne dont furent victimes 4.000.000 à 5.000.000 de Juifs, selon la déclaration du chef responsable, Eichmann ?
Non, je l’ignorais et j’entends aujourd’hui pour la première fois le nom d’Eichmann.
Est-il exact de penser que dans l’Allemagne, sous un régime totalitaire très strict, toute opposition à un ordre du Führer aurait signifié très probablement la détention ou la mort ?
Des centaines de cas le prouvent.
Est-il également exact que les conséquences eussent été les mêmes si l’on s’était opposé à un ordre immoral ou contraire au Droit ?
Je crois que même dans ce cas, la personne devait s’attendre à être frappée d’une peine, non seulement elle seule, mais sa famille aussi.
Merci ; je n’ai pas d’autres questions à poser.
Témoin, je n’ai qu’une brève question à vous poser : vendredi ou samedi vous nous avez dit que vous aviez eu, en 1937, des entretiens avec une commission anglaise. Cette mission avait à sa tête le Air Vice Marshall Courtney. J’aimerais savoir si, lors de ces entrevues, il a été décidé de procéder à des échanges de vues entre les services compétents allemands et britanniques sur les plans de développement de l’aviation ?
C’est exact.
Sous quelle forme avez-vous rédigé cet accord ?
On a fait un procès-verbal écrit,
Est-ce que les deux Aviations avaient des projets pour chaque année ?
Non, ces projets s’étendaient sur plusieurs années.
Sur combien d’années s’étendait le plan de 1937 ?
Je ne puis vous le dire de mémoire. Peut-être sur deux ou trois ans.
C’était donc de 1938 à 1940 ?
1937, 1938, 1939, peut-être jusqu’en 1940, mais je ne peux plus le dire très exactement ; je l’ai oublié.
Et ce projet avait-il une dénomination technique spéciale ? Était-il appelé « Plan d’organisation », ou portait-il un autre nom ?
Je ne puis m’en souvenir maintenant. Nous le désignions, en général, sous le nom de « Projet d’organisation ».
Et, du côté anglais, les projets s’étendaient sur une certaine période, par exemple trois ans ?
Je crois que les périodes sur lesquelles ils s’étendaient étaient les mêmes ; c’était à peu près le même système.
Je vous remercie.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin ?
Monsieur Justice Jackson, je m’excuse de vous avoir appelé ; peut-être serait-il temps de suspendre l’audience pendant dix minutes.
Témoin, vous êtes bien actuellement prisonnier de guerre des Américains ?
Non, je ne suis pas prisonnier de guerre des Américains ; j’ai été capturé par les Anglais et depuis que je suis ici, j’ai été déclaré interné Je ne sais pas ce que cela signifie. De toutes façons, ce n’est pas conforme à la situation d’un officier fait prisonnier en combat avant la fin des hostilités.
Vous avez été autorisé à parler avec un avocat à la fois pendant ce Procès et...
J’ai pu conférer avec un certain nombre d’avocats mais pas avec tous ; je suppose d’ailleurs que les autres ne le désiraient pas.
Cela épargnerait beaucoup de temps si vous répondiez à mes questions aussi brièvement que possible et par « oui » ou « non » si possible.
Avez-vous été autorisé à préparer des notes après vos consultations avec les avocats et à les apporter au Tribunal ?
J’ai rédigé les notes que j’ai apportées avant mes entretiens avec les défenseurs.
Vous n’avez rédigé aucune de ces notes depuis votre consultation avec les avocats ?
J’ai pris des notes sur un entretien. Mais il ne s’agissait là que d’une date qui m’avait été notifiée et dont je n’aurais pu me souvenir autrement.
Occupiez-vous un poste très important dans les Forces aériennes allemandes ?
J’étais inspecteur général.
Avez-vous fréquemment représenté Göring à des conférences ?
En réalité je ne l’ai représenté que très rarement
Vous niez donc avoir assisté fréquemment à des conférences en tant que représentant de Göring ?
Non, je ne le nie pas j’ai dû assister à certaines de ces conférences en raison de mes fonctions. Mais ce n’est que très rarement que j’ai eu l’occasion de représenter Göring, car le plus souvent il y était présent lui-même
Vous avez joué un rôle important dans la reconstitution de la Lüftwaffe, n’est-ce pas ?
Oui.
Et, en 1941, pour cette raison, des honneurs vous ont été conférés par le régime hitlérien ?
Non, pas en 1941. Je pense, Monsieur le Procureur Général, que vous voulez dire en 1940.
En 1940. Je fais peut-être erreur.
Vous pensez à ma promotion au rang de Feldmarschall, n’est-ce pas ?
Quand avez-vous été promu Feldmarschall ?
Le 19 juillet 1940.
Et n’avez-vous pas reçu un présent du régime hitlérien en reconnaissance de vos services ?
En 1942, à l’occasion de mon cinquantième anniversaire, on m’a remis un cadeau en gage de reconnaissance.
Et cette reconnaissance se manifesta par un don en espèces, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact. C’était une somme d’argent qui m’a permis de faire l’acquisition d’une ferme.
Quelle était cette somme ?
Elle se montait à 250.000 Mark.
Et maintenant vous venez ici pour témoigner, si je comprends bien vos déclarations, que le régime dont vous faisiez partie a entraîné l’Allemagne dans une guerre pour laquelle elle n’était absolument pas préparée Vous ai-je bien compris ?
C’est juste, en ce sens qu’en 1939 l’Allemagne a été entraînée dans une guerre pour laquelle elle n’était pas préparée, du moins en ce qui concerne l’Aviation.
Le chef de l’Aviation allemande en a-t-il jamais averti le peuple allemand ?
Je ne saurais le dire, mais je ne crois pas qu’il en ait eu la possibilité.
Vous ignorez s’il l’a jamais fait ?
Je ne me souviens pas qu’il ait donné publiquement un avertissement de ce genre. Je pense que l’avertissement a été donné à son supérieur hiérarchique.
Et qui détenait le poste supérieur au sien ?
C’était le Führer, Adolf Hitler.
Le Führer ?
En tant que soldat, le Reichsmarschall ne pouvait pas s’adresser au public.
Vous souvenez-vous si, à une conférence du Haut Commandement ou lors de toute autre conférence réunie par Hitler, le Reichsmarschall Göring a soulevé la question de la non-préparation de l’Allemagne à la guerre ?
Je ne peux pas me souvenir d’une conférence de ce genre, parce que de telles conférences n’avaient lieu qu’entre les deux personnes intéressées. Le Reichsmarschall n’a jamais, en public ou devant un cercle nombreux d’officiers, manifesté son opposition, parce que Hitler ne l’aurait pas toléré.
Savez-vous si l’un des accusés qui se trouvent ici s’est jamais déclaré publiquement contre l’entrée en guerre de l’Allemagne ?
Publiquement, non. Je ne me souviens pas d’un incident de ce genre. Mais je suis tenté de croire que, même pour les accusés ici présents, cette guerre fut une grande surprise.
Vous aimeriez le croire ?
Je le crois.
Vous le croyez. Combien de temps a-t-il fallu aux Forces allemandes pour conquérir la Pologne ?
Pour conquérir la Pologne ? Dix-huit jours, je crois.
Dix-huit jours, bien. Et combien de temps a-t-il fallu pour chasser l’Angleterre du continent, jusqu’au désastre de Dunkerque ?
Six semaines, je crois.
Et combien de temps a-t-il fallu pour envahir la Belgique et la Hollande ?
Quelques jours.
Combien de temps a-t-il fallu pour envahir la France et prendre Paris ?
En tout, deux mois.
Et combien de temps a-t-il fallu pour envahir le Danemark et s’emparer de la Norvège ?
Très peu de temps aussi. Pour le Danemark, ce fut très rapide parce qu’il céda immédiatement ; quant à la Norvège, quelques semaines.
Vous témoignez et vous voulez que le Tribunal ait foi en votre parole d’officier, lorsque vous dites que les officiers ne savaient rien des préparatifs de ces mouvements. C’est votre témoignage, en tant qu’officier ?
Pardon, je n’ai pas très bien compris.
Vous affirmez que tous ces mouvements furent une surprise pour les officiers de la Lüftwaffe. Vous dites avoir été surpris par chacun d’eux ?
J’ai dit surpris par le déclenchement de la guerre, alors qu’il n’était question que de la Pologne. Les autres opérations eurent lieu beaucoup plus tard, et il y avait eu plus de temps pour les préparer.
Mais vous ne niez pas que l’Allemagne fût très bien préparée pour une guerre contre la Pologne ?
La puissance de l’Allemagne par rapport à la Pologne était suffisante. En témoignant tout à l’heure et en employant l’expression préparation à la guerre, dans mon témoignage, je voulais parler de préparation à une guerre mondiale. L’Allemagne n’y était pas préparée en 1939.
Mais elle était prête pour la campagne qu’elle a entreprise ?
Ce n’est pas ce que je voulais dire ; mais il est naturellement certain qu’elle avait un armement, comme tout autre pays disposant d’une Armée. Nos Forces armées furent mises en état d’alerte du côté de la Pologne et, à notre surprise, se révélèrent assez puissantes pour écraser la Pologne en un temps très court.
Est-ce que vous contesteriez ou nieriez que par rapport aux autres puissances européennes, l’Allemagne était la mieux préparée à entrer en guerre, le 1er septembre 1939 ?
Je crois qu’en soi l’Aviation anglaise était alors plus puissante que l’Aviation allemande.
Je vous ai posé la question pour les puissances continentales ; est-ce que vous contestez que l’Allemagne fût beaucoup mieux préparée à la guerre qu’aucun autre de ses voisins immédiats ?
Je suis convaincu que la France, aussi bien que la Pologne, compte tenu de leur puissance respective, étaient aussi bien préparées à la guerre que l’Allemagne. Ces deux pays avaient l’avantage d’avoir eu plus de temps pour s’armer, tandis que l’Allemagne ne put commencer à s’armer que cinq ans avant le déclenchement de la guerre.
Quand avez-vous rencontré Göring pour la première fois ?
Je crois que c’était en 1928.
Qu’était-il alors ? Quel poste occupait-il ?
Il était à cette époque membre du Reichstag.
Et que faisiez-vous ? Quelle était votre situation ?
A ce moment, je dirigeais la Lufthansa allemande, une entreprise privée de trafic aérien.
Aviez-vous à cette époque parlé à
Hermann Göring de l’utilisation de l’Aviation si le parti nazi prenait le pouvoir ?
Non, pas encore à cette époque.
Quand en avez-vous discuté pour la première fois avec Göring ?
Je crois que Göring s’est entretenu de toutes ces questions avec moi en 1932, au moment où un plan prévoyait la prise du pouvoir pour cette même année. On croyait alors que les autres partis formeraient un Gouvernement avec les nationaux-socialistes. Et dans cette éventualité, je crois, Göring a parlé de la possibilité — lorsqu’il y aurait à la tête du pays un Gouvernement auquel participerait le parti national-socialiste — de libérer l’Allemagne des restrictions sur les armements.
A la suite de cela, vous êtes entré au parti nazi ?
Ce n’est qu’après 1933 que j’ai adhéré au parti nazi ; quand je redevins officier, mes relations avec le Parti cessèrent.
Vous avez attendu la prise du pouvoir ?
Oui.
Vous souvenez-vous de votre conversation avec Hermann Göring le 28 janvier 1933 ?
Oui.
Où cette conversation a-t-elle eu lieu ?
Chez moi, dans mon appartement.
C’est lui qui vous a rendu visite ?
Non, ce soir-là, j’avais des invités. Il arriva soudain parce qu’il voulait me parler de toute urgence.
Et pourriez-vous raconter au Tribunal la conversation que vous eûtes alors avec Göring ?
Il me dit qu’on était arrivé à un accord avec les autres partis en vue de former un Gouvernement de coalition comprenant les nationaux-socialistes. Le Président du Reich, von Hindenburg, venait de donner son accord à la nomination de Hitler comme Chancelier du Reich.
Il me demanda si j’étais prêt à travailler au ministère de l’Air, qui allait être créé. Expliquant que je ne voulais pas abandonner ma Lufthansa, je lui proposais deux autres personnalités pour me remplacer. Göring les refusa et insista en me demandant de me mettre à sa disposition.
Avez-vous accepté ?
Je lui ai demandé la permission de réfléchir et lui ai dit que j’accepterais si Hitler insistait encore.
Que fit Hitler ?
Le 30 j’ai accepté, après avoir entendu Hitler me dire une fois encore qu’il considérait que mes connaissances et capacités techniques dans le domaine de l’Aviation lui étaient indispensables.
Ainsi, le jour où les nazis sont arrivés au pouvoir, vous avez accepté de construire une aviation militaire nazie ?
Non, il ne s’agissait pas d’une aviation militaire ; le problème immédiat était alors la coordination des différentes branches de l’Aviation. Par exemple, il y avait une ou deux sociétés de transport aérien, des usines de construction aéronautique, des écoles de pilotes civils, le service météorologique, et peut-être encore différents instituts de recherches. Je crois avoir, par cette énumération, indiqué les éléments de l’aviation civile à cette époque, mais ce n’était pas une aviation militaire.
En d’autres termes, vous avez été chargé d’assurer la prédominance allemande dans le domaine de l’Aviation ?
Non, on ne peut pas non plus dire cela.
Eh bien, dites-le vous-même. Expliquez-nous ce que vous avez fait, quel était alors votre but en assumant cette nouvelle tâche.
Il s’agissait d’abord de développer les différentes branches de l’Aviation afin de construire un vaste réseau de transports aériens.
Puis vous avez voyagé en France et en Angleterre et à votre retour vous avez fait un rapport personnel à Hitler, n’est-ce pas ?
Oui.
De retour d’Angleterre, avez-vous averti Hitler des activités de Ribbentrop ?
Oui.
Qu’avez-vous dit à Hitler au sujet des activités de Ribbentrop en Angleterre ?
Je lui ai dit que j’avais eu en Angleterre, l’impression que M, Ribbentrop n’y était pas persona grata.
Lorsque vous avez été interrogé après votre capture, n’avez-vous pas déclaré que vous aviez dit à Hitler que, s’il ne se débarrassait pas rapidement de Ribbentrop, l’Allemagne aurait des ennuis avec l’Angleterre ? N’est-ce pas en substance ce que vous avez dit à Hitler ?
Je ne me souviens plus des termes de ma déclaration.
Mais n’était-ce pas en substance l’esprit de vos déclarations ?
J’étais d’avis qu’il fallait quelqu’un d’autre en Angleterre parce que, selon le désir si souvent exprimé par Hitler, il fallait aboutir à une collaboration avec l’Angleterre.
Avant d’en parler à Hitler, vous en avez parlé à Göring, n’est-ce pas ?
A qui ?
A Göring.
Du voyage ou de quoi ?
De Ribbentrop.
Non, je n’ai pas discuté de cette question avec le Reichsmarschall.
A une certaine époque, des ingénieurs allemands furent envoyés en Russie pour inspecter les constructions aériennes, les usines et les installations ?
Oui, c’est exact.
C’était un groupe d’ingénieurs et vous n’étiez pas étranger à leur envoi, n’est-ce pas ?
Non. je n’avais rien à voir avec eux. Je ne dirigeais pas les services techniques à cette époque.
Sous le commandement de qui étaient-ils placés ?
Ils étaient sous les ordres du général Udet qui, lui-même, était sous les ordres du Reichsmarschall.
A leur retour, vous avez appris qu’ils avaient rendu compte que la capacité de construction des moteurs d’avion de la Russie était supérieure à celle des six usines allemandes réunies, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
Quel fut l’ordre donné par Göring au sujet de la transmission de cette information au Führer ?
Göring n’a pas cru à la véracité de ces nouvelles. Je le sais pour l’avoir entendu dire textuellement par le général Udet.
N’avez-vous pas déclaré au cours de vos précédents interrogatoires que Göring avait traité ces experts de défaitistes, qu’il leur avait interdit de répéter ces informations et qu’il les avait menacés du camp de concentration s’ils parlaient, L’avez-vous dit, oui ou non ?
Je n’ai jamais dit cela sous cette forme.
Utilisez alors vos propres paroles et répétez-nous ce que Göring a déclaré à ce sujet.
Beaucoup plus tard, lorsque la question de l’armement américain fut à l’ordre du jour, Göring me dit : « Alors, vous aussi vous devenez défaitiste et vous croyez à ces chiffres ? » Je lui ai alors répondu que je croyais effectivement à ces chiffres. Mais cela n’avait rien à voir avec l’affaire russe.
Est-ce que ces chiffres russes ont été rapportés à Hitler ou au Reichstag, ou bien ont-ils été rendus publics d’une façon quelconque ?
Pour les chiffres russes, je n’en sais rien, car je ne m’occupais pas de ces questions. Les chiffres américains ont certainement été présentés à Hitler, mais ce dernier ne les a pas crus.
Vous avez déclaré vendredi que vous saviez que la guerre contre la Russie signifierait la destruction de l’Allemagne, C’est bien là ce que vous avez dit ?
Ras la destruction, la défaite. Je crois avoir dit anéantissement ou défaite,
Vous êtes allé voir le Reichsmarschall Göring pour protester contre l’entrée en guerre contre la Russie, n’est-ce pas ?
Oui.
Est-ce que Göring pensait comme vous, que cela signifiait la défaite de l’Allemagne ?
Non, il n’a pas acquiescé. Étant donné ses rapports avec Hitler, il était tenu de s’exprimer avec beaucoup de prudence. Je lui ai indiqué les raisons des difficultés qui surgiraient pour l’Allemagne et il a fait un signe d’assentiment. Ce qu’il m’a dit me donna l’impression qu’il avait déjà essayé, mais en vain, de présenter ces mêmes arguments à Hitler.
En d’autres termes, il était d’accord avec vous pour penser que cela finirait par la défaite de l’Allemagne mais il ne voulait pas qu’on le dît à Hitler C’est bien cela ?
Non, je ne peux pas aller jusque-là. En disant que ce serait la défaite de l’Allemagne, j’exposais ma conclusion personnelle. Il estimait simplement comme moi qu’il fallait éviter cette guerre à tout prix parce qu’elle serait un malheur pour l’Allemagne. Ce sont ses propres termes. Il n’a pas employé le terme « défaite ».
Vous-même, avez-vous employé ce terme ?
Oui, j’ai dit qu’ouvrir un second front contre un ennemi aussi puissant ne pourrait qu’aboutir à la défaite de l’Allemagne.
Était-il d’un autre avis ? Êtes-vous arrivés à une conclusion ?
Non, il n’a pas discuté cette question, mais il a simplement déclaré qu’il s’opposait à ce qu’on fît une autre démarche parce que c’était impossible et ne pouvait qu’éveiller chez Hitler l’impression que, dans l’Aviation, nous étions des défaitistes ; d’ailleurs, tout cela n’aurait absolument rien changé à la situation.
Et vous n’avez pas essayé ensuite de faire savoir à Hitler ou à un officier de l’OKW les raisons pour lesquelles vous trouviez que cette guerre contre la Russie entraînerait la défaite de l’Allemagne ?
Cela m’était impossible. Je ne pouvais pas agir contre les ordres de mon supérieur.
Le Reichsmarschall ?
Oui, le Reichsmarschall.
Et autant que vous le sachiez, il n’a jamais fait savoir à Hitler après votre conversation que vous estimiez que cette guerre serait un désastre pour l’Allemagne ?
J’avais l’impression qu’il avait déjà discuté cette question avec Hitler, mais qu’il n’avait pas pu obtenir gain de cause parce que c’était impossible avec Hitler.
Mais vous aviez été envoyé à l’étranger en mission par Hitler, vous lui aviez fait des rapports et il semblait avoir confiance en vous. Je vous demande si Hermann Göring a jamais rapporté à Hitler que, d’après vos propres informations, vous considériez que cette guerre serait un désastre ?
Mes voyages n’avaient pas été faits sur l’ordre de Hitler. J’ai entrepris ces voyages à la suite d’invitations adressées à l’Aviation allemande par les puissances étrangères, et sur l’ordre du Reichsmarschall C’est seulement en raison de l’importance de ces voyages et parce ce que j’avais incidemment reçu des informations politiques — à mon corps défendant il est vrai, car ces informations ne me concernaient pas en tant que soldat — que je crus de mon devoir d’en référer personnellement à Hitler.
Göring vous a-t-il ordonné de le faire ?
D’aller chez Hitler ? Göring en avait fait part à Hitler et ce dernier m’a fait venir. Je n’ai pas décidé moi-même de voir Hitler ; j’ai reçu un ordre de Hitler de me rendre auprès de lui.
Quand il vous a envoyé chez Hitler, savait-il ce que vous vouliez lui faire savoir ?
Non, il n’avait lui-même...
Ainsi il le savait ?
Il n’en savait rien. Il n’avait pas eu le temps de me recevoir.
Göring n’avait pas eu le temps de vous recevoir ?
Non, Göring avait alors à s’occuper de beaucoup d’autres questions et il ne voulait pas entendre parler de tout cela.
Ainsi il a laissé ce soin à Hitler qui, si je comprends bien, n’était pas aussi occupé. Est-ce exact ?
Hitler s’y intéressait particulièrement.
Je crois que vous nous avez dit, au cours d’un interrogatoire, que Göring n’était pas très travailleur. N’est-ce pas ?
Je ne tiens pas à répondre à cette question
Très bien. Je retire la question. En effet, ce n’était pas une question à poser.
Lorsque vous avez découvert que l’Allemagne allait se précipiter dans une guerre que vous, officier bien informé, considériez comme un désastre, avez-vous démissionné ?
Démissionné de quoi ?
Est-ce que vous avez démissionné de votre poste d’officier ou fait quoi que ce soit en signe de protestation ?
Non, c’était absolument impossible. La démission était exclue par le règlement.
Et qui avait fait ce règlement ?
Hitler en personne.
Vous parlez par expérience personnelle ?
Ce n’était pas spécial à mon cas. Ce règlement était d’une application générale.
Vous avez dit vendredi que vous aviez expérimenté vous-même qu’il était impossible de démissionner.
Non, on ne pouvait pas se retirer.
Avez-vous essayé, à un moment quelconque ?
J’ai plusieurs fois tenté de démissionner en temps de paix, mais cela ne m’a pas été accordé. On m’a dit alors que je n’avais pas le droit de le demander, que je serais prévenu quand je devrais partir. Pendant la guerre, je n’ai pas donné ma démission parce qu’en tant que soldat, je ne pouvais pas démissionner en temps de guerre.
N’avez-vous pas eu un jour une conversation avec Göring au sujet de votre démission, dans laquelle, non seulement il vous a défendu de partir, mais encore il vous aurait dit que ce n’était pas la peine d’invoquer des raisons de santé ?
Oui, il était impossible de trouver une excuse dans ce domaine, si l’on n’était pas véritablement malade. Autrefois, il était d’usage, lorsqu’on se retirait d’un poste important, d’invoquer des raisons de santé, mais ce n’était plus possible.
Au cours de cette conversation, il vous a proposé une échappatoire, n’est-ce pas ?
Non, il ne m’a rien proposé ; c’est moi qui le lui ai proposé.
Et qu’avez-vous proposé ? Vous avez eu une conversation au sujet du suicide ? Göring ne vous a-t-il pas dit qu’il n’y avait qu’une issue : le suicide ?
C’eût été certainement le seul moyen d’en sortir.
C’est ce que vous a dit Göring ?
Non, c’est moi qui l’ai dit, et non lui.
Je crois comprendre qu’il était de votre avis.
Non, il n’attachait aucune importance à un geste de ce genre de ma part.
Avez-vous sur vous les règlements sur les principes de Droit international, dont, dites-vous, chaque soldat avait un exemplaire ? Les avez-vous sur vous ce matin ?
Oui, ils sont contenus dans mon livret militaire, de même que pour chaque soldat.
Vous nous avez donné quelques renseignements à ce sujet, mais je voudrais que vous nous donniez le texte exact de ces instructions ou règlements qui, à votre avis, sont une expression du Droit international tel que vous le comprenez.
Je dois lire ces instructions ?
Pas trop vite.
« Les dix commandements sur la conduite du soldat allemand pendant la guerre :
1° Le soldat allemand combat d’une manière chevaleresque pour la victoire de son peuple. Les atrocités et les destructions inutiles sont indignes de lui.
2° Le combattant doit porter l’uniforme ou un insigne parfaitement visible. Il est interdit de se battre en civil sans porter un signe distinctif.
3° On ne doit pas tuer un adversaire qui se rend. C’est également valable pour l’espion et le franc-tireur. Les tribunaux leur administreront les peines conformément au Droit.
4° Les prisonniers de guerre ne doivent pas être maltraités ou insultés. Les armes, plans et croquis leur seront enlevés. Aucun autre objet personnel ne devra leur être enlevé.
5° Les projectiles « dum-dum » sont interdits. Il est également interdit de transformer des projectiles ordinaires en projectiles « dum-dum ».
6° La Croix-Rouge est inviolable. Un adversaire blessé doit être traité humainement. Le personnel sanitaire et les aumôniers ne doivent pas être gênés dans l’exercice de leurs fonctions.
7° La population civile est inviolable. Le soldat ne doit pas piller ou détruire volontairement. Les monuments historiques ou les monuments voués à la science, à la charité, aux arts et au culte doivent être tout particulièrement respectés. Les services en nature ou les prestations de services ne devront être demandés à la population civile que par les autorités supérieures et contre indemnité.
8° Aucune opération militaire de quelque caractère que ce soit, entrée de troupes, survol ou tir d’artillerie, ne doit se dérouler en territoire neutre.
9° Lorsqu’un soldat allemand est fait prisonnier, il doit donner à l’interrogatoire son nom et son grade. En aucun cas il ne devra donner d’indications sur son corps, de troupe ni de renseignements d’ordre militaire, politique ou économique sur l’Allemagne. Il ne doit se laisser convaincre ni par les promesses ni par les menaces.
10° Tout acte commis dans le service en violation des règlements est punissable. Toute violation doit être signalée aux autorités. Les représailles ne sont permises que sur ordre supérieur ».
Vous considérez ce texte comme l’exposé du Droit militaire conforme au Droit international, promulgué par le commandement allemand pour les troupes allemandes en campagne ?
Oui, c’est cela.
Et vous pensiez d’une manière générale, dans l’Armée allemande, que tel était le Droit international ?
Tout soldat devait savoir que c’étaient les instructions allemandes, puisqu’elles figuraient sur la première page du livret que tout soldat devait porter sur lui. Le gros des troupes ignorait évidemment que cela représentait le Droit international
Les Commandants en chef tels que vous le savaient, n’est-ce pas ?
Naturellement.
Cela représente votre interprétation et votre conception de vos devoirs et de vos obligations en tant que combattant et homme d’honneur ?
Oui.
Avez-vous participé aux activités de Hermann Göring lorsqu’il complétait ses collections d’œuvres d’art en France et dans les autres territoires occupés ?
Non.
Avez-vous participé à la déportation des populations civiles pour le travail forcé ?
Non.
Vous savez que cela a été fait, n’est-ce pas ?
Je ne savais pas que les ouvriers qui venaient de l’étranger avaient été déportés, mais on nous disait qu’ils s’étaient engagés volontairement. Je savais, en ce qui concernait la France, que les Français étaient venus spontanément jusqu’à un certain moment mais, que plus tard, comme ils ne voulaient plus venir volontairement, le Gouvernement français avait lui-même pris l’initiative de mesures coercitives.
Et ainsi, à cette époque, vous ne saviez pas qu’il y avait des travailleurs involontaires amenés de force en Allemagne ? C’est bien ce que vous pensez ?
Non Je savais seulement que...
Dites-nous ce que vous saviez et ce que vous avez fait.
Je savais que ces gens étaient recrutés et qu’à cette époque ils venaient volontairement. Je savais que beaucoup d’entre eux étaient très contents, mais qu’avec le temps, au fur et à mesure que la situation militaire allemande empirait, le mécontentement commençait à gagner ces ouvriers étrangers bien que, suivant les informations qui me parvinrent, ce mouvement n’ait pas eu une grande portée. Je dois dire aussi, qu’en général, nous expliquions cela par le fait que les gens n’étaient pas nourris et traités comme ils l’auraient voulu ; c’est pourquoi un certain nombre de services, à la tête desquels se trouvait le ministère Speer, s’efforçaient d’améliorer les conditions de vie de ces ouvriers.
Vous n’avez pas encore répondu à ma question : saviez-vous que des ouvriers étaient déportés de force des territoires occupés en Allemagne ? Le saviez-vous ? Répondez par « oui » ou par « non ».
J’ai seulement appris vers la fin que les Français étaient contraints d’aller en Allemagne par leur Gouvernement.
Saviez-vous que des prisonniers de guerre étaient obligés de travailler dans les industries d’aviation et, notamment, étaient employés à la fabrication de canons ?
J’en ai entendu parler.
Vous en avez entendu parler par des officiers de vos amis, n’est-ce pas ?
Je ne sais plus qui me l’a dit. On avait institué, je crois, des « Hilfswillige » ou volontaires. C’était un recrutement volontaire opéré parmi ces prisonniers de guerre.
Avez-vous entendu parler, même si vous n’y avez pas participé, du plan de rassemblement des œuvres d’art des pays occupés ?
Non, je ne savais rien de ce plan, même pas qu’il existait. Ce n’est qu’ici, à Nuremberg, que j’en ai entendu parler par quelques témoins.
Je voudrais vous poser quelques questions au sujet de certaines pièces. Je veux parler du document PS-343, n° USA-463. Je voudrais que l’on vous montrât ce document.
Ces lettres sont signées de mon nom, elles ont été écrites également sur mon papier à lettres. Elles ont dû être rédigées par l’Inspection du service de santé, mais je ne me souviens plus de leur contenu, comme je l’ai déjà dit. Je voudrais simplement signaler que les réponses tendent à éviter des difficultés entre nos services, c’est-à-dire la Lüftwaffe et M. Himmler. Je dois dire, par exemple, que je n’ai jamais lu les déclarations du Dr Rascher et du Dr Romberg. Elles ont été lues par l’Inspection du service de santé. Je servais de facteur dans la transmission de la correspondance entre l’Inspection du service de santé et les SS.
Au cours de votre interrogatoire, vous avez déclaré que vous ne vous souveniez pas de ces lettres mais, vendredi, vous avez déclaré que vous aviez apporté des modifications à l’une de ces lettres avant de l’envoyer. Pouvez-vous nous dire quelle était cette modification ?
Oui. On m’a présenté ces lettres lorsque j’ai été interrogé ici, et ce n’est qu’à partir de ce moment-là que j’ai pu me souvenir du fait que j’ai cité. Les modifications que j’y ai apportées ne concernaient que des questions de forme, de politesse, et cela à cause de la susceptibilité bien connue de M. Himmler. Je crois, toutefois, que ces modifications ne se rapportent pas à ces deux lettres, mais à une autre.
Il s’agissait donc de la lettre n° 1607 ?
Oui, je crois,
Et vous avez dit, pendant votre interrogatoire, que ces lettres vous avaient été soumises pour signature au lieu d’être soumises aux chefs de bureau. Vous souvenez-vous pourquoi ?
Oui, j’avais l’impression que l’inspecteur du service de santé ne voulait pas répondre négativement à Himmler, parce qu’il le craignait, alors que Himmler m’avait écrit, parce qu’en règle générale il n’écrivait qu’au Reichsmarschall ou à moi-même, vraisemblablement parce qu’il ignorait l’organisation de l’Aviation dans ce domaine particulier, car l’inspecteur du service de santé ne m’était pas subordonné.
Si je comprends bien, dans votre interrogatoire, vous avez donné comme raison au fait que ces lettres vous aient été soumises pour signature, que votre service ne voulait pas prendre la responsabilité d’écrire une pareille lettre par crainte de Himmler.
Il ne s’agit pas de mon service, mais je crois que l’Inspection du service sanitaire ne voulait pas se mettre en mauvais termes avec Himmler.
Je crois que vous avez aussi déclaré que les fonctionnaires de ce département craignaient les SS.
C’est ce que je voulais exprimer.
Est-ce qu’ils étaient engagés dans des activités illégales ou dirigées contre le Gouvernement ?
Je n’ai pas compris.
Ces personnes qui craignaient...
Qui, l’Inspection du service de santé ? Non.
C’étaient des fonctionnaires responsables qui, autant que vous le sachiez, faisaient leur devoir. C’est bien cela ?
Oui, Monsieur le Procureur, il faut essayer de se faire une idée de la situation qui a résulté pour nous de la guerre.
C’est exactement ce que je voudrais que vous nous disiez. Pourquoi ces personnes, qui faisaient leur devoir dans un bureau gouvernemental, craignaient-elles Himmler ou les SS ? Expliquez-nous cette situation.
Ils n’avaient pas peur des SS, en tant que tels, mais de la Police secrète. Personne d’entre nous n’avait une situation très facile. Nous étions persuadés que nous étions sous un contrôle permanent, quel que fût notre grade. Chacun d’entre nous avait un dossier à la Police secrète et beaucoup de gens furent, par la suite, traduits devant des tribunaux à cause de ces dossiers. Tout le monde était atteint par les difficultés qui en résultaient, non seulement les petits fonctionnaires, mais tous, jusqu’au Reichsmarschall lui-même.
Vous voulez dire que tous, depuis le Reichsmarschall jusqu’aux plus humbles citoyens, craignaient Himmler et son organisation ?
Le degré de crainte ne devait pas être le même partout. Peut-être était-elle au minimum dans les situations les plus élevées et les plus basses, mais dans les positions moyennes la question était plus épineuse, car il était clair que les fonctionnaires d’importance moyenne critiquaient les événements et que les supérieurs n’admettaient pas cette critique.
Si je comprends bien votre déposition, la réputation de la Gestapo était bien connue en Allemagne.
Certainement, surtout pendant les dernières années de la guerre. Je ne peux pas dire dans quelle mesure il était justifié, mais ce sentiment existait en général.
Maintenant, je crois que vous avez également témoigné que certains hauts fonctionnaires de l’Armée ont démissionné. J’attire votre attention sur le témoignage que vous avez donné dans votre interrogatoire au sujet de von Fritsch et de Beck. Ils ont démissionné, n’est-ce pas ?
Non, ils n’ont pas démissionné. Ils ont été destitués.
Ils ont été chassés, c’est bien cela ?
C’est bien cela. On leur a fait dire qu’ils étaient devenus inutiles.
J’avais compris que vous aviez dit, lors de votre interrogatoire, que les généraux eux-mêmes n’osaient pas exprimer leur opinion après ces deux départs.
Non, je n’ai jamais dit cela sous cette forme. Je ne peux pas me souvenir de ce que j’ai dit. Je vous serais reconnaissant si vous pouviez me montrer le procès-verbal.
Je l’ai sous les yeux. Je voudrais savoir si l’on vous a posé les questions suivantes, et si vous y avez répondu ainsi qu’il suit :
« Question
D’après ce que vous savez des discussions dans les cercles militaires de la Wehrmacht, de l’Aviation et de l’État-Major que vous connaissez, pourriez-vous vous faire une opinion sur ce qu’ils pensaient au début de la guerre ; partageaient-ils vos vues ? »
Ce à quoi, d’après le procès-verbal, vous avez répondu : « Tous unanimement étaient de mon avis. Tous les officiers supérieurs étaient d’accord avec moi. Bien avant, en 1937, j’avais parlé au Feldmarschall von Blomberg du danger d’une guerre, du fait de la politique imprudente de nos politiciens et nous pensions qu’à ce moment l’Angleterre et la France, à la longue, ne toléreraient plus cette politique. Le 1er novembre 1937, j’ai eu une longue discussion avec von Blomberg à ce sujet, et il était de mon avis. »
Oui, je m’en souviens.
Ainsi c’est exact ? On vous a encore posé la question suivante :
« Est-il vrai qu’après le départ des généraux Fritsch et Beck les postes dans l’Armée étaient sous l’influence de personnalités politiques ? »
Non, il en avait toujours été ainsi. L’Armée a toujours été subordonnée au Führer ou, autrefois, au Président du Reich et, en ce sens, rien n’a été changé. Le chef de l’État était en même temps chef de l’Armée.
Lors de votre interrogatoire, vous avez donné la réponse suivante :
« Oui, car Hitler a assuré personnellement le commandement de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Armée de l’air. C’était le poste qu’occupait Blomberg auparavant. Blomberg était capable de résister à Hitler et il l’a fait souvent. Hitler le respectait et écoutait ses conseils. Blomberg était le seul soldat d’un certain âge qui eût assez d’intelligence pour concilier les questions militaires et politiques. Cette résistance... »
Oui. C’était une conviction.
« Cette résistance ne pouvait être poursuivie par les hommes qui composèrent par la suite l’entourage de Hitler. Ils étaient trop faibles pour cela, et c’est probablement pour cette raison qu’il les a choisis. »
Est-ce exact ?
C’est bien ma conception.
« Question — Les généraux avec lesquels vous travailliez ne pressentaient-ils pas, avant 1939, que la politique de Hitler pourrait provoquer une guerre ? »
« Réponse
Ceux qui avaient un certain sens de la politique étrangère, oui ; mais ils devaient être très prudents parce qu’ils ne pouvaient exprimer aucune opinion ; ils n’osaient exprimer aucune opinion ». Est-ce exact ?
C’est exact.
Que craignaient les commandants d’armées pour ne pas donner leur avis ?
Ils n’avaient pas la possibilité de représenter quoi que ce soit à Hitler.
Qui aurait pris des mesures à leur égard ? Il y avait plusieurs généraux et un seul Hitler. Qui aurait exécuté des ordres contre ces généraux ?
Ce n’était pas possible. Hitler était si puissant que les arguments contraires présentés par les autres étaient simplement repoussés par lui, ou il n’en prenait même pas connaissance.
Hitler avait les SS, n’est-ce pas, et Himmler et Kaltenbrunner ?
Oui, il avait aussi cela et, de plus, il avait toute l’Armée qui lui avait prêté serment de fidélité.
Je crois que vous avez dit qu’après le 5 mars 1943, Hitler n’était plus normal. C’est bien ce que vous avez dit ?
J’ai dit que je pensais que Hitler, ces dernières années, n’était plus l’homme que nous avions connu de 1933 jusqu’au début de la guerre. Après la campagne de France s’est opéré en lui un certain changement. C’était une opinion purement personnelle. En effet, ses actes ultérieurs différaient du tout au tout de ce qu’il avait enseigné lui-même autrefois, et cela je ne pouvais pas le considérer comme normal.
Et vous voudriez nous faire croire que Göring a continué à être le second chef du Reich et à recevoir des ordres d’un homme anormal ? C’est bien votre point de vue ?
Le caractère anormal ne pouvait être reconnu d’une manière si évidente que l’on pût dire à ce moment-là : « Cet homme est aliéné » ou : « Il a des troubles mentaux ». Il arrive souvent que les caractères anormaux sont tels qu’ils échappent à la fois à la foule et aux collaborateurs les plus proches. Je crois qu’un médecin pourrait donner là-dessus des indications plus intéressantes que les miennes. J’en ai parlé d’ailleurs à plusieurs médecins.
Et ils estimaient que Hitler était anormal ?
Un médecin que je connaissais bien personnellement a admis qu’il était possible qu’il y eût là un dérangement mental.
Un médecin réputé en Allemagne ?
Non Il n’est pas très connu. D’ailleurs, il n’a dit cela à personne d’autre. Ce n’était pas à recommander.
Je pense qu’il aurait été mis dans un camp de concentration ?
Ou davantage.
Si vous aviez exprimé l’opinion qu’il était anormal, vous y auriez probablement été aussi, n’est-ce pas ?
J’aurais été fusillé immédiatement.
Alors, vous n’avez jamais osé dire à Göring, votre supérieur hiérarchique, votre opinion à ce sujet ?
Je n’ai eu qu’une fois, pendant la guerre, la possibilité d’exprimer mon opinion à Hitler, mais plus jamais ensuite.
Vous avez fait part à Göring de votre opinion ?
J’ai parlé à Göring, mais ce à quoi je viens de faire allusion, c’est à une conversation que j’ai eue avec Hitler,
Je crois que vous avez mal compris ; vous ne voulez pas dire que vous avez fait part à Hitler que vous le trouviez anormal ? Je suis convaincu que vous ne le pensiez pas.
Non, d’ailleurs je ne l’ai même pas dit à Göring.
C’est ce que je pensais. Vous saviez, n’est-ce pas, que Göring, votre supérieur immédiat, promulguait les décrets anti-juifs du Gouvernement du Reich ?
Non, je n’en savais rien. Autant que je sache, ces décrets ont été publiés par un autre département, par...
Vous ne saviez pas que ces décrets qui chassaient les Juifs et les demi-Juifs étaient promulgués par Göring ?
Non, je ne le savais pas. Si je suis bien informé, ces décrets auraient dû être publiés par le ministère de l’Intérieur qui devait être compétent il me semble.
Est-ce que vous n’avez pas eu vous-même à prendre quelques mesures pour éviter les effets de ces décrets ?
Non ; je vois ce que vous voulez dire. Cette question avait été réglée longtemps auparavant.
Combien de temps avant ?
Autant que je m’en souvienne, en 1933.
1933, juste après la prise du pouvoir par les nazis ?
Oui.
A ce moment, et nous ne voulons pas de méprise sur ce point, Göring a fait de vous ce que vous appelez un aryen intégral ; c’est bien cela ?
Je ne pense pas qu’il me fit aryen, car je l’étais déjà.
Oui, mais il l’a établi ?
Il m’a aidé à éclaircir cette question qui n’était pas très claire.
C’est-à-dire que le mari de votre mère était Juif, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas tout à fait cela.
Vous avez dû prouver que vous n’aviez pas d’antécédents d’origine juive, est-ce bien cela ?
Oui, chacun devait le faire.
Mais, dans votre cas, cela concernait votre père, votre père présumé ?
Oui.
Et vous connaissiez certainement, dès le début, l’attitude du parti nazi envers les Juifs, n’est-ce pas ?
Non, je ne la connaissais pas. Chacun devait présenter ses papiers et il m’était impossible de trouver une pièce relative à l’un de mes grands-parents.
Et on ne vous l’avait jamais demandée sous la République de Weimar ?
Non, puisque ces questions ne se posaient pas à ce moment-là.
Et vous saviez que toute la question était soulevée par le parti nazi dont vous êtes devenu membre en 1933, époque à laquelle ces faits se sont produits ? Est-ce bien cela ?
J’étais devenu membre avant que cette question ne fût soulevée.
A quelle époque êtes-vous devenu membre du Parti ?
Je ne peux pas le dire exactement. Je pense que c’était en mars ou en avril.
Et vous avez dû éclaircir cette question avant de devenir membre du Parti. N’était-ce pas la condition de l’acceptation ?
Oui, cette question a été éclaircie entre temps. Je ne peux pas indiquer exactement quand.
En 1933, vous avez pour la première fois entendu parler d’un camp de concentration ?
Je crois que c’est en 1933 qu’un avis fut publié à ce sujet.
Et plus tard, si je comprends bien, vous avez entendu tant de rumeurs sur les camps de concentration que vous avez pensé qu’il fallait faire une enquête ; c’est alors que vous êtes allé les voir ?
Oui.
Quand ces rumeurs sont-elles devenues si persistantes que vous vous êtes décidé à faire une enquête ?
Cela doit être à la fin de 1934 et au printemps 1935. Si je me souviens bien, je suis allé à Dachau au printemps 1935.
Et ces rumeurs ont persisté jusqu’à l’effondrement de l’Allemagne ?
Les rumeurs qui m’ont incité à visiter Dachau n’avaient cours que dans le milieu des grands chefs militaires, et ce sont eux qui m’en ont parlé, J’avais peu de contact avec d’autres milieux. Je ne peux pas vous dire jusqu’où elles étaient répandues.
Ainsi, dès 1935, parmi les officiers de haut rang dont vous étiez, on disait que ces camps de concentration étaient le théâtre d’atrocités. C’est ce que vous vouliez dire ?
Non, pas exactement, j’ai dit...
Alors dites-nous sur quoi portait votre enquête ?
Il m’était impossible de mener une enquête ; tout ce que je pouvais faire, c’était de voir par moi-même, afin de couper court à ces rumeurs qui voulaient que s’y trouvaient détenus des gens qui n’auraient pas dû l’être ou des innocents arrêtés pour des raisons d’ordre politique. On disait aussi, à cette époque, que les membres de la soi-disant réaction y étaient envoyés et cela intéressait de près beaucoup d’officiers ; c’est pourquoi j’ai dit que j’irais voir moi-même, pour essayer de me faire une idée personnelle.
Vous n’aviez pas besoin d’aller à Dachau pour le savoir, vous pouviez demander à Göring. Vous le saviez bien ?
Pour aller où ?
Est-ce que vous n’avez jamais demandé à Göring qui étaient les gens envoyés dans ces camps ?
Je ne me suis jamais entretenu avec Göring à ce sujet.
Saviez-vous que Göring avait dit ouvertement que les ennemis politiques du régime y seraient envoyés, que ces camps avaient été faits dans ce but ? Le saviez-vous ?
Je ne peux pas dire que j’aie entendu cela dans ces termes. Mais c’est ce que je soupçonnais à cette époque, et c’est pourquoi je désirais voir moi-même.
Et vous n’avez trouvé là-bas que des criminels ?
Ceux que l’on m’a montrés étaient des gens qui avaient commis des crimes ou des délits assez graves. Les seuls prisonniers politiques que j’ai vus étaient les gens qui avaient participé au putsch de Röhm. Je ne peux dire s’il y en avait d’autres, car je ne peux affirmer avoir vu tout le camp. Nous avons vu tout ce que nous avons demandé à voir. Nous disions :
« Je voudrais maintenant voir telle et telle chose », et le guide nous y conduisait.
De qui avez-vous reçu l’autorisation de visiter le camp de concentration ?
De Himmler.
Qui a demandé à Himmler si vous pouviez y aller ?
Je ne comprends pas.
Göring savait-il que vous entrepreniez cette visite ?
Je ne crois pas. Je n’avais pas entrepris spécialement ce voyage. J’avais une mission militaire en Allemagne du Sud et je m’étais réservé une matinée dans ce but.
Y avait-il dans le camp de concentration des gens qui s’y trouvaient pour avoir participé au putsch de Röhm ?
Oui.
Combien environ ?
Je ne peux pas le dire avec précision. Je crois pouvoir estimer le nombre de ceux que j’ai vus à environ 400 ou 500 personnes.
400 ou 500 personnes, et combien furent tuées ?
Je ne peux plus garantir le nombre, peut-être 700. C’est du moins mon estimation.
Combien de personnes furent tuées lors du putsch de Röhm ?
Je ne connais que le chiffre publié par Hitler au Reichstag Si je me souviens bien, c’était 100 ou 200.
Pourquoi vous intéressiez-vous autant à ces camps de concentration ? Aviez-vous une quelconque responsabilité à leur sujet ?
Non, je n’avais aucune responsabilité de ce genre, mais comme on en parlait souvent, j’ai essayé alors de me faire une opinion précise. Tant de gens me posaient des questions à ce sujet que j’ai décidé d’aller voir sur place.
Mais l’Allemagne n’avait-elle pas des prisons ordinaires pour les prisonniers de droit commun ?
Évidemment.
Ces prisons avaient suffi pendant longtemps à abriter les criminels ?
Je ne peux pas dire quelles en sont les raisons.
Et le camp de concentration était quelque chose de nouveau, créé après 1933 ?
Oui, il est exact que je n’en ai pas entendu parler en Allemagne avant cette époque.
Avez-vous vu des Juifs dans le camp de concentration, quand vous l’avez inspecté ?
Oui, il y avait une baraque occupée par des Juifs, mais ils étaient punis pour des délits de droit commun, falsification de documents, etc... Nous avons traversé cette baraque et chacun indiquait les raisons de sa détention, sans même qu’on le lui demandât. Aucun d’eux n’a dit être détenu pour des raisons d’ordre politique. Les seuls internés politiques étaient des SA.
Vous n’avez pas trouvé un seul prisonnier qui se déclarât innocent ?
Non, tous ceux auxquels nous nous sommes adressés nous ont dit pourquoi ils se trouvaient là.
Qui vous accompagnait lors de ce voyage ?
Si je me souviens bien, il y avait le général Weber, chef de l’État-Major général et, je crois, le général Udet, ainsi qu’un certain nombre d’autres personnes que je ne saurais plus nommer exactement.
Et qui vous a montré ce camp de concentration ? Qui vous a conduit ?
Je ne peux me rappeler son nom. C’était un fonctionnaire du SD, je suppose que c’était le commandant du camp en personne, mais j’ignore son nom.
Et qui dirigeait ce camp de concentration ? Quelle organisation en était chargée ?
Je ne saurais le dire, mais je suppose que c’était l’un des services de Himmler.
Vous avez dit que l’occupation de la Rhénanie avait été une très grande surprise pour vous ?
Oui.
Où passiez-vous votre permission quand se produisit cet événement ?
J’avais pris ma permission en montagne, à l’étranger.
En Norvège ?
Non, non.
Dans quel pays ?
Dans les Alpes. Dans le Tyrol du sud je crois, donc en Italie à cette époque.
N’avez-vous pas entendu parler d’une réunion du Conseil de Défense du Reich, le 26 juin 1935, c’est-à-dire quelque neuf mois avant l’occupation de la Rhénanie ? Le procès-verbal de cette réunion a été présenté au Tribunal sous le n° GB-160.
Je ne saurais dire si j’y assistais, je ne peux pas m’en souvenir.
D’après le procès-verbal, assistaient à cette conférence 24 membres de la Wehrmacht et 5 de l’Aviation ainsi que 24 autres fonctionnaires de l’État et du Parti ? Étiez-vous présent à cette conférence où se déroula cette discussion ?
Puis-je vous prier de me répéter la date ?
Le 26 juin 1935.
Je ne peux pas m’en souvenir. Je n’en sais rien.
N’avez-vous jamais entendu parler de cette réunion ?
Actuellement je ne peux m’en souvenir. De quoi aurait-il été question à cette conférence ?
La préparation de l’occupation de la Rhénanie devait être tenue secrète et le plan pour l’invasion de la Rhénanie devait y être établi.
Je ne peux m’en souvenir. Je ne crois pas y avoir assisté.
Plaise au Tribunal. J’ai l’intention d’aborder encore plusieurs sujets et de présenter quelques documents. Il serait peut-être temps de suspendre l’audience.
L’audience est suspendue.