SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME JOURNÉE.
Mardi 12 mars 1946.
Audience du matin.
Général Rudenko, avez-vous terminé votre interrogatoire ?
Oui.
Le Ministère Public français désire-t-il poser des questions au témoin ? Docteur Stahmer, désirez-vous interroger le témoin à nouveau ?
Non, Monsieur le Président.
Le témoin peut se retirer.
Je cite comme témoin suivant, le colonel de la Luftwaffe, Bernd von Brauchitsch.
Quel est votre nom ?
Bernd von Brauchitsch.
Voulez-vous répéter après moi ce serment :
Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité, que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien.
Vous pouvez vous asseoir, si vous le désirez.
Témoin, quelles étaient vos fonctions à l’État-Major du Commandant en chef de la Luftwaffe ?
J’étais premier aide de camp du Commandant en chef de la Luftwaffe J’avais le grade d’aide de camp en chef. J’étais chargé d’appliquer les mesures ordonnées par le Commandant en chef et de remplir, en plus, les fonctions ordinaires d’un aide de camp J’avais à présenter un rapport quotidien sur la situation militaire, je devais rédiger des rapports militaires et des informations dans la mesure où les services eux-mêmes ne s’en étaient pas occupés. Je n’avais aucun pouvoir de décision.
Avez-vous appris, au cours de vos fonctions, que le 25 mars 1944, 75 officiers aviateurs britanniques s’étaient évadés du camp de Sagan, du Stalag Luft III ?
Je suis au courant de ces événements car on en a beaucoup parlé à cette époque.
Pouvez-vous donner des indications sur ce qui est arrivé à ces officiers après leur évasion ?
Je ne sais pas ce qu’il est advenu de ces officiers.
N’avez-vous donc pas su que 50 de ces officiers auraient été abattus alors qu’ils essayaient de s’évader ?
Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai entendu parler de l’exécution d’un certain nombre de ces officiers.
Pouvez-vous nous indiquer dans quelles circonstances ont eu lieu ces exécutions ?
Non. Je l’ignore complètement.
Le Reichsmarschall Göring a-t-il donné l’ordre de procéder à ces exécutions ou a-t-il participé de quelque manière que ce fût aux mesures qui ont été prises ?
Je ne sais absolument pas si le Reichsmarschall a participé à cette affaire ou s’il a donné des ordres à ce sujet.
Connaissez-vous l’attitude de Hitler vis-à-vis du traitement infligé aux soi-disant aviateurs terroristes tombés sur le territoire allemand ?
Au printemps de l’année 1944, les pertes subies par la population civile à la suite des mitraillages par avion, augmentèrent brusquement. Ces attaques étaient dirigées dans tout le pays contre les civils travaillant dans les champs, contre des voies ferrées et des gares secondaires n’ayant aucun intérêt militaire, contre des piétons et des cyclistes. C’est ce qui a dû décider Hitler non seulement à donner des ordres de défense, mais aussi à décréter des mesures contre la personne de ces aviateurs. D’après ce que je sais, Hitler a fait prendre des mesures draconiennes. Le lynchage devait être toléré.
Quelle était l’attitude du Reichsmarschall de la Luftwaffe à l’égard de ces instructions ?
Le Commandant en chef et le chef de l’État-Major général étaient d’avis que ces attaques dirigées uniquement contre la population civile devaient être réprimées de la manière la plus énergique. Cependant on ne devait pas prendre de mesures spéciales contre ces aviateurs. On ne pouvait accepter la proposition qui avait été faite de lyncher ceux qui étaient tombés ou de les laisser sans secours, proposition à laquelle, selon les instructions de Hitler, la Luftwaffe devait donner suite. On s’efforçait d’empêcher l’exécution des ordres de Hitler, avec lesquels personne n’était d’accord. On adopta le procédé qui consistait à faire croire que des mesures avaient été prises, alors qu’en réalité on ne les appliquait pas. On me donna alors la mission, qui dépassait ma compétence, de définir, en accord avec l’OKW, le sens du terme aviateur terroriste. Tous les cas qui constituaient des violations du Droit international et des lois pénales firent l’objet de discussions et d’échanges de lettres ultérieurs. Il s’agissait, en cherchant une définition, d’empêcher le lynchage.
Cette longue correspondance montre également les efforts déployés par les services intéressés pour gagner du temps. A la fin du mois de juin 1944, nous étions enfin arrivés à une définition du terme aviateur terroriste. Le Stalag reçut l’ordre de faire des rapports sur les cas de violation, mais non de prendre des mesures. C’est ainsi que nous avons empêché l’exécution des mesures exigées par Hitler.
A votre avis, peut-on affirmer que les mesures ordonnées par Hitler n’ont pas été exécutées par la Luftwaffe ?
Oui, on peut l’affirmer. Les commandants des unités aériennes ont confirmé que leurs hommes n’ont pas reçu l’ordre d’exécuter les aviateurs ennemis ni de les remettre au SD.
Avez-vous eu connaissance du fait que l’Aviation aurait reçu l’ordre de prendre des otages ou de les exécuter ?
Je ne connais aucune instruction ou ordre concernant les otages.
Une dernière question : pouvez-vous donner des indications sur le traitement qui fut infligé aux cinq aviateurs qui, au mois de mars 1945, sautèrent en parachute dans la Schorfheide et furent faits prisonniers ?
En mars 1945, un bombardier quadrimoteur américain qui venait de participer à un raid fut abattu sur la Schorfheide. Une partie des membres de l’équipage eut la vie sauve en sautant en parachute ; quelques-uns d’entre eux furent blessés et envoyés à l’hôpital. L’observateur, un capitaine de réserve américain qui était dans le civil directeur de production cinématographique à Hollywood, fut interrogé le lendemain par le Reichsmarschall en personne au sujet de sa mission et des circonstances dans lesquelles son appareil avait été abattu.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Un autre avocat désire-t-il poser des questions au témoin ?
Je n’ai que quelques questions à poser au témoin. Quelles étaient vos fonctions au début de la guerre ?
A la déclaration de guerre, j’étais à l’École de Guerre et je venais de quitter mon escadrille.
Peut-on dire que la déclaration de guerre ait provoqué de l’enthousiasme chez les soldats de métier ? Quel était l’état d’esprit qui régnait alors ?
On ne peut pas dire que la déclaration de guerre ait été saluée par un grand enthousiasme. Cet événement nous a paru extrêmement grave. En tant que jeunes soldats nous considérions comme de notre devoir de former les hommes qui nous étaient confiés pour la défense de notre pays.
Quels postes avez-vous occupés pendant la guerre ? N’avez-vous jamais été membre de l’État-Major d’une flotte aérienne ?
Non, je n’ai jamais appartenu à un tel organisme, mais à part une activité de courte durée dans un groupe de combat, je suis toujours resté aide de camp du Commandant en chef de la Luftwaffe.
En qualité d’aide de camp principal du Commandant en chef de la Luftwaffe, vous deviez posséder une foule de renseignements sur ce qui se passait dans la Luftwaffe ?
Oui, dans la mesure où je pouvais disposer des documents.
D’après les renseignements que vous pouviez avoir, les chefs des flottes aériennes avaient-ils une influence quelconque sur les décisions de caractère politique ou sur la conduite de la guerre ?
A mon avis, les chefs des flottes aériennes n’avaient aucune influence en matière politique. Leur tâche se réduisait à l’exécution technique des ordres reçus, ordres qui émanaient de plus en plus fréquemment de Hitler.
Les chefs des flottes aériennes ont-ils proposé qu’on employât des méthodes plus sévères dans la conduite de la guerre7
Je ne pense pas que des suggestions de ce genre aient été faites par les chefs des flottes aériennes. Ces derniers étaient des soldats de métier qui ne faisaient que se conformer aux ordres qu’ils recevaient.
J’ai encore une question à vous poser : y avait-il des liaisons entre les différents services de la Wehrmacht ? Ces liaisons avaient-elles un caractère purement officiel ou dépassaient-elles le cadre administratif ?
Au front, ces liaisons étaient établies entre les services locaux importants ; à l’échelon supérieur, elles se faisaient directement par le Führer.
Je n’ai plus de questions à poser.
Un autre avocat désire-t-il poser d’autres questions ? Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?
Je demande qu’on montre au témoin le document américain PS-1156. (Le document est remis au témoin.) (S’adressant au témoin.) Témoin, connaissez-vous ce document ?
Non, ce document m’est inconnu.
J’attire votre attention sur sa date : le 20 mars 1941, et je vous fais également remarquer que c’est apparemment un rapport adressé au Reichsmarschall sur la réunion du 19 mars 1941.
Pendant mon service, je ne participais à des conférences militaires que lorsqu’elles avaient lieu ailleurs qu’à l’État-Major du Führer et dans la mesure où il ne s’agissait pas de discussions privées. Je n’ai jamais vu ce document et je ne connais pas les faits qui s’y rapportent.
Permettez-moi d’attirer votre attention sur l’article 2 qui vous concerne et que voici : « Les directives établies par Wi sur les mesures de destruction qui devront être poursuivies par la Luftwaffe dans le « Cas Barbarossa » ont été approuvées par le Reichsmarschall. Un exemplaire en a été donné au capitaine von Brauchitsch pour qu’il le transmette à l’État-Major général de la Luftwaffe. »
Cela correspond-il à la réalité ?
Je ne peux pas me souvenir de ces faits et je suis incapable de donner d’autres renseignements sur la lettre en question.
Vous connaissiez le « Cas Barbarossa » n’est-ce pas ?
Je n’en ai été informé qu’au début de 1941. Je n’ai pas assisté aux discussions où il en fut question.
Mais vous saviez qu’on avait envisagé des mesures de destruction qui devaient être exécutées par la Luftwaffe ?
Je ne suis au courant que des premières missions confiées à la Luftwaffe et je me souviens qu’on donna l’ordre d’attaquer des aérodromes.
Avait - on également projeté des attaques contre les villes, notamment Saint-Pétersbourg ?
Si mes souvenirs sont exacts, à l’époque où cette lettre a été rédigée, il n’a pas été question de ces objectifs, mais exclusivement d’attaques contre des aérodromes qui étaient les objectifs principaux de la Luftwaffe.
Je demande qu’on montre au témoin le document PS-735 (GB-151), (Le document est remis au témoin.) Il a déjà été versé au dossier et apparaît comme un document très secret dont il n’existe que trois exemplaires Est-ce vrai ?
Puis-je lire cette lettre avant de répondre ?
J’attire d’abord votre attention sur la signature apposé à la fin de ce document et je vous demande si vous la reconnaissez.
La signature est celle de Warlimont.
Qui était Warlimont ?
Warlimont était l’adjoint du chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht.
Et vous vous connaissiez bien, n’est-ce pas ?
Je le connaissais de vue. C’est à cette occasion que je lui ai parlé pour la première fois.
C’est lors de cette réunion qui figure dans ce procès-verbal que vous l’avez rencontré et que vous lui avez parlé pour la première fois ?
Oui, c’est la première fois que je lui parlais officiellement.
Cette réunion eut lieu le 6 juin 1944, n’est-ce pas ?
D’après la lettre, oui.
J’attire votre attention sur le paragraphe 1 du procès-verbal de cette réunion, qui semble indiquer que l’Obergruppenfuhrer Kaltenbrunner ouvrit la séance en déclarant qu’une conférence venait de se tenir récemment avec le Reichsmarschall, le ministre des Affaires étrangères du Reich et le Reichsführer SS sur la question des aviateurs. C’est ainsi que la réunion a été ouverte, n’est-ce pas ?
Je ne sais rien sur la matière de cette réunion et je ne sais même pas si elle a eu lieu.
Qui était alors Reichsmarschall ?
Je me souviens que le 6 juin, l’invasion ayant été déclenchée dans la nuit précédente, j’ai téléphoné au Reichsmarschal] Göring à 2 heures du matin pour le mettre au courant de l’événement. Il quitta Veldenstein dans la matinée et arriva dans l’après-midi à Klessheim où devait avoir lieu une réunion où l’on examinerait la situation.
Et cette réunion a été tenue à Klessheim, dans l’après-midi du 6 juin 1944, n’est-ce pas ?
J’ai déjà dit précédemment que je ne sais rien de la réunion elle-même, ni du sujet de la discussion.
Oui, je comprends. Vous n’étiez pas présent. Göring était Reichsmarschall ; n’est-ce pas exact ?
Oui.
Ribbentrop était alors ministre des Affaires étrangères, n’est-ce pas ?
Oui.
Et qui était le Reichsführer SS ?
Himmler.
C’est à la suite de cette réunion à laquelle le ministre des Affaires étrangères. Suivez bien la phrase suivante : « ...le ministre des Affaires étrangères désirait inclure toutes les formes d’attaques terroristes contre la population civile indigène ». Il fut convenu que cette réunion, à laquelle vous avez pris part, devait avoir lieu, n’est-ce pas ? Est-ce bien là le sens du premier paragraphe ?
D’abord je n’ai pas participé à cette réunion et ensuite, je ne sais rien de tout cela.
N’étiez-vous pas avec Kaltenbrunner à la réunion qu’il avait organisée ?
Je n’ai pas assisté à cette réunion avec Kaltenbrunner dont il est question en ce moment.
Malgré la signature de Warlimont apposée au procès-verbal qui déclare que vous y étiez ?
En dépit de la signature... Puis-je d’abord lire le document intégralement avant de donner une réponse définitive ?
Lisez la dernière phrase. Témoin, j’ai peut-être mal interprété ce texte. Il n’est pas dit que vous étiez présent, mais il est dit que vous avez donné ce renseignement. Je vous demande de regarder le dernier paragraphe et de me dire si c’est exact ?
Le dernier paragraphe de ce document, avant la signature, ne peut se rapporter qu’à une conférence qui, si je me souviens bien, a eu lieu le 6 juin, vers la fin de l’après-midi, chez le général Warlimont ; j’ai fait allusion à cette conférence tout à l’heure.
Je crois que j’ai confondu les deux réunions et que ce procès-verbal ne montre pas que vous étiez présent à cette réunion. Il y a donc eu une semblable conférence, comme le rapporte Warlimont, mais ce n’était pas la même que celle à laquelle assistait Kaltenbrunner ; est-ce exact ?
Oui, c’est exact ; je ne connais que cette entrevue de la fin de l’après-midi du 6 juin qui eut lieu entre Warlimont et moi-même.
Et c’est bien la conférence à laquelle il est fait allusion au premier paragraphe ?
Non, la conférence de l’après-midi n’a rien à voir avec le premier paragraphe que je viens de lire. Il n’y a aucun rapport entre les deux.
Le troisième paragraphe n’avait aucun rapport avec la première réunion, dites-vous ?
Le troisième paragraphe n’a aucun rapport avec le paragraphe 1 ; je ne connaissais nullement ce paragraphe 1. J’ai déjà dit qu’on m’avait confié la mission de m’entretenir avec l’OKW sur la définition des actes qui pouvaient être considérés comme des violations du Droit international.
Je vais vous poser une autre question à ce sujet, pour dissiper tout malentendu La conférence à laquelle il est fait allusion au paragraphe 3 du procès-verbal de Warlimont est bien une conférence qui a eu lieu entre vous et lui, tard dans l’après-midi, et n’avait rien à voir avec la conférence avec Kaltenbrunner qui a eu lieu, tôt dans la journée ?
Oui.
Bien ; quelle était, au début de 1944, la situation consécutive au bombardement des villes allemandes ?
La situation était la suivante : les raids aériens avaient augmenté d’intensité et, au début de 1914, ils étaient devenus particulièrement massifs.
Cela devenait très embarrassant pour le Reichsmarschall, n’est-ce pas ?
C’était évidemment très désagréable pour la Luftwaffe dont la puissance défensive était trop faible pour combattre ces attaques d’une manière efficace.
La Luftwaffe, ainsi que le Reichsmarschall, ont subi quelques reproches de ce fait, n’est-ce pas ?
Cela va sans dire.
Et le Reichsmarschall se trouvait dans la position embarrassante d’un homme qui, en 1939 avait certifié au peuple allemand que les villes seraient protégées contre le danger aérien. Le saviez-vous ?
Je le sais, mais je sais aussi que les conditions qui existaient en 1939 et qui permettaient cette déclaration étaient totalement différentes de celles de l’année 1944, époque à laquelle nous avions le monde entier contre nous.
Mais il n’en subsistait pas moins que les villes allemandes étaient bombardées et que la population allemande avait eu confiance en la protection du Reichsmarschall, n’est-ce pas vrai ?
Il est vrai que le peuple allemand avait attendu de la Luftwaffe qu’elle utilisât tous les moyens qui étaient à sa disposition pour stopper ces attaques.
Quels étaient alors les rapports entre Göring et Hitler ?
Puis-je vous prier de répéter la question ? Je ne l’ai pas très bien saisie.
Quels étaient alors les rapports de Göring avec Hitler ? Y eut-il une modification quelconque dans leurs relations au fur et à mesure que le bombardement des villes allemandes se développait ?
Les relations entre le Reichsmarschall et le Führer étaient sans aucun doute plus mauvaises que jamais. J’ignore si c’était dû aux conditions créés par la guerre aérienne,
Au cours de la guerre, vous êtes resté en relations très étroites avec le Reichsmarschall ?
J’ignore ce que vous entendez par relations étroites qui peuvent exister entre un Commandant en chef et son aide de camp.
Vos relations étaient particulièrement amicales. Il avait une grande confiance en vous et vous lui témoigniez un grand respect ?
Je puis répondre affirmativement ; mais malheureusement, ce n’est que très rarement que le Reichsmarschall faisait part des véritables mobiles de ses actes.
Étiez-vous avec lui lorsque, le 20 avril 1945, il envoya un télégramme dans lequel il proposait de prendre lui-même le gouvernement de l’Allemagne, ce qui lui valut d’être arrêté et condamné à mort ?
Oui, j’étais présent à ce moment-là.
Et les SS se sont emparés de vous et du Reichsmarschall ainsi que de plusieurs autres personnes ; ils ont perquisitionné dans vos maisons, saisi tous vos papiers et ils vous ont faits prisonniers. Est-ce exact ?
11 est exact que le 23 avril au soir, à 19 heures, nous avons été cernés. Le Reichsmarhchall a été emmené dans sa chambre et, à partir de ce moment-là, il fut surveillé étroitement. Plus tard, nous fûmes séparés, puis internés individuellement. Nous étions alors complètement séparés de lui. Cela fut exécuté par les troupes SS stationnées au Berghof.
Et ceci s’est passé à Berchtesgaden ?
Oui, ces faits se sont passés à Berchtesgaden.
Je crois que vous nous avez dit que vous deviez tous être fusillés par les SS au moment de la reddition et que vous étiez censés approuver cette mesure en donnant votre propre signature. Est-ce exact ?
Non, ce n’est pas tout à fait exact. Je sais qu’il existait un ordre selon lequel le Reichsmarschall, sa famille et son entourage devaient être exécutés à Berlin au moment de la capitulation.
Le second point de votre question concerne autre chose, à savoir que nous devions nous rendre volontairement aux SS, car le chef des SS aurait souhaité nous voir ailleurs, pour n’avoir pas à exécuter cet ordre. A ce moment-là, nous étions déjà séparés du Commandant en chef.
Que saviez-vous des activités des SS ? Qu’étaient les SS et quels étaient alors leurs rapports avec la Wehrmacht et la Luftwaffe ? Parlez-nous des SS.
Je ne puis vous dire que ceci. le terme SS était employé dans un sens très large ; le SD, la Gestapo et les Waffen SS étaient des choses très différentes ; la Gestapo était un instrument de répression qui a supprimé nombre de vies humaines.
Et les Waffen SS également, n’est-ce pas ?
Les Waffen SS étaient une unité purement militaire. Je n’ai personnellement jamais eu d’ennuis ni de motifs d’opposition avec elle.
Mais quel était, à proprement parler, le rôle des SS ? Témoin, je suis sûr que vous connaissez la situation des SS et j’ai l’impression que vous désirez nous en faire part : je voudrais que vous nous disiez un peu le rôle que jouaient les SS dans des cas de ce genre.
J’ai déjà insisté sur le fait que ma qualité de simple aide de camp m’a seulement permis de vous donner des renseignements sur la seule Luftwaffe ; je suis incapable de parler de sujets généraux sur lesquels je ne possède pas de connaissances approfondies ; mais simplement des opinions personnelles.
Les SS ne faisaient-elles pas l’objet de fréquentes discussions parmi les officiers ? N’était-il pas de notoriété publique que les SS étaient, comme la Gestapo, une organisation employant les méthodes répressives les plus cruelles ?
Dans la Luftwaffe, la puissance aérienne grandissante de l’ennemi nous donnait tant de soucis que nous n’avions pas le temps de nous occuper d’autre chose.
Mais vous étiez bien au courant des campagnes menées contre les Juifs d’Allemagne et des territoires occupés ?
J’ignorais tout des campagnes entreprises contre les Juifs, telles qu’elles ont été présentées ici et dans la presse.
Je ne veux pas vous interroger sur ce qu’il y a dans la presse, mais comment voulez-vous que le Tribunal croie que vous ignoriez les campagnes menées contre les Juifs en Allemagne ?
Je sais seulement que quelques Juifs avaient été mis dans des ghettos. Je ne connaissais rien, cependant, des atrocités commises contre les Juifs telles qu’elles ont été dévoilées maintenant dans la presse.
Votre père était Feldmarschall, n’est-ce pas ?
Oui.
A quelle époque devint-il Feldmarschall ?
Le grade de Feldmarschall lui a été conféré en 1940 et il a l’a gardé depuis.
Il ne lui a jamais été enlevé ?
Non, jamais.
Pendant une certaine période, votre père, comme vous le savez, n’était pas d’accord avec Hitler sur le programme militaire ?
Je sais que mon père a eu de grandes difficultés avec Hitler au sujet des questions politiques et militaires, ce qui aboutit à sa démission en décembre 1941.
N’avez-vous pas dit au magistrat interrogateur américain qu’il avait quitté son commandement actif en 1941 ?
Si.
Comment aviez-vous expliqué cette démission ? Vous aviez déclaré que ni dans le domaine politique, ni dans le domaine militaire, votre père et Hitler n’étaient d’accord et que, puisque celui-là ne pouvait faire prévaloir sa propre opinion, il a voulu manifester son mécontentement en démissionnant. Les questions religieuses jouèrent aussi un rôle tout spécial ?
Oui.
C’est exact, n’est-ce pas ?
C’est vrai. Je maintiens ce que j’ai dit.
J’espère que vous en êtes fier. On vous a également posé cette question : « Etes-vous au courant de ses activités depuis 1941 jusqu’à la fin de la guerre ? »
Et vous avez répondu : « Il y avait acquis, par son second mariage, une petite maison à Bockenheim, petite ville de Silésie, où il se livrait à des études de généalogie et s’occupait de sylviculture, d’économie politique et de chasse ; mais il ne prenait pas part... »
Il s’est occupé uniquement de questions agricoles et de questions d’histoire militaire.
Je vous demande pardon, je n’ai pas saisi votre réponse.
Il s’intéressait uniquement aux questions économiques et à la chasse et non aux questions militaires.
Oui. Non à des questions militaires. « Mais il ne prit part à aucune entreprise politique sanglante ». Vous vous êtes exprimé ainsi, n’est-ce pas ?
Puis-je vous demander d’entendre la question une fois de plus ?
Voici votre réponse intégrale, vous m’avez interrompu. Voici comment vous avez répondu à l’interrogatoire : « Il avait acquis, par son second mariage, une petite maison à Bockenheim, petite ville de Silésie, et il se livrait à des études de généalogie et s’occupait de sylviculture, d’économie politique et de chasse, mais ne prit part à aucune entreprise politique sanglante. »
Et, à l’exception de l’économie politique, vous confirmez cette réponse ?
Je n’ai jamais dit qu’il avait participé à des entreprises sanglantes. Cela doit être une erreur. Je n’ai d’ailleurs jamais revu ce procès-verbal et je ne l’ai pas signé.
Je ne me suis pas bien expliqué. Vous avez dit qu’il n’avait pas participé à des entreprises politiques sanglantes. Ce procès-verbal montre que vous avez fait cette déclaration.
Il n’y a pas participé. Mais je n’ai jamais parlé d’entreprise sanglante.
Vous n’avez pas employé ces termes lors de votre interrogatoire ?
Non, je ne m’en souviens pas. Je n’ai pas signé le procès-verbal et ne l’ai jamais relu après l’interrogatoire.
Et vous affirmez que vous n’avez pas employé ces termes le 26 février 1946 en répondant aux questions qui vous étaient pesées par le capitaine Horace Hahn ?
J’affirme que je n’ai pas ulitisé cette expression « participé à aucune entreprise sanglantes "Cette expression m’est tout à fait étrangère. Je ne vois pas pourquoi elle apparaît ici.
Vous ne connaissez aucune activité à laquelle se serait livré votre père ?
Non, mon père avait cessé toute activité publique.
Il a complètement abandonné la bande des nazis. Il a préféré se retirer dans un petit village, plutôt que de continuer à poursuivre un programme qu’il n’approuvait pas, n’est-ce pas ? Nous sommes d’accord ?
Oui.
Je crois que je n’ai normalement plus le droit d’interroger ce témoin, après le contre-interrogatoire de M. Justice Jackson, mais je serais reconnaissant au Tribunal de me permettre de le faire puisque M. Justice Jackson a également interrogé le témoin sur la question des SS.
Le témoin a déclaré au sujet des SS qu’il n’en connaissait rien. De quel motif arguez-vous pour procéder à un contre-interrogatoire ?
On lui a demandé si les SS qui l’avaient gardé à l’Obersalzberg étaient les mêmes qui avaient reçu l’ordre de le fusiller ainsi que Göring. J’aimerais qu’il précise s’il s’agissait de SS ou de gens du SD ?
Très bien.
Je demande donc au témoin : savez-vous si les individus dont vous avez parlé tout à l’heure étaient membres des SS ou du SD ? Vous connaissez la différence ?
J’en ai une vague idée. Je crois que les troupes qui avaient la tâche de nous surveiller étaient des SS, mais que la mission spéciale avait été confiée au SD.
Merci beaucoup.
Un autre avocat désire-t-il poser d’autres questions ? Docteur Stahmer, voulez-vous interroger à nouveau le témoin ?
Je n’ai que deux brèves questions à poser. Colonel von Brauchitsch, pouvez-vous nous parler des relations du Reichsmarschall avec Himmler ?
Autant que je le sache, je dois dire qu’il existait entre Himmler et Göring des relations extérieures empreintes d’une grande méfiance mais on peut difficilement parler de véritables affinités entre eux.
Pouvez-vous nous dire si le peuple allemand avait jusqu’au dernier moment gardé sa confiance dans le Reichsmarschall et s’il a extériorisé cette confiance en des circonstances spéciales ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Je peux citer deux faits : le premier s’est déroulé à la fin de l’année 1944 ou au début de 1945 — je ne me souviens pas de la date exacte - dans un abri antiaérien ; le Reichsmarschall, sans gardes du corps ni escorte, s’entretenait amicalement avec les gens qui étaient autour de lui, qui le saluèrent avec la vieille acclamation « Hermann, halt die Ohren steif » (Hermann, dresse l’oreille).
Le deuxième se produisit pendant le trajet entre Berlin et Berchtesgaden, dans la nuit du 20 au 21 avril ; le 21 avril, en fin de matinée, le Reichsmarschal] arriva dans une ville du Sudetengau où il fit une courte halte dans une auberge pour prendre un petit déjeuner rapide- En peu de temps, la place du marché se couvrit d’une foule si dense de gens qui lui demandait des autographes qu’il nous était impossible de dégager la voiture. Là aussi, il a été acclamé par des gens qui le saluaient du nom familier de « Hermann ».
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Le témoin peut se retirer.
Je cite comme témoin suivant le secrétaire d’État, Paul Körner.
Vous vous appelez bien Paul Kömer ?
Oui.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient, que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »
Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez.
Témoin, quelles fonctions officielles remplissiez-vous avant la capitulation ?
J’étais secrétaire d’État au ministère d’État de Prusse.
En cette qualité, faisiez-vous partie des collaborateurs immédiats du Reichsmarschall ?
Oui.
Quand avez-vous fait la connaissance du Reichsmarschall ?
En 1926.
Quand vous a-t-il choisi comme collaborateur ?
A la fin de 1931.
En quelle qualité ?
Je devins son secrétaire.
Quand êtes-vous entré dans l’administration ?
En avril 1933 Pardon, en 1931.
Le traducteur a dit que la date antérieure était 1931. Qu’était cette date ?
C’est en 1931 qu’il entra en contact avec Göring et devint son secrétaire particulier. En 1933, il entra dans l’administration. (Au témoin.) Quel poste vous fut confié ?
Je devins secrétaire d’État au ministère d’État de Prusse.
Que savez-vous de l’institution de la Police secrète d’État, la Gestapo ?
Dans les premiers mois qui suivirent la prise du pouvoir, la Police secrète d’État trouva son origine dans le service la de la Police politique Ce service subsista, mais fut réorganisé sous le nom de Police secrète d’État.
Quelle était l’étendue de ses activités ?
Sa tâche essentielle consistait à surveiller les ennemis de l’État.
Avez-vous des renseignements sur la création des camps de concentration ?
Je sais qu’à cette époque on a créé des camps de concentration.
A quels buts devaient-ils répondre ?
Ces camps furent destinés à recevoir les ennemis de l’État.
Qu’entendez-vous par « recevoir » ?
Les éléments hostiles à l’État, surtout les communistes, devaient être groupés dans ces camps.
Et que devait-on faire d’eux ?
Ils devaient être soumis à une détention préventive et, si je me souviens bien, on devait les rééduquer de façon à ce qu’ils puissent être ultérieurement réintégrés dans la société.
Connaissez-vous les traitements qui étaient infligés aux internés de ces camps ?
D’après ce que je sais, ils furent toujours bien traités.
Avez-vous entendu parler de camps de concentration « officieux » ?
Oui ; en 1933 on en a créé en différents endroits.
Qui, « on » ?
Je me souviens qu’un camp a été créé à Breslau par le Gruppenführer SA Heines. Un autre fut créé à Stettin, J’ignore s’il en existait d’autres.
A Stettin ?
Je crois qu’il fut créé par Karpfenstein, mais je n’en suis pas très sûr.
Et que sont devenus ces camps ?
Lorsque le Reichsmarschall en a entendu parler, il les a fait dissoudre immédiatement parce qu’ils avaient été créés sans son consentement.
Quelle était l’attitude du Reichsmarschall lorsque lui parvenaient des plaintes à ce sujet ?
Il les a toujours prises en considération.
Connaissez-vous un cas où il ait pris des mesures particulièrement sévères ?
Je me souviens du cas de Thalmann.
De quoi s’agissait-il ?
Le Reichsmarschall avait appris que Thalmann n’avait pas été traité de la façon dont il aurait souhailé qu’il le fût. Il prit immédiatement l’affaire en mains et convoqua Thalmann.
Qui était Thalmann ?
C’était l’un des dirigeants du parti communiste allemand et député communiste au Reichstag.
Et que lui a dit le Reichsmarschall ?
Il le fit venir dans son cabinet et lui demanda les raisons précises de sa réclamation.
Et ensuite ?
Thälmann, soupçonnant un piège, se montra d’abord très réservé. Lorsqu’il vit que le Reichsmarschall lui parlait d’une manière très humaine, il se rendit compte qu’il pouvait parler librement. Il déclara au Reichsmarschall qu’à différentes reprises il n’avait pas été convenablement traité. Le Reichsmarschall promit qu’il y mettrait ordre immédiatement et donna des instructions à cet effet. Il demanda également à Thälmann de l’avertir chaque fois que cette situation se reproduirait. En outre, il ordonna qu’on lui fasse parvenir toutes les plaintes formulées par Thälmann.
Savez-vous pendant combien de temps la Gestapo, dans les camps de concentration, est restée sous les ordres du Reichsmarschall ?
Jusqu’au printemps 1934, en mars ou en avril, je crois.
Qui en eut alors la charge ?
Par ordre du Führer, elle tomba sous la coupe du Reichsführer Himmler.
Que savez-vous des événements se rapportant à la révolte de Röhm, le 30 juin 1934 ?
C’est à Essen que j’ai appris que Röhm projetait un putsch : j’accompagnais le Reichsmarschall à l’occasion du mariage du Gauleiter Terboven. Pendant les fêtes de ce mariage, Himmler arriva et fit un rapport au Führer. Plus tard, le Führer prit à part le Reichsmarschall et le mit au courant du projet de Röhm.
Savez-vous aussi ce qu’il lui a dit ?
Je puis seulement dire que tout ce que Himmler a rapporté au Führer a été porté à la connaissance de Göring.
Vous ne connaissez pas d’autres détails ?
Non, je ne connais aucun détail supplémentaire, mais je pense que c’est suffisant.
Quelles instructions Göring a-t-il reçues ?
Le Führer ordonna à Göring d’aller à Berlin immédiatement après les fêtes du mariage et se rendit lui-même en Allemagne du Sud pour faire une enquête personnelle sur ces événements.
Quand ce mariage a-t-il eu lieu ?
Ce mariage eut lieu, si je me souviens bien, deux jours avant le putsch de Röhm.
Savez-vous si, le lendemain du putsch de Röhm, le Reichsmarschall était avec Hitler ?
Non, le Reichsmarschall était à Berlin. Nous étions retournés à Berlin le soir même.
Et le jour qui suivit le putsch de Röhm, c’est-à-dire le 1er juillet ?
Le Reichsmarschall était à Berlin.
Savez-vous s’il y eut une conversation entre lui et Hitler ?
Oui, je me souviens que le Reichsmarschall se rendit à la Chancellerie du Reich pour faire part au Führer de différentes choses. Le Reichsmarschall avait appris, en particulier, que des innocents auraient pu être victimes de ces événements, ce qui s’était effectivement produit. C’est pourquoi il voulait prier le Führer d’arrêter immédiatement l’action entreprise.
Cela a-t-il été fait ?
Oui, ce fut fait.
De quelle manière ?
Après le rapport du Reichsmarschall le Führer décréta qu’aucune nouvelle entreprise ne serait poursuivie sans ordre exprès ; il déclara que cette action était terminée et que, si l’on trouvait encore des coupables, ils devaient être traduits devant les tribunaux de droit commun à qui il appartiendrait de décider s’ils seraient poursuivis.
Savez-vous si le Reichsmarschall a participé à l’action entreprise contre les Juifs au cours de la nuit du 9 au 10 novembre 1938 ?
Non, le Reichsmarschall n’avait absolument rien à voir dans cette affaire ; il n’en avait même pas eu vent.
Comment le savez-vous ?
Parce que le 9 novembre j’étais avec le Reichsmarschall à Munich comme tous les ans. Le soir même, nous allâmes à Berlin ; s’il en avait su quelque chose, il m’en aurait certainement parlé, à moi ou à ceux qui l’accompagnaient ; mais il n’en savait rien.
Quand en a-t-il entendu parler ?
Peu de temps avant son arrivée à Berlin ou en gare d’Anhalt, à Berlin.
Par qui ?
Par son aide de camp.
Quelle réaction cette nouvelle provoqua-t-elle chez lui ?
Il était furieux car ses idées étaient en contradiction formelle avec cette action.
Et que fit-il ?
Il se mit immédiatement en rapport avec le Führer pour demander que cette action cessât sur-le-champ.
Quelles fonctions remplissiez-vous dans le cadre du Plan de quatre ans.
J’étais le chef de l’Office commercial du Plan de quatre ans.
En quoi consistait votre travail ?
J’étais chargé de superviser cet office.
Comment le Plan de quatre ans a-t-il été conçu ? Quand et comment est-il entré en application ?
C’est en octobre 1936 que le Plan de quatre ans fut annoncé officiellement, mais son origine remonte à la crise alimentaire de 1935. A l’automne de l’année 1935, le Reichsmarschall reçut du Führer l’ordre de...
Témoin, essayez d’aller un peu plus lentement. Le travail des traducteurs est très difficile.
Certainement, Monsieur le Président. A l’automne 1935, le Reichsmarschall reçut du Führer l’ordre d’assurer l’alimentation du peuple allemand ; la situation alimentaire était en effet devenue critique en raison des mauvaises récoltes des années 1934 et 1935. Il nous manquait alors 2.000.000 de tonnes de céréales panifiables et plusieurs centaines de milliers de tonnes de matières grasses, produits que nous devions nous procurer d’une manière ou d’une autre.
Le Reichsmarschall donna une solution satisfaisante à ce problème, ce qui amena le Führer à lui demander des conseils sur la façon dont l’économie allemande pourrait se débarrasser des crises.
Ces suggestions furent examinées pendant le premier semestre de l’année 1936 et, au milieu de l’été, elles furent soumises au Führer. Elles firent germer dans le cerveau du Führer l’idée d’un Plan de quatre ans qu’il rendit public le jour de la fête du Parti en 1936, Le 18 octobre 1936, le Führer promulgua un décret qui nommait le Reichsmarschall administrateur du Plan de quatre ans.
Quels étaient les buts du Plan de quatre ans ?
Comme je le disais tout à l’heure il s’agissait de mettre l’économie allemande à même de surmonter les crises. Le point principal consistait à augmenter les exportations allemandes dans toute la mesure du possible et à combler les déficits, en augmentant la production, particulièrement dans le domaine agricole.
Le Plan de quatre ans favorisa-t-il également le réarmement ?
Naturellement, le Plan de quatre ans a également servi, indirectement, à la reconstruction de la Wehrmacht.
Le Plan de quatre ans assurait-il aussi les fournitures de main-d’œuvre ?
Le Plan de quatre ans prévoyait la nomination d’un plénipotentiaire général à la main-d’œuvre. Le président Syrup, ancien président du Service de la main-d’œuvre du Reich, fut nommé plénipotentiaire général.
Quand fut-il nommé ?
Au moment de l’entrée en vigueur du Plan de quatre ans, à l’automne de l’année 1936.
Quelles étaient ses fonctions ?
Il devait répartir la main-d’œuvre et mettre ainsi fin au désordre qui régnait sur le marché du travail.
Combien de temps Syrup est-il resté en fonctions ?
Syrup quitta son poste au printemps 1942 pour raisons de santé.
Quel fut son successeur ?
Son successeur fut le Gauleiter Sauckel.
Qui désigna Sauckel ?
Sauckel fut nommé par le Führer.
Et en quoi consistait son travail ?
Il fut chargé principalement, en tant que plénipotentiaire général à la main-d’œuvre, de régler les questions qui s’y rapportaient.
Sous les ordres de qui était-il placé ?
Il était placé sous les ordres de l’administrateur du Plan de quatre ans, mais il recevait en fait ses instructions directement du Führer.
Comment avez-vous participé à l’emploi de la main-d’œuvre ?
Au printemps de 1942, je n’avais plus aucune influence sur la répartition de la main-d’œuvre, car Sauckel recevait ses instructions directement du Führer et répondait à ses désirs dans leur application.
N’étiez-vous donc plus en contact avec Sauckel ?
Non, si mes souvenirs sont exacts, je n’ai plus eu de contacts avec lui, puisqu’il recevait ses directives du Führer.
Mais qui répartissait la main-d’œuvre ?
Les bureaux de placement qui dépendaient de Sauckel.
Quelle était la nature des relations qui existaient entre le Reichsmarschall et Himmler ?
Elles n’étaient pas très cordiales. Leurs rapports, qui n’étaient empreints d’aucune confiance réciproque, étaient très souvent tendus.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Un autre avocat désire-t-il poser des questions au témoin ? (Aucune réponse.) Le Ministère Public désire-t-il interroger le témoin ?
Vous avez, dans votre déposition, fait allusion à une conversation entre Göring et Thalmann.
Oui, c’est exact.
Pouvez-vous nous en dire la date ?
Elle a dû avoir lieu au cours de l’été 1933.
L’été 1933 ? Était-ce avant ou après l’incendie du Reichstag ?
C’était après l’incendie du Reichstag.
Et Thalmann, au cours du procès qui suivit cet incendie, fut accusé d’y avoir participé et fut acquitté par le Tribunal ?
Je ne m’en souviens plus très bien.
Vous ne vous en souvenez plus du tout ? Vous souvenez-vous qu’il ait été accusé ?
Je ne me rappelle pas ; c’est possible.
Savez-vous où il est mort ?
Non, je ne sais pas.
Savez-vous qu’il a été interné à Buchenwald après l’incendie du Reichstag et qu’il y est resté jusqu’à sa mort, en 1944 ? Le saviez-vous ?
Je m’en souviens, et qu’il a été victime d’une attaque aérienne.
Et où était-il quand cette attaque aérienne eut lieu ?
Où se trouvait Thalmann ? Je n’ai pas très bien compris la question.
Où était-il quand il a été victime de cette attaque aérienne ?
D’après ce que j’ai entendu dire, il était alors au camp de concentration de Buchenwald.
Depuis combien de temps s’y trouvait-il ?
Je l’ignore.
Avez-vous assisté à la conversation entre Thälmann et Göring ?
Oui.
Il s’est plaint du régime des camps de concentration. A quel propos ?
Il a parlé de certains traitements qu’on lui aurait infligés en l’interrogeant.
Était-ce la seule plainte qu’il ait formulée ?
Oui, autant que je m’en souvienne. Le Reichsmarschall lui a demandé s’il était bien nourri et s’il était bien traité Toutes ces questions ont été discutées.
Thalmann n’a rien trouvé à redire au régime des camps de concentration, à part le traitement infligé pendant les interrogatoires ?
Si je me souviens bien, c’était là son principal grief.
Les communistes étaient-ils considérés par les nazis comme des ennemis de la nation ?
Oui.
Les camps de concentration ont donc été construits pour recevoir, entre autres, les communistes.
Oui.
Et les Juifs ?
Oui, dans la mesure où on les avait reconnus comme ennemis de l’État.
Les Juifs étaient-ils aussi considérés comme des ennemis de l’État ?
En général, non ; seulement lorsqu’ils avaient été reconnus comme tels.
Reconnus comme tels... comme Juifs ?
Non. Si un Juif était reconnu comme ennemi de l’État, il était traité comme tel.
Quel était le critère qui permettait de distinguer s’il était un ennemi de l’État ?
Son comportement, sa participation effective à des activités hostiles à l’État.
Quelles activités par exemple ?
Je ne puis donner aucune précision. Je n’ai pas dirigé la Gestapo, je n’ai donc pas de détails à ce sujet.
N’étiez-vous pas secrétaire de Göring à l’époque où il était chef de la Police secrète d’État ?
Je suis devenu, en 1933, secrétaire d’État au ministère d’État de Prusse.
N’avez-vous pas eu affaire, en cette qualité, avec les camps de concentration et la Gestapo ?
Non, ces questions ne me regardaient pas
Qui s’en occupait au nom de Göring ?
Diels, qui était alors Ministerial-Direktor.
Saviez-vous qu’en instituant la Police secrète d’État, Göring employa des SS pour renforcer la Gestapo ?
Je ne m’en souviens plus.
Vous étiez membre des SS, n’est-ce pas ?
Oui.
Quelles étaient vos fonctions dans les SS ?
Je n’ai jamais rempli de fonctions dans les SS, ni commandé de formation SS. J’étais simplement membre des SS.
N’étiez-vous pas Obergruppenführer ?
Oui. J’étais Obergruppenführer SS.
On vous a demandé qui avait institué ces camps de concentration « officieux » ; je crois que vous n’avez pas donné de réponse. Voulez-vous nous dire qui a institué ces camps de concentration ?
Je me souviens de deux camps, le premier, celui de Breslau, je tiens pour certain qu’il fut créé par le Gruppenführer Heines.
Gruppenführer de quelle organisation ?
Le Gruppenführer SA Heines, à Breslau.
Et quel était l’autre ?
Je ne sais pas au juste. Je crois qu’il fut établi par Karpfenstein, mais je ne saurais l’affirmer.
Que faisait-il ?
Karpfenstein était Gauleiter à Stettin.
Et le Gauleiter était un fonctionnaire du Parti ?
Oui, c’était un fonctionnaire du Parti.
Et les camps de concentration étaient destinés à recevoir non seulement les ennemis de l’État, mais également les ennemis du Parti ?
Oui.
Le Premier Ministre de Prusse était le chef de la Police secrète d’État ?
Oui.
Et en son absence le secrétaire d’État au ministère devait remplir les fonctions de chef de la Police secrète d’État ?
Non, c’était Diels.
Tout cela n’était-il pas prévu par la loi ? Connaissez-vous le deuxième alinéa de l’article premier de la loi établissant la Police secrète d’État ?
Je ne me souviens plus de cette loi ; les détails m’échappent.
Connaissez-vous la loi du 30 novembre 1933 ? Vous ignorez la loi qui prévoyait vos fonctions ?
Je ne m’en souviens plus maintenant : il faudrait que je la revoie.
Que se passa-t-il dans ces camps de concentration, au point qu’on dût les supprimer ?
Ces camps de concentration spéciaux avaient été créés sans l’autorisation du Premier Ministre de Prusse et c’est pour cette raison qu’il les a interdits immédiatement.
La seule raison réside dans le fait qu’ils avaient été établis sans son autorisation ?
Oui ; je crois que c’est la seule raison.
Et il les a fait fermer immédiatement ?
Oui, immédiatement.
Göring ne tolérait que les camps de concentration qui se trouvaient sous son autorité et il a été soutenu en cela par le Führer ?
Oui.
Des plaintes vous sont parvenues de temps en temps au sujet du traitement infligé aux internés des camps de concentration, au cours de la période pendant laquelle vous avez collaboré avec Göring, n’est-ce pas ?
Oui, ces plaintes étaient fréquentes.
De qui se plaignait-on ?
De différentes choses.
Indiquez au Tribunal le genre de plaintes que vous aviez à connaître.
Elles provenaient principalement des familles des personnes qui avaient été enfermées dans les camps de concentration et qui demandaient leur libération ; c’étaient ainsi des plaintes se rapportant au fait que ces gens avaient été internés dans ces camps sans motif.
Est-ce à dire que ces gens n’avaient commis aucun délit ?
C’est ce qu’affirmaient les membres de leur famille.
Avez-vous fait quelque chose pour les faire libérer de ces camps de concentration ?
Le Reichsmarschall avait donné l’ordre de répondre à toutes les réclamations. Chaque cas était étudié immédiatement.
Avez-vous eu connaissance de beaucoup de cas où ces gens étaient innocents ou bien étaient-ils toujours coupables ?
Si l’on s’apercevait que quelqu’un avait été interné à tort dans un camp de concentration, il était relâché sur-le-champ.
Et à qui faisiez-vous savoir qu’on l’avait reconnu innocent et qu’il fallait le libérer ?
On s’adressait à la Police secrète d’État.
Et avec quel membre de la Police secrète d’État vous mettiez-vous en rapport ?
Je ne me rappelle pas le nom de la personne qui s’occupait de ces questions. Autant que je m’en souvienne, son chef fut Heydrich, puis Kaltenbrunner ou Müller.
Göring entretenait-il de bons rapports avec toutes ces personnes ?
Oui.
Il les connaissait toutes bien ?
Évidemment.
Lorsque vous dites que Göring obtint l’élargissement de certaines personnes se trouvant dans des camps de concentration, parlez-vous simplement d’un ou de deux cas particuliers ou d’un bon nombre de gens ?
Au cours de ces années, il y eut naturellement plusieurs cas.
Qu’entendez-vous par plusieurs ?
Je ne puis pas donner de chiffres, mais il y en eut un certain nombre.
Avez-vous, au cours de vos recherches, découvert que certaines personnes étaient coupables ?
S’ils ne pouvaient être libérés, c’est qu’ils étaient plus ou moins coupables.
Qui décidait de cette question ?
C’était, autant que je sache, la direction de la Police secrète d’État.
Comment alors présentiez-vous la demande d’élargissement ? Avisiez-vous la Police secrète d’État que vous n’étiez pas d’accord avec sa décision ou bien Göring donnait-il simplement l’ordre d’élargissement ou présentait-il une requête à cet effet ?
Non, on fournissait la raison précise pour laquelle l’individu devait être libéré.
Connaissez-vous un exemple où Göring aurait demandé la libération d’une personne d’un camp de concentration et où cette demande aurait été refusée ?
Je ne puis répondre maintenant à cette question. Il faut que j’y réfléchisse.
Vous êtes actuellement incapable de vous rappeler un exemple de fin de non recevoir accordée à une requête de Göring ?
Pour le moment, je ne puis m’en souvenir.
Combien de personnes ont-elles été internées dans des camps de concentration à la suite du putsch de Röhm ?
Je suis là-dessus, incapable de vous répondre.
Combien de personnes ont-elles été tuées à la suite de cet événement ?
Je ne puis le dire de mémoire. Il me semble que les chiffres ont été publiés à l’époque.
Peut-on parier de 200 personnes ?
Je ne pourrais certifier ce chiffre, de peur de me tromper.
Il s’agissait d’un très grand nombre de personnes ?
Non, je suis sûr qu’il n’y en avait pas beaucoup.
Donnez un chiffre.
Les chiffres furent publiés à l’époque ; on pourrait s’y reporter.
Pourquoi le Reichsmarschall a-t-il voulu que Hitler suspendît l’application des peines infligées aux personnes qui avaient pris part au putsch de Röhm ?
Je n’ai pas parfaitement saisi la question.
J’ai cru comprendre, d’après votre témoignage, que le Reichsmarschall était allé voir Hitler pour lui demander de cesser la campagne entreprise contre les personnes qui avaient participé à la révolte de Röhm ; je voudrais connaître la raison de cette démarche.
C’était pour éviter que des innocents ne fussent compromis. Seules les personnes vraiment coupables devaient être arrêtées et punies en conséquence. Il était évident que telle ou telle personne aurait pu saisir cette occasion pour satisfaire une vengeance personnelle et se débarrasser d’un ennemi :
dans le but de l’empêcher, il fallait que l’action entreprise fût stoppée immédiatement et que ces affaires fussent déférées aux tribunaux.
Qui présida au choix des personnes qui devaient être fusillées ou tuées d’une autre façon, à la suite de la révolte de Röhm ?
Le Führer en personne.
Et le Reichsmarschall avait suffisamment d’influence pour faire cesser immédiatement cet état de choses par ses seules objections ?
A cette époque, oui ; l’influence du Reichsmarschall était très grande.
Vous avez dit à propos du Plan de quatre ans, que son but était de pallier la confusion qui régnait sur le marché du travail ?
Oui.
Vous avez représenté le Reichsmarschall lors de plusieurs conférences, n’est-ce pas ?
Oui.
Et une de vos fonctions ne consistait-elle pas à fournir des prisonniers de guerre aux industries d’armement ou à d’autres industries ayant besoin de main-d’œuvre ?
Non.
Vous n’avez jamais exercé une activité de ce genre ?
Non, le plénipotentiaire général à la main-d’œuvre demandait évidemment des prisonniers de guerre pour les mettre au travail.
Et vous avez assisté à plusieurs réunions au cours desquelles ce sujet a été discuté ?
Je ne m’en souviens pas.
Faisiez-vous des comptes rendus au Reichsmarschall sur ce qui se passait à ces réunions ?
Lorsqu’on discutait de questions d’intérêt général, je faisais un rapport que je soumettais au Reichsmarschall.
Vous étiez membre de l’Office centra] du Plan ?
Oui.
Et à ce comité, vous représentiez bien le Reichsmarschall ?
Non, je n’y représentais pas le Reichsmarschall : c’était un comité composé de trois membres : le ministre Speer, le Feldmarschall Milch et moi : il fut créé au printemps 1942.
Qui vous a nommé ?
Nous avons tous trois été nommés à l’Office central du Plan.
Qui vous a nommé ?
C’est Göring, si je me souviens bien.
Et vous lui rendiez compte de temps à autre de ce qui se passait ?
L’Office central du Plan n’était pas autre chose qu’une institution appelée à répartir les matières premières. Nous nous rencontrions tous les trois mois pour déterminer les contingents à répartir pour le trimestre suivant. Auparavant, c’étaient les services du Plan de quatre ans qui, en collaboration avec le ministre de l’Économie nationale, se chargeaient de cette distribution ; et à partir du printemps 1942, dans l’intérêt de l’armement, c’est l’Office central du Plan qui prit l’affaire en mains.
Vous voulez donc nous faire croire que ces réunions de l’Office central du Plan n’avaient lieu que tous les trois mois ?
Oui, à peu près Ce n’est que dans des cas très rares que l’on faisait d’autres réunions. Cela ne se produisait que lorsqu’il y avait des problèmes urgents à résoudre. Je me souviens, par exemple, du jour où l’on avait annoncé que l’agriculture ne recevait pas assez d’azote et que si le contingent d’azote était insuffisant, la production agricole en souffrirait. A cet effet, le secrétaire d’État Backe demanda qu’on organisât une réunion, qui eut lieu à l’Office central du Plan.
Pouvez-vous témoigner sur ce point, Sauckel n’aurait-il pas déclaré, au cours d’une réunion de l’Office central du Plan à laquelle vous assistiez, que sur les millions de travailleurs qui étaient venus en Allemagne, 200.000 seulement y étaient venus volontairement ?
Je ne m’en souviens pas.
Vous dites que l’Office central du Plan n’a jamais abordé les questions de main-d’œuvre ?
L’Office central du Plan s’occupait seulement des demandes de main-d’œuvre ; ceux qui touchaient des contingents de matières premières demandaient également de la main-d’œuvre. Des chiffres approximatifs ont été fixés et transmis au plénipotentiaire général à la main-d’œuvre.
Et les prisonniers de guerre ?
L’Office central du Plan ne s’en occupait pas, car nous n’avions que des chiffres approximatifs. Si, par exemple, telle ou telle branche d’industrie avait besoin de tant de milliers d’ouvriers, une demande était adressée.
Et la main-d’œuvre prélevée dans les camps de concentration ?
La répartition était faite par les offices du travail. L’Office central du Plan ne s’occupait pas du tout de cette question.
Avez-vous connaissance d’une lettre, datée du 9 mars 1944, disant que 36 000 prisonniers de camps de concentration étaient astreints au travail et demandant que ce chiffre soit porté à 90.000 ?
Non, je ne sais rien de ces exigences.
Que savez-vous de l’emploi de prisonniers de guerre russes dans le maniement des canons antiaériens ?
Rien.
Savez-vous qu’après la suppression par Göring des camps de concentration « officieux » le nombre des camps de concentration augmenta en Allemagne dans des proportions considérables ?
Je n’en sais rien Je ne sais rien de ce qui se passa une fois que ces camps eurent été confiés à Himmler. Il se peut qu’on ait créé alors un grand nombre de camps de concentration.
Comment avez-vous pu connaître les relations qui existaient entre Göring et Himmler ? Göring vous en a-t-il parlé ?
Göring m’en a parlé une fois et j’en ai conclu que ces relations n’étaient pas excellentes.
Êtes vous au courant de la nomination de Kaltenbrunner au poste de chef de la Police d’État autrichienne après l’Anschluss ?
Non.
Savez-vous qui réussit à obtenir cette nomination pour Kaltenbrunner ?
Non, je n’en ai aucune idée.
Vous dites que Göring était avec vous à Munich lorsque se sont produites les manifestations de nuit contre les Juifs en Allemagne ?
Oui.
Goebbels y était-il aussi ?
Non.
Continuez ; vous vouliez dire quelque chose ?
Le 9 novembre, nous avons voyagé de Munich à Berlin ; Goebbels ne pouvait donc être là.
Pourquoi donc ?
Car le Reichsmarschall était dans son train pour Berlin avec son entourage.
Je veux dire : savez-vous si Goebbels se trouvait à Munich avant ces manifestations ?
Oui, j’ai appris plus tard que Goebbels était à Munich ; d’ailleurs, tous les dirigeants nationaux-socialistes étaient à Munich le 9 novembre, car c’était pour eux une journée de rencontre.
Et Goebbels a-t-il parlé à Munich, ce soir-là, de la question juive ?
Je ne sais pas ; je ne me souviens pas de ce discours.
Göring était là pour assister à la réunion des dirigeants nationaux-socialistes ?
Oui. Les dirigeants du parti national-socialiste se rencontraient le 9 novembre à Munich. C’était une journée anniversaire.
Et Göring y assistait régulièrement ?
Évidemment.
Et vous aussi ?
Oui, moi aussi.
Hess y assistait-il ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, tous les dirigeants nationaux-socialistes y assistaient lorsque cela leur était possible. Personne ne manquait d’y assister, à moins d’être retenu par la maladie ou empêché pour raisons de service.
Qui, parmi les accusés ici présents, ont assisté à ces réunions ? Ribbentrop, naturellement ?
Ribbentrop, certainement.
Keitel ?
Je le suppose.
Kaltenbrunner ?
Je n’y ai jamais vu Kaltenbrunner, car ce dernier n’occupa un poste officiel que dans les dernières années, au cours desquelles ces réunions n’avaient plus lieu aussi régulièrement qu’auparavant.
Rosenberg y assistait, naturellement ?
Oui, naturellement, comme je l’ai déjà dit.
Frank et Frick ?
Certainement.
Et Streicher ?
Je ne crois pas qu’il y ait assisté dans les dernières années, mais il y a participé autrefois.
Qu’entendez-vous par les dernières années ?
Autant que je le sache, Streicher n’y a pas participé les dernières années, mais je n’en suis pas certain.
Mais il y a participé en novembre 1938, au moment où se produisirent ces manifestations anti-juives.
Je crois que oui, car Streicher était encore à Nuremberg à ce moment-là.
Il était très actif ?
Je n’ai pas très bien compris la question.
Il déployait une très grande activité dans les affaires anti-juives ?
Oui, c’était de notoriété publique.
Avez-vous rencontré Funk à ces réunions ?
Je crois que Funk y assistait fréquemment.
Quel est le sujet qui fut débattu à cette réunion du 9 novembre, la nuit des manifestations antijuives ?
Je ne me souviens pas que des discussions aient eu lieu, car il y avait toujours ce jour-là un programme fixé à l’avance. Je n’ai rien appris d’autre ; le Reichsmarschall non plus.
Quel était l’aide de camp qui l’a informé à son arrivée, le lendemain matin, qu’il s’était passé quelque chose durant la nuit ?
Je ne puis répondre très exactement car les aides de camp changeaient très souvent. Je sais seulement qu’un aide de camp arriva et rendit compte de ces faits.
Que s’était-il passé aux termes du compte rendu ?
Il déclara qu’au cours de la nuit des manifestations contre les Juifs avaient eu lieu et qu’elles continuaient toujours : des vitrines avaient été brisées, des marchandises répandues dans la rue ; Göring en fut indigné.
De quoi était-il indigné ?
De toutes ces manifestations.
Vous voulez dire qu’il prit parti pour les Juifs ?
Il désapprouvait toutes ces exactions.
Vous voulez dire qu’il prit le parti des Juifs ?
Göring a toujours montré une attitude différente à l’égard de la question juive.
Quelle était-elle ? Entrez dans les détails. Définissez-nous son attitude.
Il eut toujours une attitude modérée à l’égard des Juifs.
En les condamnant par exemple à une amende de 1.000000000 de Reichsmark, après l’incendie et après ces exactions ? Vous savez qu’il l’a fait, n’est-ce pas ?
Oui Sur les exigences du Führer.
Vous savez que le Führer est mort ? Tenez-vous ce fait pour certain ?
Oui, je sais qu’il est mort.
La mort du Führer est un fait généralement admis parmi vous tous ?
Oui.
Ainsi, c’est le Führer qui a ordonné au Reichsmarschall d’imposer une amende de 1.000 000.000 de Reichsmark ? Qui a ordonné la confiscation des primes d’assurance juives quelques jours après ces événements ?
Je n’en sais rien. Je ne me souviens pas des détails.
Vous ne vous rappelez pas qu’il s’agissait d’un ordre de Göring ?
Je ne m’en souviens pas pour l’instant.
Pourquoi Göring est-il allé voir Hitler pour faire cesser cette action ? Pourquoi n’est-il pas allé voir le chef de la Police, dont les fonctions consistent à prévenir les crimes ?
Il s’adressa naturellement au chef le plus élevé dans la hiérarchie afin qu’un ordre formel pût être donné afin que ces manifestations cessassent immédiatement.
Avait-il une idée de la personne qui les avait provoquées ?
Le bruit courait que c’était Goebbels qui les avait fomentées.
Savait-il que la Gestapo et les SS y avaient également participé ?
Je ne sais pas. Je crois savoir que les SS n’y ont pas participé.
Et la Gestapo ?
Non, je ne le sais pas non plus.
Il est donc allé voir Hitler pour se plaindre de ce que Goebbels avait provoqué ces manifestations ?
Oui, c’est exact.
Il a donc appris le lendemain matin que ces manifestations contre les Juifs avaient été provoquées par des membres du Gouvernement ?
Oui.
Vous avez été interrogé au service d’information de l’Obersalzberg, le 4 octobre de l’année dernière, par le Dr Kempner qui fait partie de notre Ministère Public ?
Oui.
Et vous avez déclaré au début de votre interrogatoire que vous ne vouliez pas déposer contre votre ancien supérieur, le Reichsmarschall Göring, et que vous le considériez comme le dernier grand homme de la Renaissance, comme l’une des dernières figures de cette époque ; vous avez déclaré qu’il vous avait donné la plus grande tâche de votre vie et qu’il serait déloyal et infidèle de témoigner contre lui. Est-ce bien là ce que vous avez dit ?
Oui, c’est à peu près ce que j’ai dit.
Et c’est toujours votre réponse ?
Oui.
Je n’ai plus de questions à poser.
Un autre membre du Ministère Public désire-t-il entendre ce témoin ?
Peut-être vous rappellerez-vous, témoin, la conférence des dirigeants allemands des régions occupées, qui eut lieu le 6 août 1942 sous la présidence de l’accusé Göring ?
Je ne me souviens pas exactement de quelle conférence il peut s’agir.
Peut-être vous rappellerez-vous qu’à la suite de cette conférence du 6 août vous en avez distribué le procès-verbal à tous les ministres. L appendice de ce procès-verbal concernait les quantités de marchandises et de matières premières qui devaient être fournies à l’Allemagne par les régions occupées ?
Je ne me souviens pas pour le moment de cette affaire.
Je vais vous présenter maintenant un document signé par vous, qui établit que cette conférence a eu lieu.
Oui, j’en ai pris connaissance.
Vous vous rappelez avoir envoyé ce document ?
Oui.
Il ressort de ce document que des quantités déterminées de marchandises avaient été fixées en vue de leur livraison à l’Allemagne : c’est ainsi, en particulier, que 1.200 000 tonnes de produits alimentaires devaient être fournies par la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Norvège. 3.000.000 de tonnes de céréales devaient être livrées par la Russie, etc. Ne considérez-vous pas que de telles livraisons équivalaient en fait au pillage des régions occupées ?
Il était évident que les territoires occupés devaient participer dans toute la mesure du possible à la constitution des réserves alimentaires. On avait fixé aux pays occupés les contingents qu’ils étaient capables de fournir. S’ils n’étaient pas en mesure de le faire ils pouvaient réclamer des modifications ultérieures.
Vous avez parlé du pompage, je crois.
Non, je n’en ai jamais parlé. J’ai dit qu’il était évident que les territoires occupés devaient participer à la constitution des réserves alimentaires avec tous les moyens dont ils disposaient.
Les régions occupées devaient y participer ?
Oui.
Mais ces régions occupées ont-elles demandé aux Allemands de venir chez elles et de les dominer ?
Je n’ai pas très bien compris la question.
Je m’y attendais, évidemment. Je voudrais vous poser une autre question sur le même sujet : vous ne pensez pas qu’il se soit agi de pillage, mais ne vous souvenez-vous pas que Göring en personne...
Non, ce ne pouvait en rien être du pillage...
Göring en personne déclara au cours de la même conférence qu’il avait l’intention de piller systématiquement les territoires occupés. Ne vous rappelez-vous pas son expression « piller systématiquement » ?
Non, je ne connais pas cette expression.
Peut-être vous souvenez-vous qu’au cours de ladite conférence il déclara, en s’adressant aux dirigeants des régions occupées : « Vous êtes envoyés là-bas, non pas pour travailler au bien-être des peuples qui vous sont confiés mais bien pour extirper du pays tout ce qui est possible ».
Vous rappelez-vous ces paroles de l’accusé Göring ?
Non, je ne puis me rappeler ces paroles.
Vous ne pouvez pas vous les rappeler ?
Non.
Et vous ne vous souvenez pas de la volumineuse correspondance entre Göring et Rosenberg, dans laquelle ce dernier insistait pour que toutes les fonctions relatives à l’exploitation économique des régions occupées de l’Union Soviétique fussent retirées aux services militaires économiques et confiées au ministère à la tête duquel il se trouvait.
Non, je ne me souviens pas de cette correspondance.
Vous ne le savez pas ? Et, à ce propos, vous ne vous souvenez sans doute pas que cette correspondance n’a pas conduit à une solution définitive de cette question ?
Je ne suis pas au courant de cet échange de lettres.
En somme vous ne savez rien ? Vous ne vous rappelez pas qu’en 1944.
Je voudrais faire remarquer que la traduction est incomplète et incompréhensible. En partie nous ne comprenons pas les questions.
Je pense que je n’y puis rien, si le témoin ne comprend pas toutes mes questions. (Au témoin.) Vous vous souvenez peut-être qu’en 1944, après que l’Armée rouge eût chassé les troupes allemandes d’Ukraine, que Göring écrivit à Rosenberg que la solution de la question du pillage économique de l’Ukraine devait être remise à une date plus favorable ; Göring avait-il en vue une deuxième occupation de l’Ukraine et d’autres territoires soviétiques ? Était-ce sa pensée ?
Ces faits se passaient en 1944 ?
En 1944.
Non, je ne m’en souviens pas.
Je ne discuterai pas sur ce point. Sans doute, Monsieur le Président, désirez-vous suspendre l’audience maintenant. J’ai encore quelques questions à poser, mais je pense qu’il serait peut-être préférable de continuer cet après-midi.
Oui.