QUATRE-VINGTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 13 mars 1946.
Audience du matin.
Le Tribunal a pris une décision sur les débats qui se dérouleront à propos des charges portées contre les organisations et sur les requêtes présentées par les membres desdites organisations. Je n’ai pas l’intention de lire le texte de cette décision, mais elle sera affichée au Centre d’information de la Défense ; elle sera communiquée aux avocats ainsi qu’au Ministère Public.
Docteur Jahrreiss, aviez-vous terminé votre interrogatoire du témoin ?
Oui.
Très bien. Un autre avocat désire-t-il interroger ce témoin ?
Témoin, vous souvenez-vous quand l’accusé Kaltenbrunner a pour la première fois fait parler de lui dans la vie officielle ?
Je ne sais pas si Kaltenbrunner a jamais particulièrement joué un rôle officiel. J’ai entendu parler de Kaltenbrunner pour la première fois lorsqu’il succéda à l’amiral Canaris.
Vous souvenez-vous qu’en janvier 1943 il ait été nommé chef du Reichssicherheitshauptamt ?
Je peux en avoir entendu parler, mais je n’ai pas de souvenirs précis à ce sujet.
Kaltenbrunner a déclaré qu’en avril 1945 il se serait efforcé de mettre l’Autriche à l’abri des opérations de guerre. Vous souvenez-vous de cela ?
J’ai simplement entendu dire que Kaltenbrunner comptait au nombre des personnalités qui s’efforçaient de travailler en vue de l’indépendance de l’Autriche, mais je n’ai pas ne connaissances précises à ce sujet.
De plus, Kaltenbrunner déclare qu’à la suite d’un accord avec la Croix-Rouge de Genève, il aurait organisé 1e retour dans leur foyer des internés civils à travers la ligne de feu et aurait demandé à vos services, non à vous personnellement, que l’on créât un passage dans les lignes pour permettre à ces internés civils de rentrer chez eux. Vous souvenez-vous de cela ?
Il est bien possible que cette demande nous ait été adressée, mais je n’en ai pas eu connaissance personnellement, car j’étais très souvent éloigné de mes services.
Témoin, vous souvenez-vous quand on créa, pour la première fois, des camps de concentration en Allemagne ?
Oui, c’était en 1933. Je me souviens de trois camps de concentration, dont la création remonte à une date dont je ne peux me souvenir exactement : Oranienburg, où je suis souvent passé en voiture et que j’ai survolé très souvent ; Dachau, dont on avait discuté passionnément dans les journaux, et Weimar-Dora près de Weimar, un camp de concentration que j’ai survolé très souvent lors de mes déplacements officiels. Je ne me souviens pas d’autres camps de concentration ; mais je pourrais peut-être me permettre d’ajouter ici que, par principe, je n’ajoutais aucune foi aux rumeurs qui, par ces temps de crise, foisonnaient, car je me consacrais uniquement à mon travail qui était particulièrement ardu.
En ce qui concerne les internés des camps de concentration, pouvez-vous nous dire si vous aviez une idée exacte des gens qui devaient y être amenés ?
Je pensais, sans savoir de qui je tenais cette opinion qui me semblait plausible, que le national-socialisme essayait de faire une révolution qui ne fût pas sanglante, en internant ses adversaires politiques jusqu’au moment où les assises de l’État nouveau seraient assez solides pour permettre à ces personnes de réintégrer la société nouvelle. Telle était ma connaissance de la situation. J’en conclus, pour répondre à cette question, qu’il devait s’agir surtout de personnes hostiles à la conception nationale-socialiste.
Avez-vous jamais réfléchi au traitement infligé à ces internés des camps de concentration ? Quelle était votre idée sur ce point ? Il y a peut-être une différence entre les premières années de l’existence de ces camps et les dernières années ?
Je ne sais rien sur les méthodes du traitement dans les camps de concentration. Pendant les premières années, époque à laquelle j’étais encore en activité en Allemagne, on entendait des rumeurs selon lesquelles le traitement était normal. Plus tard, je me suis trouvé à l’étranger, c’est-à-dire sur les théâtres d’opérations militaires, hors d’Allemagne. J’étais trop loin et séparé de tout pour savoir quoi que ce fût sur ces incidents et je n’ai pas cherché à en être informé.
Je suis donc en droit de présumer que vous n’aviez aucune connaissance positive des atrocités commises dans ces camps ?
Non, Je n’en ai eu aucune connaissance positive, même à l’époque où je suis devenu Commandant en chef des armées de l’Ouest, en mars 1945. Même alors, les conditions qui régnaient dans ces camps de concentration m’étaient absolument inconnues. Ce fait peut s’expliquer par deux raisons : d’une part, par mon attitude personnelle, je l’ai déjà mentionnée tout à l’heure, à savoir que, par principe, je ne m’occupais que de mon travail, qui suffisait à mon activité ; d’autre part, il s’était créé à l’intérieur même de l’État un état policier qui s’était séparé d’une manière hermétique du reste du monde.
Avez-vous eu la possibilité de savoir si, dans vos milieux d’officiers, on a eu une connaissance plus étendue que la vôtre ?
J’étais en contact très intime avec mes officiers, et je ne crois pas qu’il y en ait eu un grand nombre qui aient été plus au courant que moi. Évidemment, je ne puis donner d’indications individuelles,
Saviez-vous que Hitler était décidé à exterminer en fait le peuple juif ?
Je l’ignorais absolument.
N’avez-vous pas eu souvent la possibilité de discuter de questions idéologiques avec Hitler ?
Lorsque je me trouvais au Quartier Général, au cours de la conversation officielle, nous ne parlions que de questions militaires qui se rapportaient au théâtre d’opérations où j’étais engagé. Aux repas, nous nous entretenions généralement de questions historiques ou d’intérêt général, mais nous ne discutions jamais de problèmes idéologiques ou politiques Je ne puis me souvenir d’aucun moment où Hitler aurait essayé de m’influencer ou d’influencer l’un quelconque des autres généraux, de quelque manière que ce soit, dans le but de nous amener à professer activement le national-socialisme.
Avez-vous cru à la personnalité de Hitler, en particulier avez-vous cru qu’il était décidé à conduire le peuple allemand vers un avenir meilleur, en tenant compte de la liberté individuelle et de la dignité humaine ? Quelle était votre conception personnelle sur ce sujet ?
J’ai, au vu de...
Quelle est la pertinence de l’opinion personnelle du témoin sur un point de ce genre ? Quel rapport voyez-vous là avec les charges qui sont portées contre l’accusé Kaltenbrunner ? Le Tribunal estime que ce genre de questions ne constitue qu’un gaspillage de son temps.
Est-il exact que dans l’État basé sur le « Führerprinzip » tel qu’il existait en Allemagne, il était impossible de s’opposer à un ordre supérieur ?
Sous cette forme-là, je ne puis le nier. On pouvait certainement présenter son propre point de vue à l’encontre d’une autre conception, mais si une décision officielle intervenait, qui condamnait votre opinion personnelle, l’obéissance la plus absolue devenait nécessaire et l’exécution était exigée et même assurée, le cas échéant, par l’application de la loi pénale.
Il eût été impossible de s’opposer à un ordre supérieur, étant donné la personnalité et l’attitude d’Adolf Hitler ; du reste cela n’eût mené à rien.
Celui qui se serait élevé contre un ordre définitif n’aurait-il pas risqué sa vie ?
Au cours des dernières années, très certainement.
Avez-vous, à un moment quelconque, considéré que la guerre ne pouvait pas être gagnée et, si oui, à quelle époque ?
A partir de l’année 1943, il fallut envisager la possibilité d’une paix non victorieuse. Je dois insister sur le mot possibilité, car l’adoption d’un certain nombre de mesures stratégiques aurait peut-être pu faire changer le cours du destin.
Vous est-il arrivé de discuter cette question en haut lieu, d’exprimer vos doutes sur la poursuite de la guerre ?
A diverses reprises, en parlant du secteur des opérations que je commandais, j’ai fait allusion à certaines difficultés qui pourraient surgir et influencer l’issue de la guerre dans son ensemble ; mais n’étant responsable que d’un seul secteur militaire, je ne me sentais pas en droit de porter un jugement sur l’ensemble des opérations militaires, car mon point de vue nécessairement limité ne me permettait pas de juger de la situation de la production et de l’organisation des réserves de main-d’œuvre. Et, comme je l’ai dit antérieurement, j’ai refusé de me prononcer en dilettante sur la situation et de faire la moindre déclaration que l’on aurait pu, à certains égards, considérer comme officielle, puisqu’elle aurait porté la signature du maréchal Kesselring.
Si je vous comprends bien...
Docteur Kauffmann, voulez-vous expliquer au Tribunal le rapport que vos deux ou trois dernières questions peuvent présenter avec l’accusé Kaltenbrunner ?
La situation est la même pour Kaltenbrunner : il ne pouvait absolument pas, ainsi qu’il l’a déclaré, s’opposer à un ordre reçu, sans risquer sa vie.
Vous avez demandé au témoin si, à un moment donné, il s’est posé la question de savoir jusqu’à quand durerait la guerre. Quel rapport cette question a-t-elle avec Kaltenbrunner ?
Plusieurs accusés sont inculpés d’avoir continué le combat, tout en sachant que la guerre était perdue, et ainsi de l’avoir prolongée. Ma dernière question a été posée dans le but d’éclaircir ce point.
Je ne crois pas que cette charge ait été portée spécialement contre Kaltenbrunner ; mais si c’est là votre dernière question, je vous autorise à la poser.
Si je vous comprends bien, témoin, vous prétendez que la raison principale pour laquelle vous avez continué à combattre était le sentiment du devoir envers votre patrie ?
Oui, certainement. Mais, à côté de cela, il y avait encore d’autres raisons. L’une d’elles, par exemple, résidait dans le fait que la possibilité de conclure un accord politique pour terminer la guerre était exclue du moins officiellement. Je le croyais et, aujourd’hui encore, j’en suis bien convaincu ; je puis le prouver par le fait que j’entrepris personnellement et avec l’Obergruppenfuhrer Wolff des négociations par la Suisse avec un Américain, afin d’entamer des pourparlers politiques dans ce but.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Un autre avocat désire-t-il interroger le témoin ?
Témoin, le Dr Kauffmann vous a demandé si le corps des officiers connaissait la situation et l’installation des camps de concentration. Savez-vous que des cours spéciaux d’enseignement national-politique étaient professés dans la Wehrmacht ?
Oui, je le sais.
Puis-je vous demander si vous saviez que, lors d’un de ces cours d’enseignement national-politique de la Wehrmacht, qui eurent lien du 15 au 23 janvier 1937 — je me réfère ici au document PS 1992 (a) — Himmler, chef des SS, se référant à l’installation des camps de concentration, s’adressa aux officiers réunis à peu près dans les termes suivants :
« Nous faisons naturellement une distinction entre les internés qui ne se trouvent là que pour quelques mois, dans des buts de rééducation, et ceux qui y resteront plus longtemps. »
Je saute un certain nombre de phrases et je passe à celles qui me paraissent importantes :
« L’ordre ne commencera à être instauré que si les gens vivent dans des baraques propres. Nous autres Allemands sommes seuls capables de le réaliser, car aucun autre peuple n’agirait d’une façon si humaine. Le linge de corps doit être changé fréquemment ; les internés doivent s’habituer à se laver deux fois par jour et il faut leur recommander d’utiliser des brosses à dents, ce dont pour la plupart ils n’ont pas l’habitude. »
Saviez-vous que la Wehrmacht avait reçu des instructions de ce genre, ce qui, ainsi que nous le savons aujourd’hui, ne correspond en rien aux conditions qui existaient réellement ?
Comme je le disais tout à l’heure, nous ne nous sommes jamais occupés de questions pareilles, et cette conférence de Himmler m’est absolument inconnue.
Inconnue. Je vous remercie.
D’autres avocats désirent-ils interroger le témoin ? Dans ces conditions, le Ministère Public peut commencer son contre-interrogatoire.
Vous comprenez bien, n’est-ce pas, que, tout en déposant comme témoin, vous êtes aussi inculpé en tant que membre du Haut Commandement et de l’État-Major général, conformément à la définition qui figure dans l’Acte d’accusation ?
Oui, je le comprends.
Et que vous déposez ici comme un accusé virtuel ?
Je comprends.
Vous avez parlé de l’instauration par le parti national-socialiste d’un État policier en Allemagne, et je voudrais vous demander si ce n’est pas un fait que l’État policier reposait essentiellement sur deux institutions : d’abord, la Police secrète d’État et, en second lieu, les camps de concentration ?
Le concours de la Police est pour moi un fait établi ; quant aux camps de concentration, c’était, selon moi, en dernière analyse, un moyen pour atteindra le but recherché.
La Police secrète et les camps de concentration furent tous deux établis par Hermann Göring ; n’est-ce pas là un fait qui vous est connu ?
La Police secrète d’État a été créée par Hermann Göring. Qu’elle ait été formée par Himmler...
Ce n’est pas le sens de ma question, gardez vos explications pour vos avocats. Répondez à ma question :
est-ce que les camps de concentration n’ont pas été créés également par Hermann Göring ?
Je ne sais pas.
Vous ne le savez pas ? Étiez-vous d’accord avec l’État policier ?
J’ai considéré comme anormal, au point de vue allemand, qu’il se soit créé un état dans l’État, pour empêcher un certain nombre de choses d’être connues du public.
Pouvez-vous nous indiquer ce que vous avez pu faire dans la vie officielle, pour empêcher que cet état anormal s’établît en Allemagne ?
Je ne me souviens de rien, si ce n’est que, dans les conversations avec mes supérieurs, je peux en avoir parlé ; mais j’insiste surtout sur le fait que je me suis occupé essentiellement des tâches qui m’incombaient.
Voulez-vous laisser entendre au Tribunal que vous n’aviez jamais eu connaissance d’une campagne menée par cet état pour la persécution des Juifs en Allemagne ? Est-ce là le sens de votre déposition ?
Je n’ai pas eu connaissance, d’une persécution des Juifs en tant que telle.
N’est-ce pas un fait que des officiers juifs ont été exclus de votre armée et de votre commandement ?
Il n’y avait pas d’officiers juifs.
N’est ce pas un fait que certains officiers de votre armée et certains officiers de la Luftwaffe prirent des mesures pour s’aryaniser, afin d’échapper aux effets des décrets de Göring ? Êtes-vous au courant de cela ?
J’ai entendu des rumeurs à ce sujet.
Et l’aryanisation de ceux qui étaient soupçonnés d’être de descendance juive, consistait à prouver que le père dont ils portaient le nom n’était pas le père véritable ? C’est bien cela ?
J’avoue que c’est exact. Mais il y avait aussi d’autres cas.
Oui, il se pouvait que la mère fût soupçonnée d’être de descendance juive ?
Il est possible que, dans quelques cas exceptionnels, on ait fait abstraction de certaines choses.
Vous ne savez rien sur les pogroms anti-Juifs des 9 et 10 novembre 1938, en Allemagne ?
S’agit-il de l’affaire des vitrines ? Je ne sais pas de quel jour vous voulez parler.
Je parle des émeutes au cours desquelles des synagogues ont été incendiées et qui avaient tellement irrité Göring. En avez-vous entendu parler en 1938 ?
Non, je n’en ai rien su.
Où étiez-vous en 1938 ?
En 1938, j’étais à Dresde.
En novembre ?
En novembre, j’étais à Berlin, où je commandais là Luftwaffe.
A Berlin, et vous n’avez jamais entendu parler de ces émeutes des 9 et 10 novembre 1938 ?
Je n’ai entendu parler que de ce qu’on a appelle la campagne des glaces ou des vitrines.
Qu’est-ce à dire ? Vous employez une expression qui m’est inconnue ; je ne sais pas ce qu’elle veut dire.
Il s’agit des vitrines de magasins qui ont été brisées à Berlin ; ces faits avaient pris des proportions assez grandes.
Vous avez donc bien entendu parler de ces émeutes anti-juives, cette année-là ?
Celles que je viens de mentionner, oui.
Et avez-vous su que Hermann Göring signa un décret confisquant les prîmes d’assurances qui devaient indemniser les Juifs dont les magasins avaient été endommagés ? Avez-vous entendu parler de l’action de Göring à cet égard ?
Je n’ai pas tout à fait compris. Puis-je vous prier de répéter ?
Avez-vous entendu parler du décret rendu par Göring, quelques jours plus tard, le 12 novembre très exactement, confisquant les primes d’assurances dues aux victimes de ces émeutes et condamnant les Juifs à une amende collective d’un milliard de Reichsmark ?
Il est possible que j’en aie entendu parler à l’époque, mais je n’ai plus de souvenirs exacts à ce sujet.
Mais si vous en avez entendu parler, n’avez-vous pas, en ce temps-là, considéré ces actes comme des persécutions ?
Je dois évidemment considérer cette campagne des vitrines comme un excès contre les Juifs.
Vous avez déclaré, si je vous ai bien compris, en vous basant sur votre propre expérience auprès de Hitler, qu’il était admis que des officiers eussent des divergences d’opinion avec lui, du moment qu’ils obéissaient à ses ordres. C’est bien ce que vous voulez dire ?
Je dois m’excuser, je n’ai pas entièrement compris la fin de votre phrase.
J’ai cru comprendre, d’après votre déposition de ce matin, que vous vous sentiez parfaitement libre d’être en désaccord avec Hitler, de lui présenter des suggestions et de lui donner des renseignements mais, qu’une fois sa décision prise, ses ordres devaient être obéis à la lettre.
Oui.
Autrement dit, un officier était en tous temps libre de se présenter chez Hitler et de lui donner des renseignements techniques, tel par exemple l’état de préparation de son service ?
En général, non. C’étaient les Commandants en chef des différentes armes composant la Wehrmacht qui étaient habilités à le faire.
De sorte que la seule voie par laquelle les renseignements sur l’état de l’Aviation pouvaient parvenir à Hitler était celle de Hermann Göring. Est-ce exact ?
Oui, Hermann Göring, et parfois le secrétaire d’État Milch, adjoint du Reichsmarschall.
Étant donné votre connaissance de la situation, était-il possible à des officiers de la Luftwaffe, à supposer que Hitler eût voulu entreprendre une guerre pour laquelle la Luftwaffe n’était pas prête, de lui rendre compte de faits semblables ?
Nous avions entière confiance en notre Reichsmarschall et nous savions qu’il était la seule personnalité qui avait une influence décisive sur Adolf Hitler. Dans ce sens, nous nous sentions en parfaite sécurité, d’autant plus que nous connaissions l’attitude pacifique du maréchal et que nous comptions sur lui.
Il fut un temps où vous fûtes envoyé à l’Est comme Commandant en chef, n’est-ce pas ? Vous êtes allé en Pologne, puis ensuite en Russie soviétique, n’est-ce pas ?
Oui, en Pologne et en Russie.
N’était il pas entendu, parmi les officiers qui participèrent à cette campagne de Pologne et de Russie, que les Conventions de la Haye ne seraient pas étendues au traitement des prisonniers de guerre de l’Union Soviétique ?
Je l’ignorais.
Vous avez dit que la Luftwaffe était une arme purement défensive. Est-ce bien là le sens de votre déposition ?
Oui.
Quels étaient, au début de la campagne de Pologne, les effectifs allemands en différents types d’appareils ?
Comme je ne faisais pas partie du Service central, je ne peux vous donner que des chiffres approximatifs, sans garantie d’exactitude historique. Dans l’ensemble, nous devions avoir environ 3.000 appareils. En tout, si je me souviens bien, il y avait environ 30 à 40 groupes de bombardiers, le même nombre de chasseurs et 10 groupes de Stukas, d’avions de chasse...
Voulez-vous me donner le chiffre de chacun des groupes ?
Environ 30 appareils qui, progressivement, se réduisaient jusqu’à 7, 6 et 5 avions dans la journée.
Il y avait également environ 10 à 12 groupes de Stukas, y compris des avions de combat et de destruction. Étaient également compris dans ce nombre des avions de reconnaissance et un certain nombre d’avions de la Marine.
Et la proportion des bombardiers était environ de deux contre un par rapport aux avions de combat ?
La proportion des bombardiers par rapport aux chasseurs était de 1 pour 1 ; ou 1, 2, ou 1, 3 pour 1. J’ai dit de 30 à 40 groupes de bombardiers et environ 30 groupes de chasseurs ; si je comprends les avions de chasse bi-moteurs, je crois que la proportion de 1 à 1 est à peu près exacte.
Et ainsi vous arrivez à un total d’environ 3.000 unités ?
Sans prétendre à la précision historique, je peux indiquer ce chiffre, attendu que j’ai pu réfléchir en toute tranquillité pendant ces derniers mois et procéder à certaines estimations.
Maintenant, considérez-vous le bombardier comme une arme défensive ou au contraire comme une arme offensive ?
Je suis obligé de considérer le bombardier de la même façon que le chasseur et l’avion de combat en piqué comme des armes à la fois défensives et offensives. J’ai dit hier, qu’il s’agisse de défensive ou d’offensive, que les tâches de l’Aviation devaient être accomplies sur le plan offensif, en raison des objectifs très disséminés. J’ai expliqué aussi qu’une aviation qui n’avait que des unités légères était destinée à la défaite étant donné qu’il lui est impossible de frapper les divers centres de la production aéronautique ennemie, ses concentrations d’appareils, et de s’attaquer à ses mouvements dans les divers secteurs.
En d’autres termes, la Luftwaffe était une arme défensive, si vous étiez sur la défensive, et une arme offensive si vous étiez en train d’attaquer ?
Je n’ai pas compris la fin de la phrase.
La Luftwaffe était utilisée comme arme défensive et comme arme offensive, selon que vous étiez en train de vous défendre ou d’attaquer, n’est-ce pas ?
On peut l’exprimer ainsi. Je m’exprimerais moi-même autrement ; dans son essence, l’Aviation est une arme offensive, qu’elle soit employée dans l’attaque ou dans la défense.
Vous avez amélioré ma formule. Et dans les Pays-Bas, en Pologne...
Me permettez-vous d’ajouter quelque chose à ce sujet ?
Oui, certainement.
Comme je l’ai dit hier, à la fin de ma déposition, l’essentiel dans une aviation offensive est d’avoir des bombardiers quadrimoteurs à grand rayon d’action ; l’Allemagne n’en possédait aucun.
Comment se fait-il que l’Allemagne ne possédait aucun avion de ce genre ?
Premièrement, parce qu’en fait, dans le péril dans lequel nous nous trouvions, nous nous sommes limités aux armes défensives essentielles. Deuxièmement, parce que nous avons essayé de nous maintenir dans nos conceptions, qui étaient de produire le maximum de bombardiers de précision et d’avions de combat en piqué, avec le minimum de matières premières ; je citerais comme exemple le Junker-88.
Vous avez bien été interrogé par le service de l’Inspection stratégique de bombardement américaine, le 28 juin 1945 ? Vous en souvenez-vous ?
Oui, naturellement.
C’est exact, n’est-ce pas ?
J’ai été interrogé souvent.
Je vous demande si, le 28 juin 1945, vous n’avez pas déclaré à l’officier qui vous interrogeait, pour le compte du service de l’Inspection stratégique de bombardement américaine, que « tout avait été mis en œuvre pour faire de l’Aviation allemande, au point de vue personnel, appareils, défense antiaérienne, signalisation, etc., l’arme la plus forte qui fût au monde. Ces efforts aboutirent : au début de la guerre, ou en 1940 au plus tard, au point de vue de la chasse et du bombardement en piqué, nous avions des appareils particulièrement efficaces, même si le type n’était pas entièrement uniforme ».
N’avez-vous pas dit cela ?
C’est encore ce que je pense aujourd’hui, en ce qui concerne le matériel : chasseurs, Stukas et avions de combat ; nous avions en effet une certaine avance sur les autres puissances.
En ce qui concerne cette impossibilité d’obtenir le nombre de bombardiers quadrimoteurs, était-ce dû à vos intentions pacifiques ou était-ce une erreur de jugement sur ce que seraient les nécessités de la guerre ?
Je dois dire à ce sujet la chose suivante : c’eût été une folie de la part de la direction de l’Aviation, de tenter d’obtenir, en l’espace de trois ou quatre ans, une arme aérienne complète. C’est en 1940, au plus tôt, que nous avons eu la possibilité de constituer une aviation d’opération vraiment efficace et répondant à toutes les nécessités de la guerre. Ce succès est dû, à mon avis, à l’organisation qui se révéla dans le domaine des limitations.
Je crois que vous avez donné comme preuve de vos intentions pacifiques le fait que vous n’aviez pas un nombre suffisant de bombardiers quadrimoteurs au début de la guerre. Ai-je bien compris ?
Il s’agit là simplement d’un détail qui ressort de l’ensemble du problème. La puissance de l’Aviation pouvait être considérée comme suffisante, particulièrement comparativement aux petits États, mais on ne pouvait absolument pas la considérer comme telle par rapport aux adversaires puissants, jouissant d’une Aviation fortement équipée. Je me souviens, par exemple, d’une chaude discussion entre le Reichsmarschall et moi-même avant la campagne de Russie. J’avais demandé des renforts en chasseurs et en Stukas. Pour certaines raisons, on me les avait refusés. La première raison résidait dans la pénurie de matériel et, d’autre part, comme j’ai pu m’en rendre compte au cours de cette conversation, le Reichsmarschall n’était pas d’accord avec cette campagne.
N’avez-vous pas déposé devant la Commission américaine d’enquête sur les bombardements, que vous aviez l’intention d’avoir des bombardiers à grand rayon d’action, mais que — et je cite vos paroles — « nous avions développé le He-111 et le Ju-88 que nous avons utilisés en fait. Le Ju-88 fut employé au cours de la campagne de France et contre l’Angleterre comme bombardier à long rayon d’action.
« Question
Le Ju-88 n’est pas réellement un bombardier à long rayon d’action ? ».
Voici votre réponse : « Il était considéré à l’époque comme ayant un rayon d’action suffisant, mais malheureusement nous avions une conception trop étroite des bombardiers quadrimoteurs, ce qui devait s’avérer une erreur au cours des années qui suivirent. »
Est-ce exact ?
C’était mon point de vue.
Et la raison pour laquelle vous n’avez pas construit des bombardiers quadrimoteurs résidait dans la conception étroite que vous en aviez ?
Je veux dire que c’était la conception du service intéressé ; les décisions pour toutes ces questions étaient prises par les plus hautes autorités du service compétent.
Et les plus hautes autorités du service compétent firent une erreur de jugement sur l’utilité des bombardiers quadrimoteurs ?
En considérant rétrospectivement la situation, je dois dire que le manque de bombardiers quadrimoteurs s’est fait sentir d’une façon extrêmement embarrassante.
La plus haute autorité de la production aéronautique était Hermann Göring ? Il était le chef de toute l’organisation de la production aéronautique, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact ; ce qui n’exclut d’ailleurs pas le fait que des conceptions erronées, sur des mesures militaires ou d’organisation, aient pu exister, à certains moments.
Vous avez participé à la campagne de Pologne, avez-vous dit ?
Oui.
N’est-ce pas un fait que l’Aviation allemande a apporté un élément décisif de rapidité dans la campagne de Pologne ?
Du point de vue de l’officier d’aviation, je dois absolument confirmer cette conception. L’Armée ne partageait pas complètement cette opinion.
C’est votre opinion que vous exprimez maintenant. Au cours de cette campagne, vous avez développé la technique des attaques à basse altitude par des chasseurs et des bombardiers légers, contre des colonnes en marche. Le bombardier en piqué, le bombardier léger et les chasseurs contribuèrent tous au succès de cette campagne ?
Je dois l’admettre. La technique du combat rapproché fut élaborée pendant la campagne de Pologne.
J’en viens maintenant à la campagne de France. Vous avez combattu dans l’Aviation, au cours de la campagne de France, n’est-ce pas ?
Oui.
Et l’Aviation contribua de façon décisive au succès de cette campagne, n’est-ce pas ?
Du point de vue de l’officier d’aviation, je dois considérer que cette conception est exacte.
Et vous avez déclaré, n’est-ce pas, que Dunkerque n’aurait pas été une telle catastrophe si la Luftwaffe n’avait pas été là ?
Que Dunkerque... ? Je n’ai pas bien compris.
Oui, Dunkerque.
A mon avis, c’est certain, et la réalisation eût encore été meilleure si le mauvais temps n’avait considérablement gêné nos opérations.
C’est-à-dire que la catastrophe aurait été pire pour les Anglais, s’il n’y avait eu le mauvais temps ? Votre Aviation aurait pu faire encore un meilleur travail à Dunkerque ; c’est votre point de vue, n’est-ce pas ?
Pendant deux jours environ, nous n’avons pas pu opérer.
Vous étiez l’un des principaux partisans du plan d’invasion de l’Angleterre, n’est-ce pas ?
Personnellement, je défendais ce point de vue : pour gagner la guerre contre l’Angleterre, le seul moyen d’y parvenir était l’invasion.
Et vous aviez une Aviation suffisamment forte, après avoir vaincu la Pologne, les Pays-Bas, la Belgique et la France, pour conseiller que l’on entreprît l’invasion de l’Angleterre, n’est-ce pas ?
A ce sujet, je dois donner une explication.
Dites-moi d’abord si c’est exact ?
Témoin, veuillez remarquer que vous devez répondre à la question d’abord et fournir vos explications ensuite. Chaque question, ou presque chaque question, demande ou une réponse affirmative ou une réponse négative. Répondez d’abord et fournissez ensuite vos explications.
N’avez-vous pas conseillé que l’on envahît l’Angleterre et l’Aviation n’était-elle pas prête à procéder à cette invasion ?
Compte tenu de la situation particulière de l’Aviation à l’époque et sous certains rapports, elle était prête à accomplir cette tâche.
Et vous avez fermement recommandé au Reichsmarschall que l’invasion eût lieu immédiatement après Dunkerque, n’est-ce pas ?
Oui, et j’ai encore défendu cette opinion par la suite.
Les préparatifs de la Luftwaffe pour cette invasion étaient achevés, et l’opération ne fut remise que parce que les moyens de transports maritimes n’étaient pas suffisants, n’est-ce pas exact ?
Oui, je dois compléter ce que j’ai dit tout à l’heure de la manière suivante : il aurait été nécessaire évidemment de laisser s’écouler un certain temps entre l’invasion de la France et l’invasion de l’Angleterre pour permettre de compléter le matériel de l’Aviation.
Vous avez dit également à la Commission américaine d’enquête sur les bombardements que Hitler avait ordonnés, non seulement le bombardement des objectifs militaires y compris les usines de production, mais aussi le bombardement d’objectifs politiques. Est-ce exact ?
A partir d’une certaine date, oui.
C’est-à-dire pour paralyser le gouvernement ennemi, c’est bien ce que vous entendez par le terme objectif politique ?
Ce n’est pas ce que j’entends par objectif politique. J’ai répondu différemment à la question ; je l’ai comprise d’une autre manière ; je voulais dire que cet ordre ne fut mis en vigueur que plus tard.
Vous étiez présent lors du discours prononcé par Hitler en août 1939 ?
Oui.
A l’époque, vous saviez que l’attaque contre la Pologne commencerait immédiatement ou en tous cas dans un très proche avenir ?
Lors de cette conférence, on n’avait pas encore pris de décision définitive sur la campagne de Pologne. Il restait encore la possibilité de discuter et nous espérions tous que ces négociations aboutiraient à un résultat favorable.
Ne vous avait-on pas ordonné, le 15 août, de tenir la Luftwaffe prête pour une attaque contre la Pologne ?
Cet ordre en soi ne m’est pas connu dans ses détails, mais je dois avouer que, plusieurs mois avant le début de la campagne de Pologne, nous avions fait des préparatifs et créé des bases dans un but défensif en envisageant une situation défensive.
Vous vous attendiez à ce que la Pologne attaquât l’Allemagne par les airs ? Est-ce là votre idée ?
En tout cas, nous envisagions cette possibilité. La situation politique, dans son ensemble, nous était trop inconnue pour nous permettre d’en tirer un jugement clair et sûr.
Vous avez déclaré que vous n’avez jamais eu d’entretiens avec des chefs du Parti, que vous n’avez jamais eu de discussions politiques ni de contacts avec des chefs politiques, d’une façon générale, n’est-ce pas ?
En substance, c’est exact.
Votre supérieur immédiat n’était-il pas l’homme politique n° 2 d’Allemagne ? Ne le saviez-vous pas ?
Si, mais j’insiste sur le fait que 99% des conversations que j’ai eues avec le Reichsmarschall étaient de nature militaire ou concernaient des problèmes d’organisation.
Mais vous saviez qu’il était, depuis le début, un des principaux chefs politiques nazis ?
Oui.
Vous avez déclaré que vous connaissiez l’ordre de fusiller les commissaires soviétiques ?
Oui.
Que vous ne l’avez pas approuvé et que vous ne l’avez pas exécuté ?
Je ne me suis pas exprimé dans ce sens hier.
Qu’avez-vous donc déclaré ?
Je me suis ainsi exprimé : l’Aviation, qui ne combattait pas au sol, ne participait pas à ces opérations et je n’avais aucun souvenir de la publication de cet ordre.
Qui a exécuté cet ordre ? Qui devait l’exécuter ?
Je ne suis resté en Russie que jusqu’en novembre 1941. Je ne peux pas donner de renseignements à ce sujet.
Avez-vous jamais entendu parler des SS ?
Oui, bien entendu.
N’est-ce pas un fait que l’exécution de cet ordre fut confié aux SS ?
Je ne savais rien à ce sujet.
Quelle était donc, d’après vous, la raison d’être des SS ?
A mon avis, les SS, dans la mesure où ils participaient aux opérations militaires, formaient une branche spéciale de l’Armée de terre, une espèce de garde de l’Armée.
Les SS étaient là pour garder l’Armée, ou, pour garder qui ?
Non, les divisions SS étaient, tant au point de vue du personnel qu’au point de vue effectifs et matériel, mieux dotées que les autres divisions normales de l’Armée de terre.
Et qui commandait les SS ?
Les SS étaient commandées par Himmler. En ce qui concerne les divisions employées dans le cadre des armées, elles étaient subordonnées, d’un point de vue tactique, aux commandants d’armées, de groupes d’armées ou aux états-majors de corps auxquels elles étaient rattachées.
Mais dans la mesure où elles avaient des missions spéciales, elles étaient sous le commandement de Himmler. Est-ce exact ?
Oui, il y avait là une distinction très nette.
Vous avez déclaré hier que vous ne vous considériez pas lié par l’ordre de Hitler sur les commandos et que vous n’avez pas exécuté cet ordre. Est-ce exact ?
Pour le théâtre des opérations de la Méditerranée, oui.
Était-ce parce que cet ordre vous laissait les mains libres ou bien parce que vous avez simplement pris cette décision ?
C’est moi-même qui ai fait cette réserve, d’abord pour des raisons d’ordre idéologique et ensuite parce que, comme je l’ai dit hier, j’avais une double fonction en Méditerranée et que les ordres allemands ne pouvaient pas être compris sans modifications dans l’administration générale.
La manière dont un ordre de cette sorte était exécuté dépendait, en somme, du caractère et du courage de l’officier qui le recevait, n’est-ce pas ?
Je voudrais m’exprimer d’une manière un peu différente. Il y avait une certaine latitude dans l’interprétation de ces ordres. Ainsi, cet ordre concernant les commandos, par exemple, pouvait être interprété de telle sorte que le Commandant en chef pût considérer une opération sous l’angle d’une entreprise de commando ou sous celui d’une opération militairement justifiée.
Vous commandiez les forces en Italie au moment où cet ordre sur les commandos fut diffusé ?
Pas absolument. Je n’ai eu les pleins pouvoirs qu’à partir de septembre 1943.
Je demande que l’on vous montre le document PS-498 déposé sous le n° USA-501. J’attire votre attention sur le paragraphe 6 de cet ordre, dont voici le texte :
« Je tiendrai pour responsables, selon le code de justice militaire, tous les commandants et officiers qui n’auront pas exécuté cet ordre, qui auront négligé leur devoir d’instruire les troupes sur cet ordre ou qui auront agi à rencontre de cet ordre lorsqu’il devait être exécuté. »
Avez-vous trouvé le passage de cet ordre ?
Oui, je viens de le lire.
Avez-vous jamais rendu compte que vous n’exécutiez pas cet ordre ou avez-vous leurré vos supérieurs sur la façon dont vous l’exécutiez ?
A un moment donné et dans un cas particulier, cette question fut traitée d’une manière très serrée au Quartier Général. Il s’agissait de l’opération de commando de Pescara : Adolf Hitler avait ordonné de fusiller les participants, en dépit du fait que mes troupes et moi désirions les épargner. Je crois surtout en cette occurrence que l’influence de Jodl comme intermédiaire fut décisive, en ce sens que cette affaire fut oubliée et que les participants eurent la vie sauve par leur envoi, les uns à l’hôpital, les autres dans des camps de prisonniers. Mais je ne voudrais pas appeler cela une tromperie, comme vous le faites, Monsieur le Procureur Général. Je veux appuyer sur le fait que, sur mon théâtre d’opérations, je considérais des actes de cette sorte comme des ordres directeurs et que cet ordre sur les commandos permettait certainement différentes interprétations.
En d’autres termes, la mesure dans laquelle un tel ordre était exécuté dépendait des commandants en chef Est-ce bien cela ? Hitler ne pouvait pas être sûr qu’un ordre aussi énergique que celui-ci pût être exécuté par ses Commandants en chef ? Était-ce là l’état d’esprit de l’Armée allemande ?
Non, ce n’est pas cela. Mais on peut expliquer la situation de la façon suivante : lorsqu’une armée rend compte à l’échelon supérieur d’une entreprise en la caractérisant comme une entreprise de commando, les mesures nécessaires doivent être exécutées ; mais tout dépendait du compte rendu des grandes unités et j’ai déjà expliqué hier en détail qu’une conception unifiée s’était graduellement imposée, selon laquelle les hommes revêtus d’un uniforme, qui remplissaient une mission tactique, ne constituaient pas un commando au sens de cet ordre.
Vous avez déclaré aujourd’hui, et un autre témoin l’a fait ici, que la résistance à un ordre de Hitler signifiait la mort. Vous avez également déclaré qu’un ordre catégorique d’exécuter les membres de commandos, sous menace de châtiment si vous n’obéissiez pas à cet ordre, vous laissait toute latitude d’exécution Je veux donc que vous disiez au Tribunal, une fois pour toutes, l’état de l’affaire et nous abandonnerons alors ce sujet.
Je dois répéter ce que j’ai déjà dit : le théâtre des opérations italien ne peut pas être comparé aux autres théâtres d’opérations Étant donné la collaboration existant entre Hitler et Mussolini, une attitude moins rigide devait être adoptée ; c’est pourquoi ces ordres décrétés par l’OKW ne pouvaient pas être appliqués purement et simplement sur le théâtre des opérations italien.
Ils étaient donc appliqués partout, autant que vous le sachiez, sauf sur le théâtre d’opérations italien ?
Je ne puis l’affirmer. J’ai déjà déclaré à plusieurs reprises que je m’occupais exclusivement du domaine de mes activités propres qui était déjà considérable.
Vous avez déclaré, si je vous ai bien compris, que vous aviez puni le pillage commis par vos soldats en Italie ?
Dès que ces actes de pillage étaient portés à ma connaissance, je les punissais ; j’ai donné des instructions extrêmement sévères à ce sujet, aux commandants de l’Armée et de l’Aviation.
Les châtiments que vous infligiez pour le pillage étaient toujours très modérés, n’est-ce pas ?
J’ai été jusqu’à l’exécution immédiate des coupables et, de cette façon, j’ai réussi à enrayer le désordre qui s’était manifesté.
Un général allemand considère donc l’exécution comme un juste châtiment du pillage, lorsqu’il s’agit d’un soldat allemand ?
Je ne peux reconnaître de pareilles conclusions générales. Je voudrais ajouter autre chose à ce sujet : si une armée — comme ce fut le cas de la 14e armée à l’époque — se trouve plus ou moins en déroute, les mesures les plus sévères sont justifiées, à la fois dans l’intérêt de l’Armée et dans celui des populations, en vue de maintenir l’ordre parmi la population civile. A ce sujet, j’ai essuyé des discussions très vives au Quartier Général. A côté de cela, je pensais qu’à la longue, tous les châtiments pouvaient devenir inutiles ; c’est pourquoi, pendant un certain temps j’ai considéré les châtiments comme de simples moyens d’éducation et non pas réellement comme une punition. C’est pourquoi, pendant quelque temps, les peines ont été assez légères.
Vous avez déclaré que vous avez pris des mesures énergiques pour défendre les trésors d’art italiens ?
Oui, dans la mesure où j’étais avisé de la présence de ces trésors d’art.
Quelles mesures avez-vous prises et contre qui les avez-vous prises ?
C’étaient surtout des mesures préventives. D’abord, j’excluais de la zone de combat les localités où se trouvaient des objets d’art, des objets culturels, etc ; en second lieu, j’enlevais à l’ennemi le prétexte de bombarder de tels lieux en les faisant évacuer par mes troupes ; ; enfin, troisièmement, en collaboration avec le général Wolf, j’ai fait mettre les trésors d’art à l’abri. Je fais allusion en ce moment aux trésors d’art de Cassino et de Florence.
Saviez-vous que des objets d’art avaient été enlevés du mont Cassino par exemple et amenés à Berlin ?
J’en ai entendu parler, plus tard, à Mondorf, mais je me souviens simplement qu’on avait remis, à l’époque, ces objets d’art au Vatican.
Ah ! Savez-vous que des trésors d’art retirés du mont Cassino ont été remis à Göring ? En avez-vous entendu parler ?
J’ai entendu parler une fois d’une tête de saint, mais je ne puis donner de détails précis à ce sujet.
Et si Göring a reçu des objets de ce genre du mont Cassino, était-ce en violation de vos ordres ?
La division Hermann Göring opérait dans ce secteur, sous le commandement d’un ancien aide de camp de Hermann Göring. Il est évident qu’il peut y avoir là une certaine corrélation, mais je ne peux pas vous dire jusqu’à quel point.
J’ai encore quelques questions à vous poser, au sujet de vos interrogatoires.
L’audience est suspendue pendant dix minutes.
Messieurs, je crois qu’il y aura peut-être moins de répétitions et de temps perdu si je cède la parole à Sir David Maxwell-Fyfe qui a quelques questions à poser au témoin sur des sujets dont je voulais parler. Je pense qu’il sera plus compétent que moi en la matière pour continuer l’interrogatoire.
Comme vous voudrez, Monsieur Justice Jackson.
Témoin, vous a-t-on dit pourquoi le Dr Stahmer désirait que vous déposiez ? Le Dr Stahmer vous a-t-il indiqué ce qu’il fallait répondre ?
Les différents points m’ont été communiqués, sans que toutes les questions aient été nettement définies
Je vais relire une phrase de la déclaration du Dr Stahmer afin que vous puissiez vous la rappeler : « Lorsque Rotterdam est devenue zone de combat, au mois de mai 1940, il devint militairement nécessaire de se servir de bombardiers, car les troupes parachutées encerclées, qui n’avaient aucun soutien d’artillerie, avaient demandé de façon pressante l’aide de bombardiers ». Vous rappelez-vous l’événement ? Je voudrais qu’il soit présent à votre mémoire.
Oui, je me souviens.
Vous souvenez-vous avoir été interrogé au sujet de cet événement, le 28 janvier, par la Commission américaine d’enquête sur les bombardements ? Vous en souvenez-vous ?
Oui, certainement.
A la question : « Et à propos de Rotterdam ? » avez-vous répondu de la manière suivante :
« Rotterdam a d’abord été défendue, dans les quartiers qui ont été attaqués par la suite. En second lieu, dans ce cas, on pouvait remarquer qu’une attitude ferme devait être adoptée. Cette seule attaque a amené la paix immédiate en Hollande. Elle a été demandée par Model et approuvée par l’OKW. Il s’agissait seulement d’une partie très limitée du centre de Rotterdam ». Vous rappelez-vous avoir dit cela ?,
Oui, je l’ai dit à peu près et j’ai répété ces paroles hier.
Je voudrais parler d’abord de l’aspect stratégique. J’en viendrai à l’aspect tactique plus tard. Votre ’ dessein stratégique et votre but réel étaient d’adopter une attitude ferme pour obtenir une paix immédiate, est-ce exact ?
Cette vaste tâche ne m’avait pas été dévolue, mais, comme je l’ai dit hier, le général Wenninger m’annonça les résultats de l’attaque de telle façon que la reddition totale de la Hollande suivit l’attaque des bombardiers.
Je voudrais que vous pensiez à vos propres paroles. L’OKW avait approuvé l’adoption d’une attitude ferme Votre but, dans cette attaque, n’était-il pas d’obtenir un avantage stratégique, en terrorisant les habitants de Rotterdam ?
Je dois le nier en toute conscience. D’ailleurs, à Mondorf, je n’ai pas dit non plus qu’il fallait prendre une attitude ferme ; j’ai simplement dit que le soutien que Student avait demandé devait être fourni. Nous n’avions qu’une seule tâche à remplir : soutenir par l’artillerie les troupes du général Student.
Que vouliez-vous dire, en prétendant qu’il fallait adopter une attitude ferme, si vous n’entendiez pas par là qu’il fallait terroriser la population hollandaise pour obtenir la paix ?
Puis-je répéter encore une fois que la notion d’attitude ferme n’est pas un de mes termes usuels ? Je ne puis reconnaître que cette expression ait figuré au procès-verbal de l’interrogatoire et je ne l’ai pas entendue lorsqu’on me l’a relu.
Si vous n’avez pas prononcé les mots attitude ferme, ainsi que vous le prétendez, qu’avez-vous donc dit ?
J’ai fait remarquer que des mesures sévères entraîneraient les résultats les plus rapides.
C’est exactement ce que je soutiens, témoin, des mesures sévères...
Mais uniquement en vue de résultats tactiques. Puis-je affirmer encore une fois que je suis un soldat et non un politicien et que je n’ai pas agi en tant que politicien ? J’ai agi alors simplement et uniquement pour satisfaire aux exigences du général Student.
Avant d’en arriver à la situation tactique — ce que je ferai bien volontiers — avez-vous eu l’occasion de travailler en coopération avec l’accusé Raeder ? Avez-vous eu à collaborer d’une façon quelconque avec l’accusé Raeder ?
L’amiral Raeder ? Seulement d’une façon générale, dans la mesure où il pouvait s’agir de questions navales.
Je voudrais que vous écoutiez le point de vue que l’accusé Raeder a exprimé et que vous disiez au Tribunal si vous êtes d’accord avec lui. C’est le document GB-224 (C-157) qui figure au procès-verbal (Tome V, page 280). Écoutez avec attention, je vous prie :
« Il est souhaitable de baser toutes les mesures militaires éventuelles sur les lois internationales existantes. Néanmoins, certaines mesures, qui seraient considérées comme nécessaires d’un point de vue militaire, dans la mesure où elles peuvent apporter un succès décisif, devront être poursuivies, même si elles ne sont pas en accord avec les lois internationales en vigueur. »
Êtes-vous d’accord sur ce point ?
Je ne peux pas me déclarer tout à fait d’accord avec cette opinion. Pour Rotterdam, le cas était absolument contraire.
Pour l’instant, nous nous occupons des paroles de l’accusé Raeder. Êtes-vous d’accord avec ces paroles ?
Non.
Je fais objection à la question qui vient d’être posée à l’instant au témoin, ainsi qu’à la question précédente, parce qu’elles sont hors de propos et parce qu’elles ne visent que des opinions et non pas des faits. Le témoin est ici pour témoigner sur des faits.
Monsieur le Président, le témoin est ici, comme je l’ai fait remarquer précédemment, pour parler des nécessités militaires.
Sir David Maxwell-Fyfe, le Tribunal pense que la question, telle que vous l’avez posée, peut soulever une objection, attendu qu’elle fait ressortir le point de vue de l’accusé Raeder.
Je m’incline naturellement devant la décision du Tribunal ; mais ce témoin comparaît pour témoigner sur ce fait que cette attitude a été conditionnée par ces nécessités militaires. Je lui ai demandé s’il était d’accord ou non avec le point de vue de l’un de ses collègues, touchant à la définition de la nécessité militaire. Si le Tribunal a le moindre doute, je passerai à un autre sujet. Pourtant la question de la nécessité militaire est un concept que le Tribunal aura à prendre en considération à maintes reprises. Avec votre autorisation, je n’abandonnerai pas ce sujet, qui reviendra dans les questions que j’aurai à poser ultérieurement dans d’autres domaines.
J’en viens maintenant à la situation tactique à Rotterdam. Voulez-vous indiquer au Tribunal les officiers qui se trouvaient participer à cette affaire. Il y avait un Generalleutnant Schmidt et avec lui le Generalmajor Student, qui étaient à la tête des troupes qui attaquaient Rotterdam. Vous souvenez-vous de cela ?
Le général Student seulement, le général Schmidt m’est inconnu.
Comme l’indiquent les preuves recueillies dans cette affaire, les négociations ont été menées par le Generalleutnant Schmidt, dans une crémerie, près de Rotterdam. Et c’est là que furent également rédigées les conditions de la capitulation. Je suppose qu’il s’agissait là du supérieur hiérarchique du général Student, n’est-ce pas ?
Le général Student était l’officier Commandant en chef responsable du secteur Rotterdam, j’ignore qui était le général Schmidt.
Le général Schmidt était donc le subordonné du général Student ?
On l’a peut-être fait venir dans ce but particulier, mais je ne le connais pas.
Je voudrais que vous vous remémoriez cette période. Savez-vous à quel moment de la journée a commencé le bombardement de Rotterdam ?
Autant que je sache, dans les premières heures de l’après-midi, vers 14 heures, je crois.
J’allais vous dire 13h30.
C’est très possible.
Savez-vous que des négociations en vue d’une capitulation étaient en cours depuis 10h30 du matin ?
Non ; ainsi que je l’ai déjà dit hier, je n’ai pas connaissance de ces faits.
Et saviez-vous qu’à 12 h.15 un officier hollandais, le capitaine Backer, s’est rendu dans les lignes allemandes pour y rencontrer le général Schmidt et le général Student et que le général Schmidt rédigea les termes de la capitulation proposée, à 12 h.35 ?
Non, je l’ignorais.
On ne vous l’a jamais dit.
Cela ne m’a pas été communiqué, ou du moins je ne m’en souviens pas.
Vous voyez, témoin, que 55 minutes avant le bombardement...
Le facteur important eût été que le général Student rapportât l’ordre d’attaque, mais il ne se produisit pas. Le contre-ordre ne me parvint pas, ni à moi, ni à mon unité.
Je voudrais simplement que vous vous rappeliez les faits et ensuite je vous poserai quelques questions. Les conditions discutées à 12 h. 35 devaient se prolonger : une réponse était exigée pour 16 h. 20. Après le départ, à 13 h. 22, du capitaine Backer, nanti des propositions, deux fusées rouges furent lancées à 13 h. 25 par les troupes allemandes au sol sous les ordres du général Student. En avez-vous jamais entendu parler ?
Je ne suis pas au courant de ce fait non plus. Deux fusées rouges n’auraient d’ailleurs pas suffi à cet effet.
Non, mais en outre, vos troupes au sol étaient en très bonne communication radiophonique avec vos avions, n’est-ce pas ? Voulez-vous répondre à ma question ?
J’ai déjà dit hier...
Veuillez, s’il vous plaît, répondre à ma question ?
Oui et non. Pour autant que je sache, il n’y avait pas une communication directe entre la station au sol et les appareils ; mais, ainsi que je l’ai dit hier, cette communication existait seulement de la formation tactique au groupement aérien en passant par la base.
Si l’on avait désiré donner l’ordre aux appareils de ne pas effectuer le bombardement, cette opération aurait pu se faire très facilement par radio en mettant à part les deux fusées rouges ?
A mon avis, oui.
Et je prétends maintenant que tout le monde a vu passer ces bombardiers ; vous le savez, Student, lui-même, les a vu passer. Vous le savez, n’est-ce pas ?
Oui.
Si cette attaque avait eu une signification tactique quelconque et avait été menée dans le but d’aider vos troupes, on aurait pu la prévenir, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas compris cette dernière phrase.
Si le but de cette attaque n’avait été que tactique, afin de soutenir l’attaque générale sur Rotterdam, on aurait facilement pu la prévenir par un message radiophonique du général Student aux avions, n’est-ce pas ?
Oui ; si la situation tactique m’avait été communiquée, ou si la situation avait été communiquée directement aux formations de bombardiers, l’attaque aurait pu, sans aucun doute, être prévenue.
Mais si, témoin au cours de pourparlers honnêtes, on accorde des conditions de reddition qui doivent expirer trois heures plus tard, on ne peut qu’attendre d’un soldat qu’il prévienne l’attaque, n’est-ce pas ?
Si aucune autre condition n’a été exigée, oui.
Mais s’il pouvait arrêter cette attaque, c’était la chose du monde la plus facile à faire. Je voudrais que vous compreniez à fond mon point de vue. Cette question tactique n’avait rien à voir avec l’attaque de Rotterdam. Certes l’attaque contre Rotterdam, d’après vos propres paroles, n’avait d’autre but que de montrer une attitude ferme et d’amener les Hollandais à la capitulation, en faisant régner la terreur.
Puis-je répéter encore une fois ce que j’ai expressément déclaré : cette attaque servait uniquement des buts tactiques et je me désolidarise complètement de toutes considérations politiques.
Vous savez que le général Student s’est excusé, par la suite, de cette attaque ; vous le savez ? Il s’est excusé auprès du Commandant en chef hollandais d’avoir déclenché cette attaque ?
Je ne le savais pas et, comme je vous l’ai déjà exposé hier, j’ai vu le général Student sous le coup d’une commotion cérébrale très grave et je n’ai même pas pu lui parler.
Je ne vais pas prendre plus de temps. J’espère avoir exprimé clairement ce que je voulais dire. Je veux maintenant vous poser une autre question, à propos de ce que vous avez dit hier sur les bombardements. Vous avez dit que l’attaque contre Varsovie, le 1er septembre 1939, avait été déclenchée parce que vous considériez Varsovie comme une forteresse défendue pourvue d’une défense aérienne Est-ce exact ?
Oui, certainement.
Vous savez qu’au même moment, à 5 heures du matin, le vendredi 1er septembre, l’Aviation allemande a attaqué Augustow, Nowy, Dwor, Ostrow, Mazowiecki, Tczew, Puck Zambrow, Radomsko, Thorn, Kutno, Cracovie, Grodno, Trzebinia et Gdynia, qui étaient dans une situation sensiblement différente. Répondez à ma question. L’Aviation allemande a attaqué ces villes ?
Mes camarades oui. Mais pas les villes, je répète, pas les villes.
Toutes ces attaques commencèrent à 5 heures du matin, le vendredi 1er septembre, n’est-ce pas ?
L’attaque fut exécutée le matin, mais non pas sur les villes comme vous l’avez dit ; elle fut exécutée sur les objectifs militaires tels que les terrains d’aviation, les quartiers généraux, les nœuds de communications Comme je l’ai déjà expliqué hier l’OKW nous avait donné des instructions détaillées selon lesquelles il ne fallait bombarder que ces objectifs militaires.
Vous prétendez que toutes ces villes que j’ai nommées étaient des objectifs militaires ?
Pour celles se trouvant dans mon secteur, oui.
Il n’y eut pas un seul avion de reconnaissance qui eût le temps de survoler la Pologne avant ces attaques, n’est-ce pas ?
C’est exact. Des agents nous ont, d’un autre côté, communiqué des renseignements suffisants sur la situation et, de plus, tout ce plan d’opérations avait été élaboré par l’État-Major d’opérations de l’Armée de l’air.
Tout le plan avait été établi au mois d’avril 1939, n’est-ce pas, sous le nom de « Cas Blanc » ?
A ce moment-là, je ne savais même pas que j’en ferais partie ou que la guerre serait déclarée.
N’avez-vous pas su, témoin, après votre promotion, que le « Cas Blanc » avait été discuté au mois d’avril 1939 ? Ne vous l’a-t-on jamais dit ?
Je ne l’ai pas su ; mais, d’un autre côté, je puis dire, en tant que soldat, qu’un plan général élaboré au mois d’avril devait être sujet à bien des changements avant le mois de septembre ; à la dernière minute, on faisait encore des changements importants.
Je voudrais vous rappeler un autre point : vous souvenez-vous que la radio allemande a diffusé le dernier ultimatum envoyé à la Pologne à 21 heures, la veille au soir, le 31 août ? Vous en souvenez-vous ?
Je crois que oui.
C’était huit heures avant votre attaque et vous savez, n’est-ce pas, que l’accusé Göring s’était retiré à son Quartier Général secret une semaine auparavant pour étudier toutes ces questions ?
Cela, je puis me l’imaginer, car...
Ce que je veux faire ressortir, c’est que cette attaque générale, sur les villes polonaises, était encore un coup monté pour essayer de détruire la résistance de la nation polonaise à votre attaque. C’est bien cela ?
Je tiens à déclarer que si mes déclarations en tant que maréchal et en tant que témoin sous la foi du serment, rencontrent aussi peu de crédit auprès de vous, Monsieur le Procureur, il semble inutile que je poursuive mon témoignage. J’ai souligné fermement qu’il ne s’agissait pas d’une attaque contre des villes, mais contre des objectifs militaires, et vous devez réellement me croire, en tant que soldat.
Le Tribunal décidera de la valeur de votre déposition. Je ne veux pas en discuter. Je voudrais vous interroger sur un ou deux autres sujets, afin d’avoir votre point de vue sur ce que vous entendez par nécessité militaire. Vous vous souvenez des ordres sur les partisans en Italie, lorsque vous y commandiez en chef ? Les ordres concernant les partisans.
Certainement.
Dites-moi si je me trompe, mais je voudrais que ce point soit clairement établi Si je comprends bien, l’accusé Keitel a donné un ordre général sur les partisans, le 16 décembre 1942. Un exemplaire de cet ordre a été trouvé à votre Quartier Général, à votre ancien Quartier Général, et vous avez dit en avoir eu connaissance plus tard, mais vous ne vous souvenez pas de la date ? Est-ce bien exact ? Vous n’êtes pas sûr de la date ?
C’est exact.
J’aimerais que vous fassiez un effort pour vous en souvenir, car vous avez eu le temps de réfléchir là-dessus. Pensez-vous que l’ordre de Keitel, de décembre 1942, soit parvenu à votre connaissance avant que vous ne donniez votre propre ordre du 17 juin 1944 ? Vous aimeriez peut-être avoir le texte de votre ordre personnel ?
On me l’a lu une fois, mais au mois de novembre, et de nouveau en décembre et en janvier, j’ai demandé à être entendu encore une fois sur ces questions et sur ces ordres, car j’ai quelques incertitudes au sujet de leur diffusion, de leur distribution, de leur date et de leurs destinataires.
Je vais vous faire montrer ces ordres, témoin, car vous devriez les voir, pour vous en souvenir mieux. Je ne crois pas qu’ils aient déjà été déposés. D’abord, l’ordre de l’accusé Keitel, du 16 décembre 1942.
Oui.
Vous avez, à votre tour, promulgué un ordre le 17 juin 1944, lorsque vous étiez Commandant en chef en Italie ? Vous en souvenez-vous ? Je vais vous le montrer dans un instant, si je peux en trouver un exemplaire allemand dans le dossier. Je vais en lire à nouveau un bref extrait, afin que le Tribunal puisse s’en rendre compte. Cependant, témoin, regardez le tout, l’ensemble de l’ordre, car je désire donner une idée exacte de l’ordre :
« La situation des partisans sur le théâtre d’opérations italien, surtout dans l’Italie centrale, s’est aggravée à un tel point qu’ils constituent un danger sérieux pour les troupes combattantes, pour leurs lignes de ravitaillement et pour les industries de guerre. La lutte contre les partisans doit être poursuivie par tous les moyens disponibles et avec la plus grande sévérité. Je protégerai tout commandant qui outrepasserait notre retenue habituelle dans la sévérité du choix des mesures adoptées contre les partisans. A cet effet, le vieux principe tient toujours bon : « Une erreur dans le choix des « méthodes d’exécution vaut mieux qu’un manque ou une négligence « dans l’action ». Vous vous souvenez de cela, témoin ?
Oui, je me souviens de cet ordre.
Vous souvenez-vous que, trois jours plus tard, afin qu’il n’y ait aucune méprise à cet égard, vous avez donné un nouvel ordre, très secret. Je lis la troisième ligne après la phrase : « Cette déclaration ne doit pas être une menace vide de sens ». Vous dites : « Il est du devoir de toutes les troupes et de la Police sous mon commandement, d’adopter les mesures les plus sévères. Tout acte de violence commis par des partisans doit être puni immédiatement. Des comptes rendus seront fournis sur les détails des contre-mesures prises. Partout où existent des groupes nombreux de partisans, une partie de la population masculine de la région sera arrêtée ; si un acte de violence est commis, ces hommes seront fusillés ».
Je voudrais prendre deux exemples seulement, témoin, deux exemples de la façon dont cet ordre fut respecté. Vous souvenez-vous quand un de vos officiers, le colonel von Gablentz, fut capturé par des partisans, vous en souvenez-vous ?
Le général von Gablentz ?
Je crois qu’à ce moment-là, il était encore colonel. C’était le 26 juin, juste après la diffusion de votre ordre. Vous rappelez-vous la capture du colonel von Gablentz ?
Non.
Il était colonel du train des équipages. Ce n’était pas un officier très important, mais il était cependant colonel.
Oui. Je m’en souviens.
Eh, bien ! Regardez ces deux documents. C’est un extrait du compte rendu quotidien du Commandant en chef de l’Italie du sud-ouest en date du 26 juin. Est-ce bien exact ?
« Combat contre les partisans : au nord d’Arezzo, le colonel von Gablentz, qui appartenait à la 10e armée, à Koruck, a été capturé par des partisans. Toute la population masculine des villages situés sur la route intéressée a été arrêtée. »
Il a été annoncé un jour plus tard que tous ces otages seraient fusillés si le colonel capturé n’était pas libéré dans les 48 heures. Vous en souvenez-vous ?
Pas dans les détails, mais en gros...
Non ; mais vous souvenez-vous de l’incident ?
Oui.
Regardez ce qui suit : compte rendu de la situation, deux jours plus tard, le 28 juin, deuxième paragraphe.
« En représailles de la capture du colonel baron von Gablentz, 560 personnes dont 250 hommes, ont jusqu’ici été arrêtées. »
Est-ce là votre conception des « mesures nécessaires pour enrayer la guerre des partisans » que d’interner 310 femmes et enfants ?
Non, ce n’était pas nécessaire, mais à ce sujet je pourrais…
Prenons un autre exemple. Vous souvenez-vous de Civitella ? Vous savez ce que vos hommes ont fait à Civitella ?
Non, pour l’instant, je ne le sais pas.
Laissez-moi vous rappeler ce qui a eu lieu à Civitella ; c’était le 18 juin, le lendemain de la diffusion de votre ordre.
« Deux soldats allemands ont été tués et un troisième blessé au cours d’un combat avec des partisans, dans le village de Civitella. Par peur des représailles, les habitants ont évacué le village, mais quand les Allemands s’en sont rendus compte, les mesures punitives furent remises à plus tard. Le 29 juin » — vous vous souvenez, témoin, que c’était neuf jours après votre proclamation, pour renforcer votre ordre — « lorsque les habitants furent revenus au village et se sentirent en sécurité, les Allemands entreprirent des représailles méthodiquement organisées, dans toute la contrée.
Beaucoup d’habitants innocents furent tués sur-le-champ. Au cours de cette journée, 212 hommes, femmes et enfants, furent tués dans les environs immédiats. Certaines des femmes assassinées furent retrouvées absolument nues. Au cours des enquêtes qui s’ensuivirent, une liste des morts a pu être établie ; elle est complète à l’exception de quelques personnes dont on n’a pu identifier les cadavres. Les âges des morts s’étalaient entre 1 an et 84 ans. Environ cent maisons furent incendiées. Certaines des victimes furent brûlées vives dans leur maison. »
C’est le compte rendu de la Commission d’enquête des crimes de guerre des Nations Unies.
Croyez-vous vraiment, témoin, que les nécessités militaires exigeaient qu’on tuât des enfants d’un an et des personnes âgées de 84 ans ?
Non.
Je voudrais maintenant aborder un sujet qui touche à votre sphère d’activité, puisqu’il s’agit de la situation de la division Hermann Göring. Vous avez tout à l’heure cité le nom de l’un des personnages que j’ai présents à la mémoire. Et pour tracer un tableau exact au Tribunal, je désirerais maintenant préciser d’une manière certaine quels étaient vos officiers. Le général Vietinghoff, je vous fais mes excuses, je crois que c’est von Vietinghoff, commandait la 10e armée ?
Oui.
En 1944 ?
Oui.
Était-il directement sous vos ordres ?
Oui, il était sous mes ordres.
Alors je présume que c’était un général de rang et de responsabilité élevés ? Je ne connais pas son grade : général d’armée ou...
Il était général d’armée.
Et il avait sous ses ordres le 76e corps commandé par le général Herr ? Est-ce exact ?
Oui.
Et sous les ordres du général Herr se trouvait la division Hermann Göring, commandée par le général Schmalz dont vous avez parlé ce matin, n’est-ce pas ?
J’ ai cité tout à l’heure un autre nom, mais je crois, en effet, que c’était le général Schmalz qui la commandait.
Je crois que c’était Schmalz à ce moment-là. La division Hermann Göring avait été mêlée à nombre de ces incidents. Je veux dire par incident, le genre d’événements qui se sont déroulés à Civitella. Laissez-moi vous en rappeler un ou deux.
Vous souvenez-vous qu’à Stia, du 13 au 18 avril, 137 civils furent tués, dont 45 femmes et enfants. Vous rappelez-vous cet incident ? Civitella eut lieu le 29 juin ; vous souvenez-vous de Bucchini, les 7 et 9 juillet ? Vous ne vous souvenez pas d’un incident à Bucchini ?
C’est possible, mais il faudrait d’abord que j’étudie les détails.
Vous allez peut-être vous en souvenir. Je vais vous présenter la chose d’une façon générale, témoin, car il s’agit d’un comportement tout à fait général et il y eut nombre d’incidents de ce genre auxquels participa la division Hermann Göring. Vous en souvenez-vous ?
Il y eut des incidents semblables de part et d’autre, et il faudrait d’abord que j’étudie à fond les détails de cette question.
Voici le sujet que je voudrais que vous vous rappeliez : est-il vrai que la division Hermann Göring était placée sous les ordres du général Herr et du général von Vietinghoff uniquement pour les besoins tactiques et rendait compte chaque jour à Berlin, au Reichsmarschall Göring, de son activité ?
Sous l’angle tactique, la division Hermann Göring dépendait du Commandement général et de l’Armée mais je dois présumer qu’en ces matières également, elle était en réalité soumise au Commandement général et à l’Armée. Je ne sais pas si, en dehors de cela, elle conduisit indépendamment d’autres opérations.
Je vais vous citer les paroles exactes et vous verrez d’où elles viennent :
« La première division de parachutistes et la division Hermann Göring n’étaient placées sous le commandement de l’Armée qu’au seul point de vue tactique. Pour toute autre question, elles tombaient directement sous les ordres du Reichsmarschall, auquel elles devaient faire parvenir des comptes rendus quotidiens. Elles n’étaient pas autorisées à recevoir des ordres des commandants de l’Armée sur les opérations de représailles, ni à leur faire parvenir des rapports sur ces actions. Ainsi, elles poursuivirent la guerre contre les partisans, selon des principes qui, à certains points de vue, se différenciaient de ceux de l’Armée. »
Est-ce là une déclaration véridique ?
C’est exact, mais il faudrait remarquer que le concept tactique peut être compris dans un sens plus ou moins étendu.
Quel mot ?
Tactique. Je veux dire que la dépendance tactique peut être comprise dans un sens plus ou moins étendu.
Mais, témoin, c’est justement pour cela que j’ai lu le texte en entier, car le sens de ce mot dans cette déclaration est parfaitement clair, n’est-ce pas ? Elle dit que ces divisions n’étaient pas autorisées à recevoir des ordres des commandants de l’Armée pour des opérations de représailles, ni d’en rendre compte des résultats, et qu’elles poursuivaient le combat contre les guérillas, selon des principes qui n’étaient pas les mêmes que ceux du général von Vietinghoff, n’est-ce pas ?
Je l’entends aujourd’hui pour la première fois. Mais si un autre officier l’a dit, je dois l’admettre comme exact.
Êtes-vous certain que c’est la première fois que vous en entendez parler ? Il est très difficile de se rappeler chaque incident. Ne croyez pas que je désire vous froisser, mais essayez de vous souvenir. Le général Herr ne s’est-il pas plaint à maintes reprises, auprès de vous, de cette situation anormale de la division Hermann Göring, et n’avez-vous jamais donné une réponse officielle aux rapports du général Herr ?
Je n’ai certainement pas reçu de nombreux rapports du général Herr, mais il a peut-être eu des entrevues personnelles.
A votre poste de commandement ?
Oui. Et puis-je ajouter, une fois de plus, que de telles prises de position existaient réellement au sein du groupe d’armées Pour ce qui est du cas présent, je ne sais pas s’il peut être considéré comme appartenant au domaine de la tactique ou non.
Je ne vous ai pas posé la question d’une façon suffisamment claire Je voudrais savoir si le mot « nombreux » vous déplaît ; accepterez-vous « quelques » ? Et que, dans quelques cas, le général Herr vous ait rendu compte qu’il était en difficultés, à cause de cette situation anormale de la division Hermann Göring ?
Oui, je peux l’admettre.
Votre chef d’État-Major était, à ce moment-là, le général Röttinger, n’est-ce pas ?
Oui.
A partir du 10 juin, c’est-à-dire à l’époque dont nous parlons, n’est-ce pas, le général Röttinger ne vous a-t-il pas parlé aussi de la situation de la division Hermann Göring, du fait qu’elle se trouvait sous la protection spéciale du Reichsmarschall, Göring, à Berlin ?
Oui, nous en avons parlé à plusieurs reprises.
Quant à cet incident particulier dans lequel est impliquée la division Hermann Göring, c’est de l’accusé Göring, qui est ici au banc des accusés, qu’elle reçut les ordres sur le traitement à infliger aux partisans, n’est-ce pas ?
Je ne puis vous le dire, cette question n’était plus de mon ressort.
Oui, ce n’était plus de votre ressort, ni de celui du général Herr, ni de Vietinghoff, mais concernait directement Berlin, n’est-ce pas ?
Oui, certainement, c’était la voie hiérarchique spéciale des SS et de la division Hermann Göring.
Oui. Le Tribunal s’occupe en ce moment du cas de l’accusé Göring. C’est pourquoi je vous ai posé ces questions.
Maintenant, je voudrais éclaircir encore un ou deux points. Vous rappelez-vous que le Dr Laternser vous a posé une ou deux questions à propos du Haut Commandement et de l’État-Major général ? Vous vous rappelez qu’il vous a interrogé ?
Oui, je m’en souviens.
Je voudrais d’abord éclaircir une partie de la question. Vous avez dû vous rendre compte, témoin, que le rassemblement qui fait Tobjet de ces charges, n’a rien à voir avec le corps des officiers d’État-Major de l’Armée allemande. Je crois que vous avez vous-même éclairci ce point hier.
Avec qui ?
Avec le corps des officiers d’État-Major. Vous aviez dans l’Armée de terre comme dans l’Aviation un corps d’officiers qui avaient fréquenté l’académie militaire et qui étaient des officiers d’Etat-Major de tous grades à partir de celui de capitaine, n’est-ce pas ?
La question n’est pas très précise pour moi.
Excusez-moi. Vous aviez, à la fois dans l’Armée et dans l’Aviation, un état-major d’officiers qui avaient fréquenté l’académie militaire et qui étaient par la suite devenus officiers d’État-Major brevetés. Ils avaient, je crois, le droit de rendre compte directement au chef d’État-Major, s’ils le désiraient. Est-ce exact ou faux ?
Cela n’est pas exact, excepté, comme je l’ai dit hier, dans le domaine de la formation et l’attitude générale, où le chef de l’État-Major général avait le droit d’agir directement sur les officiers d’État-Major ; mais le contraire était impossible.
Ce corps comprenait des officiers à partir du grade de capitaine, ou de lieutenant je crois ?
A partir du grade de capitaine.
C’est ce que je pensais. Je puis vous dire que ce corps-là ne nous intéresse aucunement. Le Ministère Public ne s’intéresse pas du tout à ce corps.
En ce qui concerne les personnes nommées dans l’Acte d’accusation, vous savez qu’il y est mentionné neuf postes de Commandants en chef ou d’État-Major, puis ceux des Oberbefehlshaber qui commandaient certaines régions ou certaines flottes aériennes ? Vous avez vu cela, n’est-ce pas ?
Oui.
J’essaie de vous l’expliquer brièvement, afin de perdre le moins de temps possible. Je voudrais savoir si les gens qui sont mentionnés, c’est-à-dire les chefs de l’OKW, de l’OKH, de l’OKM, de l’OKL et leurs remplaçants ainsi que les Oberbefehlshaber, n’étaient pas les officiers de la Wehrmacht qui s’occupaient le plus des projets et des préparatifs de guerre ?
Les Commandants en chef des différentes branches de la Wehrmacht étaient, naturellement, les conseillers du Chef de l’État dans toutes les questions militaires ou de politique militaire. Les Commandants en chef des groupes d’armées n’avaient aucune influence du tout.
J’aimerais que vous pensiez à deux exemples. Je crois que vous étiez présent, dans les deux cas. Avant l’attaque contre la Pologne, il y eut une réunion, le 22 août, que nous avons déjà mentionnée ici. Les officiers supérieurs dont j’ai parlé, les chefs des différentes parties de l’Armée, ainsi que les Oberbefehlshaber étaient-ils présents à cette conférence ?
Elle comprenait les officiers qui devaient conduire les opérations sur ce théâtre.
Le secteur qui allait être alors le théâtre de la guerre était la Pologne. A ce moment, le but principal de cette conférence était de discuter la campagne de Pologne, n’est-ce pas, et d’envisager la possibilité d’une campagne contre les puissances occidentales, au cas où elles rentreraient dans la guerre ?
Je ne puis vous donner de renseignements à ce sujet. En principe, nous n’avons discuté que de questions concernant la Pologne...
Le Tribunal a tellement souvent entendu parler de cette réunion que je ne vais pas insister. Je voudrais seulement connaître exactement les présents. Je vais vous rappeler une autre conférence Le 9 juin 1941, il y eut une « conférence Barbarossa » à propos de l’attaque contre l’Union Soviétique. A Berchtesgaden, vous en souvenez-vous ?
Je ne sais pas si c’était le 9 juin ou non, mais j’ai bien assisté à cette conférence.
Vous étiez là, et avant la campagne de Russie également, les personnes qui étaient présentes étaient les Commandants en chefs suprêmes et les Oberbefehlshaber, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
Y compris ceux qui avaient des commandements dans les territoires occupés, tels, par exemple, le général von Falkenhorst, qui était alors Commandant en chef de l’Armée en Norvège ? Il était présent, n’est-ce pas ?
Le général von Falkenhorst ?
Oui.
C’est possible.
Le général Stumpf de la 5e Flotte aérienne ainsi que des personnages dont j’ignore les titres exacts ; je ne vous donne donc que leurs noms : Rundstedt, Reichenau, Stülpnagel, Schubert, Kleist et, naturellement, Bock, Kluge, Gude-rian, Halder, Kesselring ?
Les derniers étaient certainement présents. Quant à von Stumpf et von Falkenhorst, je ne puis le dire.
Avant une campagne, il était donc habituel que ces gens qui occupaient des postes élevés se réunissent autour du Führer, n’est-ce pas ?
Oui.
Je voudrais que vous m’éclairiez sur un autre point. Vous souvenez-vous avoir dit, hier, au Dr Laternser, que les membres de ce groupement étaient trop préoccupés par de hautes considérations stratégiques pour avoir affaire avec la Cinquième colonne ? Vous souvenez-vous vous être exprimé dans cet esprit ?
Oui.
Je ne sais si vous êtes au courant, mais hors d’Allemagne le terme de Quisling est synonyme de Cinquième colonne. Le saviez-vous ? N’avez-vous jamais entendu dire un Quisling pour désigner un membre de la Cinquième colonne ?
Non, je ne le savais pas.
Vous savez qui était Quisling ?
Oui, certainement,
J’aimerais que vous entendiez ce que je vais lire, qui concerne vos services. L’accusé Rosenberg, en janvier 1940, écrivait ainsi au Führer :« Supposant que sa déclaration » — celle de Quisling — « serait d’un intérêt spécial pour le Reichsmarschall Göring, en raison de questions stratégiques concernant l’Aviation, Quisling a été envoyé auprès du secrétaire d’État Körner par les Affaires étrangères. »
Est-il venu vous voir, pour des raisons stratégiques qui intéressaient l’Aviation ?
Je l’ignore complètement.
Saviez-vous que l’accusé Raeder avait présenté Quisling à Hitler en décembre 1939 ? Le saviez-vous ?
Non, je l’ignorais.
Vous êtes d’accord sur le fait que le chef de l’Aviation et le chef de la Marine allemandes étaient des membres influents de ce groupe des Commandants en chef ?
Des Commandants en chef, oui.
S’ils s’occupaient d’un homme qui est le type même de la Cinquième colonne, peut-être certains membres du groupe en question avaient-ils plus affaire avec la Cinquième colonne, que vous ne le saviez ?
J’ai seulement parlé hier des Commandants en chef au front, et nos tâches relevaient d’un tout autre domaine.
Monsieur le Président, je crois que j’en ai terminé pour l’instant ; mais, si vous le permettez, je vais réfléchir pendant la suspension d’audience pour voir s’il reste encore un point à éclaircir. Je pense, en outre, que les documents que j’ai lus en partie devraient être déposés au cas où la Défense désirerait les examiner par la suite.
Oui, s’ils n’ont pas déjà été déposés.
Je crois que certains de ces ordres n’ont pas été déposés. J’en ai lu une partie qui figurera au procès-verbal et je les déposerai maintenant.
Ils devront être déposés et enregistrés. L’audience est suspendue.