QUATRE-VINGTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 13 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Témoin, puis-je vous demander de porter votre attention sur les faits qui suivirent l’attentat de Rome du 23 mars 1944 ? Vous voyez bien ce que je veux dire ? L’attentat de Rome du 23 mars 1944, Vous vous souvenez ? Votre chef d’État-Major, à ce moment-là, était le général Westphal : il a fait un compte rendu sur cet attentat, qu’il a adressé directement au général Buettler ? Peut-être pourriez-vous m’aider à le prononcer ?
Winter.
Quel général ?
Le général Winter.
Il a cependant adressé un rapport à un général Buettler, B-u-e-t-t-l-e-r ?
Von Buttlar.
Le général von Buttlar ?
C’était son prédécesseur.
Le général von Buttlar informa votre chef d’État-Major qu’il devait rendre compte de l’affaire au Führer. Est-ce exact ?
Oui.
Et il entra en contact avec l’accusé Jodl ; après quoi, l’accusé Jodl et l’accusé Keitel signalèrent l’affaire au Führer.
C’est probablement exact.
Celui-ci donna l’ordre que vingt ou dix Italiens — vous n’êtes pas sûr du nombre mais vous croyez que c’est plutôt vingt — soient abattus ?
Je pense que c’est un rapport fourni par Westphal et je crois que c’est exact.
Pouvez-vous alors vous rappeler s’il s’agissait de vingt ou dix Italiens ?
Je suppose que c’était dix mais je ne le sais plus exactement.
Vous ne connaissez pas le nombre exact ?
Je suppose que c’est dix.
Nous accepterons ce nombre de dix pour le moment. L’autorité compétente à Rome était le général von Mackensen ? C’est exact ?
Le Generaloberst von Mackensen était Commandant en chef de la 14e armée et le commandant de la place de Rome était sous ses ordres.
Et la personne qui — pour utiliser vos propres termes — le conseilla sur cette question était un certain Kappler, n’est-ce pas ?
Kappler, du service de sécurité.
Qu’était-il ? Obergruppenführer eu quoi ?
Obersturmbannführer.
Vous souvenez-vous qu’après quelques commentaires de l’Osservatore Romano vous avez donné l’ordre à un officier de votre service de renseignements appelé Zolling, de mener une enquête sur cet incident. Est-ce exact ?
C’est exact.
Et vous avez aussi reçu un rapport de Kappler lui-même, n’est-ce pas ?
Kappler m’a simplement fait rendre compte brièvement par téléphone qu’il avait à sa disposition un certain nombre de condamnés
Est-ce que Kappler ne vous a pas dit qu’il avait fait exécuter 382 personnes ?
La 14e armée était chargée de l’exécution ; j’ai reçu l’avis sans aucun détail et je ne m’en suis pas entretenu avec Kappler.
En êtes-vous sûr ?
J’insiste formellement là-dessus. J’ai eu une brève conversation téléphonique avec Kappler après avoir rejoint mon poste de combat. C’est à ce moment-là qu’il m’a communiqué l’information dont j’ai parlé tout à l’heure. A part cela, je ne me souviens pas d’avoir eu d’autres relations avec lui à ce sujet Je sais encore qu’environ huit ou dix jours plus tard, je l’ai rencontré et lui ai dit que je lui étais reconnaissant, dans une certaine mesure, d’avoir trouvé à cette très désagréable affaire une solution qui fût légalement et moralement au-dessus de tout reproche.
Eh bien, voyons donc les motifs de votre reconnaissance. Vous avez été interrogé sur cette question le 8 janvier. Vous souvenez-vous que cette question vous ait été posée : « Zolling ne vous a-t-il pas dit que tous ceux qui avaient été exécutés avaient auparavant été condamnés pour avoir commis des crimes punis de la peine de mort ? » Vous avez répondu :
« Oui, je l’ai déjà dit, il l’a affirmé et c’est Kappler qui me l’a raconté ».
Oui, c’est exact.
En d’autres termes, selon l’explication qui, dites-vous, vous a été donnée, on avait arrêté un certain nombre de personnes — 382 comme je l’ai précisé — qui s’étaient rendues coupables d’autres crimes ; il les a exécutées en représailles de cet attentat. Est-ce exact ?
C’est exact, avec la restriction que ces gens étaient condamnés à mort.
Vous avez déjà été interrogé sur ce point. D’après le rapport de Kappler, sur ces 382 personnes, 176 avaient commis des actes punis de la peine de mort, 22 venaient de voir la clôture des informations ouvertes contre elles, 17 avaient été condamnées aux travaux forcés, 4 avaient été condamnées à mort, 4 avaient été arrêtées près de la scène du crime, soit au total 223. Kappler ne vous a-t-il pas dit : « Plus tard, le nombre des victimes s’est élevé à 325, car j’avais décidé d’ajouter 57 Juifs ». Est-ce que Kappler ne vous a pas donné ces chiffres ?
Non.
Mais vous admettez qu’une grande quantité de personnes ont été exécutées aux termes de l’ordre stipulant que dix ou peut-être vingt Italiens seraient fusillés pour chaque Allemand abattu ?
Je le reconnais, mais il faut bien préciser, comme je l’ai dit tout à l’heure, qu’il s’agissait là d’individus déjà condamnés,
Mais peu vous importait de savoir s’ils avaient été condamnés pour cet attentat ou pour une autre infraction ?
La situation était la suivante : la bataille faisait rage sur le Garigliano et venait de commencer. C’est à ce moment qu’une attaque à la bombe fut effectuée contre une compagnie de police, par des membres de cercles de Rome qui, jusqu’à cette époque, avaient été traités avec une particulière clémence. L’inquiétude provoquée dans les milieux allemands fut telle que mes subordonnés, ceux du conseiller d’ambassade Möllhausen et moi-même, devions tout mettre en œuvre pour calmer cette inquiétude. Il fallait faire quelque chose de ce côté et, d’un autre côté, des mesures adéquates devaient être prises pour éviter la répétition de faits semblables en stigmatisant cette attitude aux yeux de l’opinion publique et en montrant qu’on ne pouvait rien entreprendre contre l’Armée allemande sans entraîner des conséquences. Pour moi, c’était le point essentiel. C’était une question secondaire pour moi, de savoir si X ou Y avait participé à cet attentat. Ce qui était important, c’était que l’opinion publique fut rassurée le plus rapidement possible, aussi bien du côté romain que du côté allemand.
Votre premier souci a été d’adopter une troisième attitude : nombreux sont les gens qui pourraient déclarer que vous avez terrorisé la population afin qu’elle n’entreprît plus rien de semblable contre l’Armée allemande.
Je ne sais pas. Cette expression est empruntée aux débats sur Rotterdam. Autant que je sache, je n’ai pas employé cette expression. Je répéterai que j’étais en très bons termes avec les Italiens ; c’est pour cette raison que j’avais été appelé en Italie ; j’avais les raisons les plus fortes de gagner leur amitié et non de chercher leur haine. Et si je suis intervenu là et sous cette forme, c’est parce que c’était un moyen d’étouffer dans l’œuf ces entreprises criminelles dans le plus court laps de temps.
Je n’ai pas l’intention de vous interroger sur votre amitié pour les Italiens. Je vous ai suffisamment posé de questions ce matin sur ce sujet. Je désire simplement vous poser encore une question sur un point que j’aimerais éclaircir. Le 2 novembre 1943, étiez-vous Commandant en chef en Italie, c’est-à-dire, après...
Me permettez-vous d’ajouter encore quelque chose au sujet de la question précédente ?
Veuillez-vous en tenir à la question actuelle : je vous demande si vous étiez Commandant en chef en Italie, le 2 novembre 1943. L’étiez-vous ?
Depuis novembre, depuis le 2 novembre 1943.
Vous souvenez-vous d’avoir envoyé un télégramme à l’OKW rendant compte que trois commandos britanniques capturés près de Pescara avaient subi un traitement spécial ? Ce n’est rien d’autre qu’un assassinat, puisqu’ils ont été abattus par les SS ?
Non, excusez-moi...
Que signifie selon vous le terme « traitement spécial » ?
Cela signifie, comme je l’ai déjà indiqué aujourd’hui, que ces gens de Pescara n’ont pas été exécutés, mais que, dans la mesure où ils étaient blessés, ils ont été envoyés à l’hôpital ; quant à ceux qui ne l’étaient pas, ils ont été, si mes souvenirs sont exacts, conduits dans des camps de prisonniers.
Neuf autres furent emmenés à l’hôpital et trois d’entre eux subirent, au vu de votre télégramme, un traitement spécial. Neuf autres furent emmenés à l’hôpital. Je voulais justement vous interroger sur ceux qui furent conduits à l’hôpital. Que faisiez-vous des gens qui tombaient sous le coup de l’ordre sur les commandos et qui étaient emmenés à l’hôpital ?
J’ai déjà dit tout à l’heure qu’ils ont été traités selon les principes généralement adoptés de la Convention de La Haye.
Je n’ai pas à discuter avec vous, si l’ordre relatif aux commandos était ou non, en accord avec les principes de la Convention de La Haye. Nous savons que, conformément à l’ordre sur les commandos, tous les participants capturés au cours de l’une quelconque de ces actions devaient être fusillés. Supposons que les membres d’un commando aient par malheur été blessés. Qu’advenait-il d’eux ?
Aux termes de cet ordre, ils devaient être fusillés. Mais, j’ai déjà dit tout à l’heure que, dans ce cas, et je pense aussi sous l’influence du général Jodl, cet ordre était exécuté d’une manière plus normale.
Nous avons entendu ici des témoignages aux termes desquels à Vilno les SS avaient l’habitude de tuer de leurs mains les bébés juifs qui venaient de naître dans les hôpitaux. Pouvez-vous me donner l’assurance que les membres des commandos blessés et emmenés à l’hôpital n’étaient pas purement et simplement assassinés ?
Je vous assure que je n’ai jamais reçu de compte rendu sur des exécutions de ce genre et que, d’ailleurs, je ne les aurais pas tolérées.
Je vous remercie.
Le Ministère Public désire-t-il encore interroger le témoin ? Docteur Stahmer, désirez-vous à nouveau poser des questions au témoin ?
Le Ministère Public britannique vient de présenter un certain nombre de faits nouveaux inconnus jusqu’ici, en particulier des exécutions d’otages opérées par la division Hermann Göring en Italie, au cours de la lutte menée contre les partisans, et dont l’accusé Göring devrait être tenu pour responsable. C’est en corrélation avec ces faits que de nouveaux documents ont été présentés. Je ne suis pas en mesure, pour le moment, de prendre position sur ces faits et ces charges graves, ni de poser des questions utiles au témoin. Après un soigneux examen des documents présentés, je me proposerai d’introduire des requêtes qui s’y rapportent et je demande au Tribunal de me permettre de demander éventuellement des témoins supplémentaires. Peut-être aurai-je à citer à nouveau le témoin Kesselring. Je m’efforcerai évidemment de ne présenter des requêtes que dans le seul cadre des charges qui viennent d’être présentées, pour éviter une nouvelle prolongation des débats.
Docteur Stahmer, le Tribunal estime que vous devez dès maintenant interroger le témoin. Si vous désirez par la suite présenter une requête aux fins de nouvelle citation du témoin, vous devrez invoquer des motifs très sérieux pour le faire. Vous pourrez présenter une requête écrite afin de faire comparaître le témoin à nouveau, mais je désire vous faire remarquer que l’interrogatoire contradictoire du témoin n’est pas relatif aux seules charges qui pèsent sur l’accusé Göring. Le témoin appartient à l’État-Major général et, comme on le lui a fait remarquer au début de son interrogatoire, il fait partie des accusés. C’est pour cette raison que les moyens de preuve concernent à la fois Göring et l’État-Major général. Me suis-je bien fait comprendre ?
Oui, je comprends parfaitement, mais je ne puis poser de questions à un témoin que si je suis en possession des faits. Aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de le faire, puisqu’on s’est référé à des documents qui m’étaient complètement inconnus, d’autant plus que le Ministère Public a l’intention de les mettre à notre disposition.
Les documents ont été présentés au témoin et, comme je l’ai déjà dit, le Tribunal prendra en considération toutes les requêtes que vous présenterez ultérieurement aux fins de citation du témoin. Mais, pour le moment, vous devez poursuivre votre interrogatoire et en terminer avec le témoin.
Pour le moment, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer.
Je me suis rendu compte qu’un représentant du Ministère Public, ce matin, et vous-même, Monsieur le Président, cet après-midi, aviez désigné le témoin sous le terme d’accusé. Je crois que cette désignation n’est pas correcte. Le témoin vient ici comme témoin. D’ailleurs, il n’est pas accusé en tant que seul membre du groupe ; c’est le groupe et non pas lui qui est accusé ; c’est pourquoi il n’est pas exact d’en faire un accusé.
Docteur Laternser, il n’était peut-être pas très exact d’en faire un accusé. Mais il est membre de l’État-Major général. Je crois que Sir David Maxwell-Fyfe a bien précisé qu’il ne le considérait qu’en sa qualité de membre du groupe incriminé, conformément à l’Acte d’accusation qui demande de prononcer à son encontre une déclaration de criminalité. C’est uniquement ainsi qu’il fallait l’entendre, mais j’ai fait remarquer au Dr Stahmer que les questions qui étaient posées ne concernaient pas nécessairement les seules charges relevées contre l’accusé Göring mais pouvaient également n’intéresser que l’État-Major général.
Monsieur le Président, je connais parfaitement les fonctions propres des généraux. Mais je voulais simplement éviter que les généraux soient désignés comme des accusés alors qu’ils n’en sont pas. Je voudrais avoir des preuves sur ce point.
Très bien.
Avec l’accord du Tribunal, je me permets de citer maintenant à la barre des témoins l’accusé Hermann Göring, ex-maréchal du Reich.
Quel est votre nom ?
Hermann Göring.
Veuillez répéter ce serment après moi : Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien.
Vous pouvez vous asseoir.
Quand et où êtes-vous né ?
Je suis né le 12 janvier 1893 à Rosenheim en Bavière.
Veuillez faire au Tribunal une courte description de votre vie, jusqu’au début de la première guerre mondiale, mais une description très brève.
Éducation normale, d’abord à la maison ; ensuite je suis entré au corps des Cadets, puis je suis devenu officier d’activé. Quelques indications importantes pour la suite : mon père a été premier gouverneur de l’Afrique du Sud ; il a eu à ce moment-là des relations avec deux hommes d’État britanniques : Cecil Rhodes et l’aîné des Chamberlain. Je dois aussi dire que mon père était très attaché à Bismarck. En ce qui concerne ma jeunesse, j’ai vécu en partie en Autriche et j’ai eu des relations d’affection très étroites avec ce peuple frère. Au début de la première guerre mondiale, j’étais lieutenant dans un régiment d’infanterie.
En quelle qualité avez-vous participé à la première guerre mondiale ?
Comme je le disais tout à l’heure, d’abord comme lieutenant dans un régiment d’infanterie, lors de la bataille dite des frontières ; à partir d’octobre 1914, je devins observateur en avion. En juin 1915, je pilotai d’abord des avions de reconnaissance puis, pendant une courte période, des bombardiers : en automne 1915, je devins chasseur. Puis, je fus grièvement blessé au cours d’un combat aérien ; après mon rétablissement,] Je devins commandant d’une escadrille de chasse et, après la mort de Richthofen, commandant de l’escadrille Richthofen qui était bien connue.
Quelles sont vos décorations militaires ?
Je reçus d’abord la Croix de Fer de 2e classe, puis la Croix de Fer de 1ere classe, le Lion de Zähringen avec épée, l’ordre de Karl Friedrich, l’ordre Hohenzollem de 3e classe avec épée et enfin l’ordre suprême « Pour le Mérite », qui était la plus haute décoration.
Dites au Tribunal quand et dans quelles circonstances vous avez fait la connaissance de Hitler ?
Je voudrais ajouter quelques indications préliminaires. Après la défaite qui a suivi la première guerre mondiale, j’ai été obligé de démobiliser mon escadrille. J’ai refusé d’entrer dans la Reichswehr comme on me le demandait, car j’étais à l’avance opposé à la République ; elle avait pris le pouvoir après la révolution, elle ne pouvait absolument pas s’accorder avec mes conceptions.
Peu après, je me suis rendu à l’étranger pour me faire une situation. Après quelques années, j’ai à nouveau été attiré par ma patrie. J’ai d’abord fait un séjour d’assez longue durée, dans un chalet de chasse, dans la montagne où je me suis livré à des études. Je voulais d’une manière quelconque participer au destin de ma patrie, bien que je ne pusse ni ne voulusse le faire comme officier, pour des raisons que j’ai exposées tout à l’heure. C’est pour cette raison que je voulais me constituer d’autres bases. J’ai fréquenté l’université de Munich où j’ai étudié les sciences politiques et l’Histoire. Je me suis fixé aux environs de Munich à cette époque et j’ai acheté une maison que j’ai habitée avec ma femme.
Un jour, c’était un dimanche d’octobre ou de novembre 1922, les demandes d’extradition de nos chefs militaires ayant été formulées à nouveau par l’Entente, je me suis rendu à une manifestation de protestation à Munich. Je n’ai assisté à cette manifestation que comme témoin oculaire, sans y prendre part réellement. Un certain nombre de représentants de partis et d’organisations ont pris la parole. A la fin, on réclama aussi Hitler. J’avais déjà entendu prononcer quelquefois le nom de Hitler et je désirais entendre ce qu’il avait à dire, mais il refusa de parler. C’est tout à fait par hasard que je me trouvais à proximité et que j’entendis les raisons pour lesquelles il refusait de prendre la parole. Il ne voulait pas troubler le caractère d’unité de cette démonstration, il ne se sentait pas en mesure de prendre la parole, après ces tirades bourgeoises tout a fait « apprivoisées », comme il disait. Il disait qu’il était inutile de faire des protestations qui n’auraient aucun effet. Cela me fit une forte impression parce que j’étais du même avis. Je me suis renseigné et j’ai appris que le lundi suivant, je pourrais entendre Hitler, au cours de la réunion publique qu’il tenait tous les lundis soirs. Je m’y rendis. Hitler parla de la démonstration précédente et fit allusion au Traité de Versailles, au Diktat de Versailles et à son rejet. Il dit que les protestations vides de sens, comme celles du dimanche précédent, n’étaient pas indiquées. Il dit qu’une protestation ne pouvait être utile que si, derrière elle, il y avait la puissance capable de lui donner du poids ; tant que l’Allemagne ne serait pas forte, les protestations de ce genre n’auraient aucun sens. Ces conceptions correspondaient point par point à mon intime conviction.
Dans les jours qui suivirent, je me rendis au bureau de la NSDAP. A ce moment-là, je ne connaissais rien du programme de la NSDAP et je ne savais rien de plus, sinon que c’était un petit parti. J’avais également envisagé d’autres partis. Lorsque l’Assemblée Nationale avait été élue, j’avais, dans mon attitude totalement apolitique, voté démocrate, mais lorsque j’ai vu qui j’avais élu, je ne me suis plus occupé de politique. Je voyais enfin un homme qui avait devant lui un but déterminé et solide. Je voulais d’abord lui demander simplement si j’étais susceptible de lui apporter une aide quelconque. Il me reçut immédiatement. Quand je me fus présenté, il me dit que c’était le destin qui nous avait rapprochés. Nous parlâmes tout de suite de ce qui nous préoccupait le plus tous les deux, la misère de notre patrie et l’impossibilité de nous en tenir à la résignation. Le thème principal de cette conversation fut également le Traité de Versailles. Je lui dis qu’il pouvait disposer entièrement de ma personne et de mes biens, parce que mon esprit n’avait en vue qu’un résultat décisif : la lutte contre le Diktat de Versailles.
La deuxième chose qui me frappa très fortement à ce moment et que j’ai ressentie très profondément et considérée comme une condition primordiale était le fait, qu’il m’expliqua tout au long, qu’il n’était pas possible, dans les conditions actuelles, de s’allier seulement avec tous ceux qui se rangeaient sous l’étiquette nationale, qu’il s’agît des partis soi-disant nationalistes ou de ceux qui s’appelaient eux-mêmes nationaux, ou des sociétés existantes :organisation de combat, corps francs, etc. Il n’était pas possible de procéder à une réorganisation dans le sens d’une forte volonté nationale populaire avec le seul secours de ces gens car la masse des ouvriers allemands s’opposait à cette idée. On ne pourrait redresser l’Allemagne qu’avec l’appui de la classe ouvrière allemande, si l’on était porté par la volonté populaire à se libérer des entraves intolérables du Traité de Versailles. Cela ne pouvait être réalisé qu’en unissant la conception nationale aux buts sociaux.
On me donnait pour la première fois une admirable et profonde explication du concept national-socialiste, de l’unification de ces deux conceptions : nationalisme et socialisme. Il me dit que nous devions être les porteurs à la fois du socialisme et du nationalisme, le nationalisme du monde bourgeois, si l’on peut dire, et le socialisme du monde marxiste. Nous devions réunir ces conceptions dans une seule idée et créer une nouvelle idéologie, support de ces nouvelles pensées.
Nous passâmes aux questions pratiques et il me pria de lui donner immédiatement mon aide sur un point particulier. Il me dit qu’à l’intérieur du Parti, si petit qu’il fût, il avait fait un choix de ceux des membres qui étaient ses disciples les plus convaincus, prêts à tous moments à engager leur personne sans la moindre restriction pour la diffusion de nos idées. Il me dit que je savais moi-même quel degré avait atteint partout l’influence du marxisme et du communisme, et qu’il n’avait pu réussir à se faire entendre dans les manifestations politiques que lorsqu’il avait réussi à s’opposer par la force à la force qu’on employait pour l’empêcher de parler. C’est dans ce but qu’il avait créé les SA. Les chefs du moment étaient trop jeunes et il s’était efforcé d’en trouver un ; mais il lui fallait un jeune qui se fût distingué pendant la guerre qui venait de finir afin qu’il eût l’autorité nécessaire. Il avait pensé que le mieux serait de trouver un aviateur décoré de l’ordre « Pour le Mérite » ou un marin décoré du même ordre ; et il avait l’impression que c’était vraiment le destin qui lui avait envoyé le dernier commandant de l’escadrille Richthofen.
Je lui répondis qu’il n’était pas très agréable pour moi d’occuper dès le début un poste de commandement, parce qu’on pourrait croire que je ne venais là que pour le poste qui m’était offert. C’est pour cette raison que nous sommes tombés d’accord pour que pendant un ou deux mois je reste officiellement à l’arrière-plan, pour. n’assurer le commandement qu’après ce délai ; mais en tait, je devais exercer mon influence dès le début. Je lui promis d’agir ainsi. C’est dans ces conditions que je rencontrai Adolf Hitler.
C’était à quelle époque ?
C’était à la fin du mois d’octobre, début novembre 1922.
Fin octobre ?
Fin octobre ou début novembre 1922.
Et quand avez-vous adhéré officiellement au parti national-socialiste ?
A la même date je me suis inscrit au Parti quelques jours après.
Quelles sont les fonctions que vous confia Hitler jusqu’en novembre 1923 ?
Les fonctions découlaient de ma situation de chef des SA. Il s’agissait d’abord de coordonner, de discipliner cette organisation et d’en faire une unité absolument sûre qui exécutât les ordres de Hitler et les miens. Elles n’avaient été jusque là que des groupes qui avaient été très actifs mais qui n’avaient ni les formes ni la discipline nécessaires.
Dès le début, je me suis efforcé de faire entrer dans les SA les membres du parti national-socialiste qui étaient assez jeunes et qui avaient assez d’idéalisme pour leur sacrifier leurs loisirs et leurs énergies entières. A cette époque, c’était très difficile pour ces hommes courageux ; nous étions très peu nombreux, mais nos adversaires étaient de loin supérieurs en nombre. Nous étions exposés à de nombreux désagréments et à souffrir toutes sortes de mécomptes.
En second lieu, j’ai essayé de pratiquer mon recrutement dans la classe ouvrière. Il est certain que je m’efforçai surtout de faire entrer dans les SA des membres de la classe ouvrière. Naturellement, il nous fallait en même temps veiller à ce que les réunions du Parti, en général restreintes, qui avaient lieu à Munich, dans l’Oberland bavarois et en Franconie, puissent se dérouler sans incidents. Le plus souvent nos efforts étaient couronnés de succès mais parfois nos adversaires provoquaient de puissantes contre-manifestations.
D’un côté comme de l’autre on exhibait des armes qui avaient été conservées après la guerre, ce qui amenait des situations critiques : il nous arrivait d’envoyer des SA en renfort dans d’autres localités.
Pendant l’année 1923, l’opposition entre la Bavière et le Reich s’affirma de plus en plus. On s’aperçut que le Gouvernement bavarois de l’époque était décidé à suivre un autre chemin, différent de celui du Reich. Le Gouvernement du Reich était fortement influencé par le marxisme ; le Gouvernement bavarois était dégagé de cette influence, il était bourgeois.
C’est sur ces entrefaites que le Gouvernement bavarois prit soudain une forme entièrement nouvelle : un gouverneur général, ou quelque autorité semblable, fut institué. Il s’agissait de von Kahr qui se trouvait à la tête du Gouvernement bavarois et tenait de lui tous ses pouvoirs. Très peu de temps après, se place le conflit de la Reichswehr. La 7e division de la Reichswehr, qui était stationnée en Bavière, fut dégagée du serment de fidélité qu’elle avait prêté à la constitution du Reich et on lui fit prêter serment au nouveau Gouvernement bavarois dont j’ai oublié le titre exact, c’est-à-dire en réalité à von Kahr. Ce fait entraîna le conflit entre les généraux von Seeckt et Lossow. Il en fut de même avec la Police bavaroise. En même temps, le Gouvernement bavarois s’efforça de rallier ce qu’on appelait les associations nationales qui étaient à l’époque organisées sur le modèle militaire ou semi-militaire et possédaient des armes. Tout cela était dirigé contre Berlin, contre ce que nous appelions « la République de Novembre ». Jusque là nous avons suivi.
Le dimanche précédant le 9 novembre, une grande manifestation eut lieu à Munich. Tout le Gouvernement était là. La Reichswehr, la Police, les unions patriotiques défilaient comme nous-mêmes. Nous nous aperçûmes tout à coup, à cette occasion, que la personnalité la plus importante n’était pas M. von Kahr, mais le prince héritier Rupprecht de Bavière Ce fut pour nous un étonnement extraordinaire. Nous conçûmes le soupçon que la Bavière voulait entrer dans des voies nouvelles qui risquaient éventuellement d’affaiblir les liens unissant la Bavière au Reich. Nous étions bien décidés à ne pas le tolérer. Nous voulions un Reich puissant et unifié. Nous voulions le voir purifié et débarrassé des partis et des autorités qui le dirigeaient, à ce moment-là.
Nous étions devenus circonspects et méfiants quant à la soi-disant marche sur Berlin. Lorsque M. von Kahr eut annoncé la célèbre réunion de la Bürgerbräu, nous vîmes qu’il était grand temps d’empêcher la réalisation de ces plans et que c’était une occasion de tout orienter dans le sens de la Plus Grande Allemagne. Cela nous amena rapidement aux événements du 9 novembre 1923.
En ce qui me concerne personnellement, j’étais prêt dès le début, et je ne m’en suis jamais caché, à participer à toute révolution contre la République de Novembre, quels qu’en fussent les auteurs, sauf s’ils étaient de gauche et pour cette tâche j’avais toujours offert mes services.
Je crois que les événements sont connus : j’ai été grièvement blessé à la Feldherrnhalle et je termine là-dessus ce premier chapitre.
Après cet événement, à quel moment êtes-vous entré à nouveau en relations avec Hitler ?
J’ai d’abord fait un séjour à l’hôpital en Autriche. C’est à cette époque que se place devant le Tribunal populaire bavarois le procès sur les événements du 9 novembre.
Quels étaient les accusés ?
En premier lieu, Hitler, et naturellement ceux qui étaient présents et avaient été arrêtés. Grièvement blessé, j’avais séjourné quelque temps en Bavière du nord ; j’y avais été arrêté et la Police bavaroise m’avait alors transféré dans une autre localité.
Je fis demander à Hitler, à ce moment-là, si je devais me rendre au procès. Il me pria d’urgence de n’en rien faire, ce qui était très bien car, de cette façon, le procès ne pouvait pas avoir lieu à huis-clos, car j’avais déclaré que si cette éventualité devait se produire, je publierais, de mon côté, toutes informations utiles sur cette affaire.
Après mon rétablissement, j’ai passé un an environ en Italie et à l’étranger. En 1926, ou 27, on décréta une amnistie générale pour toutes les activités illégales des différents partis, pas seulement pour les incidents que nous avions soulevés, mais aussi pour les activités des gens de gauche et des paysans. Je pus retourner en Allemagne.
Je rencontrai à nouveau Adolf Hitler en 1927, pour la première fois, lors d’une entrevue de courte durée, à Berlin où il se trouvait à ce moment-là. Je n’avais pas d’activité dans le Parti à cette époque, mais je m’efforçais à nouveau de me créer une situation indépendante. Puis je n’eus pas de contact avec Hitler pendant plusieurs mois. Peu de temps avant les élections au Reichstag de mai 1928, Hitler me fit venir pour me dire qu’il voulait me présenter comme candidat aux élections du Reichstag. Il me demanda si j’étais d’accord. Je lui répondis affirmativement et lui dis que mon activité dans le Parti...
Une question : étiez-vous entre temps revenu aux SA ?
Non, je n’avais plus rien à faire avec les SA. Entre temps elles avaient été réorganisées et leur nouveau chef, von Pfeffer, tenait naturellement à garder sa situation et n’aurait pas aimé me voir entretenir des relations plus intimes avec les SA.
Donc, après 1923, vous n’aviez plus aucune fonction dans les SA ?
Mes fonctions actives dans les SA ont cessé en 1923. Ce n’est qu’après la prise du pouvoir, au moment où l’on créa ce qu’on a appelé les fonctions honorifiques, que j’obtins le grade le plus élevé dans les SA, à titre honorifique uniquement.
Mais je reviens en 1928. Je fus élu au Reichstag et à partir de ce moment, je me mis à parler dans le pays en qualité d’orateur du Parti.
Les SA avaient été reconstituées, je ne sais plus en quelle année ; elles n’étaient plus limitées à la Bavière mais s’étendaient sur tout le Reich.
Avaient-elles été interdites après 1923 ?
Oui, depuis 1923, les SA étaient interdites.
Quand l’interdiction a-t-elle été levée ?
Je ne sais pas, en tout cas à un moment où je n’étais pas encore retourné en Allemagne. De toute façon, les SA s’étaient étendues sur toute l’Allemagne ; elles étaient devenues absolument nécessaires, car les grands partis de cette époque avaient ce qu’on appelait des groupes de combat. Je me souviens de l’activité particulière exercée par le Front Rouge, réunion des groupes de combat communistes, notre ennemi le plus acharné, avec lequel nous avions continuellement des rencontres et qui, très souvent, essayait de disperser nos réunions. Il y avait aussi le Reichsbanner, organisation de la sociale-démocratie du parti démocrate. Il y avait le Stahlhelm, organisation de droite à tendance nationale et il y avait enfin nos SA, qu’il faut citer en même temps.
Je voudrais insister sur le fait qu’à cette époque-là les SA ont été très durement éprouvées. La plupart des membres des SA venaient de la masse ; c’étaient de petits employés ou des ouvriers, des hommes venus chez nous par idéalisme, qui assuraient leur service le soir, la nuit, sans aucune rétribution. Le seul mobile de leur activité était leur foi, leur amour de la patrie. Ils étaient souvent grièvement blessés. Un certain nombre d’entre eux fut abattu dans les rencontres. Ils étaient poursuivis par le Gouvernement Ils ne pouvaient pas devenir fonctionnaires et un fonctionnaire ne pouvait pas être SA. Ils étaient l’objet de pressions considérables.
Je voudrais particulièrement insister sur le fait que j’ai toujours eu le plus grand respect et la plus grande affection pour les hommes des SA, ces hommes qui n’étaient pas — ainsi qu’on l’a prétendu ici — décidés à faire quelque chose de cruel, mais qui étaient volontaires par idéalisme pour s’exposer eux-mêmes aux tâches les plus difficiles et aux vexations de toutes sortes et renonçaient à beaucoup d’avantages pour réaliser leur idéal.
Quelle a été votre position dans le Parti, entre 1928 et la prise du pouvoir par Hitler ?
Je n’exerçais aucune fonction dans le Parti Je n’ai jamais été dirigeant politique, ce qui est peut-être curieux, ni fait partie de la Reichsleitung ou autre organisme similaire. Au début, j’étais, comme je viens de vous le dire, membre du Reichstag, donc membre de la fraction du Parti au Reichstag. En même temps, j’étais orateur du Parti, c’est-à-dire que j’allais de ville en ville et j’essayais de faire tout ce que je pouvais pour répandre ses idées, le renforcer, gagner de nouveaux membres, les convaincre et, en particulier, j’essayais d’attirer chez nous les adhérents du marxisme et du communisme, de créer ainsi une assise populaire solide et non pas seulement de recruter des gens dans les milieux de droite, qui d’eux-mêmes étaient nationalistes.
A partir de 1932, vers le milieu de l’année, après avoir lutté au cours d’innombrables élections et participé aux campagnes où nous devions toujours à nouveau prononcer des discours, parfois trois au cours d’une soirée, ou même de la nuit entière, je fus élu président du Reichstag en ma qualité de membre du Parti ou, plus exactement, parce que le Parti y avait acquis la majorité et j’assumai ainsi une tâche politique d’ordre général. Peu de temps avant, à la fin de 1931, alors que je voyais que le Parti prenait une extension extraordinaire et s’accroissait encore, le Führer s’entretint un jour avec moi et me dit qu’il désirait volontiers, indépendamment d’une fonction dans le Parti, avoir un représentant capable de mener des discussions politiques. Celui-ci ne devait être lié par aucune fonction du Parti. Il me demanda si je voulais assumer cette tâche, d’autant plus qu’à cette époque, j’habitais la capitale. J’acceptai cette mission. Ce n’était pas une fonction, c’était plutôt une mission d’un caractère général. En quelques phrases, il me donna la liberté de traiter avec tous les partis, de l’extrême gauche communiste à l’extrême droite, afin d’entreprendre une action efficace d’union au sein du Reichstag ou d’autres mesures politiques appropriées. Naturellement, je reçus également la mission de travailler à l’élargissement et la pénétration de notre influence dans tous les milieux. A ces milieux appartenaient, ainsi que je l’ai déjà dit, l’industrie, les cercles religieux, etc. Étant donné que j’avais des liaisons avec tous ces milieux, il était évident que ma personne pouvait paraître particulièrement indiquée au Führer, car le Führer pouvait se fier à moi et il savait que j’étais capable de défendre de toutes mes forces les idées qui étaient les nôtres.
Lorsque je devins président du Reichstag, ma fonction fut particulièrement allégée de ce fait ; j’étais en quelque sorte autorisé, d’une manière légale, et même obligé de participer aux événements politiques. Si, par exemple, un gouvernement démissionnait au Reichstag ou était renversé lors d’un vote de défiance, ma fonction de président du Reichstag me dictait le devoir d’indiquer au Président du Reich, après avoir négocié avec les partis, quelles étaient, à mon avis, les possibilités d’une combinaison nouvelle de gouvernement. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président du Reich était obligé de me recevoir à tout moment dans ce but. Je pouvais donc réaliser une liaison étroite avec lui. Mais je voudrais insister sur le fait que cette liaison existait déjà auparavant. En effet, le Feldmarschall von Hindenburg acceptait toujours de me recevoir lorsque je lui en adressais la prière, car il m’avait connu pendant la première guerre mondiale.
Quelle part avez-vous prise à l’accession de Hitler au poste de Chancelier du Reich ?
Je voudrais d’abord ajouter quelque chose. Bien que je n’aie pas eu de fonction politique dans le Parti, malgré cela, naturellement, ma position y était devenue de plus en plus forte, particulièrement depuis la fin de 1931, depuis que je travaillais en relations de plus en plus étroites avec le Führer et que j’étais considéré comme son bras droit. Mais tout cela avait lieu sur la base d’une autorité normale et naturelle qui s’accrût considérablement après la prise du pouvoir.
Venons-en à ma coopération à la nomination de Hitler. S’il me faut l’expliquer au Tribunal, je dois d’abord faire un bref tableau de la situation. Dès la fin de 1931 ou au début de 1932, l’équilibre des partis s’est trouvé troublé au Parlement. Tout allait mal en Allemagne et il ne pouvait pas y avoir de majorité parlementaire stable. C’est à ce moment-là déjà que fut inauguré le Gouvernement, à coups de décrets-lois, en dépit de la Constitution.
Je voudrais rappeler ici que le Cabinet Brüning dut recourir sur une vaste échelle à ces décrets-lois et utiliser largement l’article 48 de la Constitution du Reich. Puis vint le Cabinet von Papen qui ne put non plus se fonder sur des majorités parlementaires plus solides et durables von Papen essaya pourtant, en son temps, de le faire ; il demanda aux nationaux-socialistes, qui constituaient à ce moment le parti le plus puissant, de s’unir aux autres partis pour former une telle majorité. Il fut alors question, von Papen ayant été nommé Chancelier du Reich par le Président, que Hitler devint Vice-Chancelier dans ce cabinet.
Je me souviens avoir déclaré à von Papen à ce moment que Hitler pourrait briguer tous les postes, mais jamais un poste de second plan. Chaque fois qu’il serait nommé quelque part, il faudrait que sa fonction soit au premier plan. Il était complètement insoutenable et inconcevable pour nous que notre Führer pût assumer quelque fonction secondaire. Nous aurions alors joué le rôle d’être gouvernés à rencontre de nos idées, ce qui était tout à fait impossible, et Hitler, en tant que représentant du parti le plus fort, aurait dû couvrir ces activités. Nous avons catégoriquement refusé d’accepter une telle proposition.
Je ne dis pas cela pour von Papen qui est assis avec moi sur le banc des accusés ; il sait que nous l’avons toujours personnellement respecté. Je lui ai dit à cette époque, après l’échec qu’il a essuyé en présentant cette demande, que non seulement nous ne soutiendrions pas son cabinet, mais que nous le combattrions avec les méthodes les plus énergiques, de même que nous combattrions tout gouvernement qui ne nous réserverait pas une influence prépondérante à la Chancellerie.
Je ne sais plus combien de temps dura le Gouvernement von Papen, mais nous en vînmes bientôt au conflit célèbre qui devait nous opposer, lui en tant que Chancelier du Reich et moi en tant que président du Reichstag ; c’est à ce moment-là qu’il fut dans mon intention de renverser le Gouvernement. Je savais que les communistes proposeraient une motion de méfiance à laquelle devait se rallier une grosse majorité. Il importait que ce vote de défiance fut acquis à tout prix, afin de montrer au Président du Reich qu’on ne pourrait pas gouverner avec de tels cabinets sans l’appui des masses. Je vis le portefeuille rouge et appris qu’il contenait l’ordre de dissolution, mais je laissai procéder d’abord au vote. Il y eut environ 32 voix pour von Papen, et environ 500 voix contre lui. Le Cabinet von Papen démissionna.
Jusqu’à présent, si je fais abstraction de la poussière des petits, tous les partis avaient déjà formé des cabinets. Tous les hommes disponibles s’étaient déjà présentés devant le peuple. Mais, de plus en plus, des silhouettes politiques s’agitaient dans les coulisses, en particulier l’ancien ministre de la Reichswehr, M. von Schleicher. Il n’y avait donc que deux possibilités : ou bien on tiendrait compte de la réelle proportion des forces et, selon la coutume, le chef du parti le plus important procéderait à des délibérations et serait chargé de former le cabinet, ou alors l’homme des coulisses, l’un des derniers qui restât, serait mis en avant. Et c’est ce qui arriva. M. von Schleicher devint Chancelier et, en même temps, ce qui est important, ministre de la Reichswehr. Il fut très clair à ce moment-là, non seulement pour nous mais aussi pour les autres partis, que le but poursuivi par von Schleicher était en définitive une dictature militaire, car von Schleicher avait beaucoup moins de sympathies personnelles que von Papen et ne pourrait pas réunir une majorité. J’avais négocié avec von Schleicher à ce sujet et je lui avais dit qu’il était encore possible, à ce moment-là, d’obtenir une majorité parlementaire. Il m’avait été possible, au cours d’entretiens, de rassembler des nationaux allemands, des nationaux-socialistes, le centre, le parti populaire allemand et quelques indépendants et de former une majorité. Je savais parfaitement qu’une telle majorité ne pouvait être que passagère, parce que les intérêts représentés étaient bien trop opposés, mais il m’était indifférent de savoir quel était le moyen qui amènerait notre parti au pouvoir. Si c’était au moyen de négociations parlementaires, très bien ; si c’était sur un appel du Président du Reich, rien de mieux.
Toutes ces négociations inquiétèrent M. von Schleicher, parce qu’il savait qu’il ne pourrait pas rester Chancelier Ce furent, de nouveau, les décrets-lois, les pleins pouvoirs. On peut donc dire que le Parlement, même avant notre prise du pouvoir, était déjà plus ou moins exclu.
J’ai alors immédiatement entrepris au Reichstag contre M. von Schleicher la même lutte, encore que plus violente, que celle que j’avais menée antérieurement contre M. von Papen. Entre temps, avait eu lieu l’élection présidentielle et des élections au Reichstag où nous avions perdu plusieurs sièges, après la dissolution du Cabinet von Papen. Nous passions de 232 à 196 sièges. Il y eut de nouvelles élections en janvier qui démontrèrent que la courte crise avait été surmontée et que le Parti prenait une extension extraordinaire qu’il n’avait jamais connue.
Un dimanche, le 22 janvier 1933 — le 30 était un lundi — j’assistais à Dresde à une grande manifestation politique quand, dans la matinée, je reçus un appel téléphonique du Führer qui me demandait de me rendre immédiatement en automobile à Berlin. Je le rencontrai l’après-midi et il me dit, ce que je savais déjà, que le Président du Reich n’était plus satisfait de Schleicher, qu’il voyait que du point de vue politique les choses ne pouvaient continuer ainsi, qu’on arrivait à une impasse et que le Président du Reich, de sa propre initiative, s’était rapproché de l’idée selon laquelle la responsabilité devait être accordée au parti le plus fort. On avait auparavant, d’une manière très adroite, fait une présentation erronée du Führer au vieux monsieur, qui s’était probablement offensé du mot de socialisme et éprouvait à son encontre une prévention du fait qu’il le comprenait dans un autre sens.
Bref, Hitler me révéla que je devais ce soir-là parler chez von Ribbentrop au fils du Feldmarschall. Devaient également être présents, je crois, M. von Papen et Meissner, ce dont je ne suis pas certain, qui était secrétaire d’État à la présidence du Reich. Le fils du Feldmarschall voulait se renseigner, au nom de son père, sur les possibilités d’attribution de la chancellerie à Hitler et la participation du parti aux responsabilités. Dans une longue conversation, j’ai déclaré au fils qu’il devait dire à son père que, d’une façon ou d’une autre, von Schleicher devait échouer. Je lui ai expliqué les nouvelles conditions d’une future majorité du Gouvernement ; j’ai ensuite appris le désir du maréchal de confier le titre de Chancelier à Adolf Hitler et de considérer son parti comme la base fondamentale d’un nouveau gouvernement si, à cette occasion, Adolf Hitler réussissait à unir les nationaux allemands et le Stahlhelm, car il voulait obtenir une base nationale claire. Il est vrai que le Stahlhelm n’était pas un parti parlementaire, mais il avait beaucoup de partisans. Les nationaux allemands, le parti de Hugenberg, constituaient un parti parlementaire.
Nous ne discutâmes pas plus avant ce soir-là Je dis au fils de Hindenburg qu’il pouvait assurer son père que, sans aucun doute, j’arriverais à réaliser ces intentions, et le Führer me confia la mission de mener les pourparlers, la semaine suivante, d’une part avec les partis, d’autre part avec le Président du Reich. Il y eut des difficultés ici et là. Je trouvais que...
L’audience est suspendue pendant dix minutes.
Vous traitiez de la question de votre coopération à la nomination de Hitler, au poste de Chancelier du Reich. Voulez-vous continuer ?
J’en étais arrivé à la dernière époque décisive. Les négociations étaient rendues difficiles du fait que le Feldmarschall von Hindenburg, Président du Reich, qui ne connaissait personnellement le Führer que par deux entretiens et qui n’avait pas encore surmonté sa méfiance envers lui, méfiance qui avait été inspirée et nourrie pendant des années sous l’influence de divers milieux, simplement parce qu’il ne le connaissait pas, avait exigé à ce moment de sévères restrictions. De cette manière, alors que nous représentions le parti le plus fort, qui avait à endosser devant le peuple la responsabilité des mesures à venir, nous aurions été limités et, comparativement à notre force, faiblement représentés dans ce gouvernement. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque l’Allemagne était arrivée au point le plus bas de sa décadence : 8.000.000 de sans-travail, tous les programmes avaient fait faillite, plus de confiance dans les partis, une très forte poussée du côté des gauches révolutionnaires, incertitude politique. Des mesures s’imposaient que le peuple attendait de nous, si nous parvenions au Gouvernement, et que nous devions défendre. C’est pourquoi la responsabilité à assumer constituait une très lourde charge en raison des restrictions politiques qui nous étaient imposées.
Première condition : le Président du Reich désirait, quelles que fussent les circonstances, que M. von Papen devint Vice-Chancelier dans ce cabinet. En dehors de sa personnalité sympathique, M. von Papen ne nous apportait rien. Derrière lui, il n’y avait pas de parti. Mais le Président du Reich exigeait, en outre, que M. von Papen assistât aux entretiens que le Führer, après sa nomination, ne manquerait pas d’avoir avec le Président du Reich. Cette exigence fut abandonnée très rapidement, par le Président du Reich lui-même. En second lieu, le Président du Reich exigeait que le ministère des Affaires étrangères, indépendant de tous les partis, fût occupé par M. von Neurath. M. von Neurath, lui non plus, en dehors de ses connaissances et de ses capacités, ne nous apportait rien en fait de pouvoir politique.
En troisième lieu, le poste de président des ministres de Prusse, qui a toujours été dans l’Allemagne d’après guerre le plus important après celui de Chancelier du Reich, devait également être occupé par M. von Papen Avant la guerre mondiale, comme on le sait, les postes de Chancelier du Reich et de président des ministres de Prusse étaient toujours confiés à la même personne, pour les raisons précédemment indiquées.
En quatrième lieu, le Président du Reich exigeait que le poste de ministre de la Reichswehr fût également occupé par une personnalité indépendante et par un soldat. Lui-même le choisit, sans aucune collaboration de notre côté, en la personne du général von Blomberg qui, à l’époque, se trouvait à Genève à la Conférence du Désarmement. M. von Blomberg n’était, à ce moment, connu personnellement ni du Führer, ni de moi-même.
Ainsi, les postes les plus importants et les plus décisifs étaient déjà occupés dans le cabinet par des personnalités sur le choix desquelles nous n’avions eu aucune influence. Au cours de la semaine, d’autres exigences furent formulées On demanda que le ministère des Finances fut occupé par le comte Schwerin-Krosigk ; c’était à nouveau un homme sans appui, d’aucun parti politique. Le ministère des communications fut donné à von Eltz. Même chose pour lui Le chef du Stahlhelm, Seldte, devait faire partie du cabinet. Le Stahlhelm était incontestablement un mouvement important, mais sans caractère politique, et qui n’était pas représenté par un seul député au Reichstag
En dernier lieu restait, en tant que véritable parti politique, le parti des nationaux allemands avec 36 voix, notre seul allié parlementaire, si je puis m’exprimer ainsi. Même là aussi, de grandes exigences furent formulées qui n’étaient nullement en rapport avec l’étroitesse de ce parti.
Bien que nous Eussions le parti le plus fort à ce moment-là, avec 232 sièges, nous reçûmes finalement, si mes souvenirs sont exacts, le poste de Chancelier du Reich évidemment. Le Dr Frick entra au cabinet comme ministre de l’Intérieur ; j’y entrai à mon tour en troisième lieu, d’abord avec la charge d’un commissariat du Reich à l’Aviation, un tout petit département au bas de la hiérarchie, une partie de la petite section Aviation existant au ministère des Communications. Mais je réussis à conserver ma charge de ministre de l’Intérieur de Prusse, donc du pays le plus important de l’Allemagne, car la Prusse était, à ce moment, la base de départ de la prise du pouvoir intérieur. C’était donc une affaire particulièrement difficile. Au dernier moment, la formation de ce cabinet fut menacée d’un échec par deux facteurs : le Führer avait demandé formellement que, peu après la nomination du nouveau cabinet, on procédât à de nouvelles élections au Reichstag. Il comptait bien que le Parti serait considérablement renforcé de ce fait et qu’ainsi il serait possible qu’il représentât, à lui tout seul, la majorité et pût ainsi former la plate-forme gouvernementale sur le plan parlementaire. Hugenberg nous manifesta une opposition absolue en tant que chef des nationaux allemands ; il savait que son parti disparaîtrait peu ou prou au cours de ces élections. Cinq minutes encore avant sa formation, le cabinet était encore en danger de ne pouvoir se constituer de ce fait. On doit au pur hasard le fait que le Président du Reich fit prêter serment aux nouveaux ministres : le cabinet était formé.
Le second danger était représenté par von Schleicher qui, par l’entremise de son homme de confiance, nous avait adressé le dimanche, au Führer et à moi-même, la proposition suivante : il voulait insister sur le fait que le Président du Reich n’était pas un facteur sûr pour le nouveau Gouvernement. Il était plus opportun, puisqu’il avait donné sa démission la veille, qu’il marchât avec nous, fît une coalition Reichswehr-NSDAP, et qu’on formât sur des bases qui n’avaient rien de parlementaires, un gouvernement nouveau. Le Führer, reconnaissant à juste titre que c’était impossible et que ses intentions n’étaient pas honnêtes, refusa.
Lorsque M. von Blomberg arriva à la gare, venant de Genève. le lundi matin, il reçut deux ordres, le premier de M. von Hammerstein, chef de l’État-Major de l’Armée et son supérieur, lui enjoignant de se rendre immédiatement chez lui, et le second, de Hindenburg, son Commandant en chef, lui demandant de se présenter chez lui également.
On était menacé à ce moment, ce que très peu de gens savaient, d’un putsch Schleicher-Hammerstein, avec la garnison de Potsdam. J’ai attiré l’attention du Président du Reich von Hindenburg, le dimanche soir, sur le fait que je viens d’indiquer, et c’est la raison pour laquelle M. von Blomberg fut nommé, deux heures avant la formation du reste du cabinet, au poste de ministre de la Guerre ou, plus exactement, de la Reichswehr, afin d’éviter toute usurpation de pouvoir de la part de la Reichswehr. A 11 heures du matin, le 30 janvier, le cabinet était formé et Hitler était nommé Chancelier du Reich.
D’après vous, le Parti a donc accédé légalement au pouvoir ?
Naturellement, le Parti a accédé d’une manière parfaitement légale au pouvoir car, d’après la Constitution, il a été appelé par le Président du Reich ; aux termes des lois en vigueur, il aurait même dû l’être bien avant. Il n’a obtenu sa puissance et n’a accédé au pouvoir que par le jeu des élections normales et des lois électorales alors existantes.
Quelles mesures prit-on pour fortifier le pouvoir après la nomination de Hitler ?
Il va de soi que, pour nous, si nous obtenions le pouvoir, nous étions décidés à le garder dans tous les cas et à tout prix. Nous ne voulions pas le gouvernement pour le pouvoir lui-même mais nous voulions le gouvernement et le pouvoir pour libérer l’Allemagne et la rendre grande. Nous ne voulions plus laisser cela au seul jeu du hasard, des élections et des majorités parlementaires, mais nous voulions mener à bien cette tâche pour laquelle nous considérions que nous avions été appelés.
Pour affermir ce pouvoir, il était nécessaire de transformer les rapports des pouvoirs politiques. Ce résultat fut acquis de telle sorte que, peu après la prise de pouvoir dans le Reich et en Prusse, les autres pays suivirent automatiquement, et que des gouvernements nationaux-socialistes plus ou moins forts furent formés partout. Puis, comme il est de coutume partout, les fonctionnaires politiques qui, d’après la Constitution du Reich, pouvaient être mis à la disposition, c’est-à-dire révoqués, devaient être remplacés dès lors par des hommes appartenant au parti le plus fort.
A propos de cette légalité, c’est-à-dire à propos du fait que nous avions légalement pris possession du pouvoir, je voudrais souligner tout particulièrement deux moments :
En premier lieu, entre 1925 et 1932, pas moins de trente élections au Reichstag, au Landtag et à la Présidence eurent lieu en Allemagne. Pour une seule élection au Reichstag, 37 partis avaient présenté des candidats ; voilà qui explique la constitution d’une coalition qui établit le soi-disant gouvernement de la majorité et la constitution d’une autre coalition qui forme l’opposition, chacune avec des points de vue entièrement différents. Je me souviens d’une opposition formée principalement de communistes et de nationaux-socialistes, par exemple, et du fait qu’un petit parti ayant huit députés pouvait faire pencher la balance ; au cours de deux lectures d’une loi — une loi d’importance capitale avait trois lectures — il votait contre le Gouvernement et pouvait alors s’assurer des avantages politiques et matériels substantiels, pour permettre à la loi de passer à sa troisième et décisive lecture. Voilà encore un exemple qui donne une idée de la situation.
La seconde chose que je voudrais tout particulièrement souligner, en ce qui concerne la légalité de notre prise du pouvoir, est la suivante : si en Allemagne le système démocratique des élections anglaises ou américaines avait été en vigueur, le parti national-socialiste allemand aurait déjà obtenu, sans exception, tous les sièges du Reichstag dès 1931 et ce, tout à fait légalement, car dans tous les arrondissements d’Allemagne, dès 1931 déjà, ou au plus tard début 1932, le parti national-socialiste était le plus fort ; c’est-à-dire que d’après le système des élections anglaises et américaines, tous les autres partis plus faibles auraient été balayés et nous n’aurions eu exclusivement à partir de ce moment que des nationaux-socialistes dans le Reich, d’une façon parfaitement légale, en vertu des principes démocratiques des deux plus grandes démocraties.
Comme il est de coutume dans d’autres pays, lorsqu’une nouvelle répartition des forces a lieu entre les partis politiques, nous avons dû changer les titulaires des différentes fonctions principales. A côté des ministres, il y avait principalement — je prends la Prusse comme exemple — les présidents des provinces, les présidents des districts administratifs, les présidents de Police, les conseillers généraux et je crois également que les directeurs ministériels et les procureurs généraux étaient des fonctionnaires politiques. Voilà donc tracé en gros le cercle des postes qui furent occupés à l’occasion du revirement politique et qui avaient autrefois été partagés entre les partis de la majorité. Mais, à l’inverse de ce qui s’est passé dans d’autres pays, nous ne sommes pas descendus jusqu’au facteur. Nous avons opéré ces mutations et ces changements, mais uniquement dans les fonctions importantes.
Malgré cela, nous avons d’abord fait très peu de choses en ce sens. En premier lieu, j’ai prié M. von Papen et ai exigé de lui qu’il me laissât le poste de président des ministres de Prusse, car du fait qu’il n’avait pas de parti derrière lui, il ne pouvait guère entreprendre ces mutations ; il n’y avait que moi ou l’un de nous qui pût y procéder. Nous sommes tout de suite tombés d’accord. A la suite de cela, j’installai des nationaux-socialistes dans une partie, relativement faible, des postes de président des provinces de Prusse. J’ai été très généreux et pendant quelques semaines j’ai même laissé des sociaux-démocrates en fonction. J’occupai quelques postes importants de provinces avec des personnalités catholiques qui étaient plus près du parti du centre que nous. Mais lentement et peu à peu, au cours des années, il ne pouvait naturellement pas en être autrement, ces fonctions furent occupées par des nationaux-socialistes, pour autant qu’il s’agissait des présidents généraux, qui correspondaient déjà au cadre des Gaue politiques. Jusqu’à la fin, les chefs de districts restèrent pour partie nationaux-socialistes, pour partie simples fonctionnaires. La même remarque vaut pour les conseillers généraux.
Quant aux présidents de Police, je voudrais expliquer au Tribunal qu’ils n’avaient tout d’abord rien à voir avec la Gestapo. Le président de Police était, dans les grandes villes, ce qu’était le conseiller généra] à la campagne, du moins en partie. Jusqu’à la prise du pouvoir, ces postes de présidents de Police ont été occupés par des membres des partis les plus importants. Je trouvais donc des sociaux-démocrates en fonction qui, avec la meilleure volonté, n’auraient pu continuer indéfiniment à rester nos adversaires : c’eût été absurde ; j’ai dû faire occuper ces postes en partie par des nationaux-socialistes, mais en partie également par des gens qui n’avaient rien à voir avec notre Parti. Je rappelle que le poste le plus important de Police de tout le Reich, celui de Berlin, était occupé par l’amiral von Levetzow qui n’appartenait pas au Parti. Quelques-uns de ces postes furent occupés par d’anciens chefs SA.
Vint alors le renforcement du pouvoir auquel nous tenions énormément, car il devait être la base de notre travail ultérieur et nous donner une influence plus forte dans le Cabinet du Reich. De nouveaux nationaux-socialistes furent nommés ministres ; de nouveaux ministères furent créés ; toute une série de lois fondamentales nouvelles fut votée. Quiconque s’était occupé un tant soit peu de la situation allemande, que ce soit à l’étranger ou à l’intérieur, savait très bien qu’il ne pouvait subsister le moindre doute sur le fait que nous devions, aussi vite que possible, en finir avec le parti communiste. C’était une conséquence absolument nécessaire ; ce parti devait être interdit. Nous étions convaincus que si le parti communiste, qui était le plus fort après le nôtre, avait obtenu le pouvoir, il n’aurait certainement pas pris de nationaux-socialistes dans son cabinet, ni ne les aurait tolérés nulle part. Nous savions que nous aurions été éliminés d’une manière complètement différente.
Un autre point, dans ce renforcement du pouvoir, était l’élimination du Reichstag en tant que Parlement, du moins pendant la durée de la réorganisation, en raison de l’influence croissante qui avait été la sienne jusque là. Nous y parvînmes par le seul fait que nous avions obtenu la majorité absolue aux dernières élections. Nous demandâmes aux anciens partis de se dissoudre d’eux-mêmes, puisqu’ils n’avaient plus de raison d’être et nous avons procédé à la dissolution de ceux qui ne voulaient pas suivre ce conseil. Je veux parler du parti communiste et du parti social-démocrate. En plus de cela, nous voulions satisfaire une vieille aspiration du peuple allemand qui ne consistait pas seulement, comme c’avait été le cas jusqu’à présent, à former le cadre extérieur d’un Reich, mais à devenir finalement et réellement un Reich uni allemand. L’affermissement de la pensée et de la souveraineté du Reich dans les innombrables pays a servi ce but. S’il était déjà bien difficile autrefois pour un fervent patriote allemand, avant la première guerre mondiale, de vivre en bonne intelligence avec une foule de menus princes, il était plus difficile encore de le faire avec ceux qui avaient pris leur place, car au lieu d’une petite volonté, on trouvait les situations les plus variées liées aux différents partis. Il y avait sur cette base une majorité dans le Reich, une autre en Bavière, une autre en Prusse, une autre encore toute différente dans le pays de Hesse. Il n’était pas possible ainsi d’obtenir la souveraineté du Reich et de construire un Reich qui connût à nouveau la grandeur.
C’est pour cette raison que j’avais proposé au Führer de dissoudre en fait et d’éliminer les parlements des pays. J’ai commencé en Prusse, avec cette dissolution des parlements qui me paraissaient inutiles car l’idée de souveraineté du Reich excluant la souveraineté des pays, s’était déjà développée auparavant. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi tant de pouvoirs différents devaient exister, qui ne faisaient qu’ergoter, se heurter et empêchaient tout travail positif. Cependant, malgré mon violent désir de voir et de créer un Reich fort et uni, j’ai toujours — et il en était de même pour le Führer — demandé qu’à l’intérieur du pays, dans les Gaue allemands, la vie culturelle fût respectée en accord avec la tradition locale. Ce qui signifie que tous les vieux centres de culture comme Munich, Dresde, Weimar, etc., devaient continuer à exister et à être soutenus.
Pour renforcer en outre notre pouvoir, on créa des décrets-lois qui excluaient tout obstacle au progrès : telle sur la base du paragraphe 48, la loi qui abolissait les soi-disant libertés. Le contenu de ces libertés est très discuté. On promulgua la loi sur la protection du peuple et de l’État : cette loi était absolument nécessaire. Dans les années qui précédèrent, on avait interdit beaucoup de choses qui avaient l’apparence d’une activité nationale : mais il était permis de diminuer d’une façon insensée le peuple allemand, l’histoire allemande, l’État allemand et tous les symboles qui étaient sacrés pour un patriote et qui n’étaient protégés d’aucune façon.
Sous le signe de cette coordination, de cette Gleichschaltung, qui prit naissance à cette époque, on vit se développer des activités inutiles et excessives. C’était normal, car après la prise du pouvoir, tout le mouvement se développa d’une façon révolutionnaire, non pas dans l’esprit d’une révolution telle que la Révolution française ou la grande Révolution bolchevique, c’est-à-dire dans le sens des grandes luttes, des effusions de sang et des tribunaux révolutionnaires qui assassinèrent des centaines de milliers d’hommes, mais tout de même dans le sens accusé de l’unification de l’État, le Parti et le national-socialisme servant de principes de base et d’évolution.
Cette coordination, cette Gleichschaltung, dont je viens de parler, toucha absolument à tout, mais lors de glandes transformations politiques on dépasse quelquefois le but visé Personnellement, je ne croyais pas nécessaire que tout élément devînt national-socialiste, et si je puis m’exprimer catégoriquement et d’une façon mesquine, que chaque club ou petite organisation eût un président national-socialiste ; mais les choses politiques fondamentales et décisives devaient de plus en plus être le reflet de notre opinion, car c’était une condition absolue de la réorganisation, de l’établissement et du renforcement du Reich.
Une consolidation supplémentaire qui n’intervint qu’après la mort du Président du Reich, von Hindenburg, en 1934, se manifesta par la réunion du chef de l’État et du Chancelier du Reich dans la même personne. Je voudrais préciser à ce sujet que j’ai eu à cette occasion une longue conversation avec le Führer. On discuta d’abord pour savoir si Hitler devait assumer les fonctions de chef d’État, et si je devais prendre moi-même la Chancellerie. Mais, avec le tempérament et le comportement du Führer, il était inconcevable que ce dernier, qui trônait au-dessus des nuages politiques, n’apparût que comme chef d’État. Il était un chef politique dans tout le sens du terme et un chef de gouvernement. Et la pensée de le remplacer par quelqu’un qui ne fût qu’un homme de paille nous apparaissait indigne de la situation.
Le Führer me dit alors que le plus simple consistait à prendre l’exemple des États-Unis d’Amérique, où le chef de l’État est également chef du Gouvernement. Et, à l’exemple des États-Unis, nous avons réuni, après l’avoir expressément déclaré, les fonctions de chef de l’État et de chef du Gouvernement : Hitler devint alors le Führer du peuple allemand et le Chancelier du Reich allemand.
Qu’il devint automatiquement de ce fait Commandant suprême de la Wehrmacht était, d’après la constitution en vigueur et également d’après l’ancienne constitution, une chose tout à fait naturelle, comme c’était également le cas dans d’autres États.
Voilà les grandes lignes de cette évolution, abstraction faite de développements ultérieurs qui auront à être traités lors de ma déposition, par exemple l’établissement des pouvoirs de Police, élément fondamental de la consolidation du pouvoir, etc.
Voici ma conclusion :
D’abord, il est exact — je ne puis cependant parler que pour moi-même — que j’ai tout fait, tout ce qui était en mon pouvoir personnel, pour renforcer le mouvement national-socialiste, pour lui donner de l’ampleur ; j’ai travaillé inlassablement pour que ce mouvement obtienne le pouvoir à tout prix et l’obtienne seul.
En second lieu, j’ai tout mis en œuvre pour faire obtenir au Führer le poste de Chancelier du Reich qui lui était dû.
En troisième lieu, quand j’examine mes actes, je crois que je n’ai rien laissé de côté pour renforcer notre pouvoir afin qu’il n’eût pas à plier devant les circonstances du jeu politique ou des entreprises de force. Au contraire, dans la campagne de réorganisation, notre parti devait devenir le seul facteur de puissance qui, comme nous l’espérions, devait conduire et conduisit en effet le Reich à un grand développement.
Quelles fonctions avez-vous occupées après la prise du pouvoir ?
J’ai d’abord été président du Reichstag ; je l’étais déjà avant et je le restai jusqu’à la fin. Dans le Cabinet du Reich, j’obtins d’abord le poste de ministre et Commissaire du Reich à l’Aviation — et non à la Luftwaffe. Je voudrais ajouter, entre parenthèses, que dès le début je savais que nous devrions construire une Luftwaffe. En Prusse, j’obtins le poste de ministre de l’Intérieur de Prusse, auquel s’ajouta, le 20 avril 1933, celui de président des ministres de Prusse. Le commissariat à l’Aviation devint très rapidement le ministère de l’Aviation, dès mars 1933. S’y ajoutèrent quelques autres fonctions très peu importantes telles que président du Conseil d’État, mais ce qui importait à cette époque c’étaient les deux fonctions de président des ministres de Prusse et ministre de l’Aviation- Dès le début de 1934, j’abandonnai au ministre de l’Intérieur du Reich le ministère de l’Intérieur de Prusse. C’était un renforcement du pouvoir et la base essentielle d’un gouvernement normal du Reich : les ministères de Prusse devaient être réunis avec ceux du Reich entre les mains des mêmes personnes. Ce n’est qu’ainsi que les ministres du Reich pouvaient recevoir les informations pratiques sur le travail politique journalier et sur le travail des différents départements. Cette concentration seule offrait cette possibilité.
En votre qualité de ministre de l’Intérieur de Prusse, vous aviez créé la Gestapo et les camps de concentration dont il a été si souvent question ici ? Quand et dans quel but ces organismes furent-ils créés ?
J’ai indiqué tout à l’heure que, pour renforcer le pouvoir, la première condition était de renouveler cet instrument qui, de tous temps et dans tous les États, a été l’instrument du pouvoir intérieur, à savoir : la Police.
Il n’y avait pas de police du Reich, mais uniquement des polices des pays. La plus importante était la police de Prusse. Les politiciens qui nous avaient précédés et les anciens partis avaient déjà noyauté cette police avec leurs créatures, suivant leurs opinions politiques. J’ai cité les postes influents de président de police, de chefs principaux de la police, des services de police qui avaient été pourvus de cette manière.
Dans les services extérieurs, je trouvai donc encore nos adversaires les plus acharnés qui, nantis de leurs pouvoirs de police, nous avaient toujours combattus. Un changement presque insensible avait eu lieu avant moi, au moment où le gouvernement social-démocrate de BraunSevering céda le pas au gouvernement de von Papen. A ce moment, les adversaires les plus acharnés avaient été éliminés de cette police. Toutefois, les postes les plus importants étaient encore occupés par des adversaires politiques absolus. Je ne pouvais donc pas m’attendre à ce que ceux qui, hier encore, avaient voulu avec une particulière énergie se servir de la police contre nous, fussent aujourd’hui disposés à servir le nouvel État avec la même loyauté.
Avant notre époque, il y avait également une police politique en Prusse. C’était le service de police la. Son travail consistait à surveiller et combattre le national-socialisme et pour partie également le communisme. J’aurais donc pu mettre de nouveaux agents dans cette police politique et lui laisser sa vieille dénomination. Mais la situation était devenue différente du fait de la prise du pouvoir car, à l’époque, comme je l’ai déjà dit, le parti communiste était extraordinairement fort. Il avait plus de 6000000 d’électeurs et possédait dans ses unités du Front Rouge un instrument de pouvoir révolutionnaire au premier chef. Il était très naturel pour le parti communiste de penser que si nous restions plus longtemps au pouvoir, il finirait par perdre le sien. Le danger était là. Il faut se reporter à cette époque de tension politique, d’atmosphère de conflits créée par les partis adverses ; tout cela pouvait mener à des attaques révolutionnaires du parti communiste, d’autant plus que, même après la prise du pouvoir, les meurtres et les assassinats politiques de nationaux-socialistes et d’agents de police ne cessèrent pas. Ils s’accrurent même. Et les informations que je recevais étaient telles que je redoutais au plus haut point un mouvement soudain dans ce sens. Je ne pouvais donc pas lutter contre ce danger, avec l’organisme tel qu’il existait. Je n’avais pas besoin d’une police politique sûre seulement dans les services centraux, mais également dans les différentes branches externes. Il me fallait aussi développer cet instrument. Pour déterminer dès le début que la tâche de cette police était la sécurité de l’État, je l’appelai : Police secrète d’État et créai au même moment différentes branches dans cette police. J’y pris bon nombre de fonctionnaires éloignés de la politique et uniquement pour leur connaissances techniques ; au début, je choisis très peu de fonctionnaires provenant du Parti, m’attachant d’abord à leur expérience professionnelle. s Je voulais également que cette police s’occupât exclusivement de la sécurité de l’État et de la surveillance des ennemis de l’État. Le chef de cette police, que j’avais en vue, n’était pas non plus membre du Parti, mais il provenait de l’ancienne police. Il s’y trouvait déjà. C’était l’ancien Oberregierungsrat et, plus tard, conseiller ministériel Diels. De même, les principaux chefs de la Gestapo étaient des fonctionnaires qui n’appartenaient pas au Parti. Ultérieurement, évidemment, les éléments du Parti y vinrent de plus en plus nombreux. Leur mission consistait en premier lieu à mettre sur pied aussi vite que possible les moyens de sécurité contre toute action de la gauche. Je savais — ce qui fut confirmé plus tard — que la Maison des communistes à Berlin, le « Lieb-knecht-Haus » était extrêmement fortifiée et contenait beaucoup d’armes. Nous avons également découvert à ce moment des relations entre la Représentation commerciale russe et le parti communiste allemand. Bien que j’aie d’un coup arrêté des milliers de fonctionnaires communistes, afin de parer dès le début au danger immédiat, le danger lui-même n’était en aucune façon conjuré. Il fallait agir contre le réseau des associations secrètes et les tenir constamment en observation ; pour cela il fallait qu’une police fut spécialisée.
Le parti social-démocrate, du moins en ce qui concernait ses membres, ne me semblait pas, de loin, aussi dangereux ; mais, évidemment, il était formé d’adversaires absolus de notre nouvel État. Certains de ses fonctionnaires étaient plus radicaux que d’autres. Les radicaux étaient également surveillés. Tandis que beaucoup d’anciens ministres ou hauts fonctionnaires sociaux-démocrates étaient simplement révoqués et obtenaient une pension de retraite, sans avoir jamais été inquiétés, il y avait d’autres fonctionnaires du parti social-démocrate qu’il fallait surveiller très étroitement. C’est ainsi que la Police secrète d’État a été créée par mes soins, d’abord en Prusse, car les autres États n’étaient pas sous mon contrôle à cette époque.
L’organisation de l’autre police importe peu ici, je crois.
Les camps de concentration ?
Quand le besoin se fit sentir de créer de l’ordre avant tout et de supprimer les plus dangereux éléments de désordre dirigés contre nous dans le nouvel État, je pris la décision d’arrêter par surprise les fonctionnaires et chefs communistes. Je fis dresser une liste et je savais qu’en n’arrêtant que les plus importants et les plus dangereux, cela représenterait quand même plusieurs milliers, car il n’était pas seulement nécessaire de saisir les fonctionnaires du parti, mais également ceux des formations du Front Rouge, car les communistes avaient également des associations affiliées.
Ces arrestations eurent lieu pour des raisons de nécessité et de sécurité de notre État. Il s’agissait d’éliminer un danger. Pour cela, une seule possibilité : celle de l’arrestation de protection. Peu importe si on avait déjà prouvé que ces personnes étaient coupables d’une action de haute trahison ou s’il fallait seulement s’y attendre de leur part. Il fallait la prévenir par cette arrestation de protection Tout cela n’avait rien de nouveau et ce n’était pas une invention nationale-socialiste. De semblables mesures d’arrestations de protection étaient pratiquées auparavant dans l’ancien Reich, en partie contre les communistes et en partie contre nous, les nationaux-socialistes. Les prisons n’étaient pas à notre disposition dans ce but et je voudrais insister sur le fait qu’il s’agissait là d’un acte politique de défense en vue de la protection de l’État.
C’est pourquoi je prétendais que ces hommes devaient être internés dans des camps — on proposa un ou deux camps à ce moment — parce que je ne pouvais pas savoir combien de temps cette arrestation s’avérerait nécessaire. J’ignorais aussi le nombre des intéressés susceptibles d’être découverts au cours des actions entreprises contre le parti communiste. Lors de l’occupation de la maison Karl Liebknecht, nous avions trouvé tellement d’armes, de matériel et de préparatifs pour une guerre civile, que nous ne pouvions pas encore prévoir les conséquences du développement. J’ai déjà indiqué — et c’est naturel — qu’en ces périodes de tension politique, comme il en existait une entre les deux ailes extrémistes en Allemagne, et au moment où l’âpreté de l’opposition politique entraînait des combats de rues continuels, que la situation pour les internés ne serait en tout cas pas très agréable. J’avais donné des instructions pour que la surveillance fût faite, autant que possible, par les forces de police. Si elles ne devaient pas suffire, des forces auxiliaires devaient alors être demandées. J’ai pris position sur la question des camps de concentration, mais je voudrais faire remarquer que] le nom de camp de concentration n’a pas été inventé par nous ; il est apparu dans la presse étrangère ; nous n’avons fait que le reprendre. L’origine de ce nom relève plutôt de l’Histoire. Fin 1933, dans un livre que je fis d’abord paraître en anglais, sur le désir d’un éditeur anglais, et qui a déjà été produit ici par le Ministère Public, j’ai parlé très ouvertement et donné mon opinion ; c’était en 1933. J’insiste ; je le dis encore une fois, c’était pour l’étranger, pour les pays de langue anglaise ; j’ai dit la phrase suivante :
« Naturellement, au début, il y eut des excès. Cà et là, naturellement, des innocents furent touchés. Naturellement des brutalités furent exercées et il y eut des actes de cruauté Mais, comparé à tout ce qui avait eu lieu dans le passé et considérant l’importance de ce qui se passait, cette révolution pour la liberté allemande est la moins sanglante et la plus disciplinée de toutes les révolutions connues dans l’Histoire. »
Avez-vous surveillé le traitement des prisonniers ?
Naturellement, j’ai donné des instructions pour que de telles choses soient supprimées. Cela a plus ou moins eu lieu, évidemment, je viens de le dire. J’ai toujours indiqué que ces faits ne devaient pas avoir lieu, parce que je voulais qu’une partie de ces hommes fût gagnée à notre cause.
Avez-vous agi, lorsque vous avez eu connaissance de ces excès ?
Je ne me suis occupé des camps de concentration que jusqu’au printemps 1934 ; il y en avait deux ou trois en Prusse. Le témoin Körner a déjà mentionné le cas de Thälmann. Je voudrais en parler brièvement car c’est le plus important, étant donné que Thälmann était le chef du parti communiste. Je ne puis plus indiquer aujourd’hui qui m’a fait remarquer que Thälmann avait été frappé. Sans avoir été informé par la voie hiérarchique et par les services compétents je l’ai fait venir immédiatement chez moi, dans mon bureau, et je l’ai questionné en détail. Il m’a dit qu’au début surtout, il avait été frappé au cours d’interrogatoires. Comme le témoin qui assistait à l’entretien l’a déjà dit, j’ai alors dit à Thälmann que je le regrettais et j’ai même ajouté : « Mon cher Thalmann, si vous aviez eu le pouvoir, vous ne m’auriez pas frappé, mais vous m’auriez immédiatement coupé la tête », et il a acquiescé. Je lui ai dit ensuite qu’à l’avenir si quelque acte du même genre se reproduisait contre lui ou contre d’autres, il devrait me le communiquer immédiatement. Je ne pouvais pas être toujours là, mais ce n’était pas par ma volonté que ces actes de cruauté avaient été commis.
Pour expliquer ce cas, qui était un cas typique, je veux insister sur le fait que, plus tard, la femme de Thälmann vint me demander du secours et que j’ai répondu immédiatement à sa lettre. J’ai, à ce moment-là également, et je pourrai le prouver, financièrement aidé des familles d’internés autant qu’il fut nécessaire.
A cette occasion, je voudrais citer les camps de concentration « officieux », dont on a parlé et qui tombent sous le coup du redressement des abus. Tout d’abord, je les ai ignorés ; puis on m’a cité un tel camp dans les environs de Stettin. Il avait été créé par Karpfenstein, ancien Gauleiter de Poméranie. J’ai immédiatement fermé ce camp. Mon avocat se souviendra que, indépendamment de moi, il a reçu à ce sujet, pendant le Procès, des renseignements d’un interné que je ne connaissais pas du tout, J’ai fait poursuivre par le procureur général les coupables qui s’étaient permis des actes de cruauté et les ai fait traduire devant un tribunal, ce qui peut être prouvé. Karpfenstein fut expulsé du Parti.
Un second camp fut découvert à Breslau ; il avait été créé par Heines. Je ne sais pas ce qui s’y est passé. En tout cas, c’était un camp que je n’avais pas autorisé. Je l’ai immédiatement fermé, dissous. Heines était un des collaborateurs les plus intimes de Röhm, dont je parlerai ultérieurement.
Autant que je me souvienne, je ne puis plus indiquer l’endroit exact des environs de Berlin où existait un autre camp de concentration non autorisé, institué secrètement par le chef des SA de Berlin, Ernst, que j’ai toujours soupçonné d’actes de cruauté. Il a également été fermé et Ernst était l’un de ces personnages troubles qui furent éliminés lors du putsch de Röhm. Nous avons la possibilité d’interroger des internés des camps de concentration de cette époque — 1933, début 1934 — afin de savoir si, à ce moment, se passait ce qui eut lieu ultérieurement.
Avez-vous, après la consolidation du pouvoir, libéré beaucoup de prisonniers internés et à quel moment ?
Pour les fêtes de Noël 1933 j’avais ordonné que fussent libérés les cas les moins dangereux ou ceux dont on avait l’impression qu’ils s’étaient adaptés à leur situation nouvelle. Je crois qu’on avait déterminé le chiffre de 5.000. Je répétai ce geste en novembre 1934, avec 2.000 internés. J’ insiste sur le fait qu’il ne s’agissait que de la Prusse. A ce moment, si mes souvenirs sont exacts, mais je ne puis le dire exactement, un camp fut dissous ou du moins provisoirement fermé. C’était à une époque où personne ne soupçonnait que les camps deviendraient l’objet d’une enquête judiciaire internationale.
Pendant combien de temps avez-vous dirigé la Gestapo et les camps de concentration et jusqu’à quelle date ?
De facto, j’exerçai cette direction jusqu’au début de 1934. C’est-à-dire que, jusqu’au début de 1934, Diels en fut le chef ; il m’exposait tout ce qui se passait dans la Gestapo et dans les camps de concentration. Entre temps s’était organisé autour de la Prusse un groupement de la police, du fait que Himmler était devenu le chef de la Police de tous les autres pays d’Allemagne, excepté de la Prusse. Il avait alors, probablement en s’inspirant de mes mesures, créé des Polices secrètes d’État, car les polices étaient encore une question de pays et non pas d’État. Il y avait la police bavaroise, wurtembergeoise, badoise, saxonne, etc. Il était devenu le chef de toutes ces polices et il désirait naturellement diriger la police de Prusse. J’étais à cette époque très content de Diels et, à mon point de vue, je ne voyais pas la nécessité d’apporter un changement.
Ces projets se réalisèrent dès la fin de l’été 1933, peu après que j’eus transmis le ministère de l’Intérieur de Prusse au ministère de l’Intérieur du Reich En 1934, Himmler intrigua auprès du Führer, après ce précédent, pour qu’il lui permît de prendre en mains la police de Prusse. A cette époque, je ne m’y opposai pas expressément. Cela ne m’était pourtant pas agréable. Je voulais diriger moi-même ma police. Mais lorsque le Führer m’en pria et me dit que ce serait juste et opportun et qu’il était nécessaire de poursuivre dans tout le Reich, l’ennemi de la même façon, je donnai de facto la direction à Himmler, qui fit appel lui-même à Heydrich Mais je la gardai de jure, parce qu’on n’avait pas encore institué de police du Reich.
Le reste de la police, la Police d’État, la police unifiée, ne lui fut pas transmise directement à cette époque parce que cette police, en grande partie, comme je l’expliquerai plus tard, était organisée militairement en Prusse, afin de l’intégrer dans le réarmement ultérieur. Pour cette raison, je ne pouvais pas et ne désirais pas lui donner la police en uniforme, car elle était dressée et instruite par mes soins et sous ma responsabilité, d’après des principes purement militaires, et n’avait rien à voir avec la police directe ; je la fis passer, en 1935, dans le cadre de la Wehrmacht.
En 1936, on promulgua la loi de la Police du Reich et, du même coup, on créa le chef de la Police allemande. En vertu de ce texte, la Police fut remise, de jure et de facto, entre les mains du Reichsführer SS Himmler ou, comme on l’appela, au chef de la Police allemande, ou quelque chose d’approchant
Vous avez fait allusion tout à l’heure au putsch de Röhm. Qui était Röhm et de quoi s’agissait-il lors de ce putsch ?
Röhm était devenu chef des SA, chef d’État-Major des SA.
Je crois qu’il est temps de lever l’audience.