QUATRE-VINGT-UNIÈME JOURNÉE.
Jeudi 14 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
On a employé ici à plusieurs reprises le terme de Reichsforschungsrat. Quelle était cette institution ?
Je crois que ce fut en 1943, lorsque je reçus l’ordre de centraliser toutes les recherches allemandes, surtout celles qui étaient d’une importance urgente pour la conduite de la guerre. Malheureusement cette centralisation se fit beaucoup trop tard. Il importait d’éviter des recherches parallèles et des recherches inutiles ; et il fallait au contraire concentrer toutes les recherches sur les problèmes importants pour la conduite de la guerre. Je devins moi-même président de ce Conseil des recherches du Reich, et donnai les directives en vue de ces recherches que je cherchais à centraliser, comme je viens de le dire.
Ce conseil avait-il quelque rapport avec le Service de recherches de la Luftwaffe ?
Non, le Service de recherches de la Luftwaffe était tout autre chose et il n’avait rien à voir ni avec la recherche ni avec l’Aviation. L’expression était un terme de camouflage, car au moment de la prise du pouvoir il régnait une certaine confusion dans le secteur technique du contrôle des renseignements importants. C’est pourquoi j’ai créé le Service de recherches, c’est-à-dire un service qui centralisait tous les procédés techniques de contrôle, contrôle du téléphone, de la radio, du télégraphe, etc. et de tous les autres moyens de communications techniques. Comme je n’étais alors que ministre des transports aériens du Reich, je ne pus installer ces services que dans mon ministère et je choisis cette désignation de camouflage. Cet organisme nous servait surtout pour surveiller les missions étrangères, les personnalités importantes qui téléphonaient, télégraphiaient ou envoyaient des messages par radio à l’étranger, comme il est de coutume dans tous les pays, de déchiffrer les messages et de transmettre les renseignements recueillis aux services compétents. Ce service n’avait pas d’agents, pas de service d’espionnage et n’était qu’un service purement technique qui surveillait les émissions, les télégrammes, les conversations téléphoniques, quand il en recevait l’ordre, et transmettait les renseignements aux services intéressés.
Je peux souligner ici que j’ai lu de nombreuses communications de M. Messersmith qui ont joué un rôle ici Il fut un moment la principale source de ces renseignements.
Quels étaient le but et l’importance du Conseil secret de cabinet qui fut créé quelque temps après la prise du pouvoir ?
Au mois de février 1938, le ministre de la Guerre, le maréchal von Blomberg, fut mis à la retraite. A la même époque, à la suite de circonstances particulières, le Commandant en chef de l’Armée, le Generaloberst von Fritech, démissionna également ou, plus exactement, fut renvoyé par le Führer. Mais le Führer considérait que la coïncidence de ces deux départs pouvait porter préjudice à la Wehrmacht aux yeux de l’étranger. C’est pourquoi le Führer voulait faire une diversion et détourner l’attention de ces mutations dans la Wehrmacht par un remaniement général. Il voulait surtout provoquer un changement de titulaire du ministère des Affaires étrangères car seul ce changement serait noté de façon importante à l’étranger et pourrait détourner l’attention des affaires militaires. J’ai alors exprimé assez violemment l’opinion opposée. Au cours de longues et fatigantes conversations, je le priai instamment de ne pas changer le titulaire du poste de ministre des Affaires étrangères, mais il crut devoir insister.
Alors se posait la question : que faire après le départ ou le déplacement de M. von Neurath ? Le Führer désirait à tout prix garder au cabinet M. von Neurath, qu’il estimait beaucoup. Personnellement, j’avais toujours marqué la plus grande estime à M. von Neurath. Je soumis au Führer un projet, que j’avais conçu moi-même, pour éviter une diminution de son prestige à l’étranger. Je lui proposai, pour montrer du moins aux étrangers que M. von Neurath n’était pas complètement retiré de la politique étrangère de le nommer président du Conseil secret de cabinet. Ce conseil n’existerait pas, mais l’expression était assez jolie et tout le monde pouvait s’imaginer qu’il y avait quelque chose dessous. Le Führer disait que nous ne pouvions pas le nommer président si nous n’avions pas de conseil. Je lui suggérai alors d’en former un et j’inscrivis à l’improviste sur un papier le nom de quelques personnalités. Pour montrer le peu de prix que j’attachais à ce conseil, il suffit d’indiquer, je crois, que je figurais dans les derniers sur cette liste. On lui donna sa forme extérieure : organisme consultatif en matière de politique étrangère. En revenant, je dis à mes amis qu’à mon avis l’affaire allait très bien, mais si le Führer n’acceptait guère de conseils d’un ministre des Affaires étrangères, il n’en accepterait aucun d’un Conseil de cabinet sur la politique étrangère. Nous n’aurions rien à faire.
Je déclare sous la foi du serment que ce Conseil de cabinet ne s’est jamais réuni, même pas une minute, même pas pour procéder à sa constitution. Une partie de ses membres ne savait probablement pas qu’elle en faisait partie.
Quand le Cabinet du Reich s’est-il réuni pour la dernière fois ?
Autant que je m’en souvienne, la dernière réunion du Cabinet du Reich eut lieu en 1937, et si mes souvenirs sont exacts, j’ai présidé les dernières réunions parce que le Führer avait quitté la conférence peu après le début. Il ne croyait pas beaucoup à l’intérêt des séances de cabinet. Le cercle lui paraissait trop grand ; il estimait aussi, probablement, qu’on discutait trop ses opinions et il voulait qu’il en fût autrement. A partir de ce moment, il n’y eut que des conférences individuelles, conférences avec un ministre ou avec des ministres des départements compétents. Comme les ministres, à juste titre, considéraient que cela compliquait leur tâche, on adopta une solution par laquelle, sous le couvert du Plan de quatre ans, je réunissais assez fréquemment les ministres pour discuter avec eux de questions générales. Mais, par ailleurs, jamais le cabinet ou le Conseil des ministres n’a traité de questions politiques d’importance comme, par exemple, l’Anschluss de l’Autriche, le pays des Sudètes, la Tchécoslovaquie, qui ont finalement mené à la guerre.
Je sais combien le Führer attachait d’importance au fait que, pour toutes ces questions, seuls les ministres qu’il était indispensable de renseigner en raison de la nature de leur travail fussent mis au courant, et seulement à la toute dernière minute. Ici, je puis donc, encore une fois, confirmer sous la foi du serment qu’un certain nombre de ministres n’ont pas été informés de l’ouverture des hostilités, ni de l’entrée en Tchécoslovaquie, dans le pays des Sudètes ou en Autriche, avant de l’apprendre, comme tous les Allemands, le lendemain matin, par la radio ou par la presse.
Quelle fut votre participation à l’accord de Munich, en septembre 1938 ?
Pour ma part, j’avais toujours considéré l’Anschluss des Allemands des Sudètes ou mieux la solution de la question des Allemands des Sudètes comme absolument nécessaire. J’ai encore déclaré au Führer, après l’Anschluss, que je regrettais beaucoup que ses actions fussent mal comprises et que l’on pût considérer que cette question avait été réglée par l’annexion de l’Autriche. En novembre 1937, j’ai déclaré à Lord Halifax que l’Anschluss de l’Autriche, la solution de la question des Allemands des Sudètes, dans le sens du retour des Allemands des Sudètes, et la solution du problème du corridor de Dantzig étaient des parties intégrantes de la politique allemande ; peu importait si cette politique devait être conduite aujourd’hui par Hitler, demain par moi-même ou par quelqu’un d’autre ; ces problèmes resteraient toujours des buts politiques qui devaient coûte que coûte être atteints un jour ; néanmoins, nous étions tous deux d’accord pour tout mettre en œuvre afin de les atteindre sans guerre.
De plus, dans mes conversations avec M. Bullitt, j’ai toujours gardé exactement la même position. Et j’ai dit à tout le monde, publiquement et personnellement, que ces trois points devaient être résolus et que la solution de l’un ne changerait pas l’importance des autres.
Je veux aussi souligner que lorsque, dans ce cas comme dans d’autres, l’Acte d’accusation nous reproche de ne pas avoir tenu telle ou telle promesse faite par l’Allemagne en son temps, même par l’Allemagne d’avant la prise du pouvoir, je voudrais me référer aux multiples discours, tant du Führer que de moi-même — je ne m’en souviens plus exactement — et dans lesquels je me rappelle parfaitement avoir déclaré que j’avertissais, ou que nous avertissions les pays étrangers de ne pas faire de plans d’avenir en se basant sur des promesses du Gouvernement d’alors car nous ne les reconnaîtrions pas quand nous aurions pris le pouvoir. Ainsi c’était parfaitement clair.
Lorsque la question des Sudètes devint critique et que le Führer manifesta l’intention d’y apporter une solution, j’ai, en tant que soldat et Commandant en chef de la Luftwaffe, pris, comme il était de mon devoir et comme j’en avais reçu l’ordre, les dispositions préliminaires, en vue de toute éventualité. En tant qu’homme politique, je saluai avec joie les efforts déployés pour trouver une solution pacifique. Je reconnais que je fus alors très heureux de voir le Premier Ministre britannique faire de tels efforts. Cependant, à la veille de l’accord de Munich, la situation était redevenue très critique.
Il pouvait être 6 heures et demie ou 7 heures du matin quand l’ambassadeur d’Italie, Attolico, me téléphona pour me dire qu’il devait m’entretenir immédiatement, au nom de Mussolini. Il s’agissait de la solution du problème des Sudètes. Je lui dis d’aller trouver le ministre des Affaires étrangères, mais il répondit qu’il avait un ordre spécial de Mussolini de me parler d’abord et seul. Je l’ai rencontré, je crois bien, à 9 heures du matin ; il me dit alors que Mussolini était prêt à intervenir et qu’il fallait provoquer le plus vite possible une réunion entre l’Allemagne (Adolf Hitler), l’Angleterre (le Premier Ministre Chamberlain), la France (le président du Conseil Daladier), et l’Italie (Mussolini), afin de donner à cette question une solution pacifique.
Mussolini voyait une solution possible et prendrait immédiatement toutes les mesures nécessaires ; il me priait personnellement de faire valoir toute mon influence dans ce sens. J’emmenai l’ambassadeur à la Chancellerie du Reich, ainsi que M. von Neurath qui, à ce moment-là, n’était cependant pas ministre des Affaires étrangères. J’exposai tout au Führer et j’usai de mon influence pour lui démontrer les avantages possibles de cet accord qui apporterait un soulagement à la tension générale. On ne pouvait pas savoir si les autres tentatives faites sur le terrain politique ou diplomatique atteindraient leur but, mais si les quatre chefs de gouvernement des quatre grandes puissances de l’Europe occidentale se rencontraient, ce serait déjà un point acquis. M von Neurath soutint ma thèse et le Führer l’accepta, en disant qu’on pouvait téléphoner au Duce. Attolico, qui attendait dehors, le fit immédiatement. Mussolini téléphona officiellement au Führer, et c’est ainsi qu’on décida du lieu de rencontre : Munich. Tard dans l’après-midi, l’ambassade d’Italie me prévint que le Premier Ministre anglais et le président du Conseil français acceptaient de se rendre le lendemain à Munich. J’ai demandé ensuite au Führer, ou mieux, je lui ai dit que j’irais à Munich avec lui ; il fut d’accord. Puis je proposai d’emmener dans mon train M. von Neurath. Sur ce point encore, il acquiesça. J’ai participé à plusieurs entretiens, et lorsque cela s’avérait nécessaire, j’ai équilibré les débats. Je me suis efforcé surtout de créer une atmosphère cordiale. J’eus des entretiens personnels avec M. Daladier et avec M. Chamberlain et je fus très content de la tournure qu’avaient pris les événements.
Peu de temps auparavant eut lieu l’Anschluss de l’Autriche au Reich. Quelles étaient les raisons qui amenèrent Hitler à prendre cette décision, et en quoi y avez-vous participé ?
Hier, en donnant mon curriculum vitae, j’ai exposé au Tribunal que, personnellement, je me sentais étroitement uni à l’Autriche. J’ai passé la plus grande partie de ma jeunesse dans un château autrichien. Mon père, du temps du vieil Empire, parlait souvent d’une réunion future des provinces allemandes d’Autriche au Reich, car il était convaincu que l’Empire autrichien ne tiendrait plus longtemps. En 1918, j’ai vu la révolution en Autriche, où j’étais venu en avion pour deux jours, et l’effondrement de l’Empire des Habsbourg. Les représentants des provinces héréditaires allemandes, y compris le pays allemand des Sudètes, se réunirent alors à Vienne au Parlement et se déclarèrent libérés de l’État des Habsbourg par sa dissolution et déclarèrent tous, y compris les représentants des Sudètes allemands, que l’Autriche faisait partie du Reich ; si mes souvenirs sont exacts, ceci se passait sous le Gouvernement du chancelier fédéral social-démocrate, Renner Cette déclaration des représentants du peuple autrichien allemand par laquelle ils exprimaient leur volonté de faire partie de l’Allemagne, fut altérée au moment de la paix de Saint-Germain et prohibée par le Diktat des États vainqueurs. Cela m’importait peu, pas plus qu’à tout autre Allemand. Il était évident qu’il fallait provoquer le moment et les conditions pour réunir ces deux nations sœurs, d’origine et de sang allemands. Lorsque nous vînmes au pouvoir, ce programme fit naturellement comme je l’ai dit tout à l’heure, partie intégrante de la politique allemande.
Les assurances que Hitler donna à ce moment-là sur la souveraineté de l’Autriche n’étaient pas des mensonges ; il parlait sérieusement. Au début il ne voyait probablement pas d’autre issue. J’étais moi-même beaucoup plus radical dans ce sens et je le priais, à différentes reprises, de ne pas prendre de position ferme sur la question autrichienne. Mais Hitler croyait qu’il fallait montrer des égards vis-à-vis de l’Italie.
Il était clair, surtout après la prise du pouvoir par le parti national-socialiste en Allemagne, que le parti national-socialiste autrichien allait s’accroître à son tour. Ce parti existait en Autriche avant la prise du pouvoir, de même que les origines du parti ouvrier national-socialiste remontent à l’Allemagne des Sudètes. Le Parti n’était donc nullement en Autriche une Cinquième colonne, préparant l’Anschluss, car le peuple autrichien lui-même voulait depuis toujours cet Anschluss.
Si l’idée de l’Anschluss n’était pas plus forte ni plus précise au sein du Gouvernement autrichien de l’époque, ce n’est pas parce que l’Autriche ne voulait pas sa réunion avec l’Allemagne, mais parce que la forme de gouvernement du national-socialisme était absolument incompatible avec la forme de gouvernement de l’Autriche. C’est de là que proviennent ces tensions, d’abord en Autriche même, dont le Ministère Public a parlé à plusieurs reprises dans son réquisitoire. Ces tensions devaient fatalement se produire, car les nationaux-socialistes prenaient plus au sérieux que le Gouvernement l’idée de l’Anschluss. Il en résulta un conflit politique. Nos sympathies étaient évidemment du côté des nationaux-socialistes ; c’était tout à fait naturel, surtout si l’on considère que le Parti en Autriche était sérieusement persécuté. Un grand nombre de militants furent internés dans des camps qui n’étaient autres que des camps de concentration, mais qui portaient une autre dénomination.
Le chef du Parti autrichien a été, à un certain moment, un nommé Habicht, de Wiesbaden. Je ne le connaissais pas auparavant ; je ne l’ai vu qu’une fois Il laissa croire au Führer, avant l’affaire Dollfuss, que l’Armée autrichienne était décidée à agir de sa propre initiative, pour forcer le Gouvernement à accepter l’Anschluss ou le renverser. Si elle le faisait, le Parti en Autriche devrait-il donner son appui à cette action ? Si l’Armée entreprenait une action dans ce but, il fallait évidemment, d’après le Führer, lui donner l’appui politique du Parti Mais tout cela n’était qu’une duperie, car l’Armée autrichienne ne pensait nullement à attaquer le Gouvernement autrichien ; il ne s’agissait que d’une Wehrmacht Standarte, composée d’anciens membres, de membres démissionnaires ou renvoyés de la Wehrmacht autrichienne et qui s’étaient enrôlés dans le Parti.
C’est sur la base de cette fausse information que M Habicht entreprit cette affaire à Vienne. J’étais alors à Bayreuth avec le Führer. Celui-ci fit venir Habicht et lui reprocha très violemment de l’avoir mal informé, trompé et dupé.
Il regrettait beaucoup la mort de Dollfuss qui créait une position politique très difficile pour les nationaux-socialistes, surtout vis-à-vis de l’Italie. L’Italie mobilisa cinq divisions, qu’elle posta à la frontière du Brenner. Le Führer désirait calmer l’opinion au plus vite. C’est pourquoi il demanda à M. von Papen de se rendre à Vienne à titre d’ambassadeur extraordinaire pour calmer l’atmosphère.
Il ne faut pas oublier la situation quelque peu absurde qui s’était développée au cours des dernières années ; à savoir qu’un pays essentiellement allemand tel que l’était l’Autriche, subissait moins l’influence du Reich allemand que celle du Gouvernement italien au point de vue politique. Je me souviens que M Churchill avait déclaré que l’Autriche était pratiquement une filiale de l’Italie.
Après l’affaire Dollfuss, l’Italie prit une attitude très réservée à l’égard de l’Allemagne et elle laissait entrevoir qu’elle ferait tout contre l’Anschluss. En même temps que la clarification intérieure des relations entre l’Allemagne et l’Autriche, le Führer essayait d’obtenir un changement dans l’attitude de Mussolini sur cette question particulière C’est pourquoi il se rendit peu après à Venise ou peut-être avant. En tous cas, il essayait d’obtenir un changement d’attitude.
Par contre, j’étais d’avis que, malgré tout ce que le fascisme et le national-socialisme pouvaient avoir en commun, disons, idéologiquement, l’annexion du peuple frère m’importait bien davantage que cet accord. Et si cela ne pouvait se faire avec lui, il fallait le faire contre lui.
Vint alors la guerre d’Abyssinie et les sanctions contre l’Italie ; on fit comprendre à l’Allemagne, sous une forme voilée qu’il pourrait être avantageux pour ses affaires d’Autriche de contribuer à ces sanctions. C’était pour le Führer une décision très difficile à prendre car il devait opter délibérément et définitivement contre l’Italie et obtenir ainsi l’Anschluss ou bien se faire une alliée de l’Italie, en gardant une attitude pro-italienne ou du moins correcte, et supprimer ainsi l’opposition de l’Italie à l’Anschluss. Je lui proposai alors de chercher à savoir d’abord qui était à l’origine de cette offre un peu vague sur l’Autriche faite du côté franco-britannique, si les deux Gouvernements désiraient réellement aboutir à un accord sur ce point et pouvaient donner des assurances dans le sens où nous l’entendions : à savoir que cette question serait considérée comme une affaire intérieure allemande et non de vagues assurances d’une coopération générale, etc.
Mes soupçons se confirmèrent que nous n’obtiendrions pas d’assurances claires et précises et, dans ces circonstances, il était plus utile d’empêcher que l’Italie ne fût l’adversaire principal de l’Anschluss en ne prenant aucune part aux différentes mesures de sanction contre l’Italie fasciste.
J’étais toujours d’avis que le grand intérêt national que présentait l’union de ces Allemands dominait tous les différends et toutes les divergences qui existaient entre les deux Gouvernements. Or, il était évidemment impossible que le Gouvernement du Grand Reich se retirât pour laisser peut-être l’Allemagne s’unir à l’Autriche ; il fallait que l’Anschluss se fît tôt ou tard.
Vint alors l’accord de Berchtesgaden Je n’y ai pas assisté ; je n’étais même pas d’accord sur le principe, car j’étais opposé à ces déclarations, et même à toutes déclarations précises qui prolongeraient cette période d’indécision ; je ne concevais qu’une seule solution, l’union complète et totale de tous les Allemands.
Peu de temps après Berchtesgaden eut lieu le plébiscite demandé par Schuschnigg. Ce plébiscite était une chose impossible, une rupture de l’accord de Berchtesgaden. Je passe outre. Mais la forme de ce plébiscite est unique dans l’Histoire. On ne pouvait voter que « oui », et chaque électeur pouvait voter aussi souvent qu’il le voulait, cinq fois, six fois, sept fois ; si un bulletin était déchiré, il était compté pour un « oui », et ainsi de suite. Cela n’a vraiment plus d’intérêt. Il était donc bien évident dès le début que, même si les partisans du système Schuschnigg n’étaient qu’un petit nombre à exploiter ces possibilités, il ne pouvait y avoir qu’une majorité positive pour M. Schuschnigg. Toute cette affaire n’était qu’une farce.
Nous manifestâmes notre opposition par l’intermédiaire d’un membre du Gouvernement autrichien qui se trouvait alors en Allemagne, le général von Glaise-Horstenau, qui prit l’avion pour Vienne pour faire clairement comprendre à Schuschnigg et à Seyss-Inquart qui, depuis Berchtesgaden, faisait partie du cabinet Schuschnigg, que l’Allemagne ne pouvait pas tolérer cette provocation. ’En même temps, les troupes cantonnées aux abords de la frontière autrichienne furent alertées. Je crois que c’était un vendredi, le vendredi 11. Ce jour-là, j’étais à la Chancellerie du Reich, seul avec le Führer. J’appris par téléphone que von Glaise-Horstenau était arrivé, qu’il avait transmis notre requête de façon claire et sans équivoque et que l’on débattait maintenant ces questions. Si mes souvenirs sont exacts, on nous fit répondre que le plébiscite n’aurait pas lieu et que Schuschnigg était d’accord.
J’eus alors l’intuition que la situation était mouvante et que nous allions enfin avoir la possibilité, si longtemps et si ardemment attendue, d’amener une solution radicale. A partir de ce moment, je dois prendre intégralement la responsabilité des événements ultérieurs, car c’était moins le Führer que moi-même qui donnait la cadence ; sans tenir compte des doutes du Führer, c’est moi qui menai l’affaire jusqu’au développement final.
On a lu ici le texte de mes conversations téléphoniques. J’ai demandé de moi-même, sans en avoir d’abord référé au Führer, la démission immédiate du Chancelier Schuschnigg. Lorsqu’elle fut obtenue, j’ai formulé une autre exigence et déclaré que le moment de l’Anschluss était venu et, comme on le sait, l’Anschluss a eu lieu.
Il est un seul acte dont je ne suis pas l’auteur — et je ne le dis pas pour essayer de dégager ma responsabilité — car je ne connaissais pas les personnes intéressées (le Ministère Public en a pourtant fait état dans son réquisitoire) : j’ai donné une liste de ministres, c’est-à-dire, plus exactement, j’ai donné les noms des personnalités que nous désirions voir former le Gouvernement autrichien. Je connaissais Seyss-Inquart ; il était évident qu’il devait prendre la Chancellerie fédérale. J’ai nommé Kaltenbrunner pour la sûreté. Je ne connaissais pas Kaltenbrunner ; c’est là l’un des deux cas où le Führer est intervenu pour me donner des noms. J’ai aussi donné le nom de Fischböck sans le connaître, pour le ministère de l’Économie. La seule personne que j’amenai personnellement dans le cabinet était mon beau-frère, le Dr Hüber, comme ministre de la Justice, non pas parce qu’il était mon beau-frère, mais parce qu’il avait déjà été ministre de la Justice en Autriche dans le cabinet du prélat Seipel. Il n’était pas membre du Parti alors, mais il sortait des rangs de la Heimwehr et je voulais aussi avoir dans ce cabinet quelqu’un de ce groupe, qui avait au commencement travaillé avec nous, mais auquel nous nous étions ensuite opposés, et être sûr de mon influence sur cette personne afin que tout tendît réellement à amener l’Anschluss total. Car il se formait déjà des plans selon lesquels le Führer seul devait, par une union personnelle, devenir chef de l’Autriche allemande, en même temps que du Reich, en laissant subsister la séparation. Je considérais cette solution comme insupportable. Notre heure était venue, il fallait l’exploiter pour le mieux.
Dans la conversation que j’eus avec le ministre des Affaires étrangères von Ribbentrop, qui se trouvait alors à Londres, je soulignai que l’ultimatum ne provenait pas de nous mais de Seyss-Inquart. C’était absolument exact de jure. De facto, il émanait évidemment de moi. Mais les Anglais écoutaient cette conversation téléphonique et c’était une conversation diplomatique. Je n’ai encore jamais entendu des diplomates dire dans des circonstances semblables comment cela s’était passé, de facto, maïs toujours comment cela s’est passé de jure. Pourquoi voulez-vous que je fasse exception ? Dans cette conversation téléphonique, je demandai à M. von Ribbentrop de prier le Gouvernement anglais de désigner des personnalités anglaises dans lesquelles il avait la plus entière confiance, Nous mettrions tout en œuvre pour que ces personnalités puissent circuler librement à travers toute l’Autriche, pour se rendre compte d’elles-mêmes que la grande majorité du peuple autrichien désirait l’Anschluss et l’accueillait avec enthousiasme. Lorsqu’on a traité ici la question autrichienne, on n’a jamais parlé du fait que le dimanche précédent — cette conversation eut lieu le vendredi — en Styrie, l’une des plus importantes provinces des pays héréditaires, un Anschluss intérieur avait eu lieu, avait pratiquement eu lieu ; la population avait déjà pris position en faveur de l’Anschluss et plus ou moins coupé les liens qui la rattachaient au Gouvernement de Vienne.
Je vous ai fait donner le compte rendu de cette conversation. Il a été transmis par le Ministère Public. La première partie n’a pas encore été lue, mais vous en avez exposé le contenu. Voulez-vous, s’il vous plaît, le regarder.
Oui. J’attache de la valeur à ce qu’on ne lise de ce document que les passages les plus intéressants — je n’arrive pas à les trouver aussi rapidement — qui montrent que j’attachais beaucoup d’importance à ce que le Gouvernement anglais envoyât des personnalités de confiance pour constater aussitôt que possible l’état réel des faits ; et deuxièmement, que nous allions faire un plébiscite d’après le statut du plébiscite de la Sarre et que, quel que ’pût en être le résultat, nous le reconnaîtrions. Je pouvais très bien donner cette assurance, car personnellement je savais très bien qu’une majorité écrasante se prononcerait en faveur de l’Anschluss.
J’en viens maintenant à la partie décisive, l’entrée des troupes. C’était le deuxième point sur lequel le Führer et moi-même n’étions pas du même avis. Le Führer voulait que les troupes se rendissent en Autriche, sur la demande du nouveau gouvernement que nous avions choisi, le Gouvernement Seyss-Inquart, pour maintenir l’ordre dans le pays. J’y étais opposé ; non pas évidemment à l’entrée en Autriche, j’étais pour l’entrée en Autriche à n’importe quelle condition. C’était seulement sur les raisons de cette opération que portaient les divergences de vues. En effet, il pouvait y avoir des troubles en un point au moins, à savoir Vienne et Wiener-Neustadt, car une partie des marxistes autrichiens, qui avaient une fois déjà procédé à un soulèvement, étaient encore armés. Cela n’était pourtant pas d’une grande importance. Ce qui était par contre de la plus grande importance, c’était que les troupes allemandes entrent immédiatement en Autriche en nombre suffisant pour repousser tous les voisins qui pourraient avoir envie de revendiquer le moindre village autrichien.
Je voudrais souligner que Mussolini, à cette époque, n’avait pas encore pris de position définitive sur la question autrichienne bien que je l’aie influencé fortement en ce sens un an auparavant. Les Italiens avaient toujours un œil sur le Tyrol de l’Est. Je n’avais pas oublié leurs cinq divisions du Brenner. Les Hongrois me parlaient trop du Burgenland. Les Yougoslaves ont parlé une fois de la Carinthie, mais je crois leur avoir clairement fait comprendre que c’était de la folie.
Donc, pour prévenir une fois pour toutes la réalisation de tous ces espoirs qui aurait pu facilement avoir lieu en de telles circonstances, je désirais l’entrée des troupes allemandes avec ce slogan : « L’Anschluss est fait, l’Autriche est une partie de l’Allemagne, elle est donc entièrement et automatiquement sous la protection du Reich allemand et de sa Wehrmacht. »
Le Führer ne voulait pas insister autant sur cette démonstration de politique étrangère et il me demanda de faire envoyer par Seyss-Inquart le télégramme en question. Comme nous étions d’accord sur le point essentiel, l’entrée des troupes en Autriche, on s’explique très bien la conversation téléphonique dans laquelle je dis à Seyss-Inquart qu’il n’avait pas besoin d’envoyer un télégramme, qu’il me suffisait qu’il téléphonât. Voilà la raison. L’accord de Mussolini n’arriva qu’à 11 h. 30 du soir. On sait quel soulagement éprouva le Führer à la suite de cet accord. Dans la soirée de ce même jour, quand la situation fut bien claire et que l’on put voir comment les choses allaient se passer, je me rendis au Club des aviateurs où j’avais été invité quelques semaines auparavant à un bal. Je cite ce fait, car on l’a qualifié alors de manœuvre de camouflage. Mais les invitations avaient été envoyées, je crois avant même la conférence de Berchtesgaden. J’y rencontrai presque tous les diplomates. Je me retirai immédiatement avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne, Sir Nevile Henderson et je discutai avec lui pendant deux heures, en lui expliquant toutes les raisons et en exposant toute la situation. Je lui ai demandé, ce que j’ai également demandé plus tard à Ribbentrop, de bien vouloir m’indiquer quel État du monde se trouvait lésé par notre union avec l’Autriche. A qui prenions-nous quelque chose et à qui portions-nous atteinte ? C’était une restitution absolue, car les deux parties avaient appartenu pendant des siècles à l’Empire allemand et ce n’étaient que les événements politiques, le régime monarchique et la sécession de l’Autriche qui les avaient séparées.
Lorsque le Führer se rendit, le lendemain matin, en Autriche, je pris en son absence la direction de toutes les affaires du Reich. J’interdis le retour de la Légion autrichienne — il s’agissait de gens tarés qui avaient quitté l’Autriche au début de la période de lutte — car je voulais éviter des troubles. En second lieu, pourtant, j’avais fait en sorte, au nord du Danube, c’est-à-dire entre la frontière tchécoslovaque et le Danube, de ne laisser traverser les villages que par un seul bataillon pour que la Tchécoslovaquie se rendît parfaitement compte qu’il ne s’agissait ici que d’une affaire germano-autrichienne. Ce bataillon devait se rendre au nord du Danube pour que les villes de cette région pussent participer aux festivités.
Je voudrais, en conclusion, souligner deux choses : dans son long affidavit, M. Messersmith a mentionné qu’avant l’Anschluss j’avais fait plusieurs visites en Yougoslavie et en Hongrie afin de gagner ces deux États à l’idée de l’Anschluss ; lorsqu’il déclare que j’avais promis à la Yougoslavie une partie de la Carinthie, je dois dire que je ne le suis pas du tout. Mes visites en Yougoslavie et dans les autres pays des Balkans ne visaient qu’à l’amélioration des relations et surtout des relations commerciales qui me tenaient beaucoup à cœur pour le Plan de quatre ans : si jamais la Yougoslavie avait demandé un seul village de Carinthie, je lui aurais répliqué qu’il m’était impossible de lui donner une réponse, car s’il est un pays foncièrement allemand et qui l’a toujours été, c’est bien la Carinthie.
En second lieu, l’Accusation a parlé ici d’une guerre d’agression contre l’Autriche. Dans une guerre d’agression, on tire des coups de feu, on jette des bombes, etc. Mais en Autriche on n’a jeté qu’une seule chose : des fleurs. Le Ministère Public veut peut-être dire autre chose ; je pourrais alors être d’accord avec lui Personnellement, j’ai toujours déclaré que je ferais tout pour éviter que cet Anschluss ne trouble la paix ; mais qu’à la longue, si on devait nous le refuser éternellement, je combattrais moi-même pour l’Autriche et non pas contre l’Autriche, pour ramener ces Allemands dans leur patrie.
Je crois avoir ainsi donné un bref exposé des événements d’Autriche Je voudrais terminer en soulignant que ce n’est pas tant le Führer que moi-même qui porte toute la responsabilité de ces événements.
Le soir qui a précédé l’entrée des troupes allemandes en Autriche, vous aviez eu également une entrevue avec le Dr Mastny, ambassadeur de Tchécoslovaquie. A cette occasion, vous lui avez fait une déclaration sur votre parole d’honneur. Que pouvez-vous nous dire sur cette conversation ?
Je suis particulièrement heureux de pouvoir enfin parler de cette parole d’honneur dont il a été si souvent question au cours de ces derniers mois et dont on me fait un grief.
J’ai dit que, ce soir-là, presque tous les diplomates se trouvaient à ce bal. Après avoir parlé à Sir Nevile Henderson, je retournai dans la salle et l’ambassadeur de Tchécoslovaquie, le Dr Mastny, vint me trouver, très excité et tremblant, et me demanda ce qui allait se passer cette nuit, si nous allions aussi entrer en Tchécoslovaquie. Je lui fis un bref exposé de la situation et je lui dis :
« Non, il s’agit uniquement de l’annexion de l’Autriche ; cela ne touche nullement votre pays, surtout si vous ne vous en occupez pas ». Il me remercia et se rendit vraisemblablement au téléphone.
Mais peu de temps après, il revint encore plus excité et j’eus l’impression que, dans son excitation, il ne pouvait même plus me comprendre clairement. En présence d’autres personnes, je lui dis alors : « Excellence, écoutez-moi bien, je vous donne ma parole d’honneur personnelle, qu’il s’agit exclusivement de l’Anschluss de l’Autriche et qu’aucun soldat allemand n’approchera de la frontière tchécoslovaque. Faites en sorte que la Tchécoslovaquie ne mobilise pas, ce qui provoquerait une aggravation de la situation ». Il acquiesça.
Je ne lui ai jamais dit : « Je vous donne ma parole d’honneur que jamais nous ne nous occuperons de la Tchécoslovaquie », mais il ne me demandait des éclaircissements que pour cet événement et pour cette seule période, et je lui ai donné une explication valable pour cette période, car j’avais déjà exprimé clairement qu’il faudrait arriver un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre, à une solution du problème des Allemands des Sudètes Je ne me serais jamais lié sur ma parole d’honneur, ce qui eût été impossible, car j’avais déjà donné auparavant une déclaration contraire On me demandait une explication sur les événements immédiats, sur les événements d’Autriche. Je pouvais en conscience lui donner l’assurance sur ma parole d’honneur que la Tchécoslovaquie ne serait pas touchée à cette occasion, car nous n’avions encore pris aucune décision pour fixer une date au sujet de la Tchécoslovaquie ou de la solution du problème des Sudètes.
Le 15 mars 1939 eut lieu une conversation entre Hitler et le président Hacha. Y assistiez-vous et quelle part avez-vous prise à cette conversation ?
Il s’agit du début de l’instauration du Protectorat en Tchécoslovaquie. Après Munich, après l’accord de Munich et la solution de la question des Allemands des Sudètes, le Führer et ses collaborateurs pratiquèrent une mise au point militaire afin de parer aux difficultés qui pourraient surgir, après l’accord de Munich, des conséquences de l’occupation des zones visées ; les autorités militaires devaient prendre certaines mesures de précaution car, après l’occupation des zones, les troupes qui avaient été mises sur pied pour le « Cas Vert » (voir le dossier Grand Schmundt), avaient été démobilisées. Mais les événements pouvaient à tout moment, évoluer dans un sens susceptible de devenir extrêmement dangereux pour l’Allemagne. Il n’y a qu’à rappeler les commentaires de la presse russe, de la radio russe, sur l’accord de Munich et sur l’occupation du pays des Sudètes. On ne pouvait pas parler de façon plus provocante. Il existait depuis longtemps des rapports entre Prague et Moscou. Prague, déçue par l’accord de Munich pouvait maintenant avoir resserré ses liens avec Moscou. Nous en vîmes les signes, dans le corps des officiers tchèques en particulier, et on nous en informa Pour le cas où il pouvait en résulter quelque danger pour l’Allemagne, les diverses autorités militaires avaient reçu des instructions afin de prendre des mesures préventives, comme il était de leur devoir. Cet ordre n’a rien à voir avec l’intention d’occuper peu après, le reste de la Tchécoslovaquie.
Je me rendis moi-même fin janvier sur la Riviera pour mes premières longues vacances et, pendant cette période, j’abandonnai délibérément toutes mes affaires Au début de mars, à ma grande surprise, un courrier spécial du Führer m’apporta une lettre m’informant que le déroulement des événements en Tchécoslovaquie était tel qu’il ne pouvait impunément leur laisser libre cours. Ils devenaient une menace croissante pour l’Allemagne et il était maintenant résolu à résoudre la question en éliminant la Tchécoslovaquie sous le prétexte qu’elle constituait une source de danger en plein centre de l’Allemagne pour y réussir, il songeait d’abord à l’occuper.
Pendant ce temps, j’étais à San Remo où j’avais rencontré beaucoup d’Anglais. J’avais eu l’impression qu’ils s’étaient résignés aux accords de Munich et les avaient trouvés tout à fait satisfaisants, mais qu’il ne fallait plus toucher à la Tchécoslovaquie sans risquer de provoquer une grande agitation.
Je renvoyai une lettre par le courrier ; peut-être se trouve-t-elle parmi les nombreuses tonnes de documents que possède le Ministère Public. Je comprendrais d’ailleurs qu’on ne la produise pas, car ce serait plutôt un document à décharge. Dans cette lettre, j’exposais mon point de vue au Führer et j’écrivais à peu près ceci : si cet événement se produisait, il entraînerait une très sérieuse perte de prestige pour le Premier Ministre anglais Chamberlain et je croyais qu’il aurait du mal à y survivre. M Churchill ferait probablement son entrée et le Führer connaissait l’attitude de Churchill vis-à-vis de l’Allemagne. Deuxièmement, on comprendrait mal, car peu de temps auparavant nous avions posé les bases d’un apaisement général. Troisièmement, je croyais pouvoir le tranquilliser en lui disant qu’à mon avis, le danger qu’il voulait éliminer par une occupation de la Tchécoslovaquie pourrait l’être par une voie un peu plus longue en évitant tout ce qui pourrait exciter la Tchécoslovaquie aussi bien que les autres pays. J’étais convaincu qu’après la séparation du pays des Sudètes et le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne, la pénétration économique en Tchécoslovaquie ne serait qu’une question de temps, c’est-à-dire que j’espérais qu’en créant de forts liens économiques, on arriverait à une union des communications, de la douane et de la monnaie, qui servirait les intérêts économiques des deux pays. Si on avait pu le réaliser, il y aurait eu une Tchécoslovaquie souveraine liée politiquement de façon si étroite à l’Allemagne et aux intérêts allemands qu’à mon avis, il n’aurait pu en résulter aucun danger. En tout cas nous ne contrecarrerions d’aucune façon la Slovaquie si elle exprimait très fortement son désir d’indépendance ; nous pourrions, au contraire, lui donner notre appui, car naturellement la communauté d’intérêts et par conséquent, la coopération économique, deviendraient encore plus étroites, puisque, si la Slovaquie se séparait, les deux pays seraient alors obligés de se tourner vers l’Allemagne pour les questions économiques, si bien qu’il serait possible d’intéresser ces deux pays et de les lier à l’Allemagne.
Le messager emporta cette lettre dont je vous ai donné la substance. Je n’entendis parler de rien pendant quelques jours.
Peut-être serait-il temps de suspendre l’audience ?
Voulez-vous continuer, s’il vous plaît ?
Je fus alors rappelé d’urgence à Berlin. J’arrivai le matin à Berlin et le président Hacha le soir du même jour. Je soumis verbalement au Führer le point de vue que j’avais déjà souligné dans ma lettre. Le Führer me signala, d’après certaines preuves qu’il possédait, que la situation en Tchécoslovaquie avait pris une tournure plus sérieuse. Cet État s’était désagrégé à cause de la scission de la Slovaquie ; mais ce n’était pas là la question décisive. Il me montra des documents du service de renseignements signalant qu’il y avait des commissions de l’Aviation russe pour la formation des cadres, sur certains des aérodromes de Tchécoslovaquie, contrairement aux stipulations de l’Accord de Munich ; il craignait que la Tchécoslovaquie, surtout après le détachement de la Slovaquie, fût utilisée comme base aérienne russe. Il était résolu à éliminer ce danger. Il me dit alors que le président Hacha avait demandé au Führer de lui accorder une entrevue et qu’il arriverait dans la soirée ; le Führer désirait que je sois également présent à la Chancellerie du Reich.
Le président Hacha arriva et eut d’abord un entretien avec le ministre des Affaires étrangères du Reich, Il vint voir le Führer cependant. nous le saluâmes en quelques mots ; il eut en premier lieu un entretien seul avec le Führer ; puis nous fûmes appelés. Je lui parlai ensuite en présence de son ambassadeur et je le poussai à satisfaire d’urgence à la demande du Führer et à retirer ses troupes à l’entrée des Forces allemandes, pour éviter toute effusion de sang. Je lui dis que toute résistance serait vaine car le Führer avait pris cette décision et considérait cette action comme nécessaire. Ce ne serait qu’une effusion de sang inutile, car toute résistance de longue durée s’avérait absolument impossible.
J’ai déclaré à ce sujet que je serais navré de devoir bombarder la belle ville de Prague. Personne n’avait d’ailleurs l’intention de bombarder Prague, et aucun ordre n’avait été donné à cet effet car même dans l’éventualité d’une résistance, le bombardement n’était pas nécessaire ; il aurait de toute façon été très facile de briser la résistance sans ce bombardement. Mais je pensais que ce pouvait être un argument susceptible d’accélérer l’affaire. Je réussis à lui faire donner une communication téléphonique avec son Gouvernement à Prague et il donna l’ordre ; l’occupation et l’entrée à Prague eurent donc lieu le lendemain.
Avez-vous accompagné le Führer à Prague ?
Non, je n’ai pas accompagné le Führer à Prague. J’étais plutôt contrarié. Je ne suis jamais allé ni en Tchécoslovaquie, ni dans l’Allemagne des Sudètes après cet incident excepté quand, le 21 avril 1945, j’ai traversé rapidement une partie de la Tchécoslovaquie.
Pourquoi étiez-vous de mauvaise humeur ?
Parce que toute cette affaire s’est déroulée en grande partie par-dessus ma tête,
D’autres puissances ont-elles pris part à l’occupation de la Tchécoslovaquie ?
Oui, la Pologne a pris le territoire d’Olsa.
Le Ministère Public a présenté un document dont on tire la conclusion qu’on devait assassiner l’ambassadeur d’Allemagne à la suite de démonstrations anti-allemandes à Prague. On devait présenter cet assassinat de l’ambassadeur allemand comme un prétexte pour l’annexion.
Cette histoire vient avant la solution du problème des Allemands des Sudètes et j’ai très attentivement écouté quand ce point a été soulevé. Je me rappelle très bien comment se sont déroulés les événements.
Cet assassinat n’a pas fait l’objet de discussions et ne doit pas être présenté sous un jour tel que nous voulions assassiner notre propre ambassadeur, ou même que nous pouvions considérer cette éventualité comme une occasion de résoudre le problème. Nous avons simplement pensé aux éventualités qui pourraient amener un conflit immédiat, On a considéré entre autres que, dans l’état de tension qui existait entre la Tchécoslovaquie et l’Allemagne à cause du pays des Sudètes, l’ambassadeur d’Allemagne à Prague pourrait effectivement être assassiné par les Tchèques, ce qui nécessiterait de toute façon et au mépris de toute autre tractation politique une action immédiate de la part de l’Allemagne.
On pouvait envisager cette éventualité car on ne pouvait nier que de nombreuses manifestations avaient eu lieu devant l’ambassade d’Allemagne à Prague, et c’est pour cette raison — la situation devenant menaçante — que l’Allemagne avait envoyé des armes à l’ambassade pour qu’elle pût se défendre. C’est à ce sujet qu’il a été question de cette éventualité. Ces faits ont été mal interprétés ici. Nous ne voulions pas assassiner l’ambassadeur pour avoir un prétexte, mais nous envisagions la possibilité d’un tel assassinat par d’autres personnes, et le Führer aurait agi immédiatement pour répondre à ce geste.
Quelles ont été les confiscations opérées en Tchécoslovaquie ?
Il n’y eut pas de confiscations en Tchécoslovaquie avant la guerre, c’est-à-dire qu’on n’a prélevé aucune richesse économique. Au contraire, la forte capacité économique de la Tchécoslovaquie fut incluse dans la capacité économique de l’Allemagne. Ce qui signifie avant tout que nous attachions un grand prix, maintenant que le Protectorat était établi et l’opération terminée, à ce que tout naturellement les usines Skoda et les fabriques d’armes de Brno, c’est-à-dire les plus importantes usines d’armement, fussent incluses dans le potentiel d’armement de l’Allemagne. Ce qui veut dire qu’on leur envoya une quantité de commandes. Nous avons, en outre, créé de nouvelles industries et nous avons donné notre appui en ce sens.
On nous a reproché entre autres d’avoir démonté les rails neufs et de les avoir remplacés par de vieux rails envoyés d’Allemagne. Je crois que cette affirmation est complètement erronée car le système des communications en Tchécoslovaquie, dans le Protectorat, était pour l’Allemagne des plus importants ; toutes les communications du Sud-Est venant des Balkans traversaient le Protectorat : une ligne Vienne-Prague-Dresde et Berlin et une autre ligne Vienne-Lundenburg-Oderberg-Breslau. Le canal étant encore inachevé, le transport de toutes les richesses économiques pouvait se faire par le chemin le plus court sans contourner la frontière Nous aurions été bien fous d’affaiblir ce réseau de communications. Je ne vois qu’une explication à cette assertion, c’est qu’au cours de travaux d’extension du réseau ferroviaire on s’est peut-être servi de rails provenant des stocks allemands et qui ont plus tard été qualifiés de vieux rails dans le rapport du Gouvernement. Mais il est parfaitement ridicule de dire que nous avons démonté des rails neufs.
De plus, il va sans dire que, le pays des Sudètes étant inclus dans le Reich, l’accusation suivant laquelle les propriétés d’État et les forêts étaient devenues possession de l’État allemand n’a pas de portée, car il est évident qu’après annexion d’un pays, les propriétés d’État de ce pays doivent être transférées à l’autre. De même, et ce point concerne le pays des Sudètes, l’accusation portant sur la main-mise par les banques allemandes sur les établissements bancaires est également injustifiée puisque la monnaie allemande avait été introduite dans le pays ; il fallait bien alors modifier aussi le statut des banques affiliées.
En ce qui concerne le Protectorat ultérieur, j’ai déjà dit que j’avais préparé une forte pénétration économique en Tchécoslovaquie avant même la création de ce Protectorat, d’une part parce que nous avions acquis les actions d’autres détenteurs, ce qui nous a permis de participer dans les entreprises tchèques et slovaques, d’autre part, si je me souviens bien, parce que certains prêts qui avaient été retirés par les puissances de l’Ouest nous avaient été consentis. Les Reichswerke Hermann Göring intervinrent elles aussi car ils avaient acquis un gros paquet d’actions des usines Skoda afin d’utiliser ces dernières comme usines de finissage des produits de leurs propres entreprises d’aciéries et de laminage, comme ils le faisaient pour d’autres usines en Allemagne. Il est donc normal qu’après la création du Protectorat, toute sa capacité économique ait été amalgamée à la capacité économique de l’Allemagne.
Le 15 novembre 1937 eut lieu une conférence avec le Führer à la Chancellerie du Reich ; le colonel Hossbach a rédigé un compte rendu de cette conférence qu’on a appelé le testament de Hitler. Il a fait ici à plusieurs reprises l’objet de discussions. Pourriez-vous nous donner une courte explication sur le sens de cette conférence ? Je vais vous faire montrer le document pour rappeler vos souvenirs. C’est le document PS-386.
On m’a déjà montré ce document ici, et j’en connais à peu près le contenu. Ce document a joué un rôle important dans l’exposé des charges, car il s’y trouve sous le titre « Testament de Hitler ». Effectivement, Hossbach a employé dans un passage — je ne le retrouve pas — le terme de « testament ». Voici quelques indications sur l’aspect technique de ce compte rendu. Hossbach était premier aide de camp du Führer. Il assistait aux réunions en cette qualité et prenait des notes. Ce document est donc un compte rendu qui contient toutes les erreurs qui se produisent facilement dans un rapport qui n’est pas pris en note par des sténographes et qui, en certaines circonstances, mentionne l’opinion personnelle ou l’interprétation de celui qui en est l’auteur.
Comme je l’ai déjà dit, un certain nombre de points correspondent exactement aux paroles du Führer ; mais sur d’autres points ou pour d’autres formules, je peux dire qu’ils n’ont aucun rapport avec ce qu’a dit le Führer. J’ai tellement vu pendant ces derniers mois de procès-verbaux d’interrogatoires qui n’avaient souvent rien à voir avec les déclarations qui avaient été faites ou avec leur esprit que je dois attirer ici aussi* l’attention sur les sources d’erreurs.
En ce qui concerne le mot « testament », son emploi ici est absolument contraire aux conceptions du Führer. Et si quelqu’un connaît bien ces conceptions, c’est moi.
La décision qui me faisait son successeur ne fut pas prise le 1er septembre 1939, mais à la fin de l’automne 1939 J’ai souvent eu l’occasion de discuter avec le Führer la question d’un « testament politique ». Le Führer repoussa cette idée en prétendant qu’on ne pouvait jamais désigner un successeur dans un testament politique car il fallait garder en tous temps une complète liberté d’action au milieu de l’évolution et des événements politiques. Il était très possible de rédiger un exposé sur des points de vue et des désirs politiques, mais jamais sous la forme d’un testament qui engageât définitivement.
Voici quel était alors le point de vue du Führer et il est resté le même pendant tout le temps où il m’a accordé sa confiance.
Quel était donc le but de cette conférence ? Le ministre de la Guerre, le Commandant en chef de l’Armée de terre, le Commandant en chef de la Marine et celui de l’Aviation, le ministre des Affaires étrangères du Reich avaient été convoqués. Le Führer m’avisa un peu avant la réunion, car j’étais arrivé plus tôt, qu’il réunissait cette conférence principalement pour faire pression sur le général von Fritsch parce qu’il n’était en rien satisfait du réarmement de l’Armée et qu’il ne serait peut-être pas inutile que M. Blomberg exerçât lui aussi une certaine pression sur Fritsch.
Je demandai pourquoi von Neurath devait y assister. Il ne voulait pas que la réunion eût une allure trop militaire, mais il voulait faire nettement comprendre aux commandants en chef — pour moi ce n’était pas la peine — mais surtout à Fritsch, que la situation de la politique étrangère nécessitait une accélération au maximum du rythme de l’armement ; c’est pourquoi il avait demandé au ministre des Affaires étrangères de venir, mais celui-ci ne savait rien de tout cela.
Tout fut exposé comme le Führer aimait à le faire dans des cas de ce genre. Il prit le sujet très largement, plaça les faits dans leur cadre politique et parla de la situation mondiale sous tous les angles ; pour quelqu’un qui le connaissait aussi bien que moi, son plan était très net. Il partait évidemment de ses grands projets et de la situation politique pour conclure dans le sens d’un armement fort. Je dois dire que si, une ou deux heures plus tard, le Führer avait parlé à un autre groupe, à des diplomates des Affaires étrangères ou à des fonctionnaires du Parti, par exemple, il aurait probablement présenté les choses d’une manière totalement différente.
Quelques-unes de ces déclarations reflètent néanmoins l’attitude fondamentale du Führer, mais je ne peux, avec la meilleure volonté du monde, accorder à ce document l’importance et la valeur qu’on lui donne ici.
Vous avez dit que vous étiez considéré comme le successeur éventuel du Führer ? Étiez-vous, en cette qualité, initié à tous les problèmes politiques de Hitler ?
Je parle en ce moment de la période pendant laquelle mes relations avec Hitler étaient bonnes, période qui se prolongea pendant une bonne partie de la guerre. Il m’informa naturellement de tous les problèmes politiques et militaires importants, le plus souvent au cours de longues et fréquentes discussions qui pouvaient durer des heures journellement. Souvent d’ailleurs j’ai été tout à fait surpris du développement de certaines questions de politique étrangère, mais chaque fois que c’était possible, je les étudiais moi-même ; en effet, le Führer a déclaré dans un autre passage que j’avais une nette opinion personnelle en politique étrangère et qu’il ne lui était pas toujours facile de me suivre sur ce terrain. Mais je veux souligner que j’étais naturellement initié à toutes les questions importantes de la politique.
Le 23 mai 1939 eut lieu chez le Führer une conférence qui a été brièvement mentionnée au cours de l’interrogatoire du témoin Milch. On en a également rédigé un compte rendu ; c’est le document L-79. D’après ce procès-verbal, vous avez participé à cette conférence, mais le témoin Milch déclare que vous n’y assistiez pas.
En effet, je n’y assistais pas. Milch a été appelé au dernier moment pour m’y représenter... Mais naturellement, quand le témoin dit qu’il n’avait pas reçu du Führer l’autorisation de me mettre au courant, vous devez comprendre par là que le Führer ne voulait pas que je fusse informé de cette question par le truchement de mon secrétaire d’État, mais qu’il voulait m’en informer lui-même. Mais non, j’ai réellement assisté à cette réunion. Je le vois à l’instant par un autre indice ; mais même si je n’y avais pas assisté, je croîs que Milch devait penser à une autre réunion. Cela n’aurait d’ailleurs aucune importance car il est inconcevable que le Führer ait eu une conférence avec ces messieurs sans m’en aviser avant ou après, même dans l’hypothèse où je n’aurais pas pu m’y rendre Cela ne présente aucune importance. Il est parfaitement évident qu’en de pareils cas j’étais avisé avant la séance ou, si je n’y avais pas assisté, le Führer m’en faisait une relation détaillée. Mais je conclus que Milch doit s’être trompé et pense probablement à une autre conférence, car je me souviens très bien maintenant qu’au dernier moment encore, j’ai posé des questions sur le programme d’armement.
Que signifiait cette conférence ?
C’était une conférence tenue par le Führer dans laquelle il exposa une fois encore ses points de vue sur la situation et les tâches qui s’imposaient en conséquence aux Forces armées. Le point principal était, une fois de plus, de montrer à l’Armée que, tant au point de vue de l’armement que de la préparation des troupes, il envisageait toutes les éventualités politiques et qu’il voulait avoir une liberté complète pour prendre une décision.
C’est en partie un examen rétrospectif des événements qui se sont déroulés jusqu’à ce moment-là, et je n’ai pas besoin de souligner combien il est facile de voir des événements quand on les considère après coup sous un angle de développement tout différent de celui sous lequel ils se sont réellement déroulés. Je peux facilement dire que j’ai voulu ceci ou cela, puisque je l’ai accompli entre temps, et je peux dire aussi facilement, et c’est inévitablement le cas, que c’était depuis toujours mon intention, même si l’on sait pertinemment qu’à l’origine cela dépendait d’autres facteurs qui devaient jouer et que, dans certaines circonstances, mes intentions ont été à l’époque tout à fait différentes.
D’une façon générale c’est un nouvel exemple de fautes dues aux interprétations erronées d’un aide de camp. En gros, il s’agit bien là de l’une de ces conférences typiques que tenait le Führer quand il voulait atteindre un but précis et lui donner l’importance nécessaire.
Entre 1935 et 1938, vous avez fait plusieurs visites officielles en Pologne. Quel a été l’objet de ces visites ?
Après l’éclaircissement des rapports entre l’Allemagne et la Pologne en 1934, le Führer désirait renforcer les bases du pacte et créer une atmosphère meilleure. Il me pria d’assumer cette tâche parce qu’il pensait que je pouvais m’entretenir facilement avec les personnalités polonaises, ce qui fut effectivement le cas. Le chef de l’État m’avait invité en 1935 ; à partir de cette époque, en 1935, 1936, 1937, je passai chaque année une ou deux semaines en Pologne. J’eus une longue conversation avec le maréchal Pilsudski et rencontrai plus tard le ministre des Affaires étrangères et le maréchal Rydz-Smygly.
Le Führer m’avait alors confié non une mission de camouflage, mais une mission très sérieuse, qui était à côté de l’amélioration générale des relations de dire à la Pologne que le Führer avait intérêt à ce que la Pologne fût forte parce qu’une Pologne forte serait une bonne barrière entre l’Allemagne et la Russie. Le Führer avait souligné à cette époque qu’il serait certainement possible de trouver une solution du problème de Dantzig et du Corridor et que, d’ici-là, on trouverait bien une occasion de débattre ce problème avec la Pologne. Le problème lituanien y joua aussi un rôle ; mais ce qui compte, c’est que le Führer n’a pas dit : « Endormez la Pologne, je l’attaquerai ensuite ». Jamais — comme on l’a plusieurs fois exposé ici — nous ne nous sommes réunis dès le début pour décider, en complotant, chaque point de nos plans pour les années à venir ; au contraire, toutes les décisions que nous prenions procédaient du jeu des forces politiques et des intérêts, comme il en est de la politique de tous les pays du monde J’étais chargé de cette mission et je l’ai considérée comme un devoir et je l’ai accomplie honnêtement. C’est pourquoi, lorsque se produisit plus tard le conflit avec la Pologne, la situation était assez désagréable.
Quelle était votre opinion sur les questions de Memel, de Dantzig et du couloir polonais ?
Ma position a toujours été très claire et sans équivoque Dantzig et l’État libre constituaient un territoire essentiellement allemand et. comme tels, devaient un jour revenir à l’Allemagne D’autre part, nous reconnaissions absolument que la Pologne devait avoir un accès à la mer et un port. C’est pour cela que notre idée première était : retour au Reich de Dantzig et de l’État libre et une voie de communication allemande à travers le Corridor polonais. Voilà quelle était la très modeste exigence que nous considérâmes longtemps comme absolument indispensable et qui nous paraissait tout à fait acceptable
Il y a eu une autre conférence chez le Führer le 23 novembre 1939 Le procès-verbal de cette réunion constitue le document PS-789 qui a été présenté au Tribunal. Je vous prie de prendre connaissance de ce document et de me dire brièvement ce que vous pensez de son contenu.
Je puis être relativement bref à ce sujet C’est une allocution adressée aux commandants en chef et aux chefs des armées et formations qui étaient prêtes pour l’attaque à l’Ouest, après la défaite de la Pologne. Il est tout à fait normal, et il n’y a pas à le discuter, que lorsque le Commandant suprême qui dirige effectivement une armée décide d’entreprendre une opération stratégique et tactique de grande envergure, comme dans notre cas particulier, après la fin de la campagne de Pologne, le Führer voulait à tout prix, ce qui était absolument exact faire ses mouvements de troupes à la fin de l’automne et diriger ses coups sur la France pour terminer les opérations au cours de l’automne et de l’hiver 1939 C’est le temps qui l’en a empêché. En effet, cette opération ne pouvait pas être réalisée, surtout la pénétration de la ligne Maginot à Sedan, sans le concours de l’Aviation. Il fallait un temps favorable pour les opérations aériennes, au moins pendant quatre ou cinq jours au début de l’attaque. Ce n’est que parce que les conditions atmosphériques n’étaient pas sûres que les semaines ont passé les unes après les autres jusqu’à l’hiver, ce qui nous a obligés, après Noël et le Jour de l’An, à reporter l’opération au début du printemps.
Mais cette conférence se place à une époque où il croyait encore pouvoir mener ces opérations à bonne fin. Il réunit donc les Commandants en chef et leur fit connaître les dispositions pour l’attaque, C’était une de ses allocutions habituelles dans des cas de ce genre Il est naturel, étant donné que Hitler n’était pas seulement un soldat mais avant tout un homme politique, qu’il ait toujours mêlé au cours de ces allocutions, dans lesquelles un soldat se serait limité à des questions purement militaires et stratégiques, des considérations politiques, ses conceptions et ses principes politiques. Il ne faut pas oublier qu’il ne parlait pas simplement comme Commandant suprême de l’Armée, mais aussi comme chef d’État, comme chef du Gouvernement allemand ; c’est pour cette raison qu’il donnait fréquemment, même aux discours militaires, une allure si fortement politique.
Mais on ne demandait pas à un général s’il approuvait ou non les principes essentiels de cette politique. Lors de ces allocutions, on ne demandait même pas au général s’il approuvait ou non le plan militaire ; cela avait lieu à un autre moment. Quand une question était réglée et qu’il avait discuté les questions purement stratégiques et tactiques avec chacun des commandants, il donnait encore un résumé d’allure fortement politique dans lequel il exposait aux généraux ses grandes idées et ses conclusions dernières. J’insiste là-dessus parce qu’on en a souvent parlé ici ; si un général avait dit « Mon Führer, je considère que vos explications sont inexactes et qu’elles ne concordent pas avec les engagements que nous avons pris » ou « Cette politique ne peut avoir notre approbation », c’eût été invraisemblable et non pas seulement parce que le général en question aurait été fusillé ; j’aurais douté du bon sens de ce général car comment peut-on imaginer qu’on puisse diriger un État si l’on admet que pendant ou avant une guerre décidée par le Gouvernement, à tort ou à raison, un général puisse dire : « J’y vais » ou « Je n’y vais pas, mon corps d’armée reste dans ses cantonnements ; je dois d’abord demander à ma division ; peut-être l’une ira-t-elle et l’autre pas ». Ce droit, en dernière analyse, devrait aussi être accordé au soldat de deuxième classe. Ce serait peut-être le meilleur moyen d’éviter les guerres à l’avenir que de demander à chaque soldat s’il préfère rester chez lui. Peut-être, mais certainement pas dans un État totalitaire, et c’est ce que je voudrais souligner. Dans tous les États du monde, la formule militaire est clairement définie. En cas de guerre, ou quand le Gouvernement décide la guerre, les chefs militaires reçoivent leurs missions militaires. Ils peuvent à ce sujet prendre position, proposer d’enfoncer d’abord l’aile droite ou l’aile gauche ou d’attaquer au centre ; mais tout le reste, le fait par exemple de traverser un pays neutre, ne regarde en rien les chefs militaires. Le Gouvernement de l’État en est exclusivement responsable. Et en cette matière il n’y avait nullement possibilité d’amener une discussion générale sur la question de droit ; les généraux avaient déjà reçu leurs ordres. Le Commandant suprême avait décidé et le soldat n’avait plus à discuter. Et la situation d’un Feldmarschall était la même que celle d’un simple soldat.
Un décret du Führer du 7 octobre 1939 porte votre signature. On donne dans ce décret une mission de germanisation à Himmler. Ce texte est présenté sous le n° PS-686. Voulez-vous le regarder et me dire ce qu’il signifiait ?
Ce décret du 7 octobre 1939 a été publié après la fin de la campagne de Pologne. La Pologne était vaincue, l’État polonais, en tant que tel, n’existait plus. Je vous renvoie à la note du Commissaire du peuple Molotov qui prenait position à ce sujet. La victoire des armes réparait l’injustice que nous avions subie, nous Allemands, quand le Diktat de Versailles priva le Reich des provinces allemandes pour les rattacher à la Pologne. Il nous paraissait donc naturel que cette partie de la Pologne, allemande jusqu’en 1918, fût germanisée à nouveau, c’est-à-dire rentrât dans la famille allemande. Or, sur ce territoire, pendant toutes ces années, plus d’un million d’Allemands, qui y habitaient depuis longtemps et possédaient des propriétés, surtout des propriétés agricoles, des fermes, etc., avaient été expulsés et dépossédés de leurs propriétés. C’est ce qui ressort de nombreuses plaintes adressées, après 1919 à la Société des Nations et une étude de toutes les plaintes et de tous les rapports sur ces incidents qui ont été envoyés à la SDN et qui doivent se trouver encore dans les archives de Genève, confirmera l’étendue du travail entrepris par les Polonais sur ces territoires Le décret dont il s’agit ici tendait à renverser cette situation en germanisant ces propriétés, c’est-à-dire à rendre à des Allemands les biens, fermes, etc. dont on avait dépossédé des Allemands. Je n’étais pas très satisfait que ce fût Himmler qui reçût cette mission, mais cela n’avait pas grande importance à ce moment-là. Cependant ce n’est pas en tant que chef de la Police qu’il fut chargé de cette mission, mais on sait qu’il s’était toujours intéressé aux questions relatives à la nouvelle évolution du citoyen allemand ; c’est ainsi que ce service, je ne sais plus très bien son nom, Volkstum, peut-être... Je vous demande pardon un instant... Le nom d’ailleurs importe peu .., C’est en tout cas Himmler qui fut chargé de cette mission. Le Führer promulgua ce décret et je le signai tout naturellement puisque je présidais alors le Conseil des ministres. Ce décret a été également signé par Lammers, chef de la Chancellerie du Reich. Ce sont des signatures tout à fait normales. Ma position dans cette question est tout à fait positive, car elle correspondait à mes conceptions : les territoires allemands d’où avaient été chassés les Allemands devaient retourner aux Allemands. Mais je tiens à vous faire remarquer qu’il s’agissait là, à vrai dire, d’anciennes provinces allemandes.
Vous parlez des provinces occupées de l’ouest de la Pologne ?
Oui. Le Gouvernement, par exemple, n’était pas destiné à être germanisé Si l’on a procédé plus tard à une colonisation allemande dans le Gouvernement — je ne connais pas bien cette question — ce ne fut pas en tout cas sur la base de ce décret. Vous m’avez demandé tout à l’heure ce que je pensais de la question de Memel, je crois.
Oui.
J’ai insisté sur Dantzig et le Corridor polonais ; Memel constituait une question relativement peu importante. D’après le Traité de Versailles ou une décision de la Société des Nations, il devait y avoir un plébiscite à Memel. Peu de temps avant, les Lituaniens occupèrent Memel et le territoire de Memel pour empêcher le plébiscite ; la Lituanie incorpora Memel à son territoire, nous mettant ainsi devant un fait accompli. Les plaintes formulées à l’époque par le Gouvernement du Reich n’eurent pas plus d’effet que les plaintes formulées précédemment auprès de la Société des Nations. On regrettait le geste des Lituaniens, on le trouvait injuste et malhonnête, mais il ne pouvait être question de restitution ni même du plébiscite prévu. Après l’occupation de Memel par les Lituaniens, en violation de toutes les conventions, notre nation avait évidemment le droit de rétablir l’ordre et de réoccuper Memel à son tour.
Le 19 octobre 1939, vous avez publié un décret ordonnant la saisie des biens polonais. Ce décret constitue le document EC-410 Je vous prie de prendre position sur ce document.
C’est un décret qui donne des indications générales sur la manière dont il fallait procéder, au point de vue économique, sur l’ensemble des territoires polonais que nous occupions. Il prévoyait la saisie et l’administration des biens de l’État polonais dans les territoires occupés par les troupes allemandes le règlement des questions financières et bancaires, l’institution de nouvelles dispositions économiques, la préparation du règlement, qui devenait nécessaire, des litiges financiers avec les étrangers. Les confiscations ne pouvaient être effectuées que par le service compétent à l’Est, etc. Il ne s’agissait pas tellement de saisie de biens. Ce n’était pas cela. Au contraire, même dans le Gouvernement, le système économique existant, d’intérêt militaire, a été renforcé et développé, celui en particulier qui intéressait l’effort de guerre. Les branches de l’économie qui n’étaient pas absolument essentielles furent restreintes dans la même mesure qu’en Allemagne et dans tous les autres États pendant la guerre. En ce qui concerne les matières premières disponibles importantes pour la conduite de la guerre, telles que l’acier, le cuivre ou le zinc, ma conception ou pour mieux dire, mon intention était de faire procéder à la transformation de ces matières, là où il était possible de le faire le plus rapidement. Si l’emplacement et les moyens de communication le permettaient, il fallait le faire sur place. Quand ce n’était pas possible, je ne pouvais évidemment pas laisser sur place les matières premières importantes ; il fallait les faire transporter là où elles pourraient être rapidement transformées pour les besoins de la guerre C’est à peu près ce qu’indique ce décret ; il correspondait à mon attitude et à mes instructions fondamentales. Il fallait, le mieux et le plus rapidement possible, procéder à la transformation de ces matières premières.
Le 19 octobre 1945, un certain Dr Cajetan Mühlmann a fait une déclaration sous serment qui a été présentée par le Ministère Public sous le n° zPS-3042. J’en cite trois courtes phrases :
« J’étais le délégué du Gouverneur Général de Pologne, Hans Frank, pour la protection des objets d’art dans le Gouvernement Général.
J’avais été chargé de cette mission par Göring en sa qualité de président du Comité de défense du Reich.
Je certifie que la politique officielle du Gouverneur Général Hans Frank était de prendre en garde toutes les œuvres d’art importantes des institutions polonaises publiques, des collections privées et des églises. Je certifie que les objets d’art mentionnés ont été effectivement confisqués et je sais qu’en cas de victoire allemande ils ne seraient pas restés en Pologne mais auraient été employés pour compléter les collections allemandes. »
En fait, je n’avais pas à m’occuper directement de la mise en sécurité des objets d’art en Pologne, et certainement pas en ma qualité de président du Conseil des ministres de la défense du Reich. En fait, Mühlmann, que je connaissais, vint me voir et me dit qu’il allait s’occuper là-bas de la mise en sécurité des objets d’art. Je pensais, moi aussi, que sans considérer même ce qu’il en adviendrait ultérieurement, il fallait, pendant la guerre, mettre en sûreté les objets d’art pour éviter toute destruction par le feu, au cours des combats, etc. Je voudrais insister tout de suite sur le fait — j’y reviendrai d’ailleurs au sujet de la France — qu’aucun de ces objets d’art n’a été enlevé pour ma soi-disant collection. Je le dis en passant. Il est exact de dire que ces objets d’art ont été mis en sûreté et on voulait le faire surtout parce que les propriétaires n’étaient pas là. Mais quand les propriétaires étaient là, je me souviens par exemple du comte Potocki à Lancut, les collections restaient sur place. Le Führer n’avait pas encore indiqué avec précision ce qu’on devait faire de ces objets d’art. Dans une lettre adressée à Mühlmann, et si je me souviens bien, également à Frank, il avait exprimé son désir de faire transporter ces objets d’art à Kœnigsberg. On devait amener pour leur protection quatre tableaux dans l’abri de sécurité du musée allemand de Berlin ou au musée de l’empereur Frédéric à Berlin. Il y avait aussi les dessins de Dürer de Lemberg. J’en parle ici parce que le Ministère Public les a déjà mentionnés. Nous n’avons pas confisqué les dessins de Dürer de Lemberg à cette époque parce que Lemberg était devenu russe. Ce n’est qu’au moment de notre avance en Russie que ces dessins de Dürer, si je me souviens bien de ce que m’a dit Mühlmann, furent sauvés au cours du combat, dans la ville en flammes, par un professeur polonais qui les avait jusque là cachés aux yeux des Russes et qui les a remis à Mühlmann. C’étaient des dessins et il vint me les montrer ; mais bien que je porte beaucoup d’intérêt à ces questions en général, je n’avais malheureusement pas le temps de les examiner à loisir car je devais me rendre chez le Führer ; je les ai emmenés et les ai remis immédiatement là-bas, ce qui est, je crois, confirmé par Mühlmann. J’ignore ce que sont devenus ces dessins. Je crois avoir ainsi répondu à la question sur les trésors d’art polonais.
Il y a aussi le fameux autel de Veit Stoss, qui avait été fait jadis à Nuremberg, une œuvre purement allemande ; le Führer désirait que cet autel prît place à Nuremberg, au musée germanique. Je n’avais personnellement rien à voir avec cela. Je l’ai seulement su. On n’avait pas dit ce qu’on avait l’intention d’en faire en définitive. Mais il est aussi certain que des négociations à ce sujet auraient joué leur rôle dans la conclusion de la paix
Quels rapports avez-vous eus avec Quisling ?
Je n’ai vu Quisling pour la première et unique fois que longtemps après l’occupation de la Norvège. Il se trouvait à Berlin ; il me rendit visite et nous eûmes une courte conversation sans grande importance. Auparavant, avant la déclaration de la guerre, un de ses hommes, que je ne connaissais pas personnellement, m’avait écrit une lettre qu’on m’a montrée, mais dont je ne me souviens pas moi-même car habituellement les lettres de ce genre ne m’étaient pas soumises, mais c’est sans importance. Dans cette lettre, il nous demandait, au nom de Quisling, de soutenir financièrement le mouvement Quisling et décrivait l’afflux de fonds de nature politique de la Russie d’un côté au parti communiste, de l’Angleterre de l’autre aux groupes politiques intéressés. Plus tard, quelqu’un me demanda si l’on ne pourrait pas, au moyen de livraisons de charbon, apporter une aide à Quisling. J’ai pris la position suivante : même si à cause de notre situation en devises étrangères et d’autres facteurs — nous n’étions pas si riches — nous ne pouvions naturellement pas entrer en concurrence avec les Anglais et les Russes au point de vue financier, il fallait consulter les services qui pouvaient juger s’il était expédient ou non de donner un appui financier au mouvement Quisling ; s’ils répondaient affirmativement, pour ce qui était de moi, Quisling pouvait bien recevoir de l’argent. La somme en question, que j’aurais volontiers donnée, était beaucoup plus élevée que celle qui fut remise plus tard par le ministère des Affaires étrangères au nom du Führer. Je n’ai jamais vu l’intérêt de contributions si minimes ; une fois qu’on a décidé de verser des fonds, il faut le faire largement afin d’atteindre le but poursuivi. On a pu l’expérimenter pendant la dernière guerre mondiale, pour les fonds versés au Parlement roumain, qui se sont malheureusement révélés insuffisants. J’en ai déduit que si nous étions disposés à donner de l’argent, il fallait donner beaucoup Cela mis à part, comme je l’ai déjà dit, je n’ai fait la connaissance de Quisling que beaucoup plus tard et j’ai eu avec lui une conversation absolument sans intérêt dont je ne me souviens d’ailleurs pas.
Quel était votre avis sur la campagne de Norvège ?
Les opérations de Norvège me surprirent dans une certaine mesure, car il y avait un certain temps que je n’en avais plus entendu parler. Le Führer alla très loin dans l’application de son décret fondamental dont j’ai déjà parlé au début, et il n’a fait appel à la participation de l’Aviation que très tard. Mais comme dans cette opération une mission des plus importantes revenait à l’Aviation, je me suis élevé sans la moindre équivoque contre ce projet Du point de vue militaire, j’étais tout à fait d’accord sur ce projet en soi car, en tant que Commandant en chef de l’Aviation, je devais envisager d’abord, indépendamment des considérations politiques, des considérations d’intérêt stratégique. Il était évident pour tout expert militaire que la position des Forces aériennes serait considérablement améliorée si mes escadrilles pouvaient opérer contre l’Angleterre en partant de bases norvégiennes. C’est pourquoi, du point de vue stratégique, en tant que Commandant en chef de la Luftwaffe, je ne pouvais que souscrire à ce projet. Mes seules objections étaient premièrement que j’avais été prévenu trop tard, deuxièmement que les plans ne me paraissaient pas parfaits, mais parfaitement constructifs.
Hitler craignait-il que cette occupation provoquât des difficultés avec la Suède ?
Oui. Pas tellement l’occupation allemande en soi, mais quand nous, ou plutôt quand le Führer prit la décision d’occuper la Norvège, nous avions déjà des informations précises et détaillées sur un projet d’occupation par les troupes britanniques et françaises, ce qui s’est trouvé confirmé ultérieurement par des documents anglais et des documents saisis à l’État-Major français. Nous savions également qu’ils n’avaient pas l’intention de se limiter à l’occupation de la Norvège, mais d’abord d’atteindre par Narvik le minerai suédois, de couper les exportations de minerai suédois à destination de l’Allemagne, puis d’intervenir en faveur de la Finlande dans le conflit russo-finlandais. Le Führer craignait que la Suède ne cédât à la pression de l’Angleterre, c’est-à-dire, sous prétexte d’aide à la Finlande, n’autorisât le passage des troupes, ce qui eût nécessairement provoqué l’isolement du bassin suédois et la suppression des livraisons à l’Allemagne. J’ai alors assumé une lourde responsabilité en assurant au Führer que je connaissais assez la Suède, son peuple et son roi, pour pouvoir affirmer que, quelle que soit la puissance qui voudrait exercer une pression sur la Suède, que ce soit nous ou les autres, elle défendrait par les armes sa neutralité contre celui qui voudrait y porter atteinte pour quelque raison que ce soit ; je m’en portais garant personnellement et je pris consciemment la responsabilité de lui affirmer qu’il pouvait être tranquille de ce côté. Ainsi la question fut réglée.
L’audience est levée.