QUATRE-VINGT-DEUXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 15 mars 1946.

Audience du matin.

Dr STAHMER

Quelles sont les raisons décisives qui ont poussé à l’invasion de la Hollande et de la Belgique ?

ACCUSÉ GÖRING

Cette question avait d’abord été examinée d’un point de vue purement militaire et stratégique. Pour commencer, nous nous étions demandé si la neutralité de ces deux États serait absolument garantie.

LE PRÉSIDENT

Les incidents survenus dans le système de transmission obligent le Tribunal à suspendre l’audience.

(Brève suspension d’audience.)
Dr STAHMER

Veuillez continuer, je vous prie.

ACCUSÉ GÖRING

Je répète. Pour commencer, il fallait nous assurer que la neutralité de la Hollande et de la Belgique serait respectée en toutes circonstances en cas de conflit armé. Au début, il semblait qu’elle le serait. Mais nous apprîmes que des négociations avaient eu lieu, non seulement entre la Belgique et la France, mais également entre la Hollande et l’Angleterre.

Un incident à Venlo, au cours duquel un officier d’État-Major hollandais fut arrêté en territoire allemand et un autre abattu, je crois, par des gardes-frontières, donnait clairement à entendre que cette neutralité sous condition ne pourrait être maintenue sous la pression accrue de l’ennemi.

Si donc cette neutralité ne pouvait être garantie en toutes circonstances, il en résultait un terrible danger du fait que notre flanc droit était exposé aux menaces. Les autorités purement militaires, qui ne considéraient que le point de vue stratégique, n’avaient, quand on les consultait, qu’à donner leur opinion en ne considérant que la situation militaire. Elles ont donc insisté sur le fait que cette situation militaire apparaissait, par le fait de l’occupation des deux pays, totalement différente de ce qu’elle serait si on négligeait de procéder à une telle occupation et si on laissait à l’ennemi le temps d’en prendre l’initiative.

Le fait que presque toutes les escadrilles qui se rendaient de Grande-Bretagne en Allemagne passaient alors au-dessus des territoires hollandais et belge était un facteur qui s’ajoutait aux doutes que nous nourrissions sur la complète neutralité de ces pays.

Des renseignements nous parvinrent de source bien informée selon lesquels l’Armée belge qui, au commencement de la guerre, avait reçu la tâche de renforcer les frontières du sud-ouest, avait été regroupée et concentrée avec toute sa puissance combative le long de la frontière allemande. D’autres renseignements nous apprirent que des échanges de vue avaient eu lieu entre les États-Majors français et belge et que, sous la pression de l’État-Major général français, la Belgique avait promis d’intensifier les travaux de la ligne de fortification construite sur la Meuse, face à l’Allemagne.

D’autres renseignements indiquaient que le chef d’État-Major général français, Gamelin, aussi bien que l’amiral Darlan, et que le chef de l’Aviation Vuillemin, insistaient pour que la Belgique fût occupée, quoi qu’il arrivât, dans l’intérêt de la sécurité de la France ; nous sûmes ainsi que des négociations étaient en cours à cet égard entre les Gouvernements français et britannique. Nous tenions alors ces renseignements de source sûre. Leur exactitude nous fut confirmée plus tard, lorsque après la campagne de France nous trouvâmes les documents secrets de l’État-Major français, ainsi que les procès-verbaux des entretiens qui s’étaient déroulés entre les Gouvernements français et britannique au sein du soi-disant Conseil supérieur de la Guerre.

Le Führer estimait que l’incapacité dans laquelle ces pays se trouvaient de maintenir leur neutralité en face de la pression franco-britannique grandissante ferait courir un grand danger à la région de la Ruhr, dont l’importance était vitale pour nous. On peut voir combien cette opinion était justifiée lorsque l’on consulte les rapports dans lesquels le chef du Gouvernement britannique suggérait, sur la base des explications détaillées fournies par les experts du Conseil de la Guerre, que la meilleure façon d’attaquer la vallée de la Ruhr par des avions anglais volant à basse altitude serait d’avancer en Belgique et de profiter de la courte distance qui séparerait alors les bases aériennes de la vallée de la Ruhr pour détruire les industries les plus importantes qui s’y trouvaient.

Le fait que ce plan n’ait pas été réalisé immédiatement est dû au souci que causait au président du Conseil français le sort de l’industrie française ; il désirait laisser au côté adverse le soin de procéder aux premières attaques contre les centres industriels. L’Angleterre insista cependant sur le fait qu’elle serait à tout moment à même d’attaquer la vallée de la Ruhr par la Belgique Si l’on prend en considération la courte distance qui sépare à vol d’oiseau la frontière belge et les industries les plus importantes de la vallée de la Ruhr, distance qui peut être couverte en quelques minutes seulement, on comprend alors parfaitement le danger qui serait survenu si la neutralité de la Belgique n’avait pas été respectée par nos ennemis. Si d’autre part elle avait été respectée, une attaque des Forces aériennes britanniques contre la Ruhr aurait amené la nécessité d’un raid relativement long au-dessus de la baie d’Heligoland, et il nous était alors très possible de repousser une telle attaque. Mais si cette attaque était effectuée par la Belgique, toute défense était rendue impossible.

Dans cette âpre lutte, il importait avant tout de songer à nos propres intérêts militaires ainsi qu’à notre existence et de ne pas laisser l’avantage à l’adversaire. Nous étions alors sincèrement convaincus de la réalité du danger qui menaçait notre peuple, et surtout notre Armée ; nous savions qu’il fallait s’y prendre à l’avance pour l’écarter et qu’il fallait nous assurer la possession des avantages que l’ennemi comptait s’attribuer.

Dr STAHMER

Pour quelles raisons des officiers ont-ils été internés en France après la cessation des hostilités ?

ACCUSÉ GÖRING

Je voudrais tout d’abord rectifier une expression souvent employée à cet égard. En France, la guerre n’était pas à proprement parler terminée, un armistice avait été conclu. Les termes en étaient empreints d’une grande générosité. Son préambule même manifestait une tendance favorable à une réconciliation future contrastant avec l’armistice qui avait été signé en 1918 au même endroit.

Lorsque, à cette époque, le maréchal Pétain demanda l’armistice, on lui répondit d’abord que la capitulation devait être sans conditions. Puis, cependant, nous lui fîmes comprendre qu’un certain nombre de ses désirs concernant la flotte, la zone non occupée et les colonies seraient pris en considération. La situation était alors telle que l’Allemagne aurait pu exiger une capitulation totalement inconditionnelle, puisque aucune armée française d’importance ni aucune aide venant d’Angleterre n’auraient été à même d’éviter à la France une catastrophe militaire définitive. Aucune formation française n’aurait pu empêcher la percée des troupes allemandes jusqu’à la Méditerranée. L’Angleterre n’avait aucune réserve. Toutes les réserves disponibles étaient concentrées dans le corps expéditionnaire qui avait été envoyé en Belgique et dans le nord de la France et dont l’odyssée se termina à Dunkerque.

On respecta dans cet armistice, les conditions qui avaient fait l’objet d’un vœu. En outre, le Führer lui-même avait laissé prévaloir une solution particulièrement généreuse, surtout à propos de la question des officiers prisonniers. Lorsque, contrairement aux espoirs immenses que nous avions nourris et qui, au début, se réalisèrent partiellement, le mouvement de résistance commença à se développer graduellement en France grâce à la propagande d’outre-Manche et qu’un nouveau centre de résistance eût été établi en France sous l’autorité du général de Gaulle, il était à mon avis parfaitement compréhensible que les officiers français voulussent offrir leurs services comme patriotes. Mais il était tout aussi naturel pour l’Allemagne de prendre conscience de ce danger et d’essayer d’y parer en considérant à nouveau comme prisonniers de guerre ceux qui auraient été les dirigeants techniques de ces mouvements militaires de résistance, c’est-à-dire tous ces officiers qui circulaient encore librement en France. La réalisation de cette condition fondamentale était nécessaire pour éviter le danger d’une guerre dans notre dos et la reprise des armes en France.

Je pense que c’est un fait unique d’avoir vu, pendant que la guerre faisait encore rage sur tous les fronts, les officiers d’un pays avec lequel un armistice avait été conclu, avoir la permission de se déplacer librement. Autant que je sache, c’est un fait sans précédent dans l’histoire de la guerre.

Dr STAHMER

Pouvez-vous nous citer certains faits démontrant pourquoi la lutte en France qui, en 1940, avait été menée apparemment d’une façon aussi chevaleresque d’un côté que de l’autre, a pris ensuite un caractère si âpre ?

ACCUSÉ GÖRING

Dans la lutte avec la France, il faut soigneusement distinguer deux phases.

La première phase correspond au grand conflit militaire, c’est-à-dire à l’attaque des Forces allemandes contre l’Armée française. Cette lutte fut rapidement menée. On ne peut pas dire que ce fut un combat particulièrement chevaleresque, car dès cette époque, nous fûmes mis au courant de certains actes commis par les Français contre nos prisonniers, actes qui furent relatés dans le Livre Blanc et présentés ultérieurement à la Croix-Rouge internationale de Genève. Mais, en général, cette lutte resta dans les limites d’une opération militaire ordinaire, avec les quelques excès qui se produisent toujours de temps à autres au cours de tels événements.

La liquidation de cette opération amena une période de calme et d’apaisement. Puis la guerre continua et s’étendit davantage, au moment de l’entrée en guerre avec la Russie et, comme je l’ai déjà dit, l’adversaire créa un centre français de direction de ces opérations. Une sérieuse intensification du mouvement de résistance apparut dans les pays de l’Ouest qui s’étaient jusqu’alors tenus tranquilles et où aucun incident sérieux n’avait eu lieu. Des attaques se produisirent contre des officiers et des soldats allemands ; des bombes et des grenades furent lancées dans des locaux où se trouvaient des officiers et des soldats allemands ; des bombes furent même jetées dans des locaux où se trouvaient des femmes auxiliaires des services de transmission et infirmières de la Croix-Rouge allemande : des voitures furent attaquées, des communications coupées, des trains sautèrent, le tout de façon croissante.

Lorsqu’on mène une guerre sur terre, on éprouve déjà suffisamment de difficultés sur ses arrières ; mais lorsque la guerre aérienne s’y ajouta, des possibilités entièrement nouvelles furent exploitées et des méthodes nouvelles instaurées. Toutes les nuits, de nombreux avions venaient jeter d’énormes quantités de munitions, d’armes et faisaient parvenir des renseignements sur la façon de renforcer ce mouvement de résistance et de retendre. Les services de contre-espionnage allemand réussirent, grâce aux brouillages d’ondes et aux codes chiffrés lancés par les avions ennemis, à saisir une grande partie de ce matériel ; mais une quantité suffisante parvint à tomber entre les mains des mouvements de résistance. Des atrocités furent également commises sur une vaste échelle. Des documents peuvent être présentés à l’appui de ces faits. Naturellement...

M. JUSTICE JACKSON

Plaise au Tribunal. Je regrette d’interrompre cet interrogatoire mais j’aimerais demander au Tribunal s’il compte se prévaloir des dispositions du Statut pour exiger de la Défense une déclaration sur le point de savoir si ces faits sont pertinents par rapport aux incriminations que nous poursuivons au cours de ce Procès.

Il en résulte un problème d’une assez vaste portée dont la solution nécessite beaucoup de temps si l’on considère que le temps prend une place importante dans ces débats.

En vue de cette déclaration, je suis prêt à reconnaître que les groupes de partisans se livrèrent, dans les territoires occupés, à des actes regrettables, répréhensibles et préjudiciables aux conquérants en puissance. Si l’on a ici l’intention, en s’appuyant sur la théorie des représailles, d’apporter des preuves sur le traitement infligé par les partisans aux troupes allemandes d’occupation, je désirerais attirer respectueusement votre attention sur le fait que la Défense procède en sens inverse. Lorsque la Défense dit « oui, nous avons commis certaines atrocités, nous avons violé le Droit international », on pourrait alors admettre que le motif — je démontrerai qu’il n’en est rien — est en rapport avec la Convention de la Haye. Mais il faut tout au moins que la question soit présentée.

Mais, à moins qu’on puisse prouver que ces représailles étaient justifiées, je pense que de telles préoccupations sont étrangères à ces débats. Si ces moyens de preuve reposent sur la théorie des représailles, notre première question sera : à quoi servaient les représailles ? En d’autres termes, la théorie des représailles ne peut être invoquée qu’après avoir d’abord admis que certains actes ont été commis en violation du Droit international. Vous pouvez alors poser la question de savoir si vous étiez justifié J’estime que ces débats seraient abrégés et rendus plus clairs si l’avocat définissait les actes commis par les troupes allemandes d’occupation, qui font l’objet du présent témoignage, et dont il essaie, d’après moi, de justifier l’existence. Je pense qu’à moins qu’il n’existe une théorie des représailles présentée avec assez de clarté pour que nous puissions identifier les violations pour lesquelles l’Allemagne cherche à s’excuser en l’invoquant, ce témoignage n’aide en rien à trouver la solution finale.

Il ne s’agit pas de savoir si les territoires occupés ont résisté. Il est évident qu’ils l’ont fait. La question est de savoir si des actes du type que nous avons défini sont excusables du fait qu’ils ont été commis en guise de représailles. Dans ce cas, ces actes doivent être pris en considération, et la théorie des représailles doit être exposée d’une façon plus détaillée.

LE PRÉSIDENT

Oui, Docteur Stahmer.

Dr STAHMER

Je n’ai pas pu comprendre complètement les explications qui viennent d’être données, car la traduction a été mal rendue, mais je crois que les questions que nous avons traitées jusqu’à maintenant sont pertinentes pour les raisons suivantes :

On reproche aux accusés d’avoir fait arrêter et fusiller de nombreux otages et on affirme que cette attitude est injustifiable. En tout cas, les motifs qui ont poussé les accusés à prendre des otages n’ont pas fait jusqu’ici l’objet de discussions assez abondantes. Pour éclaircir ce problème, dont l’importance influera sur l’issue de ce Procès, je crois qu’il est absolument nécessaire de déterminer si les décrets concernant l’arrestation et le traitement des otages furent provoqués par le comportement des mouvements de résistance. A mon avis, je crois qu’il est permis d’affirmer que les actes des mouvements de résistance furent la cause des mesures qui furent prises ultérieurement par les autorités militaires allemandes, à leur grand regret d’ailleurs.

M. JUSTICE JACKSON

Puis-je ajouter un mot en réponse à la requête du Dr Stahmer, si toutefois on peut parler de requête ?

La suggestion présentée par le Dr Stahmer sur la discussion des motifs me semble nous entraîner bien loin. S’il invoque la doctrine du Droit international sur les représailles, il doit tenir compte des conditions de cette doctrine. L’article 2 de la Convention du 27 juillet 1929 interdit formellement les mesures de représailles contre les prisonniers de guerre. Le Dr Stahmer se prévaut donc de cette théorie à propos d’autres personnes que les prisonniers de guerre. D’après la doctrine des représailles telle que nous l’entendons, tout acte dont on réclame la justification comme ayant été commis à titre de représailles doit s’être appliqué à une violation flagrante et continue du Droit international. Ce qui revient à dire que toute violation fortuite et accidentelle ne justifie pas des mesures générales de représailles. S’il en était ainsi, le Droit international ne reposerait sur aucune base solide, car toute infraction, si légère soit-elle, commise par l’une des parties, dispenserait l’autre d’observer les règles de la guerre.

Deuxièmement, toute mesure de représailles dont on réclame la justification doit avoir été appliquée pendant une période de temps raisonnable et reliée directement à l’infraction dont elle devait empêcher qu’elle se renouvelât. En d’autres termes, on ne doit pas procéder à un meurtre collectif par voie de représailles dans le but de venger un crime isolé. Puis il faut prouver qu’une protestation a été élevée sur la base de laquelle ces mesures de représailles ont été prises. On ne peut procéder à des représailles sans avis préalable. Une notification doit en être faite par un élément responsable du Gouvernement. Et, ce qui est le plus important, une série de violations délibérées du Droit international ne peut pas être travestie en représailles. Des actes bien définis doivent constituer des représailles pour d’autres actes bien définis, dans les conditions que j’ai signalées Rien ne peut justifier l’instauration d’un régime de terreur sous le prétexte de représailles, et je me permets de faire observer que la demande du Dr Stahmer tendant à étudier les mobiles des actes de Göring seul ou de tous les accusés, ou de l’Allemagne, ne peut être prise en considération. On pourrait la présenter au Tribunal après la décision sur la culpabilité, en vue d’un adoucissement de la peine, mais on ne peut la faire entrer en ligne de compte pour décider si les accusés de ce Procès sont innocents ou coupables des charges que nous avons portées contre eux.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Justice Jackson, je comprends que vous êtes d’accord pour considérer que ce moyen de preuve a un effet sur l’adoucissement de la condamnation.

M. JUSTICE JACKSON

Je crois que si vous déclarez les accusés coupables, se posera, d’après notre procédure, la question de la peine. Vous pourriez peut-être estimer que tout ce qu’un accusé est susceptible de produire est pertinent pour le jugement. Mais je ne crois pas que le Dr Stahmer s’occupe en ce moment de requêtes qui soient d’importance en la matière. Si c’était le cas, je serais naturellement d’accord pour qu’on entendît toute requête tendant à l’adoucissement de la peine. Mais autant que je le comprenne, tout cela se rapporte à la question de culpabilité.

LE PRÉSIDENT

Le Statut, si je suis bien informé, n’a pas prévu que des preuves seraient produites après le prononcé des condamnations, dans le cas où les accusés seront reconnus coupables. C’est pourquoi toute preuve tendant à une atténuation de la peine doit être présentée maintenant.

M. JUSTICE JACKSON

Il pourrait, à mon avis, en résulter des difficultés du fait qu’un accusé pourrait fort bien n’être déclaré coupable que sur certains chefs et non sur tous. Serait alors sujette à contestation une décision qui, sans objet quant aux deux tiers de son contenu, ne reconnaîtrait l’accusé coupable que sur un point.

Peut-être ai-je un préjugé en faveur du système que je connais, ou dont tout au moins on présume que je le connais. Dans ce Procès, la première question qui est tranchée est celle de la culpabilité.

La question de la peine est une chose bien différente qui doit être réglée après la question de culpabilité. J’estime que ce serait la façon de procéder la plus logique. Et je suis d’avis, et je crois que le Dr Stahmer partagera mon point de vue, que cette requête ne se rapporte pas à la question de la peine. Je ne crois pas qu’il convienne que nous ayons atteint ce point.

Dr STAHMER

Puis-je commenter brièvement ce point de droit ? Nous soutenons que des groupes de partisans organisés se sont livrés en France à de nombreuses violations du Droit international. La lutte contre ces entreprises contraires au Droit international peut être menée par voie de représailles, comme vient de l’expliquer M. Justice Jackson. Il est exact qu’il y avait certaines raisons d’appliquer des représailles, mais à mon avis, il est très contestable...

LE PRÉSIDENT

Puis-je vous demander si vous êtes d’accord sur les conditions que M. Justice Jackson a fixées ?

Dr STAHMER

Oui, mais il me semble que nous devons également considérer la situation exceptionnelle créée par ces violations, c’est-à-dire par le déclenchement de la guerre des partisans. Cette situation explique que les chefs militaires aient pris des mesures d’ordre général pour mettre ordre à cet état de choses entaché d’illégalité, En tout cas, ces faits peuvent avoir une incidence définitive sur les éléments du jugement.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal n’a pas l’intention d’entendre un nombre illimité d’avocats Mais je vois que le Dr Exner est là et nous sommes disposés à l’entendre.

PROFESSEUR Dr HANS EXNER (avocat de l’accusé Jodl)

Messieurs, cette question des représailles présente un grand intérêt pour nous tous et je voudrais en dire quelques mots J’ai professé le Droit international pendant dix ans à la Faculté et je crois avoir quelques connaissances sur ce sujet.

La question des représailles est l’une des plus discutées du Droit international. Il n’y a qu’un point sur lequel on soit absolument certain, c’est que, comme M Justice Jackson l’a dit, tout d’abord « on ne doit pas exercer de représailles contre les prisonniers de guerre ». Tout le reste est matière à discussion et n’intéresse pas le Droit international. Il n’est pas exact que la coutume générale adoptée par tous les États, et qui par conséquent consacrerait le Droit international, exige qu’une protestation doive précéder la prise de mesures de représailles. Il n’est pas exact non plus d’affirmer la nécessité d’un rapport supposé raisonnable entre la mesure de représailles et l’acte à sanctionner. On a affirmé qu’il devait y avoir un rapport de temps et surtout un rapport proportionnel entre la violation constituée par les représailles et celle qu’elles ont voulu sanctionner. Il y a des spécialistes du Droit international qui prétendent qu’il serait souhaitable qu’un tel rapport de proportionnalité existât dans chaque cas. Mais il n’en est rien dans l’état actuel du Droit international où aucun accord n’a été conclu à cet effet et où aucune coutume internationale n’a été établie.

On conclura donc que, en raison des violations du Droit international commises par l’adversaire, nous ne devions en aucun cas exercer de représailles contre les prisonniers de guerre ; mais toute autre forme de représailles reste cependant admissible.

Voilà ce que je voulais déclarer en termes généraux. Peut-être puis-je faire observer qu’on a parlé de laisser pour le moment les motifs d’adoucissement de la peine. J’aimerais rappeler au Tribunal que nous n’avons le droit de ne faire qu’une plaidoirie ; si, au cours de cette plaidoirie qui a lieu avant que soit tranchée la question de la culpabilité, nous n’avons pas le droit d’invoquer les circonstances atténuantes, nous n’aurons plus alors aucune occasion de le faire.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va maintenant suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a décidé que les preuves relatives à la question des représailles étaient admissibles. Il prendra ultérieurement en considération la portée qu’il convient d’attribuer à ce témoignage ou à de semblables moyens de preuve.

Dr STAHMER

Voulez-vous continuer, je vous prie.

ACCUSÉ GÖRING

Je crois que la déclaration que je m’apprête à faire, répondra aux conditions posées par M. Justice Jackson.

Je ne conteste absolument pas que des événements se sont produits qui, du point de vue du Droit international, puissent donner lieu à d’âpres discussions. Des faits se sont également produits qui doivent en tout cas être considérés comme des excès. Je voulais simplement expliquer comment ils se sont déroulés, non pas du point de vue Droit international sur les représailles, mais en considérant seulement le sentiment du soldat constamment menacé et gêné dans l’accomplissement de son devoir, non par des troupes régulières combattant ouvertement, mais par des partisans qui l’attaquaient dans le dos.

Du fait de ces événements sur lesquels je n’ai pas à insister, naquit une animosité qui conduisit automatiquement — ou dans certains cas sur un ordre pris en considération d’un pressant danger national — aux excès qui furent commis ça et là par les troupes. Il faut remonter à cette période d’âpres combats. Aujourd’hui, avec le recul du temps, au cours d’une calme discussion juridique, ces événements sont difficiles à reconstituer et paraissent même incompréhensibles. Des expressions qui furent employées dans ces moments pénibles revêtent aujourd’hui, faute d’analyser la situation, un sens tout différent. Ma seule intention était de dépeindre brièvement au Tribunal cette atmosphère qui a donné naissance à des actes qui, même s’ils ne sont pas toujours excusables, sembleraient pouvoir être expliqués, et de montrer qu’ils ont été également perpétrés par d’autres dans des cas semblables.

Voilà quelle a été et quelle est ma réponse à la question de savoir pourquoi les conditions qui régnaient en France ont conduit à faire distinguer dans la guerre deux phases tout à fait différentes. La première fut une phase de combats réguliers ; j’en ai déjà parlé. Dans la seconde, on assista à une lutte qui n’était pas menée par des troupes régulières, mais par des hommes qui sortaient de la clandestinité, lutte qui a toujours entraîné et entraînera toujours des excès d’un type très différent de ceux qui peuvent se produire au cours d’un combat régulier entre soldats. Dans ce dernier cas, il arrive que des faits isolés se produisent, dus à des individus ou à des éléments de troupes qui échappent souvent à tout contrôle du commandement suprême.

Dr STAHMER

Quelles mesures les autorités militaires allemandes d’occupation en France ont-elles prises pour aider l’agriculture française ?

ACCUSÉ GÖRING

Je puis répondre ici très brièvement et je me borne à confirmer le témoignage du témoin Körner. Je souligne ainsi le fait que l’agriculture française a été considérablement développée pendant l’occupation et que la production agricole a été augmentée. Un grand nombre de terres en friche ou qui n’avaient pas été cultivées à bon escient, furent mises en culture : la productivité d’autres terres fut considérablement accrue par l’emploi d’engrais et autres moyens d’amélioration du sol. Je suis incapable de donner des explications plus détaillées sur les efforts entrepris et je ne suis pas au courant des chiffres montrant l’augmentation de la production agricole pendant l’occupation : seuls les experts compétents pourraient se prononcer.

Dr STAHMER

Quelles furent les raisons de l’introduction du mark d’occupation dans les territoires occupés ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est une mesure qui serait probablement adoptée par toute puissance occupante désireuse de régler la circulation monétaire et de stabiliser la monnaie à un certain niveau : ce procédé est aujourd’hui appliqué dans toutes les zones occupées de l’Allemagne.

Dr STAHMER

Le document PS-141 est un décret que vous avez promulgué le 5 novembre 1940 et dans lequel vous réglementez la question des objets d’art rassemblés au Louvre. Connaissez-vous ce décret ou dois-je vous le transmettre ?

ACCUSÉ GÖRING

Je me rappelle ce document qui a joué un très grand rôle dans ce Procès. Ces objets d’art furent tout d’abord amenés au Louvre, puis dans la salle d’exposition appelée, je crois, salle du Jeu de Paume. Ce décret concernait des objets d’art qui étaient confisqués comme biens juifs, c’est-à-dire comme biens sans propriétaire puisque ceux-ci avaient quitté le pays. Ce n’est pas moi qui ai donné cet ordre dont j’ignorais le premier mot, mais le Führer. J’en ai pris connaissance lorsque je vins à Paris et j’appris également qu’on avait projeté d’emmener la plupart de ces objets d’art, dans la mesure où ils constituaient des pièces de musée, au Musée de Linz, dont le Führer projetait l’installation. J’étais personnellement intéressé, je le déclare ouvertement, à ce que toutes ces œuvres ne fussent pas transportées dans le sud de l’Allemagne. Peu de temps auparavant, j’avais décidé, après en avoir informé le ministre des Finances, qu’après la guerre, ou à quelque autre époque qui me semblerait plus propice, je fonderais un musée contenant les objets d’art que j’avais déjà en ma possession avant la guerre et que j’avais acquis soit par achats, soit par cadeaux, soit par héritages, et que je les mettrais à la disposition du peuple allemand. Mon intention était en effet de faire aménager cette galerie, d’après des plans tout à fait différents de ceux qu’on avait réalisés jusqu’ici. Ces plans, qui consistaient à faire de ce musée une annexe de Karinhall dans la grande forêt de Schorfheide où les objets d’art devaient être présentés suivant un ordre historique, étaient terminés mais ne purent être exécutés par suite de la guerre. Les tableaux, les sculptures, les tapisseries, les œuvres d’art devaient être exposés et rassemblés par époques.

Puis, lorsque je vis les objets qui se trouvaient dans la salle du Jeu de Paume et que j’appris que la plus grande partie devait en être expédiée à Linz, que ces objets qui étaient considérés comme pièces de collection devaient servir à des fins d’intérêt secondaire, je reconnais alors que ma passion de collectionneur l’emporta et je me dis que si ces objets étaient confisqués et devaient le rester, autant valait en acquérir une partie pour que je puisse les exposer dans cette galerie d’Allemagne du nord que j’avais l’intention de créer.

Le Führer y consentit à la seule condition qu’il verrait au moins les photographies des objets que je comptais me procurer. Dans de nombreux cas, il arriva naturellement qu’il désirât se réserver certains objets non pour lui-même mais pour son musée de Linz et j’étais contraint de les lui recéder. Dès le début, cependant, j’ai voulu que l’on procédât à une minutieuse classification, car j’avais l’intention de payer les objets que je désirais installer dans mon futur musée. C’est pourquoi je commis un expert (ce n’était pas un Allemand, mais un Français, quelques- professeur dont je ne me rappelle pas le nom et à qui je n’ai jamais adressé la parole) pour estimer ces objets afin de pouvoir apprécier si le prix était trop élevé pour moi ou si l’objet ne m’intéressait pas, ou si je voulais en payer le prix. C’est de cette façon que furent réglées les premières opérations mais, par la suite, toute l’affaire fut arrêtée en raison des nombreuses sorties et rentrées d’objets : certains objets étaient en effet envoyés au Führer : ils échappaient ainsi à mon contrôle et la question de leur paiement ne pouvait être réglée avant qu’on se fût prononcé sur leur sort.

Dans ce décret, que j’appelai décret préliminaire et que je devais soumettre à l’approbation du Führer, j’insistais sur le fait que c’était moi qui devais effectuer le paiement d’une partie de ces objets et j’ordonnais que ceux qui n’étaient pas des pièces de musée devaient être vendus aux enchères à des amateurs français ou allemands ou à toute personne assistant à la vente. L’argent ainsi recueilli, dans la mesure où il s’agissait d’objets non confisqués mais achetés, devait être versé aux familles des victimes françaises de la guerre. J’ai demandé à plusieurs reprises où je devais envoyer les fonds et, en collaboration avec les autorités françaises, on décida qu’un compte en banque serait ouvert. On se référait toujours à l’ouverture d’un tel compte. Jusqu’à la fin, une somme d’argent a toujours été disponible dans ma banque. Un jour, où je m’étais de nouveau informé, je reçus une réponse surprenante : le trésorier du Parti ne voulait pas que l’on disposât de cet argent. Je répondis sur-le-champ, et ma secrétaire peut en témoigner sous la foi du serment, que je ne comprenais pas du tout la raison pour laquelle le trésorier du Parti s’occupait de cette affaire et que je désirais savoir à quel compte français je pourrais faire virer ce montant. Dans ce cas, le Parti, c’est-à-dire le trésorier du Reich, n’avait aucun titre à m’autoriser ou non à effectuer ce paiement, que je désirais faire moi-même. Et même, au moment de l’occupation totale de la France, je demandai à nouveau qu’on me fît savoir à quel compte je devais verser la somme réservée à cet effet.

En résumé, et pour conclure, je désire affirmer qu’aux termes d’un décret j’ai considéré que ces objets étaient confisqués au profit du Reich. Je me suis donc cru justifié à en acquérir quelques-uns, d’autant plus que — fait que je n’ai caché ni au ministre des Finances du Reich ni à qui que ce soit d’autre — ces objets d’art de valeur devaient s’ajouter à ceux que je possédais déjà pour prendre place dans le musée dont j’ai déjà parlé.

En ce qui concerne les échanges, j’aimerais également tirer cette affaire au clair. Parmi les tableaux confisqués, il y avait quelques toiles modernes que je n’ai ni n’aurais personnellement jamais acceptées, bien qu’ayant entendu dire qu’elles fussent demandées sur le marché français. C’est pourquoi j’ai déclaré, en ce qui me concernait, que l’on pourrait également évaluer ces tableaux, puis se les procurer, de façon à les échanger contre des tableaux de vieux maîtres auxquels je m’intéressais beaucoup plus. Je n’ai jamais exercé aucune pression en ce sens. Je ne m’occupais que de la question de savoir si le prix demandé était trop élevé : si oui, je n’insistais pas mais, comme dans toute affaire d’objets d’art, si l’offre était raisonnable, je m’informais sur l’authenticité de ce qui m’était offert. Il ne s’agissait que d’échanges : en aucun cas je n’ai exercé de pression.

Plus tard, après avoir acquis ces objets, j’en utilisai une partie au même titre que les miens, pour faire des échanges avec des musées. Autrement dit, si quelque musée s’intéressait à un de mes tableaux et si je m’intéressais, pour mon propre musée, à un tableau qu’il possédait, nous procédions à un échange. Les échanges avaient également lieu avec des amateurs étrangers. Ces échanges ne portaient pas uniquement sur les tableaux ou objets d’art ainsi acquis, mais également sur ceux que je m’étais procurés sur le marché en Allemagne, en Italie ou dans d’autres pays, ou sur ceux qui étaient déjà en ma possession.

Je voudrais ajouter ici que, indépendamment de ces acquisitions — et je fais allusion à la salle du Jeu de Paume où ces objets confisqués étaient entreposés — je m’étais naturellement procuré des œuvres d’art sur le marché, en France comme dans d’autres pays, avant et après la guerre ou plutôt pendant la guerre. Je pourrais ajouter que d’habitude, lorsque j’allais à Rome, à Florence, à Paris ou en Hollande, je recevais en très peu de temps, comme si les gens s’attendaient à ma venue, une série d’offres écrites provenant d’amateurs d’art et de simples particuliers. Et bien que la plupart de ces objets ne fussent pas authentiques, ils étaient cependant intéressants et de bonne qualité et j’en acquis un bon nombre sur le marché libre Au début, j’ai eu quantité d’offres émanant de particuliers. J’aimerais souligner que, particulièrement à Paris, j’ai souvent été abusé. Dès que l’on apprenait que des objets d’art m’étaient destinés, les prix en étaient majorés de 50 à 100%.

Telle est la courte déclaration que j’avais à faire sur cette question.

Dr STAHMER

Avez-vous pris des mesures pour la protection des monuments et des musées d’art français ?

ACCUSÉ GÖRING

Je voudrais tout d’abord me référer aux objets d’art appartenant à l’Etat français. Je n’ai jamais saisi ni jamais fait enlever quoi que ce soit des musées d’État, à l’exception de contrats d’échange passés avec le Louvre, sur la base d’un accord purement volontaire. J’ai changé une statue qui est connue dans l’histoire de l’art sous le nom de La belle Allemande, œuvre de bois sculpté originaire d’Allemagne, contre une autre statue de bois allemande que je possédais déjà avant la guerre depuis plusieurs années, ainsi que deux tableaux ; un tel échange a été effectué de la même façon que ceux que j’avais l’habitude de pratiquer avant la guerre avec d’autres musées.

De plus, j’ai toujours donné des ordres à toutes les autorités pour qu’elles fassent tout leur possible pour préserver les objets d’art des destructions causées par les bombes ou autres faits de guerre. Je me souviens que lorsque les directeurs du musée du Louvre me dirent que la plupart des objets venaient d’être mis en sûreté dans les salles des châteaux dits « de la Loire », je leur répondis que s’ils estimaient que le développement des attaques aériennes nécessitait un transfert dans des lieux sûrs à déterminer par eux, je donnerais suite à leur requête en leur fournissant les moyens de transport qui leur faisaient défaut.

Je voudrais parler maintenant des monuments artistiques, c’est-à-dire des édifices, des églises et de toutes autres constructions immobilières. Ici, je puis affirmer que j’ai parfois donné des ordres qui n’étaient peut-être pas dans la ligne de mes devoirs purement militaires, car j’ai toujours insisté avec force auprès de mes aviateurs pour qu’en toutes circonstances ils épargnassent les magnifiques cathédrales gothiques des villes françaises et se dispensent de les attaquer, même si des troupes étaient concentrées dans les environs ; et si de telles attaques devaient être effectuées, il fallait utiliser des avions à tir précis tels que les Stukas. Chaque Français qui était alors dans son pays pourra confirmer que ce fut en particulier le cas à Amiens, à Rouen, à Chartres ou en d’autres villes, et que les cathédrales — ces monuments artistiques si précieux et si beaux — furent préservées, et ceci volontairement, contrairement à ce qui s’est passé plus tard en Allemagne. Quelques vitraux de cathédrales furent naturellement cassés par la déflagration des bombes, mais les plus précieux avaient été, Dieu merci, préalablement enlevés. Les maisons situées aux alentours des cathédrales ont été victimes des attaques, elles aussi, mais à l’exception — autant que mes souvenirs soient exacts — de la petite cathédrale de Beauvais — la grande avait été épargnée — tous ces trésors d’art ont été préservés.

Le Gouvernement français a reconnu ces faits à plusieurs reprises. Je n’ai aucun autre commentaire à faire sur ce sujet.

Dr STAHMER

Pourquoi avez-vous chargé le colonel Veltjens de la centralisation du marché noir en France ?

ACCUSÉ GÖRING

Le colonel Veltjens était en retraite. Il avait été aviateur au cours de la première guerre mondiale. Puis il s’était lancé dans les affaires. Il ne fut donc pas envoyé en tant que colonel, mais en tant qu’économiste. Il devait s’occuper du marché noir, non seulement en France mais aussi en Hollande et en Belgique. Voici comment les choses se passèrent ; peu après le début de l’occupation, j’appris que l’on pouvait se procurer au seul marché noir différents produits qui, du point de vue de l’économie de guerre, m’intéressaient particulièrement. Je fis alors connaissance avec le marché noir ; nous pûmes nous procurer du cuivre, de l’étain et d’autres matériaux de grande importance, mais une grande quantité d’entre eux était demeurée au fond des canaux de Hollande ou cachée dans d’autres pays. Cependant, dans la mesure où il était possible d’y mettre le prix, ces produits sortaient de leur cachette, tandis qu’au moyen des bons de réquisition nous ne recevions qu’une très petite quantité des matières premières nécessaires à la conduite de la guerre. A cette époque, comme pendant tout le temps de l’occupation, mes intentions et mes idées n’étaient guidées que par ce but final : gagner la guerre. A titre d’exemple, il était beaucoup plus important pour moi d’obtenir du cuivre ou de l’étain, dans n’importe quelle condition et à n’importe quel prix, que d’en être privé en prétextant que les prix étaient trop élevés.

J’ai donc dit à Veltjens, en termes très généraux : « Vous connaissez les matériaux qui intéressent l’économie de guerre allemande. Peu m’importent le lieu et la manière dont vous vous les procurez. Si vous pouvez le faire par voie de réquisition, tant mieux. Si nous devons payer une forte somme pour les obtenir, il faudra également en passer par là ».

L’ennui est que d’autres services, d’abord à mon insu — comme le Ministère Public français l’a si correctement établi — ont essayé par les mêmes moyens de se procurer les mêmes matières, qui les intéressaient au même degré La pensée de participer à une sourde compétition m’était insupportable. J’ai donc conféré aux services du seul Veltjens, pleine et entière autorité pour contrôler les denrées des producteurs privés qui déclaraient ne pouvoir les procurer que de cette façon : ces services devaient seuls jouer le rôle de bureau d’achat de ces articles et, sous ma direction, ils devaient éliminer les concurrents.

La difficulté de combattre le marché noir réside dans plusieurs facteurs. Par la suite, à la demande spéciale du président Laval, j’ai interdit complètement le marché noir, même pour Veltjens et son organisation. Mais le marché noir n’en fut pas éliminé pour autant et la déclaration du Ministère Public français confirme mon point de vue, que le marché noir s’est prolongé au delà de la guerre. Et, d’après ce que je sais, il refleurit aujourd’hui en Allemagne dans d’énormes proportions, Tels sont les phénomènes qui ne manquent pas d’apparaître pendant et après une guerre, quand il existe, d’une part, une extraordinaire pénurie de produits qui entraîne la disparition et le retrait des marchandises et, d’autre part, le désir de se les procurer.

Dr STAHMER

Dois-je m’arrêter maintenant ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, le Tribunal avait compris, d’après vos explications, que l’accusé aurait probablement terminé sa déposition aux environs de midi. Pouvez-vous déterminer le temps que vous pensez devoir consacrer à cette tâche ?

Dr STAHMER

J’avais compté pouvoir en finir ce matin, mais il y a eu plusieurs interruptions. J’espère pouvoir finir dans le courant de la journée.

LE PRÉSIDENT

Il n’y a eu aucune interruption, à l’exception de celle qui fut provoquée par l’objection de M, Justice Jackson au sujet des représailles. Il n’y en a pas eu d’autre que je sache.

Dr STAHMER

Oui, mais quelque temps auparavant s’était produit un incident dans le système de transmission.

LE PRÉSIDENT

C’est exact Le Tribunal siégera donc demain matin de 10 heures à 13 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)