QUATRE-VINGT-DEUXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 15 mars 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr STAHMER

Pour quelles raisons la Yougoslavie a-t-elle été attaquée ?

ACCUSÉ GÖRING

L’Allemagne, pendant toutes les années qui précédèrent la guerre, eut d’excellentes relations avec le peuple yougoslave et le Gouvernement yougoslave. Ce fut une de mes tâches en politique extérieure que d’entretenir tout particulièrement ces relations. Le Régent, le Prince Paul et le président du Conseil Stoyadinovitch étaient de mes amis personnels : je me rendis fréquemment dans ce pays et j’y passai de longues vacances.

Il était dans nos intentions non seulement d’avoir d’excellentes relations commerciales en pratiquant des échanges, mais aussi d’établir une compréhension et une amitié étroites sur le plan politique. Ce but fut pleinement atteint et fut consacré par la visite en Allemagne que fit à son tour le Prince Paul, régent de Yougoslavie.

Comme j’avais en même temps des relations également amicales avec le roi Boris de Bulgarie, je fus à même de tenir un rôle de conciliateur, ainsi qu’avec l’Italie. Mon intervention en faveur de la Yougoslavie provoqua même momentanément une certaine méfiance à mon égard.

Après le déclenchement de la guerre, on évita tout ce qui aurait pu troubler les excellentes relations que nous conservions avec la Yougoslavie. Malheureusement, le président du Conseil Stoyadinovitch se retira ; néanmoins, son successeur poursuivit la même politique.

L’adhésion au Pacte Tripartite eut pour but de maintenir la neutralité de la Yougoslavie en toutes circonstances et de l’empêcher d’entrer en guerre. Déjà, au moment de la signature du Pacte, on reconnut la nécessité d’envoyer des troupes en Roumanie à titre préventif ainsi qu’en Grèce, en raison d’un débarquement anglais dans ce pays ou d’un débarquement éventuel en Yougoslavie. Malgré cet accord, il était expressément décidé qu’aucun passage de troupes n’aurait lieu à travers la Yougoslavie, afin que la neutralité de ce pays, après son adhésion au Pacte Tripartite, fût confirmée à tous les points de vue.

Lorsque le président du Conseil Tsvetkovitch revint au pouvoir, il se produisit, peu après, le putsch du général Simovitch contre le Gouvernement du Prince Régent et l’accession au trône du roi, qui était encore mineur. Nous fûmes mis très rapidement au courant, à cause de nos étroites relations avec la Yougoslavie, des dessous du putsch du général Simovitch. Peu après, on nous confirma l’exactitude de l’information, de source yougoslave, d’après laquelle cette entreprise jouissait de l’appui politique de la Russie et de l’aide financière de l’Angleterre, ce dont nous trouvâmes les preuves par la suite. Il était clair que cette entreprise était dirigée contre la politique d’amitié du précédent Gouvernement yougoslave à l’égard de l’Allemagne. On doit noter ici que, plus tard, dans des déclarations de presse, on exposa du côté russe combien cette pression avait été forte et à quelles fins elle avait été exercée. Le nouveau Gouvernement yougoslave était, sans aucun doute et ouvertement, en rapports très étroits avec les ennemis que nous avions à cette époque, c’est-à-dire l’Angleterre, ainsi qu’avec notre ennemi à venir, la Russie. L’affaire Simovitch fut en fait le facteur final et décisif qui dissipa les derniers doutes du Führer sur la position de la Russie et l’incita à prendre à son égard des mesures préventives en vue de toutes les éventualités. Avant l’incident Simovitch, il est probable que bien que des préparatifs eussent été entrepris, on aurait conservé des doutes sur l’impérieuse nécessité d’une attaque contre la Russie soviétique. L’évidence de ces relations entre Moscou et Belgrade dissipa donc les derniers doutes du Führer. Il apparut également manifeste que la Yougoslavie, sous ce nouveau Gouvernement, cherchait uniquement à gagner du temps pour masser des troupes, car dans la nuit même du putsch, furent lancés des ordres secrets, qui devinrent officiels peu après, pour la mobilisation de l’Armée yougoslave.

Malgré les assurances que Simovitch donna à Berlin, déclarant plus ou moins qu’il se considérait lié par le traité, la manœuvre put être facilement déjouée. La situation était maintenant la suivante : l’Italie, notre alliée, avait à ce moment-là attaqué la Grèce en passant par l’Albanie, en octobre ou novembre 1940, si mes souvenirs sont exacts L’Allemagne n’avait pas été prévenue de cette entreprise Le Führer en fut informé par mes soins : j’avais été mis au courant par hasard et par le ministère des Affaires étrangères ; il fit immédiatement changer la direction de son train qui, de France se dirigeait vers Berlin, afin d’aller à Florence pour parler au Duce. Le Gouvernement italien ou Mussolini lui-même, comprit très clairement alors, pourquoi le Führer voulait s’entretenir avec Mussolini ; aussi, si je me souviens bien, l’ordre à l’Armée italienne de pénétrer d’Albanie en Grèce fut avancé de 24 ou 48 heures. Le fait est que le Führer, dans son souci d’éviter à tout prix une extension du conflit dans les Balkans et dans la Méditerranée orientale, voulut presser le Duce de renoncer à de tels projets qui n’étaient nullement nécessaires et n’avaient été envisagés que pour des raisons de prestige.

Lorsque l’entrevue eut lieu à 10 heures du matin et que le Führer eut exprimé son opinion, Mussolini déclara que, depuis 6 heures du matin, les troupes italiennes avançaient en territoire grec et qu’à son avis elles seraient bientôt à Athènes. Le Führer lui fit une fois de plus remarquer que cela pourrait signifier qu’éventuellement les relations avec la Turquie pourraient être aussi sérieusement compromises et qu’un nouveau théâtre de guerre pourrait être ainsi créé ; néanmoins il ne dit pas alors ce dont il se doutait bien, à savoir qu’un théâtre d’opérations italien, cela signifiait tôt ou tard un appel à l’aide de l’allié allemand.

Telle était la situation au moment du déclenchement de l’attaque contre la Yougoslavie. L’Italie, arrêtée et repoussée, se trouvait en mauvaise posture tant au point de vue stratégique que tactique devant son adversaire grec. Il aurait suffit qu’une partie de l’Armée yougoslave prît de flanc ou à revers la position italienne de Scutari, non seulement pour que l’Italie fût expulsée de cette position, mais aussi pour qu’une partie considérable des forces italiennes fût détruite. Il était clair que la situation de ces forces italiennes était appelée à devenir prochainement désespérée car, à la suite du débarquement en Grèce des troupes anglaises de renfort, on pouvait s’attendre à ce que, dès l’arrivée de ces troupes au secours des Grecs, l’Armée italienne fût non seulement chassée de Grèce dont elle n’occupait que la frontière, mais aussi d’Albanie ; les troupes anglaises risquaient de menacer directement l’Italie et les Balkans qui étaient, du point de vue économique, d’une importance décisive pour nous.

Grâce au putsch de Simovitch et à la mobilisation de la Yougoslavie, l’élimination de l’Armée italienne des Balkans aurait été promptement accomplie. Seule une action extrêmement rapide pouvait prévenir ce double danger : en premier lieu, une catastrophe pour nos alliés italiens et, en deuxième lieu, que les Anglais prissent pied dans les Balkans, ce qui aurait été un désavantage pour notre future base de départ dans un conflit avec la Russie.

Les troupes allemandes, qui progressaient en Grèce selon le plan « Marita » et qui devaient avancer en Grèce pour rejeter en Méditerranée les divisions anglaises qui avaient débarqué et soulager les arrières de l’allié italien, durent obliquer sur la droite, et après une préparation à l’attaque, très courte, accélérée et immédiate, elles furent lancées sur le flanc de l’Armée yougoslave qui était en train d’opérer sa mobilisation. La Luftwaffe fut rappelée dans un très court délai de ses aérodromes d’Allemagne et rassemblée, ce qui était facile à réaliser, sur les aérodromes de la zone sud-est, afin d’appuyer l’attaque. Ce ne fut que grâce à la rapidité de cette opération et au fait que les conditions de base avaient été prévues dans le plan « Marita », que l’Allemagne put écarter la menace terrible qui compromettait à ce moment-là sa situation dans les Balkans et le Sud-Ouest. Du point de vue politique comme du point de vue militaire, c’eût été un crime contre l’État, alors que l’intérêt vital de l’Allemagne était en jeu, de ne pas agir comme le Führer l’a fait.

Dr STAHMER

Quels furent les objectifs que la Luftwaffe attaqua tout d’abord en Yougoslavie ?

ACCUSÉ GÖRING

Je viens d’expliquer la situation très particulière de la Wehrmacht lors du déclenchement de cette guerre, les problèmes qu’il lui fallut résoudre avec une rapidité extraordinaire et, de plus, les résultats importants qu’il lui fallut obtenir afin de mener à bonne fin sa tâche initiale qui consistait dans la percée de... — je ne me rappelle plus le nom — ... de la ligne Metaxas dans le nord de la Grèce, avant que les troupes britanniques, qui avaient déjà débarqué près d’Athènes, pussent parvenir à cette ligne Metaxas pour soutenir les troupes grecques ; une partie sensiblement plus faible des forces allemandes devait percer cette ligne, tandis que l’autre partie devait, comme prévu, se jeter le plus rapidement possible sur l’Armée yougoslave, avec des effectifs ici encore insuffisants, mais c’était la condition de tout le succès, et disloquer cette Armée.

S’il n’en n’avait pas été ainsi, non seulement l’Armée italienne aurait été sûrement anéantie, mais l’Armée allemande, ainsi partagée, avec une partie de ses troupes avançant en Yougoslavie — l’appui bulgare ne vint que beaucoup plus tard — l’autre partie forçant la puissante ligne Metaxas à temps pour prévenir l’arrivée des Anglais sur cette ligne, se serait trouvée dans une situation militaire très désavantageuse et critique, peut-être même désastreuse. Aussi la Luftwaffe dut, dans cette éventualité, être employée à fond afin d’empêcher le plus rapidement possible la mise en place par la Yougoslavie de son dispositif contre l’Allemagne et son alliée. On ordonna tout d’abord une attaque concentrée sur le ministère de la Guerre yougoslave à Belgrade ; en second lieu, sur la gare qui, à Belgrade, avait une importance toute particulière au point de vue stratégique, en raison du petit nombre des lignes ferroviaires yougoslaves dont elle était le centre Cet ordre mentionnait également un certain nombre de bâtiments assez importants, le bâtiment de l’État-Major, etc., étant donné qu’à ce moment-là l’ensemble du bâtiment du Quartier Général, tant au point de vue politique qu’au point de vue militaire, se trouvait encore à Belgrade. Tout était encore concentré là et le bombardement initial de ce centre nerveux aurait un extraordinaire effet paralysant sur les opérations de résistance.

Un avertissement à la Yougoslavie n’était pas nécessaire pour les raisons suivantes : du point de vue formel, on peut nous reprocher de n’avoir pas adressé de déclaration de guerre ni d’avertissement. Mais en fait, aucune des personnalités dirigeantes de Yougoslavie n’eut le moindre doute sur l’imminence d’une attaque allemande. Ce fait est prouvé car les Yougoslaves avaient non seulement pris des mesures de mobilisation, mais s’étaient fiévreusement occupés de mettre en place leur dispositif de combat. De plus, les attaques des troupes allemandes avaient déjà commencé au moment du bombardement de Belgrade. Mais même en supposant que la Luftwaffe ait attaqué en premier et l’Armée après elle, c’est-à-dire sans avertissement, l’attitude de la Yougoslavie et le gros péril qu’elle présentait pour la situation militaire nous auraient incités à agir ainsi. Nous nous trouvions engagés dans une lutte terrible. Il s’agissait d’assurer des deux côtés notre sécurité dans les Balkans et de les tenir fermement.

Les objectifs, j’insiste une fois de plus, étaient, si je me souviens bien, le ministère de la Guerre, la gare, le bâtiment de l’État-Major et un ou deux autres ministères. Étant donné que ces bâtiments étaient disséminés dans la ville, celle-ci fut naturellement touchée par le bombardement.

Dr STAHMER

Au cours de ces derniers jours, nous avons plusieurs fois entendu parler des attaques sur Varsovie, Coventry et Rotterdam. Est-ce que ces attaques étaient entreprises dans un intérêt militaire ?

ACCUSÉ GÖRING

Les témoins, et tout particulièrement le maréchal Kesselring, ont donné des indications à ce sujet. Mais ces déclarations m’ont fait comprendre une fois de plus, ce qui est tout à fait naturel, que la vue d’un commandant d’armée, de groupe d’armées ou de flotte aérienne, n’embrasse en fin de compte qu’un seul secteur de l’activité militaire. En ma qualité de Commandant en chef de la Luftwaffe, j’étais en mesure de voir la situation dans son ensemble puisque, après tout, j’étais l’homme qui donnait des ordres et que les chefs des flottes aériennes n’agissaient que d’après les instructions et les directives qu’ils recevaient conformément à mes ordres et à mon point de vue.

Varsovie : en premier lieu je tiens à préciser que le matin de l’attaque contre la Pologne, un certain nombre de villes polonaises — je crois que M. le Procureur britannique a cité leurs noms — ont été attaquées. Je ne me souviens plus de ces noms. Dans mes instructions pour le premier jour de l’attaque contre la Pologne, il était expressément prévu comme premier objectif : destruction et anéantissement de l’Aviation ennemie. Ce but atteint, les autres objectifs pouvaient être attaqués sans délai. J’ai donc donné l’ordre d’attaquer les aérodromes en question. Je suis certain, sans avoir les noms présents à l’esprit, que 80% des noms qui ont été cités étaient ceux de villes qui possédaient des bases aériennes. La seconde mission principale consistait à attaquer le premier jour, soit sur une petite échelle, soit d’un coup au but, uniquement les nœuds ferroviaires d’importance décisive pour l’acheminement des grosses unités. Je voudrais signaler que, peu de temps avant la dernière et décisive attaque contre Varsovie dont je vais parler dans un instant, l’attaché militaire français en Pologne envoya un rapport à son Gouvernement ; nous sommes en mesure de le présenter ici, puisque nous l’avons trouvé plus tard à Paris. Dans ce rapport, on peut voir que cet adversaire reconnaît lui-même que l’aviation allemande avait attaqué en Pologne des objectifs exclusivement militaires Le mot exclusivement doit être souligné. Au début, Varsovie ne présentait qu’un ou deux objectifs, longtemps avant — longtemps avant est une expression inexacte, car tout marcha très vite ! — avant, dirai-je donc, son encerclement. C’étaient l’aérodrome d’Okecie, où se trouvait le gros de l’aviation polonaise ennemie, et la gare de Varsovie, une des gares de Pologne d’un intérêt stratégique primordial. Cependant, les attaques en question ne furent pas décisives. Varsovie encerclée, on lui demanda de se rendre. On refusa de rendre la ville. Je me rappelle au contraire les appels qui ont encouragé toute la population civile de Pologne ainsi que les habitants de Varsovie à offrir une résistance, qu’il s’agisse des militaires, mais aussi des civils, ce qu’on sait être en contradiction avec le Droit international Nous avons encore adressé un autre avertissement Nous avons commencé par envoyer non des bombes mais des tracts dans lesquels nous demandions à la population de cesser le combat. Puis, comme le commandant demeurait sur ses positions, nous avons demandé l’évacuation de la population civile, avant le bombardement. Nous avons reçu un message par radio selon lequel le commandant désirait envoyer un parlementaire ; nous avons consenti mais nous l’avons attendu en vain. Nous avons alors demandé et obtenu que le corps diplomatique et tous les neutres quittent Varsovie par une route que nous avions indiquée. Ce qui fut fait. Puis, après avoir déclaré dans un dernier appel que nous allions être dans l’obligation d’attaquer sérieusement la ville si aucune reddition ne survenait, nous avons commencé à attaquer d’abord les forts, puis les batteries disposées dans la ville et enfin les troupes. Telle fut l’attaque de Varsovie.

A Rotterdam, la situation fut totalement différente. Afin d’achever aussi rapidement que possible la campagne des Pays-Bas et d’éviter ainsi que coulât plus longtemps le sang d’un peuple avec lequel nous n’avions aucun différend profond mais contre lequel nous avions à mener cette campagne pour les raisons précédemment énumérées, j’ai suggéré l’emploi de notre division de parachutistes sur l’arrière des forces hollandaises qui faisaient front contre l’Allemagne, particulièrement en vue de nous emparer des trois ponts les plus importants ; le pont sur le Rhin près de Mordyck, celui près de Dortrecht et celui de Rotterdam. Ainsi, dès le début, la route serait ouverte en arrière du front des troupes et l’Armée hollandaise, malgré sa valeur, ne pourrait tenir que quelques jours. Cette opération, c’est-à-dire le parachutage de ma division sur les trois ponts, réussit parfaitement.

Tandis qu’à Mordyck et à Dortrecht on vint à bout de la résistance très rapidement, les éléments de Rotterdam se trouvèrent en difficulté. Ils furent d’abord encerclés par les troupes hollandaises. Tout le succès de l’opération dépendait du sort du pont du chemin de fer et du pont routier situés l’un près de l’autre qui devaient à tout prix tomber entre nos mains sans être détruits, car ce n’était qu’à ce prix que la seule voie de pénétration dans la forteresse Hollande resterait ouverte.

Tandis que le gros de la division se trouvait dans la partie sud de Rotterdam, quelques groupes de choc composés de parachutistes audacieux avaient franchi ces deux ponts ; ils se trouvaient exactement au nord de ces derniers, une partie dans la gare, à droite derrière les ponts du chemin de fer, au nord du fleuve et la deuxième dans un pâté de maisons qui se trouvait directement sur la face nord du pont routier, du côté opposé à la gare et près de la fabrique bien connue de beurre ou de margarine qui devait par la suite jouer un rôle important. Ces troupes de choc consolidèrent leur position en dépit de dures attaques menées par des forces supérieures. Pendant ce temps, une division cuirassée allemande se rapprochait de Rotterdam après avoir passé les ponts de Mordyck et de Dortrecht.

Je voudrais ici corriger une erreur qui s’est glissée dans le contre-interrogatoire du maréchal Kesselring effectué par Sir David Maxwell-Fyfe, au sujet des personnes qui participèrent à ces opérations. Le général Schmidt appartenait à ce groupe qui venait de l’extérieur ; il commandait les forces blindées. Le général Student commandait la division parachutée qui se trouvait à Rotterdam, c’est-à-dire à l’intérieur. C’est ce qui explique le fait que des négociations en vue de la capitulation furent entreprises, d’une part, avec le commandant des troupes venant de l’extérieur et, d’autre part, avec le général commandant les troupes parachutées à l’intérieur de la ville. Les doubles négociations furent ensuite coordonnées. Je ne désire pas entrer ici dans les détails afin de dire si des accords avaient été clairement conclus — prenant les faits dans l’ordre chronologique, on pourrait les donner minute par minute — et s’il y eut capitulation ou non, du moins en ce qui concerne Rotterdam. A ce moment-là, le groupe au nord des deux ponts se trouvait dans une situation très précaire et très pénible. Il était très difficile de lui envoyer des renforts par les deux ponts qui étaient sous un feu nourri de mitrailleuses et d’artillerie. Je pourrais aujourd’hui encore décrire avec beaucoup de précision la situation. Il n’était donc possible qu’à quelques individus, je m’en souviens fort bien, de fuir la ligne de feu en avançant sous le pont, suspendus par les mains. L’ordre avait été donné d’attaquer à la bombe les batteries qui se trouvaient au nord de la gare ainsi que les troupes hollandaises stationnées sur la route qui menait vers le Nord entre la gare et la fabrique de beurre et qui gênaient considérablement nos groupes de choc. A ce moment, en effet, les bombes représentaient la seule artillerie à la disposition des parachutistes et j’avais assuré ceux-ci, avant l’entreprise, que je les protégerais en toutes circonstances par des avions de bombardement.

Trois groupes aériens avaient été prévus. Les parachutistes de Rotterdam envoyèrent un appel au secours par radio ; celle-ci ne fonctionnait pas aussi bien qu’on l’a dit. D’autre part, les avions de reconnaissance virent des signaux facilement reconnaissables. Il s’agissait de flèches et de lettres signifiant : « Nous sommes menacés par l’artillerie, au Nord, à l’Est, au Sud, etc. » J’ordonnai à l’aviation d’envoyer un groupe qui partit en trois vagues de 25 à 30 avions. Lorsque le premier groupe arriva, les négociations sur la capitulation avaient déjà commencé, mais rien n’était encore fait. Malgré cela, on envoya des fusées rouges. Le premier groupe ne saisit pas la signification de ces signaux et envoya des bombes, exactement à l’endroit convenu. Si je me souviens bien, il y eut au plus 36 avions bimoteurs qui jetèrent en majeure partie des bombes de 50 kilos. Le second et le troisième groupe virent les fusées rouges, firent demi-tour et ne jetèrent pas leurs bombes.

Il n’y avait aucune liaison par radio entre Rotterdam et les avions. Il y en avait une entre Rotterdam et la division, par mon Quartier Général à la 2e flotte aérienne et, de là, on assurait la liaison radio avec les avions. C’était en mai 1940, époque à laquelle la liaison radio entre la terre ferme et les avions, quoique bonne, ne pouvait être comparée aux liaisons excellentes qui ont été mises au point au cours de la guerre. Mais le point principal était que Rotterdam, qui n’avait pas de liaison directe avec les avions, a envoyé les signaux convenus, les fusées rouges, qui furent aperçues par les groupes deux et trois, mais pas par le groupe un.

L’importance des destructions n’est pas due aux bombes, mais, comme je l’ai déjà dit, à l’incendie. On s’en rend compte aisément en voyant que les bâtiments qui étaient construits en pierre sont restés debout alors que les vieilles habitations ont été détruites. L’étendue de cet incendie fut causée par la combustion d’importants dépôts de graisses et d’huiles. En second lieu, j’insiste particulièrement sur ce point, une intervention énergique des pompiers aurait certainement, en dépit de la tempête, circonscrit cet incendie de Rotterdam. Les négociations finales au sujet de la capitulation, si je me souviens bien, n’ont abouti que le soir, à six heures ; je le sais, car pendant ces négociations on continua à tirer et le général des parachutistes, Student, qui s’était montré à sa fenêtre fut blessé grièvement à la tête. Voilà ce qui concerne Rotterdam et les négociations menées par les deux généraux, de l’intérieur et de l’extérieur.

Coventry : du 6, 7 septembre jusqu’en novembre, après avoir adressé au Gouvernement anglais de nombreux avertissements, et après que le Führer eut exprimé le désir de donner, lui-même, l’ordre des attaques de représailles sur Londres, après de longues hésitations alors que de nombreuses villes allemandes qui n’étaient pas des objectifs militaires avaient été bombardées, Londres fut alors choisi comme objectif d’attaques. Les 6 et 7 septembre, la première attaque eut lieu. Dans l’après-midi du 6 septembre, Londres fut sous le feu de l’aviation allemande. Quoique ces faits puissent se justifier par des raisons de représailles et de politique, je ne considère pas cet acte comme très intelligent. Je ne voudrais pas que l’on interprétât mal mes paroles, mais je savais par l’expérience de la première guerre mondiale que la population londonienne pouvait supporter beaucoup et que l’on ne pouvait, par ce moyen, faire céder sa résistance. Ce qui était important pour moi, c’était d’abord d’empêcher l’accroissement des forces aériennes britanniques. Comme soldat ou plutôt comme Commandant en chef de l’Aviation, l’élimination des forces aériennes ennemies était un fait d’une importance décisive. Malgré le désir du Führer d’attaquer Londres, j’ai élaboré un plan d’attaque de Coventry sous ma propre responsabilité car, selon mes renseignements, il y avait à Coventry une grande ’partie des industries aéronautiques et des fabriques d’avions. Birmingham et Coventry étaient les points les plus importants. Je me décidai pour Coventry parce que là les objectifs les plus nombreux pouvaient être atteints sur une superficie réduite. J’ai ordonné moi-même cette attaque avec les deux flottes aériennes qui avaient examiné ces points à bombarder. Par un temps favorable et une nuit où la lune brillait, j’ordonnai l’attaque et donnai l’ordre de bombarder de telle manière que les résultats les plus durables soient obtenus contre les industries aéronautiques de cette ville. Les coups suivants devaient atteindre Birmingham et une grande fabrique de moteurs au sud de Weston, après les industries aéronautiques de Bristol et du sud de Londres.

Voilà l’attaque de Coventry. La ville elle-même fut endommagée, car l’industrie était dispersée dans la ville, à l’exception de deux installations nouvelles qui se trouvaient en dehors ; les dégâts furent causés par l’extension de l’incendie L’aspect des villes allemandes, aujourd’hui, montre le rôle important que l’incendie a joué dans ces destructions. Telle fut l’attaque de Coventry.

Dr STAHMER

En 1941, eurent lieu des négociations sur une collaboration avec le Japon. Avez-vous participé à ces négociations ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’y ai pas participé personnellement. Je ne puis dire que très peu de choses au sujet des négociations avec le Japon car, du point de vue militaire, J’ai eu très peu affaire avec le Japon et les Japonais. Pendant toute la guerre, je n’ai reçu qu’une délégation d’officiers japonais qui étaient des attachés et pour très peu de temps. Je ne peux pas en dire plus. Nous devions nous faire part réciproquement des résultats de certaines expériences, mais cela eut lieu entre services. Personnellement, je n’ai rien eu à faire avec les Japonais.

Dr STAHMER

Quand avez-vous appris pour la première fois que Hitler croyait à la nécessité d’une guerre contre la Russie ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est à la fin de l’automne 1940, à Berchtesgaden, que je fus informé des intentions du Führer d’entrer en conflit avec la Russie lorsque l’occasion se présenterait.

Dr STAHMER

Étiez-vous présent à la conférence qui eut lieu en novembre 1940 à Berlin avec le ministre des Affaires étrangères soviétiques, M. Molotov ?

ACCUSÉ GÖRING

Personnellement, je n’ai pas assisté à l’entretien entre Hitler et Molotov. M. Molotov, cependant, m’a rendu visite et nous avons discuté de la situation générale. Je connais naturellement cet entretien avec Molotov car le Führer m’en informa en détail. C’est justement cette conversation qui a fait croire au Führer que la Russie était prête à une attaque contre l’Allemagne et ce sont les questions et les remarques de M. Molotov qui en sont la cause.

Il s’agissait, d’une part, d’une garantie à la Bulgarie et d’un pacte d’assistance avec la Bulgarie tel que celui qui liait autrefois la Russie et les trois pays baltes. En second lieu, il s’agissait de l’abandon total de la Finlande par l’Allemagne car la Russie, qui avait signé une paix avec la Finlande peu de temps avant, justifiait son attaque contre ce pays en disant qu’elle n’était pas satisfaite des résultats obtenus, de Hangö, etc. Troisièmement, il s’agissait de discussions sur les Dardanelles et le Bosphore, et le quatrième point envisageait la possibilité de pénétrer en Roumanie par la Bessarabie. Voilà les points qui furent discutés avec le Führer. On parla également au ministre des Affaires étrangères d’une occupation ou de mesures de sécurité exécutées dans les détroits de la Baltique.

Le Führer considéra différemment ces exigences. Il interpréta les demandes russes à l’Allemagne à propos de la Finlande, à la lumière d’autres informations sur des déploiements de troupes et des préparatifs russes, et crut que la Russie voulait renforcer ses positions du côté de la Finlande pour surprendre l’Allemagne par le Nord et pour être à proximité des gisements de fer suédois qui étaient d’une importance décisive pour l’Allemagne dans cette guerre. En second lieu, lorsque la Russie demandait à pénétrer en territoires roumain et bulgare, le Führer n’était pas sûr que ce mouvement serait exécuté en direction Sud, c’est-à-dire vers les Dardanelles et l’Est ; mais, là aussi, la Russie menacerait le flanc sud de l’Allemagne et, en contrôlant les champs pétrolifères roumains, rendrait l’Allemagne dépendante d’elle pour le pétrole. Il vit dans ces exigences, des créations dissimulées de positions de départ contre l’Allemagne. Il n’était pas question pour l’Allemagne de discuter l’allusion aux mesures de sécurité dans les détroits de la Baltique. Dans l’ensemble, cette conversation donna au Führer l’impression que les divergences de vues germano-russes devenaient plus dangereuses. Déjà, dans la conversation que j’avais eue avec lui, le Führer m’avait dit pourquoi il songeait à prévenir une attaque lorsque le moment serait venu. Les informations concernant de fiévreux préparatifs de déploiement de forces dans les territoires nouvellement acquis par la Russie en Pologne, en Lettonie, en Lituanie en Estonie et en Bessarabie, le rendaient particulièrement méfiant.

Jusqu’à cette époque, nous avions eu seulement huit et, plus tard, vingt à vingt-cinq divisions le long de la frontière de l’Est. Des informations nous firent croire que la Russie pourrait attendre pour nous attaquer dans le dos que l’Allemagne fût engagée à l’Ouest, soit à la suite d’une invasion par les Anglais, soit que l’Allemagne, de son côté, eût décidé l’invasion de l’Angleterre. Ces arguments furent renforcés par le fait que, peu de temps auparavant, contrairement à l’habitude, des ingénieurs allemands et, je crois aussi, des officiers, avaient été subitement invités à visiter des usines d’armement d’aviation et de chars.

Les informations qu’ils avaient envoyées sur la capacité de production très élevée de ces usines renforcèrent la conviction du Führer. Il en était tellement persuadé qu’il disait — et c’était là sa pensée politique — que si l’Angleterre, après comme avant, ne pensait pas à en venir à un accord avec nous, bien qu’elle fût seule à s’opposer à nous, c’est qu’il y avait quelque chose qui se jouait dans la coulisse. Il avait été informé que le Premier Ministre Churchill avait fait remarquer en Angleterre à certains esprits inquiets les deux choses suivantes : d’abord, qu’il fallait compter sur un appui accru des États-Unis, tout au moins dans le domaine technique et dans celui de l’armement, et ensuite, ce qu’il considérait encore comme plus vraisemblable, que Churchill avait déjà engagé des négociations dans ce sens avec la Russie et attiré l’attention sur le fait qu’à plus ou moins bref délai on en arriverait à un conflit. Le Führer faisait le calcul suivant : avant que l’Amérique en ait fini avec ses armements et la mobilisation de son Armée, il aurait brisé l’avance russe par une attaque subite et aurait écrasé les troupes russes à tel point qu’elles ne représenteraient plus qu’un danger insignifiant en cas de lutte contre les Anglo-Américains sur le continent.

Telles furent les explications du Führer. Puis survint la visite de Molotov à laquelle je viens de faire allusion et qui ne fit que confirmer ce point de vue.

Dr STAHMER

Que pensiez-vous à cette époque d’une attaque contre la Russie ?

ACCUSÉ GÖRING

Je fus d’abord très surpris et j’ai demandé au Führer de me donner quelques heures de réflexion avant de donner mon avis. Je fus pris au dépourvu. Le soir, je dis au Führer, après ces entretiens de l’après-midi, que je le priais instamment de ne pas déclencher une guerre contre la Russie, actuellement ou même dans un proche avenir ; non pas que je fusse guidé par des considérations de Droit international ou par des raisons semblables ; mon attitude n’était due qu’à des raisons politiques et militaires.

D’abord, de tout temps et depuis la prise du pouvoir, je fus peut-être l’une des seules personnalités allemandes à avoir considéré un conflit avec la Russie comme très dangereux pour l’Allemagne. Je savais, et beaucoup d’autres avec moi, que depuis dix ans, la Russie avait considérablement réarmé et avait instruit des troupes et que le standard de vie avait été sacrifié en faveur de la production d’armement. Les livraisons de l’industrie allemande et des industries américaine, britannique et autres ont toujours montré clairement qu’il s’agissait exclusivement de machines qui, directement ou indirectement, étaient nécessaires à un formidable programme de réarmement. Il était facile d’en déduire l’ampleur et la rapidité du réarmement russe. Si l’Allemagne avait évolué vers le communisme, le réarmement russe aurait été à mon avis dirigé contre d’autres dangers. Mais comme nous avions pris le pouvoir, naturellement la politique intérieure et la différence d’idéologie constituaient une grave menace.

Je me suis rendu compte que de tels contrastes ne mènent pas nécessairement à des conflits entre les États, parce que les intérêts politiques et nationaux des États sont toujours plus forts et plus puissants que tous les contrastes idéologiques ou que tous les accords. Mais là aussi je voyais une menace, car que signifiait ce réarmement important à un moment où. avant la prise du pouvoir, l’Allemagne était impuissante ? J’ai alors dit au Führer que, malgré cette attitude de la Russie, j’avais toujours vu un danger et que je l’avais toujours redouté, mais que je lui demandais d’attendre encore un peu et, si la chose était possible, de diriger les intérêts des Russes contre l’Angleterre. Et je lui dis :

« Nous luttons actuellement contre une des plus fortes puissances mondiales, l’Empire britannique et si vous, mon Führer, n’êtes pas exactement de mon avis, je dois vous contredire, mais tôt ou tard, la seconde grande puissance mondiale, les États-Unis, se joindra à notre adversaire. Cela ne dépendra pas de l’élection du Président Roosevelt ; l’autre candidat ne pourra pas l’éviter non plus. Nous serons en lutte contre deux grandes puissances mondiales. Ce fut votre coup de maître, au début des hostilités, de faire la guerre sur un seul front ; vous avez toujours insisté sur ce point. En cas de rupture avec la Russie, la troisième grande puissance mondiale entrerait en lutte contre l’Allemagne. Nous serions seuls, contre le monde entier, et nous aurions à nouveau deux fronts. Les autres États ne comptent pas ». Il me répondit :

« J’apprécie pleinement vos arguments et je connais la menace russe plus que quiconque Mais si nous mettons à exécution nos plans de lutte contre l’Empire britannique et si ceux-ci n’aboutissent qu’à un demi-succès, la Russie n’entreprendra pas son attaque. C’est uniquement si nous sommes arrêtés à l’Ouest par une lutte sérieuse que je serai de votre avis ; le danger russe s’accroîtra alors énormément. C’est ma conviction »

J’étais même persuadé que l’assentiment rapide des Russes à un accord dans la crise polonaise n’avait pour but, en laissant l’Allemagne libre de ce côté, que de l’amener plus certainement à ce conflit car la guerre germano-anglo-française ayant eu lieu, les intérêts russes exigeaient évidemment l’intervention de ce nouveau conflit et sa solution favorable.

Je dis en outre au Führer que, selon mes informations, le réarmement russe serait terminé en 1942, 1943, peut-être même seulement en 1944. Il nous fallait, avant, en finir avec l’Angleterre, sinon par une victoire totale, du moins par un accord. Cela n’était possible que si nous remportions des succès décisifs dans notre lutte contre l’Angleterre. A cette époque, toute l’aviation allemande était engagée contre l’Angleterre ; si vous constituez maintenant un nouveau front, vous devrez alors envoyer plus de la moitié, les deux tiers de vos troupes à l’Est contre la Russie, ce qui interdirait pratiquement toute attaque aérienne énergique contre l’Angleterre. Tous les sacrifices consentis jusqu’ici auront été inutiles et une chance sera donnée à l’Angleterre de réorganiser et de reconstruire tranquillement son industrie aéronautique.

Plus décisif encore que ces arguments était le fait qu’une telle attaque contre la Russie rendait inexécutable le plan que j’avais soumis au Führer d’une attaque de l’Angleterre à Gibraltar et à Suez. L’attaque contre Gibraltar par l’aviation était si méthodiquement préparée que, selon toutes probabilités, elle ne pouvait pas échouer. L’aviation britannique stationnée sur le petit aérodrome au nord du rocher de Gibraltar ne comptait pas. L’attaque de mes parachutistes aurait été une réussite. L’occupation simultanée de l’autre côte, la côte africaine, et une percée sur Casablanca et Dakar nous auraient protégés contre une intervention américaine qui se produisit effectivement plus tard en Afrique du Nord. Dans quelle mesure les îles du Cap Vert pouvaient être utilisées, on ne le précisa pas. Il sautait aux yeux qu’il y avait une grande importance à baser des avions sur le point d’appui de l’Afrique du Nord et à y créer des bases de sous-marins pour attaquer de ces positions éminemment favorables tout le trafic des convois en provenance du Cap ou de l’Amérique du Sud. La Méditerranée fermée à l’Ouest, il aurait alors été très simple, en empruntant la route de Tripoli, de réaliser l’entreprise projetée contre Suez. On pouvait calculer d’avance le temps que cela aurait demandé Éliminer le théâtre méditerranéen d’opérations, occuper les positions-clefs de Gibraltar, de l’Afrique du Nord jusqu’à Dakar, Suez et plus loin vers le Sud, n’auraient demandé que très peu de forces, un petit nombre de divisions de chaque côté et la côte italienne était à jamais assurée contre toute attaque.

Je le priai de mettre ces considérations au premier plan et, seulement après la conclusion d’une telle entreprise, d’examiner la situation politique et militaire vis-à-vis de la Russie. Si ces conditions étaient réalisées, nous avions en outre une position favorable de flanc en cas d’une intervention des États-Unis.

Je lui expliquai toutes ces raisons en détail et lui fis remarquer à nouveau qu’ici nous renoncions à une quasi-certitude pour une chose bien plus aléatoire, qu’après nous être assuré une telle position, il y aurait beaucoup plus de chances d’arriver à un arrangement avec l’Angleterre à un moment où les deux armées se feraient face de chaque côté de la Manche. Voilà les raisons que j’avançai pour faire reculer la date, d’autant plus qu’en cas de succès dans ce domaine, nous pourrions peut-être orienter les préparatifs russes contre nos ennemis du moment, sur le terrain politique peut-être.

J’insiste cependant sur le fait que le Führer s’est borné d’abord à des préparatifs généraux, tout en donnant de bonnes paroles, voulant, comme il me l’a dit, faire attendre encore l’attaque proprement dite. La décision finale n’intervint qu’après le putsch de Simovitch en Yougoslavie.

LE PRÉSIDENT

Nous allons maintenant suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr STAHMER

Le Ministère Public a déposé un document PS-376 ; c’est une lettre du 29 octobre 1940, dont voici le paragraphe 5 :

« Le Führer étudie actuellement, en vue d’une guerre avec l’Amérique, l’occupation des îles de l’Atlantique. »

Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

ACCUSÉ GÖRING

Je connais très bien ce document, étant donné qu’on me l’a présenté ici. Il s’agit d’une lettre que le représentant de la Luftwaffe à l’OKW, le lieutenant-colonel von Falkenstein, adressa au chef d’État-Major de ma Luftwaffe. Il s’agissait d’une étude sur les questions dont je viens de parler, c’est-à-dire l’occupation de Gibraltar, de l’Afrique du Nord et peut-être aussi des îles de l’Atlantique, en premier lieu comme base de combat contre l’Angleterre, notre ennemie du moment, et en second lieu dans le cas où l’Amérique entrerait en guerre, afin d’avoir une position nous permettant de prendre ses convois de flanc. Mais ce n’était qu’une étude d’état-major. A cette époque, j’avais de moi-même, sans en avoir parlé auparavant au Führer, étudié, sur le plan militaire, les possibilités de mener à bonne fin une telle entreprise. Cela n’a donc aucun intérêt.

Dr STAHMER

Encore une question à ce sujet. Nous avons ici un plan d’organisation pour l’année 1950, établi par un commandant Kammhüber.

ACCUSÉ GÖRING

Je puis aussi y répondre en peu de mots. Je connais ce document, car il a été mentionné deux ou trois fois par l’Accusation. Un examen par un officier spécialiste d’état-major de l’une des puissances représentées prouverait immédiatement que ce document n’est que d’une importance secondaire. C’est simplement une étude d’état-major, faite par la section d’organisation dans le but de trouver la meilleure organisation du commandement. Il s’agissait de savoir si on mettrait l’accent sur l’Aviation ou sur les fortifications terrestres. Il s’agissait de savoir si l’on pouvait employer des escadrilles composées de chasseurs et de bombardiers réunis ou bien seulement des uns ou des autres et autres questions semblables qui sont toujours examinées par les bureaux d’état-major aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix. Que de telles études soient basées sur des éventualités stratégiques, c’est évident. Dans le cas qui nous occupe, le commandant s’inspira d’une situation éventuelle aux environs de 1950, une guerre sur deux fronts, qui n’était pas entièrement en dehors de toute probabilité une guerre à l’Ouest avec la France et l’Angleterre, d’un côté, et de l’autre côté à l’Est avec la Russie. Il supposait que la Pologne et l’Autriche étaient entre nos mains.

Cette étude ne m’est jamais parvenue. Je viens juste d’en prendre connaissance, mais cela n’a aucune importance, car elle fut faite dans mon ministère par mon État-Major et sur mes ordres. Cela faisait partie des travaux prenant place dans le cadre général de l’organisation, d’examiner constamment, à la lumière de l’expérience, la valeur du commandement et de l’organisation. C’est une question qui n’a rien à voir ici avec ce Procès.

Dr STAHMER

Il y a quelques jours, on a fait allusion à une allocution que vous devez avoir faite à des officiers de l’Aviation et dans laquelle vous déclarez ce qui suit : « Je me propose d’avoir une aviation qui, l’heure venue, fondra sur l’ennemi comme un chœur de vengeance. L’adversaire doit avoir le sentiment d’être perdu avant d’avoir engagé le combat ». Je vais vous présenter ce discours et j’aimerais que vous nous disiez si vous le reconnaissez et quelle est sa signification ?

ACCUSÉ GÖRING

Cette phrase a déjà été citée deux fois par le Ministère Public, une fois au début et, la deuxième fois, l’autre jour lors du contre-interrogatoire du Feldmarschall Milch.

Il s’agit d’un discours reproduit dans mon livre Discours et extraits qui a été déposé comme preuve. Ce discours, qui porte le titre « Esprit de camaraderie, de devoir et de sacrifice », a été adressé à un millier de lieutenants d’aviation le jour où ils ont prêté serment, le 20 mai 1936, à Berlin. J’ai expliqué longuement à ces mille jeunes gens qui venaient d’être promus officiers, ce qu’était la camaraderie, l’accomplissement du devoir, le sens du sacrifice et le don de soi-même. Cette citation a été sortie de son contexte. Je prends donc la liberté de demander au Tribunal la permission de lire le court paragraphe qui précède et qui donnera à ces paroles leur véritable sens. Puis-je encore une fois retracer l’atmosphère dans laquelle ce discours fut prononcé ? Il y avait devant moi mille jeunes lieutenants pleins d’espérance auxquels je devais donner un esprit combatif. Cela n’a rien à voir avec la guerre d’agression, mais il fallait que ces jeunes gens, en cas de guerre, quelles que fussent les circonstances qui lui avaient donné naissance, se conduisent en garçons courageux et volontaires. Voici la citation dont j’ai parlé :

« Je ne vous demande rien d’impossible. Je ne vous demande pas d’être des garçons modèles. Je suis volontiers indulgent et je comprends que les jeunes gens fassent des sottises, autrement ils ne seraient plus des jeunes gens. Faites des bêtises, cela n’a pas d’importance. L’important, c’est que vous fassiez preuve de raison et que vous vous conduisiez en hommes. Amusez-vous tant que vous voudrez, mais dès que vous êtes à bord de votre appareil, soyez des hommes décidés, prêts à tout endurer. Voilà ce que je vous demande, fougueux petits gars » (Document PS-1856).

Puis vient le paragraphe que vous venez de lire : « Je rêve d’une aviation » etc., « qui fondra sur l’adversaire comme un chœur de vengeance ». Cela n’a rien à faire avec la vengeance, mais l’expression « chœur de vengeance » est en Allemagne une façon de parler très usuelle. J’aurais pu en employer une autre. L’adversaire doit en avoir une autre pour rendre la même idée. Je n’en lirai pas plus, la suite est très compréhensible si l’on n’oublie pas à qui je parle.

Dr STAHMER

Dans quelle proportion avez-vous pris part aux préparatifs militaires et économiques du « Cas Barbarossa ? »

ACCUSÉ GÖRING

Militaires, bien entendu. En tant que Commandant en chef de l’Aviation, j’ai pris naturellement toutes les mesures nécessaires, dans le domaine purement militaire, à la préparation d’une telle campagne. Il ne s’agissait pas d’être d’accord ou non... Je fis les préparatifs qui sont toujours nécessaires à un déploiement stratégique nouveau et que tout officier avait le devoir de mener à bonne fin et pour lesquels j’avais donné leurs instructions aux officiers de la Luftwaffe. Je ne pense pas que le Tribunal soit intéressé par des détails sur la façon dont je me suis servi de mon aviation. La chose décisive au moment des premières attaques était, comme avant, d’éliminer l’aviation ennemie. Indépendamment de ces préparatifs purement militaires, des préparatifs économiques semblèrent nécessaires, comme l’ont montré nos expériences dans la guerre de Pologne et à l’Ouest, doublement nécessaires dans le cas de la Russie, car ici nous touchons une forme de la vie économique absolument différente de celle des autres pays du continent Il s’agissait ici d’une économie dirigée et de propriété d’État. Il n’y avait aucune économie privée ou propriétés privées dignes d’attention.

Si c’est moi qui en fus chargé, ce fut évidemment à la suite de mes fonctions de délégué au Plan de quatre ans où je dirigeais l’économie et donnais les instructions nécessaires. J’avais instruit le personnel de l’Économie de guerre pour préparer un plan économique général pour l’invasion, en attirant les experts des questions économiques russes, d’autant plus que nous pouvions croire que notre entrée en Russie la déterminerait, conformément à une expérience qui n’avait cessé de se vérifier, à détruire une grande partie de son économie. Le résultat de ces études militaires et économiques fut ce qu’on a appelé le « dossier Vert », Je crois que dans l’avenir toute guerre demandera, comme celle-ci d’ailleurs, une mobilisation économique, à côté de la mobilisation militaire et politique, sinon on pourra se trouver en de très désagréables situations.

Le « dossier Vert » a été cité plusieurs fois et, là aussi, on a séparé des extraits de leur contexte. Le temps m’empêche de lire des passages de ce « dossier Vert » On pourra peut-être le faire au cours de l’exposé des preuves. Mais si j’avais à lire le « dossier Vert », de A à Z, du début jusqu’à la fin, le Tribunal verrait que c’est un travail très utile à une armée entrant en pays ennemi où l’économie a des bases complètement différentes. Le Tribunal verrait aussi qu’on ne pouvait procéder autrement. Ce « dossier Vert » contient beaucoup de bonnes choses et si l’on en cite quelques phrases au hasard, on peut en avoir une idée fausse. Il prévoit même des indemnités et tout y est envisagé. Il est évident que du moment où un État entre en guerre contre un autre, il fera son possible, si cela sert ses propres intérêts, pour assurer le fonctionnement de l’économie de l’adversaire.

Pour gagner du temps, je renonce cependant à la lecture de ces pages qui me serait d’une grande utilité, car je suis en train d’expliquer en ce moment que l’accaparement de l’économie russe après la conquête des territoires en question était aussi nécessaire et obligatoire pour nous, qu’il est indispensable à la Russie d’aujourd’hui d’avoir la même attitude en territoire allemand, avec la différence cependant que nous n’avons pas démonté et emmené les usines jusqu’à la dernière vis, comme cela se produit aujourd’hui. Ce sont là des mesures normales en temps de guerre ; j’en assume évidemment toute la responsabilité.

Dr STAHMER

Un mémorandum a été déposé sous le n°  PS-2718, le voici : « Mémorandum sur le résultat de l’entretien d’aujourd’hui avec les secrétaires d’État sur « Barbarossa ». Il s’exprime ainsi :

1. La guerre n’est à poursuivre que si toute l’Armée peut être ravitaillée en Russie dans la troisième année de guerre.

2. Il n’y a aucun doute qu’une dizaine de millions de gens mourront de faim si nous prenons ce qui est nécessaire sur le pays. »

Avez-vous été informé du contenu de cet entretien des secrétaires d’État ?

ACCUSÉ GÖRING

Je connais ce document seulement depuis qu’il m’a été présenté ici. C’est un document assez peu clair. On ne peut pas dire qui était présent, où ces faits se sont passés et qui est responsable de cette stupidité. I ! est évident qu’au cours des conversations d’experts on a raconté beaucoup de stupidités. D’abord, l’Armée allemande aurait de toute façon été nourrie, même en cas de guerre avec la Russie. On ne peut tout de même pas dire que nous avions besoin d’attaquer la Russie pour nourrir les Forces armées allemandes. Avant l’attaque contre la Russie, l’Armée allemande était nourrie. Elle aurait continué à l’être.

Mais en avançant en Russie, il est tout à fait logique que l’Armée se soit ravitaillée sur place. Le ravitaillement de quelques millions d’êtres humains, c’est à dire deux ou trois, plus les services, si je prends les troupes engagées en Russie, ne peut pas entraîner la mort par la famine de dizaines et de dizaines de millions d’habitants des territoires occupés ; car, avec la meilleure volonté, le soldat ne peut manger une quantité de nourriture susceptible, par ailleurs, de satisfaire trois personnes. En fait, la population n’a pas connu la famine. Si celle-ci était devenue possible, ce n’est pas parce que l’Armée allemande se nourrissait en Russie, mais parce que les Russes avaient détruit ou emmené tous les stocks de céréales. Il était d’abord impossible de rentrer les récoltes qui avaient été partiellement détruites par la retraite des troupes russes, car le matériel faisait défaut et, deuxièmement, le matériel et les semences se faisant rares, les labourages d’automne et du printemps risquaient de ne pas être faits. Si cette crise fut surmontée, ce n’est pas uniquement parce que les troupes russes avaient tout détruit, mais parce que l’Allemagne a prélevé de grandes quantités sur ses propres réserves. C’est ainsi que des tracteurs, des machines agricoles, des faux et autres outils semblables, même les semences, furent envoyés en Russie. Au début, les troupes ne purent se nourrir sur le pays et le ravitaillement était amené d’Allemagne ainsi que la paille et le foin. C’est seulement après de grands efforts de l’organisation et de l’administration et en collaboration avec la population locale que nous pûmes rétablir l’équilibre dans le secteur de l’agriculture et obtenir aussi des surplus pour les territoires allemands.

D’après ce que je sais, il n’y a eu de famine qu’à Leningrad, comme on Ta déjà mentionné ici. Or, Leningrad était une forteresse en état de siège. Je n’ai jamais vu dans l’histoire de la guerre que l’assiégeant ait ravitaillé généreusement l’assiégé, pour qu’il pût résister plus longtemps, mais j’ai vu dans l’histoire de la guerre que le siège et le blocus d’une ville sont un moyen de faire tomber la forteresse en lui coupant les vivres Ni du point de vue du Droit international ni du point de vue militaire, nous n’étions obligés de ravitailler les forteresses et les villes assiégées.

Dr STAHMER

Quelle part prit l’aviation aux attaques sur Leningrad ?

ACCUSÉ GÖRING

L’aviation n’avait que des effectifs très faibles aux environs de Leningrad. Le secteur nord de notre front avancé était le moins pourvu en aviation, de sorte que l’aviation avait à remplir simultanément de très nombreuses missions. Jamais l’aviation ne fit d’attaque concentrée vraiment notable sur Leningrad, telle que celles que nous avons effectuées sur d’autres villes ou que celles encore plus importantes qu’ont subies les villes allemandes.

Ce n’est pas une fois, mais à plusieurs reprises, qu’en présence d’autres personnes le Führer m’a reproché de n’avoir pas engagé la Luftwaffe au-dessus de Leningrad. Je répliquai :

« Tant que mon aviation sera prête à aller dans l’enfer de Londres, elle sera prête à attaquer Leningrad qui est beaucoup moins défendue. Mais je n’ai pas les forces nécessaires ; de plus, il faudrait que vous ne donniez pas autant de missions à mon aviation sur le front nord, telles que celles consistant à empêcher l’arrivée de l’approvisionnement par le lac Ladoga et autres. »

C’est pourquoi il n’y eut d’attaques aériennes que sur Kronstadt, sur la flotte mouillée dans l’avant-port de Leningrad et sur d’autres objectifs comme des batteries lourdes. Cela m’a intéressé d’apprendre par le témoignage sous la foi du serment du conservateur russe des musées, que l’aviation devait en premier lieu détruire les musées et par les déclarations, qu’il n’a pas fait précéder d’un serment, de ce métropolite russe, dont j’ignore le titre exact, qui a eu l’impression que mon aviation avait choisi ses cathédrales comme objectifs. J’appelle votre attention sur cette contradiction, peut-être compréhensible de la part de profanes. Mais, en fait, Saint-Pétersbourg étant sur la ligne de combat, il n’était pas nécessaire de la bombarder par avions, étant donné que notre artillerie moyenne et lourde suffisait pour atteindre le centre de la ville.

Dr STAHMER

En Russie, la puissance occupante s’est-elle bornée à saisir les biens de l’État ?

ACCUSÉ GÖRING

Sur la dernière question, j’ai oublié de dire quelque chose. On a beaucoup parlé ici des nombreuses destructions faites en Russie, on en a montré des vues dans des films impressionnants en eux-mêmes, mais moins pour un Allemand, car il ne montraient qu’une faible partie des destructions que nous avons subies dans nos propres villes. Mais j’aimerais faire remarquer que beaucoup de ces destructions ont été faites au cours des combats et intentionnellement par l’aviation ou par l’artillerie ; même lorsqu’il s’agit de villes historiques ou de monuments, leur destruction ne fut souvent que la conséquence des opérations militaires.

En Allemagne même, des personnalités telles que le musicien et compositeur Tchaïkovsky et les poètes Tolstoï et Pouchkine sont trop estimées pour qu’on ait pu projeter intentionnellement la destruction des tombeaux de ces grands hommes.

J’en viens à la question suivante, de savoir si la saisie n’a affecté que les biens de l’État- Autant que je sache, oui.

Pour la propriété privée, comme on l’a exposé dans les rapports d’États, je peux facilement imaginer qu’au cours de ce terrible hiver 1941-1942, des soldats allemands prirent à des civils des bottes fourrées et des peaux de moutons ; c’est bien possible. D’ailleurs, il n’y avait pas de propriété privée, on ne pouvait donc pas la confisquer. Je ne peux parler personnellement que d’une petite région, à savoir les environs de la ville de Vinitza et la ville de Vinitza elle-même. Quand j’arrêtai mon train spécial pour y installer mon quartier général, je visitai des chaumières de villages et la ville de Vinitza parce que la vie là-bas m’intéressait.

J’ai pu constater une pauvreté si inimaginable que je ne peux comprendre, avec la meilleure volonté du monde, comment on aurait pu prendre quelque chose. Je peux donner comme exemple un fait secondaire mais cependant instructif : les gens nous offraient des œufs et du beurre contre des pots de confiture ou des boîtes de conserve vides ou contre des boîtes de cigares ou de cigarettes vides parce qu’ils attachaient à ces articles primitifs une valeur absolument extraordinaire. Je tiens à spécifier également qu’aucun théâtre ne fut détruit sciemment, ni à ma connaissance, ni à celle d’aucun autre Allemand. Je ne connais que le théâtre de Vinitza, que j’ai visité. J’ai vu les acteurs, les actrices et le corps de ballet. La première chose que je fis fut de procurer à ces gens du matériel, des costumes et toutes sortes de choses parce qu’ils n’avaient rien.

Deuxième exemple, la destruction des églises. C’est aussi un souvenir personnel de Vinitza. J’assistai à la consécration de la plus grande église qui, pendant des années, avait servi d’entrepôt et qui, sous l’administration allemande, fut rendue au culte. Les prêtres me prièrent d’assister à cette consécration. Tout était décoré de fleurs ; je refusai parce que je n’appartenais pas à l’Église orthodoxe.

En ce qui concerne le pillage des boutiques, je n’en vois qu’une à Vinitza dans laquelle il n’y avait rien.

Dr STAHMER

Quelle importance avait pour l’aviation le camp de travail de Dora dont il a été question dans le réquisitoire français ?

ACCUSÉ GÖRING

Je dois d’abord déclarer que l’accusation portée contre nous, selon laquelle noue avions détruit partout les installations industrielles, est inexacte ; au contraire, nous avons dû, dans notre propre intérêt, reconstruire une grande partie des installations industrielles. Ainsi, je me souviens du fameux barrage de Dniepropetrovsk qui avait été détruit et qui était d’une importance décisive pour l’alimentation en électricité de l’Ukraine entière et même du bassin du Donetz.

J’ai déjà parlé de l’industrie et de l’agriculture ; nous trouvions partout la « terre brûlée », parfaitement réalisée selon l’ordre donné par les Russes. La situation créée par la politique de la terre brûlée, la destruction de tous les stocks de denrées et autres, causaient de grandes difficultés. C’est pourquoi nous avons entrepris également de grandes constructions d’intérêt économique.

En ce qui concerne la destruction des villes, je voudrais ajouter qu’en dehors de celles qui ont été bombardées pendant le combat, au cours de manœuvres d’attaque ou de retraite, des parties considérables et des bâtiments importants de grandes villes avaient été minés et ont sauté au moment voulu en ensevelissant beaucoup de victimes allemandes. Je peux citer deux exemples principaux : Odessa et Kiev.

J’en viens maintenant au camp de Dora. C’est ici que j’ai entendu parler pour la première fois de ce camp de Dora. Bien entendu, je savais qu’il y avait des usines souterraines aux environs de Nordhausen ; je n’y étais jamais allé moi-même. Mais celles-ci avaient été installées très tôt- On y fabriquait surtout des VI et des V2. Je ne connais pas les conditions de vie du camp de Dora telles qu’on les a décrites. Je crois, d’ailleurs, qu’elles sont exagérées. Naturellement, je savais qu’on construisait des usines souterraines. J’avais intérêt à ce qu’on en construisît encore d’autres pour la Luftwaffe. Je ne vois pas d’ailleurs en quoi l’installation d’usines souterraines constituerait un travail particulièrement dur et épuisant.

J’ai fait construire une importante usine souterraine de constructions aéronautiques à Kahla, en Thuringe, dans laquelle travaillaient, pour une grande part, des ouvriers allemands ainsi que des ouvriers russes et des prisonniers de guerre. Je l’ai visitée personnellement pour me rendre compte du travail et j’ai trouvé un très bon état d’esprit. A l’occasion de ma visite, j’ai fait donner aux ouvriers — aux étrangers et aux prisonniers de guerre comme aux Allemands — des suppléments de boisson, de cigarettes et autres.

Les autres usines souterraines pour lesquelles j’avais demandé des détenus de camps de concentration ne furent pas utilisées. Il est exact que j’ai demandé des détenus de camps de concentration pour les usines d’aviation et c’était tout à fait naturel de ma part car, à cette époque, j’ignorais les détails des conditions dans les camps de concentration. Je savais seulement qu’il s’y trouvait beaucoup d’Allemands, par exemple des gens qui avaient refusé de faire leur service militaire, des adversaires politiques ou des individus purgeant d’anciennes peines, ce qui est pratiqué également dans d’autres pays en temps de guerre En Allemagne alors, il fallait que tout le monde travaillât. Les femmes, même celles qui n’avaient jamais travaillé auparavant, furent incorporées dans le Front du Travail. Dans ma propre maison, on créa un atelier de fabrication de parachutes dans lequel tout le monde devait travailler. Je ne vois pas pourquoi, alors que le peuple allemand tout entier devait prendre part au travail, les détenus, que ce soit ceux des prisons, des camps de concentration ou d’ailleurs, n’auraient pas été employés pour la production de guerre.

En outre, je suis convaincu, d’après ce que je sais maintenant, qu’il valait mieux, pour les détenus des camps de concentration, travailler dans une usine d’aviation où ils étaient logés, que dans leurs camps.

Le fait qu’ils travaillaient est en soi tout à fait normal, même s’ils travaillaient pour la production de guerre. Mais dire que le travail est une extermination, c’est pour moi une conception nouvelle. Il est possible qu’il ait été parfois intensif mais, pour ma part, j’avais intérêt à ce que ces gens ne fussent pas exterminés, mais qu’ils pussent travailler et produire. Le travail en soi était le même que celui des ouvriers allemands, c’est-à-dire la fabrication d’avions et de moteurs d’avions ; je ne vois pas qu’on ait prévu une extermination par ce moyen.

Dr STAHMER

Dans quelles conditions les prisonniers de guerre ont-ils été employés dans la DCA ?

ACCUSÉ GÖRING

On a employé des prisonniers de guerre pour la DCA principalement pour les batteries appelées batteries fixes utilisées pour la protection des villes et des usines. Il s’agissait là de volontaires. C’était principalement des prisonniers de guerre russes, mais pas uniquement, autant que je sache. Il ne faut pas oublier qu’il y avait en Russie différentes nationalités qui étaient nettement différenciées et n’avaient pas la même attitude vis-à-vis du régime. Comme pour la formation des bataillons de l’Est constitués de volontaires, beaucoup de volontaires, après une annonce dans les camps, se proposaient pour servir dans la DCA. Nous avions aussi une division entière de prisonniers de guerre russes qui voulaient combattre contre leur propre pays. Je n’estime pas beaucoup ces gens, mais pendant la guerre, on prend ce qu’on trouve. C’était exactement la même chose de l’autre côté.

Les volontaires aimaient aller à la DCA parce qu’ils avaient moins de travail et étaient mieux nourris ; ils recevaient les rations militaires ; s’ils avaient d’autres raisons, je n’en sais rien. Évidemment, si l’on regardait une batterie locale de DCA en 1944-1945, on avait,] je l’admets, une impression curieuse. Il y avait de jeunes Allemands, des garçons de 15 à 16 ans et des hommes âgés de 55 à 60 ans, quelques femmes et quelques volontaires de toutes les nationalités. C’est pourquoi je les appelais toujours mes « batteries de bohémiens ». Mais ils tiraient et c’était le principal.

Dr STAHMER

Quelles étaient les relations de service entre Sauckel et vous ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai mentionné qu’il] y avait dès 1936, dans le Plan de quatre ans, un plénipotentiaire à la répartition de la main-d’œuvre. En 1942, lorsqu’il tomba malade et qu’il fut remplacé par un autre, je fus surpris par la nomination d’un nouveau plénipotentiaire à la main-d’œuvre à laquelle le Führer avait procédé directement sans me consulter. Mais le Führer, à cette époque, commençait à s’occuper beaucoup plus directement de ces problèmes ; s’il avait agi ainsi, c’était parce que la question de la main-d’œuvre devenait de jour en jour plus difficile. On lui avait suggéré de nommer un nouveau délégué, mais tout d’abord avec un autre titre, un Gauleiter, par exemple celui de Silésie. Mais le Führer préféra le Gauleiter de Thuringe, Sauckel, et le nomma plénipotentiaire.

Ce décret fut contresigné par Lammers et non par moi ; mais la chose est sans importance ; et il fut officiellement rattaché au Plan de quatre ans, car le Plan de quatre ans englobait tous les pouvoirs accordés dans le domaine des questions économiques. C’est pour cette raison qu’à la fin la nomination elle-même de Goebbels comme plénipotentiaire général à la guerre totale, ce qui n’avait rien à voir avec moi, fut incluse dans les pleins pouvoirs du Plan de quatre ans ; sinon tout l’échafaudage juridique du Plan de quatre ans que j’avais peu à peu édifié avec ces pleins pouvoirs se serait écroulé et nous aurions eu à créer entièrement de nouvelles conditions.

Alors même que Sauckel, à cette époque et par la suite d’une façon permanente, recevait ses ordres directement du Führer parce que ce dernier s’occupait de plus près de toutes ces questions, j’ai été heureux de sa nomination, car je le considérais comme le plus calme et le plus digne de confiance des Gauleiter et j’étais convaincu qu’il se vouerait tout entier à sa nouvelle tâche.

Les relations avec les services du Plan de quatre ans étaient naturellement maintenues et pour l’élaboration de décrets-lois importants, Sauckel, autant que je sache, collaborait avec mes bureaux du Plan de quatre ans. Sauckel lui-même, à plusieurs reprises, me rendit compte de ses entretiens avec le Führer et m’envoya quelques-uns des rapports qu’il avait envoyés au Führer. J’étais informé en gros, sinon en détail.

Dr STAHMER

En mars 1944, 75 officiers aviateurs anglais se sont évadés du Stalag Luft III. Ainsi que vous avez dû le savoir, 50 de ces officiers, repris par des agents du SD, ont été fusillés. L’ordre d’exécution est-il venu de vous ? Connaissiez-vous ce fait ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai été mis au courant des événements, mais malheureusement trop tard. Au moment de l’évasion de ces 75 ou 80 officiers anglais, dans les derniers jours de mars, j’étais en permission ; je puis le prouver. Je n’entendis parler qu’un ou deux jours plus tard de cette évasion. Mais comme il y avait déjà eu des évasions importantes et que chaque fois le gros des prisonniers évadés était ramené au camp quelques jours plus tard, je pensais que dans ce cas il en serait de même. A mon retour de permission, j’appris par mon chef d’État-Major que plusieurs des officiers évadés — mais il ne pouvait m’en donner le chiffre — avaient été fusillés.

Cette mesure avait été très discutée dans l’Aviation et avait causé une certaine émotion ; on craignait aussi des représailles.

Je lui demandai de qui il tenait ces renseignements et ce qui s’était réellement passé. Il me dit qu’il savait seulement qu’une partie des évadés avaient été repris dans les environs du camp par la garde ou par les services de police du voisinage et ramenés au camp. Ils étaient sains et saufs. Par contre, une partie de ceux qui avaient été repris plus loin du camp avaient été fusillés.

Je m’adressai à Himmler pour demander des précisions. Il me confirma la chose sans pouvoir donner un chiffre certain et me dit qu’il avait reçu cet ordre du Führer. Je lui fis remarquer que c’était tout de même impossible et que les officiers anglais, en particulier, avaient le devoir de faire au moins une ou deux tentatives d’évasion et que nous le savions. Il me dit, je crois, qu’il s’était opposé à cet ordre, mais que le Führer avait absolument tenu à son idée, ces évasions représentant à son avis un grand danger pour la sécurité. Je lui dis alors que cette mesure provoquerait une sérieuse agitation dans l’Aviation où personne ne la comprendrait ; s’il avait reçu de tels ordres, il aurait pu au moins m’en informer avant de les exécuter pour me donner la possibilité d’y apporter des objections dans la mesure du possible. Après avoir obtenu ces renseignements, j’ai parlé personnellement avec le Führer. Le Führer me confirma qu’il avait donné cet ordre et me donna les motifs de sa décision, ceux que je viens de mentionner. Je lui exposai les raisons pour lesquelles cet ordre, à notre avis, était complètement impossible et les répercussions qu’il pourrait avoir sur mes aviateurs engagés contre notre adversaire de l’Ouest.

Le Führer — nos relations étaient déjà extrêmement mauvaises et tendues — répondit assez violemment que nos aviateurs qui se battaient en Russie devaient aussi s’attendre à être mis à mort en cas d’atterrissage forcé et que les aviateurs allant vers l’Ouest n’avaient pas à revendiquer un privilège spécial. Je lui déclarai qu’il s’agissait là de deux questions tout à fait différentes.

J’en parlai ensuite avec mon chef d’État-Major — je crois qu’il était Generalquartiermeister — et je lui dis d’écrire à l’OKW pour demander que le contrôle des camps à l’armée de l’Air me fût retiré. Je voulais n’avoir plus rien à faire avec ces camps de prisonniers si de telles choses devaient s’y reproduire. Cette lettre est en rapport direct avec ces événements ; elle a été faite quelques semaines après. Voilà tout ce que je sais de cette affaire.

Dr STAHMER

Le témoin von Brauchitsch a dit l’autre jour, qu’en mai 1944, le Führer avait décrété des mesures très dures contre les aviateurs terroristes. Avez-vous, conformément à l’ordre du Führer, donné des instructions pour faire fusiller ou livrer au SD les aviateurs ennemis ?

ACCUSÉ GÖRING

Le concept d’aviateurs terroristes était très confus. Une partie de la population et même de la presse appelait aviateurs terroristes à peu près tous ceux qui attaquaient des villes. Les bombardements continus des villes allemandes avaient provoqué dans le peuple allemand une grande agitation car la population y voyait souvent que les objectifs industriels importants étaient moins atteints que les locaux d’habitation et les objectifs non militaires. Ainsi, dans quelques villes allemandes, les quartiers résidentiels étaient déjà touchés sérieusement alors que les usines étaient intactes. Puis vinrent, avec l’avance des forces ennemies, les « Tiefflieger » ou avions opérant en rase-mottes qui attaquaient des objectifs militaires ou non. Des rapports de plus en plus nombreux parvenaient au Führer J’en entendis quelques-uns suivant lesquels la population civile était attaquée avec des mitraillettes et des mitrailleuses. Des voitures, reconnaissables comme des voitures civiles et même des voitures portant la Croix-Rouge, avaient été attaquées. Un jour arriva un rapport — je m’en souviens nettement parce qu’il excita l’indignation du Führer — disant qu’on avait tiré sur un groupe d’enfants.

Des gens furent tués devant des magasins ; tout était qualifié de bombardements terroristes. Le Führer était extrêmement indigné.

Dans cet état d’excitation, la population lyncha des aviateurs ; on prit aussitôt des mesures contre de tels actes Puis, j’entendis dire que l’ordre avait été donné à la Police et à Bormann de ne pas prendre de mesures contre le lynchage. Les rapports se multipliaient et le Führer décréta que ces aviateurs terroristes seraient fusillés sur place ; on fit une déclaration en ce sens. J’avais établi, au cours de l’interrogatoire de ces aviateurs, que leurs supérieurs leur interdisaient ces attaques et qu’ils ne devaient attaquer que des objectifs militaires caractérisés. Comme souvent en pareil cas, on ordonna une consultation de tous les services intéressés. Nous étions arrivés — comme Brauchitsch l’a déjà déclaré — et non seulement l’Aviation mais aussi l’OKW et les autres bureaux militaires, à la conclusion qu’il était très difficile de formuler et de mettre en vigueur un ordre sur ce point.

Il fallait d’abord définir de façon irrécusable le concept d’« aviateur terroriste ». On trouva quatre peints, qui ont déjà été lus ici et qui furent longuement débattus.

En gros, j’étais d’avis que ces aviateurs, qui avaient reçu de leurs propres chefs l’interdiction de faire de telles attaques, pourraient toujours être condamnés dans les formes légales par un tribunal militaire. Après beaucoup de discussions, nous ne sommes arrivés à rien de décisif. D’ailleurs, aucun service de l’Armée de l’air n’était habilité à entreprendre des démarches dans ce sens. D’après le document du 6 juin 1944, qui mentionne un entretien entre Himmler, Ribbentrop et moi à Kiessheim et qui a été signé par Warlimont, Warlimont déclare que Kaltenbrunner lui avait dit avoir appris qu’une conférence avait eu lieu. Cela ne veut pas dire qu’elle ait eu lieu. Ce 6 juin 1944, comme Brauchitsch l’a déjà exposé, est une date très marquante, car c’était le jour de l’invasion de la France. Je ne sais pas exactement qui se trouvait à Kiessheim. Kiessheim était un château près de Berchtesgaden, aménagé pour recevoir les alliés ou les étrangers en visite. Depuis bien longtemps j’avais pris l’habitude, en ma qualité de Commandant en chef de l’Aviation, de m’absenter quand venaient ces visiteurs alliés. Car chacune de ces visites se transformait en demande de secours au cours des entretiens ; on me réclamait de plus en plus du matériel, en particulier des avions, qu’il s’agisse de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Hongrie, de la Finlande, de l’Italie ou de n’importe qui.

J’avais donc pour habitude d’être absent à ces moments-là pour donner au Führer la possibilité de se dérober en disant qu’il lui fallait d’abord en parier au Commandant en chef de l’Aviation. Si je me souviens bien, j’avais quitté Berchtesgaden le 4 ou même le 3 et je me trouvais dans ma propriété près de Nuremberg. L’officier d’État-Major qui m’accompagnait, le médecin et d’autres, pourront le certifier si c’est nécessaire. C’est là que j’ai appris la nouvelle de l’invasion dans les premières heures de la matinée. Brauchitsch se trompe pourtant lorsqu’il dit qu’on nous a annoncé l’invasion ; au contraire, quand je demandai des précisions, on me dit qu’on ne savait pas s’il s’agissait d’une manœuvre de diversion ou de l’invasion. Je suis rentré à Berchtesgaden dans la soirée ou dans l’après-midi, il faut quatre heures et demie pour aller d’ici à Berchtesgaden, et — je m’en souviens — je ne suis parti qu’après le déjeuner. Je n’ai donc pas pris part à un entretien sur ce sujet avec Himmler ou Ribbentrop à Kiessheim ou ailleurs et je désire le souligner. Les conversations furent menées par mon adjoint von Brauchitsch ou mon chef d’État-Major ; c’est lui qui fit savoir à l’OKW, sans m’avoir consulté une dernière fois, que j’estimais qu’il fallait, dans ces cas, déférer les auteurs à un tribunal.

L’important est qu’aucun ordre de ce genre, ordre du Führer ou de moi-même, n’a été donné à un service de l’Aviation, ni au camp de passage et de triage d’Oberursel ni à aucune unité de l’Armée.

Il existe un document concernant la XIe région aérienne qu’on a lu ici. Je crois qu’il y est question de l’exécution d’aviateurs américains ; ce fait y est rapporté parce qu’il s’agissait de la XI’ région aérienne. J’ai parcouru ce document ; il y a deux appendices très détaillés. Il révèle très clairement que la XIe région aérienne rend compte que les membres d’un équipage qui avaient sauté en parachute ont été repêchés dans un lac par des éléments de troupes n’appartenant pas à l’aviation et exécutés par la police sur le chemin du camp d’aviation. On indique même de quelle unité de police il s’agit. Ils ne sont donc pas parvenus au camp, mais ont été abattus auparavant par la police. Comme il était de son devoir, la XIe région aérienne rend compte de ces faits. On rapporte dans l’appendice le nom exact des participants et ce qu’il est advenu de chacun d’eux. Les uns ont été admis à l’hôpital, les autres, comme je l’ai dit, ont été abattus.

Ces comptes rendus généraux et particuliers s’expliquent du fait que les services des régions aériennes, tout comme les services au sol en Allemagne, devaient automatiquement rendre compte sur un formulaire imprimé de la chute ou de l’atterrissage forcé d’un appareil, sans distinction entre nos appareils et ceux de l’ennemi :

« A telle heure, un avion ennemi ou ami touché, abattu à tel ou tel endroit ou contraint d’atterrir. L’équipage a sauté en parachute. L’équipage a été tué. La moitié de l’équipage a péri. Le reste a été emmené au camp ou conduit à l’hôpital. »

Et, ici, on rend compte en outre d’une façon réglementaire :

« Tués par la police au cours d’une tentative de fuite. Enterrés à tel endroit. »

Ces comptes rendus arrivaient par centaines. Je fais allusion aux comptes rendus sur les avions amis ou ennemis abattus et sur leurs équipages qui parvenaient, surtout au moment de la guerre aérienne intensive, aux régions aériennes qui les transmettaient à leur tour aux services compétents. La Luftwaffe n’avait elle-même rien à voir avec ces faits. Il ressort clairement de ce document original allemand qu’il ne s’agit là que d’un compte rendu.

Il y eut sur ce sujet une discussion très animée. Toutes les personnes qui assistaient à l’exposé quotidien de la situation que faisait le Führer s’en souviennent ; le Führer me dit, à plusieurs reprises, d’un ton très hostile, qu’il désirait faire rechercher ces officiers qui avaient encore protégé contre la population des aviateurs tombés en parachute : il voulait connaître leurs noms et la sanction qui leur avait été infligée. Je n’ai jamais fait rechercher ces gens. Je ne les ai pas fait punir non plus.

Je fis remarquer au Führer qu’il était déjà arrivé que nos propres aviateurs qui avaient sauté en parachute eussent été violemment maltraités par leurs concitoyens, qui en étaient ensuite fort confus. C’est pourquoi j’insistais au nom de l’Aviation pour qu’il mît fin à cet état de choses. Il y eut encore une dernière discussion acerbe lors de l’exposé de la situation en présence de beaucoup de personnes, au cours duquel, alors que je parlais encore de cette question, le Führer me coupa la parole en disant : « Je sais bien que les deux aviations ont conclu un accord mutuel de lâcheté » Je lui répondis : « Nous n’avons pas conclu un accord de lâcheté, mais nous autres aviateurs nous sommes restés, même au combat, des camarades ». Tous ceux qui ont assisté à ces discussions doivent s’en souvenir.

Dr STAHMER

Quelle fut votre position en tant qu’autorité suprême de la justice militaire dans l’Armée de l’air vis-à-vis des crimes et délits commis par vos soldats dans les territoires occupés ?

ACCUSÉ GÖRING

En tant qu’autorité judiciaire, j’avais à m’occuper de tous les cas graves et je passais beaucoup de temps à les examiner. C’est pourquoi j’attache beaucoup d’importance au fait que la plus haute autorité de la justice de l’Armée de l’air soit entendue sur ce point. Dans beaucoup de cas, j’ai annulé des condamnations trop douces, spécialement s’il s’agissait de viol. Dans ce cas, j’ai toujours confirmé la peine de mort qui avait été décrétée par le Tribunal, à moins que dans des cas exceptionnels une demande de grâce n’ait été faite par la victime. J’ai confirmé la peine de mort prononcée contre un certain nombre de membres de l’Armée de l’air qui avaient pris part à l’assassinat d’habitants de territoires occupés, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest.

Je ne désire pas faire perdre le temps du Tribunal en citant une série de cas isolés qui le prouvent. Je détenais aussi une autorité judiciaire sur les habitants des territoires occupés qui étaient déférés devant un tribunal de l’Armée de l’air, par exemple quand, en France, en Hollande ou en Russie ou ailleurs, des civils avaient aidé des aviateurs ennemis à fuir ou s’étaient rendus coupables d’actes de sabotage ou d’espionnage vis-à-vis de l’aviation, c’est-à-dire tous les délits commis au préjudice de l’aviation La situation militaire demandait naturellement que nous prenions des mesures sévères. Mais j’aimerais faire remarquer que, naturellement, les peines de mort prévues étaient aussi applicables aux femmes. Quand il s’agissait de femmes, je n’ai pas une seule fois pendant toute la durée de la guerre, confirmé une peine de mort ; quand il s’agissait d’une femme, même dans les cas d’agression ou de participation à une agression contre des membres de ma Luftwaffe, même dans les cas les plus graves, j’ai toujours exercé mon droit de grâce et je n’ai pas une seule fois apposé ma signature sur une décision condamnant une femme.

Dr STAHMER

Quant aux mesures militaires et économiques que vous avez prises dans les territoires occupés, avez-vous pris en considération si ces mesures étaient en accord avec les règlements de La Haye concernant la guerre sur terre ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est avant le conflit polonais que j’ai pour la première fois pris connaissance des dispositions de La Haye concernant la guerre sur terre. J’ai alors regretté de ne pas les avoir connus plus tôt. J’aurais dit au Führer que les dispositions de ces règlements interdisaient toute guerre moderne et que l’évolution actuelle de la technique contraignait tout belligérant à se mettre en contradiction avec ces obligations établies en 1906 ou 1907. Il fallait ou les annuler ou fixer un nouveau règlement établi en tenant compte de l’évolution de la technique.

Mes raisons sont les suivantes : à mon avis, les règlements de La Haye sur la guerre sur terre étaient absolument justifiés en 1907. De 1939 à 1945, il ne s’agissait plus uniquement de guerre sur terre, la guerre aérienne a fait son apparition ; elle n’avait pas été prévue à La Haye et elle a créé une situation absolument nouvelle qui a bouleversé les conditions existant à cette époque. Mais ce n’est pas là le point essentiel ; à mon avis, la guerre moderne, totale, se fait dans trois domaines : la guerre des soldats sur terre, sur mer et dans les airs, la guerre économique qui est devenue partie intégrante de toute stratégie moderne et, troisièmement, la guerre de la propagande qui en est aussi un domaine important. Si, en bonne logique, on accepte ces bases, il en résulte un certain nombre de conséquences qui pourraient être, à la lettre, une violation de la logique, mais qui n’en sont pas en réalité. Si les règlements de la guerre sur terre de la Convention de La Haye prévoient que les armes de l’adversaire sont considérées comme butin de guerre, il convient tout de même de dire qu’aujourd’hui, dans la guerre moderne, les armes de l’adversaire n’ont souvent qu’une valeur de ferraille alors que les matières premières, l’acier, l’aluminium, le cuivre, le plomb, l’étain, semblent et sont beaucoup plus importants comme butin de guerre que les vieilles armes prises à l’adversaire. Mais il ne s’agit pas seulement de matières premières sans considération de savoir à qui elles appartiennent. Les règlements relatifs à la guerre sur terre de la Convention de La Haye stipulent — je ne me les rappelle pas très bien maintenant — que les choses indispensables peuvent être réquisitionnées, mais seulement avec indemnisation. Cela non plus n’est pas un facteur décisif. Ce qui est décisif, c’est que dans cette guerre moderne, dans cette guerre économique qui est la base de toute conduite de la guerre, les produits alimentaires sont absolument nécessaires et il faut aussi considérer comme indispensables, dans le domaine industriel, les matières premières. C’est pourquoi on peut considérer qu’ils sont saisissables En outre, les usines et les machines font également partie du domaine de la guerre économique. Si elles ont pu servir à l’adversaire dans le cadre de l’industrie de l’armement ou de la conduite de la guerre, elles doivent profiter à celui qui, par le moyen d’une décision militaire, est entré ultérieurement en possession de ces moyens de production, qu’il s’agisse de la durée d’un armistice ou de territoires occupés. Et, ici aussi, la question de la main-d’œuvre joue évidemment un rôle beaucoup plus grand dans la guerre économique que lors des guerres qui ont servi d’exemples pour établir les dispositions de la Convention de La Haye sur la conduite des opérations sur terre. En 1907, les guerres les plus récentes, la guerre russo-japonaise et peut-être la guerre des Boers, menées dans des circonstances très différentes l’une de l’autre, n’avaient eu lieu que dix ans plus tôt et pouvaient servir d’exemples.

A cette époque, c’était une guerre entre armées, à laquelle la population civile prit plus ou moins part. Mais elle ne peut se comparer à la guerre totale moderne, qui touche tout le monde, fût-ce un enfant, du fait des bombardements aériens.

A mon avis, la main-d’œuvre — les travailleurs et leur emploi — fait partie intégrante de la guerre économique. Cela ne veut pas dire que le travailleur doit être exploité à tel point qu’il en subisse des dommages corporels, mais seulement que sa capacité de production soit pleinement utilisée.

Un témoin a décrit récemment ce que signifiait dans un pays occupé, encore soumis à la loi de la guerre pendant des années, une, deux, trois, quatre ou cinq jeunes classes qui, sans travail dans leur propre patrie...

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, croyez-vous qu’il soit possible que l’accusé termine son témoignage ce soir ?

Dr STAHMER

Oui. C’est la dernière question.

LE PRÉSIDENT

Alors, continuez je vous prie.

ACCUSÉ GÖRING

La question de la déportation des travailleurs devait donc être considérée du point de vue de la sécurité. Nous étions obligés de nourrir, dans la mesure du possible, l’ensemble du territoire occupé. Nous devions aussi utiliser la main-d’œuvre et, en même temps, envisager le déplacement de ceux surtout qui, n’ayant pas de travail dans leur propre pays, représentaient un danger, du fait de la résistance qui s’organisait contre nous. Si ces différentes classes ont été déportées en Allemagne pour travailler, ce fut principalement pour des raisons de sécurité, afin qu’elles ne restent pas oisives dans leur pays et, partant, soient utilisées pour la lutte contre nous, mais au contraire pour que nous puissions utiliser leurs services à notre avantage dans la guerre économique.

En troisième lieu, je désire le mentionner très brièvement et en conclusion, la guerre de propagande. Un des chefs de l’Acte d’accusation déclare que nous avons réquisitionné les postes de radio. C’est parfaitement exact. Car aucun pays n’a ressenti plus profondément que l’Allemagne l’influence prépondérante de la propagande ennemie, dont les effets se propageaient jusque dans les moindres recoins du pays. Tous les dangers suscités par les mouvements de résistance clandestine, la lutte des partisans, les organisations de sabotage, avec toutes leurs conséquences et, finalement aussi, cette atmosphère de haine et d’amertume ont atteint leur paroxysme, dans cette guerre, par la lutte radiophonique. De même, toutes les atrocités et autres actes de ce genre, qui ne sauraient être tolérés, sont, en dernière analyse — si l’on considère la question objectivement — principalement le résultat de la guerre de propagande.

Par conséquent, le règlement de la Convention de La Haye sur la conduite de la guerre ne peut, à mon avis, servir comme base pour la guerre moderne, car il ne prend pas en considération les principes essentiels de cette guerre : la guerre aérienne, la guerre économique, la guerre de propagande. Et, en terminant, je voudrais reprendre les paroles prononcées par un de nos plus grands ennemis, le plus important, le plus acharné, le Premier Ministre anglais, Winston Churchill : « Dans la lutte à la vie, à la mort, il n’y a, en fin de compte, plus de légalité ».

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 16 mars 1946 a 20 heures.)