QUATRE-VINGT-TROISIÈME JOURNÉE.
Samedi 16 mars 1946.

Audience du matin.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, ]’ai délibérément différé l’examen d’une question : ce sont les efforts de Göring pour le maintien de la paix pendant les mois de juillet et d’août 1939, juste avant le début de la guerre. J’ai retardé l’examen de cette question pour les raisons suivantes : primitivement, j’avais l’intention de ne faire comparaître Göring comme témoin qu’après la déposition du témoin Dahlerus. C’est simplement parce que Dahlerus n’était pas encore là et parce que je désirais éviter une interruption des débats que j’avais alors appelé Göring à comparaître le premier.

Je demande maintenant que l’on veuille bien décider si je pourrai rappeler Göring comme témoin après la déposition de Dahlerus, qui entre temps est arrivé — cela me paraît opportun pour gagner du temps car, à mon avis, un grand nombre de questions deviendront, de ce fait, inutiles — ou si je pourrai le réinterroger sur ce point après le contre-interrogatoire. Si ce n’est pas possible, je traiterai ce sujet immédiatement. Il me semblerait sage toutefois de reporter cette question après le témoignage de Dahlerus.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, peut-être puis-je vous aider. Si le Tribunal pouvait prendre en considération cette demande sans que cela constituât un précédent, je ne formulerais aucune objection parce que, dans le cas de Dahlerus, nous devons comprendre qu’il nous faudra entrer tout au fond de l’affaire à cause des événements qui eurent lieu au cours de la dernière quinzaine. On pourrait gagner du temps si l’on n’entrait qu’une seule fois dans le détail et il serait assez difficile pour le Dr Stahmer d’interroger le témoin Dahlerus sans le faire Bien que j’estime avec le Tribunal qu’un accusé ne doive pas être rappelé, si ce n’est dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, j’estime que dans ce présent cas cela pourrait économiser du temps.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que si le témoin Dahlerus était appelé à comparaître, cela pourrait éviter l’obligation d’interroger l’accusé Göring sur ces événements ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Cela pourrait éviter cette obligation et cela signifierait en tout cas, je crois, que l’accusé Göring n’aurait à répondre qu’à très peu de questions ; si nous agissions ainsi, il serait facile d’éviter que les deux témoins ne fournissent des témoignages cumulatifs.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal désire avant tout gagner du temps ; or, l’avocat de l’accusé, le Dr Stahmer, nous assure que cette façon d’agir raccourcira les débats, le Tribunal est donc prêt à adopter son point de vue et à permettre au témoin Dahlerus de comparaître avant que ces questions ne soient posées à l’accusé Göring. Toutefois, il ne faut pas que ceci soit considéré comme un précédent permettant le rappel d’un autre témoin.

Dr STAHMER

Merci, Messieurs. Je n’ai ainsi pour l’instant plus de questions à poser à l’accusé.

Dr NELTE

Le Ministère Public, dans son exposé, a fréquemment fait mention de l’accusé Keitel à propos d’ordres, d’instructions, etc. On les citait toujours comme les ordres de Keitel, les décrets de Keitel et, en outre, le Ministère Public a basé en grande partie son accusation sur Keitel. Je désire vivement éclaircir, en vous questionnant, la situation du Feldmarschall Keitel. Quels étaient ses pouvoirs et sa responsabilité comme chef de l’OKW ou dans ses autres fonctions officielles ? Connaissez-vous le décret du 4 février 1938 créant le Haut Commandement de la Wehrmacht, l’OKW, et nommant le Feldmarschall Keitel son chef ?

ACCUSÉ GÖRING

Je connais évidemment ce décret car j’ai aidé le Führer à l’établir, il discuta avec moi la refonte complète du 8 février et les conséquences en résultant, c’est-à-dire les changements organiques de son État-Major tout entier.

Dr NELTE

Vous souvenez-vous du schéma qui fut présenté par le Ministère Public au sujet de l’organisation de l’Armée allemande ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je me souviens qu’il était ici sur le mur.

Dr NELTE

Je vais vous le montrer. Pensez-vous que l’OKW est bien à sa place sur ce schéma ?

ACCUSÉ GÖRING

Non ! En haut, on indique « Commandant en chef des Forces armées », puis il y a une ligne et, au-dessous, « Chef du Haut Commandement des Forces armées », De là, marquant une dépendance, les indications conduisent directement aux Commandants en chef de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation, c’est faux.

Le Haut Commandement des Forces aimées, de même que le chef du Haut Commandement des Forces armées ne devraient pas être placés ainsi, mais séparément de chaque côté. C’est-à-dire que les trois Commandants en chef des trois armes étaient immédiatement subordonnés au Führer en tant que Commandant en chef des Forces armées et nullement subordonnés au Commandement suprême des Forces armées ou au chef du Haut Commandement des Forces armées.

A cette époque, en février, le Führer réorganisait tout son État-Major. En tant que chef de l’État (Staatsoberhaupt) il possédait une chancellerie d’État. Il nomma Meissner, qui était alors secrétaire d’État, ministre d’ État et fit de la chancellerie d’État son bureau administratif. Puis, en collaboration avec les services de protocole des Affaires étrangères, il se chargea de toutes les affaires qui regardaient uniquement le chef de l’État. Il décida comme Chancelier du Reich et chef du Gouvernement que cette organisation serait la Chancellerie du Reich et le secrétaire d’État de la Chancellerie du Reich devint le même jour ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich. Il entrait dans ses attributions d’assurer la liaison avec les ministères et la machine administrative entière du Gouvernement du Reich. Les fonctions de ce ministre, comme instrument du Führer, ne consistaient pas à donner des ordres et à faire des décrets qui, eux, émanaient du Führer, mais à en assurer l’exécution. En troisième lieu, le Führer, comme chef du Parti, avait la chancellerie du Parti et s’en déchargeait sur Rudolf Hess (Stellvertreter des Führers), qui occupait une haute situation au sein de cette organisation. Après son départ, Bormann ne prit pas sa suite (Stellvertreter des Parteiführers) mais devint chef de la chancellerie du Parti. Quatrièmement, il y avait la chancellerie privée du Führer (Privatkanzlei des Führers), avec pour chef un Reichsleiter.

Pour les questions militaires, c’est-à-dire le cabinet militaire ou l’État-Major militaire — ou encore comme on l’appela plus tard « la Maison militaire » — fut formé le Haut Commandement de la Wehrmacht (Oberkommando der Wehrmacht, OKW).

Cette réorganisation était nécessaire, car après la démission de Blomberg comme ministre de la Guerre il n’y avait pas eu de nouvelle nomination et le Fühler qui, en sa qualité de chef de l’État, était en quelque sorte Commandant en chef des Forces armées, était désormais décidé à remplir les fonctions attachées à ce poste. C’est pourquoi il avait besoin d’un état-major organisé. Celui-ci devait devenir le Haut Commandement des Forces armées et Keitel en devint le chef.

En Allemagne, le mot chef, dans son acception militaire, a un sens différent de Commandant en chef. La responsabilité et le droit de donner des ordres incombent au commandant ou Commandant en chef. Le délégué dans l’organisation intérieure de l’État-Major pour l’exécution, la répartition et la transmission des ordres et pour assurer les liaisons, est le chef en fonctions de l’état-major correspondant C’est ainsi que l’ex-général Keitel était chef de l’État-Major militaire du Commandant en chef, appelé Haut Commandement des Forces armées (OKW). Tout d’abord, il était responsable de tout le mécanisme de l’État-Major du Commandant en chef en ce qui concernait l’organisation technique et militaire et la direction militaire, c’est-à-dire la partie stratégique dans la mesure où le Führer désirait voir ses ordres stratégiques exécutés à partir d’un point central. En conséquence, on avait établi au Haut Commandement un service purement stratégique, l’État-Major d’opérations de l’Armée (Wehrmachtsführungsstab).

Dr NELTE

Si je vous comprends bien, l’OKW se traduit par Haut Commandement des Forces armées, mais manifestement il y a plusieurs sens. D’abord État-Major du Haut Commandement des Forces armées lorsque, par exemple, Keitel était appelé chef de l’OKW, puis, en d’autres cas, l’OKW bureau du Commandant en chef des Forces armées, c’est-à-dire de Hitler. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact en gros, mais ce n’est pas si net. Le Haut Commandement des Forces armées est l’État-Major du Commandement suprême des Forces armées de la même façon que moi, Commandant en chef de l’Aviation (Oberbefehlshaber der Luftwaffe), j’avais, d’un côté mon État-Major général (Generalstab der Luftwaffe) et, de l’autre, l’ensemble de mes aides de camp — ceux-ci formant l’État-Major avec lequel je travaillais. C’est ainsi que le Haut Commandement constituait pour le Führer, Commandant suprême, une organisation similaire. De même, le chef de mon État-Major général ne pouvait pas donner d’ordres directs aux commandants d’aviation commandant les généraux d’escadres ou divisions aériennes. Les ordres ne pouvaient être donnés que « d’ordre du Commandant en chef » signés « I.A. », c’est-à-dire « Im Auftrag » (par ordre).

Donc, le chef d’un Etat-major, même le chef du Haut Commandement des Forces armées, n’avait pas le droit de commander si ce n’est aux membres de son propre bureau et aux quelques organisations administratives en dépendant. Ainsi un ordre, un commandement, une instruction du Haut Commandement des Forces armées à moi, Commandant en chef de la Luftwaffe, ne pouvait m’atteindre que lorsque cet ordre ou cette instruction commençait par les mots : « Le Führer a ordonné... » ou « Par ordre du Führer je vous informe que... ».

Puis-je m’exprimer plus catégoriquement encore ? J’ai dit un jour au général Keitel : « Je ne suis tenu que par les ordres du Führer. Seul l’original des ordres, signé par Adolf Hitler, m’est personnellement présenté. Les instructions, directives ou ordres qui commencent ainsi : « Par ordre du Führer » ou « Par délégation du Führer », vont à mon chef d’État-Major qui m’en fait un rapport oral signalant les points les plus importants. Qu’alors — pour le dire sans ambages — ils soient signés : « Par ordre du Führer, Keitel, général, » ou « Meier, caporal d’État-Major », peu m’importe. Mais s’ils constituent un ordre direct émanant de vous, que vous désirez me donner, alors épargnez votre temps et votre papier car ces ordres sont dépourvus de tout sens pour moi. Je suis Commandant en chef de la Luftwaffe et directement et exclusivement subordonné au Führer. »

Dr NELTE

Savez-vous si Hitler, d’une part, et les Commandants en chef des différentes armes, d’autre part, observaient l’attitude que vous venez de décrire ou si dans d’autres secteurs de l’Armée la manière de faire pouvait être différente ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne peux dire si mes deux collègues furent aussi nets que moi-même vis-à-vis du chef du Haut Commandement, Toutefois, il est incontestable que les deux autres Commandants en chef n’admettaient aucune ingérence dans leurs droits et prérogatives.

Dr NELTE

En était-il de même pour Himmler en tant que chef des SS ?

ACCUSÉ GÖRING

Les SS n’ont jamais dépendu du Haut Commandement des Forces armées (OKW). Dès le début de la guerre, on trouvait à l’intérieur des Forces armées les Waffen SS séparées en divisions et en corps. C’étaient uniquement des formations de combat- Du point de vue tactique et stratégique, elles étaient soumises aux unités de l’Armée à qui elles avaient été affectées. Pour les questions de personnel et d’équipement, elles dépendaient de Himmler qui, lui, n’avait rien à voir avec l’OKW. Là aussi, il pouvait arriver que le chef du Haut Commandement des Forces armées, pour des questions d’équipement et d’organisation, transmît des ordres ou des décrets du Führer

A ce propos, je voudrais corriger une erreur commise pendant l’interrogatoire du Feldmarschall Kesselring par M. Jackson. Kessel-ring parlait des Waffen SS comme de « Garde Truppe » et on lui demanda : « Qui gardaient-ils ? » Le mot « Garde » n’a pas pour nous le sens avec lequel il a été traduit signifiant gardes du corps, mais le sens de « Troupe d’élite » comme l’entendait Kesselring. De même qu’en langue militaire russe il y a des « corps de gardes » ainsi que dans la vieille Armée impériale et plus tard dans d’autres armées. 11 ne fallait pas considérer les Waffen SS pendant les premières années de la guerre comme une unité de gardes mais comme une « unité d’élite » en ce qui concerne le personnel, etc.

Dr NELTE

Je voudrais que vous me parliez des relations officielles d’ Adolf Hitler et du Feldmarschall Keitel, c’est-à-dire que vous me disiez quelles relations officielles Adolf Hitler avait l’intention d’établir en créant le bureau de l’OKW. En somme, je voudrais savoir ce que devait être Keitel et, en conséquence, quelles fonctions officielles il remplit après 1938.

ACCUSÉ GÖRING

Je crois que c’est ce que je viens d’expliquer.

Dr NELTE

Je voulais vous demander, par exemple, s’il était conseiller de Hitler ?

ACCUSÉ GÖRING

Conseiller est une expression discutable. Je peux laisser quelqu’un m’avertir si oui ou non il pense qu’il pleuvra dans les trois heures qui suivront, lorsque je suis à cheval ; mais je peux avoir également quelqu’un qui m’avertisse dans des circonstances importantes et même décisives. Cela dépend du tempérament et du comportement de la personne qui désire être conseillée et du conseiller lui-même.

Avec la personnalité dynamique du Führer, il n’était pas coutume de donner des avis non sollicités et il fallait être en excellents termes avec lui, c’est-à-dire qu’il est hors de doute qu’il fallait avoir une grande influence — et je vous prie de me croire — comme celle que j’ai eue pendant des années et des années, pour se permettre de venir à lui sans y être convié, que ce soit avec des conseils ou des suggestions ou pour lui apporter une contradiction active. D’un autre côté, si l’on n’avait pas cette intimité avec le Führer, suggestions et avis étaient rapidement écartés, soit qu’il ait pris ses décisions, soit qu’il ne veuille pas permettre à celui qui donne son avis de prendre une position influente. Je veux indiquer ici que le chef du Haut Commandement de la Wehrmacht n’était certainement pas pris comme conseiller dans les questions importantes et décisives A l’ordinaire, dans les affaires courantes, Keitel était conseiller dans la mesure où il pouvait suggérer au Führer que ceci ou cela devait être communiqué aux commandants ou que, eu égard aux mouvements de troupes, ceci ou cela devait être signalé.

En fin de compte, l’avis du chef d’un État-Major général est toujours plus important que l’avis du chef d’une organisation ou d’un bureau du Gouvernement. Cela se passait ainsi : pour tout ce qui touchait aux décisions d’importance stratégique et tactique, la responsabilité principale incombait au conseiller de l’État-Major général, aux Commandants en chef, au chef d’État-Major et au Führer. En matière de stratégie ou de tactique pures, les décisions appartenaient au chef d’État-Major d’opérations.

L’organisation ou les questions courantes revenaient au chef du Haut Commandement. Étant donné que le Führer lui-même était, comme je l’ai déjà dit, à la tête de plusieurs hauts commandements, il lui fallait limiter l’octroi de sa signature. Il se passait souvent des semaines avant que l’on pût obtenir du Führer la signature nécessaire, surtout pendant la guerre où il était débordé de travail au point d’autoriser les autorités gouvernementales des différents services à signer en son nom « Im Auftrag ». Ceci explique comment il se faisait que presque aucun décret ou ordre du Führer marqué « Im Auftrag » ou « Par ordre du Führer », ne sortait sans porter la signature de Keitel qui était un travailleur prodigieux.

Dr NELTE

Le Feldmarschall Keitel n’assumait-il pas une tâche bien ingrate en ce sens qu’il devait fréquemment avoir à s’entremettre entre les nombreux bureaux qui dépendaient du chef suprême, c’est-à-dire de Hitler, pour soumettre leurs griefs et pour faire tous ses efforts des deux côtés, aidant l’un, réprimant l’autre ?

ACCUSÉ GÖRING

Encore une fois, cela dépendait beaucoup des personnalités en cause. Il va sans dire que si un conflit survenait entre le Führer et moi-même ou d’autres Commandants en chef résolus, le chef du Haut Commandement de la Wehrmacht se trouvait broyé entre les deux. Il était pris entre les meules de fortes personnalités. L’un prétendait qu’en parlant au Führer il n’avait pas été assez pressant ; le Führer, quand Keitel lui faisait des représentations, faisait la sourde oreille et disait qu’il traiterait l’affaire lui-même.

La tâche était certes ingrate et difficile. Je me souviens qu’une fois Keitel s’approcha et me demanda si je ne pouvais lui faire avoir un commandement au front ; qu’il se contenterait, quoique Feldmarschall, d’une division pour sortir de là, car il y attrapait plus de coups de pied que d’argent. Que la tâche fût ingrate ou estimée, peu importait, lui répondis-je, il lui fallait remplir son devoir là où le Fuhrer l’avait placé.

Dr NELTE

Saviez-vous qu’à cette occasion on reprocha au Feldmarschall Keitel de ne pas avoir su s’imposer au Führer ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce reproche lui fut fait par force Commandants en chefs d’armées et de groupes d’armées. Il leur était facile de lui faire ce reproche puisqu’ils étaient hors de portée d’Adolf Hitler et n’avaient pas à lui soumettre de propositions. Je sais que, en particulier après l’effondrement, nombre de généraux déclarèrent que Keitel avait été le type même du consentant. Je puis dire seulement que moi, personnellement, je serais heureux de voir ceux qui aujourd’hui se considèrent comme inébranlables.

Dr NELTE

Y eut-il jamais, du côté de Hitler une possibilité quelconque pour le Feldmarschall Keitel de démissionner ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Netle, le Tribunal ne pense pas... Du moins, nous aimerions vous demander quel rapport peuvent avoir les potins de l’État-Major ou n’importe quel blâme qu’on peut lui avoir adressé, avec les charges relevées contre lui ? Qu’est-ce que cela a à voir avec l’accusation contre Keitel ?

Dr NELTE

Si l’on veut rendre justice à l’accusé Keitel, c’est à dire si l’on désire établir le rôle qu’il a joué dans cette terrible tragédie, ce n’est possible que si l’on établit clairement ses fonctions et ses responsabilités et si l’on prend en considération les conditions tactiques...

LE PRÉSIDENT

Nous savons tout cela et nous avons passé trois quarts d’heure à écouter l’accusé Göring nous décrire sa situation et les fonctions de l’accusé Keitel. Ce que je vous demande, c’est en quoi les critiques ou commérages de l’Etat-Major général regardent la cause de Keitel ? Nous avons passé trois quarts d’heure à écouter ce que l’accusé Göring a dit sur ses fonctions et ses relations avec le Führer et rien d’autre.

Dr NELTE

J’ai commencé à parler de l’organisation de l’OKW. Je désirais montrer la relation du commandement entre l’OKW et le chef de l’OKW, d’une part, et les différentes parties de la Wehrmacht, de l’autre. Puis, j’ai essayé d’éclaircir les responsabilités qu’il avait à prendre comme chef de l’OKW, selon les vœux de Hitler, et la manière dont il les exerçait.

Les commérages, Monsieur le Président, ne prirent que quelques minutes de l’interrogatoire du témoin.

LE PRÉSIDENT

Je vous ai interrompu parce que vous posiez une question à l’accusé sur le point de savoir si quelqu’un se serait vu reprocher ceci ou cela par des membres de l’État-Major général et cela me semblait absolument non pertinent.

Dr NELTE

La dernière question que j’ai posée était : y avait-il une possibilité quelconque pour le Feldmarschall Keitel d’obtenir sa démission ? Dois-je comprendre, Monsieur le Président, que cette question est pertinente ?

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez certainement poser cette question pour savoir s’il avait demandé à être relevé de son commandement. En fait, Docteur Nelte, cette question fut posée avant celle au sujet de laquelle je vous ai interrompu. J’ai devant moi la réponse où Keitel demandait un commandement, celui-ci ne serait-il que d’une division.

Dr NELTE

C’était la question qu’il posa au Reichsmarschall Göring. Il vint à lui, Göring, et lui posa cette question. Maintenant je désire demander s’il existait une possibilité pour Keitel d’obtenir sa démission de Hitler ?

ACCUSÉ GÖRING

La question de savoir si un général pouvait demander et obtenir du Führer sa démission a joué un rôle important dans ces débats. En réalité, il faut distinguer deux périodes, la période de paix et celle de guerre. En temps de paix, un général pouvait demander à se retirer. A moins qu’il ne fût très connu du Führer et à une place en vue, nettement importante, une telle requête était, sans aucun doute, accordée. S’il avait une situation particulièrement importante et s’il était bien connu du Führer, alors celui-ci, usant de tout son pouvoir de persuasion et avec tous les moyens à sa disposition, en appelait à lui pour le faire rester à son poste. Si, toutefois, un général demandait au Führer qu’il accordât sa démission en lui donnant comme raison que, en principe, il était d’une opinion politique différente, que ce fût en politique intérieure ou en politique étrangère, alors il n’était pas douteux qu’il était mis à la retraite tôt ou tard, mais en même temps, il avait attiré sur sa personne une extraordinaire suspicion de la part du Führer.

Pendant la guerre il en allait autrement. Le général, comme n’importe quel soldat, devait faire son devoir, obéir aux ordres. Le Führer avait déclaré qu’il ne voulait d’offres de démission ni des généraux ni d’aucun autre important personnage de l’État ; il déciderait lui-même ce qu’il fallait faire. Lui-même ne pouvait pas se retirer si les choses allaient mal, il aurait considéré cet acte comme une désertion. Si, en dépit de cela, un général soumettait une requête en vue de sa démission et que celle-ci lui fût refusée, il ne pouvait insister. Si néanmoins il démissionnait, il enfreignait la loi et à partir de ce moment était coupable de désertion. Le Feldmarschall Keitel aurait pu demander au Führer : « Permettez-moi de solliciter un autre commandement ». Mais le Führer avait une profonde aversion pour tout changement dans son cercle immédiat. Pendant la guerre — je le tiens de sa bouche — il n’aurait pas autorisé un changement, surtout lorsqu’il s’agissait du Feldmarschall Keitel avec qui il avait l’habitude de travailler, à moins que Keitel ne fût tombé malade et ne fût devenu ainsi incapable de poursuivre sa tâche.

Dr NELTE

Les considérations dont vous venez de faire état furent-elles la cause déterminante du départ du Feldmarschall von Brauchitsch ?

ACCUSÉ GÖRING

Je connais à merveille le cas du Feldmarschall von Brauchitsch, car le Führer en avait discuté longuement avec moi à l’avance. Dès l’abord, il ne savait pas si lui ou quelqu’un d’autre prendrait le commandement de l’Armée et nous avons discuté à ce sujet. A ce moment, le Führer n’était pas satisfait du Commandant en chef sur le front de l’Est. Le Commandant en chef était Brauchitsch ; le chef de l’État-Major général, Halder. Je suggérai au Führer qu’il change le chef de l’État-Major général de l’Armée, parce que je pensais qu’il était, de loin, le moins capable. Le Führer voulait le faire. Puis, le lendemain matin, il avait pris sa décision et me dit que lui, le Führer, assumerait lui-même ce commandement pour remettre de l’ordre sur le front de l’Est et que par conséquent il lui fallait avant tout faire partir le Commandant en chef, bien qu’il fût d’accord avec moi pour convenir que c’était le chef de l’État-Major qui était le plus faible des deux.

Alors, je suggérai qu’il les révoquât l’un et l’autre Le Führer fit appeler Brauchitsch, parla avec lui pendant deux heures et lui demanda clairement, sans méprise possible, de démissionner. Dans ce cas, le Führer avait pris la décision nette de révoquer le Commandant en chef de l’Armée afin d’assumer personnellement le commandement. A partir de ce moment, le Führer ne fut pas seulement le Commandant suprême de la Wehrmacht, mais encore, de facto, Commandant en chef de l’Armée de terre.

Dr NELTE

Le Ministère Public a avancé et administré la preuve que le Feldmarschall Keitel était membre du Conseil de défense du Reich, Vous en avez parié hier. Je peux maintenant déclarer que vous avez dit que le Feldmarschall Keitel était membre du Conseil de défense du Reich, d’après la loi sur la défense du Reich, mais que ce conseil n’a jamais fonctionné. Vous devez le savoir puisque vous étiez, toujours d’après cette loi, président du Conseil de défense du Reich. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai déjà dit clairement que je n’ai jamais suivi une réunion, ni convoqué une réunion.

LE PRÉSIDENT

Vous savez, n’est-ce pas, que le Tribunal est prié de mener ce Procès rapidement, et pour cette raison nous ne saurions entendre de dépositions cumulatives. L’accusé nous a déjà donné une réponse à la question que vous venez de lui poser. Le Tribunal se refuse à écouter à nouveau la même réponse.

Dr NELTE

Je n’ai pas vu le texte du procès-verbal de l’audience d’hier et c’est d’une importance capitale pour l’accusé Keitel...

LE PRÉSIDENT

Vous étiez à l’audience et vous pouvez me croire quand je vous dis que la réponse a été donnée.

Dr NELTE

Les questions et les réponses ne sont pas toujours aussi claires qu’elles le paraissent lorsqu’on lit le procès-verbal. (Se tournant vers le témoin.) Pouvez-vous me dire si le Feldmarschall Keitel n’a jamais été ministre ?

ACCUSÉ GÖRING

Il n’était pas ministre. Il avait seulement rang de ministre.

Dr NELTE

Avait-il le droit de participer au Conseil des ministres ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, en vertu de sa situation, mais il pouvait être invité par le Führer à assister aux réunions à cause de questions intéressant ses fonctions.

Dr NELTE

Keitel était membre du Conseil des ministres pour la défense du Reich. Cela faisait-il de lui un ministre ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, cela ne changeait rien. Il avait seulement rang de ministre. Le Feldmarschall Keitel ne pouvait assister aux conseils des ministres du Reich parce qu’il était devenu chef du Haut Commandement en 1938 et qu’à partir de cette date il n’y eut plus de conseils des ministres.

Dr NELTE

Le Ministère Public a également affirmé qu’il y avait un triumvirat composé du plénipotentiaire général à l’Économie, du plénipotentiaire général à l’Administration et du chef de l’OKW. Pouvez-vous nous en parier ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne sais rien là-dessus.

Dr NELTE

Le Ministère Public a accusé le Feldmarschall Keitel d’avoir été un général politicien. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?

ACCUSÉ GÖRING

Les généraux du Troisième Reich n’avaient en aucune façon le droit d’avoir une activité politique quelconque. La seule exception, en l’occurrence, était moi-même, du fait de la nature particulière de ma position, puisque j’étais en même temps un soldat, un général et en politique un homme d’État. Les autres généraux, ainsi que le Führer l’a toujours clairement fait remarquer, n’avaient rien à voir avec la politique. Le seul général qui se soit toujours beaucoup intéressé à la politique était feu le Feldmarschall von Reichenau. C’est la raison pour laquelle le Führer, en dépit de sa sympathie personnelle à son endroit et de l’attitude nettement favorable de Reichenau envers le parti nazi, refusa de le nommer Commandant en chef de l’Armée après la démission de Fritsch. Le Führer ne voulait pas de généraux politiciens.

Dr NELTE

Mais on ne peut nier que dans les décrets en question on faisait souvent connaître les desseins politiques et que ces décrets et ces ordres étaient signés par Keitel.

ACCUSÉ GÖRING

Ces décrets étaient principalement des décrets du Führer parce qu’ils contenaient des directives générales. Le préambule d’un décret important était communément un avant-propos politique qui expliquait pourquoi le Führer avait pris telle ou telle mesure militaire ; mais cela ne signifiait pas qu’un général fît de la politique

Dr NELTE

Ministère Public a fréquemment indiqué que l’accusé Keitel assistait aux réceptions officielles, par exemple à celle de Hacha et à d’autres réceptions de ministres. De là, il a voulu conclure que c’était un général politicien.

ACCUSÉ GÖRING

Quand le Führer, en tant que chef de l’État recevait des missions étrangères, des chefs d’État ou chefs de Gouvernement, il était d’usage que les hauts personnages fussent présents ; le chef de la chancellerie d’État souvent le chef de la Chancellerie du Reich, suivant les personnalités attendues, et le chef du Haut Commandement parce que, au cours des conférences, pouvaient intervenir des questions dans lesquelles le Führer aurait eu besoin d’informations militaires quelconques. Une certaine représentation était aussi nécessaire. Lorsque j’avais des visiteurs importants, mon État-Major militaire, ou un représentant de mon État-Major était avec moi.

Dr NELTE

Puis-je dire alors que le Feldmarschall Keitel était présent mais ne participait pas aux conférences ?

ACCUSÉ GÖRING

Qu’il y participât ou non, en tout cas cela n’avait aucune importance.

Dr NELTE

Le Ministère Public a déclaré qu’à l’occasion de la visite du président Hacha, l’accusé Keitel avait exercé sur lui une pression en le menaçant de bombarder Prague.

ACCUSÉ GÖRING

J’ai dit hier que c’est moi qui avais fait cette déclaration.

Dr NELTE

C’est précisément ce que je voulais établir. Passons maintenant aux aviateurs terroristes. Vous souvenez-vous que vers le milieu de juin 1944, quand des conversations étaient poursuivies à ce sujet dans les divers services, vous attendiez Hitler au Platterhof avec le Feldmarschall Keitel et y aviez discuté cette question ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne sais si c’était au Platterhof En tout cas, j’en ai parlé maintes fois avec le Feldmarschall.

Dr NELTE

Il est important en cette conjoncture d’établir si l’accusé Keitel vous pressentit sur cette question et vous déclara qu’il était opposé à l’application de la loi de lynch qui était recommandée par le Parti.

ACCUSÉ GÖRING

Il me l’a dit à plusieurs reprises. Nous étions d’accord à ce sujet.

Dr NELTE

L’accusé Keitel vous a-t-il aussi déclaré, à ce moment, qu’il était partisan d’un avertissement officiel ou d’une note aux Gouvernements alliés — à propos du cas bien connu de Dieppe — plutôt que d’une procédure devant les tribunaux militaires, alors qu’il était impossible d’apporter des preuves légales ?

ACCUSÉ GÖRING

Nous avons eu de fréquentes discussions à ce sujet. Je soutenais que dans le cas de véritables aviateurs terroristes — c’est-à-dire qui violaient les ordres de leurs propres supérieurs — il devait y avoir jugement Keitel pensait qu’il serait difficile de faire la distinction et de mener à bien cette procédure, qu’il serait plus pratique d’adresser une note aux Alliés les sommant d’arrêter ces raids de terreur sous peine de mesures de représailles. Ce point de vue était également soutenu de différents côtés.

Dr NELTE

Monsieur le Président, quand j’ai présenté mes demandes de documents, j’ai proposé, entre autres, une description de la personnalité du Feldmarschall Keitel, faite par Göring. A l’audience du 25 février 1946, un accord fut conclu avec le Ministère Public selon lequel cette description qui est en forme d’affidavit serait soumise en présence du témoin Göring. Puis-je vous lire ce document qui vous a déjà été présenté, ou dois-je m’y reporter et simplement le déposer ? Je pose la question parce qu’une partie de la description que contient l’affidavit a déjà été faite par le témoin au cours de son interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

De quel document parlez-vous ? D’où vient-il ? Est-ce un document rédigé par l’accusé Göring ?

Dr NELTE

C’est un affidavit signé Göring, intitulé « Portrait du Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel ». Il est mentionné dans mes requêtes comme un affidavit. La plupart des faits qu’il contient ont déjà été relatés par le Reichsmarschall Göring.

LE PRÉSIDENT

L’accusé Göring témoigne sous la foi du serment. Donc il n’y a pas de raison de présenter ici un affidavit. Si vous avez des questions à lui poser auxquelles il n’aurait pas encore répondu sur l’accusé Keitel, vous pouvez le faire maintenant. Il ne convient pas de présenter une déclaration écrite sous serment quand vous avez un accusé qui dépose sous la foi du serment.

Dr NELTE

A l’audience du 25 février 1946 il fut décidé, dans la pensée d’abréger les débats, qu’on lirait l’affidavit et que le témoin n’aurait qu’à approuver. J’ai ici un exemplaire du procès-verbal de cette audience si le Tribunal ne s’en souvient pas.

M. JUSTICE JACKSON

Plaise au Tribunal. Je ne m’oppose pas à la lecture de cet affidavit parce qu’il est écrit car je pense qu’il y a des cas où la déposition écrite d’un témoin peut être plus expéditive que son interrogatoire. Je m’y oppose parce que cet affidavit ne nous avance en rien. Il commence ainsi : « Keitel donne l’impression d’un militaire, d’un officier de la vieille école » C’est un témoignage qui ne nous apprend rien. J’admets cette déclaration ; il m’a toujours produit cette impression. La philosophie est hautement dominée par les idées et les concepts militaires. Que Keitel se décrive lui-même, s’il y a lieu. Je crois qu’ un examen de cet affidavit ne nous montrera que des faits déjà dévoilés ou des faits sur lesquels un autre témoin n’était pas qualifié pour être interrogé Je m’oppose à sa production parce que j’estime qu’il n’a aucune valeur probatoire.

LE PRÉSIDENT

Vous savez, Docteur Nelte, que toute décision rendue par le Tribunal au sujet des documents est expressément faite à titre provisoire et à la condition que la pertinence du document soit reconnue au moment de la production de celui-ci. Si le document avait été déposé antérieurement devant le Tribunal, celui-ci aurait pu l’examiner mais il ne l’a pas vu. D’après les dires de M. Justice Jackson, le document semble ne pas avoir de valeur probatoire et puisque l’accusé dépose actuellement sous la foi du serment, le Tribunal n’examinera pas ce document

Dr NELTE

Monsieur le Président, si le Tribunal avait examiné ce document et l’avait trouvé non pertinent, j’aurais accepté sa décision Mais il me semble que le Tribunal...

LE PRÉSIDENT

Nous ne vous empêchons pas de poser au témoin toutes les questions utiles, mais nous ne voulons pas lire ce document qui émane de la personne qui témoigne.

Dr NELTE

Je passerai cet affidavit.

Dr THOMA

Rosenberg était depuis 1940 chef du bureau des Affaires étrangères de la NSDAP. Avait-il, de ce fait ou autrement, une influence personnelle sur les décisions de Hitler en matière de politique étrangère ?

ACCUSÉ GÖRING

Je crois qu’après la prise du pouvoir, le bureau central du Parti pour la politique étrangère ne fut jamais plus consulté par le Führer sur les questions de politique étrangère. Il fut établi de bonne heure que certaines questions de politique étrangère qui s’élevaient au cœur même du Parti devaient être réglées par le bureau central. Je ne connaissais pas le détail des méthodes employées. Autant que je sache, Rosenberg ne fut jamais consulté sur des questions de politique étrangère après la prise du pouvoir.

Dr THOMA

N’avez-vous aucune idée d’une influence possible de Rosenberg sur Hitler au sujet de la question norvégienne ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne sais rien là-dessus. J’ai dit hier ce que je savais au sujet de Quisling et de Rosenberg.

Dr THOMA

Avez-vous remarqué que Rosenberg, en sa qualité de Ministerpräsident, ait encouragé la persécution policière ou politique de l’Église ?

ACCUSÉ GÖRING

Il ne pouvait encourager la persécution de l’Église par la Police car il n’avait rien à voir avec la Police et je ne lui aurais permis aucune intervention.

Dr THOMA

Rosenberg vous poussa-t-il à évacuer les Juifs de Lublin entre autres ?

ACCUSÉ GÖRING

Rosenberg ne m’a jamais parlé de cela.

Dr THOMA

Hitler vous a-t-il exprimé sa satisfaction que Rosenberg n’ait pas soulevé d’objection au Pacte de non-agression avec l’Union Soviétique, signé à cette époque ?

ACCUSÉ GÖRING

On ne peut dire que Hitler ait exprimé sa satisfaction. Si Rosenberg avait soulevé la moindre objection, Hitler aurait sans aucun doute exprimé son mécontentement de façon évidente. Il déclara que Rosenberg avait, suivant toute apparence, compris cet acte politique.

Dr THOMA

Rosenberg, comme ministre des territoires occupés de l’Est, s’occupait-il des attributions de main-d’œuvre ? Était-il en mesure d’empêcher le travail forcé des populations de l’Est ?

ACCUSÉ GÖRING

Il aurait pu exister entre les bureaux de Rosenberg et ceux de Sauckel une certaine collaboration se rapportant au programme de la main-d’œuvre, mais cette collaboration n’aurait pu s’exercer de façon à ce que Rosenberg ait empêché de recruter des ouvriers dans l’Est au mépris des ordres du Führer.

Dr THOMA

Vous saviez que Rosenberg, à plusieurs reprises, présenta au Führer des observations en faveur d’une amélioration culturelle des peuples européens de l’Est, en particulier des Ukrainiens.

ACCUSÉ GÖRING

J’étais là un jour où Rosenberg parlait des différents traitements des territoires de l’Est, de leurs populations et des soins apportés à leur culture. Autant que je puisse m’en souvenir, il me semble que la conversation avait trait à l’établissement ou au maintien d’une université à Kiev. Le Führer acquiesça en sa présence, je crois, mais quand il fut parti, le Führer me dit :

« Cet homme aussi a ses préoccupations à lui. Nous avons mieux à faire qu’à nous occuper d’universités à Kiev ». Cela je m’en souviens bien.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il préférable de suspendre l’audience pendant quelques minutes.

(L’audience est suspendue)
LE PRÉSIDENT

Un instant, Docteur Sauter. Je voudrais d’abord parler au Dr Nelte.

Docteur Nelte, le Tribunal a déjà examiné votre requête concernant le document intitulé « Portrait du Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel » et s’est référé à la page 4987 du compte rendu sténographique (Tome VIII, page 260). C’est probablement à ce passage que vous avez pensé. Cependant, vous ne semblez pas avoir remarqué que ce même document, « Portrait de Keitel », a été rejeté dans le paragraphe 2 de la décision du Tribunal. Ce paragraphe contient la décision prise après débat à l’audience et reproduite à la page du compte rendu à laquelle je me suis référé. Le Tribunal estime que vous ne devez pas faire état d’un document qui a déjà été rejeté.

Dr NELTE

Je n’ai pas actuellement ce compte rendu dans son entier. Je sais cependant que cet affidavit a été refusé sous le prétexte que le témoin doit être entendu oralement. Sir David Maxwell-Fyfe, parlant de l’adjonction de cette pièce à mon livre de documents, a dit ce qui suit : « Le Tribunal se rappellera peut-être que dans le cas du témoin Blaha, mon honoré collègue M. Dodd a déclaré au témoin que cet affidavit faisait partie du document. »

LE PRÉSIDENT

Je sais, Docteur Nelte, et j’ai déjà attiré votre attention sur la page du compte rendu à laquelle je me suis reporté. Mais les avocats doivent savoir que le Tribunal ne prend pas en audience publique de décision sur de telles requêtes concernant des témoins et des documents et qu’il a déjà clairement fait entendre qu’il examinerait la question plus tard ; on a remis, dans chaque cas, une décision écrite à l’avocat intéressé indiquant si les témoins, le questionnaire ou les documents avaient été admis ou refusés.

Ce portrait de Keitel tombe sous le coup du paragraphe 2 de cette décision. Le Tribunal estime que ces documents n’auraient donc pas dû être présentés à nouveau. C’est tout ce que je voulais dire.

Dr NELTE

J’essayais d’exposer pourquoi j’estimais que, malgré le rejet de cet affidavit par le Tribunal, le contenu de ce document pouvait être utilisé dans l’interrogatoire du témoin.

Dr FRITZ SAUTER (avocat des accusés Funk et von Schirach)

Je voudrais poser les questions suivantes Tout d’abord concernant le cas de l’accusé Funk. (S’adressant au témoin.) Témoin, l’accusé Funk a adhéré au Parti au cours de l’été 1931. Comme vous le savez, il était autrefois rédacteur en chef de la Berliner Börsenzeitung. Savez-vous qu’il se flattait d’être particulièrement estimé dans les milieux de la presse et de l’économie allemande ?

ACCUSÉ GÖRING

Je sais que Funk et ses articles sur des sujets économiques qui paraissaient dans la Borsemeitung étaient très estimés et qu’il avait beaucoup de relations dans les milieux économiques.

Dr SAUTER

Comme nous l’avons entendu, témoin, on a reproché à l’accusé Funk d’avoir contribué dans une grande mesure, par son activité journalistique, à l’accession du Parti au pouvoir et cela m’intéresserait d’avoir votre opinion sur le point suivant : avant l’arrivée du Parti au pouvoir, Funk a-t-il joué un rôle quelconque dans ce Parti ou bien est-il exact qu’après avoir abandonné ses fonctions de rédacteur en chef à la Berliner Börsenzeitung, il ait mis sur pied une sorte de service d’informations sur des sujets économiques (non dans le cadre du Parti, mais à l’adresse de tous les milieux économiques, y compris ceux de la Volkspartei) ?

ACCUSÉ GÖRING

S’il m’est permis de poser la question d’une façon plus précise, je voudrais dire quelques mots à ce sujet.

Je serai bref. Avant la prise du pouvoir, je ne connaissais Funk que comme rédacteur à la Börsenzeitung dont j’ai parlé il y a quelques instants et j’ai plusieurs fois entendu prononcer ce nom au cours de conversations avec certains économistes. C’est seulement après la prise du pouvoir que j’ai appris que Funk était déjà membre du Parti ; cependant, son activité au sein de celui-ci n’a pas dû être bien importante car je l’aurais appris d’une façon ou d’une autre. Quant à son service d’information, je ne sais pas du tout s’il sympathisait avec le parti démocrate ou bien avec la Volkspartei.

Dr SAUTER

Après la prise du pouvoir, Funk est devenu chef des services de presse du Gouvernement du Reich. Le saviez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

Dr SAUTER

Ensuite, il devint secrétaire d’État au ministère de la Propagande. Le savez-vous également ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

Dr SAUTER

En temps que chef des services de presse du Gouvernement du Reich, Funk avait-il une influence quelconque sur les décisions du Cabinet du Reich ?

ACCUSÉ GÖRING

Je connais parfaitement les circonstances dans lesquelles Funk devint chef des services de presse du Gouvernement du Reich Après l’intronisation des membres du Cabinet, il fallut nommer également le chef des services de presse. Nous étions réunis dans une chambre de l’hôtel Kaiserhof. Le Führer ne voulait pas choisir quelqu’un appartenant aux organisations de presse du Parti, mais quelqu’un qui avait derrière lui une longue activité de journaliste sans être un membre influent du Parti et sans avoir trop de relations avec lui. Je ne sais plus bien qui a prononcé alors le nom de Funk, mais je me souviens parfaitement que le Führer répondit « d’accord » Funk fut convoqué et j’eus l’impression que ce fut pour lui une grosse surprise Le chef de la presse du Reich, lorsque Hindenburg était encore président...

(Interruption technique.)
LE PRÉSIDENT

Vous pouvez continuer.

Dr SAUTER

Je ferais peut-être bien de répéter ma question car elle n’a pas été comprise par tout le monde La voici : l’accusé Funk, lorsqu’il était chef du service de presse du Gouvernement du Reich, c’est-à-dire après la prise du pouvoir, avait-il une influence quelconque sur les décisions du cabinet ?

ACCUSÉ GÖRING

Le chef des services de presse n’avait aucune influence sur les décisions du Cabinet du Reich car son travail était tout autre.

Dr SAUTER

Funk devint alors secrétaire d’État du ministère de la Propagande. Voulez-vous me dire si au cours de cette activité il est intervenu d’une façon ou d’une autre auprès de Goebbels dans le domaine de la propagande ou de la presse. D’autre part, à votre connaissance, quel était à cette époque le rôle de Funk au ministère ?

ACCUSÉ GÖRING

Il était secrétaire d’État. En effet, le ministère de la Propagande, en temps qu’organisme principal, avait pris en charge les services de presse et, s’occupait de tout ce qui en dépendait. C’est Goebbels, en temps que chef de la propagande du Parti, qui, à l’aide de ses services, s’occupait lui-même de la propagande proprement dite. Le rôle de Funk consistait avant tout à mettre sur pied les services des ministères d’un point de vue purement administratif et en particulier à s’occuper des questions des messageries de presse, de la publicité et d’autres choses semblables. C’était là sa spécialité.

Dr SAUTER

Lorsqu’on novembre 1937 Schacht quitta ses fonctions, c’est Funk qui le remplaça comme ministre de l’Économie. Cette nomination intervint en novembre 1937, mais c’est seulement en février 1938 qu’il entra réellement en fonction. Pouvez-vous nous dire les raisons de ce retard et qui a assuré l’intérim au ministère de l’Économie ?

ACCUSÉ GÖRING

Je m’occupais à cette époque du Plan de quatre ans et c’est moi qui, après le départ du ministre Schacht, ai dirigé le ministère de l’Économie, de novembre 1937 à février 1938, malgré la nomination de Funk. Je voulais ainsi incorporer au ministère de l’Économie les sections économiques du Plan de quatre ans qui s’étaient développées en dehors du ministère, pour me dégager ainsi de ce fardeau et pouvoir exécuter la mission qui m’avait été confiée avec le ministère en temps que tel.

Dr SAUTER

Témoin, il me semble que la même chose s’est produite avec les services du plénipotentiaire à l’Économie. Je dois faire remarquer que le Dr Schacht a abandonné ces fonctions en novembre 1937, lorsqu’il quitta le ministère de l’Économie. Son successeur au poste de plénipotentiaire à l’Économie, Funk, ne fut nommé qu’en 1938 ; quelle en est la raison ?

ACCUSÉ GÖRING

S’il n’a été nommé qu’en 1938, c’est parce qu’il n’est réellement entré en fonction au ministère de l’Économie qu’à cette date. D’après les règlements précédents, le plénipotentiaire à l’Économie ne faisait qu’un avec le ministre de l’Économie. Mais je parle de la période où Schacht était encore ministre, car j’ai fait en sorte par la suite, lorsque je me suis occupé du Plan de quatre ans de façon active, d’être moi-même le véritable plénipotentiaire à l’Économie.

J’ai alors proposé de supprimer ce poste et, comme ceci arrive souvent, il a subsisté pour des raisons de pur prestige. C’était, en fait, le délégué au Plan de quatre ans qui était plénipotentiaire pour toute l’Économie allemande. Comme il ne pouvait y en avoir deux, l’existence de l’autre est restée théorique.

Dr SAUTER

Par conséquent, témoin, et je vous demande de me répondre, le Dr Funk, aussi bien en qualité de plénipotentiaire à l’Économie que comme président de la Banque du Reich, dépendait du Plan de quatre ans dont vous étiez le chef. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

Il est évident qu’en vertu des pleins pouvoirs qui m’ont été octroyés, il devait se conformer aux directives que je donnais dans le domaine économique. C’est aussi la raison pour laquelle un changement du ministère est intervenu car ce que je ne pouvais me permettre avec M. Schacht, ne présentait aucune difficulté avec M. Funk. Les instructions, ou plutôt la politique économique du ministre de l’Économie et du président de la Banque du Reich Funk, c’est moi seul qui en suis pleinement responsable.

Dr SAUTER

Témoin, vous vous souvenez peut-être d’une lettre envoyée par l’accusé Funk environ une semaine avant le début de la campagne de Pologne, le 25 août je crois, à Hitler à l’occasion de l’anniversaire de ce dernier. Dans cette lettre, Funk, qui remercie le Führer de je ne sais plus quelle faveur, déclare qu’il a préparé et mis à exécution certaines mesures qui se sont avérées nécessaires en cas de guerre dans le domaine de l’économie civile et du financement des entreprises. Vous vous souvenez de cette lettre ? Elle a déjà été lue devant le Tribunal.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

Dr SAUTER

Vous souvenez-vous de la date à laquelle vous avez confié à l’accusé Funk ces tâches particulières ? La lettre en question est datée, je crois, du 25 août 1939. Quand avez-vous donné à l’accusé Funk les instructions dont il fait état ?

ACCUSÉ GÖRING

Comme je l’ai dit hier, de même que la mobilisation, ou plutôt les préparatifs de mobilisation, doivent faire l’objet de mesures constantes et qu’elles doivent suivre la situation politique quelles que soient ses fluctuations, de même l’économie doit se maintenir sur un plan parallèle. J’ai donc entrepris des préparatifs de mobilisation dans ce domaine également, et c’était le devoir du président de la Banque du Reich dans le secteur financier et du ministère de l’Économie dans son ressort, de prendre toute disposition me permettant en cas de guerre de donner au peuple allemand le plus de sécurité possible dans le domaine économique. Je ne sais plus à quelle date exacte ceci s’est passé car il s’agit là d’un principe valable en tous temps.

Dr SAUTER

Témoin, quels pouvoirs possédait Funk dans les territoires occupés en ce qui concerne les affaires économiques ?

ACCUSÉ GÖRING

En détail, je ne m’en souviens plus, c’est-à-dire pas aujourd’hui. Ces directives générales, c’est moi qui les ai données. Dans quelle mesure il a donné des instructions valables dans les territoires occupées, à la suite de ces directives, et à qui il les a données, je n’en sais rien. En tout cas, c’est moi qui en ai la responsabilité première.

Dr SAUTER

Est-il exact de dire que, dans les territoires occupés, le Plan de quatre ans avait ses propres délégués et ses propres services qui pouvaient prendre des décisions en dehors des services de l’accusé Funk ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce fut le cas dans une certaine partie des territoires occupés. Dans les autres parties, je me suis servi des organismes préexistants et, lorsque je l’ai cru nécessaire, j’ai demandé au ministère de l’Économie de prendre telle ou telle mesure concernant les territoires occupés.

Dr SAUTER

C’est alors, pendant la guerre, que fut créé le ministère de l’Armement, au printemps 1940, je crois. Est-il exact qu’au cours de la guerre le domaine de compétence du ministère de l’Économie, de même en fin de compte que tout ce qui concernait la production civile, devint du ressort du ministère de l’Armement, de sorte que, finalement, le ministère de l’Économie n’avait que les attributions d’un simple ministère du Commerce ?

ACCUSÉ GÖRING

Sur ma proposition, le Führer créa un ministère des Munitions sous la direction de l’ancien ministre Todt. Ce ministère des Munitions devint ensuite le ministère de l’Armement et fut placé sous la direction du ministre Speer. Petit à petit, ses fonctions s’étendirent. Comme l’armement est au premier plan de toute économie et que toutes les autres questions économiques ne doivent être réglées qu’en tenant compte des exigences de l’armement, toute une série de questions dépendant du ministère de l’Économie furent confiées au ministère de l’Armement, en particulier toute la production.

Il est exact que, finalement, le ministère de l’Économie fut en fait supprimé et ne conserva que des sections d’importance secondaire.

Dr SAUTER

En ce qui concerne l’accusé Funk, je voudrais encore poser une question se rapportant à l’Office central du Plan dans la question des travailleurs étrangers. Je voudrais bien savoir, témoin, si Funk n’a effectivement assisté pour la première fois aux réunions de l’Office central du Plan qu’à la fin de novembre 1943. Le savez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Je connais la façon dont était organisé l’Office central du Plan, mais je ne m’en suis pas mêlé. Je ne peux pas dire exactement quand Funk y adhéra. D’autre part, je n’avais rien à voir avec le recrutement de travailleurs étrangers.

Dr SAUTER

Si Monsieur le Président m’y autorise, je voudrais encore poser quelques questions concernant l’accusé von Schirach.

Savez-vous, témoin, si les formations aériennes de la Jeunesse hitlérienne, qui constituaient une section de cette organisation, ont été entraînées sur des avions à moteur ?

ACCUSÉ GÖRING

Ces formations ne s’entraînaient que sur des planeurs. Lorsqu’ils les quittaient, ces jeunes gens étaient incorporés dans le corps des aviateurs nationaux-socialistes, qui s’appelait autrefois « Société de sport aérien », et poursuivaient alors leur entraînement sur des avions à moteur.

Dr SAUTER

Encore une question : lorsque l’accusé Schirach était chef de la jeunesse du Reich, avez-vous eu avec lui des entretiens ayant trait à l’instruction aérienne militaire ou prémilitaire de la jeunesse ?

ACCUSÉ GÖRING

Il est possible que nous en ayons parlé occasionnellement, je ne m’en souviens plus. En tout cas, il n’y a pas eu de conversations officielles car la situation était claire et cela n’était pas nécessaire. Aussitôt que les groupes de vol à voile de la Jeunesse hitlérienne eurent été équipés avec des avions à moteur et qu’ils eurent reçu une instruction prémilitaire dans l’Aviation, ils furent incorporés dans le corps des aviateurs nationaux-socialistes (NS-Fliegerkorps).

Dr SAUTER

Vous souvenez-vous, témoin, que nous ayons vu, il y a quelque temps, un tableau synoptique montrant la composition du Cabinet du Reich et sur lequel, sous la rubrique « Autres personnalités prenant part aux séances », figurait le nom de l’accusé Schirach à côté de ceux de Bohle, Popitz, Dietrich et Gerecke ? Je voudrais vous demander pour cette raison si Schirach fut membre du Cabinet du Reich ou bien s’il avait des fonctions ou des attributions dans ce domaine ?

ACCUSÉ GÖRING

Le Cabinet du Reich, en temps que tel, n’était composé que des ministres du Reich, Nous distinguions deux sortes de séances : les séances du Cabinet et les séances du, Conseil des ministres. Aux séances du cabinet assistaient normalement les ministres et leurs secrétaires d’État ; dans certains cas, certains directeurs du ministère et certains hauts fonctionnaires y faisaient une courte apparition pour donner des renseignements sur un sujet spécial.

Il y avait ce qu’on appelait les organismes suprêmes du Reich (Oberste Reichsstellen). La direction de la jeunesse du Reich était un de ces organismes. Lorsqu’une question concernant la direction de la jeunesse du Reich devait être discutée par tout le cabinet sur le plan législatif, Schirach pouvait alors, en temps que chef de la jeunesse, et s’il en était informé, demander à assister à cette réunion. C’est en vertu de cette réglementation que le chef de la Chancellerie du Reich pouvait le convoquer à cette séance. Ces personnalités n’assistaient jamais aux réunions normales du cabinet. Dans la mesure où j’étais présent, et je crois avoir assisté à toutes les séances sans exception, Schirach n’y était jamais Quant aux séances du Conseil des ministres, il n’y avait que les ministres du Reich qui y assistaient et c’est tout.

Dr SAUTER

J’en arrive à l’époque qui a suivi la chute de Mussolini, lorsque Badoglio devint chef du Gouvernement italien. Vous rappelez vous, témoin, que l’accusé Schirach vous envoya à cette époque un télégramme pour vous faire part de certaines propositions ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

Dr SAUTER

Que vous a-t-il proposé et quel était son but ?

ACCUSÉ GÖRING

Il m’a proposé de demander au Führer de remplacer immédiatement au ministère des Affaires étrangères M, von Ribbentrop par M. von Papen.

Dr SAUTER

Une dernière question concernant l’accusé Schirach. Vous souvenez-vous d’une autre lettre écrite par l’accusé Schirach au printemps de 1943 ? Cette lettre a été motivée par une communication de Bormann et vous savez ce que je veux dire. Cependant, je vais vous en rappeler brièvement les circonstances.

A cette époque, Bormann envoya à tous les Gauleiter des instructions leur demandant de lui faire part des relations qu’ils pouvaient avoir à l’étranger. Schirach fut alors persuadé que cette lettre avait été écrite pour lui car les autres Gauleiter n’avaient aucune relation en dehors de l’Allemagne. Si mes renseignements sont exacts, vous avez lu sa réponse et vous êtes intervenu en faveur de l’accusé. Dites-nous, s’il vous plaît, ce qu’il y avait dans cette lettre, quel danger menaçait Schirach et ce que vous ou d’autres gens ont pu faire pour l’écarter.

ACCUSÉ GÖRING

Je dois préciser que je suis tout à fait au courant de cette affaire. Cette lettre de Bormann fut écrite sur l’ordre du Führer. Elle n’avait pas uniquement pour but d’obtenir une réponse du Gauleiter Schirach, mais s’adressait effectivement à tous les Gauleiter. Ceux-ci devaient faire une enquête parmi leurs fonctionnaires pour savoir si l’un d’eux avait des relations ou de la famille à l’étranger et spécialement chez nos ennemis et si cet état de fait n’était pas susceptible de compromettre leur fidélité. Ceci était une instruction générale du Führer, valable également pour les officiers et qui n’eut pas pour motif le seul cas de Schirach. Lorsque cette lettre de Schirach fut remise au Führer par Bormann, je me trouvais au Quartier Général. Son signataire, avant d’avoir fait une enquête parmi ses collaborateurs, déclarait vouloir exposer clairement au Führer sa situation personnelle qui était la suivante : il avait de la famille aux États-Unis par sa mère et entretenait avec elle d’excellentes relations. Il demandait en outre si, malgré cet état de fait, le Führer estimait devoir le conserver dans son poste de Gauleiter. Il y avait longtemps déjà, plusieurs mois, que le Führer était mécontent de Schirach et parlait de le rappeler de son poste à Vienne. Lorsqu’il reçut cette lettre, et c’est ainsi que j’en ai eu connaissance, il me la donna et me dit :

« Schirach semble se couvrir pour l’avenir et je n’ai pas très confiance ». Là-dessus, j’ai dit clairement au Führer, en présence de Bormann, que cette méfiance était parfaitement injustifiée, que je ne comprenais pas l’attitude qu’il avait adoptée à l’égard de Schirach et que Schirach avait agi très correctement en faisant part avec une entière franchise de ses relations, qui étaient connues, avant de renvoyer pour les mêmes raisons l’un quelconque de ses collaborateurs ou de ses subordonnés. J’ai ajouté que cette lettre ne me semblait pas signifier autre chose.

Dr SAUTER

Cependant, témoin, il semble qu’à la suite de cette lettre, une proposition curieuse fut faite d’un autre côté concernant des mesures à prendre contre Schirach ?

ACCUSÉ GÖRING

Je sais que Bormann et Himmler étaient hostiles à Schirach J’ai entendu dire plus tard, si je m’en souviens bien, qu’ils ont essayé de donner à cette lettre une autre interprétation et de pousser le Führer à rappeler Schirach, mais je ne sais pas dans quelle mesure Himmler est intervenu à ce sujet.

Dr SAUTER

Je n’ai pas d’autre question à poser, je vous remercie.

FLOTTENRICHTER OTTO KRANZBÜHLER (avocat de l’accusé Dönitz)

Monsieur le maréchal, quand avez-vous fait connaissance de l’amiral Dönitz ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est lorsque l’amiral Dönitz était Commandant en chef de la flotte sous-marine pendant la guerre que je l’ai vu pour la première fois. Si mes souvenirs sont exacts, c’était en 1940, au cours d’un entretien qui s’est déroulé dans mon train spécial, en France, je crois.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

L’entretien a-t-il traité de questions militaires ou politiques ?

ACCUSÉ GÖRING

Uniquement de questions militaires. Pour préciser, celle de savoir jusqu’à quel point, à cette époque et à l’avenir, l’aviation pourrait assurer des reconnaissances pour les sous-marins dans l’Atlantique. L’amiral Dönitz se plaignit alors que les reconnaissances étaient insuffisantes et me supplia avec insistance d’en étendre le champ, autant que je m’en souvienne, jusqu’à 30 degrés.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Avez-vous eu des conférences ultérieures avec l’amiral Dönitz avant sa nomination comme Commandant en chef, en 1943 ?

ACCUSÉ GÖRING

Non.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Avez-vous, comme Commandant en chef de l’Aviation, utilisé des hydravions dits de secours pour le sauvetage d’aviateurs abattus dans la Manche ?

ACCUSÉ GÖRING

Il y avait plusieurs escadrilles d’hydravions de secours affectés à la Manche pour le sauvetage d’aviateurs abattus, allemands ou ennemis, comme l’ordre le prouve clairement.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Quel aspect avaient ces avions ?

ACCUSÉ GÖRING

Autant que je m’en souvienne, ces avions portaient l’insigne de la Croix-Rouge.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Étaient-ils armés ?

ACCUSÉ GÖRING

Pas au début.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Et comment ces avions de secours étaient-ils traités par les Britanniques ?

ACCUSÉ GÖRING

Il y eut quelques cas où ils ne furent pas maltraités mais dans un grand nombre d’autres, ils furent abattus pendant qu’ils effectuaient des actions de sauvetage, Ces cas devenant plus nombreux, j’ai déclaré qu’il serait plus expédient de ne pas utiliser les insignes de la Croix-Rouge mais de faire armer ces avions et d’essayer ainsi de retirer nos camarades de la mer. Nous eûmes des pertes énormes dans ces escadrilles marines de secours.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Y avait-il des bouées ancrées dans la Manche pour le sauvetage des aviateurs abattus ?

ACCUSÉ GÖRING

Un grand nombre de bouées étaient ancrées ; elles comportaient des câbles auxquels les aviateurs qui avaient été abattus pouvaient s’accrocher. Les bouées portaient aussi des vivres, de l’eau potable, des ceintures de sauvetage, des vêtements de sauvetage et ainsi de suite. En dehors de ces petites bouées, il en existait de plus grandes sous forme de petits radeaux que les aviateurs pouvaient utiliser. De la nourriture, de la boisson, des trousses de pharmacie, des couvertures s’y trouvaient également.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Comment ces bouées étaient-elles traitées par les Britanniques ?

ACCUSÉ GÖRING

De différentes façons ; certaines subsistaient, d’autres étaient détruites.

FLOTTENRICHTER KRANZBÜHLER

Je n’ai pas d’autre question.

Dr EXNER

Savez-vous que, particulièrement en 1942, un conflit sérieux s’éleva entre le Führer et le général Jodl ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

Dr EXNER

Savez-vous qu’à cette époque Jodl fut sur le point d’être relevé de ses fonctions ?

ACCUSÉ GÖRING

Le conflit eut pour origine la crise du Caucase. Le Führer blâma le général Jodl parce que des forces suffisantes n’avaient pas été mises en ligne pour pousser dans la direction de Tuapse et que les bataillons de troupes de montagne avaient fait mouvement de la vallée vers la chaîne de montagnes de l’Elbruz, ce que le Führer estimait insensé A cette époque, autant que je m’en souvienne, Jodl fit remarquer qu’il avait discuté cette question avec lui et reçut son approbation. Le Führer critiqua sévèrement le commandant qui avait la charge de ce secteur. Jodl le défendit et ceci conduisit à des relations extrêmement tendues. Le Führer me déclara qu’il voulait relever Jodl de son commandement La tension était si vive qu’à partir de ce moment, autant que je m’en souvienne, le Führer se retira du club d’officiers fréquenté à la fois par son Haut Commandement et par son État-Major Généra] d’opérations, prenant même ses repas seul. Longtemps, pendant plusieurs mois, il refusa de serrer la main à ces officiers. Cet exemple a pour but de vous montrer combien la tension était grande à cette époque.

Comme successeur de Jodl, Paulus était déjà choisi ; le Führer avait une confiance particulière en lui. Je ne sais pas exactement pourquoi ce changement ne fut pas réalisé. J’affirme que dans cette occasion, une fois de plus, malgré toute cette tension, le facteur décisif aux yeux du Führer fut sa répugnance à s’habituer à de nouveaux visages et le fait qu’il n’aimait pas apporter de changement à son entourage. Il préférait continuer à travailler avec des personnes de son entourage qu’il n’aimait pas, plutôt que de les changer.

Par la suite, cependant, sa confiance dans la valeur tactique de Jodl se ranima considérablement ; il avait une confiance complète dans sa valeur tactique. Les relations personnelles entre eux ne furent jamais très étroites.

Dr EXNER

Savez-vous que, particulièrement en 1945, on envisagea de se libérer de la Convention de Genève. Savez-vous quelle attitude Jodl adopta à cette époque ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce devait être en février 1945 que le ministre Goebbels fit cette proposition au Führer. Elle rencontra, de notre part à tous, l’opposition la plus absolue. Malgré cela, le Führer y revint sans cesse et fut longtemps favorable à un abandon de cette convention. La raison assez bizarre qui en était donnée était qu’il y avait trop de déserteurs à l’Ouest et que les troupes avaient trop tendance à se rendre. Le Führer estimait que si les troupes savaient qu’elles n’étaient plus désormais protégées en captivité par la Convention de Genève, elles se battraient avec plus d’acharnement et ne réagiraient plus à l’énorme propagande ennemie qui leur disait comment elles seraient traitées si elles cessaient le combat. Les efforts communs, auxquels Jodl participa naturellement, parvinrent à dissuader le Führer pour la raison que cette action causerait un grand trouble parmi la population allemande et une grande inquiétude au sujet de ses parents en captivité.

Dr EXNER

Encore une question. Avant la campagne de Norvège, Jodl nota dans son journal — cela a été mentionné déjà — « le Führer cherche un prétexte » mais cela est inexact. L’original dit « une base » ; dites-moi dans quelle mesure le Führer recherchait une base à cette époque ?

ACCUSÉ GÖRING

Je me souviens aussi très bien de cela et par suite je puis déclarer sous serment que l’usage du mot « base » ou « prétexte » est absolument déplacé ici. L’affaire était la suivante :

Le Führer savait exactement, nous savions aussi et nous avions des rapports détaillés et dignes de foi selon lesquels la Norvège devait être occupée par les Alliés, l’Angleterre et la France. Je l’ai dit l’autre jour. Pour y faire échec, le Führer voulait prendre les devants. Il déclara que, pour nous, le fondement d’une attaque anglo-française était clair mais que nous n’avions pas de preuves suffisantes pour l’étranger, Hitler expliqua qu’il essayait toujours d’obtenir des preuves, il aurait été préférable que Jodl écrivît, non que le Führer cherchait toujours une base mais — d’après la pensée du Führer — que le Führer cherchait toujours une preuve concluante pour l’étranger. Nous avions de telles preuves. C’était un premier point. Le second était que généralement le ministère des Affaires étrangères, pour de telles mesures, devait effectuer les travaux préparatoires indispensables comprenant la rédaction de notes. Dans le cas de la Norvège, cependant, le Führer saisit le ministère des Affaires étrangères, il me semble seulement 24 ou 48 heures à l’avance. Il ne voulait pas le mettre le moins du monde au courant à cette époque car il gardait tout ce plan absolument secret. Je me souviens, comme Commandant en chef de l’Aviation, avoir été informé de ce plan à une date très tardive. Ce secret était la seconde raison pour laquelle il cherchait lui-même une base pour l’attaque. C’étaient là les deux raisons ; je voudrais déclarer de nouveau que ce fait aurait été expliqué beaucoup plus clairement s’il avait dit que le Führer cherchait une preuve plutôt qu’une base.

Dr EXNER

Si je comprends bien, vous parlez de preuves démontrant que les Britanniques avaient l’intention d’occuper la Norvège ?

ACCUSÉ GÖRING

Nous avions des rapports en ce sens, mais les preuves écrites définitives ne nous arrivèrent, que plus tard.

Dr EXNER

Le Führer n’avait aucun doute à ce sujet ?

ACCUSÉ GÖRING

Pas un seul instant aucun de nous n’avait le moindre doute à ce sujet. Nous reçûmes la preuve plus tard.

Dr EGON KUBUSCHOK (avocat de l’accusé von Papen et du Cabinet du Reich)

Est-il exact que Hitler vous autorisa à mener toutes les négociations dans le but de former un gouvernement sous l’autorité de Hitler, ce qui fut réalisé le 30 janvier 1933, c’est-à-dire que vous seul fûtes désigné à cette fin ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact, je l’ai déclaré l’autre jour.

Dr KUBUSCHOK

Est-il exact que vous ayez eu un entretien avec von Papen au sujet de la formation d’un gouvernement pour la première fois en janvier 1933 ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai eu un entretien avec von Papen pour la première fois un dimanche, huit jours avant la formation du Gouvernement, au domicile de Ribbentrop.

Dr KUBUSCHOK

Si donc Papen avait mené des négociations relatives à la formation d’un gouvernement entre le 4 janvier, le jour de la rencontre avec Hitler au domicile du baron Schröder, et le 22 janvier, il aurait dû le faire par votre intermédiaire et vous l’auriez su ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact, car le Führer était à Munich à ce moment et j’étais la seule autorité à Berlin pour la formation de ce Gouvernement. D’autre part, il n’était pas du tout évident, au commencement de] janvier, que dans une période de temps raisonnable nous devrions avoir à former un tel gouvernement. D’autres négociations étaient en cours qui n’avaient rien à voir avec M. von Papen.

Dr KUBUSCHOK

La formation d’un nouveau gouvernement au milieu du mois de janvier devint-elle inévitable pour Hindenburg parce que Schleicher n’avait pas d’appui parlementaire et que ses efforts pour obtenir cet appui par des négociations avec Gregor Strasser,, tendant à diviser la NSDAP, avaient été un échec ?

ACCUSÉ GÖRING

Je le crois. J’ai déjà dit d’une manière générale que Schleicher n’obtint pas une majorité parlementaire et que ses tentatives pour diviser les partis furent un échec pour la raison que le Führer élimina immédiatement Strasser qui, à ce moment, n’était pas soutenu par les députés. Puisque les tentatives de Schleicher pour obtenir une majorité échouèrent, il aurait dû gouverner sans le Parlement et cela il ne pouvait le faire qu’en obtenant des pouvoirs extraordinaires de Hindenburg. Puisqu’il lui avait dit précédemment qu’il serait capable de rallier une majorité, le Reichspräsident rejeta sa requête pour les pouvoirs extraordinaires, tels que ceux détenus par le précédent cabinet de Papen et décida alors de faire ce que j’ai indiqué l’autre jour.

Dr KUBUSCHOK

Est-il exact que von Papen vous céda le poste de premier ministre de Prusse le 20 avril 1933 parce qu’aux élections pour le Landtag de Prusse, en mars 1933, la NSDAP avait obtenu une nette majorité et que, par suite, le Landtag souhaitait vous élire comme premier ministre ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce n’est pas absolument exact, car le Landtag de Prusse n’avait pas à élire de premier ministre à cette époque. Mais le fait que la NSDAP avait la majorité absolue, conduisit von Papen, en relation avec mes entretiens de Munich, à entrer en contact avec le Führer de sa propre initiative pour déclarer qu’il accepterait de me céder le poste de premier ministre de Prusse.

Dr KUBUSCHOK

Une dernière question vous avez dit hier que, comme Commandant en chef de l’Aviation, vous aviez accordé de nombreuses grâces aux populations de Belgique et de France qui étaient condamnées pour actes de résistance. Est-il exact que von Papen, à plusieurs occasions, vous transmit des suppliques de parents de condamnés, qu’il disait agir ainsi parce que, dans l’intérêt d’une solidarité future des peuples, il ne souhaitait pas que de telles condamnations, même si elles étaient justifiées sur le plan militaire, prissent la valeur d’un principe et que vous donnâtes satisfaction à von Papen ?

ACCUSÉ GÖRING

Je me souviens seulement qu’à certaines occasions — je me souviens particulièrement d’un cas parce qu’un nom célèbre y était mêlé — j’ai reçu une requête de M. von Papen tendant à savoir si une grâce ne pouvait pas être accordée à la personne intéressée. Elle concernait des personnes condamnées pour avoir aidé des aviateurs ennemis à s’évader. Dans ce cas, j’ai donné, dans une large mesure, satisfaction à la requête de M. von Papen. Je ne me souviens pas très exactement des raisons.

Dr WALTER BALLAS (assistant du Dr Gustave Steinbauer, avocat de l’accusé Seyss-Inquart)

Je demande au Tribunal de me permettre de poser quelques questions au témoin Göring. Elles concernent les fameuses conversations téléphoniques du 11 mars 1938 entre Berlin et Vienne. (S’adressant au témoin.) Est-il exact que le Dr Seyss-Inquart, quand il fut nommé chancelier d’État autrichien en juin 1937, vous rendit visite à Berlin, en compagnie du secrétaire d’État Keppler ?

ACCUSÉ GÖRING

De la date, je ne me souviens pas ; je me souviens de la visite.

Dr BALLAS

Le Dr Seyss-Inquart déclara-t-il alors que les nationaux-socialistes autrichiens devaient se rendre entièrement indépendants du parti allemand ?

ACCUSÉ GÖRING

Il critiqua cette tendance parce qu’il désirait éviter, dans la mesure du possible, les frictions au sein de son cabinet.

Dr BALLAS

A cette époque, il ajouta — et je voudrais que vous me répondiez si cela est exact — qu’il allait être permis aux nationaux-socialistes de se montrer actifs en Autriche dans le but d’établir des relations aussi étroites que possible entre l’Autriche et l’Allemagne dans le cadre d’une Autriche indépendante.

ACCUSÉ GÖRING

En ce qui concerne les affaires du Parti, je ne me souviens pas exactement sur quoi porta la discussion. La doctrine tendant à conserver l’indépendance de l’Autriche dans sa collaboration avec l’Allemagne fut constamment soutenue par Seyss-Inquart ; je l’ai récemment souligné. Pour moi, elle ne me semblait pas suffisamment large. Précisément, parce que je connaissais cette attitude de Seyss-Inquart, je dois dire franchement que j’étais un peu mécontent de son attitude des 11 et 12 mars et par suite, à la fin de l’après-midi où ces conversations étaient intervenues, j’envoyai Keppler à Vienne afin que, du point de vue de l’annexion, les choses prennent leur tour normal. J’aurais préféré envoyer une autre personne parce que M. Keppler était trop faible à mon sens, mais le désir du Führer dans cette affaire était que si quelqu’un devait être envoyé, ce devait être Keppler.

Dr BALLAS

Est-il exact que le Dr Seyss-Inquart expliqua son attitude en faisant ressortir les avantages de voir les intérêts allemands représentés par deux États ?

ACCUSÉ GÖRING

II est tout à fait exact qu’il fit cette déclaration. Je répondis que j’étais d’un avis complètement différent, que j’aurais préféré voir les intérêts allemands représentés par un État qui agirait plus énergiquement que deux, le second pouvant ne pas suivre exactement le premier.

Dr BALLAS

Avez-vous eu une autre communication téléphonique ou quelque autre communication avec Seyss-Inquart le 11 mars 1938 ou la veille ?

ACCUSÉ GÖRING

Autant que je m’en souvienne, mais je ne peux pas le dire avec certitude, je crois que j’ai eu cette communication le dimanche précédent, je veux dire que ces conversations téléphoniques eurent lieu le 11, un vendredi. Le lundi ou le mardi, je lui avais posé des questions, à lui ou à l’un de ses subordonnés, sur l’impression qu’ils avaient éprouvée à Graz et en Styrie. Je me souviens vaguement de cela mais je ne peux pas l’affirmer sous la foi du serment.

Dr BALLAS

Le document PS-2949, déposé par le Ministère Public, et concernant les conversations entre Berlin et Vienne à la période critique de mars 1938, montre que c’est seulement au moment de la conversation entre le Dr Dietrich et le secrétaire d’État Keppler, qui était alors à Vienne pour vous représenter et qui eut lieu à 21 heures 54, que l’accord de Seyss-Inquart sur le télégramme que vous aviez dicté par avance fut acheminé par Keppler. L’ordre de pénétrer en Autriche avait-il déjà été donné à cette date ?

ACCUSÉ GÔRING

J’ai expliqué cela récemment. L’ordre d’envahir l’Autriche avait été donné et n’avait rien à voir avec le télégramme lui-même. Il importe peu de savoir s’il était d’accord ou non. La responsabilité de cette invasion repose sur le Führer et sur moi.

Dr BALLAS

II est alors exact de dire que l’invasion aurait eu lieu même sans le télégramme ?

ACCUSÉ GÔRING

Oui, naturellement.

Dr BALLAS

Quel était alors l’objet de ce télégramme ? Peut-être avait-il quelque chose à voir avec la politique extérieure ?

ACCUSÉ GÔRING

J’ai déjà expliqué cela dans le plus grand détail.

Dr BALLAS

Vous souvenez-vous, témoin, que dans la nuit du 11 au 12 mars, le secrétaire d’État Keppler téléphona à Berlin au nom du Dr Seyss-Inquart en demandant de ne pas mettre à exécution l’invasion de l’Autriche ?

ACCUSÉ GÔRING

Je me souviens très clairement de cela car j’étais absolument furieux qu’un télégramme aussi insensé — alors que tout était prêt — eût troublé la tranquillité du Führer qui était épuisé de fatigue et devait aller en Autriche le lendemain. J’ai donc sévèrement réprimandé l’aide de camp du Führer et je lui ai dit que c’est à moi qu’un tel télégramme aurait dû être remis. C’est pourquoi je me souviens clairement du télégramme et de son inopportunité.

Dr BALLAS

Le résultat fut que le Führer, si je vous ai bien compris, rejeta carrément ce télégramme ?

ACCUSÉ GÔRING

Il ne pouvait plus le rejeter parce que l’ensemble du mouvement des troupes était déjà commencé. Un tel mouvement ne peut pas être stoppé en une heure. Quand un mouvement de troupes est en cours, il faut des jours pour l’arrêter. Nous aurions pu tout au plus arrêter le mouvement à un certain point de sa course. Comme je l’ai déclaré, ce n’était pas du tout notre intérêt. A partir de ce moment, ce ne fut plus Seyss-Inquart mais le Führer et moi qui tînmes le sort de l’Autriche entre nos mains.

Dr BALLAS

II ne me reste que deux autres questions concernant la Hollande. Est-il exact qu’outre l’ordre du Führer qui fut promulgué le 18 mai 1940, nommant le Dr Seyss-Inquart commissaire du Reich en Autriche, il y eut un autre ordre non promulgué qui plaça Seyss-Inquart directement sous votre autorité ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne sais rien de cet ordre secret.

LE PRÉSIDENT

Posez vos questions plus lentement. Vous voyez que la lumière est allumée.

Dr BALLAS

Le Plan de quatre ans avait-il son service autonome en Hollande ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai pas encore répondu à votre première question. J’ai compris que vous deviez poser cette question une nouvelle fois parce qu’elle n’avait pas été transmise.

Dr BALLAS

J’ai compris que le Tribunal voulait...

ACCUSÉ GÖRING

Je vais vous répondre maintenant à ce sujet. Je ne sais rien de cet ordre secret. Cela aurait été insensé car un commissaire du Reich dans les territoires occupés n’aurait pas pu être subordonné à moi, séparément. Mais si c’est une question de subordination en matière économique, alors il est clair que le commissaire du Reich était naturellement sous mes ordres et sous ma direction sur ce terrain, comme l’étaient tous les autres postes élevés du Reich.

En ce qui concerne votre seconde question, je puis dire qu’aujourd’hui je ne connais pas dans le détail si dans les territoires occupés, c’est-à-dire aussi en Hollande, il y avait en quelque endroit, un représentant direct du Plan de quatre ans ou si je chargeais de ces fonctions le commandant militaire ou la section économique du commissaire du Reich du territoire intéressé. Autant que je m’en souvienne maintenant, sans le secours de documents, la situation, en Hollande, était la suivante : le conseiller économique ou le représentant du commissaire du Reich — Fischböck à l’époque — ce qui était logique, exerçait la direction économique du Plan de quatre ans. Le commissaire du Reich n’aurait jamais pu avoir la latitude de ne pas exécuter les ordres que je donnais. Il n’aurait pu que protester à leur sujet auprès de moi ou, à la rigueur, auprès du Führer, mais cette mesure en elle-même ne suspendait aucune exécution.

Dr BALLAS

Je n’ai pas d’autres questions.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 18 mars 1946 à 10 heures.)