QUATRE-VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Mercredi 20 mars 1946.
Audience du matin.
Plaise au Tribunal. La dernière question que j’ai posée hier soir sur les préparatifs de mobilisation en Rhénanie, comme le montre le procès-verbal, était celle-ci : « Mais ils étaient d’une nature telle qu’ils devaient être gardés absolument secrets vis-à-vis des puissances étrangères ? ».
La réponse a été : « Je ne crois pas me rappeler avoir lu quelque part l’annonce des préparatifs de mobilisation entrepris par les États-Unis. »
En tant que représentant des États-Unis d’Amérique, j’ai à choisir entre trois attitudes : ou bien celle qui consiste à ignorer cette remarque et à la laisser subsister telle quelle pour les personnes qui ne comprennent pas notre système, ou faire ressortir, en y perdant beaucoup de temps, sa fausseté, ou d’y répondre en la réfutant. La difficulté, Votre Honneur, est la suivante : si le témoin est autorisé à faire des déclarations en contre-interrogatoire, il n’est pas possible d’élever des objections avant que ces déclarations soient transcrites au procès-verbal, Naturellement, si une telle réponse avait été provoquée par la question d’un avocat, ce qui, je l’affirme respectueusement, devrait être la procédure normale, il y aurait eu contradiction ; le Tribunal aurait été en mesure d’accomplir sa tâche selon le Statut et j’aurais eu la possibilité de raccourcir ce Procès en évitant cette remarque.
Le Statut prévoit dans son article 18 que le Tribunal écartera les questions et les déclarations non pertinentes, quelles qu’elles soient. Nous nous trouvons positivement en face de cette question : nous ne pouvons accomplir notre tâche si l’accusé doit faire ces déclarations sans que les questions qui doivent les provoquer soient posées.
J’affirme respectueusement que si le Tribunal fait prévaloir la règle selon laquelle l’accusé peut se permettre des déclarations de ce genre, le contrôle de ce Procès passe entre les mains de cet accusé et les États-Unis se voient en réalité refuser le droit de procéder à des contre-interrogatoires, conformément au Statut, parce que le contre-interrogatoire ne peut être efficace avec une telle procédure. Puisque nous ne pouvons pas prévoir, nous ne pouvons pas assurer...
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Une référence aux secrets des États-Unis, en ce qui concerne la mobilisation, est non pertinente, et la réponse n’a pas à être faite ; mais la seule règle que le Tribunal puisse instituer comme règle générale est la règle déjà formulée, que le témoin réponde si possible par oui ou non, qu’il puisse donner les explications nécessaires après avoir directement répondu aux questions, que ces explications soient brèves et ne constituent pas des discours.
En ce qui concerne cette réponse en particulier, j’estime qu’elle n’était pas du tout pertinente.
Je dois naturellement m’incliner devant la décision du Tribunal, dans sa seconde partie. Je prends note de l’avertissement du Tribunal prescrivant de répondre par oui ou non. Le témoin, naturellement, n’en tient pas compte le moins du monde et je dois dire que je ne peux pas l’en blâmer parce qu’il agit dans son intérêt. Mais nous n’avons aucun moyen de nous préparer par avance. Nous sommes en présence de cette déclaration par le procès-verbal parce que, lorsque ces déclarations sont faites, elles se trouvent dans le procès-verbal avant que le Tribunal puisse prendre une décision à leur égard ; je n’ai aucune occasion de faire des objections et le Tribunal n’en a aucune pour statuer. Comme je le disais, ceci met le contrôle du Procès entre les mains de l’accusé s’il fait d’abord l’examen de l’Acte d’accusation et puis fait semblant de l’ignorer ou s’il y répond par le moyen d’un long contre-interrogatoire ; et je pense que l’accusation particulière portée contre les États-Unis d’Amérique de la barre des témoins, présente ces caractéristiques. Votre Honneur informe maintenant les Etats-Unis que c’est une réponse impropre, mais elle se trouve dans le procès-verbal et nous devons en faire état. J’affirme respectueusement qu’à moins que nous n’ayons...
Quelle est exactement la demande que vous nous faites ? Demandez-vous au Tribunal d’éliminer la réponse du procès-verbal ?
Eh bien ! non. Dans un procès de ce genre, où la propagande est un des objectifs de l’accusé, l’élimination ne serait d’aucune aide après la réponse, et Göring le sait aussi bien que moi. L’accusation a été portée contre les États-Unis et elle se trouve dans le procès-verbal. Je demande maintenant qu’on prescrive à ce témoin de répondre obligatoirement par oui ou non à mes questions, si elles permettent une réponse et que ses explications puissent être amenées par son avocat, d’une façon qui nous permette d’élever des objections si ces explications ne sont pas pertinentes, et d’obtenir du Tribunal qu’il prenne des décisions lui permettant d’accomplir sa tâche en éliminant les réponses ou les questions non pertinentes quelles qu’elles soient. Nous ne pouvons laisser le Procès dégénérer en une dispute entre nous-mêmes et le témoin. Ce n’est pas ce que les États-Unis attendent de moi. Je suggère respectueusement que, s’il peut préparer quelque sorte de défi...
Demandez-vous au Tribunal que le témoin réponde obligatoirement à toute question par oui ou non et attende d’être contre-interrogé avant de donner quelque explication ?
Je crois que c’est la règle du contre-interrogatoire dans les circonstances ordinaires. Le témoin doit répondre si la question le permet et, s’il a des explications, les remettre à plus tard. Maintenant, revenons au problème particulier qui se pose ce matin. Voici une réponse qui a été donnée, que le Tribunal estime non pertinente, mais contre laquelle nous n’avons aucun moyen d’élever des objections. Le Tribunal n’a eu aucune possibilité de statuer à son sujet. Le témoin demande : « Avez-vous jamais entendu dire que les États-Unis aient fait connaître leur plan de mobilisation ? »
Naturellement, nous aurions voulu élever des objections. La difficulté est que le Tribunal perd le contrôle de ces débats si l’accusé, dans un cas de ce genre, où nous savons que la propagande est un des buts qu’il poursuit, est autorisé à introduire sa propagande. Il nous faut alors en tenir compte par la suite.
Il me semble que les États-Unis sont privés de l’occasion de contre-interroger, si nous adoptons cette procédure.
C’est faire trop de cas d’une phrase que l’accusé a prononcée, à savoir si les États-Unis rendent leurs ordres de mobilisation publics ou non. Ce n’est certainement pas un fait d’une très grande importance. Tous les pays gardent certaines choses secrètes. Il serait certainement plus sage de ne pas tenir compte d’une déclaration de ce genre. Le Tribunal va examiner la question sous son aspect général. J’ai déjà énoncé ce que je considère comme la règle, je pense, avec l’assentiment du Tribunal, mais je désire m’assurer...
Je suis d’accord avec Votre Honneur en ce qui concerne les États-Unis. Nous ne nous sommes pas préoccupés de ce que dira le témoin — et que nous attendions —. La question est : répondons-nous aux questions de ce genre ou les laissons-nous en dehors du contrôle du Procès ? Il me semble qu’ici le Procès commence à nous échapper, si je puis ainsi dire, si nous n’avons pas le contrôle de cette situation. J’espère que le Tribunal me pardonnera mon insistance sur ce point. Je pense qu’il s’agit d’une question très importante.
Je n’ai jamais entendu dire que le Procureur dût répondre à toutes les observations qui n’étaient pas pertinentes, en contre-interrogatoire.
Ce serait vrai dans un litige privé, mais je pense que le Tribunal n’ignore pas qu’en dehors de cette salle d’audience, il est question d’une réapparition du nazisme et que l’un des buts de l’accusé Göring — je pense qu’il serait le premier à l’admettre — est de le faire revivre et de le perpétuer par la propagande à la faveur du Procès actuellement en cours.
Oui, Docteur Stahmer.
Je voulais simplement expliquer ce qui suit : l’accusation a été formulée comme si nous espérions faire ici de la propagande pour le nazisme ou pour autre chose. Je ne crois pas que cette accusation soit justifiée. Je ne crois pas davantage que l’accusé ait voulu porter une accusation contre les États-Unis. Je pense que nous devons considérer la question qui lui a été posée. Le Ministère Public lui a fait remarquer que le document qui lui a été soumis portait la mention « secret ». Il a déclaré qu’il n’avait jamais entendu dire qu’un document de ce genre ait été publié aux États-Unis. S’il avait dit au lieu des États-Unis d’Amérique un autre pays, la remarque aurait été considérée comme sans importance.
A mon avis, la réponse était tout à fait justifiée. Il devrait être accordé au témoin la possibilité de répondre non seulement par oui ou par non, mais celle d’expliquer sa réponse, comme le Tribunal l’a décidé.
Monsieur Justice Jackson, le Tribunal considère que la règle qui a été établie est la seule règle possible et que le témoin doit se limiter strictement à répondre directement à la question, lorsque la question exige une réponse directe ; qu’il ne doit pas donner d’explications avant d’avoir donné une réponse directe, mais qu’il lui est loisible ensuite de donner une brève explication ; qu’il ne doit pas être limité à faire simplement des réponses directes, oui ou non, et retenir l’explication jusqu’à ce que son avocat le réinterroge.
Pour ce qui est de cette observation particulière de l’accusé, il n’aurait pas dû mentionner les États-Unis, mais C’est une question, je pense, dont vous voudrez bien ne pas tenir compte.-
Je m’inclinerai devant le règlement, naturellement.
Je désire faire une déclaration au Tribunal au sujet d’un des documents. A la fin de l’audience d’hier, nous étions en train d’examiner le document EC-405. L’accusé Göring critiquait l’emploi d’un mot qui aurait dû être traduit par « liberté » plutôt que par « libération ». Nous avons depuis fait vérifier la traduction et nous trouvons que l’accusé avait raison. Ce document a été déposé sous le n° GB-160 le 9 janvier, page 2396 du procès-verbal (volume V, page 34) et puisqu’il a déjà été admis comme preuve et qu’il se trouve devant le Tribunal actuellement, nous pensons que le Ministère Public doit faire cette correction maintenant pour le procès-verbal. Vous avez déclaré hier que les comptes rendus du Conseil de Défense du Reich, qui vous étaient présentés, n’étaient réellement pas les comptes rendus d’une réunion du Conseil de Défense du Reich ?
Oui, je l’ai dit.
Et votre témoignage, malgré ce document, est encore, si je comprends bien, que le Conseil de Défense du Reich ne s’est jamais réuni ?
Oui, je l’ai dit aussi.
Je demande maintenant que l’on vous montre un document qui vient d’entrer en notre possession : le compte rendu de la seconde séance du Conseil de Défense du Reich — j’aurais dû dire pour traduction — . Nous ne l’avons pas encore fait traduire ; nous venons de le découvrir parmi notre grande collection de documents.
Le Dr Stahmer peut-il ou non en avoir une copie en anglais ?
Nous n’avons même pas pu le faire traduire en anglais. Je ne sais pas ce qu’il contient, si ce n’est qu’il s’agit du compte rendu de la réunion. Nous avons une photocopie. N’est-ce pas le compte rendu de la seconde réunion du Conseil de Défense du Reich, tenue le 23 juin 1939 ?
Je dois d’abord le regarder.
J’attire votre attention sur le fait que le président est le Generalfeldmarschall Göring. Vous trouverez cela page 1.
Je n’ai jamais contesté cela. C’était fixé par la loi. Il s’agit ici du deuxième Conseil de Défense du Reich, non pas du premier. En outre, je n’étais pas présent à cette réunion ; je fais remarquer qu’à gauche se trouve une liste des personnes qui prirent part à la réunion et dans mon cas il est écrit Generalfeldmarschall Gôring, et à droite comme représentants : secrétaire d’État Kömer et secrétaire d’État Neumann. Mais je dois d’abord parcourir ce document pour savoir si j’y ai participé personnellement.
Ne trouve-t-on pas. page 1, directement en dessous du lieu de la réunion, la mention « Président : Ministre Göring » ?
Oui, mais il faut d’abord que je lise.
Niez-vous l’authenticité de ces comptes rendus ?
Je ne les ai pas encore lus. Cela me paraît être une copie authentique des comptes rendus. Je l’admets. Mais là encore il s’agit, comme je l’ai dit à mon avocat, non d’une réunion du Conseil de Défense du Reich, mais d’une grande réunion à laquelle beaucoup d’autres services ont participé ; et ceci concerne le deuxième Conseil de Défense du Reich qui fut constitué après 1938, non un conseil secret, comme ce fut le cas de 1933 à 1938.
En d’autres termes, en interprétant votre témoignage, nous devons comprendre que lorsque vous dites qu’il n’y eut pas de réunion du Conseil de Défense du Reich, vous voulez dire qu’il n’y eut que des réunions auxquelles d’autres personnes étaient présentes ?
Non, ce n’est pas exact. Il y avait deux lois de défense du Reich en ce qui concerne le Conseil de Défense du Reich, ainsi que j’ai essayé de l’expliquer dans ma déclaration. Le conseil secret de 1933 à 1938 qui n’était pas rendu public et le Conseil de Défense du Reich qui fut créé en 1938 et transformé en Conseil des ministres en 1939 ; le dernier tenait des réunions qui n’étaient en aucun cas limitées à ses propres membres.
Vous dites alors que ce n’était pas le Conseil de Défense qui se réunissait en secret ?
Le Ministère Public voudrait d’abord que je réponde par oui ou par non. Il est difficile de répondre à cette question par oui ou par non. J’affirme que le Conseil de Défense secret, qui n’était pas public et qui fut le résultat d’une réunion de ministres en 1933, ne s’est jamais réuni. Après 1938, une nouvelle loi de défense du Reich créa un nouveau conseil. A cette époque, il était clair que notre souveraineté militaire était déjà déclarée. Le premier conseil que le Ministère Public qualifie de secret ne s’est jamais réuni et le document d’hier l’a prouvé.
Reportez-vous à la page 19 de ce document et dites-moi, s’il vous plaît, si l’une des questions mêmes traitées à cette réunion n’était pas précisément la levée du secret découlant de la loi de défense du Reich ?
Non, ce n’est pas cela. Si je peux traduire le dernier point du programme : les conséquences résultant de la levée du secret de la loi de défense du Reich et les mesures à prendre ont déjà été traitées dans une lettre du Comité de Défense du Reich du 26 juin. « Conséquences résultant de la levée du secret en vue de faciliter les communications écrites ».
Vous avez déclaré que sur la question juive plusieurs des membres du Gouvernement étaient plus rigoureux que vous. Voulez-vous nous dire qui étaient ces personnes ?
Quand nous prîmes le pouvoir, nous avons seulement demandé leur renvoi des fonctions politiques et d’autres fonctions dirigeantes dans l’État.
Ce n’est pas ce que je vous ai demandé.
Cela n’est pas une réponse directe à la question. La question était : vous avez dit que plusieurs membres du Gouvernement étaient plus rigoureux envers les Juifs que vous, Voudriez-vous nous dire quels étaient les membres du Gouvernement qui étaient plus rigoureux que vous ?
Excusez-moi, je n’avais pas compris que la question signifiait « qui étaient plus rigoureux » mais « en quoi ils étaient plus rigoureux ». Si vous me demandez qui, je vous dirai alors que c’étaient essentiellement Goebbels et Himmler.
Désignez-vous également votre coaccusé Streicher comme plus rigoureux que vous ?
Oui, mais il n’était pas membre du Gouvernement.
Il était Gauleiter du territoire même où nous nous trouvons, n’est-ce pas ?
C’est exact, mais il n’avait pas d’influence, ou très peu, sur les mesures gouvernementales.
Que pensez-vous de Heydrich ?
Heydrich était un sous-ordre de Himmler ; si j’ai cité Himmler, j’y joins naturellement Heydrich.
Heydrich est donc compris dans la liste des plus féroces auxquels vous faites allusion ?
Oui, c’est exact.
Et Bormann ?
Je ne me suis rendu compte que dans les dernières années que Bormann devenait plus rigoureux. Je ne connaissais pas ses idées au commencement.
Je voudrais maintenant revoir brièvement avec vous ce que l’Accusation considère comme vos actes publics en ce qui concerne la question juive. Dès le début, vous considériez l’élimination des Juifs de la vie économique de l’Allemagne comme une phase du Plan de quatre ans, sous votre juridiction, n’est-ce pas ?
L’élimination, c’est exact en partie. L’élimination des Juifs des entreprises importantes provoqua des désordres du fait qu’il y avait de grandes industries et aussi des industries d’armement en partie sous l’autorité des directeurs juifs ou avec des actionnaires juifs ; et ce fait provoqua une certaine inquiétude aux échelons inférieurs.
Dois-je comprendre que vous voulez persuader le Tribunal que vous n’aviez affaire qu’avec les grandes entreprises juives ? Est-ce cela que vous voulez que nous comprenions ?
Au début, je n’avais pas le souci des petites entreprises. Elles ne rentraient pas dans le cadre du Plan de quatre ans.
A quel moment sont-elles devenues gênantes ?
Quand on dut réduire le commerce, on remarqua que ce but pouvait être atteint par la fermeture des magasins juifs.
Passons maintenant aux actes publics que vous avez accomplis dans le domaine de la question juive. Premièrement, avez-vous proclamé les lois de Nuremberg ?
En tant que président du Reichstag, oui. Je l’ai déjà déclaré.
A quelle date ?
En 1935 je crois, ici à Nuremberg, au mois de septembre.
C’était le début des mesures légales prises contre les Juifs, n’est-ce pas ?
C’était une mesure légale.
Ce fut la première des mesures légales prises par votre Gouvernement contre les Juifs, n’est-ce pas ?
Non. Je crois que l’exclusion du fonctionnariat était antérieure.
A quelle date cela se place-t-il ?
Je ne pourrais pas donner une date exacte, mais je crois que cela se passait en 1933.
Puis, le 1 décembre 1936, vous avez promulgué une loi édictant la peine de mort pour les Allemands transférant des biens à l’étranger ou les laissant à l’étranger ; les biens du coupable devaient être confisqués par l’État, et compétence était donnée pour les poursuites au Tribunal du peuple, n’est-ce pas ?
C’est exact. Le « décret réglementant le régime des monnaies étrangères » s’appliquait à celui qui avait un compte à l’étranger sans une permission du Gouvernement.
Votre troisième acte public se place le 22 avril 1938, au moment où vous avez institué des peines pour le fait de masquer le caractère d’une entreprise juive à l’intérieur du Reich, n’est-ce pas ?
Oui.
Puis, le 28 juillet 1939, vous, Hermann Göring, avez publié certaines prescriptions sur la compétence des tribunaux pour statuer sur les questions abordées par le décret, n’est-ce pas ?
Je vous prie de me faire lire la loi, je ne m’en souviens pas.
Je ne vais pas prendre le temps de la lire. Niez-vous avoir autorisé la publication, au Reichsgesetzblatt 1939, page 1370, de la loi attribuant compétence aux tribunaux pour prononcer des peines contre les Juifs ? Si vous ne vous en souvenez plus, dites-le.
Oui, je dis que je ne me souviens plus de cette loi. Si elle est publiée dans le Reichsgesetzblatt et porte ma signature, alors, naturellement, il en est ainsi ; mais je ne me souviens pas de son contenu.
Maintenant, le 26 avril 1938, sur la base du Plan de quatre ans, vous avez publié un décret prévoyant l’enregistrement des propriétés juives et l’obligation pour les Juifs à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Allemagne de faire recenser tous leurs biens, n’est-ce pas ?
Je l’admets. Je ne me souviens aucunement de cela, mais si vous avez le décret et qu’il porte ma signature, il ne peut pas y avoir de doute.
Le 26 avril 1938, vous avez, n’est-ce pas, publié un décret dans le cadre du Plan de quatre ans selon lequel tous les actes de disposition des entreprises juives devaient recevoir l’autorisation des autorités ?
Je m’en souviens
Puis, le 12 novembre 1938, vous avez publié un décret, encore dans le cadre du Plan de quatre ans, imposant une amende de 1 milliard de Mark à tous les Juifs.
J’ai déjà expliqué que tous les décrets à cette époque étaient signés par moi et que j’en porte la responsabilité.
Bien, je vous demande en particulier si vous n’avez pas signé ce décret ? Je vous poserai d’autres questions plus tard à son sujet.
Oui.
Puis, le 12 novembre 1938, dans le cadre du Plan de quatre ans, vous avez signé un décret selon lequel tous les dommages causés aux biens juifs par les émeutes de 1938 devaient être réparés immédiatement par les Juifs à leurs propres frais. Avez-vous signé cette loi personnellement ?
J’ai signé une loi similaire. Je ne pourrais pas dire si c’est la même que vous venez de me lire.
Vous n’êtes pas en désaccord avec l’essentiel de cette loi, n’est-ce pas ?
Non.
Et le 12 novembre 1938, n’avez-vous pas aussi, personnellement, signé un décret, toujours dans le cadre du Plan de quatre ans, selon lequel les Juifs ne pouvaient plus posséder de magasins, engager du personnel, offrir des marchandises pour vendre dans les foires ou sur les marchés ou aux expositions, faire partie d’entreprises ou de coopératives. Vous souvenez-vous de cela ?
Oui, tout cela faisait partie du décret excluant les Juifs de la vie économique.
Puis, le 21 février 1939, vous avez signé personnellement un décret, n’est-ce pas, selon lequel les Juifs devaient remettre tous leurs objets en métaux précieux et leurs bijoux aux services publics, dans les deux semaines ?
Je ne me rappelle pas, mais cela doit être exact.
Je me réfère à la partie 1 du Reichsgesetzblatt de 1939, page 282. Vous ne vous en souvenez pas ?
Je n’ai pas le Reichsgesetzblatt sous les yeux, mais si un décret ou une loi y figurent avec ma signature, c’est que je les ai signés et promulgués.
Le 3 mars 1939, n’avez-vous pas non plus signé un autre décret concernant le délai durant lequel les objets précieux devaient être remis par les Juifs (Reichsgesetzblatt 1939, partie I, page 387) ?
Je suppose qu’il s’agit du décret pour l’exécution de celui qui a été cité tout à l’heure. Une loi nécessite des ordonnances et des décrets pour son exécution. Pris ensemble, c’est une mesure unique.
N’avez-vous pas aussi signé personnellement un décret dans le cadre du Plan de quatre ans, le 17 septembre 1940, ordonnant le séquestre des propriétés juives en Pologne ?
Oui, comme je l’ai déjà déclaré, dans cette partie de la Pologne qui, comme ancienne province allemande, devait être rendue à l’Allemagne.
N’avez-vous pas aussi, le 30 novembre 1940, signé personnellement un décret déclarant que les Juifs ne devaient pas recevoir de compensation pour les dommages causés par les attaques ennemies ou par la Wehrmacht, et n’avez-vous pas signé ceci en qualité de président du Conseil de Défense du Reich ? Je me réfère au Reichsgesetzblatt 1940, partie I, page 1547.
Si vous avez cela devant vous, ce doit être exact.
Vous ne vous en souvenez pas ?
Je ne me souviens pas de tous les décrets et de toutes les lois, c’est impossible.
C’est vous, n’est-ce pas, qui avez signé, le 31 juillet 1941, un décret demandant à Himmler, au SS-Gruppenführer Heydrich et au chef de la Police de sûreté d’établir les plans en vue de la solution complète de la question juive ?
Non, ce n’est pas exact. Je connais très bien ce décret.
Je demande qu’on vous montre le document 710 (USA-509).
PS-710 ?
PS-710, Votre Honneur. Ce document porte votre signature, n’est-ce pas ?
C’est exact.
Et il est adressé au chef de la Police de sûreté et aux services de cette Police et au SS-Gruppenführer Heydrich, n’est-ce pas ?
C’est aussi exact.
Je ne suis pas sûr que le document ait été lu en entier et qu’il figure au procès-verbal, mais je crois qu’il le devrait et pour qu’il n’y ait pas de difficultés sur la traduction, vous me corrigerez si je commets une erreur :
« Achevant la tâche qui vous a été assignée le 24 janvier 1939... »
I1 y a déjà une erreur : « Complétant » et non « achevant » la tâche qui vous a été assignée.
Très bien, j’admets cette rectification. « ... dans le but d’arriver à un progrès d’ensemble dans l’émigration et l’évacuation, ce qui amènerait une solution du problème juif aussi avantageuse que possible, je vous charge par les présentes de faire tous les préparatifs nécessaires en ce qui concerne les questions d’organisation et de financement ; pour donner une solution définitive au problème juif dans la sphère d’influence allemande en Europe ». Est-ce exact jusqu’ici ?
Non, la traduction n’est correcte en aucune façon.
Donnez-nous votre traduction.
Puis-je lire le texte tel qu’il est écrit ici ?
« Complétant la tâche qui vous a été assignée le 24 janvier 1939, à savoir la solution du problème juif sous la forme d’une émigration ou d’une évacuation dans les meilleures conditions compatibles avec les conjonctures actuelles, je vous charge par la présente de faire tous les préparatifs nécessaires en ce qui concerne les questions matérielles pratiques et d’organisation. »
Voici le mot décisif qui a été mal traduit « pour une solution totale et non pas « définitive »... Pour une solution totale du problème juif à l’intérieur de la zone d’influence allemande en Europe. Dans la mesure où d’autres ministères sont touchés, ils doivent participer à cette exécution.
« Je vous charge en outre de me soumettre dans un bref délai, un plan général montrant les mesures d’organisation pratiques et matérielles tendant à la solution totale du problème juif. » « Complétant la tâche qui vous a été confiée le 24 janvier 1939... »
Ceci se place à une époque où il n’y avait pas de guerre ou de perspective de guerre.
Citez-vous toujours le document ou donnez-vous une explication ?
Je désirais donner une explication à la citation et j’ai fait remarquer la date.
Oui, bien. Je désirais seulement dire que cette phrase ne paraît pas faire partie du document.
La dernière phrase est :
« Je vous charge en outre de m’adresser dans un bref délai un plan général montrant les mesures d’organisation pratiques et matérielles tendant à la solution désirée du problème juif. »
N’est-ce pas en substance la traduction de votre ordre à Heydrich et à Himmler ?
A Heydrich et aux autres ministères intéressés. Cela découle de la première partie de la lettre, la dernière phrase.
Il faut que nous nous entendions bien sur cette traduction. Cette lettre a été adressée au chef de la Police de sûreté et des services de sécurité, SS-Gruppenführer Heydrich. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
C’est exact, mais je voudrais donner une explication à ce sujet.
Bien.
La raison pour laquelle je lui ai adressé cette lettre était que Heydrich ou peut-être Himmler, par décret du 24 janvier 1939, avait été chargé de l’émigration des Juifs. C’était donc le service intéressé et c’est au service auquel avait été confiée cette tâche que j’avais à m’adresser pour toutes les questions matérielles et économiques qui se posaient.
Oui. Et vous avez ordonné à tous les autres services du Gouvernement de coopérer avec la Police de sûreté et les SS pour la solution finale de la question juive, n’est-ce pas ?
II n’est pas question ici des SS mais seulement de la Sicherheitspolizei ou service d’État. Le fait que Heydrich était SS-Gruppenführer n’a rien à voir dans la question car l’ordre s’adressait au chef de la Police de sûreté, indiquant son grade comme SS-Gruppenführer Heydrich.
Et la mention de son grade dans les SS est superflue et n’a rien à faire dans ce cas ?
Je vais donner une explication. Par exemple, si je m’adresse au Commandant en chef de l’Armée, j’écris :
au Commandant en chef de l’Armée, général ou Feldmarschall von Brauchitsch, et si je m’adresse au chef de la Police de sûreté, alors je dois écrire : au chef de la Police de sûreté, SS-Gruppenführer Heydrich. C’est son titre et son grade. Cependant, cela ne signifie pas que les SS eussent à voir quoi que ce fût dans cette affaire.
Au moment où vous avez promulgué cet ordre, vous aviez reçu des rapports complets sur les émeutes de 1938 et sur le rôle joué par Heydrich dans ces émeutes, n’est-ce pas ?
Je n’étais pas au courant, à cette époque, de la participation de Heydrich à ces émeutes ; j’avais uniquement des rapports de Heydrich sur les émeutes, rapports que j’avais demandés.
Bien. Maintenant, nous allons vous montrer le document PS-3058 (USA-508). C’est un rapport de Heydrich que vous avez dit avoir reçu et il est daté du 11 novembre 1938, n’est-ce pas ?
C’est exact.
Et il vous rapportait le pillage des magasins juifs, l’arrestation de 174 personnes pour pillage, la destruction de 815 magasins, l’incendie ou la destruction de 171 maisons — et il n’indiquait qu’une partie des dommages causés — 191 synagogues incendiées et 76 autres complètement détruites ; en outre, 11 monuments de communauté, chapelles funéraires et autres bâtiments de même nature avaient été incendiés et 3 autres complètement détruits ; 20.000 Juifs arrêtés, 7 Aryens et aussi 3 étrangers. Ces derniers avaient été arrêtés pour leur propre sécurité. 36 morts et aussi 36 blessés sérieux. Ces morts et ces blessés étaient juifs. Un Juif était porté manquant. Il y avait aussi un Polonais tué et deux blessés.
Vous avez ce rapport du 11 novembre 1938, n’est-ce pas ?
C’est exact. C’est justement le rapport que, comme je l’ai dit, j’avais demandé à la Police pour savoir ce qui avait été fait.
Exactement. Et une note était portée en haut de la page : « Le Feldmarschall a été informé et aucune mesure ne doit être prise », n’est-ce pas ?
Ce n’est pas tout à fait exact. Voici ce qui a été noté ici : « Le Feldmarschall a pris connaissance. Aucune mesure ne doit être prise par aucun service », parce que je désirais moi-même les prendre.
Maintenant, vous savez bien que ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, que ces mesures devaient être prises par quelque autre service ? Je vous pose carrément la question : est-ce que vous dites la vérité au Tribunal quand vous dites qu’aucune mesure ne pouvait être prise par d’autres personnes ?
C’est une note de mon adjoint ; rien ne devait être fait de ce côté, parce que je voulais m’occuper personnellement de cette affaire. De fait, je suis allé directement chez le Führer avec ce rapport.
Bien. Avez-vous reçu un rapport du juge principal du parti nazi, daté à Munich, du 13 février 1939, sur la procédure adoptée par le Parti dans ces questions ?
C’est exact. J’ai reçu ce rapport beaucoup plus tard.
Et au moment où vous avez nommé... je retire la question, c’est évident par les dates des documents.
Vous avez accusé réception de ce document, n’est-ce pas, à votre camarade de Parti Buch ?
C’est aussi exact.
Les seules mesures prises à la suite de ces émeutes le furent par le tribunal du Parti, n’est-ce pas ?
Pas complètement ; quelques-unes furent prises par les tribunaux de droit commun. C’est également dans le rapport.
Je demande qu’on vous montre ce rapport qui constitue le document PS-3063. Il n’est pas déposé. Puisque le document paraît n’avoir pas été apporté ici, je vous demande de faire appel à vos souvenirs.
Je le connais très bien.
Je le pense aussi.
Non, parce qu’il m’a été soumis ici, avant.
Oui, on ne vous l’a pas caché. Tout d’abord, le tribunal du Parti rapporta que Ton comprenait probablement. je cite : « ... par tous les membres du Parti présents, par instructions orales du directeur de la Propagande du Reich, que le Parti ne devait pas apparaître ostensiblement comme l’initiateur des manifestations mais qu’il devait, en réalité, les organiser et les exécuter ». Est-ce bien le rapport du tribunal du Parti ?
Le tribunal du Parti a établi que le chef de la Propagande, le Dr Goebbels, avait donné ces instructions. Puis-je demander s’il s’agit d’un rapport du mois de mars ou avril 1939 ?
La date est 13 février 1939.
Oui, c’est exact. C’est bien le résultat de l’enquête qui a suivi les événements.
Bon. Maintenant, à la suite de ces émeutes, le tribunal du Parti ne vous a-t-il pas aussi rapporté que le tribunal suprême du Parti se réservait le droit d’enquêter au sujet des meurtres, des mauvais traitements et des attentats aux mœurs et qu’il demandait au Führer d’arrêter toutes les procédures menées contre les personnes que le tribunal ne jugeait pas coupables de ces infractions ?
C’est exact.
Et le tribunal du Parti était constitué de Gauleiter et de chefs de groupes du Parti ?
Le tribunal du Parti changeait. A cette époque, je ne peux pas affirmer sans voir le document qui composait le tribunal du Parti. Je vois qu’on m’apporte ce document.
J’attire votre attention sur la page 4, à la fin, où le rapport s’exprime ainsi :
« Les Gauleiter et les chefs de groupes des services fonctionnaient comme jurés aux procès et aux jugements. »
Oui, les jurés du tribunal du Parti étaient pris dans ces catégories, selon leur importance. Je voulais seulement dire que je ne connaissais pas les personnes qui y avaient pris part.
Bien. Le tribunal du Parti trouva cinq personnes coupables de crimes, n’est-ce pas ? Le premier, un membre du Parti, d’attentat aux mœurs et de crime racial. Il fut chassé. Est-ce exact ?
Et traduit devant une juridiction répressive. Ceci figure dans la dernière phrase.
Bien. Deuxième cas, un autre membre du Parti fut soupçonné de crime racial et fut chassé du parti nazi.
Chassé pour soupçon de vol et de crime racial et traduit devant une juridiction de droit commun.
Bien. Et le deuxième, Gustave, fut chassé du Parti et des SA pour vol. Est-ce exact ?
Vous êtes au n° 3.
J’ai au n° 2, Gustave, le premier nom mentionné.
Gustave est le premier nom — Gerstner oui — pour vol, traduit devant juridiction de droit commun pour soupçons de crime racial.
Le n° 3 concerne deux expulsions de membres du Parti pour attentat aux mœurs contre une Juive ; ils furent mis en détention.
Exclus de la NSDAP et mis en détention. Ils furent également traduits devant les tribunaux civils plus tard. Je le sais très bien.
Maintenant, cas n°4 et 5. Le premier, un homme, membre du Parti et des SA, fut condamné à trois ans d’interdiction de service pour faute disciplinaire : avoir tué le couple juif Selig contrairement aux ordres. Est-ce exact ?
C’est exact.
Et dans le dernier cas, l’auteur fut condamné à trois ans d’interdiction de service pour avoir fusillé un Juif de 16 ans, contrairement aux ordres, après la fin des opérations. Est-ce exact ?
C’est exact.
Nous en venons maintenant aux cas des assassinats des Juifs, où la procédure fut arrêtée ou des peines légères infligées. Je n’entrerai pas dans les détails, mais il est un fait : seules des peines légères furent infligées par le tribunal suprême du Parti pour des assassinats de Juifs, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
Veuillez passer à la page 8 maintenant.
Un moment, s’il vous plaît.
J’attire votre attention sur les cas 3 à 16.
Quelle page, s’il vous plaît ?
... 9, je crois. Le tribunal suprême du Parti demande au führer d’annuler la procédure devant les tribunaux criminels de droit commun.
« Niederzuschiagen » ne veut pas dire annuler. Une procédure peut être « niedergeschiagen ». En allemand c’est quelque chose de différent. Ce n’est pas la même chose qu’annuler.
Bien, donnez-nous votre version et dites-nous ce que vous entendez, ce que signifie annuler une procédure ? Est-ce que cela signifie mettre fin ?
Cela veut dire ce que le mot exprime, mais cette mesure ne peut être ordonnée que par une autorité compétente ; c’est-à-dire que le führer peut à tout moment annuler une procédure par voie d’amnistie. Le cabinet pouvait à tout moment prendre une décision tendant à annuler une procédure ; la supprimer serait illégal. En Allemagne, « niedergeschiagen » est un terme juridique signifiant « suspendre ».
Une autre question : on vous a aussi, n’est-ce pas — je me réfère à la page 11 — rapporté ce qui suit :
« Le public, jusqu’au dernier homme, comprend que des émeutes politiques comme celles du 9 novembre ont été organisées et dirigées par le Parti. Pour que toutes les synagogues soient incendiées en une nuit, il fallait une organisation unique et cela ne pouvait avoir été accompli que par le Parti. »
Ceci figurait aussi dans le rapport du tribunal suprême du Parti, n’est-ce pas ?
Je ne l’ai pas encore trouvé. Ce n’est pas la même page que la mienne.
Trouvez-la et ne faisons aucune erreur à ce sujet. Page 11, je crois que ce peut être au bas de la page 10.
Oui, je viens de la trouver.
Ai-je donné une traduction correcte ?
C’est exact.
Ne serait-ce pas le moment de suspendre l’audience ? Avant de suspendre, allez-vous déposer les documents que vous avez soumis au témoin ? Ceux qui ne sont pas déjà déposés.
Bien, Ils devraient l’être, Votre Honneur, je le ferai.
Je crois que le document PS-3575 a peut-être été proposé hier mais n’a pas, à proprement parler, été déposé. De même pour le PS-3063 aujourd’hui et encore un autre dont je n’ai pas le numéro.
Je vous remercie de me l’avoir signalé.
Monsieur le Président... Je demande, à votre Tribunal, de bien vouloir autoriser l’accusé von Ribbentrop à ne pas assister à l’audience de demain, afin que je puisse discuter avec lui de questions très importantes en vue de préparer la défense.
Docteur Horn, votre intention, si je l’ai bien comprise, est que l’accusé Ribbentrop ne se rende pas à l’audience demain matin, ce qui vous permettrait de vous entretenir avec lui en ce qui concerne la préparation de sa défense. Est-ce exact ?
Oui.
Le Tribunal n’a aucune objection à faire à ce sujet, à condition que vous vous entendiez avec un autre avocat, afin que celui-ci se charge des intérêts de l’accusé Ribbentrop si une question quelconque s’élevait. Le Tribunal ne désire pas que vous puissiez vous présenter par la suite et dire que vous et l’accusé Ribbentrop étiez absents du Tribunal et que vous puissiez faire des objections parce qu’un fait se serait produit pendant votre absence. Vous avez compris ce que je viens de dire ?
Oui, Monsieur le Président, et je puis vous donner l’assurance que nous n’élèverons pas de protestation de ce genre et que je prierai un de mes collègues d’assurer ma représentation.
Le Tribunal ne fait aucune objection à ce que vous adoptiez cette méthode, mais naturellement vous vous rendez bien compte que le Procès ne peut pas être retenu par aucun délai qui pourrait résulter dans l’avenir du fait de votre absence.
Monsieur le Président, l’objet de ma demande est tel qu’il m’aidera à éviter de futurs délais.
Oui. Je comprends tout à fait ce que vous voulez dire. Je disais qu’en vous autorisant à agir ainsi, ce qui est parfaitement raisonnable, le Tribunal indique simplement qu’il n’accordera aucun nouveau délai à l’avenir. Le Procès doit continuer.
Oui, Monsieur le Président. Merci.
Le du 12 mars 1933, cite un discours que vous avez prononcé à Essen, le 11 mars 1933 et qui contient ce qui suit — je veux rafraîchir votre mémoire en attirant votre attention sur ce passage — :
« On me dit que je dois employer la police. Certainement j’utiliserai la police sans pitié chaque fois que le peuple allemand sera lésé ; mais je refuse d’admettre que la police constitue des troupes de protection pour les boutiques juives. Non ! La police protège quiconque entre en Allemagne légitimement, mais elle n’a pas pour but de protéger les usuriers juifs. »
Avez-vous dit cela ?
A quelle date placez-vous cela ?
Avez-vous dit cela le 11 mars 1933 dans un discours à Essen, ces mots ou en substance ce que je viens de dire ?
C’est exact, mais les circonstances étaient différentes. Avant de répondre, je voudrais vous demander si vous avez terminé l’examen du document qui m’a été présenté. Je n’ai donné aucune explication et je demanderai à mon avocat de me poser des questions au sujet de ce document ultérieurement.
C’est bien. Après les émeutes des 9 et 10 novembre, vous avez dit que vous aviez convoqué une réunion le 12 novembre, que vous aviez ordonné à tous les fonctionnaires intéressés d’être présents et que le führer avait insisté pour que Goebbels soit présent.
Oui, tous les chefs de services économiques.
Pouvez-vous nous dire qui était présent outre vous-même et Goebbels ?
Il y avait, si je me souviens bien, pour faire leur rapport : le chef de la Police secrète d’État, le ministre de l’Intérieur, le ministre des Finances, le ministre de l’Économie...
Voulez-vous les nommer afin qu’il ne puisse y avoir de malentendus quant aux personnes qui occupaient les fonctions à l’époque ?
Je ne puis les nommer que d’après ma mémoire. Étaient présents pour rapporter les événements le chef de la Gestapo de Berlin, Heydrich ; le ministre de l’Intérieur, Dr Frick.
Vous avez déjà mentionné le Dr Goebbels ; le ministre de l’Économie, Funk ; le ministre des Finances, baron Schwerin Krossigk. Il y avait également Fischboeck qui venait d’Autriche.
Ce sont là les noms dont je me souviens pour le moment ; il se peut qu’il y en ait eu quelques autres encore.
Hilgard, représentant les compagnies d’assurances, était également présent à une partie de la conférence, n’est-ce pas ?
Il fut appelé et il attendit. Son opinion fut demandée au sujet de questions spéciales.
On vous a montré au cours de votre interrogatoire les procès-verbaux sténographiés de cette réunion, document PS-1816, déposé comme preuve sous le n° USA-261, n’est-ce pas ?
Oui.
Je demande qu’il vous soit présenté afin qu’il n’y ait pas de malentendu au sujet de la traduction.
Vous avez ouvert la réunion par cette déclaration : « Messieurs... » Je pense qu’il vaudrait peut-être mieux donner des explications au sujet de cette réunion. Elle a eu lieu le 12 novembre 1938 au bureau du ministère de l’Aviation du Reich ; c’est exact, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous avez ouvert la réunion ainsi :
« Messieurs, la réunion d’aujourd’hui a un caractère décisif. J’ai reçu une lettre écrite sur ordre du führer par le chef de cabinet de l’adjoint au führer, Bormann, demandant que la question juive soit, une fois pour toutes, coordonnée et résolue d’une façon ou d’une autre ». Est-ce exact ?
Oui, c’est exact.
Plus bas, je trouve ceci :
« Messieurs, j’en ai assez de ces démonstrations qui ne font pas de mal aux Juifs, mais à moi, la plus haute autorité pour l’économie allemande. Si aujourd’hui une boutique juive est détruite, si des biens sont jetés dans la rue, la compagnie d’assurances payera le dommage au Juif, de telle façon qu’il ne subira plus aucun préjudice. De plus, les biens de consommation, les biens qui appartiennent au peuple sont détruits. Si à l’avenir ces démonstrations se produisent, et si elles sont nécessaires, alors je demande qu’elles soient dirigées de façon à ne pas nous faire du tort. » Est-ce exact ?
Oui, tout à fait exact.
Je saute deux ou trois paragraphes et j’en viens à ceci.
Mais vous avez omis la phrase suivante.
Bien. Vous pouvez compléter comme il vous semblera bon.
« Et je veux que l’on agisse de sorte qu’on ne nuise pas à soi-même, car il serait fou de vider et d’incendier un magasin juif parce que cela nuirait à la compagnie d’assurances, de couvrir les dommages et de payer pour des marchandises dont j’ai besoin. Alors, je pourrais tout aussi bien prendre et incendier les matières premières dès leur arrivée. »
C’est exact. Vous pouvez lire toute partie qu’il vous semblera bon de lire, outre ce que je citerai moi-même.
« Je ne vais pas tolérer une situation dans laquelle les compagnies d’assurances allemandes sont les seules à souffrir. Pour prévenir cela, j’userai de mon autorité et je promulguerai un décret. Naturellement, je demande le soutien des services gouvernementaux compétents afin que tout soit réglé convenablement et que ce ne soient pas les compagnies d’assurances qui pâtissent.
« Mais un autre problème surgit : il se peut que ces compagnies d’assurances se réassurent dans les pays étrangers. Si c’est le cas, je ne veux pas y renoncer parce qu’elles introduisent des devises étrangères. Cette question doit être approfondie. Pour cette raison, j’ai demandé à M. Hilgard, des compagnies d’assurances, d’être présent parce qu’il est le mieux qualifié pour nous dire dans quelle mesure les compagnies sont protégées par la réassurance contre des dommages de cette nature. Je ne veux pas renoncer à cela, quelles que soient les circonstances. »
Est-ce exact ?
C’est absolument exact.
« Je ne veux laisser aucun doute subsister quant au but de la réunion d’aujourd’hui, Messieurs. Nous ne sommes pas réunis simplement pour bavarder mais pour prendre des décisions, et je demande aux bureaux compétents de prendre toutes les mesures pour l’élimination des Juifs de l’économie allemande. »
Oui, c’est exact.
Je passe ensuite un long paragraphe, à moins que vous ne désiriez vous-même le citer, et j’en viens à cette déclaration :
« Les représentants de l’État estimeront la valeur de l’affaire et décideront quelle somme les Juifs recevront. Naturellement, cette somme devra être fixée aussi bas que possible. Les représentants de l’État transféreront ensuite l’affaire entre les mains d’aryens. Le but est ainsi atteint, en tant que l’affaire est remise au juste propriétaire ; sa clientèle et son bilan n’en sont pas atteints.
« Mais ici commencent les difficultés. On comprendra aisément que des tentatives seront effectuées pour avoir des membres du Parti dans toutes ces boutiques et obtenir ainsi quelque compensation. J’ai assisté à des choses terribles dans le passé ; de petits chauffeurs de Gauleiter ont profité tellement de ces transactions qu’ils ont amassé maintenant un demi-million. Vous, Messieurs, vous le savez. Est-ce exact ? » Et ils approuvèrent.
Oui, j’ai dit cela.
Voulez-vous lire autre chose se rattachant à ce que j’ai dit ?
Seulement la dernière phrase :
« Ce sont naturellement des choses qui ne peuvent pas être permises et je n’hésiterai pas à intervenir impitoyablement dans ces opérations en sous-main. S’il s’agit d’une personnalité importante, je me rendrai auprès du Führer et je lui rapporterai ces infâmes agissements de façon tout à fait impartiale. »
C’est-à-dire que, si un individu essayait de profiter en s’appropriant des biens juifs... Est-ce cela que vous voulez dire ?
Par l’aryanisation.
Je citerai un autre passage :
« En d’autres termes, il faut agir par une transaction d’affaires normales. L’un vend son affaire et l’autre l’achète. S’il y a des membres du Parti parmi les acheteurs éventuels, ils doivent avoir la préférence s’ils remplissent les mêmes conditions. Viendront d’abord ceux qui ont souffert des dommages ; ensuite, on doit choisir sur le plan de l’appartenance au Parti.
Je saute une ligne ou deux :
« Ces membres du Parti doivent avoir la possibilité d’acheter l’affaire pour le prix le plus bas possible. Dans ce cas, l’État ne recevra pas le montant global mais seulement la somme que le Juif a reçue. »
Est-ce exact ?
Un instant, s’il vous plaît, je crois que vous avez sauté quelque chose.
Oui. Si vous voulez le citer, vous pouvez le lire.
Non, je veux simplement le citer brièvement afin de ne pas prendre trop de temps. J’ai dit ce que vous avez dit vous-même, que toutes choses égales d’ailleurs, il fallait donner la préférence à un membre du Parti, le premier sur la liste étant un membre du Parti qui, autrefois, avait subi des dommages pour avoir eu sa licence annulée en raison de son appartenance au Parti. Ensuite venait le paragraphe que vous venez de lire et qui est exact.
Maintenant vous traitez longuement de la manière dont vous alliez organiser les affaires juives, est-ce exact ?
Oui.
Et ensuite vous abordez la question de l’aryanisation des usines juives ?
Oui.
Vous abordez le problème des petites usines d’abord ?
Oui.
Avez-vous trouvé l’endroit où vous abordez la question des usines ?
Oui, je l’ai trouvé.
« En ce qui concerne les entreprises petites et moyennes, deux choses devront être posées clairement :
d’abord, quelles sont les usines dont je n’ai pas besoin et qui peuvent être fermées ? Ne pourraient-elles pas être utilisées dans un autre but ? Sinon, ces usines seront immédiatement supprimées. En second lieu, au cas où l’usine est nécessaire, elle sera transmise à des aryens de la même façon que les magasins. »
C’est exact, n’est-ce pas ?
Oui.
Voulez-vous en dire davantage sur ce sujet ?
Non, ce sont là les éléments de base pour les lois.
Maintenant j’attire votre attention sur le deuxième paragraphe. « Prenons maintenant le cas des grandes usines ». Avez-vous trouvé cela ?
Oui.
En traitant des grandes usines, ne dites-vous pas que la solution est très simple, que les usines peuvent être compensées de la même manière que les boutiques, c’est-à-dire à un prix que nous déterminerons, et que le représentant de l’État prendra tous les intérêts du Juif ainsi que ses actions, et qu’à son tour il les vendra ou bien les transférera à l’État, comme bon lui semblera.
C’est-à-dire que toute personne ayant des intérêts dans l’usine recevra une compensation à un taux fixé par nous.
Et la compensation sera remise au représentant de l’État, n’est-ce pas ?
Oui, au représentant de l’État. La chose était tout à fait simple : le Juif abandonnait sa propriété et il recevait des obligations. L’administrateur réglait cela par des obligations de 3%.
Nous en venons à l’endroit où vous traitez des Juifs étrangers, vous souvenez-vous de cela ?
Oui.
A ce sujet, un représentant du ministère des Affaires étrangères a demandé la permission de participer, au nom du ministère des Affaires étrangères. Est-ce exact ?
Oui.
Nous passons maintenant à la partie de la conversation entre vous-même et Heydrich.
Un instant, s’il vous plaît. Il manque une partie des procès-verbaux. Bien. J’ai trouvé l’endroit où Heydrich est mentionné pour la première fois.
Vous avez demandé combien de synagogues avaient été effectivement incendiées et Heydrich répondit qu’« en tout il y en avait environ 101 détruites par l’incendie, 76 démolies et 7500 boutiques démolies dans tout le Reich ». Est-ce exact ?
Oui.
Ensuite le Dr Goebbels intervint :
« Je suis de l’avis de profiter de ces faits pour dissoudre les synagogues ». Et vous avez eu alors une discussion sur le problème de la dissolution des synagogues, n’est-ce pas ?
Oui, par le Dr Goebbels.
Et ensuite le Dr Goebbels a soulevé le problème des voyageurs juifs dans les trains ?
Oui.
Voyez si je cite correctement le dialogue entre vous et le Dr Goebbels sur ce point. Le Dr Goebbels dit : « En outre, je conseille que les Juifs soient éliminés de tous les postes publics où ils pourraient jouer un rôle de provocateurs. Il est encore possible pour un Juif de partager un compartiment de wagon-lit avec un Allemand. Par conséquent, il nous faut un décret du ministre des communications du ’ Reich stipulant que des compartiments séparés seront mis à la disposition des Juifs. Si ces compartiments sont occupés, les Juifs ne pourront pas réclamer une place. Ils pourront seulement occuper des compartiments séparés quand tous les Allemands se seront assurés des places. Ils ne se mélangeront pas aux Allemands et, s’il n’y a plus de place, ils seront obligés de se tenir debout dans le couloir ». Est-ce exact ?
Oui, c’est exact.
« Göring. — Je crois qu’il serait plus raisonnable de leur donner des compartiments séparés. » — « Goebbels. — Non, pas si le train est déjà bondé ». — « Göring. — Un instant. Il y aura simplement un wagon juif et si celui-ci est plein les autres Juifs devront rester chez eux ». — « Goebbels
Mais supposons qu’il n’y ait pas beaucoup de Juifs se rendant, mettons à Munich, dans un grand express. A supposer qu’il n’y ait que deux Juifs dans le train et que les autres compartiments soient bondés ;
ces deux Juifs auraient alors un compartiment pour eux seuls. Le décret doit déclarer que les Juifs ne peuvent avoir droit à une place tant que tous les Allemands ne seront pas assis ».« Göring
Je donnerai aux Juifs un wagon ou un compartiment et si un cas tel que vous le présentez se présente et que le train soit bondé, croyez-moi, nous n’aurons pas besoin d’une loi. Nous les mettrons dehors et ils resteront dans les cabinets pendant tout le voyage ». Est-ce exact ?
Oui, j’étais irrité quand Goebbels venait discuter de petits détails lorsqu’il s’agissait d’établir des lois importantes. J’ai refusé de faire quoi que ce fût. Je n’ai promulgué aucun décret ou loi à ce sujet. Évidemment, pour le Ministère Public, il est très agréable de lire cela aujourd’hui, mais je désire déclarer qu’il s’agissait d’une séance très animée pendant laquelle Goebbels a constamment fait des demandes qui sortaient du domaine économique, et c’est pour cela que j’ai employé ces expressions pour donner un exutoire à mes sentiments.
Goebbels, qui était assez radical sur ce point, dit que les Juifs devaient être debout dans les couloirs et vous avez dit qu’ils pouvaient se tenir dans les cabinets. C’est la façon dont vous l’avez dit ?
Non, ce n’est pas exact. J’ai dit qu’ils devaient avoir des compartiments spéciaux et, comme Goebbels n’était pas encore satisfait et qu’il faisait des réflexions, je lui ai dit à la fin : « Je n’ai pas besoin de lois. Ils peuvent ou bien s’asseoir dans les toilettes, ou bien ils peuvent quitter le train » Ce sont des propos échangés à ce sujet mais qui n’avaient rien à voir avec l’importance mondiale du grand conflit.
Voyons le moment où le Dr Goebbels a abordé le problème des forêts allemandes.
Un moment, s’il vous plaît. Goebbels réclama un décret qui interdirait aux Juifs de se rendre dans les stations climatiques allemandes. J’ai alors répondu : « Donnons-leur leurs stations propres ». Ce à quoi il répondit : « Mais on peut se demander si l’on doit vraiment leur réserver des stations ou bien mettre à leur disposition des plages allemandes, mais pas les meilleures, afin que les gens puissent dire : « Vous donnez aux Juifs la « possibilité d’être en bonne forme en leur donnant nos stations « climatiques ». « II faudra aussi se demander s’il ne conviendrait pas d’interdire aux Juifs l’accès des forêts allemandes. On voit très souvent les Juifs se promener dans le Grunewald ; c’est une provocation constante », etc. Comme Goebbels revenait encore à la charge, je lui répliquai d’une manière un peu crue : « Alors nous leur réserverons une certaine partie de la forêt », puisqu’il désirait les chasser du reste de la forêt. J’ai fait alors la remarque qui semble vous intéresser beaucoup.
Voyons cette remarque. Est-il exact que vous ayez dit : « Nous donnerons aux Juifs une partie de la forêt et Alpers verra à ce que les animaux qui ressemblent aux Juifs — l’élan a le museau crochu — aillent dans l’enclos juif et s’y installent » ? Est-ce que vous avez dit cela ?
Oui, j’ai dit cela, mais il faut comprendre en essayant d’imaginer l’atmosphère de toute cette séance. Goebbels revint sur sa phrase et dit qu’il considérait mon attitude comme une provocation. Je peux dire que j’étais provoqué par son insistance sue des choses peu importantes alors que des questions décisives étaient discutées.
Maintenant nous en venons au point où vous avez demandé à M. Hilgard, des compagnies d’assurances, d’entrer. Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui.
Alors, vous avez fait une déclaration à M. Hilgard quand il entra : « La position est la suivante : En raison de la colère justifiée du peuple contre les Juifs, le Reich a souffert un certain nombre de dommages. Des vitres ont été brisées, des marchandises ont été détruites, des synagogues incendiées ; je suppose que beaucoup de Juifs sont également assurés contre les dégâts commis par des désordres publics ? » — « Hilgard. — Oui. » — « Gôring
S’il en est ainsi, la situation suivante se présente : le peuple, dans sa colère justifiée, voulait faire du tort aux Juifs, mais ce sont les compagnies d’assurances allemandes qui doivent dédommager les Juifs pour les dégâts subis. Cette situation est assez simple. Il suffit que je promulgue un décret à cet effet, que les dégâts résultant de ces émeutes ne soient pas payés par les compagnies d’assurances. »
Est-ce que vous avez dit cela ?
Oui, j’ai dit tout cela.
Hilgard exposa alors trois sortes de type d’assurance. Il vous fit remarquer qu’il faudrait au moins payer les prix des vitres, que la majorité des victimes était des aryens propriétaires des bâtiments et que les Juifs étaient seulement des locataires. Est-ce exact ?
Oui, il s’agit là des détails de la discussion.
Et Hilgard a dit : « Puis-je attirer votre attention sur les faits suivants : les vitres ne sont pas fabriquées par l’industrie allemande mais entièrement par l’industrie verrière belge ? La valeur approximative à laquelle s’élèvent ces dégâts est de 6 000,000 de Mark. C’est-à-dire que nous aurons à payer aux propriétaires, qui pour la plupart sont des aryens, des polices d’assurances, environ 6.000.000 de Mark d’indemnités. »
Avant de quitter cette page. Monsieur Justice Jackson, dans le troisième paragraphe, par un souci de précision, il me semble que le nom de M. Hilgard est mal placé, n’est-ce pas, parce qu’il semble à la fois poser une question et y répondre.
Bien, je crois que cela est...
Probablement c’est l’accusé Göring qui a posé la question... C’est le troisième paragraphe sur ma feuille.
Je prends le procès-verbal pour lire que lorsque Hilgard se présenta, Göring lui adressa la parole comme « M. Hilgard ».
Oui, je vois.
Mais cela est exact, comme Votre Honneur le propose.
Je désire souligner ce qui a été dit précédemment au sujet des vitres cassées. Goebbels dit : « Les Juifs doivent payer les dommages » et j’ai répondu : « Cela n’a aucun sens, nous n’avons pas de matières premières, tout cela est du verre étranger. Autant demander la lune. Cela demandera des devises étrangères ». Puis viennent les déclarations de Hilgard que vous venez de citer.
Oui, et Hilgard a souligné que le montant des dégâts équivalait à la production d’une demi-année des usines belges de vitres : « nous croyons que les manufactures nous demanderont six mois avant de nous livrer les vitres ». Vous souvenez-vous de cela ?
Oui.
Passons maintenant au point où Hilgard vous parle d’une boutique dans la « Unter den Linden » qui a été l’objet d’une attaque. Trouvez-vous le passage ?
Il dit : « Le cas le plus important dans ce domaine est le cas du Markgraf, « Unter den Linden ». N’est-ce pas cela ?
C’est exact.
Oui.
« Les dégâts qui nous ont été signalés s’élèvent à 1.700.000 Mark, parce que tout a été complètement démoli ». Est-ce exact ?
Oui.
« Göring Daluege et Heydrich, il faudra que vous organisiez des expéditions pour récupérer ces bijoux ». Est-ce l’ordre que vous avez donné ?
Oui, naturellement, les biens volés devaient être rapportés.
A vous, non aux Juifs ?
Non, pas à moi personnellement, je m’excuse, c’est tout à fait clair.
Rapportés à l’État, vous n’aviez pas l’intention de les rendre aux Juifs ?
Il n’en est pas question dans ce passage mais seulement du fait que les biens devaient être rapportés.
« Nous essayons de rapporter le butin », comme l’a dit Heydrich, n’est-ce pas ? Et vous avez ajouté : « Et les bijoux ».
Si on pille une grande bijouterie, on doit prendre des mesures en conséquence parce qu’avec ces objets de valeur toutes sortes de difficultés peuvent être créées. C’est pourquoi j’ai donné l’ordre de procéder à des rafles pour ramener ces objets, de même que d’autres biens volés. Lorsqu’on procédait à l’aryanisation d’un magasin, le stock du magasin passait également entre les mains du nouveau propriétaire. Le point principal était que des actions fussent entreprises contre ceux qui avaient volé et pillé et, de ce fait, on avait déjà procédé à 150 arrestations.
Et Heydrich poursuivit son rapport sur la manière dont ces expéditions étaient menées, après que vous lui. eûtes signifié qu’il devait ramener ces bijoux :
« Il est difficile de l’expliquer. La plupart de ces objets avaient été jetés dans la rue et ramassés. De même pour les fourreurs. Par exemple, dans la Friedrichstrasse, au delà du secteur du poste de police C, la foule s’est naturellement précipitée pour ramasser les fourrures de martre et de skungs. Il sera très difficile de les récupérer. Même les enfants ont rempli leurs poches, simplement pour s’amuser. On propose que la Jeunesse hitlérienne ne soit pas utilisée pour de telles actions sans le consentement du Parti. Les objets de ce genre sont très facilement abîmés ».
Oui, c’est exprimé en ces termes.
Et Daluege suggère alors que « le Parti promulgue un ordre pour que la police reçoive immédiatement un rapport, au cas où la femme du voisin (chacun connaît très bien son voisin) aurait une fourrure remise en forme ou celui où quelque personne porterait une bague ou un bracelet neuf. Nous voudrions donc le soutien du Parti ». Est-ce exact ?
C’est absolument exact.
Alors Hilgard fit des objections à votre plan selon lequel les compagnies d’assurances devaient être dispensées du paiement des dommages.
Oui, c’est aussi exact.
Et il a donné les raisons :
« Hilgard
Si je puis donner les raisons de mes objections, c’est que notre activité s’étend largement sur le plan international. Nos affaires ont une excellente base internationale et dans l’intérêt de l’équilibre de nos échanges avec l’étranger, nous devons faire des efforts pour que la confiance dans les compagnies d’assurances ne soit pas ébranlée. Si nous devions maintenant refuser de faire honneur à ces obligations qui nous sont légalement imposées, ce serait une souillure sur l’écusson des compagnies d’assurances.
Göring
Mais il n’en serait pas ainsi si j’avais à promulguer un décret ou une loi ». Est-ce que je cite correctement ? ».
Oui, et dans sa réponse, Hilgard dit :
« C’est justement là que je voulais en venir ». Il fit remarquer que les compagnies d’assurances ne pouvaient rien faire sans une loi prévue pour cela. Si l’État souverain publiait une loi selon laquelle les indemnités d’assurance devaient être confisquées par l’État, alors les compagnies d’assurances ne seraient plus responsables.
Et maintenant j’affirme devant vous que ce n’est pas exact que, bien que vous eussiez proposé de promulguer un décret dégageant la responsabilité des compagnies d’assurances allemandes, les compagnies insistèrent pour faire honneur à leurs obligations. Alors Heydrich intervint et dit :
« De toute façon, laissons-les payer, mais aussitôt que le paiement sera effectué, le produit sera confisqué. Ainsi nous sauverons la face. » Exact ?
C’est Heydrich qui a dit cela, quant à moi j’ai promulgué une loi.
N’avez-vous pas dit alors :
« Un instant. Elles devront payer en tout cas, parce que ce sont des Allemands qui ont subi des dommages. Il y aura cependant une loi interdisant de faire des paiements directs aux Juifs. Elles devront également effectuer des paiements pour les dégâts subis, pour les Juifs, non aux Juifs, mais au ministère des Finances… Hilgard
Ah ! ah
Je viens de le dire.
Vous avez adopté la suggestion de Heydrich qui était tout à fait contraire à la vôtre ?
Non, je n’ai pas accepté la proposition de Heydrich, mais j’ai promulgué une loi selon laquelle les indemnités d’assurance dues aux Juifs devaient être payées au ministère des Finances. Je n’ai donc pas admis avec Heydrich que les indemnités devaient leur être payées et ensuite confisquées. J’ai suivi une voie légale et je n’ai pas craint de promulguer les lois utiles et de prendre mes responsabilités pour le paiement de ces indemnités à l’État, c’est-à-dire au ministère des Finances.
Bien, le Tribunal jugera, nous avons les preuves.
Hilgard, représentant les compagnies d’assurances, fit alors valoir que le montant des polices d’assurances sur les bris de glace était très important, que les assurances sur les bris de glace représentaient le plus grand actif des compagnies. Mais le montant des dommages est deux fois plus élevé que pour une année ordinaire et il fit remarquer que l’ensemble des profits des compagnies d’assurances allemandes serait absorbé, n’est-ce pas ?
Oui.
Et cela soulève aussi la question du nombre de boutiques détruites ; Heydrich en signalait 7.500, est-ce exact ?
Oui.
J’attire maintenant votre attention sur la conversation suivante. « Daluege — ... » A propos, qui était-il ?
Daluege était le chef de la Schutzpolizei (Police de sûreté).
« ... Une question doit encore être discutée. La plupart des marchandises dans les boutiques n’étaient pas la propriété du commerçant, mais étaient déposées par d’autres maisons qui les leur remettaient. Les factures non payées de ces marchandises envoyées en consignation sont maintenant envoyées par ces maisons qui ne sont certainement pas toutes juives mais aryennes.
Hilgard
Nous aurons à les payer aussi.
Göring
J’aurais préféré que vous eussiez tué 200 Juifs au lieu de détruire toutes ces marchandises.
Heydrich
Il y a eu 35 tués. »
Est-ce que je lis cela correctement ?
Oui, ceci était dit dans un moment de mécontentement et d’énervement.
Mais c’était sincère, n’est-ce pas ?
Je ne disais pas cela sérieusement. Je viens d’insister sur le fait que cela provenait de mon énervement momentané provoqué par les événements, par les destructions des marchandises et par les difficultés qui en résultaient. Il est évident que si aujourd’hui chaque mot qui a été prononcé pendant 25 ans est mis sur la balance, je pourrais moi-même vous apporter des citations autrement éloquentes.
Ensuite Funk intervint pour discuter le point de vue de l’échange avec l’étranger, n’est-ce pas ? Il a participé à la discussion pendant un certain temps, n’est-ce pas ? Je ne prendrai pas la peine de le mettre en cause.
Oui, mais tout n’est pas dans les procès-verbaux qui ne sont pas clairs sur ce point. Je regrette que les procès-verbaux soient incomplets. C’est curieux.
Je me joins à vous pour le regretter. Hilgard revint encore au sujet du profit des compagnies d’assurances, n’est-ce pas ?
Oui, naturellement.
Et vous avez fait cette déclaration. n’est-ce pas ?
« Les Juifs devront signaler les dégâts. Ils auront le remboursement de leurs compagnies d’assurances, mais ces dédommagements seront confisqués. Le résultat final sera que les compagnies d’assurances gagneront quelque chose parce que tous les dommages ne seront pas remboursés. Hilgard, vous pouvez vous estimer heureux ».
« Hilgard
Je n’ai aucune raison de le faire. Le fait que nous n’avons pas à payer pour tous les dommages est donc considéré comme un bénéfice.
Göring
Un moment. Si vous êtes obligé, d’après la loi, de payer 5.000.000 de Mark et que soudain apparaisse un ange de ma corpulence qui vous dise : « Vous pouvez garder 1.000.000 de Mark », bon Dieu, ceci ne sera-t-il pas considéré comme un bénéfice ? J’aimerais que nous fassions part égale, appelez cela comme il vous plaira. Il suffira de vous regarder, tout votre être exsudera la satisfaction. Vous devenez un gros accapareur ».
Est-ce que je cite correctement ?
Oui, naturellement, j’ai dit cela.
Nous pouvons suspendre l’audience maintenant.