QUATRE-VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Mercredi 20 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, l’accusé Hess demande l’autorisation de ne pas se présenter à l’audience cet après-midi parce qu’il désire préparer son témoignage des jours suivants. Je ne pense pas que cela retardera les débats et je prie le Tribunal de bien vouloir accéder à la demande de Hess.
Certainement, sous les mêmes conditions qu’auparavant, que vous vous mettiez d’accord avec un confrère qui représentera vos intérêts pendant votre absence.
Je ne serai pas absent, seul Hess le sera.
Très bien.
Veuillez vous reporter une fois encore au document US-261 (PS-1816), tournez à la partie n° 5 dans laquelle vous parliez des bijoux disparus chez Margraf.
Nous revenons sur ce qui a déjà été fait.
Oui, pour un moment, à la partie n° 5. Je vous renvoie à votre déclaration qui est la suivante :
« Maintenant viennent les dommages, d’abord les dommages subis par le Juif : les bijoux disparus chez Margraf, etc. Ces bijoux sont partis et ne lui seront pas remplacés. A lui d’en supporter la perte. Au fur et à mesure que les bijoux seront rapportés à la police, ils resteront propriété de l’État » Pouvez-vous trouver cela ?
Oui, c’est exact. Mais aux termes de la loi, un dédommagement s’ensuivit
A cette conférence prit part un représentant de l’Autriche, n’est-ce pas ?
Oui.
Voyez, je vous prie, sa déclaration sur l’état de choses en Autriche, environ un feuillet plus loin.
Oui.
Je vous demande donc s’il n’a pas fait, au cours de votre réunion, la déclaration suivante :
« A ce sujet nous avons déjà, en Autriche, établi un plan, Monsieur le Generalfeldmarschall. A Vienne, il y a 12 000 ateliers juifs et 5 000 commerces de détail juifs. Pour ces 17 000 commerces, il y avait un plan préparé avant la révolution nationale-socialiste. Des 12.000 ateliers, 10.000 environ devaient être définitivement fermés... »
L’interprète n’a pas suivi.
Vous avez trouvé le passage ?
Je l’ai trouvé, mais non l’interprète.
« Sur ces 12.000 ateliers d’artisans, 10.000 environ devaient être définitivement fermés et 2.000 maintenus. 4.000 sur les 5.000 magasins détaillants devaient être fermés et 1.000 maintenus, c’est-à-dire aryanisés. D’après ce plan, 3.000 à 3.500 sur les 17.000 magasins devaient être maintenus, tous les autres fermés. Cette décision avait été prise à la suite d’enquêtes faites dans chaque branche conformément aux besoins locaux, en accord avec les autorités compétentes ; ce plan est prêt à être publié dès que j’aurai le décret demandé en septembre. Ce décret nous donnera la possibilité de retirer les licences aux artisans indépendamment de la question juive. Ce sera un texte très court.
Göring
Je ferai rédiger ce décret aujourd’hui même. »
Naturellement il s’agit ici d’un décret destiné à réduire les branches du commerce trop chargées et qui, indépendamment de la question juive, aurait limité les licences de commerce. C’est ce qui ressort nettement du procès-verbal.
Continuons. Vous voulez dire au Tribunal que cela ne concernait pas les commerces juifs et n’était lié d’aucune façon à la question juive ?
J’ai dit qu’en dehors de la question juive, en raison du surnombre des commerces de détail, le nombre des détaillants aurait été réduit ; et il ressort de la phrase suivante prononcée par M. Fischböck, que vous-même venez de lire, que j’ai demandé un décret nous autorisant simplement à supprimer des licences, en dehors de la question juive. Ce devait être un texte très court. A quoi j’ai répondu : « Je ferai rédiger ce décret aujourd’hui même ».
Donc, si vous...
Naturellement, les magasins juifs devaient être éliminés en tout premier lieu, comme je l’ai dit au début.
Veuillez lire deux paragraphes plus loin, ce qui suit :
« Mais je ne crois pas que cela représenterait plus de 100 magasins, vraisemblablement moins. De cette manière, d’ici la fin de l’année, nous pourrions éliminer toutes les affaires notoirement connues comme appartenant à des Juifs.
Göring
Ce serait excellent !
Fischböck... »
Oui, c’était le sens de la conférence.
« Fischböck
Sur les 17.000 entreprises, 12.000 ou 14.000 seraient alors fermées et les autres aryanisées ou mises entre les mains d’un administrateur judiciaire.
« Göring
dois dire que ce projet est merveilleux. En opérant de cette manière, d’ici la Noël ou à la fin janvier, toute cette question serait liquidée à Vienne qui est en quelque sorte la capitale juive.
Funk
Nous pouvons également le faire ici. J’ai préparé un décret précisant qu’à partir du 1 janvier 1939 tous les commerces de gros et de détail ainsi que l’exploitation privée de tout atelier seront interdits aux Juifs. De plus, il leur est interdit de prendre du personnel ou de faire des offres de service ou de prendre des commandes. Où que nous trouvions un commerce juif, il sera fermé par la police. A partir du 1 janvier 1939, aucun Juif ne pourra plus être chef d’entreprise, comme il est prévu dans la loi pour l’organisation nationale du travail du 20 janvier 1934. Si un Juif a un poste de direction dans un établissement sans être pour cela le chef de l’établissement, son contrat pourra être résilié dans les six semaines par le chef de l’établissement. A expiration de ce délai, l’employé n’a plus aucun droit, pas même celui de réclamer une pension quelconque. C’est toujours très désagréable et dangereux. Un Juif ne peut pas faire partie d’une association. Les membres juifs d’une association devront démissionner pour le 31 décembre 1938. Une autorisation spéciale ne sera pas nécessaire. Les ministres compétents sont chargés de l’application du présent décret.
Göring
crois que nous pouvons signer cette ordonnance. »
Oui.
Laissez maintenant un assez long dialogue sur la situation à Vienne. Je vous prie de vous arrêter au passage où Funk vous demande :
« Pourquoi les Juifs ne doivent-ils plus posséder de valeurs ?
Göring
Parce qu’elles les font participer aux affaires. »
Oui, le but était de leur enlever toute participation aux entreprises. S’ils conservaient des valeurs, ils conservaient le droit, en raison de leur participation à l’entreprise en qualité d’actionnaires, de faire valoir leur volonté.
Vous avez refusé le projet de Funk, d’autoriser les Juifs à conserver leurs actions.
Oui. En lieu et place des actions, j’ai institué des reconnaissances de dettes.
Nous allons maintenant sauter plusieurs feuillets des débats, à moins que vous ne désiriez attirer notre attention sur un point particulier ; nous arrivons à l’endroit où Heydrich donne son avis. J’attire votre attention sur le dialogue suivant :
« Heydrich
Par des mesures légales, on a pu exclure au moins 45.000 Juifs.
Göring
... ».
Un instant je vous prie ; j’y suis maintenant.
« Heydrich
Par des mesures légales on a pu exclure au moins 45.000 Juifs.
Göring
Comment cela a-t-il été possible ? » Et Heydrich vous dit :
« Heydrich
Nous l’avons fait de la manière suivante : nous avons fait verser par les Juifs fortunés qui voulaient s’expatrier une certaine somme aux sociétés d’entraide juives. Avec cet argent et les paiements en devises, nous avons pu expatrier une partie des Juifs pauvres. Le problème ne consistait pas à renvoyer les Juifs fortunés, mais la plèbe juive. » Est-ce exact ?
Un instant. Je ne trouve pas ce passage, mais en principe c’est exact, oui.
Et, un peu plus loin, Heydrich fait des propositions et dit :
« En ce qui concerne la discrimination, j’aimerais proposer rapidement quelques mesures de police qui sont importantes aussi en raison de leur portée psychologique sur l’opinion publique. Par exemple, en vertu des lois de Nuremberg, toute personne juive doit porter un certain insigne. C’est une possibilité qui facilitera beaucoup d’autres choses, en particulier, nos relations avec les Juifs étrangers, et je n’y vois aucun danger d’excès.
Göring
Un uniforme.
Heydrich
Un insigne. Par ce moyen, on éviterait aux Juifs étrangers, que l’on ne peut distinguer des autres, d’être molestés.
Göring
Mais, mon cher Heydrich, vous ne pourrez pas éviter la création de ghettos dans les villes sur une très vaste échelle. Il faut les créer. » Avez-vous dit cela ?
Je l’ai dit. Il s’agissait à ce moment de rassembler les Juifs dans certains quartiers des villes car, en raison de la réglementation des loyers, il n’y avait pas d’autre moyen ; et si le port de l’insigne avait été obligatoire, chaque Juif aurait pu individuellement être protégé.
Poursuivons notre discussion. J’attire votre attention sur l’avertissement donné par Heydrich concernant les mesures qui venaient d’être discutées.
« Göring
Si nous arrivons à avoir un ghetto, nous pourrons définir quels genres de magasins y seront nécessaires et alors on pourra dire : « Toi, Juif Untel, avec les Juifs Untel et Untel, vous serez chargés de la livraison des marchandises ». Une maison de gros allemande sera alors chargée d’approvisionner le commerce juif. Cet établissement ne sera plus alors une maison de détail, mais une coopérative. Une coopérative pour les Juifs.
Heydrich
Toutes ces mesures conduisent pratiquement à la création d’un ghetto. Et je dois dire qu’à l’époque actuelle on ne devrait pas vouloir une telle chose. Mais si ces mesures sont appliquées comme elles sont prévues ici, elles conduiront automatiquement les Juifs au ghetto. »
Heydrich a-t-il donné cet avertissement ?
C’est indiqué ici, oui, mais de l’entretien qui suit il ressort que j’ai dit : « Nous en venons maintenant à ce que le ministre Goebbels a appelé les locations forcées. Maintenant, les locataires juifs vont se grouper ». Il s’agissait du groupement des locataires juifs, pour mettre fin aux inconvénients provenant des sous-locations.
Vous avez omis la réflexion de Funk à ce sujet :
« Les Juifs doivent se grouper étroitement. 3.000000 de Juifs est un bien petit nombre ; ils doivent s’entraider, car isolés, ils mourront de faim. »
Trouvez-vous ce passage ?
Oui. Mais il y a un autre passage dans le procès-verbal où il est dit nettement :
« On ne peut tout de même pas laisser les Juifs mourir de faim, c’est pourquoi des mesures nécessaires doivent être prévues. »
A la fin de la séance, vous avez dit ce qui suit :
« Je choisirais le texte suivant : la totalité des Juifs allemands sont frappés d’une contribution de 1 000 000 000 de Mark comme pénalité pour leurs crimes abominables, etc. Cela les touchera. Les cochons ne commettront pas un deuxième meurtre de si tôt. Du reste, je le répète encore : je n’aimerais pas être Juif en Allemagne ! »
Ce passage a déjà été lu.
Plaisantiez-vous aussi à ce moment ?
Je vous ai dit exactement ce qui a été à l’origine de cette amende de 1.000.000.000 de Mark.
Vous avez indiqué, à ce propos, qu’on avait empêché les chauffeurs des Gauleiter de s’enrichir par l’aryanisation des biens juifs ? C’est exact ?
Oui.
Arrivons-en maintenant à la question des œuvres d’art.
Je vous prie de vous reporter au document PS-141 (US-308). C’est le décret qui fixe l’ordre de saisie des biens artistiques juifs. Vous vous le rappelez ?
On y a fait maintes fois allusion ici. Et j’ai dit définitivement ce que j’en pensais.
Ce décret a été publié sous la forme que vous nous avez rapportée ici ?
Oui, je l’ai déjà dit.
Le paragraphe 5 parle des œuvres d’art destinées aux musées français, susceptibles d’être vendues aux enchères. Le bénéfice réalisé par l’opération devait être remis à l’État français au profit des veuves et orphelins de guerre. Vous dites que ce fait ne s’est jamais produit ?
Je n’ai pas dit que cela n’a jamais eu lieu. Mais c’était l’intention que j’avais exprimée dans ce décret.
Mais je vous demande maintenant si c’est arrivé une fois ?
Autant qu’il s’agit du paragraphe 5, je ne puis le dire. Je ne puis émettre un avis que sur les comptes qui se rapportent au paragraphe 2 ; c’est une chose que j’ai déjà indiquée et que j’ai fixée après les évaluations. J’ai déjà clairement déclaré que le montant était disponible et que j’avais, à plusieurs reprises, demandé sur quel compte il devait être inscrit. Et j’ai fait estimer chacun de ces objets qui étaient destinés à la collection que j’avais l’intention de rassembler.
Où ce dépôt a-t-il été effectué ?
A ma banque, sous la rubrique « Fonds artistiques ».
Quelle était cette banque ?
Je ne puis le préciser ; il y avait plusieurs banques qui possédaient un compte « Fonds artistiques ». Pour cela, il faudrait que j’aie les pièces bancaires ici.
Au cours des différents interrogatoires, vous n’avez jamais pu dire à quelle banque ce montant avait été versé, n’est-ce pas ?
Je ne puis le dire, mais il suffit d’interroger ma secrétaire ; comme c’était elle qui tenait ces comptes, elle pourra vous le dire exactement.
Cette ordonnance, PS-141, a été mise à exécution par l’Einsatzstab Rosenberg, n’est-ce pas ?
Oui.
Saviez-vous qui l’a vraiment exécutée ? Connaissiez-vous Turner ?
Je n’ai pas compris le nom.
Connaissiez-vous M. Turner ?
Je connais un Turner, mais qui n’avait rien à voir avec l’Einsatzstab Rosenberg et qui, autant que je le sache, était en Yougoslavie.
Le conseiller d’État Turner n’alla-t-il pas à Paris pour s’occuper des collections d’art ?
Afin d’éviter toute erreur, je vous demande, à nouveau, si vous avez dit Turner ou Körner ?
Turner.
Körner ?
Turner.
Turner. Je ne sais pas s’il a eu affaire avec l’Einsatzstab Rosenberg.
Mais vous le connaissiez ? C’est exact ?
Oui.
Connaissiez-vous le Dr Bunjes ?
Bunjes ! Oui.
Vous le connaissiez ?
Oui.
Il avait affaire avec le ramassage du butin de la confiscation des œuvres d’art juives, n’est-ce pas ?
Je ne crois pas que le Dr Bunjes s’occupait de cela, il s’occupait d’un autre domaine artistique. Ce sont l’Einsatzstab Rosenberg et certains services de l’administration militaire qui s’occupaient de ces questions.
Afin que vous puissiez me suivre et afin de vous rafraîchir la mémoire, je vais vous faire montrer le document PS-2523 (US-783). Il s’agit d’une lettre du Dr Bunjes et je vous demande si elle peut vous aider à vous rappeler certains événements ?
« ... Le mardi 4 février 1941, à 18 h. 30, je fus, pour la première fois, convoqué au quai d’Orsay par M. le Reichsmarschall. A cette conférence était présent le Feldführer von Behr de l’Einsatzstab Rosenberg. Les mots ne peuvent décrire le ton amical de cette conférence. »
Vous souvenez-vous d’une telle réunion ?
Non, elle n’est pas tellement importante pour que je m’en souvienne, mais je ne veux d’aucune façon nier qu’elle ait eu lieu.
Le passage suivant vous aidera peut-être à retrouver vos souvenirs ?
« M. le Reichsmarschall abandonna le sujet et demanda un rapport sur l’état actuel de la saisie des propriétés artistiques juives dans les territoires de l’Ouest. A cette occasion, j’ai remis à M. von Behr les photographies des œuvres d’art que le Führer désirait avoir en sa possession. De plus, je remis également à M, von Behr les photos de celles que M. le Reichsmarschall désirait acquérir. »
Je ne puis suivre.
N’avez-vous pas trouvé le passage en question ou bien ne vous souvenez-vous plus de cette rencontre ?
Non. je n’ai pas encore trouvé le passage. Je vous prie de m’accorder un peu de temps afin que je puisse trouver la coordination de ces lettres que je n’ai pas écrites et qui ne m’ont pas été adressées.
Je veux attirer votre attention sur un autre paragraphe. Peut-être cela aidera-t-il votre mémoire ?
« ...Mercredi 5 février 1941 je fus convoqué par M. le Reichsmarschall à la salle du Jeu de Paume. A 15 heures, M. le Reichsmarschall, accompagné du général Hanesse, de M. Angerer et de M. Hofer, a visité cette salle où les œuvres d’art juives venaient d’être exposées. »
Oui, j’ai déjà précisé dans ma déposition que j’avais choisi les œuvres exposées dans la salle du Jeu de Paume. C’est exact.
Maintenant, avançons un peu. Je continue :
« Alors, M. le Reichsmarschall inspecta sous ma conduite les œuvres exposées et fit un choix de celles destinées au Führer et de celles qui devaient figurer dans sa propre collection. Au cours de cet entretien confidentiel, j’attirai à nouveau l’attention de M. le Reichsmarschall sur le fait que le Gouvernement français avait adressé une note de protestation contre l’activité de l’Einsatzstab Rosenberg en se référant à la Convention de La Haye, comprise dans les clauses de l’armistice de Compiègne, et je l’informai que le général von Stulpnagel avait une opinion opposée à la sienne sur la façon de traiter la mise en sûreté des œuvres d’art juives.
M. le Reichsmarschall se fit donner des explications détaillées et donna les ordres suivants :
1. Seuls mes ordres sont valables. Vous agissez directement sous mes ordres. Les objets d’art rassemblés au Jeu de Paume seront, sur l’ordre du Reichsmarschall, chargés dans un train spécial et envoyés en Allemagne. Ceux des objets d’art destinés au Führer et ceux que le Reichsmarschall se réserve, seront chargés dans deux wagons qui seront attachés au train spécial du Reichsmarschall à son retour en Allemagne, au début de la semaine prochaine. M. le Feldfùhrer von Behr accompagnera le Reichsmarschall dans son train spécial à destination de Berlin.
A mon objection que les juristes seraient sans doute d’un autre avis et que des objections seraient soulevées par le commandant militaire en France, M. le Reichsmarschall répondit textuellement :
Mon cher Bunjes, c’est mon affaire. Le plus éminent juriste de « l’État, c’est moi. »
M. le Reichsmarschall promit d’envoyer par courrier au commandant du centre d’administration de Paris, le jeudi 6 février, l’ordre écrit pour le transfert en Allemagne des œuvres d’art juives qui avaient été mises à l’abri. »
Eh bien, cela vous a-t-il rafraîchi la mémoire ?
Je ne m’en souviens pas du tout, mais ce n’est pas en contradiction avec l’exposé que j’ai fait sur les œuvres d’art. La seule absurdité qui s’y trouve et que je n’ai sûrement jamais dite, c’est que j’étais le plus éminent juriste de l’État, car Dieu merci, je ne l’étais pas. C’est une expression employée par le Dr Bunjes et je ne peux être ici tenu pour responsable des expressions employées par un autre sans que j’aie eu la possibilité de les rectifier. A part cela, le restant correspond à l’exposé que j’ai fait il y a peu de temps.
Les œuvres d’art furent alors chargées sur des wagons et expédiées à Berlin ? Est-ce exact ?
En partie, oui.
J’attire votre attention sur le document PS-014 (USA-784), et vous le fais remettre. Je vous prie maintenant de vous souvenir et de me dire si ce rapport au Führer correspond à votre déposition ?
« Je rends compte que le transport... »
Je désire préciser que ce rapport n’émanait pas de moi.
Je sais. Je désire seulement savoir si son contenu est exact.
« Je rends compte que le transport des objets d’art juifs sans propriétaires est arrivé à Bergungsort in Neuschwanstein, par train spécial, le samedi 15 du présent mois. Le train spécial mis à notre disposition par le Reichsmarschall Hermann Göring comprenait 25 wagons de marchandises chargés d’objets précieux : tableaux, meubles, gobelins, bijoux, etc. Le transport comprenait les pièces les plus importantes des collections Rothschild, Seligmann... et une demi-douzaine d’autres noms. »
Avez-vous trouvé le passage ? Est-ce exact ?
Je ne sais pas si c’est exact car ce rapport n’émanait pas de moi. La seule chose dont je me souvienne, c’est que l’Einsatzstab m’a prié de fournir des wagons spéciaux pour le transport des objets d’art, car le Jeu de Paume n’était pas un lieu suffisamment sûr contre les bombardements. Neuschwanstein se trouve au sud de Munich. Il s’agissait des objets destinés au Führer.
Je voudrais attirer l’attention sur la phrase suivante de ce document qui n’émane pas de moi et qui dit :
« L’opération de réquisition opérée par mon Einsatzstab a été faite à Paris en exécution de votre ordre, mon Führer, d’octobre 1940. »
Cela correspond donc avec ce que j’ai dit dans ma déposition précédente.
Voudriez-vous lire plus loin ?
Vous voulez dire :
« Outre ce train spécial, d’autres chefs-d’œuvre choisis par le Reichsmarschall, principalement dans la collection Rothschild, sont déjà arrivés à Munich par wagons spéciaux et ont été déposés dans des abris de la maison du Führer. »
Ce sont des œuvres d’art que j’avais désignées pour le Führer et qui, selon son désir, devaient être envoyées là-bas dans des abris. Elles n’ont donc rien à voir avec mes affaires ; mais je ne l’ai pas réfuté et je l’ai expliqué en détail.
Autant que je me le rappelle, lors de votre déposition devant la commission américaine pour les biens étrangers, vous avez donné la valeur de vos trésors artistiques au moment de les remettre à l’État comme s’élevant à 50.000.000 de Reichsmark. Est-ce exact ?
Ce n’est pas exact. Cette commission voulait à tout prix une évaluation ; la discussion traîna longuement. J’ai dit nettement à la commission que je ne pouvais fixer cette valeur, n’ayant pas les objets devant moi, ni de liste, et qu’il ne m’était pas possible de les avoir en tête et que, de plus, il fallait tenir compte des différences d’expertises entre la valeur commerciale et la valeur de collection. Comme, malgré mes demandes, le texte de ce procès-verbal ne m’a jamais été montré et que justement ce procès-verbal a fait l’objet de nombreux malentendus, je ne peux reconnaître que les procès-verbaux que j’ai signés.
Enfin, mettez-vous en doute le fait suivant :
« Quand j’en ai fait part au ministre des Finances, j’en évaluai la valeur, à cette époque, à 50.000.000 de Reichsmark. »
L’avez-vous dit, oui ou non ?
Je ne peux pas préciser la valeur ; j’ai seulement dit, en son temps, au ministre des Finances, que l’ensemble de mes collections, y compris mes collections personnelles, deviendrait propriété de l’État. Connaissant ma passion de collectionneur, je pensais qu’il était possible qu’il m’arrivât subitement quelque chose, que j’aurais englouti tout mon avoir, y compris mon avoir personnel, et qu’alors ma famille se trouverait dans le dénuement. C’est pourquoi j’avais demandé au ministre des Finances une pension ou une compensation quelconque pour les miens. C’était le but de mes entretiens avec le ministre des Finances, dont il peut faire foi.
Quelle partie de votre collection a été acquise après 1933 ?
Je n’ai pas compris la question.
Quelle partie de votre collection a été acquise après 1933 ?
Je ne peux le dire en détail ; toute une série de tableaux et statues.
Vous avez prétendu avoir acheté une partie de votre collection ?
Certainement.
Et à ce sujet, des renseignements sur vos transactions financières ont été pris ? Est-ce exact ?
Je ne sais pas qui a fait ces enquêtes.
N’avez-vous pas été questionné sur un montant de 7.276.000 Reichsmark provenant de la fabrique de cigarettes Reemtsma ?
Non, je n’ai jamais été questionné sur ce point.
On ne vous a jamais interrogé là-dessus ?
Non, ni sur cette somme, ni sur la fabrique de cigarettes, ni sur n’importe quoi.
Laissez-moi aider votre mémoire sur ce point. N’avez-vous pas déclaré à ces personnes ainsi qu’au colonel Amen, au cours d’un interrogatoire, que la fabrique de cigarettes vous avait remis cette somme pour la radiation d’un reliquat d’impôts ?
Non. J’ai même contesté que ce reliquat d’impôts eût été rayé. Il me souvient, à présent, que cette question m’a été posée à une autre occasion. Une partie de cette somme avait été versée par l’administration économique à l’œuvre sociale « Adolf Hitler », et ce montant avait été mis à ma disposition par le Führer pour des dépenses relatives à des questions de culture générale.
Par la fabrique de cigarettes ?
Non, pas par la fabrique de cigarettes. Tout un groupe d’industriels et de manufacturiers s’était intéressé à l’œuvre « Adolf Hitler ». M. Reemtsma entre autres, d’accord avec le Führer, m’avait remis ce montant dans le courant de l’année. Une partie de cette somme a été versée au Théâtre national, une partie pour la création d’une collection d’art et pour d’autres buts d’ordre culturel.
Bien. Le 22 décembre 1945 vous avez été entendu par la section des avoirs étrangers de la commission d’enquête américaine des cartels et avoirs à l’étranger.
A ce propos je dois nettement faire remarquer qu’on m’a demandé si j’étais prêt à faire des déclarations à cet égard, et que ces déclarations n’auraient aucune relation avec le présent Procès. Pour cette raison, la présence de mon défenseur n’était pas nécessaire. Ce fait m’a bien été spécifié et confirmé par le surveillant chef de la prison et avant l’interrogatoire. En soi-même cela m’est égal. Vous pouvez en faire acte mais, en raison de la méthode employée, je désire le signaler.
Je proteste contre la production de ces déclarations pour les raisons que vient de donner le témoin. Il y a quelque temps, vers Noël, je crois, les autorités américaines de la Trésorerie m’ont demandé si l’accusé Göring pouvait être interrogé sur la question des avoirs à l’étranger en précisant que ma présence ne serait pas nécessaire car cet interrogatoire n’avait rien à voir avec le Procès et ne devait pas être utilisé.
Je ne suis pas en mesure de le nier ou de le confirmer ; c’est pourquoi je ne poursuivrai pas cette question pour l’instant. Je ne crois pas que nous nous soyons engagés à ne pas mentionner ces faits. Je n’en ai pas été avisé, mais si un tel arrangement a été conclu, c’est en dépit du bon sens.
On vous a interrogé sur les objets d’art que vous avez reçus de Monte-Cassino ?
Oui.
Je vous demande s’il est vrai qu’une statue d’autel de l’abbaye de Monte-Cassino sur laquelle vous avez porté une appréciation élogieuse vous a été remise ?
Je suis heureux de pouvoir m’expliquer sur cette question. Après la destruction complète par les bombardements du monastère de Monte-Cassino, et sa défense par une division de parachutistes, apparut un jour une délégation apportant une statue de saint, sans aucune valeur artistique, comme dernier souvenir du monastère détruit. J’ai remercié ces gens et j’ai montré la statue au conservateur de ma collection qui la considéra également comme sans valeur. Elle est restée dans sa caisse reléguée quelque part. Les autres objets...
Je crois que le témoin ne parle pas assez fort, les sténographes ne peuvent pas l’entendre.
Les autres objets d’art de Monte-Cassino ont été, à ma connaissance, transportés de la façon suivante. Une très grosse partie, particulièrement les objets appartenant directement au monastère, a été envoyée au Vatican. Je le déduis du fait que le Prieur du cloître lui-même m’a adressé une lettre ainsi qu’à ma division, exprimant sa profonde gratitude pour cette action. Deuxièmement, les trésors artistiques du musée de Naples qui se trouvaient à Monte-Cassino ont été, autant que je me souvienne de la situation, expédiés par nos soins, pour la plus grande partie, à Venise, et mis à la disposition du Gouvernement italien. Quelques tableaux et statues ont été emmenés à Berlin et là, m’ont été remis. Le même jour, j’en ai donné une liste au Führer et, quelque temps après, je lui ai remis les objets eux-mêmes qui étaient déposés dans mon abri, afin qu’il puisse en discuter avec Mussolini Je n’ai conservé aucun de ces objets pour ma collection. Si mes troupes n’avaient pas attaqué, les trésors d’art sans prix, entreposés à Monte-Cassino et qui appartenaient au monastère, auraient été irrémédiablement détruits par le fait des bombardements ennemis, c’est-à-dire anglo-américains. De cette manière, ils ont été sauvés.
Vous dites sans valeur, sans valeur véritable ?
J’en suis persuadé encore à l’heure actuelle. Je m’en remets avant tout à l’avis de mon expert. C’est pourquoi je n’ai jamais fait déballer cette statue. Elle n’avait pour moi aucun intérêt. D’autre part, je voulais dire quelques mots aimables aux gens qui me l’avaient apportée.
Le manque de main-d’œuvre était extrême dans le Reich vers novembre 1941, n’est-ce pas ?
C’est exact.
Et c’est vous-même qui avez donné les directives pour employer les prisonniers russes, n’est-ce pas ?
Pour quel travail ?
Pour l’industrie de guerre : chars, artillerie, pièces d’avions ?
C’est exact.
C’est au cours de la conférence du 7 novembre 1941 que vous avez donné cet ordre, n’est-ce pas ?
Je ne puis dire de quelle conférence il s’agit. J’ai donné ces directives d’une manière générale.
Et ces directives étaient conçues comme suit : rechercher les prisonniers de guerre russes en dehors des frontières allemandes et les diriger d’urgence et dans l’ordre ci-après, pour y être utilisés sur les centres de travail suivants : mines, chemins de fer, industrie de guerre et fabrication d’engins blindés, artillerie et pièces de rechange pour avions, agriculture, bâtiment, etc.
Vous avez donné ces directives, n’est-ce pas ?
Si je les ai signées, c’est qu’elles émanent bien de moi, mais je ne puis me souvenir des détails.
Quel est le numéro de ce document, Monsieur Jackson ?
Je prie de montrer à l’accusé le document PS-1193.
Je ne l’ai pas encore vu. document, dont vous venez de parler...
Je n’ai pas entendu la réponse.
Pardon, on vient de me remettre un document sur l’emploi des troupes soviétiques. Est-ce là le document dont vous venez de parler ?
C’est bien cela et j’attire votre attention sur le fait que dans l’annexe signée « Göring » on s’y rapporte.
Je désire faire observer que ce document n’est pas signé par moi, mais par Körner, ce qui n’enlève rien à ma responsabilité.
Vous ne mettez pas en doute que les directives données par vous le 7 novembre 1941 sont bien celles mentionnées par Körner dans le document PS-1193 ?
Je viens de dire que ce n’est pas moi, mais Körner qui l’a signé ; et ici même c’est un jeune fonctionnaire, un conseiller qui a apposé sa signature. Je voulais seulement dire que ces faits relevant de mon ressort, j’en porte la responsabilité. Je ne l’ai pas encore entièrement parcouru. Il s’agit de directives générales et qui devaient être appliquées par les différents services. Naturellement chacune des phrases pour chaque cas particulier n’a pas été dictée par moi, mais cela ne change en rien le fait que j’en porte la responsabilité, même si je ne connais pas la teneur des phrases que j’aurais peut-être rédigées différemment. Les directives générales ont été données par mes soins et mises en vigueur par les autorités subalternes.
Et vous avez également donné l’ordre que 100.000 des prisonniers de guerre français soient choisis et mis à la disposition de l’industrie de guerre et de l’aviation ? Ces vides devaient être comblés par des prisonniers soviétiques. Le transfert des prisonniers français susmentionnés devait être terminé le 1 octobre. Vous avez donné cet ordre, n’est-ce pas ?
C’est exact. Il s’agissait principalement d’ouvriers spécialisés français qui étaient prisonniers de guerre et qui devaient devenir travailleurs libres, à condition de travailler pour l’industrie allemande d’armement. Les vides laissés dans les secteurs de travail par ces gens qui avaient jusqu’alors été employés en qualité de prisonniers de guerre, devaient être comblés par des prisonniers de guerre russes, car je considérais comme inopportun que des ouvriers spécialisés de l’industrie, par exemple, fussent employés dans l’agriculture ou dans des branches qui n’avaient rien à voir avec leurs spécialités. Ils y étaient en outre incités par le fait que ces prisonniers de guerre perdaient leur statut pour acquérir celui de travailleurs libres, s’ils acceptaient ces conditions. Ces directives émanent de moi.
Saviez-vous qu’en Allemagne des hommes avaient été enrôlés de force pour le travail ?
Ils devaient travailler.
N’avez-vous pas prononcé les paroles suivantes au cours d’un interrogatoire, le 3 octobre 1945 :
« Réponse
Je voudrais ajouter quelque chose à la dernière question de cet interrogatoire. Le colonel m’a demandé si le programme de travail forcé avait été effectif. J’ai répondu par l’affirmative, mais j’aimerais ajouter deux remarques.
Question
Bien.
Réponse
Je dois préciser que le résultat, en tant que tel, a montré une réelle efficacité, mais il se produisit un grand nombre d’actes de sabotage et également de trahison et d’espionnage.
Question
Mais vous prétendriez qu’en gros et vu du point de vue allemand, ce programme a été couronné de succès ?
Réponse
Oui ; sans cette main-d’œuvre, il est de nombreuses choses que nous n’aurions pu réaliser. »
Avez-vous prononcé ces paroles ?
Cela va de soi car, sans travailleurs, il est impossible d’effectuer un travail.
Je crois que vous n’avez pas répondu à la question. On vous a demandé si vous avez dit que la conscription pour le travail forcé avait été couronnée de succès. Qu’avez-vous à répondre ? L’avez-vous dit ?
A la question qui m’a été posée de savoir si ces travailleurs que nous avions mis à l’ouvrage avaient été efficaces, j’ai répondu que c’était exact.
On vous a présenté le document PS-3700 qui vous a été adressé par Schacht. Vous avez admis qu’il vous avait été présenté.
Oui, je m’en souviens.
Il fut un temps, n’est-ce pas, où vous vous êtes trouvé en opposition avec Schacht dans le domaine économique ?
J’ai déjà expliqué dans quelle mesure.
Vous désiriez, en cas de guerre, voir son poste supprimé, et il voulait, en cas de guerre, vous éliminer de votre poste et de vos fonctions dans l’économie ?
Pas tout à fait. La même autorité et les mêmes pouvoirs ont été au même moment confiés à deux personnes différentes. A la longue, cette situation ne fut plus possible et on devait en arriver à déterminer une fois pour toutes lequel des deux devait seul exercer ces fonctions. C’eût été particulièrement important dans le cas d’une mobilisation générale.
Dans une déclaration du 17 octobre de l’an dernier, vous avez déclaré à propos de vos relations avec Schacht et en particulier de vos divergences d’opinions :
« Je dois préciser que Schacht a toujours essayé de biaiser et de louvoyer pour s’assurer encore un nouveau poste, tandis que tous les autres ministres collaboraient d’une façon absolue. »
Avez-vous prononcé ces paroles ?
Non, pas dans ce sens, mais je voulais faire remarquer qu’au contraire des autres ministres qui suivaient à la lettre mes instructions pour le Plan de quatre ans, j’ai éprouvé avec Schacht d’autres difficultés que j’ai déjà exposées et qui résultaient de son originalité et de sa forte personnalité.
Je vous demandais si vous aviez donné cette explication dans cet esprit ou dans ces propres termes ?
Non pas dans ces propres termes, mais comme je vous le disais, dans cet esprit.
Vous souvenez-vous de la lettre que Schacht vous a adressée, le document PS-3700 ?
Oui, je l’ai lu il y a peu de temps.
Schacht ne vous disait-il pas dans cette lettre — je fais toujours allusion au document PS-3700 — « Il peut être nécessaire au point de vue militaire... » Voulez-vous voir afin de pouvoir me suivre ? « Il peut être nécessaire au point de vue militaire de mobiliser les garçons de quinze ans, mais cela constituera un gros obstacle pour la confiance que le peuple allemand possède en la victoire. Les faits que le peuple allemand voit, sont les suivants :
1. La perspective originale d’une guerre courte ne s’est pas réalisée.
2. La perspective de la défaite rapide de l’Angleterre par l’Aviation allemande ne s’est pas réalisée.
3. La proclamation suivant laquelle l’Allemagne resterait à l’abri des attaques aériennes de l’ennemi est restée sans effet.
4. Les assurances répétées que la force de résistance de la Russie était enfin à bout se sont révélées fausses.
5. Les livraisons de matériel d’armement allié à la Russie et les réserves en hommes de la Russie ont été au contraire suffisantes pour permettre des attaques continuelles et puissantes contre notre front de l’Est.
6. Notre pénétration en Egypte qui avait victorieusement commencé a fini par échouer après de nombreuses tentatives.
7. Le débarquement allié en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest qui, jusque là, avait été considéré comme impossible, a cependant eu lieu.
8. Le nombre extraordinairement élevé de navires nécessaires à ce débarquement a montré que notre arme sous-marine, malgré ses grands succès, a été incapable d’empêcher ces transports.
A cela s’ajoutent, pour chaque citoyen, des restrictions sensibles dans les domaines du ravitaillement, des transports, du matériel d’armement, du travail. La mobilisation des jeunes gens de 15 ans ne fera qu’accroître nos doutes quant à l’issue de cette guerre. »
Pouvez-vous me donner la date exacte à laquelle vous avez reçu cette lettre ?
Je ne puis que vous répéter que ce document porte la date du 3 novembre, mais l’année manque. Si vous pouviez me remettre un exemplaire indiquant l’année, je pourrais vous répondre d’une manière très exacte. J’ai déjà dit, et je le suppose en raison des événements, qu’il ne peut s’agir que de novembre 1944 ou de novembre 1943. Cette indication ne figure malheureusement pas sur ce document. Je ne puis que lire 3 novembre. L’année manque.
Savez-vous quand Schacht a été envoyé dans un camp de concentration ? A quelle date ?
Pas d’une façon exacte, mais, maintenant que vous me le rappelez, je puis préciser que cette lettre n’a pas été écrite en 1944, car je crois que M. Schacht était déjà interné en novembre 1944. Cette lettre doit donc être de novembre 1943.
Et peu de temps après vous avoir écrit cette lettre, il a été interné dans un camp de concentration. C’est bien exact ?
Non, ce n’est pas exact.
Combien de temps est-il encore resté en liberté ?
La lettre est du 3 novembre, de l’année 1943, comme nous venons de le préciser. Je n’ai entendu parler pour la première fois de l’arrestation de Schacht qu’après l’attentat contre le Führer et mon retour, qui eut lieu quelques jours plus tard, après une longue maladie ; en septembre 1944 donc. Il n’y a aucune espèce de rapport entre son arrestation et cette lettre, car lorsque je me suis renseigné sur les circonstances de cette arrestation, il m’a été dit d’une manière irréfutable qu’elle était en rapport avec les événements du 20 juillet 1944.
Avez-vous, en votre qualité de Commandant en chef de l’Armée de l’air, conclu un accord avec le Reichsführer SS, le chef de la jeunesse du Reich et le ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, sur le recrutement des jeunes Russes, Ukrainiens, Blancs-Russiens, Lituaniens et Tartares entre 15 et 20 ans ? Avez-vous à ce sujet conclu le moindre accord avec Himmler et Rosenberg ?
Je ne crois pas avoir conclu personnellement un tel accord, mais de la part de mes services c’est possible et vraisemblable.
Vous avez fait hier ou avant-hier, je crois que c’était vendredi, la déclaration suivante. Je vais rafraîchir vos souvenirs ; il s’agit de la question des réquisitions :
« Arrivons-en à la question de savoir si la propriété d’État peut être saisie. Autant que je le sache, oui. S’agissant de la propriété privée, comme on l’a exposé ici dans les rapports d’État, je puis me rappeler qu’au cours de l’hiver rigoureux de 1941-1942, les soldats allemands ont, ça et là, confisqué aux habitants des bottes en peau ou en feutre ou des peaux de mouton ; c’est parfaitement possible. En gros, il n’y avait pas de propriété privée ; c’est pourquoi elle ne pouvait pas être saisie. »
Je crois que vous avez déclaré plus loin qu’au cours de l’occupation des territoires étrangers vous n’aviez jamais pris quoi que ce fût, même pas une vis ou un boulon. Vous rappelez-vous cette déclaration ?
Parfaitement bien.
Le prétendez-vous encore à l’heure actuelle ?
Bien entendu.
Je vais maintenant vous faire remettre le document EC-317. C’est un document « Très secret » du 7 septembre 1943. Est-ce exact ?
J’ai devant moi une lettre du 21 février 1944.
Vous avez un mauvais document. Il s’agit du document EC-317, page 3.
Oui, page 3.
Nous ne nous occuperons pas de cette lettre de transmission. Votre lettre très secrète porte la date du 7 septembre 1943, n’est-ce pas ?
C’est exact.
Et elle est ainsi rédigée :
« Objet : Enlèvement des machines agricoles et destruction des moyens de production de l’économie agricole et du ravitaillement dans les régions occupées de l’Est.
J’ordonne d’après les directives du Führer :
I
Dans les régions situées à l’est de la ligne fixée par les autorités militaires supérieures, les mesures suivantes sont à prendre par paliers et en considération de la situation militaire au moment choisi. Les secteurs seront déterminés par les Commandants en chef des groupes d’armées.
1. Emmener tous les produits agricoles, tous les moyens de production et machines utilisées dans des buts économiques ou pour le ravitaillement.
2. Toutes les entreprises travaillant pour l’économie agricole et toutes les usines de transformation seront détruites.
3. Toutes les bases de la production agricole, en particulier les dépôts et installations (magasins, etc.) appartenant aux organisations responsables du ravitaillement, seront détruites.
4. La population qui s’occupe d’activités ayant trait à l’agriculture ou au ravitaillement est à transporter à l’ouest de la ligne qui aura été fixée. »
Est-ce exact ?
C’est absolument exact. Mais il me faut donner l’explication suivante. Il s’agit là exclusivement d’une mesure militaire prise au cours d’une retraite. Puis-je m’expliquer sur ces divers points ? J’ai d’abord déjà insisté sur le fait que nous avions amené en Russie un nombre extraordinaire de machines agricoles. Après la destruction totale opérée par les Russes, au cours de leur retraite, nous étions d’autant plus déterminés, au point de vue militaire, à ne pas laisser tomber entre leurs mains, sans les détruire, les machines que nous avions amenées et les installations que nous avions mises sur pied. Il s’agit là d’un ordre militaire d’une nécessité particulièrement pressante, qui a été diffusé au cours d’une retraite et qui a été exécuté de la même manière que la première fois, mais par nous alors. Il ne s’agit en rien de propriété privée.
Et il porte votre signature ?
Oui, cet ordre porte ma signature.
Monsieur le Président, Messieurs, je voudrais maintenant aborder un autre sujet.
Oui, nous allons suspendre l’audience pendant quelques instants.
Je voudrais que l’on montre au témoin le document PS-3786 ; nous n’en avons aucune copie car nous venons de le recevoir à l’instant. Je vous prie de parcourir ce document et de me dire si vous vous souvenez de la conversation qui est rapportée dans ce procès-verbal.
Il s’agit là vraisemblablement d’un rapport sur la situation tel qu’il s’en déroulait une ou deux fois par jour chez le Führer. Je ne puis, sans avoir lu ce document, me souvenir d’une façon exacte ou même approximative de ces événements du 27 janvier 1945, car cette situation se reproduisait une ou deux fois par jour ; j’ai, dans le courant de la guerre, participé à d’innombrables conversations de ce genre.
J’attire votre attention sur un point particulier de ce procès-verbal. Il signale que le Führer, vous-même, Keitel et Jodl étaient présents. Est-ce exact ?
C’est ce que montre la notice qui accompagne cet entretien.
Je vous demande de vous reporter à la page 31, de parcourir avec moi ce compte rendu et de me dire s’il rafraîchit vos souvenirs. Il se rapporte à 10.000 officiers aviateurs prisonniers et je cite les passages qui vous sont attribués :
« Göring
10.000 officiers aviateurs prisonniers se trouvent à Sagan. La garde est assurée par le Commandant en chef de l’armée de réserve. Le personnel de garde et le personnel destiné au transport font défaut. On s’est demandé si l’on ne devait pas laisser ces prisonniers aux alliés russes. Ils récupéreraient 10.000 aviateurs.
Le Führer
Pourquoi ne les avez-vous pas transportés plus tôt ? C’est une ignominie sans précédent.
Göring
C’est la tâche du commandant de l’armée de réserve. Nous n’avons rien à voir avec cela. Je ne puis qu’en rendre compte.
Le Führer
Ils doivent partir, dussent-ils aller à pied. Le Volkssturm y veillera. Quiconque tentera de fuir sera abattu. Il faut y arriver par tous les moyens.
Göring
Il faut les emmener de Sagan où se trouvent 10.000 hommes.
Guderian
Suivant le processus du transfert, la quatrième division blindée a complètement fait mouvement ainsi que la 227 division ; le reste de la 32 division fait actuellement mouvement. Le Quartier Général du 3 corps blindé SS arrivera dans la nuit d’aujourd’hui à demain, et de demain à après-demain la division Hollande qui vient d’être retirée. Des éléments de cette division Hollande viennent d’être retirés du front.
Le Führer
Est-ce que vous recevez maintenant des éléments de remplacement ? L’opération est-elle en cours ?
Guderian
Fegelein s’en occupe. Il vient d’ordonner que ces éléments soient immédiatement relevés.
Le Führer
Il est parfaitement clair que le groupe d’armées de la Vistule n’a plus rien en dehors du corps Nehring, et de ce qu’il a sur la Vistule. Cela doit être organisé. Une partie viendra d’ici, le reste d’Allemagne. Cela doit être fait. En dépit de tout.
Göring
Combien faut-il de wagons à bestiaux pour transporter 10.000 hommes ?
Le Führer
Si nous les transportons selon le point de vue allemand, nous avons besoin d’au moins vingt trains pour 10.000 hommes. Si nous faisons appel au point de vue russe, nous en avons besoin de cinq ou de trois.
Göring
Retirez les pantalons et les chaussures afin qu’ils ne puissent s’enfuir dans la neige. »
Vous souvenez-vous de cet incident ?
Je ne puis me souvenir que très faiblement de cet incident. Après avoir répondu à votre question, je voudrais donner une courte explication sur la valeur de ce document.
J’ai cru comprendre que ce document venait de vous parvenir. Mais longtemps avant le début de ce Procès j’ai été interrogé sur ce document et j’ai déjà, à maintes reprises, attiré l’attention sur le fait que, au cours de l’enregistrement des paroles, deux sténographes travaillaient en même temps et que cette situation s’est souvent prolongée pendant quatre ou cinq heures. C’est pourquoi ces sténogrammes devaient toujours être repris ultérieurement, ce qui explique qu’en raison de l’absence de nombreuses personnes, des erreurs particulièrement nombreuses et graves se sont glissées dans ces relations qui font que les déclarations faites par une personne sont souvent rapportées dans ces procès-verbaux comme émanant d’autres personnes. A ce moment-là j’ai déjà déclaré que je ne pouvais me souvenir de ces déclarations et que j’étais convaincu que je n’en avais fait aucune de cette sorte. Il ne s’agissait là que de la préparation des moyens qui devaient être utilisés pour le transport.
Je dois préciser que vous avez déjà été interrogé sur cet incident, mais non pas sur ce procès-verbal.
En ce qui concerne ce procès-verbal et cet incident, il a été spécialement spécifié qu’il s’agit d’une copie à la machine d’un communiqué sur la situation et je me suis déjà, à l’époque, exprimé dans des termes semblables. Il est exact qu’il ne m’a pas été présenté à ce moment-là.
Il ne s’agit pas d’une copie à la machine, mais d’un sténogramme ordinaire.
Vous êtes également mentionné à la page 35. Je vous prie de vous reporter à ce passage et vous demande si les paroles suivantes vous sont encore attribuées à tort :
« Göring
L’Obergruppenführer Jüttner assurera le transport des 10.000 prisonniers de Sagan ». Je n’ai peut-être pas prononcé le nom correctement.
Le Führer
Ils doivent être transportés par tous les moyens et on lèvera le Volkssturm pour répondre des gens les plus énergiques. Tirer lors de toute tentative de fuite.
Fegelein
Nous avons un homme pour cela qui s’occupe de la garde des camps de concentration. C’est le Gruppenführer Glücks. Il fera le travail. »
Les faits se sont-ils passés ainsi ?
Je l’ignore. J’ai déjà expliqué que c’était le Commandant en chef de l’armée de réserve qui devait endosser la responsabilité du transport, car nous n’avions rien à voir avec ces questions. Je ne puis rapporter complètement ou certifier les explications particulières que les gens ont données ça et là au cours de ces entretiens. Il était question de savoir si ces 10.000 prisonniers devaient être livrés ou transportés.
Je vais maintenant vous poser une ou deux questions sur le bombardement de Varsovie. Savez-vous que le 3 septembre, la résidence de l’ambassadeur américain, qui se trouve à environ 17 kilomètres de Varsovie, a été bombardée par l’aviation allemande ?
Non, je l’ignorais.
Votre aviation a pris de nombreuses vues de villages polonais et de Varsovie et les a distribuées dans la population allemande. Est-ce exact ?
C’est possible. Je ne me suis pas préoccupé de cette question. Mon aviation n’a pas distribué de photographies à la population allemande. Mais il est possible que des photographies prises par l’aviation soient parvenues à la presse allemande par le canal des services de propagande ; c’est possible. Mais il n’est jamais arrivé que l’aviation ait distribué des photographies à la population allemande comme elle l’aurait fait pour des tracts.
L’aviation a pris ces clichés pour déterminer l’efficacité de son tir. C’est bien cela ?
L’aviation prend des photos avant le bombardement de l’objectif et après ce bombardement pour déterminer s’il a été atteint.
Je vais vous faire montrer cinq photos. Je vous demande s’il s’agit là de clichés pris par l’aviation après l’attaque contre la Pologne ?
A la première question de savoir si ces clichés ont été faits par l’aviation allemande, je ne puis malheureusement donner aucune réponse positive car ils ne portent aucune indication qu’ils aient pu être faits par l’aviation allemande. Quatre de ces photos sur cinq, si vous les regardez attentivement, sont des vues obliques telles qu’il est possible d’en prendre d’une hauteur ou d’un clocher d’église, plutôt que d’un avion qui ne prend que des vues verticales en raison de l’installation des appareils. Le cliché qui représente la destruction de quartiers de Varsovie peut être considéré, du point de vue technique, comme une véritable photo aérienne à la verticale. Elle ne porte pas de date. Mais aucune de ces photographies ne prouve en quoi que ce soit qu’elle émane de l’aviation.
En second lieu, nous supposerons qu’elles émanent de l’aviation afin de faciliter vos questions ultérieures.
Vous admettez qu’elles émanent de l’aviation ?
Ouï, bien que j’en doute.
Je ne veux pas que vous concédiez ici quoi que ce soit. Si vous estimez que ces photographies n’ont pas été prises par l’aviation, je ne souhaite pas que vous le reconnaissiez.
Je disais qu’aucune preuve ne m’était rapportée. Je ne les ai pas faites, je ne les connais pas, elles ne m’ont pas été présentées comme des clichés émanant de l’aviation, et vues d’un point de vue technique, elles peuvent très bien avoir été faites en avion avec un appareil privé et sous un angle oblique extraordinaire. Elles ne sont en rien de véritables photographies aériennes telles que celles qui sont prises à la verticale par l’aviation.
Très bien, nous ne les prendrons pas en considération et nous allons passer à un autre sujet.
Nous allons nous occuper du document PS-638 sur lequel vous avez déjà été interrogé et que vous avez reconnu également, si mes souvenirs sont exacts. C’est le document qui a été signé par le Dr Joël. Je vous prie de me suivre pendant ma lecture.
« Extraits des instructions du Reichsmarschall du 24 septembre 1942 :
1. Le Reichsmarschall cherche des garçons audacieux qui seront employés à l’Est dans des commandos spéciaux pour accomplirderrière les lignes des missions de destruction. Ils seront rassemblés en bande, sous la conduite d’un chef et avec des interprètes qui leur auront été affectés. Le Reichsmarschall pense, à ce propos, à des prisonniers de droit commun, à des délinquants primaires qui n’ont pas commis d’infractions particulièrement infamantes et qui conservent un discernement suffisant pour cette action.
Le Reichsmarschall a signalé en premier lieu les gens condamnés pour braconnage. Il sait parfaitement que le Reichsführer SS a réclamé et a reçu les auteurs de ces délits de chasse. Cependant il demande que la question soit examinée à nouveau. Seuls sont en question les gens qui ont braconné par passion pour la chasse ou par amour des trophées ; mais il ne s’agit en rien de poseurs de pièges ou de collets. Le Reichsmarschall a mentionné également les membres passionnés des bandes de contrebandiers qui ont pris part à des batailles à coups de feu le long des frontières et dont la passion consiste à surpasser en finesse le cordon douanier au risque de leur propre vie, mais non d’hommes qui essayent de passer des articles en fraude dans les trains express, ou de toute autre manière.
Le Reichsmarschall s’en remet à nous pour considérer si d’autres groupes de condamnés de droit commun peuvent être affectés à ces bandes ou à ces commandos de chasse.
Dans les régions qui leur auront été affectées, ces bandes, dont la première mission consiste à anéantir les communications des groupes de partisans, pourront tuer, incendier et piller ; à leur retour en Allemagne, elles seront à nouveau placées sous la surveillance la plus sévère. Signé : Dr Joël, 24 septembre 1942. »
Désirez-vous donner au Tribunal une explication sur ce document ?
Bien entendu ; la même explication que celle que j’ai déjà donnée. Les deux premiers paragraphes montrent d’une manière indiscutable et claire que je ne désirais avoir que des gens qui n’avaient commis aucune infraction entachant leur honneur, mais en premier lieu des braconniers et, là encore, en distinguant entre ceux qui avaient agi par passion pour la chasse et ceux qui n’avaient agi que pour commettre des vols. De même, j’ai fait une distinction parmi les contrebandiers entre ceux qui avaient pris des risques personnels et montré une certaine passion pour leur activité et ceux qui n’agissaient que d’une façon infamante.
Ces deux paragraphes principaux montrent clairement que je ne désirais pas enrôler n’importe quel délinquant et c’est pourquoi je me suis élevé autrefois très violemment contre le dernier paragraphe que je n’ai jamais prononcé. Il ne s’agit pas là d’une copie mais de quelques notes d’un chef de service avec lequel je m’entretenais en général de ces questions. Il serait capable de venir témoigner de qui il tient ces paroles et si elles viennent de moi. Mais, et je le répète avec insistance, elles sont contraires à mes conceptions ; j’ai déjà expliqué à ce moment-là que je m’élevais contre cette explication en ce qui concerne en particulier la question du viol que j’ai toujours puni de la peine de mort même lorsqu’il était dirigé contre des citoyennes des États avec lesquels nous étions en guerre ; j’attire à nouveau votre attention sur le fait que les paragraphes principaux sont en contradiction absolue avec la dernière remarque car, si cela m’avait été égal, j’aurais pu choisir des criminels pour ces tâches.
En troisième lieu, j’ai expressément déclaré plus haut que les missions principales derrière les lignes consistaient à créer la confusion, à détruire les communications, endommager les installations ferroviaires ou autres choses semblables. Enfin, et en quatrième lieu, tout cela ne s’est jamais réalisé.
Vous avez élevé une objection contre le mot viol qui vous avait été traduit par le mot violenté, ce fut la seule objection que vous ayez élevée contre ce document qui vous a été présenté. Est-ce exact ?
Non, ainsi ce n’est pas exact. Je le dis parce qu’il s’agit là d’un concept particulièrement important qui a toujours contredit à un haut degré mon sens du droit, et parce que, peu de temps après la prise du pouvoir, j’ai, dans ce domaine, fait introduire des aggravations de peines dans le droit pénal allemand. Et à ce sujet et à propos de cette conception, je voulais montrer que toute cette dernière affaire n’avait pas été traitée par mes soins. Et je nie avoir prononcé ces paroles. J’endosse volontiers et jusqu’au bout la responsabilité des choses les plus graves que j’ai pu faire, mais je repousse énergiquement cette déclaration qui est en contradiction complète avec mes opinions.
Qui a signé ce document ?
Le Dr Joël.
Le connaissiez-vous ?
Je le connaissais ? en passant. Je l’ai vu au cours de cet entretien.
Il était présent à cet entretien ?
Je l’ai fait venir pour lui dire que je désirais des gens de cette sorte.
Vous avez pris de l’influence dans les questions économiques qui touchaient les divers territoires occupés au moyen des commissaires du Reich. Est-ce exact ?
J’ai déclaré que les différents services ainsi que les commissaires du Reich devaient suivre les ordres et les directives que je donnais en matière économique.
Et ils devaient vous rendre compte dans les questions économiques ?
Non sur toutes, mais dans la mesure seulement où elles concernaient mes directives.
Quel était votre commissaire du Reich ?
Il n’y avait pas de commissaire du Reich en Pologne. Il y avait un Gouverneur Général : c’était le Dr Frank.
Qui était commissaire du Reich dans les Pays-Bas ?
Le commissaire du Reich en Hollande était le Dr Seyss-Inquart.
Et qui était commissaire du Reich en Norvège ?
Le Gauleiter Terboven était commissaire du Reich en Norvège.
Terboven était également Gauleiter ?
Il était Gauleiter à Essen.
L’avez-vous nommé en Norvège ou l’avez-vous fait nommer ?
Je ne l’ai ni nommé, car il était en dehors de ma compétence, ni fait nommer. Je ne me suis en rien opposé à sa nomination car je le considérais comme l’un des personnages les plus capables de remplir ces fonctions de commissaire du Reich.
Il y est resté de 1940 à 1944 ?
Je crois, oui.
Je vais vous demander de regarder maintenant le document R-134 qui est une communication que vous a adressée Terboven. Elle est du 1 mai 1942, n’est-ce pas ?
Oui, je viens de voir la date.
Ce document contient un rapport qui vous est adressé : « Très vénéré maréchal du Reich ». C’est bien exact ?
Oui.
J’omets le premier paragraphe, à moins que vous ne vouliez le lire :
« Il y a quelques jours, nous avons capturé dans une île à l’ouest de Bergen une unité de sabotage norvégienne mise sur pied par le service secret et nous avons trouvé un magasin important d’instruments de sabotage parmi lesquels se trouvent des moyens d’une nature nouvelle et vraisemblablement du poison et des microbes. Dans la mesure où ces moyens nous sont inconnus ils seront transmis aujourd’hui au RSHA aux fins d’examen.
Entre autres tâches, cette unité de sabotage, comme il ressort d’instructions écrites qui ont été trouvées, devait commencer son travail de sabotage à Sola et à Herdla au moyen d’explosifs dont vous trouverez un exemplaire-ci-joint. Étant donné qu’il faut s’attendre à des entreprises semblables sur les aérodromes de toutes les côtes européennes et qu’il faut estimer qu’il s’agit là, en fait, d’un acte de sabotage inconnu jusqu’alors, je vous en rends compte par la voie la plus rapide afin de vous donner la possibilité de prendre les mesures d’avertissement opportunes.
Au cours de la lutte contre cette unité de sabotage, deux officiers particulièrement brillants de la Police de sûreté ont malheureusement trouvé la mort. Nous les avons enterrés hier matin à dix heures au cimetière des héros à Bergen.
Le même jour et à la même heure, dix-huit Norvégiens ont été fusillés sur mon ordre ; peu de temps auparavant, ils avaient été capturés alors qu’ils essayaient de fuir illégalement en Angleterre.
Le même jour également, toute la localité qui avait offert un refuge à cette unité de sabotage a été incendiée et la population déportée. Tous les hommes seront internés dans un camp de concentration allemand sans que les leurs puissent recevoir la moindre nouvelle sur leur sort. Les femmes seront enfermées dans un camp féminin de travail forcé en Norvège et les enfants qui ne sont pas en âge de travailler, placés dans un hospice pour enfants. Heil Hitler ! Très respectueusement vôtre. Signé : Terboven. »
Est-ce exact ?
C’est ce qui figure dans cette lettre dont une copie m’a été remise.
Terboven, après avoir envoyé ce rapport, est resté en fonctions jusqu’en 1945, n’est-ce pas ?
C’est exact.
La même année 1942, un peu plus tard, n’avez-vous pas adopté des méthodes qui étaient assez semblables à celles dont Terboven vous a fait part ?
Je n’ai pas compris votre question.
N’avez-vous pas adopté plus tard, la même année, les mêmes méthodes que Terboven ?
Moi ? Où ?
Je vais maintenant vous présenter le document PS-1742. Il s’agit là d’une ordonnance du 26 octobre 1942 signée Göring. Je vous demande de me suivre :
« Au cours de la réalisation de la lutte contre les bandes qui a été intensifiée sur les ordres du Führer, et du nettoyage effectué en particulier sur les arrières du groupe d’armées du centre, je demande que les points suivants soient pris en considération et que les conclusions ci-dessous indiquées soient mises en pratique :
1. Au cours de la lutte contre les bandes, et au cours du nettoyage de toutes les régions qu’elles ont infestées, toutes les têtes de bétail devront être mises en sûreté dans des endroits prévus. De même tous les vivres doivent être emmenés et mis en lieu sûr, de façon à ce qu’ils ne puissent plus profiter à ces bandes.
2. Toutes les forces disponibles en hommes et femmes qui sont susceptibles d’effectuer un travail quelconque sont à saisir de force et à remettre au plénipotentiaire général à la main-d’œuvre pour leur emploi éventuel dans les zones de l’arrière pacifiées ou en Allemagne. Des camps destinés aux enfants seront organisés en arrière des lignes. »
Est-ce exact ?
Absolument. Il s’agit là des zones où opéraient des bandes et personne ne pouvait attendre de moi de laisser à leur disposition du bétail et des vivres. De même les êtres qui de plus en plus étaient enrôlés dans ces bandes pour y servir et pousser à la révolte contre nous, devaient être conduits dans les territoires pacifiés pour y être mis au travail. Je tiens à déclarer ici que c’était une nécessité absolument vitale pour la sécurité de nos troupes combattantes. Mais je dois préciser, une fois de plus, que vous avez prétendu que j’avais ordonné les mêmes mesures que celles qui sont rapportées dans la lettre de Terboven. Je n’ai cependant jamais ordonné d’incendier des villages ni de fusiller des otages. Il s’agit là de quelque chose qui était fondamentalement différent.
Vous avez fait simplement arrêter les hommes, les femmes et les enfants et vous les avez déportés. C’est ce que je voulais prendre en considération.
En mai 1944, vos pertes en avions de chasse et en pilotes de chasse étaient devenues sérieuses ?
Oui.
Le 19 mai 1944 vous avez bien eu une conversation dans vos services sur la question des avions de chasse et sur les pertes en pilotes de chasse ?
Oui.
Le procès-verbal de cette conférence vous a déjà été montré et vous l’avez reconnu comme tel au cours de votre interrogatoire.
Ce n’est pas un compte rendu de cette réunion. C’est un court résumé établi par un officier qui, autant que je le sache, a concentré en quelques phrases une conférence qui a duré deux jours.
Je vais vous faire montrer le document L-66. Il porte la mention « Très secret ». C’est bien exact ?
C’est exact.
Ce document porte cependant le titre : « Compte rendu d’un entretien sur l’aviation de chasse avec le Reichsmarschall, les 15 et 16 mai 1944 ». C’est bien exact, n’est-ce pas ?
Non, il est écrit : « Notes de conférence sur un entretien relatif à l’aviation de chasse chez le Reichsmarschall, les 15 et 16 mai 1944. »
Vous traduisez notes de conférence ?
Notes de conférence, tel est le terme qui figure dans l’original.
Notes sur un entretien à propos des appareils de chasse ?
Qui a duré deux jours.
Oui. Tout d’abord le général Galland décrivit en détail la situation du personnel de chasse, c’est bien cela n’est-ce pas, et donna un aperçu sur les pertes ?
Oui, c’est exact.
Il a donné un aperçu sur les pertes ?
C’est bien exact.
Et il parla ensuite, en second lieu, des mesures qui s’imposaient pour remédier à cette situation ? Est-ce exact ?
Oui, d’après ces notes de conférences, mais je ne puis véritablement dire si cela s’est passé en réalité.
Cette conférence a bien eu lieu, n’est-ce pas ?
Absolument ; elle a duré deux jours.
Et à l’article 3, le général Galland a bien fait certaines propositions, n’est-ce pas ?
Oui.
Aux rubriques 12 et 13, après une plus longue discussion, le général Schmidt a bien fait certaines propositions, n’est-ce pas ?
Vraisemblablement. C’est tout au moins ce qui figure dans ces notes de conférence.
Et vous avez recommandé une entrevue entre le chef de l’État-Major général et le général Commandant en chef l’artillerie anti-aérienne, et ce, aussitôt que possible. C’est exact ? Article 13 ?
Oui.
Les propositions et les désirs du général Schmidt figurent aux articles 14, 15, 16, 17 et 18 ?
Oui.
Et c’est alors que vous avez décidé :
« ... Le Reichsmarschall décide que seuls les trois groupes des escadres de chasse resteront en Allemagne après mutation de leurs pilotes prêts à participer aux opérations. »
Est-ce exact ?
Oui.
Et nous en arrivons à l’article 19 :
« Le Reichsmarschall désire qu’au cours d’attaques de grande envergure sur les aérodromes, qui causeront des pertes considérables en personnel et en matériel, les mesures de défense et de dispersion soient examinées à nouveau par l’État-Major d’opérations de l’Aviation. »
Est-ce exact ?
Oui.
L’article 20 est ainsi rédigé :
« M. le Reichsmarschall désire proposer au Führer que des équipages américains et anglais qui, sans discrimination, tirent sur les villes, sur les trains civils en marche ou sur les soldats descendant en parachute, soient immédiatement abattus sur le lieu de ces actions. »
Ai-je lu d’une façon correcte ?
C’est bien ce qui figure ici, mais je n’ai pas manqué de protester autrefois en affirmant que ce n’était pas exact. Ce passage n’a rien à voir avec le contexte figurant aux articles 19 et 21 de ces notes de conférence. C’est ainsi que l’expression descendant en parachute est susceptible de créer des confusions et n’est pas courante. Je me suis longtemps demandé comment ces termes avaient pu figurer dans ces notes que je n’ai jamais vues et qui ont résumé des conversations qui se sont déroulées pendant deux jours. Et je n’en puis trouver l’explication que dans le fait que j’ai déjà rapporté et qui ressort des autres moyens de preuves : que le Führer, à ce moment, avait donné des directives en ce sens et qu’il ne peut s’agir ici, en toutes circonstances, que d’une erreur, non dans le sens que le Reichs-marschall aurait pu proposer de telles mesures au Führer, mais dans le sens que j’aurais pu indiquer que le Führer eût effectivement une telle intention. Mais, surtout, le rédacteur de ces notes de conférences pourrait être utilement entendu. Aucun autre article de ces notes de conférences ne fait allusion à ces faits. Le suivant, déjà, dit une chose tout à fait différente. Tandis que tout le reste se rapporte à l’objet de la conférence, seul ce point ne présente avec lui aucun rapport.
De tous les points contenus dans ces notes qui portent sur deux jours, seul celui-ci vous paraît être faux ? Je vais maintenant vous montrer le document PS-731. L’entretien à propos duquel je viens de lire cette note de conférence a été suivi huit jours plus tard par l’ordre PS-731, le mémorandum PS-731 qui s’exprime ainsi :
« Le Führer a décidé, dans les cas spéciaux, d’appliquer les mesures suivantes à l’égard des équipages anglo-américains :
Les aviateurs ennemis abattus seront fusillés sans procédure judiciaire dans les cas suivants... »
Monsieur Justice Jackson, n’auriez-vous pas intérêt à lire le paragraphe qui se trouve quatre lignes plus haut après le « Rapport du Reichsmarschall ».
Je ne l’avais pas présent à l’esprit, mais peut-être serait-il bon que je le lise en entier pour le procès-verbal :
« Le chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht. Prière de bien vouloir rédiger un projet d’ordre. W (abréviation de Warlimont). K (abréviation de Keitel), [remarque au crayon de Keitel].
Doit aussi aller au Reichsführer SS (mention au crayon de Jodl).
Le général Korten a fait la déclaration suivante après l’exposé du Reichsmarschall (note au crayon de Keitel) :
Notes : Le Führer a décidé, dans des cas spéciaux, de prendre les mesures suivantes vis-à-vis des équipages anglo-américains :
les aviateurs ennemis abattus sont à fusiller sans procédure judiciaire dans les cas suivants :
1. Lorsqu’ils ont fait feu sur des équipages allemands descendant en parachute.
2. Lorsqu’ils ont attaqué avec des armes de bord les appareils allemands qui ont dû atterrir et à proximité desquels se trouvent des membres de l’équipage.
3. Au cours d’attaques sur les trains civils assurant des trafics publics.
4. Lorsqu’ils auront attaqué avec des armes de bord des personnes isolées : paysans, travailleurs, véhicules isolés, etc. »
A ce point figure une correction : « Lorsqu’ils auront attaqué avec les armes de bord des personnes isolées, des véhicules isolés, etc. »
Est-ce exact ?
Sur mon texte « Lorsqu’ils auront attaqué des personnes isolées... », le mot « isolé » est rayé et deux mots ont été rajoutés qu’il m’est impossible de lire. Devant « véhicules isolés », le mot « civil » a été rajouté et il est dit au point 2 :
« Cela donne à réfléchir, car la destruction d’un avion contraint d’atterrir ne peut pas être considérée comme une méthode de gangster, mais comme une mesure qui rentre tout à fait dans le cadre étroit d’une conduite civilisée de la guerre. »
Il s’agit là de toute la série de questions qui se sont posées au cours de ces journées ou de ces semaines et sur lesquelles le témoin Brauchitsch a récemment déposé.
Et cette remarque sur l’atterrissage forcé est suivie de la lettre J, initiale de Jodl ?
Certainement.
Je crois que ce sont là toutes les questions que j’avais l’intention de poser.
Il y a toute une série de documents qui concernent ces questions et qui doivent être déposés. Je crois que la meilleure solution consisterait à rassembler ces documents, à en dresser une liste et à les déposer demain matin.
Certainement, Monsieur Justice Jackson. Vous les déposerez tous en même temps.
Je désirerais d’abord vous poser quelques questions sur les circonstances de l’évasion du Stalag Luft IlI d’officiers aviateurs anglais. Vous souvenez-vous avoir expliqué au cours de vos déclarations que vous aviez eu une connaissance parfaite et minutieuse de cet incident ? Vous souvenez-vous l’avoir dit ?
Non, je n’ai pas dit que j’en avais eu une connaissance parfaite, mais que j’en avais été informé.
Je vais alors citer vos propres paroles, telles qu’elles ont été enregistrées :
« Je connais très bien cet incident jusque dans ses moindres détails. Mais il m’a malheureusement été rapporté trop tard. » C’est bien ce que vous avez dit il y a quelques jours ?
Oui. J’estimais que je connaissais très bien cet incident, mais que je l’avais appris deux jours plus tard.
Vous avez expliqué au Tribunal qu’à ce moment-là, à la fin mars 1944, vous vous trouviez en permission. Est-ce exact ?
Oui, autant que mes souvenirs soient exacts, je me trouvais à la fin mars en permission ; j’y suis resté jusqu’à quelques jours avant Pâques.
Vous avez ajouté « comme je puis le prouver ». Je voudrais que vous donniez au Tribunal la date de votre permission.
Je répète encore une fois que je me souviens très bien avoir passé en permission tout le mois de mars et je pourrais apporter le témoignage des personnes qui m’ont accompagné pendant cette période.
Je désirerais savoir où vous avez passé cette permission.
Ici, aux environs de Nuremberg.
Si on l’avait désiré, on aurait pu vous atteindre facilement par téléphone, soit du ministère de l’Air, soit de Breslau ?
Il était facile de m’atteindre au téléphone si on le désirait.
Je vous demande maintenant de m’aider à propos d’une ou deux dates dont vous avez parlé. Vous dites : « J’ai entendu parler de cette fuite un ou deux jours après ». Comprenez-moi bien, témoin. Je vous pose pour l’instant des questions sur l’évasion et non sur les exécutions. Je voudrais que cela soit très clair.
C’est très clair pour moi.
Voulez-vous prétendre que vous avez entendu parler de la fuite elle-même, un ou deux jours après qu’elle fût survenue ?
Oui.
En avez-vous entendu parler par votre aide de camp ou par votre chef d’État-Major ?
J’ai toujours appris de tels faits de la bouche de mes aides de camp. De nombreuses évasions avaient déjà eu lieu.
C’est exact. Il y a eu dans ce camp toute une série d’évasions.
Je ne puis dire si elles se sont produites dans ce camp. De fréquentes évasions massives avaient précédemment eu lieu que j’ai apprises par l’intermédiaire de mes aides de camp.
Et je voudrais maintenant que vous donniez au Tribunal une autre date. Vous dites qu’à votre retour de permission votre chef d’État-Major vous a fait un compte rendu. Qui était votre chef d’État-Major ?
Le général Körten était à ce moment mon chef d’État-Major.
Pouvez-vous nous dire quel jour il vous a fait ce compte rendu ?
Non, je ne puis pas le dire d’une façon exacte. Je crois que j’ai parlé ultérieurement de cet incident que j’avais appris d’une autre source.
Qui vous a, en premier, rendu compte de ces faits ? Votre chef d’État-Major vous a-t-il rendu compte de ces exécutions ? Pensez-vous que quelqu’un d’autre ait pu vous en rendre compte ?
Je ne puis maintenant dire avec précision si j’ai appris ces exécutions du chef d’État-Major ou d’une autre source. Mais, en tout état de cause, j’ai parlé de ces événements avec le chef d’État-Major.
Quand en avez-vous parlé avec votre chef d’État-Major ?
Je ne puis de mémoire vous dire le jour et la date exacts, mais ce devait être aux environs de Pâques.
C’était environ à la fin mars n’est-ce pas ?
Non ; c’était peut-être au début d’avril, pendant la première moitié d’avril.
Et vous avez eu ensuite un entretien avec Himmler, comme vous l’avez déclaré ?
J’en ai parlé à Himmler.
Pouvez-vous le préciser ?
Je ne puis naturellement préciser le jour. J’ai vu Himmler et lui en ai parlé, à la première occasion, après en avoir été moi-même informé.
Vous ne pouvez donc préciser la date de votre retour de permission ou de l’entretien que vous avez eu avec votre chef d’État-Major, non plus une date quelconque ou une fête de Pâques ?
Sans aucun document, il m’est impossible aujourd’hui de préciser un jour, comme je l’ai dit. Je ne puis que vous fixer une période approximative et je l’ai fait.
Vous avez expliqué il y a quelques jours que vous pourriez établir quand vous vous êtes trouvé en permission. Dois-je imaginer maintenant que vous ne vous êtes pas donné la peine de vérifier les dates de votre permission ?
Je viens de vous dire que je me trouvais en permission au mois de mars. Mais je ne puis vous dire si je suis revenu le 26, le 28 ou le 29 mars : on pourrait peut-être à ce sujet interroger mon entourage qui pourrait peut-être fixer plus exactement cette date. Je ne connais que le fait que j’étais là-bas en mars.
Témoin, il ne serait pas incorrect selon vous de considérer cette date du 29 mars comme la fin de votre permission ?
Il serait plus indiqué que vous me disiez, car je ne l’ai plus en tête, la date de Pâques cette année-là. Tout sera plus facile si vous me précisez cette date car je sais que peu de jours avant Pâques je suis revenu à Berchtesgaden pour y passer les fêtes avec ma famille.
Vous êtes revenu à Berchtesgaden quelques jours avant Pâques ?
Oui.
Vous êtes donc rentré quelques jours auparavant de permission ? Vous êtes revenu de votre permission de mars avant de vous rendre à Berchtesgaden ?
Berchtesgaden était, à cette époque, également le Quartier Général du Führer. Je suis donc rentré de permission à Berchtesgaden : ma permission prenait fin ainsi puisque je retrouvais mon activité. Vous pouvez donc faire coïncider mon retour à Berchtesgaden avec la fin de ma permission.
Je ne puis sans autre précision vous donner la date exacte de Pâques. Mais je me rappelle par hasard que Pentecôte était le 28 mai. Pâques, qui était plus tôt, devait donc se trouver aux environs du 5 avril. Votre permission a donc pu prendre fin aux environs de la fin mars, peut-être le 26 ou 29. C’est bien exact, n’est-ce pas ? Et les exécutions de ces officiers ont eu lieu dans la période comprise entre le 25 mars et le 13 avril. Le savez-vous ?
Je ne le savais pas d’une manière aussi précise.
Vous pouvez me croire, car il existe sur ces exécutions un rapport officiel et je tiens à être impartial à votre égard, 49 de ces officiers seulement ont été exécutés à ce moment-là, autant que nous avons pu le préciser, le 6 avril, et un autre le 13 avril ou quelque temps plus tard. La période critique correspond donc à la fin mars et nous pouvons supposer que vous êtes rentré de permission aux environs du 29 mars.
Je voudrais que vous indiquiez au Tribunal qu’il s’agissait là d’une question d’importance primordiale. Vous la considériez comme de première importance ?
C’était une question extraordinairement importante.
Le général Milch — je vous demande pardon — le Feldmarschall Milch a expliqué que c’était une question qui mettait en jeu les plus hautes autorités et je crois que vous avez déclaré que vous saviez que c’était sur l’ordre de Hitler que ces officiers devaient être exécutés. Est-ce exact ?
La question ne m’est pas parvenue très distinctement.
C’est Hitler qui avait décidé que ces officiers devaient être exécutés ?
C’est exact. J’ai appris ultérieurement que tel était son ordre.
Je voudrais maintenant que vous vous rappeliez autre chose. Après ces faits, M. Eden, ministre des Affaires étrangères, a immédiatement déclaré que la Grande-Bretagne demanderait que des poursuites soient intentées contre les auteurs de ces assassinats. Vous en souvenez-vous ?
Je ne puis me souvenir des entretiens ou des paroles prononcées à la Chambre des Communes par M. Eden. J’en ai ignoré la substance jusqu’à ce jour. Je sais seulement qu’il a parlé de cet incident au Parlement.
Je vous demande maintenant de bien vouloir dire au Tribunal quelles ont été les personnalités de votre ministère qui ont été impliquées dans cette affaire. Je vais vous les nommer de façon à gagner du temps. Si vous n’êtes pas d’accord, vous pourrez me reprendre.
Le commandant du Stalag Luft III était le colonel von Lindeiner de vos services. C’est bien exact ?
C’est parfaitement possible. Je ne connaissais pas tous ces commandants en particulier. Il a été traduit devant un tribunal militaire du seul fait de ces évasions. Mais il n’a rien eu à voir avec les exécutions.
Non, mais il commandait le camp et je suppose que vous aviez la possibilité de réviser et de confirmer le jugement du tribunal militaire de l’Armée de l’air qui l’a condamné, du fait de négligence dans son service, à une année d’emprisonnement. Vous avez eu connaissance de cette décision, n’est-ce pas ? A-t-elle été soumise à votre examen ?
Non, mais seulement lorsqu’il s’agissait des peines les plus sévères. Les condamnations à une année d’emprisonnement ne m’étaient pas soumises, mais je sais, et je puis le certifier, qu’une procédure a été suivie contre l’intéressé du fait de négligence de son service au moment des évasions,
En mai 1943, l’inspection 17 a été interposée entre l’Aviation et le service de l’OKW, qui s’occupait des prisonniers. Vous le rappelez-vous ?
L’inspection ne m’a jamais fait part des détails des questions qui rentraient dans le cadre du problème des prisonniers à l’OKW et de ce qui s’est passé à ce moment.
e désire seulement faire allusion à vos propres officiers. Vous savez, témoin, que vos propres officiers ont pris part à ces faits. Je veux simplement vous rappeler quels sont ceux qui y ont été intéressés. Le chef de l’inspection 17 était le Generalmajor Grosch de l’Armée de l’air ?
Le Generalmajor Grosch appartient à l’Armée de l’air.
Vous avez déclaré devant le Tribunal il y a quelques jours — je cite vos propres paroles — que vous aviez appris cet incident par des informations et que vous en aviez une connaissance complète et minutieuse. Vous me dites aujourd’hui que vous ignorez que le Generalmajor Grosch était chef de l’inspection 17 de l’Armée de l’air.
Cela n’a rien à voir avec les faits. J’ai déclaré devant le Tribunal que j’avais appris ultérieurement, et en détail, ces exécutions, mais tout cela n’a rien à voir avec le général Grosch et son inspection, car il n’a en rien participé à ces exécutions.
Je vais vous démontrer dans une minute cette liaison si vous voulez bien répondre à mes questions.
Grosch était-il directement subordonné au colonel Welder ? Pouvez-vous vous le rappeler ?
J’ignore les détails de l’organisation de l’inspection des prisonniers de guerre ; je ne connais pas les chefs de services et les fonctions qu’ils occupaient. En tout cas, je ne les connais pas par cœur. Je désirerais préciser encore une fois qu’il ne subsiste aucune contusion lorsque je déclare que je connais très bien l’affaire : je veux dire par là que j’ai parfaitement appris ce qui s’était passé, que l’ordre avait été donné et que les gens ont été fusillés. Mais je ne fais pas allusion à ce qui a pu être rapporté aux diverses inspections, aux possibilités de vols, etc.
Le général Grosch avait-il, en sa qualité de chef de l’inspection 17, à rendre compte au général Förster, chef de l’État-Major d’opérations du ministère de l’Air ?
Je ne puis vous le dire sans avoir sous les yeux le diagramme de l’articulation du service. Le général Förster était, à cette époque, je crois, chef de la Luftwehr au ministère, ou il portait un titre à peu près semblable. Je ne me suis pas préoccupé de ces choses pour lui car elles n’avaient aucun caractère direct se rapportant à la tactique, à la stratégie ou aux questions d’armements. Mais il est parfaitement possible ou certain qu’il dépendait de ce département ministériel.
Si vous l’ignorez, abandonnons cette question pour l’instant. Savez-vous que le Generalmajor von Graevenitz était chef du service des prisonniers de guerre de l’accusé Keitel ?
J’ai ici, pour la première fois, entendu ce nom du général Graevenitz, car ce service n’avait aucune liaison directe avec moi. Il m’est impossible de connaître tous les sous-ordres militaires placés à la tête de cent ou mille services.
Je suppose aussi que vous ignorez le nom du colonel, actuellement général Westhoff, qui appartenait au service de von Graevenitz.
Je n’ai jamais vu Westhoff et il n’appartenait pas à l’Armée de l’air.
Je ne prétends pas que Graevenitz et Westhoff aient appartenu à l’Armée de l’air ; je voulais simplement établir qu’à mon avis ils appartenaient à l’organisation du général Keitel.
Je les ignorais, eux et leurs services.
Jusqu’à ce moment, vous aviez exercé une influence importante dans le Reich, n’est-ce pas ?
Plus à ce moment. Il s’agit bien de 1944 ;
je n’avais plus aucune influence.
Oui, mais vous étiez encore chef de l’Armée de l’air et du ministère de l’Air ?
Je l’étais.
Et en votre qualité de chef de l’Armée de l’air et du ministère de l’Air vous êtes resté responsable, pendant toute la durée de la guerre, jusqu’à ce moment-là, de six camps de prisonniers de guerre ? Est-ce exact ?
J’ignore le nombre de ces camps de prisonniers de guerre. Mais je porte naturellement la responsabilité de ceux qui appartenaient à mon ministère.
De ceux de l’Armée de l’air ?
Oui, de ceux qui étaient sous l’autorité de l’Armée de l’air.
Vous connaissiez les directives générales sur le traitement des prisonniers de guerre qui ont été présentées ici sous le nom d’action Kugel ?
Non, j’ignorais tout de cette action, on ne m’en a pas fait part.
On ne vous a jamais entretenu de l’action Kugel ?
J’ai entendu parler ici, pour la première fois, de l’action Kugel ; j’ai vu le document pour la première fois et entendu l’expression pour la première fois. Jamais aucun officier de l’Armée de l’air ne m’a rendu compte, et je ne puis croire un tel fait, qu’un officier détenu dans un camp de l’Armée de l’air ait pu être emmené dans ce but. En tout cas, une nouvelle de ce genre ne m’est pas parvenue.
Vous savez pourtant ce qu’était l’action Kugel : des officiers et des sous-officiers évadés qui n’appartenaient pas à la nationalité anglaise ou américaine devaient être remis à la Police pour être emmenés à Mauthausen. Là, ils étaient abattus à l’aide d’un appareil se composant d’une toise dans laquelle était dissimulée une arme à feu, en leur faisant croire qu’on s’apprêtait à leur distribuer leurs vêtements de prisonniers.
Vous savez bien ce qu’était l’action Kugel ?
Je l’ai appris ici.
Prétendez-vous devant le Tribunal que vous ignoriez que les prisonniers de guerre évadés, qui étaient repris par la police, étaient conservés par elle et emmenés à Mauthausen ?
Non, je ne l’ai pas su. Au contraire, tous les évadés de mes camps qui ont été repris par la Police sont tous revenus dans leur camp et le cas auquel nous faisions allusion tout à l’heure fut le premier où, en partie, cela ne se produisit pas.
Ignoriez-vous que le colonel Welder, en sa qualité de chef adjoint de l’inspection de votre ministère, émit un ordre écrit un mois plus tôt, en février 1944, enjoignant de ramener dans leur camp tous les prisonniers de guerre repris par l’Armée de l’air et d’après lequel tous les prisonniers repris par la Police devaient être conservés par elle et ne devaient plus bénéficier de la protection de l’Armée de l’air. Vous ne le saviez pas ?
Non. Je demande que l’on veuille bien entendre ce colonel afin de savoir s’il m’a jamais fait un compte rendu à ce sujet ou m’a adressé une lettre en ce sens.
Je ne puis naturellement pas dire si votre ministère était bien ou mal dirigé. Mais ce colonel a certainement publié un tel ordre, car il le dit lui-même.
Il doit alors être en état de dire de qui il avait reçu cet ordre.
Il dit qu’il a donné cet ordre et vous savez aussi bien que moi que la question des prisonniers de guerre exige qu’on agisse avec prudence puisqu’une puissance protectrice peut enquêter sur les plaintes. Vous n’avez jamais dénoncé la convention et, pendant toute la guerre, la puissance protectrice s’est occupée de ces questions en Allemagne. C’est bien exact ?
C’est exact. Mais je prends la liberté de demander qui lui a donné cet ordre ou s’il l’a reçu de moi.
Il n’aura pas reçu cet ordre de vous. Je ne crois pas que vous en ayez jamais connu l’existence. Il l’a reçu du Generalmajor Grosch, n’est-ce pas ?
Grosch devrait pouvoir dire s’il a reçu un tel ordre. Je n’ai jamais donné un ordre semblable.
Vous prétendez n’avoir jamais entendu dire — et cela trois ans et demi après le début de la guerre — que les prisonniers de guerre évadés devaient être remis à la Police. Vous voulez que le Tribunal vous croie ?
Je crois qu’autant que les prisonniers de guerre évadés commettaient quelque crime ou délit, ils étaient naturellement remis à la Police. Mais, en tout cas, je tiens à établir devant le Tribunal que je n’ai pas su — et je n’ai pas donné d’ordre en ce sens — qu’ils pouvaient être remis à la Police ou conduits dans un camp de concentration en raison d’une seule tentative d’évasion ou de fuite.
Je désirerais absolument établir, témoin, que je fais allusion aux prisonniers de guerre évadés qui ont ultérieurement été repris par la Police. Ne saviez-vous pas qu’ils devaient être remis à la Police ?
Non. Cela n’arrivait que s’ils avaient commis un crime au cours de leur fuite, un meurtre ou quoi que ce fût.