QUATRE-VINGT-SEPTIÈME JOURNÉE.
Jeudi 21 mars 1946.

Audience du matin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Témoin, vous souvenez-vous de m’avoir déclaré hier soir que seuls les prisonniers de guerre coupables de crimes ou délits étaient remis à la Police ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne me suis pas exprimé ainsi. J’ai dit que, lorsque la Police arrêtait des prisonniers de guerre qui s’étaient rendus coupables de crimes ou délits lors de leur évasion, à ma connaissance, elle les conservait et ne les renvoyait pas dans des camps.

Dans quelle mesure était-ce vrai pour d’autres prisonniers de guerre, c’est-à-dire pour des prisonniers de guerre qui n’auraient pas commis de délits au cours de leur évasion, je n’en ai entendu parler qu’ici au cours des interrogatoires et des débats.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voudriez-vous examiner le document D-569 ? En haut et à gauche, vous constaterez que c’est un document émanant du Haut Commandement de l’Armée.

ACCUSÉ GÖRING

Le document que j’ai devant moi porte en haut et à gauche la mention suivante : « Le Reichsführer SS », avec en sous-titre : « L’inspecteur des camps de concentration ».

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le document dont je veux parier est daté du 22 novembre 1941. L’avez-vous maintenant sous les yeux ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’ai maintenant.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voudriez-vous regarder l’angle inférieur gauche du document et plus précisément la liste des destinataires ? Le deuxième service à qui ce document est destiné est le ministère de l’Air et le Commandant en chef de l’Aviation en fonction au 22 novembre 1941. C’était bien vous ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact. Et je voudrais vous donner les explications suivantes à ce sujet.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’aimerais que vous commenciez par consacrer quelques instants à prendre connaissance du document. Vous pourrez ensuite vous livrer à toute explication que vous jugerez nécessaire. Je ne vous limiterai pas. Je voudrais que vous lisiez la troisième phrase du premier paragraphe. Elle se rapporte à la question des prisonniers de guerre soviétiques et déclare :

« Conformément à cette ordonnance, tout prisonnier de guerre soviétique ramené au camp après une tentative d’évasion sera obligatoirement remis au service de la Gestapo le plus proche ».

Puis, le paragraphe 2 traite de la procédure spéciale à appliquer aux prisonniers coupables de crimes ou délits : « Étant donnée la répétition actuellement fréquente des délits commis par les prisonniers de guerre soviétiques, dus, selon toute vraisemblance, à l’absence de réglementation de leurs conditions de vie, les dispositions suivantes entreront temporairement en vigueur, sous réserve de modifications ultérieures ». Tout prisonnier de guerre soviétique qui s’était rendu coupable d’un délit devait être remis par le commandant du camp au chef de la Sicherheitspolizei.

Ce document signifie-t-il que celui qui se sera évadé doit être remis à la Police de sûreté ? Ou bien l’interprétez-vous ainsi : un homme qui aura cherché à s’enfuir sera remis à la Gestapo, mais celui qui aura commis un crime, comme vous l’avez dit, sera livré à la Police de sûreté. N’était-ce pas là d’ailleurs la réglementation qui fut appliquée entre 1941 et mars 1944, époque qui nous occupe présentement ?

ACCUSÉ GÖRING

Permettez-moi de relire le paragraphe qui précède pour m’assurer qu’aucune phrase, arrachée de son contexte, n’a été dépouillée de son sens.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, pendant que le témoin lit le document, puis-je préciser un point technique relatif au classement du matériel de preuve ? A l’occasion du contre-interrogatoire du Feldmarschall Kesselring, j’ai déposé les trois documents suivants : UK-66 (GB-274), D-39 (GB-275) et TC-91 (GB-276). Le document qui nous occupe portera donc le numéro GB-277. (Au témoin.) Témoin, avez-vous maintenant achevé la lecture du document ?

ACCUSÉ GORING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’ai donc raison, n’est-ce pas, en disant que les prisonniers de guerre soviétiques évadés devaient être, après leur retour au camp, livrés à la Gestapo, et que s’ils s’étaient rendus coupables de quelque délit, ils devaient être livrés à la Police de sûreté !

ACCUSÉ GÖRING

Ce n’est pas tout à fait exact. Permettez-moi d’attirer votre attention sur la troisième phrase du premier paragraphe. On y lit : « Lorsqu’il existe un camp de prisonniers à proximité immédiate, l’individu arrêté devra y être conduit ».

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous cependant lire la phrase suivante :

« Tout prisonnier de guerre soviétique reconduit au camp » — et ceci est en accord avec l’ordre que vous venez de lire — « devra être remis au service de la Gestapo le plus proche ». Votre propre phrase, n’est ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, mais le paragraphe suivant indique que ces mesures étaient nécessitées par « le nombre particulièrement élevé des délits commis par les prisonniers de guerre soviétiques ». Vous avez lu cette phrase vous-même ; elle se rapporte au paragraphe 1. Évidemment cet ordre a bien été donné, et cela, aux trois armes : Armée de terre, Marine, Aviation.

Mais je voudrais expliquer la distribution des ordres. Pendant cette guerre, ce ne sont pas des centaines mais des milliers d’ordres qui, provenant de services subalternes, sont passés par les services supérieurs pour être ensuite transmis aux intéressés. Cela ne signifie pas pour autant que chacun de ces milliers d’ordres ait été soumis individuellement au Commandant en chef. Seuls l’étaient les plus importants, les plus décisifs ; les autres ne faisaient que passer de service à service. Et de fait cet ordre, bien qu’issu théoriquement du chef de l’OKW, ne porte pas sa signature mais celle d’un service subalterne.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Cet ordre, le département des prisonniers de guerre de votre ministère a-t-il eu à l’exécuter ?

ACCUSÉ GÖRING

Dans le cas présent, l’ordre a bien été reçu par le département en question et lui seul l’a reçu, conformément aux voies empruntées par les ordres qui ne concernaient que lui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je crois que vous avez répondu affirmativement à ma question. L’ordre a bien été transmis du département « Prisonniers de guerre » de votre ministère ?

ACCUSÉ GÖRING

Ma réponse est oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’espère que vous vous rendez compte qu’il serait plus rapide de répondre oui tout de suite quand c’est le cas.

ACCUSÉ GÖRING

Non, ce n’est pas le cas ici, car il s’agit de savoir si j’ai personnellement lu cet ordre ou non. Il est question ici de ma responsabilité personnelle.

LE PRÉSIDENT

On ne vous a jamais parlé de votre responsabilité personnelle. On vous a demandé si votre département « Prisonniers de guerre » s’était occupé de l’exécution de cet ordre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vais vous questionner maintenant sur l’affaire des évasions de la nuit du 24 au 25 mars. Je voudrais que vous reteniez cette date. La décision d’assassiner les jeunes officiers évadés a dû être prise très rapidement car, pratiquement, le premier assassinat eut lieu le 26 mars. Reconnaissez-vous que cette décision fut prise très rapidement ?

ACCUSÉ GÖRING

Je suppose, je l’ai aussi entendu dire par la suite, que l’ordre en a été donné très rapidement. Mais cet ordre n’a aucun rapport avec le document présenté.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais nous en avons fini avec ce document. Nous en sommes maintenant à l’assassinat des jeunes officiers. Après leur évasion, un mandat d’arrêt collectif fut aussitôt lancé contre ces hommes, n’est ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact. Toutes les fois qu’une évasion aussi massive se produisait, on procédait automatiquement dans tout le Reich à des recherches de grande envergure et chaque service de recherche recevait la mission de faire ramener les prisonniers au camp.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Avant que l’ordre de rechercher et de fusiller ces hommes entre en vigueur, ne fallait-il pas attendre obligatoirement une entrevue entre Hitler et Himmler ou Kaltenbrunner, qui décidaient de son application ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact. D’après ce que j’ai entendu dire, Himmler vint le premier annoncer ces évasions au Führer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le général Westhoff qui faisait partie du département « Prisonniers de guerre » dépendant de l’accusé Keitel a déclaré qu’à une date qui était vraisemblablement le 26, Keitel lui avait dit : « Göring m’a reproché ce matin, devant Himmler, d’avoir encore laissé évader de nouveaux prisonniers de guerre. C’est inouï ! » Prétendez-vous que le général Westhoff ait menti ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui. Cela ne correspond pas à la réalité. D’après le général Westhoff, le Feldmarschall Keitel aurait prononcé ces paroles. Mais cette allégation est par elle-même tout à fait illogique. Je ne pouvais pas adresser de semblables reproches au Feldmarschall Keitel qui ne pouvait en rien attirer mon attention sur ces faits, puisque la garde de ces prisonniers était de sa compétence et non de la mienne.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

L’un des officiers subordonnés de l’accusé Keitel qui s’occupait de la question était un inspecteur général, le général Rötich. Le connaissez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et bien, le général Westhoff, comme on peut le comprendre, désire vivement faire admettre que son supérieur n’a jamais rien eu à voir avec cette question. Sur le général Röttich, il affirme donc ce qui suit :

« Il ne fut en aucune façon mêlé à cette affaire, car ces questions n’étaient plus de sa compétence. De toute évidence, au cours de la conférence du matin avec le Führer, ou plus précisément au cours de l’entrevue qui réunit Himmler, le Feldmarschall Keitel et Göring en présence du Führer, ce fut ce dernier qui, comme toujours lorsqu’il s’agissait d’évasion d’officiers, prit l’affaire en main. »

Vous dites que ce n’est pas exact ? Que vous n’avez pas assisté à une telle conférence ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai pas assisté à cette conférence ; le général Westhoff non plus d’ailleurs. Il n’exprime là qu’une opinion toute subjective et ne rapporte pas des faits.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

En d’autres termes, vous pensez que Westhoff a tort. Je crois me souvenir que Westhoff n’était encore que colonel à l’époque. Puis il passa général. Il demande que certains officiers supérieurs soient interrogés sur l’affaire. Il prétend « qu’il devrait être possible de prouver, par Göring qui était présent à la conférence, que c’est Himmler qui a fait cette proposition au Führer ». Westhoff, bien qu’il ne soit en fin de compte qu’un officier de grade relativement peu élevé, ne cesse de répéter que, sur ce point, ses supérieurs peuvent faire découvrir la vérité. Vous dites que ce n’est pas possible ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce n’est pas ce que je dis. Tout ce que je prétends c’est que le général Westhoff, n’ayant à aucun moment participé à la conférence, ne peut pas affirmer : « Je sais, car je l’y ai vu, que le Reichsmarschall Göring était présent à cette conférence ». Il ne peut que le supposer ou bien l’avoir entendu dire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Westhoff affirme que Keitel lui a fait des reproches, comme je vous l’ai lu, et qu’il lui aurait dit, chez le général von Graevenitz : « Messieurs, ces évasions doivent cesser. Nous devons faire un exemple et prendre des mesures d’une exceptionnelle rigueur. Je peux déjà vous annoncer que tous les hommes qui se sont échappés seront fusillés. La plupart d’entre eux sont, d’ailleurs, vraisemblablement déjà morts ».

Vous n’avez jamais entendu cela ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai assisté ni à l’entretien Keitel-Westhoff-Graevenitz, ni à la conférence entre le Führer et Himmler. D’ailleurs, à ma connaissance, le général Westhoff sera entendu ici comme témoin. De plus, le Feldmarschall Keitel est à même de déclarer si, oui ou non, j’ai participé à la conférence,

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. Mais je me vois maintenant obligé de vous placer devant certains faits. J’en viens à votre propre ministère. Je suppose qu’en général vous vous considériez comme responsable des actes des officiers de votre ministère, des officiers d’État-Major : colonels et généraux ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, lorsqu’ils agissaient conformément à mes directives, à mes consignes. Sinon, je ne peux pas me tenir pour responsable.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voyons maintenant ce qui s’est passé dans votre propre ministère. Saviez-vous que le colonel Walde alla faire au camp une enquête personnelle ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai déjà dit hier que je ne connais pas les détails de ces enquêtes. Tout ce que je sais c’est qu’il y eut une enquête.

SIR. DAVID MAXWELL-FYFE

Avez-vous appris que le 27 mars, un lundi, une conférence avait eu lieu à Berlin sur l’affaire des évasions ? Je vais d’abord vous donner les noms de ceux qui y participaient. Il vous sera peut-être ainsi plus facile de rassembler vos souvenirs. Votre ministère était représenté à cette conférence par le colonel Walde. Le lieutenant général Grosch était en effet pris par une autre réunion et c’est par ce dernier qu’il se fit remplacer. L’organisation de l’accusé Keitel était représentée par le colonel von Reurmont ; la Gestapo l’était par le Gruppenführer Müller ; la Kripo par le Gruppenführer Nebe. Ces officiers n’étaient pas, il est vrai, habilités à édicter les mesures à prendre, mais ne jouissaient-ils pas néanmoins de pouvoirs tels qu’ils eussent à s’occuper de l’application des mesures prises ?

ACCUSÉ GÖRING

Ces officiers ne jouissaient pas de pouvoirs d’exécution. De telles prérogatives n’ont jamais été considérées comme accordées à des officiers. En ce qui concerne votre première question, je n’ai jamais eu connaissance de cette conférence. Je ne connais même pas personnellement le colonel Walde.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous déclarez au Tribunal que vous n’avez jamais été au courant de cette conférence ?

ACCUSÉ GÖRING

Je l’affirme.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais vous demander de considérer une déclaration du colonel Walde que je vais vous faire transmettre. Voulez-vous donc considérer les déclarations d’un officier de votre propre ministère sur la question, le colonel Ernst Walde ? Je m’excuse, je n’ai pas d’autre exemplaire en allemand, mais je vais en avoir un sous peu. Sur mon exemplaire, le paragraphe que je voudrais que vous lisiez se trouve au bas de la page 2 :

« Comme les prisonniers de guerre repris après évasion ne devaient plus, conformément à un ordre datant déjà de plusieurs semaines, être ramenés au camp d’origine... » Trouvez-vous le passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Où se trouve-t-il ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Dans la version anglaise, au milieu de là deuxième page. Je désirerais vous questionner à ce sujet. Au milieu du paragraphe... je ne sais pas si vous voyez un nom : commandant Dr Hühnemörder. Il se détache nettement du texte ; le voyez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’ai trouvé.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Il s’agit de la phrase venant tout de suite après le nom du commandant Dr Hühnemörder : « Ce lundi... » L’avez-vous trouvée ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Merci.

« Ce lundi, une conférence eut lieu au Reichssicherheitshauptamt (Service central de la sécurité du Reich) à Berlin, Albrechtstrasse. Pour autant que je m’en souvienne, cette conférence avait été convoquée sur l’initiative du chef du département « Prisonniers de guerre » de l’OKW et j’y assistais comme représentant de la Luft-wafféninspektion 17 puisque le général Grosch, pour des raisons dont je ne me souviens plus, ne pouvait s’y rendre en personne. C’est, je crois, le colonel von Reurmont qui représentait le chef du département « Prisonniers de guerre » de l’OKW et le Reichssicherheitshauptamt était représenté par le Gruppenführer Müller et le Gruppenführer Nebe qui, à cette époque, était à la tête de la Kripo. Il m’est impossible de rapporter la discussion mot à mot ou de répéter le détail de ce qui fut dit par chacun. Mais je me souviens que l’on nous informa d’une conférence qui avait eu lieu la veille, c’est-à-dire le dimanche, au Quartier Général du Führer, après une évasion massive de prisonniers à Sagan. De sérieuses contestations avaient, paraît-il, eu lieu entre ses participants, parmi lesquels furent cités Himmler, Göring et Keitel. Je ne me souviens pas si le nom de Ribbentrop fut mentionné ; le Führer, non plus, ne fut pas nommé. A cette conférence, des mesures appropriées durent être prises ou tout au moins discutées pour empêcher à l’avenir des évasions aussi massives. De quelle nature étaient ces mesures, cela n’a pas été révélé. A la fin de la séance, et plus ou moins en conclusion, le Gruppenführer Müller déclara que des ordres avaient été donnés, qui étaient entrés en vigueur la veille au matin. Sur les résultats des opérations de recherches de prisonniers, il prétendit ne rien pouvoir déclarer. Il ajouta- seulement que, selon les rapports qu’il avait reçus jusqu’à présent, des hommes avaient été abattus en certains endroits au cours de tentatives d’évasion. Je crois qu’il avança le chiffre de dix ou quinze.

Après ces révélations du Gruppenfùhrer Müller qui provoquèrent un effet de sensation indéniable, je compris qu’une décision avait été prise en haut lieu et que, par conséquent, toute intervention d’un service subalterne quelconque serait inutile et impossible. »

On annonça donc, lors d’une réunion de personnages que je voudrais désigner sous le nom d’agents d’exécution, que les exécutions avaient commencé. Voulez-vous prétendre encore devant le Tribunal que vous ignoriez ces faits qui avaient été communiqués à des gens investis d’un pouvoir d’exécution parmi lesquels se trouvait l’un de vos propres officiers ? Le soutenez-vous toujours ?

ACCUSÉ GÖRING

Je le maintiens. D’abord, je n’ai jamais entendu parler de cette conférence. En second lieu, l’officier en question n’a fait que des suppositions en ce qui concerne les noms cités. Il n’affirme rien catégoriquement. En dernier lieu, je vous prie de me laisser citer le début de cette déclaration. Elle commence ainsi :

« A propos des évasions massives d’officiers aviateurs britanniques du camp n° 3 de Sagan, les 24 et 25 mars 1944, je vous communique ce qui suit, en attirant votre attention sur le fait que je suis obligé, en raison du manque de documents, de procéder de tête à la reconstitution d’événements qui remontent maintenant à près d’un an et neuf mois. Je vous demande donc de tenir compte des possibilités d’erreurs et d’être circonspect... »

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Sur ce point, vous avez entièrement raison ; mais en réponse, je vais vous montrer ce dont cet officier rendait compte à l’époque à son général.

Communiquez au témoin la déclaration du général Grosch. (Le document est remis à l’accusé.) Vous pourrez constater que la mémoire du colonel Walde n’était pas si mauvaise que vous voulez bien le dire. Nous avons, sans contredit, maintenant affaire à un officier supérieur, le général Walter Grosch, qui signe : Generalleutnant. Peut-être voudrez-vous m’aider à trouver le passage de sa déposition qui nous intéresse. Récemment, vous m’avez été d’un grand secours. C’est la déposition du Generalleutnant Walter Grosch.

ACCUSÉ GÖRING

J’aimerais commencer par une lecture de tout le document afin de m’assurer que je n’ai pas à formuler de réserves à son sujet.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous lire la première phrase de ce document. Je ne désire pas perdre du temps à lire tout le document. Il y est dit :

« Au cours de mon interrogatoire du 7 décembre 1945, on me demanda de consigner par écrit tout ce que je savais sur l’affaire de Sagan ». Ce qui fait l’objet de notre texte. Mais si vous considérez le chiffre 1 au bas de la première page, vous y trouverez une description de l’organisation de votre ministère. Voyez-vous cela au bas de la page 1 ? La pyramide représentant votre organisation ?

ACCUSÉ GÖRING

Je la vois, mais je... J’en suis maintenant au passage dont vous parlez.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous voir quatre paragraphes plus loin.

ACCUSÉ GÖRING

Je vois, mais j’aimerais d’abord lire les passages qui précèdent.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si vous voulez passer au quatrième paragraphe, il commence par : « Quelques jours après les évasions — je ne me souviens plus de la date — le colonel Walde me fit savoir que l’OKW avait convoqué une conférence à Berlin »

Avez-vous trouvé cette phrase ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’ai trouvée. De quel paragraphe nous occupons-nous maintenant ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

« Quelques jours après les évasions... » : alinéa c du quatrième paragraphe ; affaire de Sagan. Avez-vous trouvé ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, j’ai trouvé maintenant.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Merci. « Quelques jours après les évasions — je ne me souviens plus de la date — le colonel Walde me fit savoir que l’OKW avait convoqué une conférence à Berlin dans les locaux d’un service supérieur de Police et des SS, je crois. L’inspection 17 de la Luftwaffe devait y envoyer ses représentants. J’aurais aimé y aller moi-même, mais je devais assister à une autre réunion à Berlin. Aussi je demandai au colonel Walde d’y aller pour représenter la Luftwaffe. A son retour, le colonel Walde m’informa que le représentant de l’OKW avait annoncé que, conformément à une décision du Führer, les aviateurs britanniques évadés ne seraient pas remis à la Luftwaffe après leur capture, mais fusillés ».

Nous sautons maintenant un paragraphe et passons à la dernière partie du paragraphe suivant : « A la vérité, il ne faisait pas de doute que nous courions le danger de voir fusiller ces aviateurs. Je demandai au colonel Walde si une décision aussi importante ne devait pas être communiquée par écrit à l’OKL ou au ministère de l’Air, ou si on lui avait remis une note écrite. Le colonel Walde m’expliqua qu’on les avait informés, au cours de la réunion, qu’aucun document écrit ne devait être publié dans la circonstance. Aucune correspondance non plus n’en devait résulter ; le cercle des initiés devait être aussi restreint que possible. Je demandai au colonel Walde si le représentant de l’OKW avait laissé entendre que le Reichsmarschall ou l’OKL étaient au courant. Le colonel Walde m’assura qu’à en croire le représentant de l’OKW, le Reichsmarschall avait été mis au courant ».

Pour le moment, je ne vous questionnerai pas à ce sujet. Je voudrais simplement vous faire remarquer ce qu’a fait votre général :

« Jusqu’au rapport Walde, personne dans mon entourage n’avait jamais laissé entendre que les prisonniers évadés dussent être traités autrement que comme le prévoit la Convention de Genève.

« Ce même jour, en fin de journée, je me mis en relation téléphonique avec le service dont je dépendais pour obtenir sans tarder du chef de la Luftwehr une entrevue avec le général d’aviation Förster. Cette entrevue fut fixée au lendemain matin.

Dès mon arrivée, je rencontrai le général Föster et son chef d’État-Major. Je demandai au général Föster de lui parler en particulier et lui présentai un exposé des faits. En conclusion, j’exprimai l’opinion que si des aviateurs britanniques étaient fusillés : a) Ce serait en violation de la Convention de Genève ; b) Des mesures de représailles seraient à escompter qui mettraient en danger la vie des aviateurs allemands prisonniers des Britanniques.

Je demandai au général Föster de porter l’affaire à la connaissance du Reichsmarschall, avant qu’il ne soit trop tard, et de souligner tout particulièrement les deux points précédents.

Le général Föster se déclara d’accord immédiatement. Nous abordâmes alors la question de savoir comment l’affaire serait portée à l’attention du Reichsmarschall. Il fut décidé de mettre à profit une conférence chez le secrétaire d’État, le Generalfeldmarschall Milch.

En ma présence, le général Föster téléphona donc au bureau du secrétaire d’État et, sur-le-champ, obtint l’entrevue. Le général Föster quitta la pièce en me disant d’attendre son retour dans le bureau. Après quelque temps, il revint en me déclarant qu’il avait soumis la question au secrétaire d’État et que le Feldmarschall Milch avait pris note des points importants. »

Regardez maintenant, je vous prie, le dernier paragraphe :

« En dépit de l’interdiction de l’OKW, je donnai au colonel Walde l’ordre d’établir officiellement un rapport détaillé sur la question. A ma connaissance, cela fut fait. »

Dr STAHMER

Il a été présenté au Tribunal toute une série de dépositions sous serment émanant de témoins séjournant ici à Nuremberg. Ces témoins, à mon avis, pourraient aussi bien être entendus en personne. La question est d’importance, que ce soit pour Göring ou tout autre accusé. Je m’élève donc contre la procédure employée. Je suppose, en effet, que les règles valables pour l’interrogatoire sont applicables ici dans le cas d’un contre-interrogatoire, c’est-à-dire que l’on ne peut pas raisonnablement s’en remettre à une simple déposition sous serment lorsque le Ministère Public peut sans difficultés faire comparaître le témoin en personne, donnant ainsi à la Défense la possibilité de lui faire subir un contre-interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, ce que vous dites est absolument faux. Les règles du contre-interrogatoire ne sont pas celles du simple interrogatoire. Et, pour l’instant, nous sommes bien en train de procéder à un contre-interrogatoire de l’accusé Göring. Il a affirmé qu’il n’avait jamais rien su de cette affaire. Ce contre-interrogatoire n’a d’autre but que de prouver qu’il a menti en affirmant cela.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, à mon avis, on devrait faire comparaître les témoins en personne. Ce que vous venez de dire ne change rien au fait qu’il est plus sûr, d’après nous, de s’en remettre aux conclusions d’un témoignage devant le Tribunal, témoignage contrôlé par la Défense, que de se fier à une déposition sous serment.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, comme je viens de vous le faire remarquer, vous êtes dans l’erreur quand vous pensez que les règles du contre-interrogatoire sont les mêmes que celles de l’interrogatoire. Présentement, nous sommes en train de contre-interroger le témoin pour établir s’il a dit la vérité ou non.

En ce qui concerne le témoin — le Generalleutnant Grosch — vous pouvez demander sa comparution ici, si vous le désirez. Mais cela n’a rien à voir avec la question.

Dr STAHMER

Oui, je comprends bien, Monsieur le Président. Mais l’on devrait m’accorder la possibilité de recourir aux témoignages de toutes les personnes mentionnées dans la déposition en question, dans les cas où je considère que c’est nécessaire.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez toujours présenter une requête dans ce sens.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais que vous compreniez bien ce que je désire faire remarquer. L’affaire était connue non seulement de l’OKW, de la Gestapo et de la Kripo, mais encore du chef de votre bureau d’opérations, le général Föster, qui avait informé le général Grosch qu’il avait mis au courant le Feldmar-schall Milch. Dans ces conditions, je prétends qu’il est absolument faux, qu’il est impossible que vous n’en ayez rien su.

ACCUSÉ GÛR1NG

Je voudrais d’abord fixer un point tout différent. La traduction allemande de la déclaration faite par le Tribunal en réponse à la première intervention du Dr Stahmer...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le Tribunal ne désire pas que vous discutiez des points de droit.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous, je vous prie, répondre à la question qui vous a été posée. Nous vous avons déjà dit que vous deviez d’abord répondre aux questions ; qu’ensuite vous pouviez fournir de plus amples explications à condition cependant de le faire rapidement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Soutenez-vous toujours, sur le vu de ces preuves et des déclarations d’officiers de votre propre ministère, que vous n’avez jamais rien su de l’affaire ?

ACCUSÉ GÖRING

Ces déclarations confirment justement mes dires et j’aimerais donner une courte explication à ce sujet. En effet, vous avez précisé une date, celle du 27, alors que dans ses déclarations le général Grosch ne donne aucune précision de ce genre. Tout au contraire : « Quelques jours après les évasions, je ne me souviens plus de la date, le colonel Walde me fit savoir... »

D’autre part, il est dit ici que le général Föster, qui d’ailleurs n’était pas chef de mon bureau d’opérations mais chef d’un autre service de mon ministère, communiqua l’affaire au secrétaire d’État, le Feldmarschall Milch, à une date qui, une fois de plus, n’est pas précisée. Le Generalfeldmarschall Milch est venu témoigner ici et, malheureusement, on ne lui a pas demandé s’il m’avait transmis personnellement cette information ni à quelle date il me l’aurait transmise.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais si, on le lui a demandé. Mais le Generalfeldmarschall Milch a soutenu comme vous qu’il ne savait rien et que Föster ne lui avait jamais parlé de cette affaire. Mon collègue M. Roberts lui a même textuellement demandé : « Le général Föster ne vous a-t-il pas parlé de cette affaire ? »

Je soutiens qu’aussi bien le Feldmarschall Milch que vous-même prétendez n’avoir jamais rien su de la question et que vous voulez rejeter la responsabilité de la chose sur des officiers subalternes. Voilà ce que je prétends et ce que je voudrais que vous compreniez.

ACCUSÉ GÖRING

Non, je n’essaie pas d’échapper à mes responsabilités en chargeant mes subordonnés. Je constate simplement, et cela seul m’importe, que le Feldmarschall Milch n’a pas dit qu’il m’avait mis au courant de l’affaire. En second lieu, je constate que la date à laquelle Föster aurait transmis les renseignements à Milch n’est pas précisée. Il est tout à fait possible qu’à la date où ces événements ont eu lieu, le chef de l’État-Major général et de l’Aviation m’ait déjà entretenu de la question. De toutes façons, ce qui importe, ce qui est décisif, et cela je le maintiens, c’est que je n’étais pas présent quand le Führer a donné cet ordre. Lorsque je l’ai appris, j’ai élevé une protestation formelle. Mais, à ce moment-là, il était déjà trop tard. On ne savait pas encore que quelques hommes avaient été fusillés plus tard et je n’ai d’ailleurs jamais su exactement l’époque à laquelle ils le furent. La plupart des évadés avaient donc déjà été fusillés.

En troisième lieu, les évadés repris à proximité immédiate du camp par les équipes de surveillance y furent ramenés et ne furent pas livrés à la Police. Ceux des prisonniers qui furent arrêtés à la suite des opérations de Police et ramenés au camp avant l’ordre du Führer ne furent pas livrés à la Police ni donc exécutés.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Selon une déclaration de Wieland, qui témoignera bientôt, une liste des officiers à fusiller avait été établie par la direction du camp à la requête du département n° 5, c’est-à-dire du département RSHA-Kripo, liste sur laquelle les officiers considérés comme éléments perturbateurs, conspirateurs ou organisateurs d’évasions étaient tout spécialement mentionnés. Les noms étaient choisis, soit par le commandant, soit par un de ses officiers, après quoi l’exécution des officiers désignés était ordonnée par le service 4 du RSHA, et des directives étaient envoyées à la Staatspolizei.

Déclarez-vous toujours au Tribunal que vous ne saviez pas que vos propres officiers étaient en train de désigner les hommes à exécuter sous le prétexte qu’ils organisaient les évasions, qu’ils étaient des conspirateurs ? Dans le monde entier ne considère-t-on pas comme un devoir pour l’officier prisonnier de chercher à s’échapper ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact. Et je l’ai moi-même fait remarquer. En ce qui concerne votre première question, je voudrais tout particulièrement souligner que nous avons affaire aux déclarations d’un homme qui doit être entendu comme témoin. Le fait qu’il ait demandé et vu une telle liste est d’ailleurs illogique, car les exécutions n’ont pas été faites suivant un choix : ont été fusillés, sans exception, ceux qui étaient détenus par la Police et qui n’avaient pas encore été ramenés au camp. On ne procéda donc à aucun tri des éléments qui auraient par exemple été considérés comme perturbateurs, mais ceux qui ont été ramenés au camp n’ont pas été fusillés et ceux qui étaient encore détenus par la Police au moment de l’ordre du Führer ont tous été fusillés sans exception. C’est pourquoi cette déclaration apparaît comme totalement illogique et ne correspond pas à la réalité.

En ce qui me concerne, je n’ai jamais entendu parler de la moindre demande de liste, ni de l’établissement d’une telle liste. J’ai personnellement, et à plusieurs reprises, fait remarquer au Führer que ces officiers avaient pour devoir de s’évader et que lorsqu’ils rentreraient chez eux, après la guerre, ils seraient obligés de fournir la preuve de trois tentatives d’évasion, tout au moins pour les Anglais, si ma mémoire est bonne.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous souvenez-vous d’une note officielle publiée par le Gouvernement allemand sur la question, expliquant que les évadés avaient été abattus en tentant de résister lors de leur arrestation. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce n’est qu’après réception de la réponse à cette note que j’en ai eu connaissance. Je n’ai pas participé à sa rédaction. Je ne connais son contenu que d’après la réponse qu’elle a reçue et parce qu’il s’est trouvé que j’étais présent lorsqu’on a apporté cette réponse.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Pour le moment, laissons de côté le fait maintenant admis par chacun, que cette note est un véritable tissu de mensonges. Je voudrais aborder la question du retentissement qu’eut cette affaire. Savez-vous que le général Westhoff dit dans sa déclaration : « Lorsque nous lûmes, dans les journaux, cette note à l’Angleterre, nous fûmes tous complètement abasourdis. Nous nous prîmes la tête à deux mains, comme si nous étions devenus fous ». Toujours suivant les déclarations de M. Wieland, qui doit venir témoigner, ceci força le général Nebe de la Kripo à passer la nuit à travailler dans son bureau. Vous êtes donc d’accord, témoin, pour reconnaître que cette question était sérieuse et délicate. Tous les officiers qui y ont été mêlés ne la trouvaient-ils pas extrêmement grave ?

ACCUSÉ GÖRING

Il n’y avait pas que ces officiers pour trouver l’affaire sérieuse, grave. Moi-même je l’ai considérée comme la plus grave de toute cette guerre et je l’ai dit très clairement, sans équivoque possible, au moment où j’ai pris connaissance du contenu de la note et où je m’aperçus qu’elle ne correspondait pas à la vérité. Je manifestai alors mon indignation en demandant sur-le-champ à mon Generalquartiermeister d’adresser une lettre à l’OKW pour dire que nous renoncions désormais à nous occuper des camps de prisonniers. Après ce qui venait de se passer, nous ne voulions plus assumer cette responsabilité.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et, selon votre propre témoignage, vous vous êtes adressé à Himmler pour lui demander s’il avait reçu cet ordre. Puis vous déclarez :

« Je l’ai prévenu de l’effervescence qui en résulterait dans la Luftwaffe. Je lui dis que nous ne pouvions pas accepter de telles mesures et que si, à l’avenir, il recevait des ordres semblables, il ait au moins l’amabilité de m’en informer pour que je puisse en empêcher l’exécution, si cela m’était possible ». Puis vous déclarez : « J’ai parlé au Führer, qui m’a confirmé avoir donné cet ordre et m’en a expliqué les raisons ». Selon votre propre témoignage, vous aviez à ce moment encore assez d’influence en Allemagne et même auprès de Himmler pour empêcher que de tels ordres fussent donnés, je veux dire exécutés.

ACCUSÉ GÖRING

Vous interprétez mes déclarations d’une manière tout à fait inexacte. J’ai, sans ambages, déclaré à Himmler qu’il eut été de son devoir de me téléphoner avant de faire exécuter cet ordre. Il m’aurait ainsi réservé la possibilité, même à une époque où mon influence personnelle était bien entamée, de tout faire pour amener le Führer à ne pas faire exécuter l’ordre. Cela ne veut pas dire que j’étais certain du succès de ma démarche. Mais il va de soi qu’en tant que Commandant en chef de la Luftwaffe, je pouvais faire clairement comprendre à Himmler qu’il aurait été de son devoir de commencer par me prévenir, moi qui étais le premier intéressé à la chose, avant de rien entreprendre. C’est aussi en termes non équivoques que j’ai fait part au Führer de ma façon de penser. Mais sa réponse ne me laissa aucun doute : vraisemblablement je n’aurais pas pu empêcher l’exécution de l’ordre, même si j’en avais eu connaissance plus tôt. Il convient de souligner, pour plus de clarté, que l’exécution de l’ordre met en question deux administrations différentes. En effet, ce n’est pas à la Luftwaffe, mais à la Police qu’a été donné l’ordre de faire exécuter ces hommes par des hommes de la Luftwaffe. Si bien que même si le Führer m’avait déclaré : « Je persiste dans ma décision et l’ordre donné à la Police sera maintenu », je n’aurais pas pu dire à la Police : « Vous ne devez pas exécuter l’ordre du Führer ». Ce n’est que dans le cas où l’ordre aurait été à exécuter par mes gens que j’aurais peut-être pu faire surseoir à son exécution. C’est ce que je voulais vous faire remarquer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est peut-être votre opinion personnelle que vous n’auriez rien pu obtenir du Führer. Mais je prétends que vous ne pouviez pas ne pas être au courant de l’affaire alors que tous ces officiers que j’ai mentionnés la connaissaient. Et, ceci étant, vous n’avez rien fait pour empêcher que les évadés soient fusillés. Au contraire, vous avez coopéré à cette effroyable tuerie.

LE PRÉSIDENT

Sir David, abordez-vous maintenant un autre point ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous déposé ces deux documents ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, je les ai présentés au témoin et déposés comme preuve. Ces deux documents, D-731 et D-730, deviendront respectivement GB-278 et GB-279.

LE PRÉSIDENT

Peut-être feriez-vous bien de nous lire le deuxième paragraphe du document D-731.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui.

LE PRÉSIDENT

Ce passage précise qu’aux premières heures du 25 mars, l’affaire fut communiquée au bureau des aides de camp du Reichsmarschall. Il s’agit du paragraphe qui commence par : « La fuite... »

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui.

« La fuite de 20 à 30 prisonniers (le nombre exact des évadés ne put être établi que par un appel) fut signalée par téléphone du camp de Sagan à l’inspection, aux premières heures du 25 mars, un samedi. De là. toujours par la même voie, on avertit les services compétents de cette évasion en masse. A savoir :

1. Le bureau des aides de camp du Reichsmarschall ;

2. L’OKW en la personne du chef du département des prisonniers de guerre (OKW chef Kgf) ;

3. L’inspecteur général des prisonniers de guerre ;

4. Le chef de la circulation aérienne au ministère de l’Air. »

Je vous remercie, Monsieur le Président. Le Tribunal se souviendra que le témoin n’a pas reconnu hier après-midi que la nouvelle des évasions avait été transmise au bureau de ses aides de camp.

LE PRÉSIDENT

Parfaitement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Merci, Monsieur le Président.

ACCUSÉ GÖRING

Les évasions nous étaient communiquées d’une manière relativement rapide. Mais en ce qui concerne vos assertions de tout à l’heure, je voudrais vous faire remarquer que vous ne les avez jamais démontrées. Et je maintiens mon point de vue, à savoir que je n’ai été informé de l’événement que trop tard.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous ai posé toutes les questions que j’avais à vous poser à ce propos et je passe à un autre sujet.

Je voudrais maintenant vous poser deux ou trois questions sur votre témoignage d’il y a deux jours concernant la déposition de votre propre témoin : Dahlerus.

Vous vous souvenez que Dahlerus fit sa première visite à Londres le 25 août 1939 après une entrevue et une conversation téléphonique avec vous, le 24. Je voudrais simplement que vous reteniez cette date, bien qu’il soit souvent difficile de se rappeler de telles choses. A cette époque, vous vous préoccupiez d’amener par son intermédiaire le Gouvernement britannique à préparer une réunion de plénipotentiaires qui discuteraient de la question de Dantzig et du Corridor. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous saviez très bien, n’est-ce pas, que la question de Dantzig et du Corridor n’était pas ce qui préoccupait réellement le Führer à ce moment. Je voudrais vous rappeler ce qu’il disait le 23 mai :

« Dantzig n’est pas, à proprement parler, l’enjeu des négociations. Il s’agit bien plutôt pour nous d’étendre notre espace vital à l’Est, d’assurer notre ravitaillement, de trouver une solution au problème de la Baltique ».

Vous étiez au courant de cette déclaration, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Je la connaissais. Mais j’ai déjà insisté à plusieurs reprises sur l’importance qu’il faut attacher à de telles déclarations, toujours conditionnées par la situation politique du moment. En ce qui concerne les entretiens avec l’Angleterre, il s’agissait effectivement et exclusivement de Dantzig et du Corridor.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous maintenez qu’en dépit de ses déclarations du 23 mai, Hitler ne visait à l’époque que Dantzig et le Corridor ? Le prétendez-vous sérieusement ?

ACCUSÉ GÖRING

Je le déclare très sérieusement. C’était effectivement le cas, dans la situation telle qu’elle se présentait à ce moment. Il serait impossible autrement de comprendre aucune des actions de Hitler, car il suffirait alors de prendre Mein Kampf pour base et d’en déduire l’ensemble de ses entreprises.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Pour l’instant, nous nous occupons de la dernière semaine d’août. Voudriez-vous vous remémorer deux points de votre déclaration relative à Dahlerus et au 25 août ? Vous souvenez-vous de la conversation téléphonique que vous avez eue avec lui, le 24, à 11h30 ? Possédiez-vous, à cette époque, c’est-à-dire le 25, encore assez de crédit auprès de Hitler pour qu’il vous ait confié qu’il était sur le point de communiquer le même jour une note verbale à Sir Nevile Henderson, ambassadeur de Grande-Bretagne ? Le saviez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, évidemment.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Au moment où vous avez envoyé M. Dahlerus en mission et où la note verbale fut transmise à l’ambassadeur britannique, n’avait-il pas déjà été décidé que vous attaqueriez la Pologne le matin du 26 ?

ACCUSÉ GÖRING

Il semble que le système de transmission ne fonctionne pas.

LE PRÉSIDENT

Je crois, en effet, qu’il se produit une difficulté d’ordre technique. Il serait peut-être préférable de suspendre l’audience pendant quelques minutes.

(L’audience est suspendue.)
SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous m’avez déclaré, témoin, que les plans de l’attaque contre la Pologne, fixée primitivement au matin du 26, avaient été modifiés le 25 au soir. Avant d’aborder ce sujet, je voudrais vous poser une ou deux questions.

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai pas dit cela.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Un moment, je vous prie. C’est ainsi que j’ai compris vos déclarations.

ACCUSÉ GÖRING

Non. J’ai expressément déclaré que, dès le 25, on avait rapporté l’ordre d’attaque du 26 au matin. D’ailleurs, du simple point de vue technique, il est impossible de modifier la veille au soir une attaque d’aussi grande envergure, fixée au lendemain matin. Il faut de 24 à 48 heures au moins. J’ai expressément déclaré que le 25 la situation était claire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Au moment où vous avez demandé à Dahlerus de se rendre en Angleterre, le 24, l’attaque était toujours fixée au 26. En envoyant Dahlerus, votre but n’était-il pas de créer des difficultés au Gouvernement anglais qui se serait alors trouvé en train de discuter vos offres au moment de l’attaque ?

ACCUSÉ GÖRING

Non. Je prétends et peut-être m’accordera-t-on les documents qui me permettront de démontrer à l’aide des dates que, lorsque Dahlerus partit en mission et de ce fait au moment où la note fut remise à Sir Nevile, l’attaque du 26 avait déjà été rapportée.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Laissez-moi vous rappeler ce que vous déclarez vous-même, le 29 août :

« Le jour où l’Angleterre donna des assurances officielles à la Pologne, le 25 août à 5 h. 30, le Führer m’a appelé par téléphone pour me dire que le plan d’invasion de la Pologne avait été annulé. Je lui ai demandé si c’était temporaire ou définitif. Il me répondit :

« Il faut d’abord voir si nous pouvons empêcher l’intervention britannique ».

Je lui ai ensuite demandé : « Croyez-vous que l’attaque « soit à nouveau décidée dans quatre ou cinq jours ? »

Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, j’ai bien prononcé ces paroles. Mais je n’ai pas dit que cette conversation avait eu lieu le 25. Elle eut lieu après que le Führer se fut rendu compte que des assurances étaient données à la Pologne. Je tiens à souligner une fois de plus...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est ce que je vous ai cité. Dès que la garantie officielle fut donnée, la signature de l’accord suivit, le 25 août à 17 h. 30. Ce sont vos propres déclarations. Après quoi, le Führer vous a téléphoné pour vous annoncer que l’invasion était différée. Revenez-vous sur vos déclarations selon lesquelles la conversation aurait eu lieu après la remise de la garantie officielle à la Pologne ?

ACCUSÉ GÖRING

Je tiens à l’affirmer encore une fois, après que nous eûmes appris que des assurances seraient données. Vous comprendrez sans doute facilement que, la signature ayant été apposée le 25 dans l’après-midi à 5 h. 30, le Führer n’a pu évidemment en avoir connaissance qu’un peu plus tard. Il n’avait donc pas pu convoquer, avant, une conférence sur la question et c’est au plus tôt dans la nuit du 25 au 26 que l’attaque pouvait être différée. Il n’est pas nécessaire d’être grand expert militaire pour se rendre compte que c’est là une impossibilité absolue, mais comme je l’ai dit dans ma déclaration, ce ne fut fait que lorsqu’il fut évident pour le Führer que la garantie serait donnée. D’ailleurs, je tiens encore à le souligner, je n’ai ni vu ni signé le procès-verbal de cet interrogatoire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’avoue ne pouvoir me prononcer sur cette question. Je ne sais pas en effet si à cette époque vous jouissiez encore de la confiance de Hitler. Cependant, il ne fait aucun doute que M. Attolico apprenait, le 25, à Hitler que l’Armée et l’Aviation italiennes n’étaient pas prêtes à entrer en guerre. Hitler vous l’a-t-il révélé ?

ACCUSÉ GÖRING

Bien sûr, il me l’a appris.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est pour cette raison, n’est-ce pas, que fut différée l’attaque du 26 ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, en aucune façon. Car pour ce qui est de l’aide italienne, il ne faisait de doute pour personne que, vu les circonstances, elle serait à peu près inefficace. Dès la période de tension précédente, il était devenu évident que les exigences précises formulées par les Italiens et auxquelles nous ne pouvions pas souscrire, n’avaient d’autre but que de les tenir à l’écart de la guerre. Le Führer était convaincu que l’Angleterre n’avait conclu le pacte d’assistance avec la Pologne que parce qu’elle avait acquis la certitude que l’Italie ne se joindrait pas à l’Allemagne dans cette entreprise.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vais vous relire votre propre déclaration concernant la réponse du Führer : « Il faut d’abord voir si nous pouvons empêcher l’intervention britannique ». N’est-il pas exact de dire que vous avez, par Dahlerus, essayé de toutes les manières d’éviter l’intervention britannique ?

ACCUSÉ GÖRING

A aucun moment je ne l’ai nié. Je voulais à tout prix éviter la guerre avec l’Angleterre. Si un accord avec la Pologne avait pu empêcher la guerre avec l’Angleterre, il aurait été accepté. Si, même après le déclenchement de la guerre avec la Pologne, la guerre avec l’Angleterre avait pu être évitée, il était encore de mon devoir de le tenter. Cela ressort clairement du fait que, même après le début de la campagne de Pologne, après le 1er septembre, j’ai tout tenté pour éviter une guerre avec l’Angleterre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Autrement dit, à partir du 25, vous avez essayé d’obtenir l’accord de l’Angleterre pour le rattachement au Reich de Dantzig et du Corridor polonais. Est-ce juste ?

ACCUSÉ GÖRING

On ne peut exprimer la chose plus clairement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous souvenez-vous d’une entrevue avec M. Dahlerus au cours de laquelle vous avez marqué au crayon de couleur certaines parties d’une carte de Pologne ? Vous en souvenez-vous ? Si j’ajoute que c’était le 29 août à 11 h. 30, cela ne vous rappellera probablement pas grand-chose. Je voudrais vous poser une deuxième question :

Vous souvenez-vous que vous avez manifesté un vif mécontentement lorsque Hitler remit la réponse allemande à l’ambassadeur de Grande-Bretagne, M. Henderson, et qu’il fut question d’ultimatum ?

ACCUSÉ GÖRING

Naturellement, j’étais très mécontent, car d’un seul coup tous mes plans étaient bouleversés.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et ceci est-il exact ? M. Dahlerus affirme, à la page 72 de son livre, que vous avez lancé une tirade, plutôt violente, contre les Polonais. Vous souvenez-vous de vous être écrié : « Nous connaissons les Polonais ». Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Bien entendu. Vous devriez comprendre la situation du moment. Je venais d’apprendre la nouvelle des excès commis. Dans ces conditions, je n’allais pas dire à un neutre, M. Dahlerus : « L’Allemagne est coupable et les Polonais ne le sont en rien ». J’ai bien prononcé ces paroles, mais elles étaient dictées par la situation.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

N’avez-vous pas toujours été un fervent admirateur de Bismarck ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai une admiration sans réserve pour lui, mais je n’ai jamais prétendu être un Bismarck.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Mais peut-être aviez-vous en tête son fameux mot sur les Polonais : « Tapons sur les Polonais jusqu’à ce qu’ils en perdent le goût de vivre ». Y pensiez-vous à ce moment ?

ACCUSÉ GÖRING

J’y pensais d’autant moins que, depuis des années, je faisais tout pour arriver à une entente avec la Pologne.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous nous avez dit, sans vous faire prier, quels étaient vos buts généraux. Mais je ne voudrais pas consacrer beaucoup plus de temps à leur examen. Il me reste un ou deux points secondaires à éclaircir.

Vous rappelez-vous un extrait du livre de M. Dahlerus que j’ai lu et qui concernait le sabotage de son avion ? Il y dit que vous lui auriez déclaré, en parlant de l’accusé Ribbentrop que... Vous souvenez-vous de ce passage ? Vous avez donné des explications à ce sujet et je voudrais...

ACCUSÉ GÖRING

Oui et mes explications ne pouvaient être plus claires.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Selon vos déclarations, M. Dahlerus aurait mal interprété vos craintes de voir son avion abattu au cours du voyage. Je rends bien, n’est-ce pas, votre façon d’envisager la question ? Vous affirmez que M. Dahlerus s’est mépris sur le sens de vos paroles : vous ne faisiez qu’exprimer vos craintes de voir son avion abattu. C’est tout au moins ce que j’ai compris.

ACCUSÉ GÖRING

Ce n’est pas cela. Pourtant, je croyais m’être expliqué de façon suffisamment claire. Voulez-vous que je répète encore une fois mes explications ? J’ai dit, et M. Dahlerus questionné sur le cas Ribbentrop a ici même textuellement déclaré pendant son témoignage : « Je dois faire la rectification suivante. Je n’ai mentionné le nom de Ribbentrop que par une association d’idées, parce que, peu auparavant, il avait été mentionné à une autre occasion ».

Là-dessus, j’ai répété que mes craintes visaient uniquement ce qui aurait pu arriver à l’avion. C’est ce que j’ai déjà très clairement exposé et je ne pense pas avoir à y revenir.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je pense, témoin, que nous sommes bien d’accord sur la question posée : vos craintes avaient pour objet ce qui aurait pu arriver à l’avion ? Je voudrais d’ailleurs souligner, pour mettre les choses au point, que l’épisode ne se situe pas le jour où M. Dahlerus se préparait à gagner pour la troisième fois l’Angleterre, mais au moment de son deuxième séjour dans ce pays. Il vous appela par téléphone au soir du 27 août et, à ce propos, il déclare, à la page 59 de son livre :

« Avant de quitter le Foreign Office, je téléphonai à Göring pour lui confirmer que je repartais pour Berlin le soir même par avion, à 7 heures. Il exprima l’opinion que c’était un peu tard. Il ferait nuit et il craignait qu’on ne tirât sur mon avion au cours du survol, soit de l’Angleterre, soit du territoire allemand. Il me demanda de rester en ligne et quelques instants plus tard m’indiqua un itinéraire à suivre au-dessus de l’Allemagne, pour ne pas risquer de servir de cible. Il m’assura également que les postes de DCA situés sur ce parcours seraient prévenus. »

Je prétends que vos explications sont erronées et que vous confondez le présent épisode avec celui dont parle précédemment M. Dahlerus ; celui-ci a donc parfaitement raison quand il parle du deuxième incident qui eut lieu deux jours plus tard.

ACCUSÉ GÖRING

Il n’y a là aucune espèce de contradiction. Pour ce qui est du premier vol, il ne faisait déjà plus jour, ce qui constituait une aggravation du danger. Et au moment du second vol, les préparatifs de guerre étaient, dans chaque camp, poussés à ce point que, je tiens à le répéter, toute liaison aérienne devenait périlleuse. Je spécifie à nouveau que M. Dahlerus s’est repris sur une question de mon défenseur et a convenu que je ne lui avais jamais déclaré que Ribbentrop eût préparé une attaque contre son avion.

Je tiens à souligner encore une fois que Ribbentrop n’a absolument rien su de mes négociations avec Dahlerus.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le soutenez-vous vraiment ? Vous souvenez-vous que le 29 août, ou plutôt dès le 28 août 1939, à 10 h. 30 du soir, Hitler et Henderson eurent un entretien. C’était avant que les difficultés ne surgissent. Au cours de cet entretien, Hitler envisagea de négocier directement avec les Polonais. Il déclara : « Il faut faire appeler le maréchal Göring pour discuter de la question avec lui ». Ce point figure dans notre Livre Bleu et n’a jamais — autant que je sache — été contesté. On vous demanda donc d’assister à l’entrevue qui réunissait Hitler, Ribbentrop et Sir Nevile Henderson.

ACCUSÉ GÖRING

Permettez-moi de vous interrompre. Le Führer avait demandé qu’on me fît venir ; mais on ne l’a pas fait. C’est ce que ne dit pas le Livre Bleu.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais il déclare sur la base des renseignements de M. Dahlerus :

« Au cours de notre conversation, Göring déclara qu’immédiatement après le départ de Henderson il avait été convoqué pat Hitler. Hitler, Göring et Ribbentrop commentèrent alors la conférence tenue avec Henderson et se déclarèrent tous satisfaits des résultats obtenus. Sur quoi, Hitler se tourna vers Ribbentrop et déclara ironiquement : « Croyez-vous toujours que Dahlerus soit un agent « britannique ? » Sur un ton assez aigre, Ribbentrop répondit que ce n’était vraisemblablement pas le cas. »

Prétendez-vous que cela aussi soit faux ?

ACCUSÉ GÖRING

M. Dahlerus parle d’événements auxquels il n’a pas assisté. De son exposé, il ressort clairement que je ne suis arrivé qu’après le départ de Henderson. Cet exposé est d’ailleurs pour le reste quelque peu fantaisiste. Ribbentrop n’avait aucune idée de l’objet des négociations que je menais avec Dahlerus et le Führer, non plus, ne l’avait pas mis au courant. Ribbentrop savait simplement que Dahlerus me servait d’intermédiaire. Il était d’ailleurs mal disposé à son égard car il était naturellement mécontent, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, que l’on passât par un canal autre que la voie officielle.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est justement ce que j’avançais il y a environ sept minutes : Ribbentrop savait que vous utilisiez Dahlerus. A ce moment, vous l’avez nié. Maintenant, vous reconnaissez qu’il le savait. Restons-en là.

ACCUSÉ GÖRING

Excusez-moi, je vous prie de ne pas dénaturer le sens de mes paroles. J’affirme, à nouveau, que Ribbentrop n’a jamais connu l’objet des négociations menées par Dahlerus. Je répète qu’il n’en a rien su, même pas par le Führer.

SIR DAVID MAXWELL-TYPE

Vous dites : ne dénaturez pas. Mais je n’ai jamais dit qu’il connaissait l’objet de vos négociations. J’ai simplement dit qu’il savait que vous utilisiez Dahlerus, sans plus. A l’instant, vous étiez d’accord avec moi là-dessus. C’est bien exact ?

ACCUSÉ GÖRING

Il ne savait pas non plus qu’à ce moment j’étais, par l’intermédiaire de Dahlerus, en pourparlers avec l’Angleterre. Il ne savait rien non plus des liaisons aériennes.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bien. Je voudrais maintenant que vous m’éclairiez sur un ou deux autres points.

Vous souvenez-vous qu’à deux reprises, en janvier et en octobre 1937, le Gouvernement allemand donna des assurances formelles relatives à la neutralité et à l’inviolabilité de la Belgique et de la Hollande. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne m’en souviens pas en détail ; mais je sais qu’on en a parlé ici.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous souvenez-vous que le 25 août 1938 l’État-Major de l’Aviation prépara un mémorandum pour le cas où la France et la Grande-Bretagne — pardon, la France seule — entrerait en guerre à l’occasion du « Cas Vert » et où la Grande-Bretagne se joindrait à la France ? Vous en souvenez-vous ? C’est le document PS-375 (USA-84). Je voudrais que vous ayez présentes à la mémoire les grandes lignes de ce document dont je vais vous lire un passage.

ACCUSÉ GÖRING

Puis-je vous demander s’il est bien signé Wolter ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vais vous le dire. Oui, c’est exact.

ACCUSÉ GÖRING

Dans ce cas, ’je me souviens très bien de ce document. Il m’a été présenté ici.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais simplement que vous vous rappeliez la phrase suivante :

« La Belgique et les Pays-Bas entre les mains des Allemands représentent un atout de premier ordre dans la conduite de la guerre aérienne contre la Grande-Bretagne et contre la France. Il semble donc indispensable que l’Armée fasse connaître ses vues sur les conditions dans lesquelles l’occupation de ces territoires serait réalisable, et en combien de temps. »

Vous en souvenez-vous ? En l’occurrence, il s’agit de toute évidence de stratégie aérienne. Vous souvenez-vous de ce document ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, c’est parfaitement exact. Il s’agit du travail d’un capitaine du cinquième bureau de l’État-Major qui, dans son rapport, devait, bien entendu, présenter les arguments les plus probants.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plus tard, le 28 avril 1939, vous souvenez-vous que Hitler ait déclaré avoir donné des assurances formelles à de nombreux pays, dont les Pays-Bas et la Belgique ? C’est, je crois, dans un discours au Reichstag où il a nommé toute une série de petits pays, parmi lesquels les Pays-Bas et la Belgique.

ACCUSÉ GÖRING

Oui, on l’a déjà mentionné à plusieurs reprises.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Maintenant, vous souvenez-vous que le 23 mai, toujours d’après le document que je vous ai déjà présenté, Hitler, au cours d’une réunion à la Chancellerie du Reich, a déclaré :

« Les bases aériennes hollandaises et belges doivent être occupées par les forces allemandes. Aucune déclaration de neutralité ne pourra être prise en considération. »

Vous souvenez-vous de cette déclaration ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est en effet dans le texte.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et, le 22 août 1939, dans un discours aux commandants en chef, document PS-798 (USA-29), il déclara :

« Il reste la possibilité de violer les neutralités hollandaise, belge et suisse. Sans aucun doute, tous ces pays ainsi que les pays Scandinaves défendront leur neutralité par tous les moyens. L’Angleterre et la France, elles, ne violeront pas la neutralité de ces pays. »

Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Vous pouvez constater par là combien le Führer était versatile ; aussi bien, le plan du mois de mai n’était nullement définitif.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Tout cela est, à mon avis, parfaitement logique. Il dit qu’on occupera ces pays sans tenir compte des déclarations de neutralité et il souligne ce point de vue en déclarant que l’Angleterre et la France, elles, ne violeront pas la neutralité de ces pays, ce qui rendra d’autant plus facile la tâche de l’Allemagne.

ACCUSÉ GÖRING

Non. Il veut dire que, pour nous non plus, il n’est pas nécessaire de le faire. Je vous ferais simplement remarquer qu’une situation politique évolue perpétuellement et que c’est la première fois, au cours de ce Procès, que nous pouvons considérer l’arrière-plan historique des questions politiques sur le plan mondial.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Cela se passait le 22. Vous étiez d’accord sur ce qui a été dit. Peu après, le 26, c’est-à-dire quatre jours plus tard, Hitler prodigua de nouvelles assurances. Pouvez-vous vous en souvenir ? Peu avant la déclaration de guerre.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et, le 6 octobre 1939, il prodigua d’autres assurances. Le 7 octobre, le jour suivant, il faisait publier l’ordre ci-après qui constitue le document PS-2329 ou GB-105 :

« Le groupe d’armées B devra, en même temps, procéder, selon ses instructions particulières, aux préparatifs d’invasion des territoires hollandais et belges au cas où la situation politique l’exigerait. »

Il y a aussi une directive de Hitler du 9 octobre :

« Des préparatifs devront être entrepris pour une action offensive contre la partie nord du front de l’Ouest, à travers les frontières du Luxembourg, de Belgique et de Hollande. Cette attaque doit être faite aussitôt que possible. »

N’en ressort-il pas très clairement que vous avez toujours su que la France et l’Angleterre ne violeraient pas la neutralité de ces pays, comme Hitler lui-même l’a déclaré le 22 août, et que vous n’hésiteriez pas à le faire dans l’intérêt de vos objectifs tactiques et stratégiques. N’est-ce pas clair ?

ACCUSÉ GÖRING

Pas autant que vous le pensez. Seulement si la situation politique l’exigeait. Et, entre temps, l’Angleterre avait exercé son influence sur l’attitude de neutralité des Pays-Bas et de la Belgique, cela jusqu’en octobre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

En somme, lorsque vous dites : pas autant, vous n’êtes pas loin d’approuver ma dernière affirmation ?

Je veux vous poser maintenant quelques brèves questions sur la Yougoslavie Vous souvenez-vous avoir affirmé, au cours de votre déposition, que jusqu’à la guerre, l’Allemagne entretenait les meilleures relations avec le peuple yougoslave et que vous y aviez vous-même largement contribué ? Je résume un peu la chose, mais en gros est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous vous souvenez aussi que cet état de choses a été souligné par Hitler lui-même le 1er juin 1939, dans un discours prononcé au cours d’un banquet en présence du prince Paul.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Quatre-vingts jours plus tard, le 12 août 1939, l’accusé Ribbentrop, Hitler et Ciano se rencontraient. Permettez-moi de rappeler ce que Hitler déclara au comte Ciano au cours de cette entrevue.

« D’une façon générale...

ACCUSE GÖRING

Je vous demande pardon, de quel document s’agit-il ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Excusez-moi, c’est le document TC-77 (GB-48). C’est le compte rendu officiel d’une conversation entre Hitler, Ribbentrop et Ciano à l’Obersalzberg, le 12 août.

ACCUSÉ GÖRING

Je voulais simplement savoir si c’était un extrait du journal de Ciano. C’est important pour moi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, ce n’est pas un extrait du journal de Ciano, c’est un rapport. C’est le compte rendu officiel :

« D’une façon générale, il serait préférable de liquider un à un les faux neutres. Ce serait relativement facile si dans chaque cas l’un des membres de l’Axe pouvait compter sur l’appui de son partenaire et inversement. L’Italie peut, à juste titre, considérer la Yougoslavie comme un de ces pays neutres auxquels il ne faut pas se fier. »

Ce n’est en accord ni avec vos déclarations antérieures sur les bonnes intentions de l’Allemagne vis-à-vis de la Yougoslavie ni avec les assurances données par le Führer au prince Paul ?

ACCUSÉ GÖRING

Je voudrais revoir de près le texte pour examiner dans quelles circonstances cette déclaration a été formulée. Telle qu’elle est présentée ici, elle se trouve évidemment en contradiction avec la précédente.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne voudrais pas vous interrompre inutilement, mais ce document a déjà été lu deux fois au cours du Procès. J’espère que vous en tiendrez compte par la suite. Vous reconnaîtrez cependant, à moins que je n’aie pas tenu assez compte du contexte, ce que je ne pense pas, que l’on ne peut pas précisément parler d’intentions amicales.

ACCUSÉ GÖRING

Je disais, en effet, que cela n’a aucun rapport.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Cinquante-six jours plus tard, le 6 octobre, Hitler donnait des assurances à la Yougoslavie et déclarait :

« Immédiatement après l’Anschluss, j’ai fait savoir à la Yougoslavie que nos frontières communes ne pourraient subir de rectifications et que l’Allemagne désirait vivre en paix et entretenir des relations amicales avec ce pays. »

Plus tard, en mars 1941, au moment de la signature du Pacte Tripartite, le Gouvernement allemand réitérait sa détermination de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Yougoslavie. Ensuite, il y eut le putsch de Simovitch en Yougoslavie. Je crois me souvenir de vous avoir entendu déclarer ouvertement ici que ni Hitler ni vous n’aviez jamais songé à vous donner la peine de chercher à savoir si le Gouvernement Simovitch défendrait ou non la neutralité de la Yougoslavie. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai pas dit cela ; nous avons toujours été convaincus que toutes les déclarations de ce Gouvernement n’avaient pour but que de brouiller les cartes. Nous savions en effet que le putsch était orchestré par Moscou et, comme nous l’avons également appris plus tard, que l’Angleterre avait soutenu ce mouvement, financièrement, avec une exceptionnelle générosité. Il nous était facile après cela de deviner des intentions hostiles. Nous n’eûmes plus de doutes une fois que la Yougoslavie eut mobilisé. Malgré tout, nous n’avions pas l’intention de nous laisser duper par les déclarations de Simovitch.

SIR DAVID MAXWELL-PYFE

Plus tard, nous reviendrons rapidement sur cette question de la mobilisation yougoslave. Cependant, le 27 mars, c’est-à-dire deux jours après la signature du pacte, se tint à Berlin une conférence réunissant Hitler et le Haut Commandement allemand, à laquelle vous étiez présent. Vous rappelez-vous ces paroles du Führer :

« Le Führer, sans attendre d’hypothétiques déclarations de loyauté du nouveau Gouvernement, est décidé à prendre toutes les mesures nécessaires à la destruction de la Yougoslavie, aussi bien militairement que politiquement. Aucune note diplomatique ne sera transmise, aucun ultimatum présenté. Où prendra connaissance des assurances du Gouvernement yougoslave, bien qu’il ne soit pas possible de se fier à ses déclarations. L’attaque commencera dès que moyens matériels et troupes seront à pied d’œuvre.

« Au point de vue politique, il est particulièrement important que cette opération contre la Yougoslavie soit conduite de façon implacable et que l’effondrement militaire de ce pays ait lieu très rapidement. C’est pourquoi il convient d’activer nos préparatifs et d’engager des forces assez considérables pour que l’effondrement de la Yougoslavie se produise dans les plus brefs délais. »

Peut-on, d’après vous, considérer que ce soit faire preuve de bons sentiments envers un pays que de rendre impossible toute négociation diplomatique avec lui ou de ne pas permettre à ses gouvernants de donner des assurances ou d’arriver à un accord avec vous, de frapper, enfin, de façon aussi implacable ?

ACCUSÉ GÖRING

Je viens de déclarer à l’instant qu’après le putsch de Simovitch, nous étions parfaitement fixés sur ce qu’il fallait penser de la situation. Nous avions compris que la Yougoslavie profitait de sa déclaration de neutralité pour gagner du temps. Après le putsch, la Yougoslavie entra ouvertement dans le camp ennemi et nous nous sommes autorisés nous aussi à ruser : en attaquant le plus rapidement possible avec des forces qui, à cette époque, étaient relativement faibles.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous venez de déclarer que le général Simovitch suivait les directives de Moscou ? C’est un point dont je ne discuterai pas avec vous. Je voudrais simplement vous faire remarquer que l’événement eut lieu trois mois avant votre entrée en guerre contre l’Union Soviétique. Vous me comprenez ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui. C’est précisément ce putsch qui ôta au Führer les dernières illusions qui pouvaient lui laisser croire que la Russie n’attaquerait pas l’Allemagne. C’est ce putsch qui l’amena à prendre, de toute urgence, les décisions capables de prévenir le danger. En second lieu...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Un moment ! Vous savez, et ceci ressort très nettement du document, que l’attaque contre l’URSS fut retardée de six semaines, à cause de ces événements dans les Balkans. N’est-ce pas en contradiction avec ce que vous venez d’affirmer ?

ACCUSÉ GÖRING

Non. Relisez encore une fois les déclarations à ce sujet. Vous constaterez que j’ai affirmé que de nombreuses raisons incitaient le Führer à donner l’ordre d’attaquer la Russie, que néanmoins il s’était réservé la décision finale jusqu’au moment du putsch Simovitch. Le Führer ordonna alors l’attaque. Qu’une décision d’ordre politique ait retardé les préparatifs militaires à cause de la campagne en Yougoslavie, c’est bien évident et c’était le fait de la situation stratégique.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais vous poser une autre question sur la Yougoslavie. Vous souvenez-vous avoir affirmé que l’attaque contre Belgrade était à imputer au fait que Belgrade abritait le ministère de la Guerre et toute une série d’organismes militaires. Je ne fais en ce moment que résumer, mais c’était là l’essentiel de votre déposition.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous souvenez-vous de l’ordre de Hitler que je viens de vous lire :

« Le principal objectif de l’Aviation consiste à détruire le plus tôt possible les installations terrestres de l’Aviation yougoslave ». Et vous remarquerez la phrase suivante : « ... et d’attaquer par vagues Belgrade, la capitale, jusqu’à complète destruction. De plus, l’Aviation doit soutenir l’avance de l’Armée de terre ».

Je déclare qu’il ressort clairement de cet ordre que l’attaque contre Belgrade n’avait d’autre but que de mettre à genoux par la terreur une population qui pouvait à peine opposer de résistance.

ACCUSÉ GÖRING

Ce n’est pas exact : la population de Belgrade s’est défendue et Belgrade était, beaucoup plus que n’importe quelle autre capitale, un important centre militaire. C’est ce que je vous prie de considérer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je passe à un ou deux points sur lesquels vous avez déposé. Je fais allusion à votre réponse aux questions posées par l’avocat des Organisations. Vous vous souvenez d’avoir témoigné, à la demande du Dr Babel, sur la question des Waffen SS. C’était il y a quelques jours.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais que vous examiniez le document qui ne porte pas de numéro. Il reproduit les idées du Führer sur les Waffen SS. Je voudrais savoir si vous êtes d’accord. C’est le document D-665 (GB-280), document en provenance de l’État-Major général du Haut Commandement de l’Armée de terre :

« Déclarations du Führer concernant la nouvelle Police militaire d’État ». La lettre de couverture du document déclare : « Après communication des propositions du Führer sur les Waffen SS, on s’est demandé s’il était dans ses intentions de les diffuser plus largement ». Vous pourriez peut-être suivre sur le document pendant que je lis. Je ne pense pas que ce document ait déjà été déposé.

« Le 6 août 1940, à l’occasion de l’ordonnance organisant sa garde du corps, le Führer communiqua les principes résumés ci-dessous, relatifs au caractère indispensable des Waffen SS :

Le Grand Reich allemand, dans sa forme définitive, n’englobera à l’intérieur de ses frontières que des éléments bien disposés de prime abord à son égard.

Il est donc nécessaire d’entretenir à l’extérieur du Reich une Police militaire d’État capable, en toutes circonstances, de faire respecter le pouvoir central.

« Cette tâche, seule une Police d’État peut l’accomplir qui ait dans ses rangs des hommes du meilleur sang allemand et s’identifiant sans réserves avec l’idéologie qui fait la force du Grand « Reich allemand. Seule une formation ainsi composée pourrait, aux moments critiques, s’opposer à des influences subversives. Une telle formation, consciente de sa pureté, ne fraternisera jamais avec la masse ou avec les bas-fonds qui ne cherchent qu’à saper nos idées-forces. Dans ce Grand Reich à venir, la Police n’aura d’autorité sur ses compatriotes que si elle est éduquée suivant les traditions militaires de notre peuple.

Notre peuple possède à ce point l’esprit militaire, résultat des « éclatantes victoires dans la guerre et de son éducation nationale-socialiste, qu’une police pantouflarde, telle que celle de 1848 ou une police bureaucratique, comme en 1918, ne pourrait plus avoir la moindre autorité ! Il est donc nécessaire que cette Police d’État en unités constituées prouve sa valeur au front et apporte son tribut de sang tout comme n’importe quelle unité de la Wehrmacht. Après avoir prouvé sa valeur sur les champs de bataille dans les rangs de l’Armée, les Waffen SS, rentrées au pays, auront l’autorité nécessaire pour accomplir leur tâche de Police d’État.

L’utilisation des Waffen SS, à l’intérieur, est de l’intérêt de la Wehrmacht elle-même. Il ne faudra plus tolérer à l’avenir que la Wehrmacht, de recrutement populaire, soit obligée de porter, aux moments critiques, les armes contre des compatriotes ; de telles pratiques conduiraient rapidement à la catastrophe. Lorsqu’un État a recours à de telles méthodes, il n’est plus en mesure d’utiliser son Armée contre l’ennemi et s’avoue de lui-même vaincu. Notre Histoire contient de ces tristes exemples. La Wehrmacht, pour le reste des temps, ne devra plus être utilisée que contre les ennemis extérieurs du Reich.

Afin de s’assurer que la qualité des hommes des Waffen SS atteigne toujours un niveau élevé, il faut limiter le recrutement dans cette formation. Le Führer pense que l’effectif des unités des Waffen SS ne devra pas, en général, dépasser plus de 5% à 10% des effectifs de l’Armée de terre en temps de paix. »

Êtes-vous d’accord avec ce document ? Décrit-il exactement les buts des Waffen SS ?

ACCUSÉ GÖRING

Je suis absolument convaincu qu’il rapporte bien ce que le Führer a dit, mais il n’est pas en contradiction avec mes déclarations.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Maintenant voulez-vous puisque nous parlons des SS, examiner la note qui constitue le document D-729 (GB-2811, Il rapporte une conversation que vous avez eue avec le Duce au Palazzo Venezia, le 23 octobre 1942. A ce moment, vous étiez encore en bons termes avec le Führer et vous déteniez encore tous pouvoirs ?

Je vais vous le lire. C’est le paragraphe 1 de la page 35 :

« Le Reichsmarschall décrivit ensuite les méthodes employées par l’Allemagne pour combattre les partisans. D’abord, tout le ravitaillement et tout le bétail des régions considérées est évacué, de façon à priver les partisans de leurs sources de ravitaillement. »

ACCUSÉ GÖRING

Un moment je vous prie. Où figure ce passage ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Page 35, premier paragraphe. Voulez-vous que je vous aide à le trouver si vous êtes en difficulté ? Je crois qu’il est annoté. Il commence par : « Le Reichsmarschall... ». L’avez-vous trouvé ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je recommence à le lire :

« Le Reichsmarschall décrivit ensuite les méthodes employées par l’Allemagne pour combattre les partisans D’abord, tout le ravitaillement et tout le bétail des régions considérées est évacué de façon à priver les partisans de leurs sources de ravitaillement. Hommes et femmes sont conduits dans des camps de travail, les enfants dans des camps spéciaux et les villages incendiés. On est ainsi arrivé à assurer les transports ferroviaires dans les vastes régions boisées autour de Bialovitza. En cas d’attentats, la population masculine des localités environnantes est séparée de la population féminine. On annonce aux femmes que l’on fusillera tous les hommes à moins qu’elles n’indiquent lesquels de ces hommes n’appartiennent pas au village. Afin de sauver les leurs, elles indiquent toujours quels sont ceux qui ne font pas partie de la population normale du village. L’Allemagne sait par expérience que l’on amène difficilement des soldats à prendre de telles mesures. Les membres du Parti s’acquittent de cette tâche avec beaucoup plus de vigueur et d’efficacité. Pour les mêmes raisons, des armées endoctrinées telles que les armées allemandes (ou russes) se battent avec plus d’énergie que les autres. Les SS, qui forment depuis longtemps l’élite combattante du Parti, sont particulièrement attachées à la personne du Führer et constituent un corps d’élite confirmant ce principe. »

Ce rapport est-il conforme à la réalité ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, certainement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Reflète-t-il également vos façons d’envisager la guerre contre les partisans ?

ACCUSÉ GÖRING

Je le répète, oui. Puis-je vous demander le numéro de ce document ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, c’est le document D-729 (GB-281).

Je voudrais maintenant que vous m’aidiez à résoudre une autre question concernant ces organisations. Vous vous souvenez qu’en réponse à une question, du Dr Servatius je crois, vous avez fait quelques remarques concernant le Corps des chefs politiques. Vous en souvenez-vous ? J’aimerais que vous les ayez présentes à l’esprit.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Considérez maintenant, je vous prie, le document D-728 (GB-282), qui va vous être remis. Il s’agit d’un document en provenance des services du Gauleiter de Hesse-Nassau. Pardon, il se rapporte à un ordre de la chancellerie du Parti, en date du 10 février 1945. Il s’intitule : « Mesures à prendre par le Parti pour tenir les Allemands en main jusqu’à la fin de la guerre ». Il est signé par Sprenger, Gauleiter et commissaire à la Défense du Reich.

ACCUSÉ GÖRING

N’est-il pas daté du 15 mars 1945 ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous remercie. Je me souviens qu’il datait d’un peu après le 10 mars. La date ne figure pas sur mon exemplaire, mais si vous indiquez cette date, je n’en doute pas.

ACCUSÉ GÖRING

1945.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bon.

(Sir David Maxwell-Fyfe donne lecture d’extraits de ce document qui ont été rayés du procès-verbal le 16 août 1946.)
Dr STAHMER

Je proteste contre l’utilisation de ce document dont je ne peux reconnaître l’authenticité. Je n’en ai d’ailleurs pas encore vu l’original. Je mets en doute son authenticité car il renferme quantité d’expressions qui sont étrangères à la langue allemande.

ACCUSÉ GÖRING

Je voulais formuler la même objection. On ne nous a pas présenté l’original du document. Celui-ci porte la mention : « Copie ». Il n’est pas signé et porte simplement, tapé à la machine : « Sprenger, Gauleiter ».

Dr STAHMER

On y emploie par exemple l’expression :

« Gerichtiichkeiten » qui, en allemand, est absolument inconnue. Je ne peux pas imaginer que dans un document officiel, issu des services d’un Gauleiter, on ait pu employer une pareille expression.

ACCUSÉ GÖRING

J’attire encore votre attention sur un autre point prouvant qu’il ne s’agit pas d’un original, car on y parle d’une augmentation des rations de viande et de matières grasses dont j’aurais dû avoir connaissance. Pas un seul mot de ces deux documents ne m’est connu. En outre, il ne porte pas de cachet. Il est entièrement tapé à la machine, y compris la signature. C’est pourquoi je ne peux pas reconnaître ce document comme authentique.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le document est une copie d’archives qui, autant que je le sache, a été saisie dans le bureau du Gauleiter. Il nous a été transmis par l’Armée britannique du Rhin. Je ferai étudier la question plus à fond. Il semble s’agir d’une copie d’archives. L’original, qui est une copie d’archives, a été présenté au témoin.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, j’ai entre les mains le document original ainsi que l’attestation d’un officier britannique déclarant que le document lui a été remis dans le cadre de ses fonctions officielles. C’est un document original trouvé dans les archives allemandes et saisi par les troupes alliées, par ordre du Commandant suprême. De ce fait, il entre dans la même catégorie que tous les autres documents saisis. La Défense peut, bien entendu, faire valoir tous les arguments qu’elle estime justifiés pour mettre en doute l’authenticité du document. Ce document se place exactement sur le même plan que les autres documents Saisis et il peut être critiqué par tous les moyens dont vous disposez.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Témoin, je voudrais que vous considériez le sixième paragraphe du document. Ce paragraphe s’adresse certainement à tous les échelons administratifs du Parti y compris les Kreisleiter et les Ortsgruppenleiter. De ce fait, il est à supposer qu’ils connaissaient tous l’organisation des camps de concentration. Prétendez-vous que, vous qui jusqu’en 1943 étiez l’homme le plus important du Reich après le Führer, vous ignoriez tout des camps de concentration ?

ACCUSÉ GÖRING

En premier lieu, je souligne encore une fois que je conteste l’authenticité de ce document, que je ne connais pas sa teneur et que ce paragraphe me paraît absolument insolite. Je ne savais rien de ce qui se passait dans les camps de concentration et des méthodes qu’on y a employées plus tard, alors que je n’étais déjà plus en fonctions.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Puis-je vous rappeler le témoignage qui a été donné ici même et selon lequel, rien qu’à Auschwitz, 4.000.000 de personnes ont été exterminées. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, on l’a affirmé ici, mais on n’a jamais pu prouver un tel chiffre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si vous considérez que ce fait n’a pas été prouvé, permettez-moi de vous rappeler la déclaration sous serment de Höttl, Gruppenführer adjoint à la section étrangère de la section IV du RSHA. Il affirme qu’environ 4.000.000 de Juifs ont été tués dans les camps de concentration, tandis que deux autres millions de Juifs moururent d’une autre façon. Admettons que ces chiffres, dont l’un est russe et l’autre allemand, ne soient exacts qu’à 50% près. Il n’en reste pas moins qu’il s’agirait du massacre de respectivement 2.000.000 et 1.000.000 de Juifs. Prétendez-vous, devant le Tribunal, qu’un ministre qui détenait dans le Reich une autorité comme la vôtre, pouvait ignorer de tels faits ?

ACCUSÉ GÖRING

Je le prétends ; et c’est précisément parce qu’il en était ainsi que ces choses m’ont été cachées. A mon avis, le Führer lui-même a toujours ignoré dans quelle mesure ces choses se passaient. La meilleure preuve en est que Himmler a toujours particulièrement tenu à ce que ces choses demeurent secrètes. On ne nous a jamais communiqué de chiffres ni rien d’autre à ce sujet.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais, témoin, n’aviez-vous pas connaissance de la presse étrangère, du service de presse de votre ministère, de la radio étrangère ? Il est prouvé qu’approximativement 10.000.000 de Juifs et d’autres personnes ont été froidement massacrés, non comptés ceux qui ont été tués en combattant. Environ 10.000.000 de personnes. Prétendez-vous que vous n’avez jamais entendu parler par la presse, par la radio étrangère, de ce qui se passait ?

ACCUSÉ GÖRING

Tout d’abord le chiffre de 10.000.000 n’est absolument pas prouvé. En second lieu, de toute la guerre, je n’ai jamais lu un seul journal étranger, parce que je tenais leur contenu pour de la propagande. Troisièmement, je pouvais me permettre d’écouter les émissions étrangères. Mais je ne l’ai jamais fait, parce que je ne voulais pas écouter ces émissions de propagande. Je n’écoutais même pas la propagande intérieure. Ce n’est qu’au cours des quatre derniers jours de la guerre que, pour la première fois, je peux le prouver s’il le faut, j’ai écouté une émission étrangère.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous avez déclaré hier à M. Justice Jackson que vous aviez divers représentants dans les territoires occupés de l’Est. Vous avez également vu les films sur les camps de concentration au cours de ce Procès. Vous savez qu’il avait été rassemblé des millions de vêtements, 20.952 kgs d’alliances en or, 35 wagons de fourrures. Tout cela appartenait aux personnes exterminées à Auschwitz, à Maïdanek. Personne ne vous a jamais dit, pendant la période de réalisation du Plan de quatre ans, d’où provenaient tous ces objets usuels ? Vous souvenez-vous du témoignage de ce Juif polonais qui déclara que tout ce qui lui avait été rendu de sa famille, de sa femme, de sa mère et de sa fille, c’étaient leurs cartes d’identité ? Sa tâche consistait à rassembler les vêtements. Il nous a dit que les méthodes des bourreaux de votre ami Himmler étaient si. perfectionnées, que les femmes devaient attendre cinq minutes de plus que les hommes avant de mourir, parce qu’il fallait leur couper les cheveux, qui servaient à faire des matelas. Ne vous a-t-on jamais parlé du surcroît de ressources que l’Allemagne tirait des biens des personnes qu’elle assassinait ?

ACCUSÉ GÖRING

Non Comment pouvez-vous vous représenter cela ? J’ai donné à l’économie allemande des directives générales. Mais je n’avais pas à m’occuper de ces histoires de matelas ou de récupération de vieilles chaussures et de vêtements usagés. Je ne parle pas ici de chiffres. Je tiens aussi à m’élever ici contre votre expression « votre ami Himmler ».

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bien, je dirai « Votre ennemi Himmler », ou plus simplement « Himmler ». Vous savez de qui je veux parler, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Naturellement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Maintenant, je voudrais passer à un autre point. Le 14 avril 1943, l’accusé Sauckel écrivait à Hitler (document PS-V-407, USA-228) : « ... j’ai l’honneur de vous faire savoir que 3.638, 056 nouveaux travailleurs étrangers sont venus renforcer l’économie de guerre allemande entre le 1er avril de l’année dernière et le 31 mars de cette année... En plus de ces travailleurs civils étrangers, 1.622.929 prisonniers de guerre sont utilisés dans l’économie allemande ». Écoutez maintenant ce qui suit :

« Des 5.000.000 de travailleurs étrangers travaillant en Allemagne, il n’y en a pas 200.000 qui y soient venus volontairement. »

Ces phrases sont tirées du procès-verbal de la réunion du 1er mars du Comité du Plan. Prétendez-vous qu’au poste que vous occupiez, vous qui étiez le grand ordonnateur de l’économie allemande, vous ne saviez pas que votre économie disposait de 4.800.000 travailleurs étrangers, tous travailleurs forcés ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai jamais dit cela au Tribunal. J’ai dit que je savais que ces ouvriers avaient été amenés et qu’ils n’étaient pas toujours venus volontairement. Mais je ne sais pas si ce chiffre de 200.000 est exact et je ne le crois pas non plus. Le nombre des volontaires a dû être plus élevé, mais cela ne change évidemment rien au fait que des ouvriers ont été emmenés en Allemagne par la force. Je ne l’ai jamais nié et je l’ai même reconnu.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Admettez-vous, en toute franchise, qu’un grand nombre de travailleurs a été amené de force en Allemagne ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

LE PRÉSIDENT

Sir David, ne pensez-vous pas que nous pourrions suspendre l’audience ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)