QUATRE-VINGT-SEPTIÈME JOURNÉE.
Jeudi 21 mars 1946.

Audience de l’après-midi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Témoin, vous souvenez-Vous encore de ce que vous avez déclaré sur vos relations avec le Führer ? Puis-je relire vos propres déclarations :

« La personne qui eut le plus d’influence sur le Führer, si l’on peut parler d’influence sur une telle personnalité, ce fut moi jusqu’à la fin de 1941, début 1942. Puis mon crédit peu à peu diminua pour décroître rapidement. Néanmoins, il me semble que personne, en dehors de moi, n’a jamais exercé une influence semblable sur le Führer. »

Est-ce toujours là votre point de vue sur la question ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je crois que vous avez dit au Tribunal que, jusqu’à la fin, votre loyauté envers le Führer ne s’était jamais démentie. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Cherchiez-vous toujours à justifier et à glorifier Hitler, après son ordre d’assassiner ces 50 jeunes officiers du Stalag Luft III ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai ni à justifier ni à glorifier le Führer Adolf Hitler. Je ne suis ici que pour témoigner que je lui ai gardé ma fidélité, car je crois, en effet, qu’il ne faut pas tenir son serment seulement dans les bons jours, mais aussi lorsque viennent les mauvais jours et c’est beaucoup plus difficile. Quant à votre allusion aux 50 aviateurs, je n’ai jamais tenu tête au Führer aussi nettement et aussi fermement que pour cette affaire et je lui ai fait part de mon opinion. Après cela, pendant des mois, je n’eus plus aucun entretien avec le Führer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le Führer, en tout cas, devait être parfaitement au courant de ce qui se passait dans les camps de concentration, du traitement des Juifs et du traitement des travailleurs forcés, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai déjà mentionné que, selon moi, le Führer n’était pas au courant des détails et des atrocités commises dans les camps de concentration qui,, ont été décrites ici. Autant que je le connaisse, je ne crois pas qu’il l’ait su ; mais ce qui...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne parle pas de questions de détails. Je parle de l’assassinat de 4.000.000 ou 5.000.000 de personnes. Est-ce que vous prétendez que personne d’influent en Allemagne, excepté Himmler ou peut-être Kaltenbrunner, ne le savait ?

ACCUSÉ GÖRING

Je suis quand même d’avis que le Führer ne connaissait pas ces chiffres.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous vous souvenez comment M, Dahlerus a décrit les relations entre vous et Hitler, à la page 58 de son livre :

« Dès le début de notre conversation, je me sentis irrité par son comportement vis-à-vis de Göring, son ami le plus intime et son camarade des années de combat. Son désir de dominer était compréhensible, mais exiger une humilité aussi obséquieuse que celle dont Göring, son collaborateur le plus proche, fit preuve à ce moment-là, me semblait vraiment odieux ».

Est-ce ainsi que vous deviez vous conduire envers Hitler ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne devais pas me conduire ainsi vis-à-vis de Hitler, et je ne me suis pas conduit ainsi. Ce sont des déclarations de M. Dahlerus faites après la guerre. Si l’Allemagne avait gagné la guerre, ce passage de son livre aurait certainement pris une tout autre forme.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

M. Dahlerus est cependant votre témoin ?

ACCUSÉ GÖRING

On n’a pas appelé M. Dahlerus pour qu’il donne ses impressions de roman-feuilleton, mais uniquement pour le questionner au sujet de faits qui se rapportent aux pourparlers que j’ai entrepris avec le Gouvernement britannique et pour lesquels il joua le rôle d’intermédiaire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, mardi dernier l’accusé a cité le général Bodenschatz comme témoin et celui-ci a fait une déposition générale sur le caractère et la réputation de l’accusé ; par conséquent, j’estime que ce fait me permet de lui soumettre un document qui exprime l’opinion de l’accusé Raeder sur son caractère et sa réputation. Je demande au Tribunal la permission de présenter ce document.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, je proteste contre la lecture de ce document. Il me semblerait bien plus aisé d’interroger l’amiral Raeder lui-même sur ses déclarations, puisqu’il est dans cette salle. Nous serons alors à même de savoir, en le contre-interrogeant, s’il maintient encore ce qu’il aurait déclaré.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je dois le présenter au cours de ce contre-interrogatoire, afin de donner une chance à l’accusé de le réfuter. L’amiral Raeder pourra donner toutes précisions quand il sera au banc des témoins.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal aimerait voir le document avant qu’il ne soit présenté.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est la traduction anglaise. Je donnerai le document allemand au Dr Stahmer.

Dr STAHMER

Puis-je attirer votre attention, Monsieur le Président, sur le fait que ce document ne porte pas de date ? On ne sait où ni quand il a été établi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Il est signé de l’accusé Raeder.

Dr STAHMER

Quand et où a-t-il été établi ? Je ne connais pas la signature de Raeder.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

La date est de la main de Raeder, ainsi que la signature, 27 juillet. Je pense qu’il s’agit de 1945. Chaque page du document est signée par l’accusé Raeder.

LE PRÉSIDENT

Sir David, vous avez dit que le caractère de l’accusé a été mis en cause par son témoin Bodenschatz.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur se souviendra que le Dr Stahmer lui a demandé : « Voulez-vous nous parler maintenant des relations sociales de l’accusé ? » Le témoin fit alors tout un exposé sur son caractère, sa bonté et ses autres qualités. Et je constate que le Dr Stahmer vient de soumettre comme preuve une autre déclaration sur le caractère de l’accusé émanant d’un certain Hermann Winter.

LE PRÉSIDENT

N’aurait-il pas été indiqué, si l’on désirait déposer ce document, de le présenter à Bodenschatz lorsqu’il donnait son témoignage ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais, Votre Honneur, il a été décidé que si l’accusé met son caractère en cause, il a le droit d’être interrogé à ce sujet et sur sa réputation en général ; de plus, il est naturellement permis de citer un témoin sur la même question.

Dr STAHMER

Puis-je faire la remarque suivante ? Je n’ai pas cité Bodenschatz comme témoin pour le questionner sur le caractère de Göring. Je l’ai interrogé sur certains faits et incidents, dont Bodenschatz a tiré certaines conclusions. A mon avis, il aurait fallu poser ces questions lorsque Bodenschatz était là. Ces déclarations auraient alors pu servir à prouver que c’est Bodenschatz qui ne disait pas la vérité et non pas que Göring aurait menti. Pour cela, il aurait fallu se servir du document au moment de l’interrogatoire de Bodenschatz. Alors, nous aussi nous aurions pu le questionner sur ce sujet.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Il se peut que l’accusé préfère que l’on rappelle Bodenschatz à cet effet, mais je suis sûr que j’ai le droit de lui soumettre ce document, car l’accusé lui-même a demandé des témoins de moralité.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal se retire pour en délibérer.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal décide que, pour le moment, ce document ne peut être utilisé au cours du contre-interrogatoire.

SIR DAVID MAXWELL-PYFE

Plaise à Votre Honneur. Je crois comprendre que votre décision laisse pendante la question de savoir si le document pourra être utilisé lorsque l’accusé Raeder sera appelé à la barre des témoins ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous remercie. Maintenant, témoin, vous avez dit, avant la suspension d’audience, que Hitler, à votre avis, ignorait la question des camps de concentration et des Juifs. J’aimerais que vous regardiez le document D-736. C’est un compte rendu d’une conversation entre le Führer et le régent de Hongrie, Horthy, le 17 avril 1943. Si vous voulez regarder à la page 4, vous verrez le passage juste après « Nuremberg et Furth ».

ACCUSÉ GÖRING

Un instant. Je voudrais lire le document rapidement pour vérifier son authenticité.

SIR DAVID MAXWELL-TYPE

Certainement.

ACCUSÉ GÖRING

Page 4.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Page 4 du document déposé sous le n° GB-283. Après le passage où vous voyez « Nuremberg et Furth », Hitler continue en disant : « Les Juifs n’avaient même pas une valeur d’organisateurs. Malgré les craintes qu’il (le Führer) avait entendu formuler continuellement en Allemagne, tout continuait à marcher normalement sans les Juifs. Lorsque les Juifs étaient livrés à eux-mêmes, comme en Pologne par exemple, la misère la plus noire et la déchéance régnaient. Ce sont de vrais parasites. En Pologne, cet état de choses avait été absolument modifié. Si les Juifs n’y voulaient pas travailler, ils étaient fusillés. S’ils ne pouvaient pas travailler, ils devaient mourir. On devait les traiter comme des bacilles de la tuberculose, qui peuvent infecter un corps sain. Ce n’était pas cruel — si l’on se rappelle que même des créatures innocentes comme des lièvres et des biches doivent être tuées pour qu’elles ne fassent pas de mal — pourquoi donc les monstres qui voulaient nous amener le bolchevisme seraient-ils épargnés ? Les nations qui ne se débarrassaient pas des Juifs périssaient. Un des exemples les plus frappants est la chute d’un peuple, naguère si grand, les Perses, et qui, à l’heure présente, mène l’existence misérable des Arméniens ».

Voulez-vous, en outre, regarder le document URSS-170, qui est le procès-verbal d’une conférence que vous avez tenue le 6 août 1942 ?

LE PRÉSIDENT

Avant de vous séparer de ce premier document, n’y a-t-il pas un passage plus haut qui est très important ? Environ dix lignes au-dessous, je crois, au milieu de la ligne...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur a raison. « En réponse à la question posée par Horthy à propos de ce qu’il devrait faire avec les Juifs, maintenant qu’il leur avait retiré presque toutes les possibilités de gagner leur vie — il ne pouvait pourtant pas les tuer — le ministre des Affaires étrangères du Reich déclara que les Juifs devaient être soit exterminés soit emmenés dans des camps de concentration. Il n’y avait pas d’autre alternative ».

ACCUSÉ GÖRING

Je ne connais pas ce document.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est pourtant une conférence que vous avez eue avec un certain nombre d’autres personnes. A la page 143, si vous voulez suivre, on arrive à la question du beurre. Il est dit : « Maréchal Göring combien de beurre avez-vous livré ? 30.000 tonnes ?... » Vous avez trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Alors Lohse, qui assiste à la conférence, répond : « Oui », et vous dites : « Livrez-vous également aux unités de la Wehrmacht ? » Et Lohse réplique : « Je puis également répondre à cette question. Il n’y a plus que quelques Juifs encore en vie. On s’est débarrassé de dizaines de milliers de Juifs. Je puis vous dire que la population civile, sur vos ordres, reçoit 15% de moins que les Allemands ». J’attire votre attention sur cette déclaration : « Il n’y a plus que quelques Juifs encore en vie. On s’est débarrassé de dizaines de milliers d’entre eux ».

Après cette lecture, vous maintenez votre déclaration : Hitler et vous-même ignoriez qu’on exterminait les Juifs ?

ACCUSÉ GÖRING

Je demande qu’on veuille bien lire correctement les remarques. On les a faussement reproduites : Puis-je lire le texte original ?

« Lohse (ce n’est donc pas ma remarque mais celle de Lohse)

Je puis également répondre à cette question. Les Juifs ne sont plus qu’en nombre très réduit. Des milliers sont partis... » On ne dit pas qu’ils ont été exterminés. On ne peut déduire de cette remarque que les Juifs ont été tués. Il se pourrait que cela signifiât qu’ils étaient partis, qu’ils étaient évacués. Il n’y a rien qui puisse...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous demanderai alors d’expliquer très clairement ce qu’il faut comprendre par la remarque précédente : « ... Il n’y a plus que quelques Juifs encore en vie. On s’est débarrassé de plusieurs milliers d’entre eux ».

ACCUSÉ GÖRING

« Qui vivent encore là », c’est ainsi qu’il faut le comprendre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous avez entendu ce que j’ai lu à propos de Hitler, ce qu’il a dit à Horthy et ce que l’accusé Ribbentrop a déclaré : les Juifs devaient être soit exterminés soit internés dans des camps de concentration. Hitler a dit que les Juifs devaient travailler ou être fusillés. Cela se passait au mois d’avril 1943.

Maintenez-vous que ni Hitler ni vous-même n’étiez au courant de cette politique d’extermination des Juifs ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai aucune preuve d’authenticité de ce document. Si Hitler...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Veuillez répondre à ma question. Prétendez-vous toujours que ni Hitler ni vous-même ne connaissiez la politique d’extermination des Juifs ?

ACCUSÉ GÖRING

En ce qui concerne Hitler, j’ai dit que je ne le croyais pas. Quant à moi personnellement, j’ai dit que j’ignorais, même approximativement, jusqu’à quel point ces choses se sont passées.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous ignoriez l’étendue de ces faits, mais vous saviez qu’il existait une politique qui visait à l’extermination des Juifs ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, une politique d’émigration et non pas d’extermination des Juifs. Je savais seulement qu’il y avait eu quelques cas isolés de perpétrations de ce genre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Merci.

GÉNÉRAL RUDENKO

Si je vous ai bien compris, accusé Göring, vous avez déclaré que toutes les décisions fondamentales de politique extérieure, de stratégie militaire, etc., étaient prises par Hitler lui-même ?

ACCUSÉ GÖRING

Parfaitement. C’est pour cela qu’il était le Führer.

GÉNÉRAL RUDENKO

Faut-il donc comprendre que Hitler prenait des décisions sans prendre l’avis de spécialistes qui avaient étudié la question, sans consulter les rapports confidentiels qui lui étaient soumis ?

ACCUSÉ GÖRING

Cela dépendait. Dans certains cas, il se faisait soumettre des renseignements sans que les experts en connussent la raison. En d’autres cas, il expliquait aux techniciens ce qu’il avait l’intention de faire et obtenait d’eux les renseignements nécessaires et leur opinion sur la question. La décision finale n’était prise que par lui, en sa qualité de Commandant suprême.

GÉNÉRAL RUDENKO

Alors, si je vous comprends bien, lorsque Hitler avait une décision importante à prendre, il prenait en considération les rapports et les renseignements fournis par ses proches collaborateurs, qui le conseillaient suivant leur spécialité. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

Fournis en partie par ses collaborateurs, en partie par d’autres membres des services compétents lorsqu’il s’agissait, par exemple, de rapports confidentiels et de contre-espionnage.

GÉNÉRAL RUDENKO

Me direz-vous alors qui était le collaborateur le plus proche de Hitler dans le domaine de l’Aviation ?

ACCUSÉ GÖRING

Moi, naturellement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et pour les questions économiques ?

ACCUSÉ GÖRING

Dans les questions économiques, c’était moi également.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et pour les questions de politique intérieure ?

ACCUSÉ GÖRING

Cela dépendait du sujet à traiter et des limites dans lesquelles le Führer désirait prendre ou non l’avis de quelqu’un.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pouvez-vous m’indiquer les noms de quelques-uns de ces collaborateurs ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai été moi-même l’un des plus intimes collaborateurs du Führer, ainsi que je l’ai déjà dit. Un autre collaborateur intime — ce n’est peut-être pas la bonne expression — avec lequel il discutait ou s’entretenait plus qu’avec les autres était le Dr Goebbels. Il faut également prendre en considération les différentes époques. Elles ont varié au cours de vingt années ; vers la fin, ce fut Bormann avant tout. De 1943-1944 jusqu’à peu de temps avant la fin, ce fut également Himmler, pour certaines questions, et lorsque le Führer abordait des questions spécifiquement techniques, comme de bien entendu et comme c’est d’usage dans tous les gouvernements, il convoquait celui qui était le plus compétent et qui lui fournissait les renseignements nécessaires.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pouvez-vous me dire quels étaient les collaborateurs de Hitler en matière de politique extérieure ?

ACCUSÉ GÖRING

En matière de politique extérieure, Hitler consultait ses collègues presque uniquement sur des points techniques, si je puis dire. Les décisions les plus importantes de politique extérieure étaient prises par lui-même et il en faisait part ensuite à ses collègues et collaborateurs. Rares étaient ceux qui pouvaient se permettre de discuter — moi, par exemple —. L’exécution technique de ces décisions de politique extérieure dans le domaine de la rédaction de notes diplomatiques, était assurée par le ministère des Affaires étrangères et son ministre.

GÉNÉRAL RUDENKO

L’accusé Ribbentrop ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, naturellement. Il était ministre des Affaires étrangères, mais il ne faisait pas la politique étrangère.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et pour les questions stratégiques, quel était le conseiller de Hitler ?

ACCUSÉ GÖRING

Ils étaient plusieurs. Pour ce qui était des problèmes courants d’importance stratégique, c’étaient les trois commandants en chef et leurs chefs d’état-major et aussi, parfois, l’Etat-Major d’opérations qui était rattaché directement au Führer.

GÉNÉRAL RUDENKO

Quels sont les accusés qui ont ainsi joué le rôle de conseillers ?

ACCUSÉ GÖRING

Lorsqu’il était consulté par le Führer, le conseiller pour les questions stratégiques était le chef de l’État-Major d’opérations, le général Jodl ; quant aux questions d’administration militaire, c’étaient les trois commandants en chef, dont moi-même, l’amiral Raeder et, plus tard, l’amiral Dönitz pour la Marine. Les autres représentants de l’Armée n’assistaient pas à ces réunions.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais maintenant vous poser la question suivante : si l’on aborde cette question, non pas seulement du point de vue extérieur, mais si l’on cherche plus profondément, peut-on en conclure que toute suggestion faite par un de ses principaux collaborateurs influençait fortement Hitler au moment de prendre ses décisions finales ?

ACCUSÉ GÖRING

En examinant la question du point de vue formel, comme vous le désirez — je pense que vous parlez du domaine militaire, n’est-ce pas ? — il arrivait que...

GÉNÉRAL RUDENKO

Non, je ne fais pas seulement allusion au domaine militaire, mais à tous les domaines, à toutes les questions, que ce soit de l’économie, de la politique intérieure, de la politique extérieure ou les questions militaires. Si l’on aborde la question non pas théoriquement mais pratiquement, est-ce que leurs avis avaient un poids considérable lorsque Hitler prenait ses décisions finales ? Voilà ce que je veux dire.

ACCUSÉ GÖRING

Jusqu’à un certain point, oui. Si l’avis ne semblait pas bon au Führer, il le rejetait.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous avez dit : jusqu’à un certain point, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, naturellement, si la proposition faite était raisonnable et s’il la considérait comme telle, il l’adoptait certainement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais souligner que tous ces conseillers devaient collaborer étroitement avec Hitler. Donc, ils avaient une certaine influence sur ses décisions finales. Ils ne se tenaient pas à l’écart, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Ils ne se tenaient pas à l’écart ; mais leur influence n’avait d’effet que dans la mesure où leur conviction était conforme à celle du Führer.

GÉNÉRAL RUDENKO

C’est clair. Passons maintenant au groupe de questions suivant. A quelle époque exactement avez-vous commencé à élaborer le plan d’action de l’Aviation allemande contre l’Union Soviétique, en accord. avec le « Cas Barbarossa » ?

ACCUSÉ GÖRING

Le plan d’opérations pour la Luftwaffe, en accord avec le « Cas Barbarossa », fut préparé par mon État-Major, après la première directive de Hitler, celle du mois de novembre.

GÉNÉRAL RUDENKO

En 1940, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, en 1940. Mais, pour ma part, j’avais déjà envisagé des préparatifs non seulement en vue d’une menace possible de la Russie, mais de tous les pays qui n’étaient pas encore en guerre et qui pourraient, le cas échéant, y être entraînés.

GÉNÉRAL RUDENKO

Bien C’était au mois de novembre 1940 que l’Allemagne se préparait à attaquer la Russie ? Des plans étaient déjà élaborés à cet effet, y compris votre participation ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai exposé en détail l’autre jour qu’un plan avait été élaboré, à ce moment, en vue de la situation politique et d’une menace éventuelle de la Russie.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous demande de répondre brièvement à cette question pat oui ou par non. Il me semble que c’est possible. Je répète donc : en novembre 1940, plus de six mois avant l’agression contre l’URSS, des plans avaient été élaborés, avec votre concours, pour attaquer l’URSS ? Répondez brièvement.

ACCUSÉ GÖRING

Oui, mais pas dans le sens où vous l’exposez.

GÉNÉRAL RUDENKO

Il me semble que je vous ai posé la question très clairement et il ne peut pas y avoir d’ambiguïté. Combien de temps a duré l’élaboration du « Cas Barbarossa » ?

ACCUSÉ GÖRING

Dans quel domaine : Aviation, Armée de terre ou Marine ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Si vous êtes au courant de tous les aspects du plan, c’est-à-dire l’Aviation, l’Armée et la Marine, j’aimerais que vous me répondiez sur toutes ces questions.

ACCUSÉ GÖRING

Dans l’ensemble, je ne puis donner des précisions que pour l’Aviation où cela s’est fait assez rapidement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui. Combien de temps a duré l’élaboration du « Cas Barbarossa » ?

ACCUSÉ GÖRING

Après toutes ces années et sans documents, je ne puis vous préciser la durée exacte, mais je vous ai répondu en vous disant que, pour l’Aviation, cela se fit assez rapidement. Quant à l’Armée de terre, cela dura sans doute plus longtemps.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ainsi, vous admettez que l’agression contre l’URSS avait été décidée plusieurs mois avant son exécution et que vous, en tant que commandant de l’Aviation allemande et maréchal du Reich, avez pris une part directe à la préparation de cette agression ?

ACCUSÉ GÖRING

Puis-je séparer vos nombreuses questions ? D’abord, ce n’était pas plusieurs mois...

GÉNÉRAL RUDENKO

Il n’y a pas de nombreuses questions ; il n’y en a qu’une. Vous avez avoué qu’au mois de novembre 1940, fut élaboré le « Cas Barbarossa » qui intéressait l’Aviation. Je vous le demande, en votre qualité de Commandant en chef de la Luftwaffe ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous avez répondu à la première partie de ma question. Voici la deuxième : vous reconnaissez avoir participé aux préparatifs d’une attaque contre l’Union Soviétique en tant que chef de l’Aviation allemande et maréchal du Reich ?

ACCUSÉ GÖRING

Je répète que j’avais fait des préparatifs en vue d’une attaque russe éventuelle, et ce, principalement, à cause de l’attitude de l’Union Soviétique qui, selon Hitler, devenait menaçante. Au début, il n’était pas absolument question d’une attaque : c’est ce qui ressort clairement de la directive de novembre 1940.

D’autre part, je désirerais souligner que le fait que j’étais maréchal du Reich n’a rien à voir avec ce sujet. C’était uniquement un titre et un rang.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais vous ne niez pas, au contraire vous l’admettez, que le plan était déjà élaboré en novembre 1940 ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Il me semble que cette question parfaitement claire a déjà été exposée de façon tellement complète devant le Tribunal qu’il n’est pas besoin de s’arrêter plus longuement au « Cas Barbarossa ».

Passons donc à autre chose. Reconnaissez-vous que les buts de la guerre contre l’URSS étaient la conquête des territoires soviétiques jusqu’à » l’Oural, l’annexion au Reich des régions des pays baltes, de la Crimée, du Caucase, les régions de la Volga, l’annexion pure et simple de l’Ukraine, de la Russie Blanche et autres régions de l’Union Soviétique ?

Admettez-vous que tels étaient les buts de ce plan ?

ACCUSÉ GÖRING

Cela je ne l’admets absolument pas.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne l’admettez pas ! Est-ce que par hasard vous ne vous rappelleriez pas que, lors d’une conférence au Quartier Général de Hitler le 16 juillet 1941, à laquelle vous assistiez, de même que Bormann, Keitel, Rosenberg et autres, Hitler exposa exactement dans ces termes les objectifs de l’attaque contre l’URSS ? Cela est prouvé par le document déposé devant le Tribunal. L’avez-vous oublié ? Vous rappelez-vous cette conférence ?

ACCUSÉ GÖRING

Je me souviens parfaitement bien de ce document, et je me rappelle un peu la discussion qui eut lieu à cette conférence. J’ai déclaré tout de suite que ce document, rédigé par Bormann, me paraissait exagéré quant à l’étendue des objectifs. En tous les cas, au début des hostilités, de telles exigences n’étaient nullement envisagées : elles n’ont même pas été discutées auparavant.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais vous admettez qu’un tel compte rendu existe ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’admets puisque je l’ai vu ; c’est un document préparé par Bormann.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous reconnaissez également que, d’après ce compte rendu, vous avez aussi participé à cette conférence ?

ACCUSÉ GÖRING

J’étais présent à cette conférence et c’est pourquoi je mets ce document en doute.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous souvenez-vous que ce fut à cette conférence que furent clairement définis les tâches à accomplir selon l’évolution des événements ? Je vous rappellerai quelques passages de ce compte rendu ; il n’est pas besoin de le lire en entier.

ACCUSÉ GÖRING

Puis-je voir un exemplaire de ce document ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous désirez un exemplaire du compte rendu ?

ACCUSÉ GÖRING

Je voudrais le voir.

GÉNÉRAL RUDENKO

Certainement. Voulez-vous le lire en entier ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, seulement les passages que vous allez citer.

GÉNÉRAL RUDENKO

Page 2, deuxième alinéa, le point 2, concernant la Crimée :

« Nous soulignons que nous apportons la liberté... »

Trouvez-vous ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Un instant, pas encore. Oui, je l’ai trouvé.

GÉNÉRAL RUDENKO

« Nous soulignons » — est-il indiqué dans ce point 2 — « que nous apportons la liberté à la Crimée. Celle-ci doit être libérée de tous les étrangers et peuplée d’Allemands. De même, la Galicie autrichienne doit devenir une province du Reich ». Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Il y est dit : « ... une province du Reich ».

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

J’attire votre attention sur la fin de ce compte rendu : « Le Führer souligne que toute la région des pays baltes doit devenir territoire du Reich ». Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Le tout dernier ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui.

ACCUSÉ GÖRING

« Finalement, il est ordonné... »,

GÉNÉRAL RUDENKO

Un peu plus haut.

ACCUSÉ GÖRING

« Le Führer souligne.. » ?

GÉNÉRAL RUDENKO

C’est cela. « Le Führer souligne que toute la région des pays baltes doit aussi devenir territoire du Reich ». Et cela continue : « La Crimée et les régions attenantes, qui doivent être aussi étendues que possible, seront également annexées au Reich ».

Ensuite, il est question des Ukrainiens...

Plus loin, un paragraphe plus bas :

« De plus, le Führer déclare que la région de la Volga doit aussi devenir territoire du Reich, et la province de Bakou deviendra une colonie occupée militairement. Les Finlandais réclament la Carélie orientale Toutefois, étant donné ses nombreux gisements de nickel, la presqu’île de Kola doit revenir à l’Allemagne. De grandes précautions doivent être prises à l’égard de l’admission de la Finlande comme État fédéré. Les Finlandais veulent la région de Leningrad. Le Führer veut d’abord raser Leningrad, puis la remettre ensuite aux Finlandais. » Avez-vous trouvé le passage qui concerne Leningrad et la Finlande ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Voilà le compte rendu d’une conférence à laquelle vous avez assisté le 16 juillet 1941, trois semaines après l’agression allemande contre l’URSS. Niez-vous qu’un tel compte rendu existe ? C’est le document L-221 (USA-317).

ACCUSÉ GÖRING

Un moment, vous vous trompez de date ; vous avez dit trois jours, ce n’est pas exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

J’ai dit trois semaines, non pas trois jours.

ACCUSÉ GÖRING

Ah ! trois semaines ; je vois.

GÉNÉRAL RUDENKO

Trois semaines après que l’Allemagne eut attaqué l’Union Soviétique le 22 juin, cette conférence eut lieu au Quartier Général du Führer le 16 juillet, à 15 heures, je crois. Est-il vrai qu’une telle conférence ait eu lieu ?

ACCUSÉ GÖRING

Certainement ; je l’ai admis depuis longtemps, mais le compte rendu n’est pas exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais qui a rédigé ce compte rendu ?

ACCUSÉ GÖRING

Bormann.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais pourquoi donc Bormann aurait-il rédigé un compte rendu inexact ?

ACCUSÉ GÖRING

Bormann a certainement exagéré ici. La région de la Volga ne fut pas discutée. Quant à la Crimée, il est vrai que le Führer...

GÉNÉRAL RUDENKO

Alors, précisons. L’Allemagne voulait faire de la Crimée une province de l’Allemagne, est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

Certes, le Führer voulait la Crimée, mais ce n’était pas un but fixé avant la guerre. Il en est de même pour les trois pays baltes que la Russie avait annexés et qui devaient revenir à l’Allemagne.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous demande pardon. Vous dites que la question de la Crimée avait déjà été résolue avant la guerre, la Crimée devait devenir territoire du Reich ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, avant la guerre, le Führer n’a jamais discuté la question d’annexion de territoires, ni celles qu’il avait en vue. A ce moment, si vous lisez le procès-verbal, vous verrez que j’estimais une pareille discussion prématurée, et durant cette conférence, je me suis limité à des questions plus pratiques.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais encore plus de précision. Vous déclarez donc qu’en ce qui concerne la Crimée, il était réellement question d’en faire une province du Reich ?

ACCUSÉ GÖRING

A cette conférence, on en a parlé.

GÉNÉRAL RUDENKO

Bien. En ce qui concerne les pays baltes, en a-t-on parlé aussi ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Bien. Et pour le Caucase, fut-il question de l’annexer également ?

ACCUSÉ GÖRING

Le Caucase ne fut jamais destiné à devenir allemand. Il s’agissait seulement de le soumettre à un contrôle économique allemand.

GÉNÉRAL RUDENKO

Alors, le Caucase devenait une concession du Reich ?

ACCUSÉ GÖRING

Dans quelle mesure il le serait, cela ne pouvait évidemment pas être discuté avant la conclusion d’une paix victorieuse. Vous voyez vous-même, d’après ce procès-verbal, combien il est insensé de discuter quelques jours après le déclenchement d’une guerre, des questions telles que Bormann les a rapportées dans ce document, lorsque personne ne peut entrevoir la fin de cette guerre et quels en seront les résultats possibles.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ainsi donc, la seule exagération de Bormann réside dans le fait que la question de la Volga, par exemple, ne fut pas discutée ?

ACCUSÉ GÖRING

L’exagération est dans le fait qu’à ce moment-là on a discuté de questions qu’il était inutile d’aborder. On aurait, tout au plus, dû parler de territoires déjà occupés, et de leur administration.

GÉNÉRAL RUDENKO

Nous essayons maintenant d’établir les faits, c’est-à-dire que ces questions-là furent envisagées à cette conférence. Vous ne le niez pas, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Il y eut une certaine discussion, oui, mais pas de la façon dont elle a été rapportée dans ce compte rendu.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais seulement faire une déduction : les faits prouvent que. même avant cette conférence, l’annexion de territoires étrangers avait été décidée, selon un plan élaboré depuis des mois. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, c’est exact ; mais je voudrais souligner, comme en témoigne ce procès-verbal, que je me suis opposé à ces discussions sans fin ; je cite le texte : « Le maréchal du Reich s’éleva contre cela, c’est-à-dire cette longue discussion de toutes ces questions, et souligna les problèmes les plus importants qui s’imposaient à nous, à savoir : assurer le ravitaillement nécessaire à l’économie, assurer la possession des voies de communication, etc. » Je voulais ramener la discussion au domaine pratique de la réalité.

GÉNÉRAL RUDENKO

En effet, vous vous êtes opposé à la discussion dans ce sens que, selon vous, le problème le plus important était celui du ravitaillement. Tout le reste ne viendrait que plus tard. C’est ce que démontre le procès-verbal. Votre opposition ne résidait pas dans une objection du plan lui-même, mais dans la suite de son exécution D’abord le ravitaillement, le territoire ensuite, c’était bien ça ?

ACCUSÉ GÖRING

Non ; c’est exactement comme je l’ai lu moi-même. Il n’est pas question de suite logique de l’exécution. Il n’y a rien de caché !

GÉNÉRAL RUDENKO

Veuillez donc lire le texte encore une fois et me dire à quel moment vous avez émis une objection.

ACCUSÉ GÖRING

« Après de longues discussions, sur des personnalités, des faits et ces annexions, etc., le maréchal du Reich s’éleva contre cela et souligna les problèmes les plus importants qui s’imposaient à nous, à savoir : assurer le ravitaillement nécessaire à l’économie, assurer la possession des voies de communication, etc. »

Je mentionnai les chemins de fer et autres choses, c’est-à-dire que je voulais ramener cette discussion extravagante — telle qu’elle aurait pu avoir lieu le jour de la victoire — au niveau des problèmes purement pratiques qui s’imposaient.

GÉNÉRAL RUDENKO

Il est évident que le problème du ravitaillement était important. Toutefois, les objections dont vous parlez n’étaient pas des objection de fond. Vous ne vous opposiez pas à l’annexion de la Crimée ou d’autres régions, par exemple ?

ACCUSÉ GÖRING

Si vous connaissiez la langue allemande, vous comprendriez tout le sens de la phrase « le maréchal du Reich s’éleva contre cela... », c’est-à-dire que je n’ai pas déclaré que je protestai contre l’annexion de la Crimée, ou que je protestai contre l’annexion des Pays Baltes. Je n’avais aucune raison de le faire. Si nous avions été vainqueurs, nous aurions de toute façon eu à décider, après la signature de la paix, quelles annexions pouvaient nous être utiles. Mais, à ce moment-là, nous n’avions pas encore terminé la guerre, nous n’étions pas encore vainqueurs ; c’est pourquoi je me suis limité aux questions pratiques.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je comprends très bien. Par conséquent, vous estimiez que l’annexion de ces territoires était une question à soulever plus tard. Comme vous l’avez dit vous-même, une fois la guerre gagnée, vous eussiez saisi ces provinces. Donc, vous ne vous éleviez pas contre le principe.

ACCUSÉ GÖRING

Non, pas contre le principe. En vieux chasseur, j’agissais selon le principe établi de ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir abattu.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je comprends. Et la peau de l’ours devait être partagée seulement lorsque le territoire serait conquis en entier ?

ACCUSÉ GÖRING

Ce qu’on ferait de la peau de l’ours ne pouvait être décidé finalement que lorsque l’animal serait abattu.

GÉNÉRAL RUDENKO

Heureusement, cela ne s’est pas produit !

ACCUSÉ GÖRING

Heureusement pour vous !

GÉNÉRAL RUDENKO

Ainsi, pour résumer d’après les réponses que vous avez vous-même données à mes questions, il est parfaitement clair et je crois que vous serez d’accord avec moi, que les buts de la guerre étaient des buts de conquête.

ACCUSÉ GÖRING

Le seul et unique but de la guerre était l’exclusion du danger russe pour l’Allemagne.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et, en même temps, de s’emparer de quelques territoires russes.

ACCUSÉ GÖRING

J’ai essayé de préciser, à différentes reprises, que ce point ne fut jamais discuté avant le début de la guerre. Le Führer avait vu dans l’attitude de la Russie, dans le rassemblement de ses forces à nos frontières, un danger mortel pour l’Allemagne, et il voulait éliminer cette menace. Il estimait que c’était son devoir. Ce qui aurait eu lieu après une guerre victorieuse était une autre question qui, à ce moment-là, n’entrait pas en ligne de compte. Toutefois, pour répondre à votre question, je ne veux pas dire par là que, après Une guerre victorieuse à l’Est, nous n’aurions pas songé à l’annexion.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je ne voudrais pas encore une fois revenir, pour ne pas abuser des instants du Tribunal, sur la question de cette soi-disant guerre préventive, mais cependant, puisque vous en parlez, je vous demanderai ce qui suit : vous souvenez-vous du témoignage de l’ex-maréchal Milch, qui déclara que ni lui ni vous ne vouliez la guerre contre la Russie ?

Vous rappelez-vous cette déclaration de votre témoin ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, parfaitement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous vous en souvenez ? Alors, pourquoi ne vouliez-vous pas la guerre contre la Russie, si elle offrait une telle menace pour l’Allemagne ?

ACCUSÉ GÖRING

Premièrement, j’ai déjà dit que c’était le Führer qui estimait ce danger si grand et si proche. Deuxièmement, à la suite de la question posée par mon défenseur à ce sujet, j’ai exposé très clairement les raisons précises pour lesquelles j’estimais qu’à cette époque la menace n’était pas encore imminente et que nous devions prendre d’abord d’autres mesures de sécurité. C’était ma ferme conviction.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais vous ne niez pas les déclarations de votre témoin Milch ?

ACCUSÉ GÖRING

Milch était d’un avis quelque peu différent du mien. Il voyait un grand danger pour l’Allemagne dans le fait qu’il y aurait alors une guerre sur deux fronts. Il n’était pas si convaincu que la Russie ne représentait pas un danger, mais il trouvait que, malgré cette menace, il fallait accepter le risque et ne pas prendre l’initiative de l’attaque afin de prévenir le danger russe. Moi aussi je fus de cet avis, mais à un autre moment, évidemment.

GÉNÉRAL RUDENKO

Si je passe en revue toutes vos réponses aux questions qui vous ont été posées au cours de plusieurs audiences, il semblerait qu’il n’existait pas un seul pays au monde qui ne constituât à vos yeux, une menace pour l’Allemagne.

ACCUSÉ GÖRING

La plupart des autres pays ne représentaient pas de danger pour l’Allemagne, mais personnellement, dès 1933, j’ai toujours estimé que la Russie constituait la plus grave menace.

GÉNÉRAL RUDENKO

Évidemment, par « autres pays », vous voulez dire vos alliés, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, je songe à la plupart des autres pays. Si vous me demandiez de préciser, je dirai que, selon moi, le danger pour l’Allemagne, résidait dans la poussée russe vers l’Ouest. Il est certain que les deux nations occidentales, l’Angleterre et la France, me semblaient constituer aussi une certaine menace et à ce propos, si l’Allemagne entrait en guerre, je considérais que les États-Unis seraient dangereux également. Mais, quant aux autres pays, je ne voyais en eux aucune menace immédiate pour l’Allemagne. Les petits pays, eux, ne deviendraient un danger immédiat que dans le cas où ils serviraient de bases aux grands pays dans une guerre contre l’Allemagne.

GÉNÉRAL RUDENKO

Évidemment, les petits pays ne constituaient pas une menace dans la même mesure, car l’Allemagne les occupait déjà, ainsi que nous l’avons vu au cours de ce Procès.

ACCUSÉ GÖRING

Non, un petit pays seul ne peut pas constituer une menace, mais si un autre grand pays s’en sert contre nous, alors ce petit pays peut devenir également dangereux.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je ne désire pas continuer la discussion car elle ne se rapporte pas à notre sujet. La question fondamentale qui nous occupe maintenant a trait aux intentions de l’Allemagne à l’égard du territoire de l’Union Soviétique et à cela vous avez déjà répondu très affirmativement et nettement. Je ne vous questionnerai plus à ce sujet. La prochaine question est la suivante : Admettez-vous qu’en tant que plénipotentiaire au Plan de quatre ans, vous aviez l’entière responsabilité de l’élaboration et de la préparation des plans d’exploitation économique des territoires occupés, ainsi que de la réalisation de ces plans ?

ACCUSÉ GÖRING

J’ai déjà admis que j’acceptais la responsabilité de la politique économique dans les territoires occupés, et des directives données pour leur exploitation.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pourriez-vous me dire combien de millions de tonnes de grains et d’autres produits furent exportés en Allemagne au cours de la guerre contre l’Union Soviétique ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne puis vous citer de chiffres. Comment voulez-vous que je les aie en tête ? Mais je suis persuadé qu’ils ne sont pas aussi élevés qu’on l’a déclaré ici.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ce sont vos propres documents qui nous ont donné le chiffre, mais nous y reviendrons tout à l’heure.

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur Une conférence dont nous avons déjà parlé. Vous vous rappelez sans doute le document déposé par le Ministère Public soviétique relatif à cette conférence du 6 août 1942, le document URSS-170 ? Le 6 août 1942, eut lieu une réunion de tous les commissaires du Reich pour les territoires occupés et des représentants du Haut Commandement. Vous présidiez cette réunion et vous y avez pris la parole. Je voudrais vous rappeler quelques-unes de vos remarques.

ACCUSÉ GÖRING

Puis-je voir le procès-verbal en question ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous voulez voir le procès-verbal ? Certainement. C’est un document assez long Je n’ai pas l’intention de le lire en entier, mais seulement les passages essentiels. Je vous demanderai de regarder, à la page 111 de ce document, à l’endroit marqué au crayon. Nous lisons : « Messieurs, le Führer vient de me confier des pouvoirs dépassant en étendue ceux qu’il m’avait accordés pour le Plan de quatre ans. Il m’a confié des pouvoirs complémentaires . »

ACCUSÉ GÖRING

Un moment ! Est-ce que vous n’oubliez pas « pour le Plan de quatre ans » ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Je l’ai dit : la traduction ne vous est sans doute pas parvenue. « ... pour le Plan de quatre ans. Il m’a confié des pouvoirs complémentaires dans toutes les branches de notre économie, qu’il s’agisse du domaine de l’État, du Parti ou de la Wehrmacht ». Est-ce que réellement des pouvoirs aussi étendus que ceux indiqués dans ce document vous ont été confiés ?

ACCUSÉ GÖRING

Lors de la création du Plan de quatre ans, des pouvoirs généraux exceptionnels me furent accordés. Pour la première fois, des pouvoirs illimités furent donnés dans le domaine économique. J’avais autorité pour donner des directives et des instructions aux services les plus importants du Reich, de la Wehrmacht et du Parti. Pendant la guerre, ces pouvoirs s’étendirent encore pour englober la structure économique de tous les pays occupés.

GÉNÉRAL RUDENKO

Par conséquent, votre déclaration à cette réunion, telle que je l’ai lue et interprétée, est exacte ?

ACCUSÉ GÖRING

Absolument exacte, bien qu’elle ait été mal traduite en allemand.

GÉNÉRAL RUDENKO.

Maintenant, en ce qui concerne vos pouvoirs spéciaux, je vais citer les instructions et les ordres que vous avez donnés à certains de ceux qui assistèrent le 16 août à une conférence à laquelle ils étaient tenus d’être présents.

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Par conséquent, lorsque vous vous serviez d’expressions telles que « pressurer » ou « extirper tout ce qui est possible des pays occupés », ces directives que vous donniez devenaient des ordres pour vos subordonnés, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Il est évident que les ordres étaient rédigés sous une autre forme. Ici, il s’agit d’expressions du langage familier et direct, et non d’un langage de salon.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, je comprends, d’expressions directes.

ACCUSÉ GÖRING

Vous vous référez au passage où il est dit — puis-je le lire ? — « Vous n’êtes certainement pas envoyé là-bas pour veiller au bien-être de la population... »

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui.

ACCUSÉ GÖRING

Vous voulez dire le passage qui est souligné ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, page 112. Je le cite : « Vous êtes envoyés là-bas, non pas pour veiller au bien-être de la population, mais pour extirper tout ce que vous pourrez de ces territoires. Voilà ce que j’attends de vous ».

ACCUSÉ GÖRING

Vous avez omis une phrase : « ... afin que le peuple allemand puisse vivre... »

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, c’est juste.

ACCUSÉ GÖRING

Un instant. « ... pour en extraire tout ce que vous pourrez, afin que le peuple allemand puisse vivre. Voilà ce que j’attends de vous. » Mais avant cela il est dit, et je voudrais vous lire encore cette phrase : « Dans tous les territoires occupés, je vois les gens gavés, tandis que le peuple allemand meurt de faim ».

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne niez pas que ce sont vos propres paroles : « Vous êtes envoyés, non pas pour veiller au bien-être de la population, mais extirper tout ce que vous pourrez... »

ACCUSÉ GÖRING

Il faut les lire avec la phrase précédente. Je ne nie pas avoir dit cela.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous niez vos propres paroles, telles qu’elles figurent ici ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, je vous dis justement que j’ai bien prononcé ces paroles. Mais je proteste contre votre façon de citer certaines phrases hors de leur contexte.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pourtant, ces passages sont parfaitement clairs et parient d’eux-mêmes. J’attire votre attention sur le passage suivant, à la page 113, qui est également souligné. Voici quelques-uns de vos ordres : « Je ferai une chose, j’obtiendrai ce que j’exige de vous, et si vous ne pouvez pas obtempérer, je mettrai sur pied des organismes qui extirperont tout ce que je veux, que cela vous plaise ou non ».

Trouvez-vous ce passage ? Est-ce bien là ce que vous avez déclaré à cette conférence ?

ACCUSÉ GÖRING

Le passage n’a pas été traduit par l’interprète tel qu’il est ici dans le texte original. L’interprète qui a traduit vos paroles a employé certains termes catégoriques qui ne figurent pas dans le document. « Extirper » par exemple...

GÉNÉRAL RUDENKO

Veuillez donc lire l’original.

ACCUSÉ GÖRING

Oui, ici le mot est « extraire ». « Extraire » et « extirper » sont très différents ; en allemand, en tout cas, cela fait une différence considérable.

GÉNÉRAL RUDENKO

« Extraire » ou « extirper » revient à peu près au même, me semble-t-il. Et la phrase « ... je mettrai sur pied des organismes qui extirperont ce que je veux... » L’avez-vous trouvée ?

ACCUSÉ GÖRING

« Obtiendront » non pas « extirperont ».

GÉNÉRAL RUDENKO

Après tout, aviez-vous des raisons de ne pas avoir confiance dans ces commissaires du Reich, puisque vous les menaciez de surveillance ?

ACCUSE GÖRING

Non seulement les commissaires du Reich de l’Est étaient présents, mais aussi des commissaires de tous les territoires. Il s’agissait de créer une organisation pour le ravitaillement de tous les territoires de l’Europe occupés par nous, et de déterminer la part pour laquelle chaque pays devait contribuer. Juste avant cette conférence, on m’avait dit — et c’était tout à fait compréhensible — que chacun se réserverait, afin que les autres fournissent les premiers. Bref, je ne voulais pas que ces messieurs me rabattent les oreilles ; quand je savais qu’ils ne m’offraient que la moitié, j’exigeais le double afin que, finalement nous tombions d’accord sur la moitié.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous demande : ces exigences que vous avez formulées à cette conférence, n’allaient-elles pas se transformer en un pillage systématique et impitoyable des territoires occupés ?

ACCUSÉ GÖRING

Non. La question principale à cette conférence était de trouver plus de ravitaillement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais je parle de pillage. Piller peut signifier dévaliser les pays occupés de leurs denrées alimentaires.

ACCUSÉ GÖRING

J’ai dit à l’instant que j’étais responsable du ravitaillement pour tous les territoires occupés. Certains d’entre eux étaient déficitaires, d’autres avaient un surplus. Il fallait organiser un système de compensation. Au cours de cette conférence, on a déterminé que la part à fournir par chaque commissaire du Reich devait être de 90%. Je ne nie pas que, au cours de cette conférence, je me suis montré assez exigeant et me suis exprimé d’une façon catégorique. Plus tard, on fixa les chiffres exacts des livraisons à effectuer, et ce fut là le résultat de cette conférence.

GÉNÉRAL RUDENKO

J’attire votre attention sur la page 118 du même procès-verbal. On y lit ce qui suit — ce sont vos propres paroles —. Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

« Il me semble que, jadis, la chose était plus simple. On l’appelait un pillage. Il s’agissait pour le vainqueur d’emporter ce que bon lui semblait du pays conquis. Mais aujourd’hui, on a voulu devenir plus humain. Moi, j’ai l’intention de piller, et de façon effective. »

Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’ai trouvé. C’est bien ce que j’ai déclaré à la conférence. Je le dis catégoriquement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voulais justement établir que c’étaient bien là vos propres paroles.

ACCUSÉ GÖRING

Certainement, je l’ai dit. Et en voici la raison : autrefois, la guerre nourrissait la guerre ; aujourd’hui, on n’emploie plus les mêmes termes, mais pratiquement, cela revient au même.

GÉNÉRAL RUDENKO

Très bien. J’attire maintenant votre attention sur la page 119. Vous dites, en vous adressant aux personnes assistant à la réunion :

« Vous devez être comme des chiens de chasse ; partout où il reste quelque chose qui puisse servir au peuple allemand vous devez le saisir immédiatement et l’expédier en Allemagne. »

Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’ai trouvé.

GÉNÉRAL RUDENKO

L’avez-vous dit ?

ACCUSÉ GÖRING

Je présume que je l’ai dit, oui, certainement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous l’avez dit. Donc en somme, cette phrase n’est que la conclusion logique de votre directive de « piller impitoyablement. »

ACCUSÉ GÖRING

Non, ce n’est pas exact. Sitôt après, j’ai déclaré que j’avais autorisé les soldats à acheter tout et autant qu’ils le désiraient, et tout ce qu’ils pouvaient emporter.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous parlez des soldats ; je voulais aussi vous en parler, et puisque vous avez cité ce passage, je voudrais m’y référer de nouveau. Vous avez dit :

« Les soldats peuvent acheter tout et autant qu’ils désirent et tout ce qu’ils peuvent emporter. »

ACCUSÉ GÖRING

Tout ce qu’ils peuvent porter, oui. C’était devenu nécessaire car les autorités douanières avaient émis des directives imposant des restrictions selon lesquelles les soldats ne pouvaient emporter qu’un seul petit colis. Il me semblait tout à fait injuste qu’un soldat combattant ne puisse pas au moins bénéficier le premier de la victoire.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne niez donc pas que le passage que je viens de citer est tiré de votre propre déclaration du 6 août 1942 ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, je ne le nie nullement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Bien. Passons à la question suivante. Reconnaissez-vous qu’en tant que plénipotentiaire au Plan de quatre ans, vous avez dirigé la déportation en esclavage de plusieurs millions de citoyens des pays occupés, et que l’accusé Sauckel vous était immédiatement subordonné ? L’avouez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Sur le papier, il était directement sous mes ordres, mais en réalité, il était subordonné directement au Führer. J’ai déjà dit que dans la mesure où j’étais au courant, j’en acceptais la responsabilité. Et, bien entendu, je connaissais ces déclarations.

GÉNÉRAL RUDENKO

J’attire votre attention sur vos autres remarques faites au cours de la même conférence. Vous les trouverez aux pages 141 et 142 du procès-verbal.

ACCUSÉ GÖRING

Elles ont déjà été lues devant le Tribunal.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais vous demander si vous avez bien trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, je l’ai trouvé.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous dites, au cours de cette conférence :

« Je ne veux pas louer le Gauleiter Sauckel, il n’en a pas besoin. Ce qu’il a accompli en si peu de temps et avec une célérité exemplaire pour recruter la main-d’œuvre de toute l’Europe et la mettre au travail dans nos industries, est un exploit unique en son genre. »

Plus loin, à la page 142, vous parliez à Koch : « Mais, Koch, ce ne sont pas que des Ukrainiens vos ridicules 500.000 bonshommes ! Combien en a-t-il trouvé, lui ? Presque 2.000.000 ! Où a-t-il trouvé les autres ? »

Avez-vous trouvé ce passage ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, mais cela ne correspond pas au texte que j’ai ici.

GÉNÉRAL RUDENKO

Veuillez donc préciser.

ACCUSÉ GÖRING

Koch voulait affirmer qu’il avait à lui seul procuré tous ces travailleurs pour Sauckel. Là-dessus, je lui répondis que pour tout le programme Sauckel, 2.000.000 d’ouvriers avaient été recrutés et que lui, Koch, ne pouvait prétendre qu’au nombre de 500.000 tout au plus. Autrement dit, Koch prétendait avoir fourni le nombre total.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous trouviez donc que 500.000 hommes provenant d’Ukraine, c’était trop peu ?

ACCUSE GÖRING

Non, ce n’est pas cela. Je viens d’expliquer que, sur ces 2.000.000 d’ouvriers que Sauckel avait obtenus jusque là, toute l’Ukraine en avait fourni 500.000. Ce n’était pas, comme Koch l’affirmait, lui le seul fournisseur de Sauckel. Voilà le sens de cette citation.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais vous ne niez pas le sens profond de vos paroles, qu’il s’agissait ici de millions d’hommes déportés par la force en Allemagne pour travailler comme esclaves ?

ACCUSÉ GÖRING

Je ne nie pas qu’il était question ici de 2.000.000 de travailleurs appelés ; je ne saurais dire s’ils furent tous amenés en Allemagne ; mais ils travaillèrent certainement pour l’économie allemande.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne niez pas que c’était de l’esclavage ?

ACCUSÉ GÖRING

Esclavage, je le nie ; travail forcé, en certains cas, peut-être, et j’ai déjà indiqué pour quelles raisons.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais ils furent enlevés de leur pays par la force et envoyés en Allemagne ?

ACCUSÉ GÖRING

Un certain nombre d’entre eux furent déportés de force et j’en ai exposé ici les raisons.

GÉNÉRAL RUDENKO

Accusé Göring, vous avez entendu citer ici toute une série de documents allemands, dont il ressort que les citoyens des pays occupés étaient déportés par la force en Allemagne ; qu’on s’emparait d’eux au moyen de rafles dans les rues et dans les cinémas, qu’on les envoyait par convois sous une garde armée en Allemagne ; et s’ils refusaient d’aller en Allemagne ou tentaient de s’évader, ces citoyens pacifiques étaient fusillés ou soumis à des tortures. Vous avez entendu la lecture de ces documents ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, mais permettez-moi de vous demander d’examiner ces documents à nouveau et vous y verrez que le recrutement n’était pas forcé. L’inscription, même pour le travail obligatoire, était ordonnée par décrets et autres directives. Si on m’avait fourni la garantie absolue, surtout à l’Est, que tous ces individus demeureraient tranquilles et pacifiques et qu’ils ne prendraient jamais part aux combats de partisans ou aux sabotages, j’aurais pu en laisser la majorité travailler sur place. Mais, pour des raisons de sécurité, tant à l’Est qu’à l’Ouest, je souligne, aussi à l’Ouest, où des classes de jeunes gens arrivaient à l’âge mobilisable, nous fûmes obligés de réquisitionner ces hommes pour le travail en Allemagne.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ils furent emmenés en Allemagne dans des seuls buts de sécurité ?

ACCUSÉ GÖRING

Pour deux raisons que j’ai déjà précisées en détail : d’abord, pour des raisons de sécurité, deuxièmement, à cause du besoin de main-d’œuvre.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et pour cette raison — prenons la seconde, celle du besoin de main-d’œuvre — des hommes furent emmenés de force de chez eux pour devenir esclaves en Allemagne ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, pas en esclavage ; ils furent emmenés en Allemagne pour travailler. Mais je dois souligner que tous ceux qui furent emmenés de l’Est et qui sont portés manquants aujourd’hui ne furent pas amenés au travail ici. En Pologne, par exemple, 1.680.000 Polonais et Ukrainiens furent déportés des territoires occupés par l’Union Soviétique et emmenés par les Russes, en Orient — en Extrême-Orient.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je crois que la question des territoires soviétiques ne nous intéresse pas ici. Répondez plutôt à la question que je vous pose au sujet de la déportation en Allemagne des citoyens des pays occupés. Vous avez répondu, à une question de Sir David Maxwell-Fyfe que sur les 5.000.000 de personnes qui avaient été déportées en Allemagne, environ 200.000 étaient volontaires ; les autres furent emmenés par la force. C’est exact, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

D’abord, puis-je rectifier ? Je n’ai pas dit cela à Sir David Maxwell-Fyfe, c’est lui qui me l’a demandé.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et vous l’avez admis ?

ACCUSÉ GÖRING

Un moment, je vous prie. Il a cité le chiffre de 5.000.000 en disant que sur ce nombre 200.000 seulement étaient des volontaires. Il s’est basé sur une déclaration supposée de Sauckel qui figurait à un procès-verbal de l’Office central du Plan. Je n’ai pas acquiescé, mais j’ai répondu que le nombre de volontaires étaient certainement bien supérieur et qu’il devait y avoir une erreur dans ces chiffres.

GÉNÉRAL RUDENKO

Fort bien. Vous affirmez que le nombre de volontaires était bien plus élevé, mais vous ne niez pas le fait que des millions d’individus furent déportés contre leur gré ? Vous ne le niez pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Sans vouloir fixer de chiffre, je n’ai jamais nié le fait que des ouvriers furent employés de force, et j’ai répondu en conséquence.

GÉNÉRAL RUDENKO

Passons à une autre question : dites-moi comment était établie la transmission des ordres et des directives de l’OKW aux différents services et organismes gouvernementaux ?

ACCUSÉ GÖRING

Je n’ai pas compris le sens de la question, telle qu’elle m’a été transmise par l’interprète.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous demandais de me décrire de quelle façon se faisait la transmission des ordres et des directives de l’OKW aux différents services administratifs de la Luftwaffe.

ACCUSÉ GÖRING

Si j’ai bien compris la question, la transmission s’effectuait de la façon suivante : lorsqu’un ordre était adressé à la Luftwaffe par l’OKW, il passait par les voies suivantes : si c’était un ordre du Führer ou signé directement par le Führer, cet ordre devait me parvenir directement en tant que Commandant en chef de la Luftwaffe ; s’il s’agissait d’un ordre signé non pas par le Führer, mais sur ordre du Führer, les directives allaient suivant leur importance au chef de l’État-Major général de la Luftwaffe, et celui-ci m’en faisait un rapport verbal, s’il jugeait que le contenu était suffisamment important. Si, par contre, il s’agissait d’affaires courantes, l’ordre était transmis directement aux services subalternes, sans passer par le commandement en chef. Sans cela, il eût été impossible de travailler convenablement étant donné le grand nombre de ces ordres.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je comprends. A ce propos, je voudrais vous poser la question suivante : en 1941, l’OKW élabora toute une série de directives et d’ordres concernant la conduite des troupes à l’Est et la conduite à tenir à l’égard de la population soviétique, notamment la directive sur la compétence de la juridiction militaire dans le « Cas Barbarossa », document C-50, qui a déjà été déposé devant le Tribunal. Cette directive laissait aux officiers allemands le droit de fusiller, sans enquête et sans jugement, n’importe quelle personne soupçonnée de sentiments inamicaux à l’égard de l’Allemagne. Cette même directive spécifiait l’impunité des soldats allemands à l’égard de leurs crimes commis sur la population civile soviétique. De telles directives devaient sans doute vous être soumises ?

ACCUSÉ GÖRING

Il faudrait que je voie la liste des destinataires. Puis-je examiner le document, je vous prie ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous désirez voir ce document ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, afin de vérifier suivant la liste des destinataires, si je l’ai reçu directement ou s’il est parvenu directement à mes services.

GÉNÉRAL RUDENKO

Veuillez porter votre attention sur la date : 13 mai 1941.

ACCUSÉ GÖRING

Au fait, je ne l’ai pas reçu directement. Dans la liste des destinataires, il est indiqué : « Ob.d.L., État-Major d’opérations de l’Aviation, le chef d’État-Major ». Quant à mes troupes, je leur avais imposé une discipline très sévère. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai demandé comme témoin l’officier de justice militaire de la Luftwaffe et c’est pourquoi on lui a envoyé un questionnaire relatif à ces mêmes questions.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous connaissiez toutefois cette directive ?

ACCUSÉ GÖRING

Je l’ai vue ici et c’est pourquoi j’ai demandé ce témoin ; car cet ordre n’est pas allé directement au Commandement suprême, mais au service que je viens de citer. Cependant, si ce service a agi d’après cet ordre, j’en porte évidemment avec lui la responsabilité. Mais il s’agit ici d’un ordre du Führer et Chef suprême de la Wehrmacht, que les troupes ne pouvaient pas discuter...

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais vous admettez que vous deviez être au courant de ce document, étant donné son importance ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, car autrement on me l’aurait adressé directement, en ma qualité de Commandant en chef, et non pas à l’État-Major d’opérations de la Luftwaffe et au chef de l’État-Major général. C’était ce dernier qui décidait si le document en question avait suffisamment d’importance pour qu’on me réclamât des directives ou des ordres personnels. Cela ne fut donc pas le cas ici, étant donné que l’ordre ne nous intéressait pas autant que l’Armée de terre.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais ce document fut envoyé à vos services et distribué aux divers échelons ?

ACCUSÉ GÖRING

Je viens de dire qu’il fut envoyé à deux de mes services.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais ce document aurait dû vous parvenir personnellement ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, on ne devait pas me le faire parvenir. J’ai expliqué tout à l’heure que si tous les ordres et directives qui étaient déjà compris comme des ordres à exécuter et qui ne nécessitaient pas mon intervention m’avaient été soumis, je me serais noyé dans toute cette paperasse. C’est pourquoi seules les questions les plus importantes m’étaient rapportées et exposées. Je ne puis pas déclarer sous la foi du serment que ce document ne me fut pas cité verbalement. C’est possible. Et j’en accepte toute la responsabilité au nom de mes services.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais encore plus de précisions. Vous dites que les questions les plus importantes devaient vous être soumises. Est-ce exact ?

ACCUSÉ GÖRING

C’est exact.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous prie de porter votre attention sur les points 3 et 4 de cet ordre. Dans ce point 3, il est dit :

« Les attaques de la population civile contre les troupes et auxiliaires qui se trouvent sous vos ordres ou contre le personnel administratif militaire, doivent être réprimées sur place par les mesures les plus directes et les plus violentes ; elles peuvent aller jusqu’à l’anéantissement des agresseurs. »

Point 4 : « Ainsi, sans perdre de temps... »

ACCUSÉ GÖRING

Un instant, je vous prie.

GÉNÉRAL RUDENKO

Le paragraphe 4...

ACCUSÉ GÖRING

Vous m’avez fait passer trois documents, j’essaie de trouver celui que vous lisez, il faut que j’y mette d’abord de l’ordre.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mettez-y donc de l’ordre.

ACCUSÉ GÖRING

Je reprends le paragraphe 3, car la traduction allemande a été très mauvaise :

« Toutes les attaques de civils contre la Wehrmacht et ses services et auxiliaires doivent être réprimées aussitôt par les moyens les plus extrêmes et les plus sévères, allant jusqu’à l’anéantissement des auteurs de ces attaques. »

GÉNÉRAL RUDENKO

Et quatrièmement ?

ACCUSÉ GÖRING

Puis, quatrièmement, si je vous comprends bien, c’est le paragraphe qui est ainsi libellé : « Dans les cas d’omission ou d’impossibilité de prendre des mesures de ce genre, les éléments suspects devront être alors amenés aussitôt devant un officier, qui décidera s’ils doivent être fusillés » C’est bien ce que vous vouliez lire ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, c’est exactement cela. Selon vous, ce document présentait-il assez d’importance pour qu’il vous fût soumis ?

ACCUSÉ GÖRING

C’était un document important, mais il n’était pas absolument indispensable de me le soumettre, car l’ordre du Führer avait été établi si clairement qu’un chef subalterne ou même un commandant en chef ne pouvait y changer quoi que ce fût

GÉNÉRAL RUDENKO

J’attire encore une fois votre attention sur la date de ce document. Dans le coin droit, on voit « ’Quartier Général du Führer, 13 mai 1941 ».

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

C’est, par conséquent, plus d’un mois avant l’agression allemande contre l’URSS ? A ce moment-là, donc, étaient déjà élaborées et mises au point des directives pour l’exercice de la juridiction militaire dans la région prévue par le « Cas Barbarossa ». Et vous ignoriez ce document ?

ACCUSÉ GÖRING

En élaborant un plan de mobilisation, il faut tout envisager. L’expérience du Führer lui faisait pressentir qu’une menace immédiate surgirait dans les territoires de l’Est et ce document précise les mesures à prendre aux cas où il y aurait une résistance et où des mouvements de partisans nous créeraient des complications. Par conséquent, il s’agit d’un ordre préventif pour le cas où de tels incidents se produiraient. Cela s’est toujours fait.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et chaque officier avait ainsi le droit, sans enquête et sans jugement préalable, de faire fusiller les gens ?

ACCUSÉ GÖRING

S’il le voulait, il pouvait instituer immédiatement une cour martiale, mais s’il avait la preuve que le délinquant avait attaqué nos troupes dans le dos, il pouvait le faire fusiller immédiatement. Ces faits ont toujours existé, même antérieurement.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous pensez qu’un officier a le droit d’établir sur-le-champ un tribunal ?

ACCUSÉ GÖRING

Il est prévu par les us et coutumes de la guerre qu’un officier, dès qu’il commande une unité, peut établir une cour martiale où et quand il le juge bon.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais vous êtes d’accord avec moi qu’il ne s’agit même pas ici d’un tribunal ? Il est dit que cet officier décide seul personnellement.

ACCUSÉ GÖRING

Il pouvait prendre une décision seul ou instituer une cour martiale. Il lui suffisait de s’adjoindre deux personnes et, en quelques minutes, il pouvait prendre une décision si les faits étaient prouvés.

GÉNÉRAL RUDENKO

En quelques minutes, dites-vous, et ensuite c’était l’exécution ?

ACCUSÉ GÖRING

Si je surprends quelqu’un en flagrant délit qui, d’une maison, tire sur mes troupes dans le dos, la cour martiale peut liquider une telle affaire le plus rapidement du monde. Toutefois, on ne peut agir ainsi s’il n’y a pas de preuves. Mais il s’agit ici d’une attaque directe et des mesures à prendre.

GÉNÉRAL RUDENKO

Accusé Göring, cela suffit sur cette question. Je voudrais seulement indiquer une fois de plus que cette directive fut donnée par le Haut Commandement de la Wehrmacht le 13 mai 1941 et qu’elle donnait le droit à un officier de fusiller un homme, sans enquête ni jugement. Je pense que vous ne le niez pas. Continuons.

ACCUSÉ GÖRING

Mais oui, je le nie absolument. Il n’est dit en aucune façon qu’un officier a le droit de fusiller quelqu’un directement. Permettez-moi de préciser. Il est dit ici et je le répète :

« Attentats commis par des civils contre la Wehrmacht », et on ajoute : « Dans le cas d’impossibilité de prendre des mesures de ce genre, les éléments suspects... » et il ne s’agit ici que des « éléments suspects », « doivent être amenés devant l’officier le plus ancien de l’unité présent et c’est lui qui prendra une décision ». Autrement dit, il n’est pas indiqué que tout officier peut décider du sort de n’importe quel civil.

GÉNÉRAL RUDENKO

Mais la décision demeure la peine de mort. C’est très clair. Passons au document suivant, que je veux présenter ici et sur lequel je voudrais vous interroger. Il s’agit du document daté du 16 septembre 1941, déjà déposé devant le Tribunal sous le n° R-98.

ACCUSÉ GÖRING

Un instant, je vous prie. Quelle date avez-vous dite ?

GÉNÉRAL RUDENKO

16 septembre 1941, point B de ce document. Je ne le citerai pas, je ne désire que le rappeler à votre souvenir. Il y est indiqué qu’en règle générale la mort d’un soldat allemand doit être vengée par l’exécution de 50 à 100 communistes, c’est-à-dire que cette règle devait servir de frein à toute tentative d’agression. Je ne vais pas vous questionner sur le fond de ce document : il est assez explicite par lui-même et n’a pas besoin d’être commenté. Ce qui m’intéresse ici, c’est de savoir si vous ignoriez également l’existence de ce document ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui, il ne m’a pas non plus été adressé. Ici encore, il a été distribué directement à un service. La Luftwaffe s’occupait assez peu des choses de ce genre.

GÉNÉRAL RUDENKO

Et le service intéressé ne vous en a pas fait part ?

ACCUSÉ GÖRING

La question des représailles m’était connue, d’une façon générale, mais pas dans cette mesure. Ce n’est que plus tard que j’ai appris — pendant la guerre, pas seulement ici — que d’abord 5 à 10 personnes ont été mentionnées dans cet ordre et que le Führer lui-même a transformé ces chiffres en 50 à 100. Il faudrait savoir si vous avez la moindre preuve que la Luftwaffe s’en est servi à un moment quelconque, ce qui n’est certainement pas le cas ; c’est tout ce que je puis vous dire.

GÉNÉRAL RUDENKO

Ce n’est pas à vous de me poser des questions. Je vous demande : est-ce que le service intéressé vous a fait part de ce document ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, mais plus tard, j’ai entendu parler de ce document. A une date ultérieure.

GÉNÉRAL RUDENKO

Que voulez-vous dire par date ultérieure ? Je vous demanderai de préciser.

ACCUSÉ GÖRING

Je ne peux pas le dire maintenant. Ce fut au cours de la guerre que j’entendis dire qu’un chiffre qui avait été à l’origine de 5 à 10 avait été changé par le Führer lui-même en 50 à 100. C’est tout ce que j’ai entendu.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pour un Allemand, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Je viens de vous le déclarer à l’instant, c’est ce que j’ai entendu. Le chiffre était d’abord de 5 à 10, puis le Führer personnellement a ajouté les zéros 50 à 100. On a parlé une fois de ce fait, devant moi, et c’est ainsi que j’ai appris l’existence du document.

LE PRÉSIDENT

Général Rudenko, croyez-vous qu’il soit vraiment nécessaire de détailler les documents de cette façon ? Les documents, après tout, sont éloquents par eux-mêmes et ils ont déjà été déposés devant le Tribunal.

GÉNÉRAL RUDENKO

Oui, j’en ai terminé avec ce document, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Êtes-vous au courant des directives de l’OKW sur le traitement à faire subir aux prisonniers de guerre soviétiques ?

ACCUSÉ GÖRING

Il faudrait qu’on me les montre.

GÉNÉRAL RUDENKO

Si vous le permettez, Monsieur le Président, il s’agit d’un document déjà déposé devant le Tribunal sous le numéro PS-338.

Reportez-vous, je vous prie, au point A du troisième paragraphe qui est relatif à l’emploi d’armes contre les prisonniers de guerre soviétiques et qui, selon la directive, est conforme au règlement et, en cas d’incidents, n’oblige en aucune façon les sentinelles à en rendre compte. Ce document est également éloquent par lui-même. Je ne voudrais pas...

ACCUSÉ GÖRING

Un instant, s’il vous plaît, il faut que je lise d’abord ; ce n’est pas du tout clair.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je voudrais rafraîchir votre mémoire sur un autre point encore, une courte citation. Elle est tirée d’un ordre sur le traitement des prisonniers de guerre soviétiques ; il y est dit qu’il convient de tirer immédiatement, sans aucun avertissement, sur les prisonniers de guerre soviétiques qui tenteraient de s’enfuir. Le même sujet est traité dans la note sur le traitement des prisonniers de guerre russes.

ACCUSÉ GÖRING

La difficulté qui se présentait était celle de la langue. Par conséquent, l’ordre était donné aux gardes de tirer sur tout individu qui tenterait de s’échapper. Tel est le sens général de cette instruction. Si des erreurs se sont produites, c’est compréhensible.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je ne vous interroge pas sur le fond de ce document, qui est suffisamment explicite. Je vous demande simplement : connaissiez-vous son existence ?

ACCUSÉ GÖRING

Il s’agit ici d’un document se rapportant au traitement des prisonniers de guerre, il fut envoyé directement au service de mon ministère s’occupant des prisonniers de guerre. Je ne connaissais pas ce document et je ne connaissais pas non plus celui qui contient l’avis du bureau Ausland/Abwehr.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne connaissiez pas ce document ? Très bien. Encore un autre : PS-854, déjà déposé. Il s’agit de l’extermination des commissaires et autres personnalités politiques. C’est un document...

ACCUSÉ GÖRING

Je voudrais expliquer que l’Aviation n’avait pas de camps de prisonniers pour prisonniers de guerre soviétiques ; la Luftwaffe n’avait que six camps dans lesquels se trouvaient les membres des forces aériennes des autres puissances ; mais il n’y avait pas de camps avec des prisonniers de guerre soviétiques.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je vous ai posé ces questions et présenté ces documents pour la bonne raison que, en tant que second homme en vue en Allemagne, après Hitler, vous ne pouviez ignorer tout cela.

ACCUSÉ GÖRING

Je vous demande pardon si je vous contredis. Justement, plus ma situation était importante, moins j’étais touché par des ordres concernant les prisonniers de guerre. De par leur nature même, c’étaient des ordres qui n’intéressaient que les services, mais qui étaient sans aucune importance militaire ou politique particulière. Si j’avais occupé un rang inférieur, j’aurais peut-être été plus au courant de ces ordres.

J’en viens maintenant au document que vous venez de me présenter : Service de la défense du territoire, qui concerne « le traitement des prisonniers fonctionnaires russes et commissaires politiques ».

GÉNÉRAL RUDENKO

Regardez bien la date : « Quartier Général du Führer, 12 mai 1941 ».

ACCUSÉ GÖRING

Oui.

GÉNÉRAL RUDENKO

Passez au paragraphe 3 : « Les chefs politiques se trouvant parmi les troupes ne doivent pas être considérés comme des prisonniers et doivent être exterminés au plus tard dans les camps de transit. En aucun cas, ils ne doivent être amenés à l’arrière ».

Connaissiez-vous cette directive ?

ACCUSÉ GÖRING

Puis-je attirer votre attention sur le fait qu’il ne s’agit pas ici d’une directive, mais que ce texte est intitulé « mémorandum » et signé de Warlimont. De même, l’indication des destinataires ne donne pas d’autre service que celui de la défense du territoire, que j’ai déjà mentionné. Donc, ce n’est qu’un mémorandum.

GENERAL RUDENKO

Par conséquent, vous ne connaissiez pas l’existence de ce document ?

ACCUSÉ GÖRING

Je vous le répète encore une fois, c’est un mémorandum de l’État-Major d’opérations de l’OKW ; ce n’est donc ni un ordre, ni une directive, mais un mémorandum.

LE PRÉSIDENT

Ce n’est pas une réponse à la question qui vous est posée. Vous nous dites ce que c’était, mais vous ne précisez pas si vous en aviez connaissance.

ACCUSÉ GÖRING

Non, je n’en avais pas connaissance. On me l’a présenté ici comme un ordre, et je voulais faire remarquer que ce n’en était pas un.

GÉNÉRAL RUDENKO

Passons plus loin. Les directives concernant la façon de traiter les prisonniers de guerre soviétiques devaient certainement être suivies également par la Luftwaffe ?

ACCUSÉ GÖRING

Sur ordre du Führer, oui ; ou, également, si c’était moi qui l’ordonnait.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous souvenez-vous de vos propres directives au sujet du traitement à imposer aux prisonniers de guerre soviétiques ?

ACCUSÉ GÖRING

Non.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne vous en souvenez pas ?

ACCUSÉ GÖRING

Nous n’avions pas de camps de. prisonniers de guerre soviétiques. La Luftwaffe.

GÉNÉRAL RUDENKO

Dites-moi, la plupart de ces directives et ordres criminels de l’OKW ne furent-ils pas établis même avant le début de la guerre contre l’URSS, et en rapport direct avec la préparation de cette guerre ? Cela ne prouve-t-il pas que le Gouvernement allemand et l’OKW avaient un plan déjà mûrement préparé en vue de l’anéantissement de la population soviétique ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, cela ne le prouve nullement. Cela indique seulement que nous considérions qu’une lutte avec l’URSS serait extrêmement âpre et qu’elle serait menée selon de tout autres principes, étant donné qu’il n’existait aucune convention.

GÉNÉRAL RUDENKO

Nous les connaissons bien les règles que vous avez adoptées dans cette lutte. Mais vous devez connaître les directives données par Himmler, en 1941, sur l’anéantissement de 30.000.000 de Slaves ? Vous en avez déjà entendu parler ici, par le témoin Von dem Bach-Zelewski. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Oui. D’abord, ce n’était pas un ordre, mais un discours. Ensuite, c’était une affirmation de Zelewski, et, troisièmement, dans tous ses discours à des chefs subordonnés, Himmler insistait sur le plus grand secret. Autrement dit, il s’agit de la déclaration d’un témoin, qui aurait entendu ces paroles, mais ce n’est pas un ordre. Par conséquent, je n’ai aucune connaissance de cette absurdité.

GÉNÉRAL RUDENKO

Vous ne le saviez pas. Fort bien. Mais, dites-moi, dans l’État totalitaire allemand, n’y avait-il pas un « centre » directeur, Hitler et son entourage immédiat, où vous étiez l’adjoint même de Hitler ? Ces directives devaient intéresser Keitel et Himmler également. Est-ce que Himmler à lui seul aurait pu donner des ordres pour l’anéantissement de 30.000.000 de Slaves, sans en avoir été chargé par Hitler ou par vous ?

ACCUSÉ GÖRING

Himmler n’a jamais donné d’ordres pour l’anéantissement de 30.000.000 de Slaves. Le témoin a dit qu’il avait fait un discours en ce sens, que 30.000.000 de Slaves devaient être exterminés. Si Himmler avait donné un tel ordre de facto et s’il avait suivi la règle, il aurait été obligé de demander son accord au Führer — non pas le mien — et Hitler lui aurait certainement déclaré que c’était une chose impossible.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je n’ai pas dit que c’était un ordre ; j’ai dit que c’était une directive de Himmler. Par conséquent, vous admettez ou plutôt vous déclarez que Himmler pouvait donner de telles instructions sans en référer auparavant à Hitler ?

ACCUSÉ GÖRING

Je souligne que de pareilles instructions n’auraient pas pu être données par Himmler et je ne connais pas une telle instruction émanant de lui ; et il n’est pas question ici d’une directive non plus.

GÉNÉRAL RUDENKO

Je répète une fois de plus ma question : n’est-il pas vrai que les ordres et les directives de l’OKW sur le traitement à imposer à la population civile et aux prisonniers de guerre des territoires occupés de l’URSS faisaient partie d’un plan général pour l’extermination des peuples slaves ? Voilà ce que je veux savoir.

ACCUSÉ GÖRING

Nullement. A aucun moment, une directive n’a été donnée par le Führer ou par qui que ce soit que je connaisse, pour l’extermination des Slaves.

GÉNÉRAL RUDENKO

Pourtant, vous deviez sûrement être au courant de l’extermination en masse des citoyens des territoires occupés soviétiques, avec l’aide de la Police de sûreté et du SD ? N’est-il pas vrai que l’activité des Einsatz-Kommandos résultait du plan déjà mûrement préparé pour l’extermination des Juifs et autres groupes de citoyens soviétiques ?

ACCUSÉ GÖRING

Non, les EinsatzKommandos étaient des organismes de politique intérieure, tenus très secrets.

GÉNÉRAL RUDENKO

J’aurai encore plusieurs questions à poser. Peut-être vaudrait-il mieux suspendre l’audience maintenant ?

LE PRÉSIDENT

Quel est le temps qui vous est encore nécessaire, général Rudenko ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Environ une heure, je pense.

LE PRÉSIDENT

Tous ces documents que vous avez présentés au témoin sont, comme je vous l’ai fait remarquer, des documents qui ont déjà été déposés, des documents qui me semblent très éloquents par eux-mêmes. J’espère donc que vous rendrez votre contre-interrogatoire le plus bref possible. L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 22 mars 1946 a 10 heures.)