QUATRE-VINGT-HUITIÈME JOURNÉE.
Vendredi 22 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
En prenant en considération les questions qui ont été soulevées ce matin, le Tribunal avait en vue de conduire le Procès à la fois avec équité et célérité ; il a décidé que seraient désormais appliquées les règles précédemment énoncées ; à savoir : en premier lieu les documents traduits dans les quatre langues peuvent être déposés sans qu’il en soit donné lecture ; mais, en les déposant, les avocats peuvent les résumer ou appeler l’attention du Tribunal sur leur pertinence ou en lire brièvement les extraits qui sont particulièrement pertinents ou qu’ils estiment d’une importance capitale.
En second lieu, lorsqu’un document est déposé, le Tribunal entendra toutes les objections qui peuvent lui être opposées et, à ce sujet, je voudrais citer la règle édictée par le Tribunal le 8 mars 1946 qui est ainsi conçue :
« Pour éviter des traductions inutiles, les avocats indiqueront au Ministère Public les passages exacts de tous les documents qu’ils se proposent d’utiliser afin que le Ministère Public ait la possibilité d’élever des objections sur les passages inopportuns. En cas de désaccord entre le Ministère Public et la Défense sur l’opportunité de certains passages, le Tribunal décidera quels sont les passages opportuns dont la traduction s’impose. Seuls les passages cités doivent être traduits, à moins que le Ministère Public ne réclame la traduction du document tout entier. »
Le Tribunal a autorisé l’accusé Göring, le premier des accusés qui a témoigné et qui s’est déclaré responsable en tant que chef en second de l’Allemagne nazie, à déposer sans aucune interruption ;
cet accusé a retracé toute l’histoire du régime nazi depuis sa conception jusqu’à la défaite de l’Allemagne. Le Tribunal n’a pas l’intention de permettre à tout autre accusé de traiter le même sujet aussi largement au cours de sa déposition, sauf dans la mesure où sa propre défense l’exigera.
Les avocats sont prévenus qu’en principe le Tribunal ne considère pas comme preuve acceptable des extraits de livres ou d’articles exprimant l’opinion personnelle de certains auteurs sur des questions de morale, d’histoire ou sur des événements particuliers.
Quant au travail de demain, le Tribunal siégera en audience publique pour entendre les requêtes d’auditions de témoins, les demandes de documents, les requêtes supplémentaires, et après cette audience publique le Tribunal siégera en chambre du conseil.
Maintenant, Dr Stahmer, allez-vous vous reporter à votre livre portant le n° 1 ? Quel est votre livre ? Ou bien allez-vous vous référer à votre dossier ?
Monsieur le Président, je me réfère à la page 5 de mon dossier. Autant que je sache, les traductions ont la même pagination que le texte original allemand. C’est donc à la page 5, paragraphe II. Puisque ce livre est traduit dans les trois langues ainsi que, je le crois, le livre de documents, je me bornerai à les mentionner brièvement et à ne lire uniquement que ce que je considère comme essentiel.
Au début de mon exposé de ce livre j’ai signalé que l’Allemagne avait dénoncé le Traité de Versailles et le Pacte de Locarno et que cette dénonciation en elle-même était justifiée. Après cette dénonciation, l’Allemagne pouvait procéder à son réarmement et rétablir le service militaire obligatoire.
En outre, le réarmement et le rétablissement du service militaire obligatoire ne furent ordonnés par Hitler qu’après avoir auparavant et à plusieurs reprises fait, sans succès, des propositions de désarmement aux puissances intéressées. Dans ces conditions, on ne peut pas déduire de ce seul fait qu’à cette époque l’Allemagne avait l’intention de préparer ou de faire des plans de guerres d’agression. A ce propos, j’attire votre attention sur le fait que, dans les pays étrangers également, le réarmement fut considérablement poussé à partir de 1936. Comme preuve à l’appui, j’ai déposé les discours et les exposés qui se trouvent dans le livre de Churchill Step by step (Pas à pas). J’en ai choisi moi-même les passages significatifs. Je vais en citer un en particulier. A la page 5 de ce livre, il est dit...
Docteur Stahmer, vous devez déposer ce document comme preuve. C’est une formalité.
Oui, naturellement j’ai le livre ici, je vais le déposer tout de suite ; ainsi que les différents extraits qui se trouvent dans le livre de documents. Il s’agit du livre de documents n° 2, page 44, pour la première citation.
Allez-vous donner le chiffre de la pièce que vous déposez ?
Oui.
Vous avez donné le chiffre 40, n’est-ce pas ?
Oui. C’est le numéro qui figure dans ce livre. J’ai donné des numéros à ces livres à la suite les uns des autres.
Oui, mais quel que soit le numéro que vous vous proposez de lui donner, vous devez dire ce chiffre lorsque vous déposez le document afin qu’il soit enregistré dans le procès-verbal.
Oui, Monsieur le Président ; cet extrait n° 40 provient du livre de documents n° 2, à la page 9 :
« Le 18 juin l’accord naval anglo allemand fut signé. Il libérait l’Allemagne des restrictions navales de Versailles Cela signifiait, en fait, l’entérinement de la violation des clauses militaires. »
Page 35 : « La force aérienne est actuellement en voie d’être presque triplée. Il s’agit d’un développement colossal qui présente pour nos possibilités de fabrication des exigences énormes. Mais, abstraction faite de ces besoins immédiats, il y a la tâche beaucoup plus importante d’organiser l’industrie métropolitaine de l’Angleterre de manière à ce qu’elle soit prête à orienter tout son potentiel de guerre dans le sens de la production de guerre, dès que la nécessité s’en fera impérieusement sentir. »
Je cite maintenant l’article « Dans les eaux de la Méditerranée » du 13 novembre 1936, page 86, qui dit textuellement : Mais il n’en est plus ainsi L’Angleterre a commencé de réarmer sur une grande échelle. Sa richesse et son crédit, la robustesse de son organisation, l’ampleur de ses ressources et de ses ramifications, tout cela contribue à cette rénovation. La flotte britannique est toujours de beaucoup la plus puissante d’Europe. Un budget énorme est envisagé pour elle dans l’avenir »
Ensuite, je désire apporter les preuves que l’accusé Göring, personnellement, à différentes périodes et dès la prise du pouvoir, a vigoureusement manifesté son désir de maintenir la paix et d’éviter la guerre. Il a également, à plusieurs reprises, déclaré clairement que les mesures prises par l’Allemagne ne visaient pas des buts d’agression Comme preuves, je citerai différents discours de l’accusé Göring et, pour commencer, un discours qu’il fit le 4 décembre 1934 aux usines Krupp à Essen Vous le trouverez dans le livre Hermann Göring, Reden und Aufsätze (Discours et écrits) pages 174 à 176 reproduit également dans le livre de documents n° 1, à la page 18. Je ne citerai que ce passage.
Je ne crois pas que le sténographe ait entendu le numéro de présentation de ce document.
Je m’excuse C’est le document n° 6 Je citerai la dernière phrase du premier paragraphe :
« Aujourd’hui nous voulons assurer cette paix et nous voulons que le monde sache toujours ceci seule une Allemagne en possession de son honneur est une garantie pour la paix du monde Seul un peuple allemand en possession de sa liberté maintiendra cette paix et saura la préserver. Pour cela, nous demandons pour nous les mêmes droits que possèdent les autres »
Et à la page suivante, dernier paragraphe :
« Nous ne voulons pas la guerre, mais nous voulons notre honneur. Nous ne permettrons à personne dans le monde de nous contester cet honneur ; il en est ainsi, car la reconstruction de la nation tout entière repose sur ce fondement. Seul, celui qui garde une épée aiguisée à son côté a la tranquillité ; seul, il a la paix. »
Sir Nevile Henderson, dans son livre Failure of a Mission (Échec d’une mission), insiste plusieurs fois sur le désir de paix de Göring. Les passages sont reproduits dans le livre de documents n° 1, page 63, et je dépose ce document sous le n° 23, pièce Göring n° 2. Je cite à la page 78 du livre :
« J’étais » — c’est Henderson qui parle — « porté à croire à la sincérité de son désir personnel » — c’est de Göring qu’il s’agit — « de paix et de bonnes relations avec l’Angleterre. »
A la page 83 du livre, il dit :
« Je voudrais exprimer ici ma conviction que le Feldmarschall, si cela avait dépendu de lui, n’aurait pas spéculé sur la guerre comme Hitler l’a fait en 1939. Comme je l’exposerai en temps voulu, il se montra, en septembre 1938, un partisan déterminé de la paix. »
Page 273, qui est la suivante dans le livre de documents, je citerai cette phrase :
« Je vis l’ambassadeur de Pologne le 31 août 1939 à 2 heures du matin ; je lui fis un rapport objectif et volontairement modéré de mon entretien avec Ribbentrop ; je lui signalai la cession de Dantzig et le plébiscite dans le Corridor comme les deux points essentiels des propositions allemandes ; je lui déclarai qu’à première vue elles ne me paraissaient pas dans leur ensemble trop déraisonnables ; et je lui suggérai de recommander à son Gouvernement de proposer une entrevue entre les maréchaux Smigly-Rydz et Göring. »
A la page 276 du livre, je citerai la phrase suivante du dernier paragraphe :
« Néanmoins, le maréchal semblait très anxieux quand, après avoir été appelé au téléphone, il revint nous dire que M. Lipski allait rendre visite à Ribbentrop. Il parut soulagé et sembla espérer que, si le contact pouvait seulement être établi, la guerre pourrait, après tout, être évitée. »
En février 1937, l’accusé Göring, à l’occasion d’un congrès international d’anciens combattants, à Berlin, fit le discours suivant qui se trouve dans le livre : Hermann Göring, l’homme et son œuvre, page 265, reproduit dans le livre de documents n° 2. page 42, pièce n° 39. Je cite les phrases suivantes :
« Il ne peut y avoir de meilleurs défenseurs de la paix que les anciens combattants du front. Je suis persuadé qu’ils ont, plus que d’autres, le droit de faire avancer la paix et de lui donner forme. Je reconnais le droit de donner une forme à la vie des peuples, en premier lieu aux hommes qui ont passé quatre dures années, les armes à la main, dans l’enfer de la guerre mondiale, et je sais que les anciens combattants, plus que quiconque, sauront conserver à leurs pays les bienfaits de la paix. »
Je saute deux phrases et voici plus loin :
« Mais nous savons que c’est une chose terrible que l’explication finale entre les peuples. C’est mon vœu ardent et profond que ce congrès puisse contribuer à poser les bases d’une véritable paix dans l’honneur et l’égalité des droits pour tous. Vous, mes camarades, vous devez en ce sens, frayer le chemin. »
Le même désir est manifesté dans les réponses données par Lord Halifax aux questions qui lui furent posées. Je vais lire maintenant des passages de ce questionnaire dont je dépose l’original sous le n° 22, pièce Göring n° 3. Il se trouve à la page 59 du livre de documents n° 1. Je passe les deux premières questions, voici la troisième :
« Göring vous a-t-il dit, au cours de cet entretien, que le Gouvernement allemand considérait les questions suivantes : a) Le rattachement à l’Allemagne de l’Autriche et du pays des Sudètes ;
b) Le retour de Dantzig à l’Allemagne avec une solution raisonnable de la question du Corridor, comme partie intégrante de sa politique ?
Réponse
Oui.
Quatrième question
Avez-vous répondu à cela : « Mais, il « faut l’espérer, sans guerre » ?
Réponse
J’ai dit que le Gouvernement de Sa Majesté désirait que toutes les questions touchant l’Allemagne et ses voisins fussent réglées par des méthodes pacifiques. Je n’ai rien dit d’autre au sujet de ces questions. »
Cinquième question
Göring vous a-t-il répondu : « Cela « dépend beaucoup de l’Angleterre. L’Angleterre pourrait grandement contribuer à la solution pacifique de cette question. Göring « ne veut pas, lui non plus, de guerre ; mais ces questions doivent, « de toute façon, être résolues » ?
Réponse
Oui ».
Les questions suivantes se rapportent à l’entretien avec Dahlerus...
Docteur Stahmer, est-ce que c’est là un compte rendu mot pour mot des paroles de l’accusé Göring ? A-t-il employé la troisième personne pour parler de lui-même. La phrase :
« Göring ne veut pas la guerre », signifie-t-elle « Je ne veux pas la guerre » ?
Il ne voulait pas la guerre, lui non plus. L’Angleterre pourrait grandement contribuer à la solution pacifique de cette question. Il ne veut pas non plus la guerre pour ces raisons. Lui, Göring, ne veut pas la guerre non plus, mais ces questions doivent de toute façon être résolues.
C’est, évidemment, la forme indirecte. Sous la forme directe, ce serait : « Moi, Göring, je ne désire pas la guerre, mais ces questions doivent, de toute façon être résolues. »
Les questions suivantes se rapportent à Dahlerus. La quinzième question posée à Lord Halifax, a une grosse importance à mon avis :
« Avez-vous eu l’impression que les efforts de Göring pour éviter la guerre étaient sincères ? »
La réponse de Lord Halifax est : « Je ne mets pas en doute que Göring aurait préféré imposer ses exigences à la Pologne sans guerre, s’il l’avait pu. »
Fin juin ou début juillet 1938, l’accusé Göring a prononcé à Karinhall devant les Gauleiter un discours nettement en faveur de la paix. Je me reporte à une déclaration du Dr Ulberreither du 27 février 1946, original n° 38, pièce Göring n° 4, reproduite dans le livre de documents n° 2, à la page 37.
Docteur Stahmer, vous déposez ces documents originaux, n’est-ce pas ?
Oui. Dans cette déclaration du Dr Ulberreither du 27 février 1946, livre de document n° 2, page 38, Monsieur le Président, il est dit :
« Le 25 mai 1938 » — c’est-à-dire après le plébiscite au sujet de l’incorporation de l’Autriche dans le Reich allemand qui avait eu lieu le 10 avril 1938 — « je fus nommé » — c’est le Dr Ulberreither qui parle — « Gauleiter de Styrie. Quelques semaines plus tard — sans doute fin juin ou début juillet 1938 — l’ex-Feldmarschall Hermann Göring convoqua tous les Gauleiter du Reich à Karinhall. Il leur fit un exposé assez long dans lequel il décrivit la situation politique du moment et expliqua en détail le but et la signification du Plan de quatre ans.
« Le Feldmarschall Gôring souligna ensuite que l’étranger apportait peu de compréhension au développement politique de l’Allemagne et qu’il existait en conséquence un danger d’encerclement pour l’Allemagne. De ce fait, l’orientation de la politique étrangère de l’Allemagne était une tâche difficile. On devait dès lors s’efforcer de renforcer l’Allemagne du point de vue économique et militaire afin de diminuer le danger d’une attaque de l’Allemagne par une puissance étrangère. En même temps, on obtiendra par là que l’Allemagne, si elle redevient forte, pourra exercer une influence de plus en plus considérable dans la politique européenne.
Le Feldmarschall en vint alors à parler du Plan de quatre ans ;
il fit remarquer à ce sujet : « L’Allemagne est en grande partie coupée des sources de matières premières du monde et doit en conséquence en rechercher sur son propre territoire par un effort « croissant. Cela doit se faire uniquement pour rendre l’Allemagne indépendante de l’étranger et nullement en vue de préparer une « guerre d’agression. »
« Il insista alors avec beaucoup de force sur le fait que la politique étrangère de l’Allemagne devait être dirigée de telle sorte qu’en aucun cas la guerre ne s’ensuivît. La génération actuelle se ressent encore des effets de la défaite dans la guerre mondiale. Le déclenchement d’une autre guerre causerait un choc au peuple allemand. En outre, son avis était qu’une nouvelle guerre prendrait des proportions considérables et que même l’issue d’une guerre contre la France seule serait douteuse. Finalement, il résuma son appel en disant que nous devions faire tout notre possible pour contribuer au succès du Plan de quatre ans et que toutes les charges imposées devaient être supportées par le peuple et étaient justifiées, car sa réussite empêcherait la guerre.
Je fais remarquer que je rappelle avec une telle précision tous les détails de cet exposé parce que ce fut la première fois qu’une personnalité dirigeante m’apprit ces conjonctures d’une si grande importance pour l’Allemagne et que, en conséquence, jusqu’à ce qu’elle éclatât, je ne crus pas qu’il y aurait la guerre. »
Dans la solution du problème autrichien, on ne peut pas voir un acte agressif de la part de l’Allemagne. Cette conclusion répondit au désir de rattachement au Reich de la majorité de la population autrichienne. L’opinion de l’accusé sur ce problème, ressort de la conversation téléphonique qu’il eut avec le ministre des Affaires étrangères, von Ribbentrop, le 13 mars 1938. On a déjà déposé le procès-verbal de cette conversation sous le n° PS-2949 (USA-75). J’en cite quelques passages qui n’ont pas encore été lus. La conversation se trouve dans le livre de document n° 1, pages 55 et 56. Je veux seulement citer les passages suivants :
« Je tiens à dire une chose : si l’on dit » — c’est Göring qui parle — « que nous avons exercé une pression sur le peuple autrichien et violé son indépendance, on pourrait dire plutôt que si une pression a été exercée, ce ne fut pas par nous, mais par le minuscule petit Gouvernement. C’est maintenant que le peuple autrichien, pour la première fois, a sa liberté. Je proposerai seulement à Lord Halifax ou à un petit nombre de véritables personnalités qu’il accréditerait de venir simplement sur place afin d’examiner la situation. Elles n’auront qu’à parcourir le pays et pourront tout voir. »
Quelques phrases plus loin : « Quel est, dans tout l’univers, le pays qui se trouve lésé par notre union ? Enlevons-nous quoi que ce soit à un État quelconque ? »
Puis il continue ; je passe deux phrases :
« Toute la population est allemande, toute la population parle allemand. Aucun autre État n’est par conséquent touché. »
L’accusé Göring — si je m’en rapporte à la page 11 du livre jusqu’au dernier paragraphe — ne voulait pas seulement maintenir la paix à l’extérieur, il agissait également pour la préserver à l’intérieur. A ce sujet, il déclara dans le discours du 9 avril 1933 au Palais des Sports de Berlin, que l’on trouve dans : Discours et extraits de Hermann Göring reproduit dans le livre de documents n° 1, page 35, que je dépose sous le n° 13. Voici la première phrase :
« D’autre part, mes compatriotes, nous devons néanmoins être généreux. Nous ne désirons pas une mesquine revanche Après tout, nous sommes les vainqueurs... Soyons donc généreux, rendons-nous compte qu’il fut un temps où nous pensions différemment, nous aussi. »
Et un peu plus loin :
« ... plus nous avons conscience de notre force et de notre liberté, plus nous pouvons mettre de générosité et de liberté à mépriser les événements passés et à tendre la main pour une réconciliation parfaitement sincère. »
Je citerai ensuite un extrait d’un discours de l’accusé, du 26 mars 1938, livre de documents n° 1, page 37, qui se trouve également dans le livre Discours et extraits de Hermann Göring, document n° 14. En voici une phrase :
« ... Vous fûtes grands dans la souffrance et dans l’endurance, grands dans la ténacité, grands dans le combat. C’est le moment maintenant de montrer que vous êtes également grands dans la bonté et particulièrement envers ceux qui ont été également trompés. »
Son attitude à l’égard de l’Église...
Docteur Stahmer, ne pouvez-vous pas donner le numéro du document ?
Oui, je crois que c’est le n° 13, mais je vais vérifier... C’était le n° 14.
Son attitude à l’égard de l’Église, l’accusé Göring la définit dans plusieurs discours. A ce sujet, le 26 octobre 1935, il déclara ce qui suit. Je cite dans les Discours et extraits de Hermann Göring, livre de documents n° 1, page 39, document n° 15, les phrases suivantes :
« C’est à l’Église seule, maintenant, de manifester son désir d’avoir oui ou non la paix. Nous, le mouvement et en particulier le Gouvernement et l’État nous ne l’avons jamais attaquée et nous avons assuré sa protection ; l’Église sait qu’elle jouit encore aujourd’hui de notre protection pleine et entière. Aussi ne peut-on nous adresser le moindre blâme en ce qui la concerne. »
Et dans un discours du 26 mars 1938, qui se trouve également dans Discours et extraits de Hermann Göring, livre de documents n° 1, page 41, pièce n° 16, je cite les deux premières phrases :
« Nous ne désirons anéantir aucune Église, ni détruire aucune croyance ou religion. Nous voulons seulement procéder à une séparation nette. L’Église a ses tâches très précises, très importantes et très utiles ; l’État et le mouvement en ont d’autres tout aussi importantes, tout aussi décisives. »
Je citerai ensuite un document relatif à une requête du pasteur Wemer Jentsch, document qu’il a adressé au Tribunal le 13 octobre 1945. livre n° 1, pages 44 à 46, déposé sous le n° 7. Je ne citerai qu’une seule phrase, paragraphe 8.
« Hermann Göring lui-même, par l’intermédiaire de son officier d’ordonnance, fit répondre à une requête que je lui avais adressée en vue de la création d’une aumônerie auprès du Quartier Général de la Luftwaffe, qu’il ne pouvait rien faire à ce moment-là, car Adolf Hitler n’avait pas pris de décision définitive au sujet de la question religieuse. Néanmoins, il souhaitait dans la Luftwaffe la totale liberté de croyance, pour toutes les confessions chrétiennes également, et voulait que tous les membres de la Luftwaffe puissent choisir l’aumônier militaire ou le prêtre qu’ils désiraient. »
L’affidavit du Gauleiter Dr Ulberreither, en date du 27 février
1946, se rapporte à la question dont j’ai déjà parlé. Il se trouve dans le livre de documents n° 1, page 31. Au n° 2, il parle des événements de la nuit du 9 au 10 novembre 1938 et rapporte ceci :
« Quelques semaines après les actes d’antisémitisme de la nuit du 9 au 10 novembre 1938 — cela devait être à la fin de novembre ou au début de décembre — le Feldmarschall Göring convoqua tous les Gauleiter à Berlin. Au cours de cette réunion il blâma en termes violents ces actes et déclara qu’ils étaient contraires à la dignité de la nation. En outre, ils avaient considérablement nui à notre prestige à l’étranger. Si l’on considérait l’assassinat du conseiller d’ambassade vom Rath comme une attaque du Judaïsme contre le Reich, l’Allemagne disposait d’autres moyens de s’opposer à une telle attaque que de faire appel aux bas instincts. Dans un État ordonné, il ne devait en aucun cas y avoir dans la rue d’actions irrégulières de ce genre. »
Et dans le dernier paragraphe portant le n° 2, il est dit :
« Pour terminer, il demanda aux Gauleiter d’user de toute leur influence pour veiller à ce que de semblables incidents, préjudiciables à l’Allemagne, ne se reproduisent plus à l’avenir. »
Page 16, n° 5, je peux passer sur ce point, car une explication a déjà été donnée sur le sujet. Que Göring ait toujours pris son rôle de Juge suprême très au sérieux, cela ressort de la déclaration du magistrat militaire, le docteur Lehmann, en date du 21 février 1946, livre n° I, page 106, document n° 27, pièce Göring n0 6. Je cite à partir du n° II :
« II. L’opinion que j’ai de lui est la suivante :
Au début, le Reichsmarschall se tenait très à l’écart des juristes. Il était manifestement influencé par le Führer. Son attitude changea dans la mesure où il s’occupa des questions judiciaires de la Luftwaffe. A la fin de la guerre, le Reichsmarschall appartenait à cette catégorie de grands chefs militaires qui prenaient volontiers conseil des juristes. Il s’intéressait tout particulièrement à la justice de la Luftwaffe et lui accordait une grosse importance. Il soumettait à ce service l’examen des cas épineux, quand il n’avait pas confiance dans les rapports venus d’ailleurs ».
Au paragraphe suivant :
« Pour les affaires que j’avais à traiter avec le Reichsmarschall, il se renseignait à fond. Il consacrait à ces questions une somme de temps tout à fait exceptionnelle. Ces entretiens, même quand il y avait de grosses divergences de vues, se poursuivaient avec calme et objectivité. »
Puis, au paragraphe III :
« Dans le domaine de la justice de la Luftwaffe, le Reichsmarschall s’était réservé la confirmation des jugements dans beaucoup de cas, notamment pour toutes les condamnations à mort. Pour le jugement des cas individuels, il était enclin à se montrer parfois clément, malgré la rigueur exigée de tous les juges par le Führer. Pour les cas de trahison et surtout de crimes contre les bonnes mœurs, il était d’une sévérité impitoyable Je sais, grâce aux archives, que dans de graves cas de viol il lui arriva souvent de casser des jugements parce qu’il considérait qu’une condamnation à mort s’imposait. Il ne se préoccupait pas de savoir s’il s’agissait d’une femme allemande ou originaire des territoires occupés. Je crois me souvenir d’avoir vu dans les archives au moins un cas où il modifia le mode habituel des exécutions et ordonna que le soldat fût pendu dans le village russe dans lequel il avait commis le viol.
IV. En tant que président des débats, le Reichsmarschall était plein de vivacité mais bienveillant ainsi que dans les recours en grâce qu’il transmettait au Führer.
V. Dans ses propres décisions, le maréchal du Reich a agi manifestement et sciemment à l’encontre des idées et des instructions du Führer, particulièrement dans les questions politiques qu’il jugea d’une façon bien plus modérée ainsi que dans les cas d’excès contre les ressortissants des pays occupés, qu’il jugea beaucoup plus sévèrement que le Führer.
Je me suis fréquemment entretenu de la personnalité du maréchal du Reich avec son conseiller juridique, juriste très expérimenté, pondéré et consciencieux, ainsi qu’avec le Procureur général du tribunal militaire, remarquable par les mêmes qualités, et qui le fréquenta beaucoup. Nous partagions la même opinion sur le maréchal du Reich. »
Au cours de ce Procès, le Ministère Public a cité à plusieurs reprises le dossier Vert qui a été déposé sous le n° PS-1743. Ce dossier n’est pas, comme le prétend le Ministère Public, une réglementation du pillage et de la destruction des populations. Il avait pour but la mobilisation économique, le fonctionnement continu de l’industrie, la recherche et la réglementation du ravitaillement et des moyens de communication dans les territoires destinés à être occupés militairement, en tenant particulièrement compte du fait que la Russie n’avait pas d’économie privée, mais uniquement une économie d’État, strictement réglementée par un pouvoir central. De plus, en raison de l’attitude de la Russie, on devait prévoir des destructions considérables. On n’y trouve nulle part un ordre ou une directive ayant pour but d’exploiter certaines parties de la population au delà des nécessités résultant de la guerre. De ce dossier Vert, j’ai noté de nombreux passages à l’appui de mes déclarations. Je ne peux les citer en détail ; j’aimerais attirer votre attention sur un seul passage particulièrement caractéristique. Il se trouve à la page 94 de ce dossier Vert, deuxième paragraphe :
« Avec la population indigène, c’est-à-dire dans ce cas les ouvriers et les employés, les meilleures relations possibles doivent être établies. »
Et à la même page, un peu plus loin :
« De bonnes relations doivent être établies avec la population, particulièrement avec les travailleurs de l’agriculture. »
J’en arrive maintenant au paragraphe suivant. « La Wehrmacht entra dans la guerre en respectant intégralement les conventions internationales. »
Où se trouve cette partie ?
Page 23, Monsieur le Président.
De quel volume ?
Dans le dossier d’audience.
Notre dossier d’audience semble n’avoir que 22 pages. Existerait-il deux volumes ?
Oui, je crois que c’est dans le second. On a partagé ce dossier afin d’en obtenir plus rapidement la traduction. Puis-je continuer ?
« La Wehrmacht entra dans la guerre en respectant intégralement les conventions internationales. On n’a pas eu connaissance d’excès commis par les soldats allemands sur une grande échelle. Les délits individuels furent sévèrement punis. Cependant, tout de suite après le déclenchement des hostilités, il y eut des rapports et des comptes rendus des atrocités commises au préjudice des soldats allemands. Ces rapports firent l’objet d’investigations sérieuses. Les résultats furent consignés par le ministère des Affaires étrangères du Reich dans un Livre Blanc que l’on envoya à Genève. De sorte que ce Livre Blanc, entre autres publications, traite des crimes commis par les soldats russes à rencontre des lois de la guerre et de l’Humanité.
Messieurs les juges, le défenseur de Göring, le Dr Stahmer, a l’intention de présenter au Tribunal et de lire afin de les faire figurer au procès-verbal, des extraits de ce soi-disant Livre Blanc, édité par le Gouvernement de Hitler en 1941, au sujet des violations qui sont censées avoir été commises au préjudice de prisonniers de guerre allemands. J’estime que ces extraits ne peuvent pas être présentés au Tribunal ni figurer au procès-verbal pour les raisons suivantes :
On ne doit invoquer comme preuves que des faits qui se rapportent à ce Procès ; on ne peut soumettre au Tribunal que des documents qui se rapportent aux crimes commis par les grands criminels de guerre allemands. Le Livre Blanc est un ensemble de documents, sur des données inventées, rapportant des violations commises non par les fascistes allemands, mais par des ressortissants d’autres pays. C’est pour cela que les données contenues dans le Livre Blanc ne peuvent servir de preuves dans ce Procès. Cette conclusion est d’autant mieux fondée que le Livre Blanc est une publication qui a servi les buts de la propagande fasciste et qui a essayé par des inventions et des documents forgés à cette intention, de justifier ou de cacher les crimes commis par les fascistes. En conséquence, je demande au Tribunal de refuser la lecture et la présentation d’extraits de ce prétendu Livre Blanc.
Sur quoi vous basez-vous pour justifier la présentation de ce document comme preuve, Docteur Stahmer ?
La question de savoir s’il est possible et admissible d’utiliser au cours des débats ce Livre Blanc comme moyen de preuve a déjà été discutée à différentes reprises. Elle a notamment donné lieu à une discussion lorsqu’il s’est agi de savoir si je pouvais mentionner comme preuve ce Livre Blanc. Autant que je sache, il avait été admis comme preuve à ce moment-là. On avait déjà indiqué, au cours de la discussion qui s’était élevée à ce sujet, que ce document était opportun, en tant que preuve, pour l’appréciation des mobiles.
A cette époque, j’ai déjà fait remarquer que les crimes commis contre les prisonniers de guerre allemands étaient importants si l’on voulait comprendre les mesures prises de son côté par l’Allemagne. On ne peut pas apprécier les mobiles profonds des hommes qui ont commis ou ordonné ces crimes si l’on néglige les circonstances dans lesquelles ces mesures ont été ordonnées ou si l’on néglige de rechercher les mobiles qui les ont entraînés à commettre ces actes. Et en raison de l’importance des motifs invoqués, il me semble qu’afin de savoir à quoi s’en tenir sur les accusations dressées par les Allemands, il est absolument nécessaire de s’en rapporter à ce document.
Avez-vous terminé ?
Oui.
Nous sommes ici pour juger des grands criminels de guerre, et non pour juger l’une des puissances signataires. En conséquence, pour verser au dossier un document à titre de preuve contre les puissances signataires, vous devez donner une justification de caractère légal.
Ce document est présenté, si je puis le répéter encore une fois, pour les raisons suivantes : on reproche aux accusés ici présents le fait que, sous leur direction, des crimes et des délits ont été commis contre des membres des armées ennemies au mépris de la Convention de Genève. Pour notre part, nous alléguons que si des actes de cruauté et des excès ont été commis du côté allemand, ils ont eu pour cause le fait que des infractions similaires avaient eu lieu de l’autre côté, qu’en conséquence ces actes ne doivent pas être jugés de la même façon et que l’on ne doit pas leur attribuer le même caractère de gravité que dans le cas où l’adversaire aurait eu, lui, une attitude correcte. De toutes manières, l’exposé de ces faits est opportun pour l’appréciation des mobiles.
Essayez-vous de justifier le dépôt de ce document à titre de preuve en invoquant l’argument des représailles ?
Non seulement en invoquant l’argument des représailles mais aussi le point de vue du motif même de ces actes.
Vous nous demandez d’admettre un document, document officiel du Gouvernement allemand. Or, d’après le Statut, nous sommes tenus d’admettre les documents officiels des gouvernements, ainsi que les rapports des Nations Unies, mais il n’est dit nulle part que nous soyons tenus d’admettre ou que nous ayons la liberté d’admettre des documents publiés par le Gouvernement allemand. Nous ne pouvons pas dire si ces documents sont basés sur des faits vraiment établis ou non.
Nous avons ici dans le livre de documents des procès-verbaux d’enquêtes judiciaires. Ces enquêtes doivent, à mon avis, avoir la même valeur probante que des documents officiels. Ce sont des procès-verbaux judiciaires qui sont cités dans le Livre Blanc.
Je voudrais signaler au Tribunal une seule chose. Le Dr Stahmer essaye de présenter ce document afin, dit-il, de faire connaître les motifs qui expliqueraient les crimes des Allemands. Je voudrais simplement déclarer que des documents qui ont déjà été présentés par le Ministère Public et dont il a été question hier ici au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Göring, établissent formellement que le document relatif à ces crimes de guerre a été préparé avant même le déclenchement de la guerre.
Docteur Stahmer, quelles sont les dates des documents que vous nous demandez d’accepter ?
Je n’ai ici que les parties détachées... je vais faire rechercher les dossiers en question.
Je me permets, Monsieur le Président, de donner mon adhésion à l’objection soulevée par le général Rudenko. J’avais supposé qu’il y avait un point sur lequel les deux parties, Défense et Accusation, étaient d’accord, lorsqu’il a été décidé précédemment qu’aucune mesure de représailles n’était admissible à l’égard de prisonniers de guerre. Mon éminent adversaire, le Dr Exner, avait admis que telle était la loi. En second lieu, nous voudrions bien savoir quels sont les crimes que l’on cherche à excuser. Pour quels crimes y a-t-il de tels motifs ? L’avocat dit que ces crimes ont leurs mobiles. Quels ont été les mobiles des assassinats d’aviateurs américains et anglais ? Le fait qu’il y ait eu des infractions de la part des Russes, comme ils le prétendent ! Une seule manière d’apporter ici des preuves de cette sorte, en vertu de la stricte doctrine des représailles, me semble admissible ; elle consisterait à citer certains faits délictueux précis et à dire : « Ce délit, nous admettons l’avoir commis, mais nous l’avons commis en représailles de tels et tels autres délits précis. »
Je présume que des allégations de cet ordre, collectives et relatives à des prisonniers de guerre, sont manifestement inadmissibles et nous entraîneraient trop loin au cours d’un procès comme celui-ci.
Puis-je signaler encore un fait. Par exemple, j’ai ici un télégramme que le représentant du ministère des Affaires étrangères auprès du Haut Commandement de l’Armée adressa à son ministère le 12 août 1941. Il s’agit d’un document officiel. Or, le Ministère Public a, jusqu’à maintenant, déposé un grand nombre de documents officiels qui ont été utilisés comme preuves contre les accusés. Si l’on présente maintenant un document officiel à la décharge des accusés, il me semble qu’il faut l’accepter de la même façon, dans les limites légales admises. Du point de vue formel, nous avons ici un télégramme émanant, comme je l’ai déjà dit, du représentant du ministère des Affaires étrangères auprès du Haut Commandement de l’Armée, c’est-à-dire d’une autorité officielle, adressé au ministère des Affaires étrangères à la date du 12 août 1941. Il y est dit, par exemple :
« 26e division, Secteur d’opérations n° 11, 1 kilomètre à l’ouest de Slastjena, dans la forêt de l’Opuschka : sur le champ de bataille, l’ennemi a laissé environ 400 morts... »
Vous n’avez pas à le lire, puisque nous discutons de son admissibilité.
Je vous demande pardon. J’avais mal compris, Monsieur le Président, vous aviez demandé de quel document...
La date du Livre Blanc.
La date du Livre Blanc ? J’avais mal compris, Monsieur le Président. C’est Berlin, 1941.
Ce n’est pas là une date précise ; c’est une année.
Il est intitulé : « Crimes bolchevistes contre les lois de la guerre et de l’Humanité. Documents rassemblés par le ministère des Affaires étrangères, premier volume, Berlin 1941 ». Tel en est le titre ; la date exacte de sa publication n’est pas visible sur le livre lui-même. Les différents documents et les enquêtes contenus dans ce livre sont suivis de toute une série de procès-verbaux qui portent différentes dates.
Il n’y a donc rien qui montre la date à laquelle ce document a été communiqué, s’il l’a vraiment été au Gouvernement soviétique, à Genève, ou aux puissances protectrices.
Il a été envoyé à Genève. Il a été régulièrement remis à la Croix-Rouge de Genève.
Quand ?
En 1941. J’ai demandé que l’on fasse venir ces livres de Genève et que l’on se renseignât auprès de la Croix-Rouge de Genève. Monsieur le Président, puis-je encore une fois souligner qu’il s’agit d’un document officiel, publié par le ministère des Affaires étrangères. Ce sont des rapports rassemblés dans une publication officielle.
Ce n’est pas ce qui intéresse actuellement le Tribunal. La question est de savoir comment vous pouvez justifier la présentation, au cours du Procès des principaux criminels de guerre allemands, de documents à la charge de la Grande-Bretagne, des États-Unis d’Amérique, de l’URSS ou de la France ?
Si vous entreprenez de juger les actes de ces quatre puissances signataires, en dehors de toute autre considération, ce Procès ne finira jamais. La conduite de ces puissances n’a rien à voir du tout avec la culpabilité des grands criminels de guerre allemands ; à moins que vous ne puissiez invoquer la doctrine des représailles, doctrine que vous ne pouvez invoquer de cette façon. En conséquence, le Tribunal considère que ce document n’est pas pertinent.
Je passe alors à la question de la guerre aérienne, page 25 de mon dossier. La question de la culpabilité repose sur le fait de savoir si la Luftwaffe n’a commencé à attaquer les villes ouvertes qu’à la suite d’attaques répétées de la RAF sur des objectifs civils.
Monsieur le Président, j’élève une objection contre la présentation de cette preuve. Je ne voyais pas encore très bien si le Dr Stahmer en était arrivé à ce document relatif à la guerre aérienne ou s’il donnait un exemple pour son argumentation. Je tiens à déclarer très nettement que je m’oppose à la première partie de son exposé, comme remontant trop haut dans le passé ; en effet, il s’agit des différentes conférences qui eurent lieu pour réglementer la conduite de la guerre aérienne.
Quant à la seconde partie de son exposé, j’élève une objection contre les documents qui tendent à prouver que la Grande-Bretagne a attaqué des objectifs non militaires. Dans la mesure où j’ai pu vérifier ces allégations, j’ai constaté que la discrimination entre les objectifs militaires et les objectifs non militaires était entièrement contestée. Aussi je ne puis accorder aux comptes rendus officiels allemands la moindre valeur probatoire en eux-mêmes et je me permets de proposer au Tribunal, à moins que le Statut ne lui confère autorité en la matière, d’adopter la même attitude à l’égard de ces documents.
Je joins ces deux objections à celles soulevées par mes éminents collègues, le général Rudenko et M. Justice Jackson sur le fond même de la question. Je ne veux pas m’étendre plus longuement sur cette question. Je suis disposé néanmoins à la développer.
Il me semble, Docteur Stahmer, que cette question est du même ordre que celle sur laquelle nous avons statué tout à l’heure.
Oui, c’est exact. Je crois que parmi tous ces documents sur la guerre aérienne il en est un important à mon avis. Il est mentionné à la page 27. Il s’agit simplement d’une déclaration du général français Armengaud, disant que la Luftwaffe a agi en Pologne, conformément aux lois de la guerre et n’a attaqué que des objectifs militaires. Je crois que la lecture de cet extrait ne rencontrera pas d’objection de votre part.
Il se trouve à la page 27 du dossier ?
Page 27 du dossier. J’ai donné une citation du général Armengaud, qui était attaché de l’Air français à Varsovie, à la date du 14 septembre 1939.
Oui.
Il y est dit qu’après le déclenchement de la guerre, l’Aviation allemande, sous le Commandement en chef de Göring, n’attaqua, sur l’ordre de Hitler, aucune ville ouverte en Pologne. Ce fait a été confirmé par Butler, le sous-secrétaire britannique aux Affaires étrangères, le 6 septembre 1939, et par l’attaché français à Varsovie, le 14 septembre 1939 (documents 41 à 46 du Livre Blanc). Ce dernier, le général Armengaud, dit textuellement : « Je dois souligner que l’Aviation allemande a agi selon les lois de la guerre ; elle n’a attaqué que des objectifs militaires, et si des civils ont été tués ou blessés, c’est parce qu’ils se trouvaient à proximité des objectifs militaires. Il est important que ce fait soit connu en France et en Angleterre, afin qu’il n’y ait pas de mesures de représailles, puisqu’il n’y a pas lieu à représailles et afin qu’une guerre aérienne totale ne soit pas déchaînée par nous ».
Docteur Stahmer, quelle est l’origine de ce texte ?
Puis-je jeter un coup d’œil ? Il se trouve dans le document n° 46 relatif aux bombardements : « Rapport de l’attaché de l’Air français à Varsovie, le général Armengaud ». Il est daté du 14 septembre 1939. Vient ensuite le rapport que j’ai déjà cité.
Oui.
Je l’ai déjà présenté.
Oui.
Je passe maintenant à la page 30 de mon dossier. Au paragraphe 10, je fais allusion à la création de la Gestapo par l’accusé Göring et je fais une citation du livre Hermann Göring, l’homme et son œuvre, pages 53 et 54 du livre de documents n° II. Je le dépose sous le n° 44 et j’en donne les passages suivants :
« On peut voir, d’après le grand procès de Stettin et autres manifestations, que Göring est intervenu en faveur d’hommes qui avaient délibérément agi à l’encontre de ses instructions. Le ministre-président a examiné des centaines de cas particuliers se rapportant à des prisonniers politiques. Il n’attendit pas qu’on l’en priât pour prendre ces mesures de sa propre initiative.
« A l’occasion de l’amnistie de Noël 1933, il ordonna la libération de près de 5.000 détenus des camps de concentration. Il fallait leur donner, à eux aussi, une chance. Il n’aurait été que trop compréhensible que ces libérés ne trouvassent, partout où ils se seraient présentés, que portes et guichets clos. Mais cela aurait été contraire à l’esprit de ces actes de clémence. Personne ne doit se considérer comme exclu, c’est pour cela que Göring, dans un décret sans ambiguïté, disposa que ces prisonniers relâchés ne devaient rencontrer sur leur chemin’ aucun désagrément de la part des particuliers ni des autorités. Pour que cette mesure eût un sens, tout devait être tenté pour admettre à nouveau dans la communauté, comme de bons citoyens, ces hommes qui avaient péché contre l’État. »
Et voici la deuxième phrase du dernier paragraphe :
« En septembre 1934, Göring a ordonné, dans un second décret d’amnistie, la libération de 2.000 autres détenus. »
A ce propos, je voudrais également présenter un télégramme que j’ai reçu il y a quelques jours et je vous demanderai de l’accepter comme preuve. C’est un télégramme envoyé spontanément par un certain Hermann Winter, Berlin, W. 20, 118 Eisenach-strasse. Il se trouve dans le livre de documents que je dépose. Je crois que c’est le dernier document de ce livre.
S’il faut prendre en considération lettres et télégrammes spontanés et si cette correspondance doit servir de preuve, j’en possède une pleine corbeille à linge, et si les pièces de cette sorte peuvent servir de moyen de preuve sans la moindre vérification, je peux les apporter comme moyens de réfutation. Il me semble vraiment qu’il ne nous suffit pas de savoir qu’un télégramme vient d’arriver, portant un nom inconnu qui peut n’être pas celui de l’expéditeur, un nom d’emprunt, peut-être. Je pense que nous sommes en droit de réclamer une base un tant soit peu plus solide.
Docteur Stahmer, avez-vous une autre base ?
Non, je n’en ai pas. Je prie le Tribunal de décider si ce télégramme peut être admis comme preuve.
Je ne crois pas que nous puissions admettre comme preuve un simple télégramme que vous avez reçu d’une personne inconnue.
Je vous demande de décider. Il est refusé ? J’en arrive à la fin, page 34.
De votre dossier ?
Oui. Page 34, paragraphe 12. Sur le point de savoir si l’on peut oui ou non blâmer les accusés d’avoir eu confiance dans Hitler et de l’avoir suivi, il est important de connaître la manière de voir de Churchill exprimée dans son livre Pas a pas. Je cite deux passages du livre de documents n° II, page 46.
Ce livre date de 1937, antérieurement aux événements dont nous avons avant tout à nous occuper ici. Je ne crois pas que cela soit très important. Les discours de M. Churchill sont bien connus, et je pense que nous perdrions du temps à rechercher l’opinion de M. Churchill en 1937, avant ces événements, alors qu’il devait sans doute être dans le même état de juger que le témoin Dahlerus, si l’on tient compte de sa connaissance de ce qui se préparait dans les coulisses.
Attendu que nous avons déjà accepté la présentation de passages de ce livre, vous pouvez en faire état.
Je peux en faire état ? Je vous remercie. A la page 187 de ce livre, dans l’article intitulé « Amitié avec l’Allemagne », du 17 septembre 1937, il est écrit :
« On peut condamner le régime de M. Hitler et néanmoins admirer son oeuvre patriotique. S’il arrivait à notre pays d’être battu, je désirerais simplement que nous trouvions un champion aussi indomptable qui nous rendît notre courage... »
J’ai seulement dit que vous pouviez le citer parce que vous aviez déjà lu des passages de ce livre de M. Churchill, mais il me semble totalement inopportun.
Je n’ai pas... Bon Puis-je alors citer le passage de la page 323 où la personnalité de Hitler est également décrite ? Je le considère comme de grande importance parce que j’attache beaucoup de poids en particulier au jugement de M. Churchill. Il dit : « Notre direction doit, au moins... »
Mais, Docteur Stahmer, ne croyez-vous pas que nous en avons suffisamment entendu sur la personnalité de Hitler ?
Oui, mais pas de cette source. Si le Tribunal...
Il y a tout lieu de croire que l’accusé Göring en sait plus sur Hitler que M. Churchill.
Si le Tribunal ne désire pas que je le lise, je me conformerai, bien entendu, à son désir
Je pense que ce document fait double emploi.
Bien. J’en ai donc terminé. Mais je voudrais naturellement me réserver le droit de présenter les preuves que je n’ai pas pu présenter jusqu’à présent et dont j’ai parlé ce matin. J’ai dit ce matin qu’il y a toute une série de preuves que je n’ai pas pu présenter, parce que je ne les avais pas encore reçues.
Oui.
Le moment serait-il indiqué, s’il plaît à Votre Honneur, d’accepter les documents que j’avais formellement proposé d’inclure au dossier.
Je ne vous suis pas très bien A quels documents faites-vous allusion ?
A ceux qui ont été utilisés pour le contre-interrogatoire...
Oui, certainement.
Ceux dont votre Honneur m’a parlé.
Oui.
J’apprends que ces documents ont été remis au secrétariat et enregistrés. L’affidavit de Halder constitue le USA-779. Il est déposé.
Le document PS-3700 est déposé sous le n° USA-780 ; le document PS-3775 sous le n° USA-781 : le document PS-3787 sous le n » USA-782 ; le document PS-2523 sous le n° USA-783 ; le document PS-014 sous le n° USA-784 ; le document PS-1193 sous le n » USA-785 ; le document EC-317 sous le n° USA-786 ; le document PS-3786 sous le n° USA-787 ; le document PS-638 sous le n° USA-788 ;
le document PS-1742 sous le n° USA-789.
Monsieur le Président ; le Dr Stahmer, dans son exposé, n’a plus parlé d’un document n° 26. Il s’agit d’une note du Gouvernement allemand au Gouvernement français relatif au traitement des i prisonniers de guerre allemands en France, en date du 30 mai 1940 Les raisons qui ont fait rejeter le Livre Blanc des débats motivent également le rejet de ce document. Je pense que le Dr Stahmer l’a reconnu et que c’est pour cela qu’il n’en a plus parlé ; mais je voudrais obtenir la certitude que ce document est définitivement rejeté des débats.
Je n’ai pas mentionné ce document. Je le retire.
Je donne la parole à l’avocat de l’accusé Hess.
Monsieur le Président, Messieurs. Avant de commencer l’exposé des preuves, j’ai à faire, à la demande de l’accusé Hess, les déclarations préliminaires suivantes :
L’accusé Rudolf Hess conteste la juridiction du Tribunal dans la mesure où des crimes autres que des crimes de guerre proprement dits font l’objet de ce Procès. Par contre, il assume la pleine responsabilité des lois et décrets qu’il a signés. Il assume en outre la responsabilité de tous les ordres et toutes les directives donnés par lui en sa qualité de représentant du Führer et de ministre du Reich. Pour ces raisons, il ne désire pas être défendu contre les accusations qui se rapportent aux affaires intérieures de l’Allemagne, État souverain. Il s’agit en particulier des relations entre l’Église et l’État et des questions analogues. Je ne présenterai donc que des preuves se rapportant à des questions à la clarification desquelles d’autres États peuvent avoir un véritable intérêt. Il s’agit, par exemple, de l’activité et de l’organisation à l’étranger de la NSDAP. En conséquence, on ne présentera des preuves au Tribunal que dans la mesure où elles seront nécessaires pour établir la vérité historique. Il s’agit, entre autres choses, des motifs qui ont décidé Rudolf Hess à s’envoler pour l’Angleterre et des buts en vue desquels il prit cette décision.
Les preuves que j’ai préparées se trouvent rassemblées dans trois livres de documents. En vue de contribuer à la marche rapide des débats souhaitée par le Tribunal, je m’abstiendrai de citer le moindre document du premier volume et je prie simplement le Tribunal de bien vouloir prendre connaissance des parties du livre de documents qui ont été marquées au crayon rouge.
Je vais simplement lire l’affidavit qui figure à la fin du livre de documents ; c’est une déclaration de l’ancienne secrétaire de l’accusé Rudolf Hess, Hildegard Fath, et je lirai en outre...
Docteur Seidl, si vous en avez terminé avec vos remarques préliminaires et si vous commencez à vous occuper des documents, je pense qu’il est bon de vous signaler qu’il ne peut y avoir place ici pour une contestation sur la compétence de ce Tribunal. L’article 3 prévoit que le Tribunal ne pourra être récusé ni par le Ministère Public ni par les accusés ou leurs avocats, et le Tribunal ne peut entendre aucun argument à ce sujet. Maintenant, vous pouvez continuer à présenter vos documents.
On pourra lire, en outre, dans le deuxième livre de documents, le procès-verbal d’un entretien Rudolf Hess-Lord Simon qui eut lieu le 10 juin 1941, en Angleterre. Afin d’éviter que la lecture des moyens de preuve ne soit coupée, je ne lirai que la déclaration de Hildegard Fath figurant à la page 164 du livre de documents. « Après avoir été avertie des conséquences qu’entraînerait une fausse déclaration, je déclare sous serment, à l’intention du Tribunal Militaire International de Nuremberg, ce qui suit... » Puis suit l’identité du témoin. Je citerai textuellement l’alinéa n° 2 :
« Je suis restée, du 17 octobre 1933 jusqu’à son départ en avion pour l’Angleterre, le 10 mai 1941, la secrétaire particulière de Rudolf Hess, représentant du Führer, à Munich.
A partir de l’été 1940, je ne puis me rappeler la date exacte, je dus, sur l’ordre de Hess, rechercher et lui communiquer les bulletins secrets atmosphériques au-dessus des Iles britanniques et de la mer du Nord. Je recevais ces bulletins d’un certain capitaine Busch. J’en tenais également un certain nombre d’une certaine demoiselle Sperr, secrétaire de Hess, attachée à son bureau de liaison à Berlin.
M. Hess, au moment de son départ en avion pour l’Angleterre, laissa une lettre qui devait être remise au Führer, après qu’il eût atterri en Angleterre. J’ai lu une copie de cette lettre ; elle commençait à peu près en ces termes : « Mon Führer, quand vous « recevrez cette lettre je serai en Angleterre ». Je ne me souviens plus du texte exact de cette lettre, mais Hess y parlait principalement des propositions qu’il voulait soumettre à l’Angleterre, en vue de conclure la paix. Je ne peux plus me souvenir des détails de l’accord proposé ; mais, cependant, je puis affirmer avec certitude qu’il n’y était pas question de l’Union Soviétique ni de la conclusion éventuelle d’un traité de paix avec l’Angleterre ayant pour but d’assurer la liberté des arrières pour un autre front. S’il avait été question de cela dans cette lettre, ce serait certainement demeuré gravé dans ma mémoire. Quant au contenu de cette lettre, l’impression générale que l’on pouvait en retirer était que Hess entreprenait cet extraordinaire voyage aérien afin d’éviter toute nouvelle effusion de sang et afin de créer des conditions favorables à la conclusion d’une paix.
En ma qualité de secrétaire durant de longues années, j’ai appris à bien connaître Rudolf Hess et sa position à l’égard de certaines questions. Lorsqu’on me dit maintenant que, dans une lettre du ministre de la Justice au ministre et chef de la Chancellerie du Reich, le Dr Lammers, en date du 17 avril 1941, il est noté que le représentant du Führer avait parlé de mettre en vigueur des sanctions corporelles contre les Polonais des territoires annexés, je ne peux pas croire que cette mesure prise par le service dirigé par Rudolf Hess ait été provoquée par une décision personnelle de ce dernier. Une telle proposition serait en contradiction formelle avec la conduite et la position adoptées par le représentant du Führer à l’égard de questions analogues en diverses autres occasions. »
Je renonce à la lecture de l’affidavit du témoin Ingeborg Sperr, page 166 du livre de documents. Des deux premiers livres de documents, je ne tiens à citer, comme je l’ai déjà dit, que des passages de l’entretien Rudolf Hess-Lord Simon. Néanmoins, afin d’éviter que la lecture du procès-verbal de cette entrevue ne soit coupée, je demande au Tribunal la permission de ne lire ce document que lundi prochain ?
Oui, certainement. Vous ne voulez donc pas continuer maintenant ?
Si le Tribunal le permet, je m’arrêterai ici.
N’avez-vous pas d’autres documents que vous tenez à présenter ?
Je vous demande pardon ? Oui, il y a encore des documents dans le livre n° 3, mais je préférerais néanmoins les présenter au Tribunal en un tout cohérent.
Très bien, Docteur Seidl, si vous le désirez, l’audience va être suspendue.