QUATRE-VINGT-NEUVIÈME JOURNÉE.
Samedi 23 mars 1946.
Audience du matin.
Sir David, avez-vous demandé aux avocats dans quel ordre ils désirent présenter leurs requêtes supplémentaires ?
J’ai l’ordre qui a été soumis au Tribunal, il commence par Streicher.
C’est peut-être la meilleure solution. L’avocat de Streicher est-il prêt ? Docteur Marx ?
Oui, il est là.
Monsieur le Président, Messieurs, j’ai, au nom de l’accusé Julius Streicher, demandé que comparaisse comme témoin devant le Tribunal, Fritz Herrwerth. C’est un homme qui, pendant de longues années, a vécu dans l’entourage immédiat de l’accusé Streicher et qui, par conséquent, est à même de donner des renseignements sur certains événements politiques qui purent influer de bien des manières sur la décision qui sera prononcée à l’égard de l’accusé Streicher. Si j’ai fait citer ce témoin, c’est en particulier parce que, dans la nuit du 9 au 10 novembre, il était présent à l’entretien qu’a eu l’accusé avec le chef SA, von Obernitz, et au cours duquel von Obemitz informa Streicher qu’il avait reçu l’ordre de susciter, dans la nuit, des manifestations dirigées contre la population juive. Streicher prouvera qu’il déclara alors à von Obemitz qu’il désirait rester en dehors de cette affaire, qu’il considérait ces manifestations comme une erreur et refusait d’y prendre part. Obemitz aurait là-dessus répondu qu’il avait reçu cet ordre de Berlin et qu’il devait le mettre à exécution. Cela peut...
Sir David, élevez-vous des objections contre cette modification de notre plan ?
Nous ne voyons aucune modification dans la situation depuis la décision du Tribunal ; mais nous ne voyons aucun inconvénient à interroger ce témoin oralement. Nous faisons cependant remarquer qu’il n’y a pas de changement. Toutes ces questions ont été examinées par le Tribunal. Si le Tribunal pense qu’il est préférable d’interroger ce témoin de vive voix, le Ministère Public n’élève aucune objection.
Les questionnaires ont-ils été préparés ?
Non, ils ne sont pas encore terminés. Excusez-moi, Monsieur le Président, votre question se rapporte-t-elle au témoin Herrwerth ?
Oui.
Oui, les questions à poser à ce témoin sont prêtes, les questions que la Défense désire...
Docteur Marx, nous allons examiner la question. Désirez-vous autre chose, Docteur Marx ? Vous avez le document que vous demandez ? L’avez-vous ou ne le désirez-vous plus ?
Puis-je avoir la parole, Monsieur le Président ? Je voudrais en effet qu’on mette à ma disposition les deux documents en question. Il s’agit du dossier du procès de Karl Holz qui s’est déroulé en 1931 et du dossier concernant l’action disciplinaire intentée contre Julius Streicher et dont je ne puis malheureusement pas vous indiquer l’année. Ce devait être en 1931.
Mais, Docteur Marx, avec l’accord du Ministère Public, nous avons supprimé un passage d’un document qui contenait une critique à l’encontre de l’accusé Streicher. De ce fait, ces preuves ne sont-elles pas totalement sans valeur ?
Cela concernait le témoin Lothar Streicher, le fils ; il s’agissait d’une entrevue qui avait eu lieu en prison et au cours de laquelle furent émises certaines allégations qui furent supprimées avec l’accord du Ministère Public. Je dois avouer que je ne crois pas savoir si les poursuites disciplinaires dans le cas de Streicher..
Excusez-moi, Monsieur le Président, puis-je prendre la parole ? Cette affaire dans laquelle Lothar Streicher joue un rôle, vient d’un rapport de Göring sur un entretien de Streicher avec trois jeunes criminels et au cours duquel celui-ci aurait pris, paraît-il, une attitude tout à fait indécente et de mauvais goût. J’ai proposé Lothar Streicher comme témoin pour prouver la fausseté de ces allégations. Ce point concerne le rapport de la commission Göring, alors que l’autre question concerne un cas disciplinaire. Ce procès eut lieu en 1931 devant le Tribunal disciplinaire de Munich.
Ces faits n’étaient-ils pas en rapport avec le prétendu délit commis par Streicher ?
Monsieur le Président, je puis donner les détails maintenant, si vous m’y autorisez ; je pense que tout malentendu sera ainsi évité. La première requête concernant la poursuite contre Karl Holz est rédigée comme suit : « Le document que l’on demande sera utilisé pour établir les faits suivants :
Au cours de ces débats, le Dr Erich Bischof de Leipzig, qui fait autorité en matière d’exégèse talmudique, a témoigné sous serment qu’il existait dans le livre saint juif « Schar » une loi autorisant le meurtre rituel »
Oui, mais, Sir David, n’y a-t-il pas deux requêtes différentes ? Il y a celle relative à ce livre saint juif et celle qui concerne le procès de Karl Holz.
Si j’ai bien compris, Votre Honneur, cette requête porte le titre « Archives du procès de Karl Holz » et, selon le Dr Marx, la déposition du Dr Erich Bischof au sujet du Talmud a été faite au cours de ce Procès. La requête poursuit : « Voici les raisons qui légitiment la présentation de ces preuves : l’accusé désire prouver par ces archives que le Stürmer n’a pas traité la question des meurtres rituels avec mauvaise foi ». Cela signifie, si je comprends bien, que le Stürmer a traité la question des meurtres rituels d’après les connaissances du Dr Bischof ; c’est ce qui ressort de la déposition de ce dernier. Ce qui, à mon avis, serait tout à fait irrecevable.
De quelle époque date ce livre saint ? Il fut écrit au moyen âge, n’est-ce pas ?
Je crois que oui, Votre Honneur. Ce livre a été présenté le 30 octobre et le 4 novembre 1931 par le Dr Bischof.
Ensuite, pour mettre les choses au point et afin que vous vous en souveniez, Messieurs, la seconde requête a trait aux documents concernant les poursuites disciplinaires exercées contre Streicher devant le tribunal disciplinaire de Munich. Les documents qu’on demande de présenter ici seront utilisés pour établir les faits suivants : l’accusé désire prouver par ces documents qu’on ne lui a pas retiré le droit d’exercer sa profession pour attentat aux mœurs mais pour des raisons politiques et qu’il a continué à toucher une partie de son traitement.
Je ne vois pas en quoi cela nous intéresse, mais le Dr Marx pourrait peut-être renseigner le Tribunal à ce sujet.
L’Acte d’accusation mentionne-t-il de telles charges contre lui ?
Non, il n’y a rien d’autre que sa participation criminelle à la campagne anti-juive.
Et, pour cette raison, le Ministère Public fut d’accord pour supprimer toute allusion à cet incident, n’est-ce pas ?
Je ne suis pas certain que ce soit le même incident, mais le Ministère Public s’est déclaré d’accord pour supprimer dans le rapport la seule allusion qui, à ma connaissance, concernait la même question : le traitement infligé à certains garçons qui avaient été arrêtés.
Monsieur le Président, puis-je à présent faire quelques remarques pour mettre les choses au point ? La défense de l’accusé Streicher a demandé que soit produit le procès-verbal de cette affaire disciplinaire pour les raisons suivantes : Streicher fut interrogé par un officier russe pour savoir s’il avait été privé du droit d’exercer sa profession pour attentat aux mœurs et c’est pour cette raison qu’il est absolument nécessaire d’en parler ici. Il ressort de ces documents que Streicher a été privé de son poste de directeur d’école non pour une question d’attentat aux mœurs mais à cause de ses opinions politiques. C’est le premier point. Et, tout à fait en dehors, est le fait concernant Lothar Streicher qui doit venir déposer sur l’affaire mentionnée dans le rapport de la commission Göring où il est question de trois jeunes délinquants auxquels Streicher avait rendu visite et vis-à-vis desquels il se serait rendu coupable, à cette occasion, d’actes contraires aux bonnes mœurs.
J’en arrive maintenant à la question du Dr Bischof. Monsieur le Président, voilà ce dont il s’agit : on a reproché à Streicher d’avoir cité des extraits du Talmud ou des extraits relatifs aux meurtres rituels tirés de traductions fausses ou dont il ne s’était pas suffisamment assuré de l’exactitude.
Docteur Marx, l’Acte d’accusation ne contient aucun reproche de ce genre. Aucune accusation semblable n’a été faite au cours du Procès par le Ministère Public. On l’accuse d’avoir poussé le peuple allemand à prendre des mesures excessives contre les Juifs, non en publiant des citations erronées de livres juifs, mais en se référant aux livres juifs du moyen âge.
Je me permettrai d’attirer l’attention sur le fait qu’au contraire le lieutenant-colonel Griffith-Jones, représentant du Ministère Public, a mentionné ce point clairement au cours de son exposé et a reproché à Streicher d’avoir de mauvaise foi cité des passages du Talmud. Et, en conséquence, il est important d’examiner cette procédure dirigée contre Holz, car elle contient, d’après le témoignage du Dr Bischof, les raisons pour lesquelles les citations ont été faites. Le Dr Bischof fait autorité en la matière. Mais, Monsieur le Président, on pourrait abréger cette affaire si le Ministère Public voulait bien aujourd’hui retirer de son accusation la question des meurtres rituels. Cela éviterait de prolonger inutilement ces débats car cette question, qui de toutes façons ne peut jouer un rôle important contre l’accusé, n’a rien à voir avec les débats actuels.
Je veux rendre cette question parfaitement claire. D’après le Ministère Public, le point important c’est d’avoir voulu faire croire que les Juifs commettaient des meurtres rituels. Extraire des passages de livres datant du moyen âge et les présenter de telle sorte que le lecteur moyen les prenne pour une pratique courante chez les Juifs ou comme une raison d’être antisémite c’est, de l’avis du Ministère Public, une méthode malhonnête d’excitation contre les Juifs. Il est vraiment sans importance que l’on trouve dans des livres du moyen âge certaines remarques sur les meurtres rituels. Ce qui est grave, selon le Ministère Public, c’est d’utiliser ces données pour entretenir aujourd’hui la haine contre les Juifs. C’est ce que nous reprochons à l’accusé.
Nous examinerons cette requête.
Excusez-moi, je crois tout de même nécessaire de répondre brièvement aux déclarations de Sir David Maxwell-Fyfe. Le numéro spécial du journal Der Stürmer dont il est question, se rapporte en particulier à un procès qui a eu lieu en 1899 à Piseck, en Moravie ou en Bohême, et au cours duquel cette question a joué un rôle. Il est donc inexact que l’accusé Streicher n’ait utilisé que des superstitions médiévales mais, au contraire, il s’est servi d’exemples tirés de l’histoire du droit contemporain et dont je ne puis confirmer l’authenticité, mais que je ne puis considérer d’ores et déjà comme inexacts ; le Tribunal aussi sera probablement appelé à les vérifier. Voilà pourquoi j’ai demandé qu’on laissât cette question de côté. Car il s’agit uniquement de savoir ici si Streicher a agi de bonne foi ou non ; et, s’il peut prouver qu’il y a eu des procès de ce genre et que les juges es eux-mêmes ne sont pas d’accord, on ne peut pas alors prétendre qu’il a agi de mauvaise foi. C’est là que réside l’importance de l’affaire. Aussi, personnellement, je préférerais qu’on laissât ce point si le Ministère Public voulait ne plus considérer ce sujet comme faisant partie de l’accusation.
Nous allons prendre cette requête en considération.
Le prochain témoin qui figure sur ma liste, Monsieur le Président, est le commandant Buex dont l’accusé Göring sollicite le témoignage. Je me suis renseigné auprès du Dr Stahmer qui a bien voulu me dire que c’était le même témoin que celui demandé par l’accusé Jodl et dont l’orthographe était B-u-e-c-h-s Je comprends que le Tribunal a autorisé cette citation au profit de l’accusé Jodl : le Dr Stahmer aura l’occasion, à ce moment-là, de lui poser des questions.
Je suis d’accord.
Le témoin suivant a été demandé par l’accusé von Ribbentrop. Il s’agit de M. Hilger.
En effet, le Dr Horn et l’accusé von Ribbentrop ont trouvé que le témoin Gaus qu’ils avaient demandé ne pouvait être aussi utile qu’ils l’espéraient ; aussi désirent-ils citer en plus ce M. Hilger. Le Ministère Public estime que l’accusé devrait obtenir la comparution de Hilger ou de Gaus, et que celui des deux qui ne sera pas cité devrait être interrogé par questionnaire. Il n’y a aucune objection à ce que le témoin Hilger vienne à Nuremberg pour témoigner.
J’ai voulu en effet demander à Sir David de bien vouloir attendre un instant, étant donné que j’ai fait demander au Dr Horn de venir lui-même. Nous ignorions, à la Défense, les requêtes qui devaient être examinées aujourd’hui. C’est pourquoi le Dr Hom n’est pas là. Je crois que si le Tribunal est d’accord, l’affaire pourrait être réglée dès maintenant, mais je dois en tout cas parler d’abord au Dr Horn. C’est une opinion personnelle.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire lorsque vous prétendez n’avoir pas été informé de ces requêtes. J’ai déclaré hier que toutes les requêtes supplémentaires concernant témoins et documents seraient entendues ce matin. Je ne vois pas comment vous pouvez ignorer cette décision. Le Tribunal est disposé à examiner cette question ultérieurement quand le Dr Horn sera là, s’il arrive à temps.
Oui, et puis-je proposer, si le Dr Horn n’arrive pas à temps, de m’en charger moi-même ? D’ici là, je pense être en mesure de le faire.
Très bien.
Pardonnez-moi, Monsieur le Président, puis-je encore faire une brève déclaration ? Streicher me communique à l’instant qu’il renonce au témoin Lothar Streicher. Si, toutefois, la comparution de ce témoin était envisagée, je déclare que la Défense renoncera au bénéfice de l’entendre.
Lothar Streicher a-t-il été accepté ?
Ce témoin ne devait pas être accepté à condition que le Ministère Public veuille bien supprimer le passage ; nous étions d’accord.
Oui.
La requête suivante concerne l’accusé von Papen.
Un instant, Sir David. La lettre concernant le retrait des déclarations sur le témoin Lothar Streicher figure-t-elle au procès-verbal ?
Je ne sais pas si elle a été lue dans le procès-verbal. Elle a été transmise au Tribunal.
Il vaudrait mieux la présenter comme document.
Il sera fait comme vous le désirez, Votre Honneur. La requête suivante a été présentée par l’accusé von Papen qui désire que la comparution du témoin Josten, qui a été approuvée par le Tribunal, soit remplacée par une déclaration sous serment que la Défense a préparée. Le Dr Kubuschok demande que Kroll soit autorisé à venir témoigner. En ce qui concerne Kroll, le Ministère Public estimait que son témoignage était sans intérêt mais que le Tribunal a décidé de lui faire remettre un questionnaire et, par conséquent, le Ministère Public s’incline devant cette décision. Puisque le Dr Kubuschok abandonne un témoin, le Ministère Public ne voit pas d’objection à ce que Kroll vienne déposer en personne, étant donné que le Tribunal a décidé que son témoignage était pertinent.
Oui, mais dans le cas Josten, la déclaration sous serment vous a-t-elle été soumise ?
Oui, je viens de la recevoir signée à l’instant. Le témoin Josten est venu aujourd’hui et a signé sa déclaration sous serment.
Je pensais simplement que le Ministère Public aurait peut-être désiré qu’à l’avenir il fût appelé pour un contre-interrogatoire.
Nous n’avons pas encore vu cet affidavit, Monsieur le Président. Je m’excuse, mais je vais approfondir cette question.
Et il en résulterait la comparution de deux témoins.
Je prends bonne note, Votre Honneur.
J’ai compris que le Dr Kubuschok parlait d’un affidavit et non d’un questionnaire.
Oui, d’une déclaration sous serment.
Peut-être, Votre Honneur, le Tribunal pourrait-il attendre, pour prendre une décision, que j’aie eu l’occasion d’étudier cet affidavit. Je me mettrai alors en communication avec le Dr Kubuschok et avec le Tribunal.
Oui, très bien ;
Puis-je, Monsieur le Président, mentionner un autre cas ? J’ai eu l’autorisation de citer le témoin Tschirschky qui se trouve maintenant en Angleterre ; ce témoin a écrit au Tribunal qu’il lui était actuellement difficile de quitter l’Angleterre et demande à témoigner par écrit. Je suis favorable à cette demande et ai rédigé un questionnaire qui est actuellement soumis au Tribunal. C’est à nouveau un témoin qui, comme Josten, ne pourra venir déposer, de sorte que je demande instamment que le témoin Kroll soit personnellement entendu ici puisque nous avons ainsi épargné beaucoup de temps.
Sir David, ne voyez-vous aucune objection à cela ?
Non, je n’ai rien à dire à cela. Je pourrais prendre en considération certains questionnaires à envoyer au témoin mais cela ne changerait pas la situation du Dr Tschirschky.
La requête suivante a été faite par l’accusé Rosenberg à propos d’un document, la lettre de Hitler à Rosenberg, datée de 1924. Ce document a trait à l’attitude antisémite de Rosenberg. Autant que je sache, le Ministère Public n’a aucun de ces documents, mais peut-être le Dr Thoma peut-il nous donner des explications. Je ne vois aucune objection à ce que l’on produise des documents s’il est possible de les trouver.
Monsieur le Président, puis-je attirer tout d’abord votre attention sur le fait que la lettre de Rosenberg à Hitler, dans laquelle Rosenberg demande qu’il ne soit pas considéré comme candidat au Reichstag, et que j’avais sollicitée comme moyen de preuve, m’a été communiquée depuis ? Ainsi, cette question est réglée. En second lieu...
Un moment, Docteur Thoma. Vous retirez cette requête parce que vous êtes en possession de la lettre, n’est-ce pas ? Vous avez dit : « Ainsi, la question a été réglée ». Voulez-vous dire que vous retirez cette requête ?
Non, Monsieur le Président. Le Tribunal m’a récemment autorisé à produire ce document dès qu’il serait trouvé. Il vient d’être trouvé.
En outre, je voudrais faire remarquer que le document dans lequel Rosenberg écrit à Hitler et le prie de le relever de ses fonctions de rédacteur en chef du Völkischer Beobachter, m’a été de même accordé. Mais je ne l’ai pas encore reçu.
En troisième lieu, puis-je demander au Tribunal de m’autoriser à produire deux autres documents ? Il s’agit de deux documents qui ont déjà été présentés à Rosenberg par le Ministère Public au cours de l’interrogatoire. Le premier est une instruction de Hitler à Rosenberg, de juin 1943, enjoignant à ce dernier de ne tenir compte, dans les questions de l’Est, que de l’essentiel...
Docteur Thoma, il s’agit maintenant de requêtes qui n’ont pas été présentées par écrit, n’est-ce pas ?
Si, je les ai déjà présentées par écrit.
Je n’en ai que deux ici ; l’une concerne la lettre de Hitler à Rosenberg, datée de 1924 et l’autre trois livres sur les Juifs. Ce sont les deux seules demandes que j’ai ici.
Monsieur le Président, j’ai déjà présenté ces requêtes oralement au cours des débats et, si je m’en souviens bien, je vous les avais même soumises auparavant par écrit. J’ai reçu, en effet, une réponse relative à des documents que j’avais demandés, mais pas pour les deux autres. C’est pourquoi je prie le Tribunal de m’accorder à nouveau l’autorisation de présenter ces deux requêtes par écrit.
Oui, vous serez autorisé à le faire si vous précisez bien vos requêtes. Vous avez demandé deux documents supplémentaires et le premier, si j’ai bien compris, était une instruction datée de juin 1943. Est-ce exact ?
C’est exact. Et le document suivant est une lettre de Hitler à Rosenberg dans laquelle il lui indique les motifs pour lesquels il ne veut plus participer aux travaux du Reichstag, ni prendre part aux élections. Mais je me souviens également d’avoir déjà rédigé cette requête. Puis-je la soumettre à nouveau maintenant ?
Oui, nous allons l’examiner. Parlez-vous du document de 1924, la lettre de Hitler à Rosenberg, datée de 1924 ?
Oui, 1923 ou 1924. Ensuite, Messieurs, j’ai encore une requête très importante concernant la question de l’antisémitisme. J’ai demandé ici que l’on veuille bien m’autoriser à citer quelques extraits d’ouvrages historiques consacrés au problème juif en Allemagne, sur les questions de savoir pourquoi il existe en Allemagne, depuis le VIIIe siècle, un problème juif et pourquoi des persécutions antisémites ont sans cesse été exercées. Je soutiens qu’il y a là une sorte de tragédie que la seule raison ne peut expliquer. Je voudrais prouver, à l’aide de textes de théologie juive et chrétienne, que ce n’est pas parce qu’il a été mal dirigé que le peuple allemand a persécuté les Juifs et que ce n’est pas le national-socialisme qui a créé cet antisémitisme, mais nous sommes ici en face de conditions irrationnelles que la littérature chrétienne et la littérature juive reconnaissent elles-mêmes. Je voudrais également prouver qu’il a toujours existé une opposition, en Allemagne, entre Juifs et Allemands sur le plan spirituel et dans le domaine du germanisme. Moritz Goldstein a dit en 1911 — je ne cite qu’un exemple — qu’en Allemagne ce sont les Juifs qui dirigent la vie intellectuelle. Il s’agit donc de décrire le rôle du judaïsme dans l’histoire de la culture allemande et de rechercher les causes de cette fissure frappante existant entre Juifs et Allemands. J’ai l’intention de ne produire que des extraits d’ouvrages consacrés à la question, mais je crois que le Tribunal ne trouvera pas mes déclarations suffisamment dignes de foi si je ne lui cite pas des écrits scientifiquement reconnus. C’est le seul aspect de ce problème qui me concerne.
Docteur Thoma, vos requêtes seront prises en considération.
La requête suivante concerne l’accusé Speer qui demande que l’on produise un certain nombre de documents ayant trait à l’Office central du Plan. Je n’ai pas eu, à vrai dire, l’occasion de les comparer avec les pièces déposées mais si, comme je le crois, ce sont les mêmes qui ont été déposés par M. Justice Jackson lors de son interrogatoire de l’accusé Göring, je pense que le Ministère Public les a en sa possession. Si l’accusé Speer ne les a pas entre les mains, nous ferons de notre mieux pour lui en faire parvenir des copies.
Sir David, vous avez dit qu’ils avaient tous été présentés à l’accusé Göring au cours de son interrogatoire et étaient soit des preuves soit des documents ; mais s’ils ont été présentés à l’accusé Göring, il doit s’agir de preuves.
Oui, Votre Honneur, il doit s’agir de preuves. Je n’ai pas eu l’occasion de les examiner, mais si elles ont été présentées au Tribunal, ce sont sûrement des preuves.
La requête suivante émane de l’accusé Seyss-Inquart qui demande que des questionnaires soient présentés au Dr Ulberreither. Le Tribunal se souviendra qu’il était Gauleiter d’un des plus importants Gaue autrichiens et qu’il a collaboré au mouvement national-socialiste en Autriche. Je ne vois aucune objection à élever contre ces questionnaires.
N’a-t-il pas donné un autre affidavit, il y a un ou deux jours ?
Si, Monsieur le Président, mais c’était pour un autre accusé, pour Göring. Le Dr Ulberreither, évidemment, a quelques connaissances de la question autrichienne. Il ne reste plus qu’à fixer la forme et le contenu de ces questionnaires. Je ne sais rien à ce sujet. Je dois formuler une certaine réserve quant à leur rédaction.
Avez-vous vu ces questionnaires ?
Non, Monsieur le Président.
Ils ont été déposés devant nous.
Je m’excuse, Monsieur le Président, je fais erreur, je les avais vus. Nous avons déjà parlé une ou deux fois du Dr Ulberreither. En fait, j’ai déjà vu cette requête. La seule objection soulevée par le Ministère Public concerne la manière insidieuse dont les questions ont été posées. Mes amis M. Dodd et le colonel Baldwin pourraient peut-être, avant que ces questionnaires ne soient présentés, en parler avec le Dr Kubuschok ou la personne qui représentera Seyss-Inquart.
Très bien.
La requête suivante concerne l’accusé Sauckel. Je vous demande pardon : le Dr Kubuschok me dit qu’il y a une autre requête au nom de Seyss-Inquart qui n’est pas portée sur la liste que j’ai devant moi. (S’adressant au Dr Kubuschok.) Peut-être pourriez-vous nous dire de quoi il s’agit ?
L’accusé Seyss-Inquart demande que l’on présente un questionnaire au témoin Bohle. La déposition de ce témoin a été refusée par le Tribunal sous prétexte que le témoignage qu’il est susceptible de fournir ferait double emploi avec d’autres. L’accusé Seyss-Inquart réclame à nouveau que cette question des témoignages soit mise au point ; il ne demande qu’un questionnaire. Ce témoin est indispensable car ce qu’il doit dire ne peut être confirmé par d’autres témoins directs. Les autres témoins qui ont été choisis à ce sujet ne pourraient que répéter ce que Bohle lui-même leur a communiqué. En ce qui concerne les faits exacts, Bohle, seul, est à même de faire des déclarations fondées sur ses connaissances personnelles.
Docteur Kubuschok, si d’autres témoins autorisés peuvent parler de ce qu’ils ont entendu dire par Bohle, pourquoi n’avez-vous pas demandé Bohle lui-même à la place de l’un de ces autres témoins ?
Je ne connais pas les intentions de mon confrère qui assiste Seyss-Inquart. Je sais qu’il a demandé des témoins indirects, mais on vient de me dire que Bohle est considéré comme le principal témoin. Il faut donc admettre que ces autres témoins, pour lesquels cette question n’a pas eu autant d’importance, ont des lacunes dans leurs souvenirs.
Voulez-vous dire quelque chose à ce sujet, Sir David ?
Le Tribunal se souviendra peut-être que je l’avais informé que toutes les questions posées à Bohle étaient les mêmes que celles posées au témoin von der Wense, sauf deux, qui, je crois, concernaient la réquisition de camions et sur lesquelles il ne peut y avoir de grandes discussions. Il semble au Ministère Public qu’il est suffisamment évident que ce témoin est tout à fait superflu. L’interrogatoire est identique mot pour mot à celui du témoin von der Wense.
Il n’a sans doute pas été expliqué clairement dans les requêtes originales que les autres témoins n’étaient au courant que de ce qu’ils avaient entendu de Bohle. En fait, nous sommes intéressés ici par les instructions données personnellement par Bohle et, naturellement, il en est le meilleur témoin. Nous pourrions à la rigueur tomber d’accord pour que ces questions soient rayées du questionnaire des autres témoins.
A moins que l’on ne tombe d’accord, le Tribunal peut difficilement prendre une décision sans voir le questionnaire soumis à Bohle et aux autres témoins. Il serait peut-être opportun d’accorder ce questionnaire quitte, plus tard, à ne pas le prendre en considération si d’autres interrogatoires font à ce moment double emploi avec lui.
Certainement, en ce qui me concerne.
Très bien.
La requête suivante concerne l’accusé Sauckel ; le Dr Servatius et M. Roberts, un de mes collaborateurs, ont étudié l’affaire ensemble avec attention. Le Dr Servatius n’est pas ici Peut-être M. Roberts peut-il faire savoir au Tribunal où en est cette question ?
Le Dr Servatius a soumis une liste d’environ 90 documents, ce qui est un nombre considérable ; mais la plupart sont de courts extraits de divers décrets et ordres relatifs à l’utilisation de la main-d’œuvre ; il est difficile d’élever des objections contre eux. Le Dr Servatius, sur ma demande, a bien voulu en retirer 10 ou 15 considérés comme superflus. Quatre documents environ sont relatifs aux soi-disant mauvais traitements infligés aux travailleurs par des ennemis de l’Allemagne et à la présentation desquels je me suis opposé en les déclarant irrecevables. Le Tribunal devra se prononcer sur cette question de principe.
Monsieur le Président, étant donné que le Dr Servatius, d’après ce que j’ai compris, ne peut être ici aujourd’hui, nous pourrions peut-être examiner cette question avec le Secrétaire général dès qu’il rentrera au début de la semaine prochaine ; l’affaire pourra ainsi être présentée au Tribunal sous une forme pratique sur laquelle on sera déjà plus ou moins tombé d’accord.
Oui. Vous n’avez pas pu encore vous mettre d’accord à propos des témoins, n’est-ce pas ?
Je pensais, Monsieur le Président, que la situation des témoins était la suivante : Sir David et le Dr Servatius en ont parlé il y a quelques semaines devant le Tribunal et Sir David tomba d’accord pour que l’on appelât six témoins et que nous parvinssent des affidavits émanant d’un certain nombre d’autres. Le Dr Servatius a examiné le problème et soumis sa dernière liste, une liste fort réduite, de onze témoins. J’ai fait parvenir cette liste à un haut fonctionnaire du Tribunal et je croyais qu’elle avait été déposée.
Avez-vous la date ici ? Est-ce le 4 mars 1946 ?
J’ai devant moi un document en allemand...
Je comprends.
Et la position du Ministère Public a été complètement expliquée par Sir David au moment où l’on a considéré ces questions pour la première fois ; il appartient maintenant au Tribunal, je crois, de prendre une décision sur ces deux demandes litigieuses, celle des six témoins et celle des onze témoins. C’est au Tribunal de déterminer la solution à adopter.
Sir David, nous en avons maintenant fini avec ces requêtes. Il y en a d’autres qui ont été déposées plus tard.
Il y en a une de l’accusé Frank qui demande qu’un questionnaire soit soumis à l’ambassadeur Messersmith. Elle a été acceptée par le Tribunal au cours d’une audience à huis-clos. Cette requête n’a pas été faite par écrit par la Défense mais oralement en audience publique. Le Ministère Public ne fait aucune objection de principe.
L’accusé von Ribbentrop, ensuite, demande le livre intitulé L’Amérique dans la bataille des continents, de Sven Hedin...
D’autres accusés ont adressé des questionnaires à M Messersmith, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président.
A-t-on déjà reçu les réponses ?
On m’informe qu’elles n’ont pas encore été reçues.
Il y a combien de temps qu’elles ont été envoyées ?
Je vais me renseigner, Monsieur le Président. Le 21 février.
Avez-vous vu ces questionnaires qui sont actuellement proposés par l’accusé Frank ?
Je n’en suis pas certain.
Il y en a cinq.
La situation est la suivante :
nous les avons reçus hier et ils font actuellement l’objet d’une étude de la part de la Délégation américaine et de ma Délégation. Ils ne me sont pas encore parvenus.
Je crois que nous devrions les examiner.
La requête suivante est de l’accusé von Ribbentrop qui demande le livre intitulé L’Amérique dans la bataille des continents, de Sven Hedin. Il faut appliquer en la matière les règles admises à propos de la production des livres : s’il y a des extraits que l’accusé veut utiliser, il peut les proposer et nous déciderons alors de leur validité à mesure qu’ils se présenteront.
Nous examinerons également ce point.
C’est ensuite, Messieurs, une requête au nom de l’accusé Schacht qui demande le livre intitulé Warnings and Prophecies, de feu Lord Rothermere. Je suggère de suivre la même procédure dans ce cas. Il est permis d’extraire les passages nécessaires et de nous les présenter ; nous déciderons de leur validité au moment de leur utilisation. (Le Dr Dix fait un signe d’assentiment.) Je crois qu’il y a encore une requête au nom de l’accusé von Neurath. Il désire avoir des copies des interrogatoires du Dr Gaus qui se trouve être l’un des témoins cités par l’accusé von Ribbentrop. Le Tribunal, il me semble, a décidé de ne fournir aux accusés que des copies de témoignages utilisés contre eux, c’est-à-dire de leurs propres interrogatoires. Nous déplacerions les limites de la règle et arriverions à des difficultés générales si cet état de choses s’étendait aux copies des interrogatoires d’autres témoins. Le Ministère Public présente, là, une objection de principe. Mais comme je suppose que le Dr von Lüdinghausen les désire dans le but de préparer son dossier, s’il veut venir me voir ou un de mes collaborateurs, nous pourrons peut-être les lui transmettre. S’il nous indique des points sur lesquels nous pouvons l’aider, nous serons très heureux d’en discuter avec lui.
Où est le Dr Gaus ?
A Nuremberg.
Le Dr Lüdinghausen ne peut-il pas l’entendre ici ?
Je n’ai pas la moindre objection, au contraire ; cela facilitera les choses.
Les deux procédés semblent raisonnables, mais le Dr Lüdinghausen pourrait peut-être vous voir...
Oui.
... à propos de ces questionnaires et voir le Dr Gaus qui est interné ici.
Ces deux propositions me semblent excellentes.
Très bien. Nous en avons terminé avec cette question.
Quant à Ribbentrop...
Docteur Siemers, le Dr Hom étant absent, peut-être pourriez-vous vous occuper de la requête relative à Hilger.
Oui. Je suis prêt à le faire, mais comme je n’ai pas parlé au Dr Hom, je vous demande de considérer que mes assertions ne l’engagent pas.
Hilger est un témoin extrêmement important car il a été conseiller d’ambassade à Moscou à l’époque des négociations préliminaires au traité entre l’Allemagne et la Russie ; il l’est resté jusqu’à la déclaration de guerre avec la Russie. Il a donc pris part à toutes les négociations, il est très au courant des agissements de von Ribbentrop ; c’est l’un des témoins les mieux informés. Hilger, jusqu’ici, n’a figuré que comme témoin de second plan, car le Dr Horn. avait demandé à citer l’ambassadeur, Dr Gaus. Le Dr Hom a renoncé à la comparution personnelle du Dr Gaus, autant que je le sache, et veut avoir uniquement un affidavit ou des réponses à un questionnaire relatif à quelques points moins importants. Je présume que Sir David est d’accord avec ma proposition si je la lui soumets sous cette forme.
Oui, Docteur Siemers,
Sir David a bien voulu donner à l’instant son accord sur ce point.
Je suis d’accord, Monsieur le Président. Si le témoin Hilger vient en personne déposer à l’audience, un questionnaire pourra être envoyé au témoin Gaus comme je l’avais suggéré.
Très bien. C’est tout, n’est-ce pas ?
C’est tout.
Le Tribunal va lever l’audience et étudier ces questions.