CENTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 5 avril 1946.

Audience du matin.

Dr NELTE

Hier, en fin d’audience, je vous ai posé une question relative à l’articulation du commandement, en ce qui concerne les prisonniers de guerre. D’après votre réponse, les ordres, par la voie hiérarchique, passaient du commandant du camp au commandant de la région militaire, et de là, par l’intermédiaire du Commandant en chef de l’Armée de réserve, au Haut Commandement de l’Armée de terre.

J’aimerais savoir maintenant comment s’établissait la responsabilité dans le cas où un incident se produisait dans un camp de prisonniers, ou une violation des Conventions de Genève, ou une infraction aux stipulations du droit des gens. Étiez-vous compétent ? L’OKW était-il responsable ?

ACCUSÉ KEITEL

L’OKW était responsable lorsqu’il s’agissait d’infractions aux instructions fondamentales édictées par l’OKW ou d’entorses commises à l’occasion de la violation du droit d’inspection. Sous cette réserve, je tiens l’OKW pour responsable.

Dr NELTE

Comment l’OKW exerçait-il ce contrôle sur les camps de prisonniers ?

ACCUSÉ KEITEL

Pendant la première partie de la guerre, ce contrôle était exercé par un inspecteur du service des prisonniers de guerre et cet inspecteur était en même temps le chef du service des prisonniers de guerre de la Wehrmacht. Il exerçait donc, en quelque sorte, une fonction double. Et plus tard, vraisemblablement à partir de 1942, on a créé un poste d’inspecteur général qui n’avait à assumer ni la correspondance ni les tâches incombant au ministère.

Dr NELTE

Que se passait-il lorsqu’il s’agissait du contrôle des Puissances protectrices et de la Croix-Rouge internationale ?

ACCUSÉ KEITEL

Lorsqu’une Puissance protectrice désirait faire procéder à une visite dans un camp par une délégation, cette question était réglée par le service ou par l’inspecteur des prisonniers de guerre qui accompagnait cette délégation. Il importe de remarquer, à ce sujet, qu’en ce qui concerne les Français, l’ambassadeur Scapini exerçant personnellement cette activité, il n’y avait pas lieu de tenir compte d’une Puissance protectrice.

Dr NELTE

Les représentants des Puissances protectrices et de la Croix-Rouge pouvaient-ils s’entretenir librement avec les prisonniers ou ne pouvaient-ils le faire qu’en présence d’officiers de la Wehrmacht ?

ACCUSÉ KEITEL

Je ne sais si en fait et dans tous les camps on a toujours procédé ainsi qu’il avait été formellement ordonné de le faire, c’est-à-dire qu’un échange de vues entre les prisonniers de guerre et les visiteurs devait être facilité. D’une façon générale, cela fut autorisé et facilité.

Dr NELTE

Est-ce que, en tant que chef de l’OKW, vous vous êtes inquiété vous-même de la réglementation générale concernant le service des prisonniers de guerre ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, je me suis occupé de cette réglementation concernant les prisonniers de guerre. Mais, en raison de mes rapports avec le Führer et avec le Grand Quartier Général, je n’étais d’ailleurs pas en liaison permanente avec ce service. C’étaient les bureaux des prisonniers de guerre, l’inspecteur et, en dernier ressort, le directeur général administratif de la Wehrmacht, qui étaient responsables, ce dernier vis-à-vis de moi. C’est dans ces trois instances qu’étaient traitées les affaires courantes et je n’avais à intervenir que lorsqu’une décision était indispensable et lorsque le Führer — ce qui arrivait très souvent — intervenait personnellement dans ces questions et donnait des instructions.

Dr NELTE

D’après les documents qui ont été présentés ici, il semble que le traitement des prisonniers de guerre soviétiques n’ait pas été le même que celui des autres prisonniers de guerre. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

ACCUSÉ KEITEL

Il est exact que sous ce rapport le traitement a été différent. Cela provenait de ce que le Führer, ainsi qu’il l’a exposé à maintes reprises, était d’avis que l’Union Soviétique n’avait pas ratifié la Convention de Genève ; cet avis était fondé d’autre part sur la conception qu’avait le monde de la conduite de la guerre. Le Führer a insisté sur le fait que nous avions les mains libres à cet égard.

Dr NELTE

Je vous fais passer maintenant le document EC-388 (URSS-356), daté du 15 septembre 1941. La partie 1 est une note verbale du service de contre-espionnage de l’OKW et la seconde partie contient une instruction de l’OKW datée du 8 septembre 1941, concernant le traitement des prisonniers de guerre soviétiques. La troisième partie de ce document est un aide-mémoire relatif à la surveillance des prisonniers de guerre soviétiques, et le dernier document annexé est une copie du décret du Conseil des Commissaires du peuple au sujet des prisonniers de guerre, daté du 1er juillet 1941.

(Le document est remis au témoin.)
ACCUSÉ KEITEL

Qu’il me soit permis d’observer tout d’abord que ces instructions n’ont été publiées qu’en septembre, ce qui revient à dire qu’au préalable existait une instruction de Hitler ordonnant que les prisonniers de guerre soviétiques ne devaient pas être transférés en territoire allemand. Cette prescription a été supprimée plus tard.

Quant à l’instruction du 8 septembre 1941 dont j’ai le texte devant moi, qu’il me soit permis de dire que l’ensemble de ces textes est basé sur le point de vue selon lequel il s’agit ici d’une lutte entre deux communautés ethniques, entre deux nationalités, car la première phrase commence ainsi : « Le bolchévisme est l’ennemi mortel de l’Allemagne nationale-socialiste ». A mon avis, cela exprime à priori sur quelles bases ces instructions sont fondées, comment elles ont été inspirées et les raisons pour lesquelles elles ont été prises.

C’est ainsi que Hitler, comme je l’ai déjà exposé hier, ne considérait pas cette guerre comme un conflit à livrer entre deux États, conformément au droit des gens, mais comme une lutte entre deux idéologies. Suivent quelques détails, ainsi qu’une discrimination entre ceux qui, d’une part, si je peux ainsi m’exprimer, nous semblaient inoffensifs, et ceux qui devaient être considérés comme des fanatiques et mis à part, car particulièrement menaçants et dangereux pour le national-socialisme.

J’en arrive aux préliminaires. Ce texte a déjà été présenté ici par M. le représentant du Ministère Public soviétique ; il s’agit là d’une lettre du chef du service de contre-espionnage à l’étranger, l’amiral Canaris, lettre dans laquelle cet ordre formel que je viens de commenter est porté à ma connaissance une fois de plus, avec un certain nombre de commentaires qui font ressortir avec force et sa méfiance et ses objections à l’égard de ce décret. Il y est joint, en même temps, un aide-mémoire sur lequel je ne m’étendrai pas. C’est un extrait avec, en outre, les instructions formulées par l’Union Soviétique en date du 1er juillet, je crois, relatives au traitement des prisonniers de guerre allemands. Il m’est parvenu le 15 septembre, alors que l’autre ordre avait été donné une semaine plus tôt. Après examen du texte de Canaris, je dois avouer que j’ai partagé ses scrupules. C’est la raison pour laquelle je me suis rendu chez Hitler avec le texte, que je l’ai prié de le mettre au point et de nous faire connaître une fois de plus son avis à ce sujet.

Le Führer me dit alors que nous ne pouvions pas nous attendre à ce que les prisonniers de guerre allemands, de l’autre côté, fussent traités conformément à la Convention de Genève ou selon le droit des gens ; nous n’avions aucune possibilité de contrôle ; il ne voyait donc aucune raison de modifier ses directives. Finalement, il déclina purement et simplement nos suggestions, de sorte que je renvoyai les notes à l’amiral Canaris en y ajoutant mes propres notes marginales. L’ordre donné a donc été maintenu et est resté en vigueur.

Dr NELTE

Comment les prisonniers de guerre soviétiques ont-ils été traités en pratique ? S’en est-on tenu à ces prescriptions ou est-ce que, pratiquement, on procédait autrement ?

ACCUSÉ KEITEL

Mes observations personnelles et les rapports qu’on m’a présentés me permettent de dire que, dans la pratique, le ’traitement était, si j’ose dire, bien meilleur et bien plus favorable que celui prescrit antérieurement avec rudesse, lorsque devint officiel l’ordre de transfert des prisonniers en Allemagne. En tout cas, j’ai lu de nombreux rapports faisant ressortir que, là où ils étaient utilisés comme main-d’œuvre, en particulier dans l’agriculture mais aussi dans l’industrie de guerre, comme dans les services généraux de l’économie de guerre, tels que les chemins de fer, la voirie, etc., leur condition était bien meilleure qu’on pouvait le supposer, d’après les expressions brutales employées dans ces prescriptions.

Dr NELTE

Monsieur le Président, permettez-moi, à cette occasion, de me référer au document n° 6 du livre de documents.

LE PRÉSIDENT

De quel livre de documents parlez-vous ?

Dr NELTE

Le document n° 6, dans le livre de documents n° 1, le n° 6 dans mon livre de documents : « Conditions d’emploi des travailleurs de l’Est, ainsi que des prisonniers de guerre russes ». Dans ce livre de documents, je n’ai reproduit que les passages que je vous remets ici et qui se rapportent aux conditions de travail des prisonniers de guerre soviétiques. Je dépose ce livre devant le Tribunal sous le numéro K-6 et je prie le Tribunal de l’accepter comme pièce à l’appui, sans que j’aie besoin d’en faire la lecture.

Dans ces prescriptions, sont indiqués avec soin les passages relatant des ordres qui prouvent que, postérieurement, selon la volonté de l’OKW (en tant qu’instance émettrice de ces ordres), les prisonniers de guerre soviétiques devront être traités conformément à la Convention de Genève.

Puis-je continuer ?

LE PRÉSIDENT

Je vous en prie. Vous ne désirez pas en lire des extraits ?

Dr NELTE

Non, je ne le désire pas. (Au témoin.) Veuillez m’exposer la nature des rapports existant entre la Police ou Himmler, d’une part, et les services des prisonniers de guerre d’autre part.

ACCUSÉ KEITEL

Permettez-moi de dire tout d’abord que cette liaison a donné lieu à des froissements continuels à ce sujet, entre Himmler et les services de Police correspondants et ceux de la Wehrmacht, état de choses qui n’a jamais cessé d’exister. Dès le début, on a pu se rendre compte que, tout au moins Himmler lui-même, tenait à imposer son autorité, ne négligeant aucun effort pour y parvenir, auprès des services des prisonniers de guerre. Les conditions dans lesquelles s’effectuaient tout naturellement les fuites, la récupération des évadés effectuée grâce aux enquêtes et perquisitions de la Police, les plaintes relatives à une surveillance insuffisante, les mesures de sécurité défectueuses dans les camps, l’insuffisance du personnel de garde, toutes ces raisons lui furent opportunes auprès de Hitler pour — passez-moi l’expression — tomber sur le dos de la Wehrmacht et lui imputer toutes sortes de défectuosités et de manquements dans l’exercice de ses obligations. La conséquence en fut que des interventions de Hitler se produisirent constamment, dont je ne pouvais, la plupart du temps, m’expliquer les raisons. Il fit siens les reproches formulés, intervenant à brûle-pourpoint, de telle sorte que les bureaux de la Wehrmacht étaient tenus en perpétuelle haleine. Ne pouvant procéder moi-même au contrôle, j’étais obligé de transmettre des instructions à mes services de l’OKW.

Dr NELTE

Quelle était donc la cause profonde et quel était le véritable but poursuivi par Himmler par ces agissements ?

ACCUSÉ KEITEL

Non seulement il voulait augmenter son influence, mais, dans la mesure du possible, avoir sous son autorité, en tant que chef de la Police, tout le service des prisonniers de guerre et y être seul maître.

Dr NELTE

Le problème de la main-d’œuvre n’a-t-il pas joué certain rôle dans cette question ?

ACCUSÉ KEITEL

Plus tard, c’est devenu manifeste. J’y reviendrai ultérieurement. Mais je puis exprimer dès maintenant qu’un simple examen permettait de constater indubitablement qu’après de telles recherches — qui étaient effectuées à des intervalles fixes — , la plupart des évadés n’étaient pas ramenés dans les camps d’où ils s’étaient échappés. C’est donc que, de toute évidence, ils avaient été retenus par la Police et utilisés comme main-d’œuvre au profit de Himmler. Il va de soi que le nombre des évadés s’accrut d’année en année et qu’il devint de plus en plus considérable. Il y avait à cela des raisons tout à fait plausibles.

Dr NELTE

La question des prisonniers de guerre est intimement liée à celle du problème du travail. A qui incombait l’incorporation des prisonniers de guerre ?

ACCUSÉ KEITEL

Les bureaux chargés de ce travail étaient les offices de placement rattachés au service de la main-d’œuvre du Reich, relevant à l’origine du ministre du Travail, plus tard du Commissaire général à la main-d’œuvre. Dans la pratique, cela se passait de la manière suivante : les offices de placement s’adressaient aux commandants militaires des régions dont dépendaient les camps de prisonniers de guerre, leur demandaient de la main-d’œuvre, et cette main-d’œuvre leur était alors attribuée, autant que les directives générales l’autorisaient.

Dr NELTE

Quel était le rôle dévolu à l’OKW, en ce qui concernait la main-d’œuvre ?

ACCUSÉ KEITEL

Sa tâche était d’assumer le contrôle de l’utilisation de la main-d’œuvre et de s’assurer qu’elle était effectuée en conformité avec les instructions formelles, ce qui n’impliquait nullement la possibilité, même pour l’inspecteur, de contrôler dans le détail l’emploi de cette main-d’œuvre. Cette obligation incombait aux commandants des régions militaires et à leurs généraux responsables, ainsi qu’aux préposés. Les véritables difficultés, la lutte, pour ainsi dire, en vue d’obtenir des travailleurs parmi les prisonniers de guerre, n’ont guère commencé qu’en 1942. Jusque-là, ce furent surtout l’agriculture, les chemins de fer et encore quelques institutions qui absorbèrent la main-d’œuvre, mais non l’industrie, à plus forte raison en ce qui concerne les prisonniers de guerre soviétiques qui, pour la plupart, étaient d’origine paysanne.

Dr NELTE

Quelle était la véritable raison de ce besoin de main-d’œuvre ?

ACCUSÉ KEITEL

En hiver 1941-1942, se posa le problème du remplacement des soldats, surtout de ceux qui étaient tombés sur le théâtre des opérations de l’Est. Il fallut couvrir un très grand besoin de soldats aptes à faire campagne au front et dans la troupe. Les chiffres me sont présents à l’esprit : l’Armée seule avait droit, annuellement, à 2.000.000 ou 2.500.000 hommes de réserve. Si l’on fait entrer en compte 1.000.000 provenant du recrutement normal de la classe et 500.000 convalescents, c’est-à-dire blessés et malades guéris, il n’en fallait pas moins remplacer 1.500.000 soldats chaque année. Ce contingent pouvait être prélevé dans l’industrie de guerre et être mis à la disposition du service armé De là une extraordinaire efficacité de ces échanges, d’une part la levée de ces hommes de l’industrie de guerre, et de l’autre leur remplacement par de nouvelles équipes de travailleurs, opération qui, d’un côté, devait s’effectuer par le prélèvement de prisonniers, de l’autre, grâce à l’activité du commissaire général Sauckel, à qui incombait l’obligation de procurer des travailleurs. J’étais moi-même continuellement mêlé à ces questions de recrutement, ayant sous mes ordres ce service pour toute la Wehrmacht, Armée, Aviation, Marine. C’est la raison pour laquelle, lors des entretiens du Führer avec Sauckel concernant les effectifs et l’attribution de main-d’œuvre, j’étais présent.

Dr NELTE

Que pouvez-vous me dire au sujet de l’emploi des prisonniers de guerre dans l’industrie et dans l’industrie de l’armement ?

ACCUSÉ KEITEL

Jusqu’en 1942, nous n’avons pas utilisé de prisonniers de guerre dans les établissements industriels, même dans ceux qui ne travaillaient qu’indirectement pour l’armement, et cela en raison d’une interdiction formelle de Hitler, interdiction motivée, il est vrai, par la crainte du sabotage des machines et des moyens de production. Il jugeait dangereux de courir de tels risques. Ce n’est que lorsque le besoin nous contraignit impérieusement à intégrer toutes les forces disponibles dans l’économie nationale que ce principe fut abandonné et ne fut même plus discuté. Il va de soi que, dès lors, des prisonniers de guerre ont été utilisés au bénéfice du potentiel de guerre général. Mais, selon moi, et conformément aux instructions formelles qui émanaient de moi, c’est-à-dire de l’OKW, à cette époque le placement dans l’industrie de guerre était interdit, ce qui signifiait : défense d’employer des prisonniers dans des industries de guerre proprement dites, c’est-à-dire dans des fabriques de munitions, d’armes et de matériel de guerre.

Je dois ajouter, pour compléter, que plus tard, un ordre du Führer provoqua un relâchement des restrictions imposées jusque là. Je crois, en outre, que le Ministère Public a déjà déclaré ici que le ministre Speer avait mentionné que des milliers de prisonniers de guerre avaient été employés dans l’industrie de l’armement. Je dois cependant observer que dans les usines qui travaillaient pour l’armement, il y avait quantité de travaux à exécuter oui n’avaient rien de commun avec la fabrication d’armes et de munitions.

Dr NELTE

Le Ministère Public a mentionné à plusieurs reprises que des prisonniers de guerre avaient été mis en état d’arrestation par la Police ou même placés dans des camps de concentration. Pouvez-vous nous donner des explications à ce sujet ?

ACCUSÉ KEITEL

Pour moi, cela s’explique de la manière suivante : il a été fait mention aujourd’hui de discriminations opérées dans les camps parmi les prisonniers de guerre. On sait en outre — et cela est confirmé par certains documents — que des prisonniers vis-à-vis desquels les prérogatives des commandants s’étaient avérées inopérantes, étaient isolés et livrés à la Gestapo. Enfin, j’ai mentionné que des évadés avaient été repris et que beaucoup d’entre eux, sinon la plupart, n’avaient pas été ramenés dans leurs camps. Je n’ai jamais eu connaissance d’ordres, émanant de l’OKW ou du chef du service des prisonniers de guerre, relatifs au transfert dans les camps de concentration. Ils n’ont jamais été donnés. Mais l’exposé des faits est là, qui établit, grâce à des témoins et à des pièces, que la voie du transfert à la Police aboutissait aux camps de concentration. Telle est mon explication.

Dr NELTE

Le Ministère Public français a produit le document PS-1650. C’est un ordre, un soi-disant ordre de l’OKW, exigeant de livrer au SD les évadés qui ne travaillaient pas. D’après ce que vous venez de dire, vous êtes tenu de donner des explications à ce sujet. Je vais vous remettre, en outre, le document PS-1514, ordre du chef du Wehrkreis VI, qui vous permettra de vous rendre compte des procédés employés par l’OKW relativement à la livraison de prisonniers de guerre à la Police secrète d’État.

ACCUSÉ KEITEL

Je voudrais d’abord m’expliquer au sujet du document PS-1650. Je tiens à déclarer avant tout que je ne connaissais pas cet ordre, que je ne l’ai jamais eu entre les mains et qu’il m’a été impossible jusqu’ici de comprendre comment il avait vu le jour.

Dr NELTE

Ne voudriez-vous pas dire d’abord, je vous prie, que ce document, comme tel, n’émane pas de l’OKW ?

ACCUSÉ KEITEL

J’y arrive.

Dr NELTE

Veuillez commencer par là et l’exposer clairement.

ACCUSÉ KEITEL

Ce document, saisi dans un bureau de la Police, débute par ces mots : « L’OKW a ordonné ce qui suit... » Viennent ensuite les paragraphes 1, 2, 3, puis suit : « J’ordonne à ce sujet », c’est-à-dire le chef suprême de la Police de sûreté du Reich, avec la signature de Müller, et non de Kaltenbrunner. Je n’ai certainement pas signé ni vu cet ordre de l’OKW, paragraphes 1, 2 et 3 ; il n’y a aucun doute à ce sujet ; déjà, du fait qu’il y est question de termes techniques « Degré 3 », etc. (termes de police qui nous sont inconnus), je ne peux m’expliquer comment ce document a vu le jour. Je ne peux faire que des suppositions, exprimer des possibilités. Je voudrais les énumérer rapidement, parce que j’ai longuement réfléchi à ce sujet.

Premièrement, je ne crois pas qu’un service de l’OKW, c’est-à-dire le chef du service des prisonniers de guerre, ou le secrétaire général des services de la Wehrmacht, ait pu promulguer cet ordre de son propre chef, sans instructions préalables. Cela me paraît tout à fait impossible, car un tel ordre est en contradiction formelle avec la tendance générale. Moi-même, je ne peux pas me souvenir d’avoir jamais reçu d’instructions de Hitler dans ce sens ou d’avoir transmis un mandat de cette nature. Enfin, même si cela semble devoir être un faux-fuyant, j’ajouterai qu’il y avait évidemment des voies détournées dont se servait Hitler sans se préoccuper le moins du monde des compétences. S’il me faut chercher une explication, des éclaircissements à ce sujet, je pense aux officiers d’ordonnance qui ont peut-être transmis de tels ordres à mon insu.

J’insiste sur le fait qu’il s’agit là de ma part d’une simple supposition et que cela ne peut être considéré comme une décharge en ma faveur. Je tiens seulement à remarquer, en exposant les faits, que le document saisi PS-1514, provenant du Wehrkreis VI-Munster, est daté du 27 juillet 1944, donc en plein été 1944. Il traite de la question des évadés et du sort qui doit leur être réservé. Il est intitulé « Référence » et cite sept différents ordres, échelonnés entre 1942 et ] 944. Et le fait que cet ordre, qui traite des évadés, aurait dû figurer dans ce document si le bureau du Wehrkreis avait eu entre les mains un tel ordre émanant de l’OKW, est quelque peu singulier et m’amène à conclure qu’il n’existait pas d’ordre écrit et que l’autorité militaire n’a reçu aucun ordre de ce genre. C’est tout ce que je peux dire à ma décharge, étant donné que je ne peux en fournir la preuve.

Dr NELTE

Avez-vous connaissance que l’Accusation a produit un ordre selon lequel les prisonniers de guerre soviétiques devaient être marqués par une éraflure de l’épidémie ? Veuillez, je vous prie, nous dire ce que vous pensez de cette question.

ACCUSÉ KEITEL

La situation était la suivante : en été 1942, le Führer avait fait venir au Grand Quartier Général le General-quartiermeister pour une conférence qui a duré plusieurs heures et lui a demandé un rapport verbal détaillé sur la situation aux arrières du front de l’Est. J’y fus appelé à l’improviste et on me dit que le Generalquartiermeister rapportait que les prisonniers soviétiques s’enfuyaient par milliers en Russie, se cachaient parmi la population, se procuraient immédiatement des vêtements civils, enlevaient leur uniforme et ne pouvaient donc plus être identifiés. J’ai reçu l’ordre de contrôler, de préparer un mode d’identification éventuel, qui permît, même après l’abandon des vêtements civils, de s’assurer qu’il s’agissait bien de prisonniers de guerre. J’ai alors transmis des instructions à Berlin, pour que fût préparé un tel ordre, mais en précisant qu’il devait d’abord subir l’examen du contentieux du ministère des Affaires étrangères afin de savoir, avant tout, si un tel ordre pouvait être donné, si, techniquement, il était exécutable. Je dois dire qu’on pensait à une sorte de tatouage, comme on en voit très souvent en Allemagne chez les ouvriers du bâtiment ou chez les marins.

Puis je n’ai plus entendu parler de rien. Un jour, ayant rencontré le ministre des Affaires étrangères au Quartier Général, je l’ai saisi de cette question. Le ministre von Ribbentrop avait eu connaissance de la demande adressée au ministère et considérait cette mesure comme très risquée. Ce fut là la première information que j’ai eue à ce sujet. J’ai alors donné immédiatement des instructions — je ne sais plus si je l’ai fait directement ou par l’intermédiaire d’un officier d’ordonnance chargé de cette question — pour que cet ordre ne soit pas transmis. Aucun brouillon ne m’en a été soumis et je n’ai jamais paraphé quoi que ce soit. J’ai, en tout cas, expressément ordonné ceci : « De toute façon, cet ordre ne partira pas ». D’autres détails ne me sont jamais parvenus, je n’ai plus jamais entendu parler de rien et j’étais fermement convaincu que l’ordre n’avait pas été donné.

C’est dans ce sens également que j’ai déposé lors de l’instruction préalable. Mais je viens d’apprendre, par l’intermédiaire de mon défenseur, que la secrétaire du chef du service des prisonniers de guerre s’est offerte, de sa propre initiative, à témoigner que l’ordre avait été retenu et qu’il ne devait pas être transmis. C’est elle-même qui en avait assumé la réception. Lors de sa déposition, il est vrai, elle a précisé que cela n’avait eu lieu que quelques jours après que l’ordre eût été déjà donné ; ce qui explique que, lorsque l’ordre a été retrouvé au bureau de Police, il ne portait pas la mention « A annuler ».

Dr NELTE

Monsieur le Président, cette déposition sous serment du témoin, qui vient d’être mentionnée, sera présentée par mes soins en temps opportun. (Au témoin.) Nous en arrivons maintenant au cas Sagan. Au début, le Ministère Public vous a accusé d’avoir donné l’ordre d’exécuter 50 officiers de la Royal Air Force nui s’étaient évadés du Stalag Luft III à Sagan ; je ne sais si le Ministère Public maintient encore aujourd’hui cette lourde charge présentée contre vous. après l’audition du maréchal Göring et du témoin Westhoff en dehors de la salle d’audience. Le Ministère Public m’a remis le procès-verbal de l’interrogatoire de Westhoff, procès-verbal qui vous a été également présenté, et je voudrais vous prier — pour compléter ce qu’a dit le témoin Westhoff préalablement et ce qu’il dira ici ultérieurement — de dire ce que vous savez vous-même au sujet de cet événement d’une extraordinaire gravité. Je vous en prie.

ACCUSÉ KEITEL

Les faits ont débuté par le rapport qui m’a été fait, un matin, sur l’évasion, et qui me fut confirmé par l’annonce qu’environ quinze des officiers évadés avaient été repris dans les environs immédiats du camp. Lors du rapport de midi, à Berchtesgaden, ou plus exactement au Berghof, j’avais l’intention de ne pas relater ce fait extrêmement désagréable, en raison du fait que c’était la troisième évasion massive qui se produisait dans un court espace de temps, et cela dans l’espoir qu’au cours de la journée — il n’y avait de cela que de dix à douze heures — la majorité des évadés auraient été repris et qu’ainsi cette affaire aurait pu avoir une heureuse solution. Pendant le rapport, Himmler apparut. C’était, je crois, à la fin de la réunion, qu’il fit un exposé des faits : il avait déjà, selon son habitude, engagé en grand une recherche des prisonniers évadés. Ce qui amena une discussion des plus violentes, un heurt brutal entre Hitler et moi, car il m’adressa tout de suite les reproches les plus insensés sur cet incident. Dans le compte rendu de Westhoff, les faits sont parfois rapportés d’une façon incorrecte. C’est pourquoi j’en fais ici un récit détaillé. Au cours de cette altercation, le Führer déclara, exaspéré : « Ces prisonniers ne seront pas rendus à la Wehrmacht ; ils resteront à la Police ». J’élevai les plus violentes protestations, car il s’agissait là d’un procédé inadmissible. Le ton monta de telle sorte que Hitler insista de nouveau et dit : « J’ordonne qu’ils restent chez vous ; Himmler, vous ne les rendrez pas ! » Je luttai encore en faveur de ceux qui étaient revenus et qui, d’après l’ordre primitif, devaient quitter le camp et être livrés à la Police. J’obtins gain de cause. C’est tout ce que j’ai pu obtenir. Après cette scène d’une violence exceptionnelle...

Dr NELTE

Dites-moi, je vous prie, qui était présent à cette scène.

ACCUSÉ KEITEL

Il y avait là, je crois, le général Jodl, qui a assisté à une partie de la discussion sans avoir tout entendu parce que, tout d’abord, il était dans la pièce voisine ; en tout cas, Jodl et moi, quand nous sommes rentrés au Quartier, nous avons discuté le cas et parlé des conséquences très graves que pourrait avoir cet incident. En rentrant au Quartier, je fis venir immédiatement le général von Graevenitz qui devait me faire un rapport le lendemain matin sur ces événements.

Je dois préciser ici que le maréchal Göring n’était pas présent ; si j’ai semblé hésiter sur ce point, lors de mon interrogatoire, c’est qu’on m’avait dit que des témoins avaient affirmé que Göring était présent. D’avance, je considérais le fait comme improbable et douteux ; il est en conséquence inexact que Göring m’ait alors adressé le moindre reproche. De même, aucun colloque n’a eu lieu à Berlin. Ce sont là des erreurs qui, je crois, doivent trouver leur explication dans le fait que, pendant le rapport, Graevenitz, qui avait amené le général Westhoff et qui me vit alors pour la première fois, a assisté à une scène d’une violence inusitée dans les milieux militaires. Quels termes j’ai dû employer à cette occasion !

Dois-je continuer au sujet du colloque Graevenitz ?

Dr NELTE

Ce qui m’intéresse, en l’occurrence, c’est de savoir uniquement si, dans la façon dont vous avez interprété l’ordre de Hitler, vis-à-vis de Graevenitz, celui-ci, ainsi que Westhoff, qui était présent pouvaient être d’avis que vous aviez donné l’ordre de fusiller les aviateurs qui avaient tenté de s’évader ?

ACCUSÉ KEITEL

D’après le procès-verbal de l’interrogatoire de Westhoff que j’ai lu, je peux, je crois, éclaircir ce point de la façon suivante : j’ai élevé d’abord les plus vives contestations, j’étais moi-même terriblement excité, car je dois avouer que seul l’ordre suivant lequel les prisonniers devaient rester au pouvoir de la Police me causa déjà une extrême inquiétude sur leur sort. Je le dis franchement parce que j’ai eu naturellement conscience d’une possibilité d’exécution pendant la fuite. J’ai alors parlé sûrement dans un état d’extrême énervement, sans peser mes mots le moins du monde, et j’ai certainement aussi répété les paroles de Hitler : « Nous devons faire un exemple » parce que je craignais de graves empiétements dans le domaine des prisonniers de guerre, plus graves encore que la non-restitution des évadés à la Wehr-macht ; de même, j’aurais dit, d’après le procès-verbal de Graeve-nitz, ou plutôt de Westhoff : « Ils vont être fusillés, la plupart sont déjà morts ». J’aurais aussi prononcé des paroles analogues telles que : « Vous verrez ce que cela signifie comme conséquences malheureuses ; il est bien possible qu’il y en ait déjà de fusillés ». Que des exécutions eussent déjà eu lieu, je n’en savais rien, et je dois confesser, qu’en ma présence, Hitler n’a jamais parlé d’une exécution quelconque. Il a dit simplement à Himmler : « Vous les garderez, vous ne les rendrez pas ! » Ce n’est que quelques jours après que j’ai appris que des exécutions avaient en fait eu lieu. Par la lecture du rapport du Gouvernement britannique, j’ai également su que c’est seulement le 31 que les premières exécutions avaient eu lieu Quant à l’évasion, elle datait du 25.

De même, Westhoff se trompe aussi quand il croit qu’un ordre avait déjà été donné dans le camp, d’afficher des listes nominatives mentionnant qu’untel ou untel avait été fusillé ou n’était pas revenu. Cet ordre ne vint qu’après, et je m’en souviens pour la raison que voici : un des jours suivants, le 31 je crois, un des officiers d’ordonnance me dit avant le rapport qu’un avis annonçait que des exécutions avaient eu lieu Je demandai une audience à Hitler en tête-à-tête et lui dis que j’avais appris la nouvelle que la Police avait procédé à des exécutions. Il me répondit simplement qu’il en avait été informé ; il était lui-même à l’origine de cette annonce. Je lui en exprimai ma plus vive indignation. Il répliqua qu’il fallait l’afficher dans le camp pour effrayer les autres. L’annonce n’en fut faite dans le camp qu’ultérieurement. En tout cas, les souvenirs tels qu’ils sont rapportés par Westhoff dans sa déclaration sous serment ne correspondent pas à la vérité, de même que les expressions telles qu’il les rapporte et qui ont été prononcées ici par moi-même Nous l’entendrons encore à ce sujet.

Dr NELTE

Hitler vous a-t-il jamais dit qu’il avait ordonné ces exécutions ?

ACCUSÉ KEITEL

Non, il ne me l’a jamais dit. Je n’ai jamais appris cela de lui. Je ne l’ai su que beaucoup plus tard, autant que je m’en souvienne, par le maréchal Göring, avec qui il va de soi que toute cette affaire a été l’objet de nombreuses discussions, puisqu’il s’agissait d’un camp d’aviateurs.

Dr NELTE

Pour en terminer avec vous, vous maintenez ici sous serment n’avoir jamais donné un tel ordre d’exécution des officiers de la Royal Air Force ni avoir reçu et transmis un tel ordre, ni avoir su qui donna cet ordre ?

ACCUSÉ KEITEL

C’est exact : je n’ai ni reçu cet ordre, ni entendu parler de cet ordre, ni donné un tel ordre. Je le dis et le répète sous la foi du serment.

Dr NELTE

Nous en arrivons maintenant aux déportations. Ce que le Ministère Public comprend par l’expression de déportation de travailleurs, comme vous l’avez entendue ici, c’est le transfert en Allemagne de citoyens des territoires occupés, aptes au service, ou dans d’autres territoires occupés, en vue de leur utilisation pour un « travail d’esclave » à des ouvrages de défense ou pour un travail quelconque inhérent à la guerre et aux obligations qui en découlent. Telle est l’accusation que je vous ai lue. Or, le Ministère Public a mêlé votre nom à ce sujet, à plusieurs reprises, en signifiant que vous (c’est-à-dire l’OKW), aviez participé à l’incorporation de travailleurs à l’industrie de guerre. Vous savez que l’accusé Sauckel avait pleins pouvoirs dans ce secteur. Je vous pose donc la question : avant qu’il eût été investi de ces fonctions, avait-on déjà procédé à des transports de main-d’œuvre des territoires occupés en Allemagne ?

ACCUSÉ KEITEL

A ma connaissance on a procédé avant cette époque déjà à des transferts de main-d’œuvre des territoires occupés, particulièrement de l’Ouest, Belgique, Hollande ; je ne suis pas sûr pour la Hollande, mais des travailleurs français furent transférés en Allemagne et, ainsi que je l’ai entendu dire alors, par recrutement de volontaires. Je crois me souvenir que le général von Stülpnagel, commandant militaire de Paris, m’a dit à Berlin, lors d’une conférence, que plus de 200.000 volontaires étaient partis pour l’Allemagne. A quelle époque, je ne puis m’en souvenir.

Dr NELTE

Est-ce que l’OKW était compétent en la matière et avait voix au chapitre ?

ACCUSÉ KEITEL

Non, l’OKW n’avait absolument rien à y voir. Ces question étaient traitées, en passant par la filière normale, OKH, commandant militaire en France, en Belgique et dans le nord de la France, avec les autorités centrales compétentes du Reich. L’OKW n’a jamais eu à intervenir.

Dr NELTE

Quelle était la situation en regard de l’administration civile dans les territoires occupés ?

ACCUSÉ KEITEL

Dans les territoires occupés, vis-à-vis des administrations civiles, la Wehrmacht était absolument dépourvue de tout pouvoir d’exécution. En conséquence, dans ces territoires, la Wehrmacht et ses bureaux n’avaient pas à s’en préoccuper. C’est seulement dans les territoires qui étaient encore zone d’opérations que les militaires, c’est-à-dire les commandants en chef, les chefs d’armée, avaient le pouvoir exécutif. Mais l’OKW n’intervenait pas dans ces questions.

Dr NELTE

D’après un procès-verbal d’audition qui a été produit ici, l’accusé Sauckel a déclaré qu’il appartenait à vous ou à l’OKW de donner des instructions aux commandants militaires des territoires occupés et que lui, Sauckel, durant sa campagne de recrutement, avait à compter sur leur appui, pour le maintien des contingents. Qu’avez-vous à dire à cela ?

ACCUSÉ KEITEL

Cette conception de la part du Commissaire général Sauckel s’explique par le fait qu’il ignorait tout de l’étendue des compétences de la Wehrmacht, comme de la voie hiérarchique, concernant ces questions ; ensuite, qu’il a constaté ma présence une ou deux fois lors des pourparlers concernant l’embauchage de travailleurs ; enfin, qu’il se rendit occasionnellement chez moi après avoir fait seul son rapport et reçu ses ordres. Il se conformait à sa mission quand Hitler se plaisait à dire : « Allez voir le chef de l’OKW, il fera le nécessaire », mais l’OKW n’avait rien à y voir ; il n’avait pas à donner d’ordres. Je me suis chargé, il est vrai, en ce qui concerne Sauckel, d’informer l’OKH ou les bureaux du Generalquartiermeister. Mais je n’ai jamais donné d’ordres aux commandants militaires ni même d’instructions à aucun bureau des territoires occupés. Cela ne rentrait pas dans les attributions de l’OKW.

Dr NELTE

Un document a été produit ici, selon lequel les généraux Stapf et Nagel étaient d’accord pour vous demander d’avoir recours à la pression, même à la force, au cours des opérations de recrutement dans l’Est ; c’est ce que prétend l’Accusation. Connaissez-vous cette allégation ?

ACCUSÉ KEITEL

Cela m’a été remis en mémoire par la production de ce document. C’était évidemment une tentative de la part de Stapf, qui avait été sous mes ordres assez longtemps, d’obtenir un appui ou une aide du Führer par mon entremise. Il était patent que cette tentative émanait de Stapf, alors directeur du département économique pour l’Est et le général Nagel qui était aussi mentionné, je crois, dirigeait l’inspection du département économique pour l’Est ; on voulait m’impliquer dans cette question et, comme il est dit dans le document, il fallait qu’une pression s’exerçât d’un échelon supérieur. Mais je n’entrai aucunement dans cette combinaison qui ne me regardait nullement.

Dr NELTE

J’en arrive maintenant au chapitre du pillage des œuvres d’art.

LE PRÉSIDENT

Peut-être pourrions-nous suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr NELTE

Le Ministère Public français, entre autres accusations, a élevé contre vous le reproche d’avoir donné des instructions sur la sauvegarde et la confiscation des objets d’art, bibliothèques et autres objets précieux. Avant les campagnes de l’Ouest et de l’Est, n’y a-t-il pas eu des ordres, des instructions, des directives quelconques se rapportant aux objets d’art, aux bibliothèques des territoires qui devaient être éventuellement occupés, et à l’attitude à prendre à cet égard ?

ACCUSÉ KEITEL

Non, à ma connaissance, il n’a rien existé de semblable, même en considération des scrupules de toute nature, inhérents à l’état de guerre. Je n’ai pas connaissance que des précautions quelconques aient été prises dans ce sens.

Dr NELTE

Je vais vous faire remettre trois documents produits par le Ministère Public français, dans lesquels vous êtes mentionné conjointement avec l’État-Major Rosenberg, et dont il a été fait mention ici à maintes reprises. Ce sont les documents PS-137, PS-138 et PS-140 ; ce sont les lettres identiques de l’OKW au Commandant en chef des armées en France et aux Pays-Bas.

ACCUSÉ KEITEL

Les deux premiers documents, PS-137 et PS-138 émanent du Quartier Général, ou ont été dictés en partie par moi et adressés à des formations de l’Armée. Il y est mentionné :

« Au Commandant en chef de l’Armée » ; une autre fois : « Au commandant de la Wehrmacht aux Pays-Bas et au Commandant en chef de l’Armée en France occupée ». Ces lettres ont été provoquées partiellement par des questions posées par des bureaux militaires qui se considéraient comme responsables de la sauvegarde ou de la sécurité de tout ce qui se trouvait dans les territoires occupés, comme aussi de services qui, manifestement, rassemblaient les objets d’art, les bibliothèques, etc., les examinaient, les enregistraient, et, d’une façon ou d’une autre, voulaient les réquisitionner. Je fus, une fois, appelé au téléphone par le Commandant en chef de l’Armée de terre, je crois, qui éleva une protestation à ce sujet ; d’autres fois aussi par le Reichsleiter Rosenberg. Le Führer me donna des directives selon lesquelles les bureaux devaient se tranquilliser et se mettre d’accord : il s’agissait d’instructions que lui-même avait données, et il les approuvait. On peut déjà se rendre compte que ce n’est pas un service de l’OKW mais que c’est mon officier d’ordonnance qui a signé les papiers. Je les ai dictés sur l’ordre du Führer et je les ai expédiés. Peut-être ces questions sont-elles survenues précisément parce que rien n’avait été prévu ni organisé dans ce domaine. Que sont devenus ces objets d’art ? Je n’en sais rien. A mon point de vue, il s’agissait de les mettre en sûreté. Il n’avait jamais été question de transports, de réquisitions ou d’expropriations. Ce n’est pas dans mon entourage que la question a surgi ; j’ai simplement donné brièvement ces instructions et ne me suis pas autrement soucié de ces choses. J’ai supposé qu’il s’agissait de mesures de sécurité et ne les ai pas crues inutiles.

Dr NELTE

Vous voulez dire que l’OKW, en ces matières, n’avait aucune compétence ?

ACCUSÉ KEITEL

C’est cela même.

Dr NELTE

Il s’agissait donc d’une transmission de lettres aux bureaux militaires, leur faisant connaître la volonté du Führer pour faciliter le travail de Rosenberg ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, c’est cela.

Dr NELTE

Je voudrais, à ce sujet, vous poser une question qui vous concerne personnellement. Vous êtes-vous jamais approprié quelque chose des objets d’art des territoires occupés, qu’ils soient propriété privée ou publique, ou un bureau, quel qu’il soit, vous en a-t-il fait parvenir une pièce quelconque ?

ACCUSÉ KEITEL

Non, je n’ai jamais été impliqué en rien dans ces sortes de choses.

Dr NELTE

Nous en arrivons maintenant à ce qui a été appelé « l’exploitation économique des territoires occupés ». Il vous est reproché, en votre qualité de chef de l’OKW, d’avoir coopéré au pillage économique des territoires occupés de l’Est et de l’Ouest. Cette question a déjà été discutée lors de l’audition du maréchal Göring. C’est pourquoi je suis en mesure de traiter cet ensemble de questions assez brièvement ; mais il est également nécessaire d’entendre clairement de vous dans quelle mesure l’OKW et vous-même étiez mêlés à ces questions, car vous, personnellement, ainsi que l’OKW, êtes mentionnés fréquemment. En outre, le service de l’Économie et de l’Armement, section de l’OKW, avait préparé un travail à ce sujet, dont son chef, le général Thomas, est l’auteur, et qui a été produit par le Ministère Public. Que direz-vous sur ce sujet, si l’on vous montre les documents PS-1157 et URSS-80 ?

ACCUSÉ KEITEL

Le document PS-1157 traite du « Cas Barbarossa-Oldenburg ». J’en donnerai les explications suivantes : le service de l’Économie de guerre, qui avait remplacé à cette époque le service de l’Économie et de l’Armement avait, sous la direction du général Thomas, en s’inspirant de l’organisation de l’Économie de guerre du Reich, qui possédait des bureaux auprès des commandants de chaque région militaire, d’abord pour la campagne de l’Ouest et ensuite pour la campagne « Barbarossa » à l’Est, pris des dispositions tendant à ce que fussent affectés, tant auprès des Hauts Commandements que des commandements d’armées, des conseillers et un personnel spécialisé dans les questions de ravitaillement et un certain nombre de petites unités appelées unités de l’économie de campagne. Ce personnel, incorporé dans les états-majors des commandements des armées, avait pour tâche, dans les pays occupés ou conquis, de se saisir immédiatement de tous les approvisionnements en carburants, en vivres, de tout ce qui pouvait être de suite utilisable pour la troupe, de mettre tout en sûreté ou d’en assurer la conservation et de les tenir ensuite à la disposition des combattants, avec l’Oberquartiermeister qui ravitaillait l’Armée, et un intendant qui assurait ce ravitaillement. Autant que des constatations ont pu être faites essentiellement en France et en Belgique, du point de vue économique également, ces indications devaient servir de base à une utilisation ultérieure. Quant à l’Est, le maréchal Göring l’a, je crois, déjà exposé explicitement, il a été procédé sur une tout autre base, c’est-à-dire non seulement en ce qui concernait l’approvisionnement, mais aussi l’exploitation du territoire occupé. Ce fut une organisation de longue haleine, désignée alors sous le vocable « d’organisation économique Ost-Oldenburg ». La liaison avec l’OKW, d’un caractère limité, provient de ce que les préparatifs nécessaires à la constitution des organismes et des bureaux techniques indispensables devaient être faits en collaboration avec le ministère de l’Économie, le Plan de quatre ans et le ministère du Ravitaillement : telle fut l’organisation économique Oldenburg. L’OKW et son chef, c’est-à-dire moi, n’ont pas eu à intervenir en quoi que ce soit, ni à donner des ordres, ni à exercer une influence quelconque ; l’organisation était créée, prête à fonctionner et à la disposition de celui qui était chargé de mettre cette machine en marche, de lui donner des missions et de travailler avec elle. Si donc le général Thomas, dans son gros livre, produit ici aussi comme document, a...

Dr NELTE

PS-2353, page 386. Vous pourriez peut-être nous en donner un résumé quand vous l’aurez parcouru.

ACCUSÉ KEITEL

Oui, c’est un extrait du livre du général Thomas, qui décrit sa propre activité et celle de l’organisation qu’il dirigeait alors à l’OKW, depuis le début jusqu’aux années de guerre ; il dit ici : « L’activité du service de l’Économie et de l’Armement durant la campagne de l’Est consistait principalement à diriger l’organisation de l’appareil économique en fonctionnement et à assister aux délibérations de l’État-Major économique Ost ».

Dr NELTE

Lisez seulement le paragraphe 4 pour le résumer.

ACCUSÉ KEITEL

& Pour la direction générale économique de tout le territoire de l’Est, c’était l’État-Major économique Ost qui, lié au Plan de quatre ans en tant que « Barbarossa-Oldenburg », était responsable ; pour les instructions techniques, les secrétaires d’État dans cet État-Major économique ; le responsable de l’organisation était le service du général Thomas et pour l’exécution de toutes les mesures, l’État-Major de la direction économique Ost sous la direction et le commandement du maréchal Göring ».

Dr NELTE

Quelles étaient les conditions dans l’Ouest ?

ACCUSÉ KEITEL

J’ai dépeint brièvement le petit groupe d’experts incorporé à l’Ouest et aux commandements en chef dans les sections. Tant qu’il s’est agi, plus tard, dans les territoires occupés, du ravitaillement courant des besoins quotidiens, y compris les carburants, toute la conduite économique fut attribuée au début de juin, comme je l’ai déjà mentionné, par une prescription spéciale que le maréchal Göring a déjà nommée, au Plan de quatre ans et à ses exécutants. C’était un décret du Führer.

Dr NELTE

C’est déjà exposé dans le document PS-2353 déjà mentionné du général Thomas, page 304. Je n’ai pas besoin de le lire et je demande au Tribunal de bien vouloir m’autoriser, pour éviter de poser d’autres questions à ce sujet, à lire l’affidavit de l’accusé, contenu dans le deuxième livre de documents et désigne sous le numéro K-11, et que je produis comme pièce à conviction. Je suppose que le Ministère Public sera d’accord avec moi.

LE PRÉSIDENT

Quel numéro a-t-il dans le livre de documents ?

Dr NELTE

Pièce 4 du deuxième livre de documents. C’est à la page 27 et suivantes de ce livre n° 2 qui vous a été transmis. Cette pièce porte la date du 29 mars 1946.

LE PRÉSIDENT

Quelle date dites-vous ?

Dr NELTE

Le 29 mars 1946. Je crois que dans le livre de documents il n’y a pas de date. J’ai l’original ici, que je vais vous transmettre.

LE PRÉSIDENT

Quel est le titre de cette pièce ? Nous avons ici un document du 4 mars 1946 intitulé : « Direction de l’Économie de guerre et de l’Armement ». Est-ce exact ?

Dr NELTE

Le document a été rédigé le 4 mars 1946, mais la déposition sous serment a été ajoutée le 29 mars au bas du document.

LE PRÉSIDENT

Mais il me semble que cela ait été fait le 8 mars. S’agit-il de ce document ?

Dr NELTE

« La direction de l’Économie et de l’Armement à l’OKW ». C’est possible, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

C’est écrit ici.

Dr NELTE

En tout cas, aucun doute ne subsiste quant à l’identité. (Au témoin.) J’en arrive au sujet qui, toujours et toujours, est rappelé ici et qui, pour cette raison, est si difficile ; il est si peu compris, que ces questions doivent être posées. On vous a fait le reproche qu’en votre qualité de membre du Gouvernement vous deviez ou auriez dû ne pas ignorer ce qui se passait dans les camps de concentration, ainsi que le prétend l’Accusation. C’est pourquoi il me faut vous poser cette question : que saviez-vous sur l’existence des camps de concentration ? Qu’en connaissiez-vous exactement ? De quelle façon êtes-vous entré en contact avec ces camps ? Connaissiez-vous leur existence ? Saviez-vous qu’il existait des camps de concentration ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, je savais, déjà avant la guerre, qu’il existait des camps de concentration ; si je n’en connaissais que deux de nom, j’ai supposé et admis qu’il y en avait eu ou qu’il y en avait encore d’autres. Mais je ne savais aucun détail sur leur existence. Quant aux détenus qui étaient dans ces camps, je savais que c’étaient de criminels dits de droit commun et des adversaires politiques. Ainsi que l’a dit ici le maréchal Göring, c’était là la raison de cette institution elle-même.

Dr NELTE

Avez-vous su comment ces gens étaient traités dans les camps ?

ACCUSÉ KEITEL

Non, je n’ai jamais eu de détails à ce sujet. J’en ai simplement été amené à conclure qu’il s’agissait d’une détention rigoureuse ou devant être suivie de mesures disciplinaires sous de certaines conditions. Mais j’ignorais tout de ce qui a été dit ici, notamment des mauvais traitements subis par les détenus, torture, etc. J’ai essayé deux fois de venir en aide à deux personnes. La première fois, d’accord avec le Grand Amiral Raeder : il s’agissait du pasteur Niemöller. J’ai tenté, avec l’aide de Canaris et à la demande de l’amiral, de faire libérer Niemöller. La tentative a échoué. Une deuxième fois à la demande d’une famille de mon village, au sujet d’un paysan qui était là pour des raisons politiques. J’ai été plus heureux : il a été libéré. Cela se passait en automne 1940. Je lui ai parlé, je lui ai demandé ce qui se passait là-bas : il m’a répondu d’une façon vague qu’il n’avait manqué de rien, sans autres détails. Je n’ai rien su d’autre.

Dr NELTE

Lors de cette conversation, aviez-vous l’impression qu’il n’était rien arrivé à cet homme ?

ACCUSÉ KEITEL

Sans aucun doute, l’homme ne faisait pas d’autre impression. Je ne l’ai pas vu immédiatement après sa libération, seulement plus tard, à l’occasion d’un séjour dans son pays. Je lui ai parlé alors parce qu’il m’a remercié. Mais il n’a fait allusion ni à des mauvais traitements ni à quelque chose de semblable.

Dr NELTE

Il a été dit ici que, dans de tels camps, de ci, de là, des visiteurs étaient venus, qui faisaient partie de la Wehrmacht, aussi des officiers, même des officiers supérieurs. Comment vous expliquez-vous cela ?

ACCUSÉ KEITEL

Je suis convaincu que cela est survenu à la suite d’invitations de Himmler car, à moi personnellement, il a fait parvenir une fois une semblable invitation. Je devais, de Munich, aller voir le camp de Dachau qu’il voulait me faire visiter. Je sais aussi que des officiers et des commissions plus ou moins importantes ont circulé dans des’ camps de concentration pour les inspecter. Mais je ne crois pas avoir besoin de discuter ici comment on a procédé au sujet de ce qui a été montré. Je veux seulement ajouter qu’il n’en était pas ainsi ; qu’on n’entendait même pas dire :

« C’est dans le camp que tu finiras », ou : « Il se passe ici toutes sortes de choses ». Mais ce que je sais bien, c’est que si quelqu’un était venu me parler de tels bruits ou faire de telles déclarations et que je lui eus répondu : « Que savez-vous et d’où et de qui le tenez-vous ? » alors, cette personne aurait répliqué : « Je ne sais pas, je l’ai entendu dire » ; de sorte que l’on a pu se faire des idées, mais jamais une idée de la réalité de ces choses ; on n’a jamais appris ni ne pouvait apprendre quelque chose de réel.

Dr NELTE

Vous avez entendu dire aussi que des détenus avaient servi de sujets à des expériences médicales et qu’elles étaient pratiquées avec l’approbation des autorités supérieures. Je vous demande si vous en avez été informé personnellement, ou par l’OKW ?

ACCUSÉ KEITEL

Non ; ni par le service, ni autrement, je n’ai jamais entendu parler de ces choses, qui ont été traitées ici en détail, à savoir les expériences médicales sur des détenus.

Dr NELTE

J’en arrive maintenant à la question finale se rapportant à l’allégation du Ministère Public, selon laquelle vous auriez eu l’intention, ou tout au moins que vous auriez participé aux efforts déployés en vue d’assassiner le général Weygand et le général Giraud. Vous savez que le témoin Lahousen, le 30 novembre 1945, entendu ici en qualité de témoin, a déclaré que l’amiral Canaris, pendant un certain temps, en novembre-décembre 1940, aurait été poussé par vous à supprimer le général Weygand, chef de l’État-Major français. Lahousen a alors ajouté qu’après un entretien avec ses chefs de service, il s’en serait ouvert à vous. Avez-vous parlé à Canaris du cas du général Weygand ?

ACCUSÉ KEITEL

C’est parfaitement exact et pour ce motif qu’à cette époque nous avions des informations selon lesquelles le général Weygand séjournait en Afrique du Nord, visitant les troupes et procédant à une inspection des troupes coloniales. Je considère qu’il était tout à fait naturel que je dise alors à Canaris, chef du service de renseignements, qu’il devait être facile de constater dans quel but et en quels lieux le général Weygand se déplaçait, si cela n’avait pas une importance du point de vue militaire, en vue d’une mise sur pied ou de mesures analogues concernant les troupes coloniales en Afrique du Nord. En somme, la mission de s’informer, par les moyens du service de renseignements, a dû être donnée.

Dr NELTE

Je suppose aussi d’observer ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui.

Dr NELTE

Est-ce qu’il était possible à vos services de renseignements d’envoyer du monde en Afrique du Nord ?

ACCUSÉ KEITEL

Je crois qu’il y avait un canal d’informations, passant par le Maroc espagnol et je sais que Canaris entretenait des relations par l’Espagne avec le Maroc, par et pour le service de renseignements.

Dr NELTE

Ma question avait pour objet de savoir si, d’après les accords avec la France, il existait une possibilité officielle de se rendre en Afrique du Nord ?

ACCUSÉ KEITEL

Il va de soi que c’était possible, car depuis l’armistice nous avions des commissions de désarmement aussi bien en Afrique du Nord qu’en France. Nous y avions plusieurs services nécessités par le contrôle du désarmement des troupes africaines.

Dr NELTE

Quel intérêt y aurait-il pu avoir, ou y aurait-il pu avoir un intérêt quelconque à vouloir du mal au général Weygand ? Était-il un adversaire déclaré de l’Allemagne par la politique qu’il s’efforçait de poursuivre, ou alors pour quelle raison ?

ACCUSÉ KEITEL

Pour juger les circonstances qui ont donné lieu à cette conception, quelque peu fantaisiste, que le général Weygand était, en quelque sorte, disons gênant, il n’y avait absolument aucun motif. En raison des relations nouées en septembre-octobre de la même année avec le maréchal Pétain et de la politique de collaboration bien connue qui, au cours de l’hiver 1940-1941, avait atteint son point culminant, il eût été absurde d’avoir l’idée de vouloir supprimer le chef d’État-Major du maréchal, et ce n’était nullement compatible avec la solution politique générale du problème nord-africain. En hiver de 1940-1941, nous avions libéré un grand nombre d’officiers et de soldats de métier de l’armée coloniale française pour qu’ils fussent utilisés dans le service colonial. Il y avait aussi parmi eux des généraux, en particulier, je m’en souviens, le général Juin qui, à notre connaissance, avait été, des années durant, chef d’État-Major en Afrique du Nord. Il n’y avait donc pas le moindre motif d’en vouloir au général Weygand et même d’avoir cette pensée.

Dr NELTE

Est-il exact qu’il y a eu des conversations avec l’Etat-Major français et Laval pour des opérations communes en Afrique et l’envoi de renforts dans l’Ouest africain ?

ACCUSÉ KEITEL

C’est exact. Il doit se trouver parmi les documents de la Commission française d’Armistice un nombre considérable de documents sollicitant des concessions de toutes sortes pour l’Afrique du Nord, en particulier pour le Centre et l’Ouest africain, en raison de ce que, déjà au cours de l’hiver 1940-1941, des soulèvements s’étaient produits en Afrique centrale, contre lesquels le Gouvernement français voulait prendre des mesures. En outre, au cours du printemps 1941, des conversations eurent lieu à Paris avec l’État-Major français qui durèrent plusieurs jours, en vue des préparatifs d’opérations auxquelles la Wehrmacht, qui se trouvait déjà à Tripoli avec des troupes, pensait participer, dans le secteur italien.

Dr NELTE

Ainsi donc, il n’y aurait tout d’abord aucun motif...

ACCUSÉ KEITEL

Non.

Dr NELTE

Mais, tout de même, au cours des conversations avec Canaris, il a dû être exprimé quelque chose qui a dû provoquer ce malentendu. Ne pouvez-vous me dire quelque chose de positif qui aurait pu amener ce malentendu ?

ACCUSÉ KEITEL

Selon l’exposé très complet de Lahousen au cours de son interrogatoire, cela ne peut se rapporter qu’au fait que, lors d’une conférence ultérieure, je lui ai demandé : « Où en est-on avec Weygand ? » Peut-être que le général Lahousen en a déduit d’une façon quelconque, dans le sens qu’il a déclaré — il disait seulement : « d’après le sens » — qu’il s’agissait de le supprimer. Et à la question : « Qu’est-ce que cela signifie ? » « Tuer », dit-il alors. C’est donc à cela qu’il faut ramener l’affaire, vraisemblablement. Je dois faire la remarque que Canaris était souvent seul avec moi, mais a amené aussi fréquemment ses chefs de service et, dans nos conversations seul à seul, je crois qu’il exprimait son opinion en toute sincérité. S’il m’avait mal compris, la question aurait été éclaircie. Mais il n’a jamais rien dit.

Dr NELTE

Vous rendez-vous bien compte que, si l’on veut prendre en considération la suppression de Weygand, ceci eût été, sans aucun doute, un acte politique d’une haute importance ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, bien entendu. Dans ce jeu que jouait Adolf Hitler avec le maréchal Pétain, c’eût été certainement un des actes politiques les plus graves qui eussent pu être imaginés à cette époque.

Dr NELTE

Vous croyez aussi que si cela était arrivé, une rupture de la politique inaugurée par Hitler se serait produite ?

ACCUSÉ KEITEL

C’est indiscutable, il aurait fallu s’y attendre.

Dr NELTE

Uniquement en considération de l’importante personnalité du général Weygand ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, c’est cela.

Dr NELTE

Pouvez-vous encore me donner des éclaircissements quelconques ou une raison établissant que ce qui vous est imputé et qui, Dieu merci, n’est jamais devenu réalité, est dénué de fondement ?

ACCUSÉ KEITEL

Bien que le fait remonte à une époque très lointaine, c’est-à-dire le transfert du général Weygand en Allemagne par suite de l’occupation de la zone, libre jusque là, je tiens seulement de Hitler lui-même qu’il avait donné l’ordre que le général fût interné dans sa propre maison et qu’il ne fût pas importuné par une garde. Il s’agissait donc d’une détention honorable et non d’une captivité ordinaire. C’était en 1942.

Dr NELTE

Pour conclure, vous contestez donc à nouveau sous serment d’avoir jamais donné d’ordre ou de vous être exprimé de façon telle qu’on pût en conclure que vous aviez l’intention ou que vous désiriez que le général Weygand fût supprimé ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, je puis expressément vous le confirmer à nouveau.

Dr NELTE

Or, le témoin Lahousen a parlé aussi du cas du général Giraud, et il a fait un exposé analogue à celui qui concerne le cas Weygand. Dans les deux cas, il n’a pas été en mesure de dire s’il eut personnellement connaissance que vous aviez donné cet ordre. Mais il a répété que Canaris l’avait dit, en le complétant par diverses questions. Je vous prie donc de nous exposer le cas Giraud, qui a soulevé alors, comme ici même, une grosse émotion, tel que vous le connaissez, et de nous préciser votre participation aux conversations concernant Giraud.

ACCUSÉ KEITEL

L’évasion du général Giraud de la forteresse de Königstein, près de Dresde, le 19 avril 1942, fit sensation et me valut, il est vrai, des reproches très durs, sur la surveillance de ce camp de généraux qui était constitué par une forteresse militaire. L’évasion a réussi, malgré tous les efforts déployés pour reprendre le général en route vers la France, aussi bien du côté militaire que de la part de la Police. Canaris avait reçu de moi l’ordre de faire surveiller surtout les issues des frontières vers la France et l’Alsace-Lorraine avec une extrême rigueur, pour saisir le général en fuite. La Police aussi s’y employa. Puis, huit ou dix jours après l’évasion, on apprit que le général était arrivé indemne en France. En admettant que pendant cette poursuite des ordres aient été donnés par moi, j’ai dit alors ici, lors de mon interrogatoire, que ces mots avaient pu être prononcés : « Il faut rattraper l’homme, le général, mort ou vif ». J’aurai dit sans doute quelque chose de semblable. Il avait fui, et il était en France.

Deuxième phase. Les efforts tentés par l’intermédiaire de l’ambassade — Abetz — et le ministre von Ribbentrop pour amener le général à retourner volontairement en captivité ne semblaient pas devoir être voués à un échec, ni impossibles, car le général s’était déclaré disposé à se rendre en territoire occupé et à en parler. J’étais d’avis que c’était possible, que le général le ferait, en raison des grandes facilités dont le maréchal Pétain avait bénéficié jusque là en manifestant son désir personnel de voir libérer tel ou tel général français. La rencontre eut donc lieu avec le général Giraud en territoire occupé, et même au siège d’un état-major de corps d’armée allemand, où fut discuté son retour. Je fus informé par téléphone, par le commandant militaire, de la présence du général en territoire occupé, dans cet hôtel où habitaient les officiers allemands.

Proposition du général commandant de corps : si le général refusait de retourner volontairement en captivité, c’était un jeu de l’arrêter ; il en donnait l’autorisation. J’ai tout de suite refusé catégoriquement, car je considérais cela comme un abus de confiance envers le général qui, lui, était venu en toute confiance et s’attendait à être traité d’une façon adéquate. Il est reparti indemne et sans être inquiété.

Troisième phase. La tentative, le désir de voir peut-être une fois encore, d’une façon ou d’une autre, le général en lieu sûr, provient de ce que Canaris m’informa que la famille du général se trouvait en territoire occupé par les troupes allemandes et qu’il était évident qu’il tenterait de rendre visite à sa famille, si, après un certain temps, l’oubli s’était fait. Il me proposa donc de faire le nécessaire et, au cas où le général ferait cette visite en territoire occupé, de profiter de l’occasion pour le reprendre. Canaris devait se charger personnellement des préparatifs nécessaires grâce au service de renseignements et aux bureaux qu’il avait à Paris à cet effet. Rien ne s’est passé dans les semaines qui suivirent. Il est donc naturel que j’aie demandé plusieurs fois que ce soit Canaris qui accompagnât Lahousen ou ce dernier qui l’accompagnât. « Que devient l’affaire Giraud ? » A quoi Lahousen a répondu : « C’est très difficile mais nous ferons l’impossible ». C’est ainsi qu’il aurait répondu. Canaris, lui, n’a fait aucune réponse, ce qui me surprend aujourd’hui, mais ne m’a pas surpris alors.

Troisième phase. Dans une phase ultérieure... Dois-je continuer ?

Dr NELTE

Quatrième phase.

ACCUSÉ KEITEL

La quatrième phase débuta alors par ce fait que Hitler me dit : « Tout cela est stupide. Le service de renseignements n’est pas qualifié et n’aboutira pas. Je vais en charger Himmler, et le service de renseignements doit s’abstenir ; il ne pourra jamais plus arrêter le général ». L’amiral Canaris, de son côté, m’avait aussi déclaré que, si le général Giraud se rendait en territoire occupé, il aurait déjà fait prendre les mesures nécessaires par la Police secrète française et que, naturellement, cela pouvait amener une lutte, car il était de notoriété publique que le général était un soldat très résolu : quand un homme de 60 ans se laisse glisser le long d’une paroi rocheuse avec une corde de 45 mètres... C’est ainsi que s’est opérée l’évasion de Königstein.

Cinquième phase. D’après l’exposé de Lahousen à Berlin ; désir exprimé par Canaris de voir confier cette mission à la Gestapo — comme le prétend Lahousen — à la demande des chefs de service, car j’avais de nouveau demandé où en était l’affaire Giraud et il voulait en être débarrassé. Canaris vint me trouver et me demanda s’il pouvait la passer au RSHA ou à la Police. J’ai répondu affirmativement, parce que le Führer m’avait déjà dit plusieurs fois qu’ils en chargerait Himmler.

Phase suivante. Un peu plus tard, j’ai voulu avertir Canaris, lorsque Himmler vint me voir et me confirma qu’il avait reçu de Hitler l’ordre de surveiller discrètement Giraud et sa famille, que je devais faire en sorte d’empêcher Canaris de s’occuper de ce cas, et qu’il était informé que Canaris agissait dans le même sens. J’y ai consenti immédiatement.

J’en arrive à la phase que Lahousen a exposée très complètement : je me serais enquis de « Gustave » et de sujets analogues. Je voulais enjoindre à Canaris d’avoir à suspendre toute activité de ce côté, dès que l’ordre de Hitler en serait confirmé. Quant à ce qui s’est passé à Paris, d’après la relation de Lahousen, qu’on avait eu recours à des faux-fuyants, etc., que les choses étaient considérées comme un mythe, que « Gustave », en abrégé la lettre G pour désigner Giraud, etc., tout cela tenait plus de la fantaisie que de la réalité. J’ai donc convoqué Canaris aussitôt, parce qu’il n’était pas à Berlin, mais à Paris. Il n’avait rien fait, même au commencement, absolument rien. C’est pourquoi, vis-à-vis de moi, il se sentait désagréablement gêné, car il m’avait menti. Lorsqu’il arriva, je lui dis simplement : « Vous n’avez plus rien à voir à cette affaire, et maintenant, tenez-vous en quitte ».

Puis, la phase suivante. La fuite en avion du général, réussie sans difficulté, en Afrique du Nord, et qui fut annoncée, sauf erreur, avant l’occupation par les troupes anglo-américaines. La question était vidée. Ni le service de renseignements, ni les services de la Police, chargés par moi de la surveillance, n’étaient jamais entrés en action, et je n’ai jamais prononcé même le mot qu’il fallait « supprimer » le général. Jamais !

La dernière phase, dans toute cette affaire, semble avoir quelque chose de fabuleux et est pourtant véridique : notamment que le général, en 1944, en février ou en mars, envoya d’Afrique en France méridionale — dans la région lyonnaise — un émissaire qui se présenta à un bureau du service de renseignements et demanda si le général pouvait retourner en France, ce qu’il adviendrait de lui s’il atterrissait en France. Cette question m’a été posée. Le général Jodl a été témoin que les choses se sont ainsi passées. Le chef compétent de la section du service de renseignements était près de moi. La réponse a été celle-ci : « Exactement le même traitement que celui qui a été réservé au général Weygand, qui est déjà en Allemagne. Il ne subsiste aucun doute que le Führer sera d’accord ».

Rien n’est survenu par la suite, et je n’ai plus entendu parler de rien. Mais tout s’est passé en fait comme je viens de le relater.

Dr NELTE

J’ai encore quelques questions complémentaires à poser, car le Ministère Public français s’est plaint que, plus tard, la famille du général Giraud ait subi des sévices, de graves inconvénients. Avez-vous, en corrélation avec les recherches effectuées en vue de reprendre’ Giraud, causé des difficultés quelconques à sa famille, en zone occupée, donné des ordres, qui eussent pu être interprétés comme des restrictions, des préjudices, ou quelque chose d’analogue ?

ACCUSÉ KEITEL

Non. J’ai uniquement prévu une surveillance discrète du domicile de la famille, pour être averti de sa visite éventuelle. Jamais une mesure quelconque n’a été prise contre la famille elle-même : elle eût été, en pareil cas, absolument insensée.

Dr NELTE

De votre part ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui.

Dr NELTE

Pour bien préciser : vous n’avez pas eu non plus connaissance de faits ultérieurs éventuels ?

ACCUSÉ KEITEL

Absolument pas.

Dr NELTE

Bien. Le général Giraud vit, certes, et il me reste à vous demander à nouveau, pour conclure, en appelant au serment que vous avez prêté : pouvez-vous confirmer qu’à aucun moment vous n’avez donné un ordre ou une prescription quelconque qui pût être interprétée comme tendant au meurtre du général ?

ACCUSÉ KEITEL

Non. Je n’ai jamais donné un tel ordre si l’on n’attache pas une importance quelconque, en ce sens, à une expression comme : « Il faut le reprendre, mort ou vif ». Alors, je n’ai jamais donné l’instruction de supprimer le général, ou de le tuer, ou quelque chose d’analogue. Jamais.

Dr NELTE

J’en ai terminé avec l’interrogatoire de l’accusé Keitel. Je voudrais seulement vous prier de me permettre de remettre, comme pièce à conviction, le dernier affidavit du livre de documents 2, n° 6. Il figure dans le livre de documents à la page 51 et suivantes et doit, en tant que pièce à conviction K...

LE PRÉSIDENT

Ne l’avez-vous pas déposé hier sous le numéro K-12 ?

Dr NELTE

Oui, j’ai aujourd’hui K-13.

LE PRÉSIDENT

Quelle date porte l’affidavit que vous désirez maintenant présenter, et où se trouve-t-il ?

Dr NELTE

Il est à la page 51 et suivantes et porte la date du 9 mars 1946.

LE PRÉSIDENT

Oui, je l’ai trouvé.

Dr NELTE

Cet affidavit a été aussi confirmé sous la foi du serment par le général Jodl. C’est pourquoi, lorsqu’il viendra au banc des témoins, je demande qu’il soit interrogé à ce sujet, ou que cette pièce lui soit présentée pour qu’il la confirme.

M. DODD

Messieurs, nous avons examiné le cas de cet interrogatoire du général von Falkenhorst, auquel le Dr Nelte a fait allusion hier. Autant que nous ayons pu le constater, cette pièce n’a été produite comme preuve par aucun des membres du Ministère Public. M. Dubost s’en est prévalu, ou plutôt il ne s’en est pas prévalu, mais elle figurait dans son exposé écrit. Je ne m’y suis pas reporté et ne l’ai pas non plus produite comme preuve. C’est ainsi qu’elle est parvenue entre les mains du Dr Nelte, mais non, il est vrai, sous la forme d’une preuve.

LE PRÉSIDENT

Le Dr Nelte désire-t-il la produire maintenant comme preuve ?

Dr NELTE

Je demande qu’elle soit reçue comme preuve, en tant que document K-14.

LE PRÉSIDENT

A-t-elle un numéro PS ou un autre numéro quelconque ?

Dr NELTE

Non, Monsieur le Président, elle n’a aucun numéro.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie. L’un des défenseurs a-t-il quelque question à poser au témoin ?

Dr STAHMER

Témoin, après avoir déclaré, après rectification de votre déposition antérieure, à la question de votre défenseur, que le maréchal Göring n’était pas présent à la discussion au cours de laquelle Hitler ordonna que les aviateurs évadés du camp de Sagan restassent au pouvoir de la Police, et après que vous ayez, en outre, assuré qu’une discussion avec le maréchal Göring n’avait pas eu lieu à Berlin, je n’ai plus, dans l’ensemble, que les questions suivantes à vous poser : avez-vous, quelques semaines après ladite fuite, reçu du Generalquartiermeister, c’est-à-dire de l’État-Major de la Luftwaffe, une lettre dans laquelle celle-ci sollicitait la prise en charge par l’OKW de ses camps de prisonniers ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, c’est exact. Cette lettre m’est également parvenue et ensuite, après en avoir conféré avec Hitler, j’y ai opposé mon refus.

Dr STAHMER

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

Dr SEIDL

Témoin, est-il exact que l’accusé Dr Frank était, au début de la guerre, lieutenant au 9e régiment d’infanterie ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, c’est exact.

Dr SEIDL

Vous rappelez-vous avoir reçu, en 1942, une lettre de l’ancien Gouverneur Général, Dr Frank, par laquelle il vous demandait sa réincorporation dans la Wehrmacht ? La raison de cette demande était, naturellement, d’être, de cette façon, relevé de ses fonctions de Gouverneur Général. Est-ce exact ?

ACCUSÉ KEITEL

Oui, j’ai reçu alors une telle lettre. Je l’ai ensuite montrée au Führer, qui s’est contenté de dire, avec un geste de la main : « Il ne peut même pas en être question ». C’est ce que je lui ai fait savoir par l’officier qui, de temps à autre, était auprès de lui.

Dr SEIDL

C’est tout ce que je voulais savoir.

Dr DIX

Votre Honneur, il est 13 heures moins 10. Je n’en ai pas pour longtemps, mais mon intervention pourrait dépasser

13 heures. Ne vaudrait-il pas mieux cesser maintenant, de façon que je n’aie à poser mes questions qu’à la reprise des débats ?

LE PRÉSIDENT

Bien. Nous suspendons l’audience jusqu’à 14 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)