CENT UNIÈME JOURNÉE.
Samedi 6 avril 1946.
Audience du matin.
Accusé Keitel, je vous interroge au sujet de la directive concernant les mouvements d’insurrection communiste dans les régions occupées.
Elle vous a été présentée hier par votre avocat. Elle est datée du 16 septembre 1941, (n° R-98), et je vais vous en rappeler un passage. C’est le suivant : « Pour étouffer les mouvements dans l’œuf, il faudra prendre à la première occasion les mesures les plus sévères, afin de maintenir l’autorité des troupes occupantes et de parer à tout développement du mouvement ». Et, plus loin :
« Il faut considérer à ce propos qu’une vie humaine, dans les pays en question, vaut moins que rien et qu’une intimidation ne peut être obtenue que par une rigueur extraordinaire. »
L’idée fondamentale de cette directive, à savoir que la vie humaine n’a absolument aucune valeur, vous est-elle familière ? Vous rappelez-vous cette phrase ?
Oui.
Avez-vous signé l’ordre contenant cette déclaration ?
Oui.
Considérez-vous qu’il était nécessaire d’émettre un ordre si diabolique ?
J’ai expliqué hier quelques-unes des raisons qui ont motivé cet ordre et j’ai souligné que ces instructions s’adressaient surtout aux services du Commandant en chef dans le Sud-Est, c’est-à-dire dans les Balkans, où la guerre des partisans et la lutte entre dirigeants avaient pris des proportions énormes.
Elles valaient également pour certaines régions bien définies du territoire soviétique occupé, où l’on avait observé que les mêmes événements se produisaient sur la même échelle.
Voulez-vous dire que vous considérez cet ordre comme entièrement justifié ?
J’ai déjà, en répondant aux questions, exposé en détail mon point de vue sur tous les ordres qui ont été donnés à propos du traitement de la population. J’ai déjà répondu dans ce sens. J’ai signé cet ordre, et dans le cadre de mes fonctions officielles, j’en ai ainsi assumé la responsabilité.
Le Tribunal considère que vous ne répondez pas à la question. On aurait fort bien pu y répondre par oui ou par non et faire suivre cette réponse d’un commentaire. Ce n’est pas répondre à la question que de dire ce que vous avez déjà expliqué à votre avocat.
Une fois de plus, je vous demande : considérez-vous cet ordre — et j’insiste — cet ordre dans lequel il est dit que « la vie humaine vaut moins que rien », comme justifié ?
Cet ordre ne contient pas de telles expressions. Mais je sais, par une expérience de plusieurs années, que dans les territoires du Sud-Est et dans certaines parties du territoire soviétique, on n’avait pas les mêmes conceptions sur la valeur de la vie humaine.
Vous prétendez que ces mots ne sont pas contenus dans l’ordre ?
Ce n’est pas là, à ma connaissance, la formule exacte. Mais il y est dit que l’on considère la vie humaine des nationaux de ces territoires comme ayant très peu de valeur. Je me souviens de quelque chose d’analogue.
Vous vous rappelez que vous avez été interrogé, le 9 novembre 1945, par le général Alexandrov. A une question concernant le sens de cette phrase, vous avez répondu :
« Je dois reconnaître que cette phrase est authentique, bien qu’elle ait été insérée dans l’ordre par le Führer lui-même ». Vous rappelez-vous ces explications ?
C’est exact, en effet.
Je peux vous montrer cet ordre. Je ne vous l’ai pas montré parce que vous en avez déjà pris connaissance hier.
Je ne l’ai pas entièrement lu hier. Je n’ai fait qu’admettre son existence.
La tâche du Tribunal serait facilitée si vous aviez une traduction du document. Lorsque vous procédez à un contre-interrogatoire sur les mots qui figurent dans un document, il est très fâcheux pour nous de ne pas l’avoir sous les yeux.
Monsieur le Président, je vais présenter sur-le-champ cet ordre à l’accusé.
C’est le document PS-389 ?
Oui, Monsieur le Président, c’est le numéro PS-389.
Lorsque vous citez un document, il serait bon que vous en citiez le numéro assez lentement car, bien souvent, la traduction ne nous en parvient pas d’une façon très précise.
Bien, Monsieur le Président. J’y veillerai à l’avenir. J’ai numéroté ce document R-98, mais il portait un double numéro : R-98 et PS-389. J’en ai cité le paragraphe 3, b. Accusé Keitel, avez-vous pris connaissance de cet ordre ?
Oui, le texte allemand dit : « Dans les pays intéressés, la vie humaine vaut moins que rien... »
Et puis ?
Oui. « ... Une intimidation ne peut être obtenue que par une rigueur extraordinaire. Pour compenser la vie d’un soldat allemand... »
Parfaitement ; et, dans le même ordre d’idées, il est dit, dans ce même sous-paragraphe b : « Pour compenser la vie d’un seul soldat allemand, il faut, en principe, condamner à mort cinquante à cent communistes. Cette méthode doit renforcer l’effet de la mesure d’intimidation ».
Est-ce exact ?
Le texte allemand est un peu différent. Il dit : « Dans ces cas-là, la peine de mort doit être en principe envisagée pour environ cinquante à cent communistes. »
Tel est le texte allemand.
Pour un seul soldat allemand ?
Oui, je le sais, je l’ai vu ici.
C’est ce que je vous demandais. Ainsi, je vous demande encore une fois...
Voulez-vous une explication, ou ne dois-je pas en dire davantage ?
Je vais vous interroger sur ce sujet. Je vous demande si, en signant cet ordre, vous avez par là même exprimé votre opinion personnelle sur ces mesures inhumaines. En d’autres termes, étiez-vous d’accord avec Hitler ?
J’ai signé cet ordre, mais les chiffres qui y sont contenus sont le résultat de modifications faites par Hitler lui-même.
Quels étaient donc les chiffres que vous avez proposés à Hitler ?
Primitivement, les chiffres allaient de 5 à 10.
En d’autres termes, les divergences de vues que vous aviez avec Hitler ne portaient que sur les chiffres et non pas sur l’esprit du document ?
L’idée était que le seul moyen d’intimidation consistait à exiger plusieurs victimes pour payer la vie d’un seul soldat allemand, ainsi qu’il est déclaré ici.
Ce n’est pas une réponse à la question posée. La question était de savoir si la seule différence existant entre vous et Hitler, à propos de ce document, portait sur une question de chiffres ? Il faut y répondre par oui ou par non. La seule divergence existant entre vous et Hitler était-elle une question de chiffres ?
Il me faut dire que nous avions des opinions différentes quant au principe fondamental, mais je ne me sens plus capable d’en justifier les résultats obtenus, puisque j’y ai ajouté ma signature au nom des intérêts que je représentais. Il y avait une grande différence de points de vue sur toute cette question.
Très bien. Continuons. Je voudrais vous rappeler un autre ordre. Il est daté du 16 décembre 1942 et concerne la « lutte contre les partisans ». Ce document a été déposé devant le Tribunal sous le numéro URSS-16. Je ne vous interrogerai pas plus en détail sur cet ordre ; votre avocat vous l’a présenté hier.
Je ne m’en souviens pas.
Vous ne vous en souvenez pas ?
Pas de celui qu’on m’a présenté hier.
Très bien. Si vous ne vous en souvenez pas, je peux vous le présenter, afin de vous rafraîchir la mémoire.
Quel est le numéro PS ?
C’est le document déposé par le Ministère Public soviétique, sous le numéro URSS-16.
J’ai cru comprendre que c’était USA-516 mais je suppose que c’était une mauvaise interprétation. C’est URSS-16, n’est-ce pas ?
Parfaitement, URSS-16.
Bien.
Accusé Keitel, je ne vous poserai qu’une question sur cet ordre. Dans le premier alinéa de cet ordre, paragraphe 3, il y a une phrase sur laquelle je voudrais attirer votre attention : « Les troupes ont donc le droit et le devoir de prendre dans cette lutte, même contre les femmes et les enfants, toutes les mesures propres à leur assurer le succès ». Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui.
Y avez-vous vu l’application illimitée de toutes sortes de mesures, même contre les femmes et les enfants ? Vous avez trouvé ?
« Employer sans restriction tous les moyens, même contre les femmes et les enfants, si nécessaire. » Je l’ai trouvé.
Oui, c’est exactement la question que je vous posais. Je vous demande, accusé Keitel, maréchal de l’ex-Armée allemande, si vous considérez que cet ordre est juste et si vous estimez qu’on peut à volonté prendre des mesures contre les femmes et les enfants ?
Oui, tant que ces mesures consistent à retirer les femmes et les enfants du théâtre de l’activité des partisans. Non, quand ces mesures consistent à les exécuter.
« Retirer », terme allemand, signifie « tuer » ?
Non, je crois qu’il n’aurait jamais été nécessaire de dire aux soldats allemands qu’ils ne pouvaient ni ne devaient tuer les femmes et les enfants.
Vous n’avez pas répondu à ma question. Estimez-vous que cet ordre, visant les femmes et les enfants, est juste ou injuste ? Répondez par oui ou par non. Est-ce juste ou non ?
J’ai considéré que cet ordre était justifié dans la mesure où je l’ai admis. Je n’ai jamais approuvé les mesures d’exécution. C’étaient des crimes.
« Toutes sortes de mesures ». Cela comprend aussi le meurtre.
Oui, mais pas des femmes ni des enfants.
Oui, mais il est dit « toutes sortes de mesures contre les femmes et les enfants ».
Non, il n’y a pas « toutes sortes de mesures ». Il y a : « Ne pas se refuser à prendre des mesures contre les femmes et les enfants ». Jamais un soldat ou un officier allemand n’eut l’idée de tuer une femme ou un enfant.
Et dans les faits ?
Je ne peux pas dire ce qui s’est passé dans chaque cas particulier, d’abord parce que je n’en sais rien et que je ne pouvais être partout à la fois, ensuite parce qu’on ne m’a jamais fait de rapports à ce sujet.
Mais de tels cas se sont produits par millions ?
Je n’en sais rien et je ne crois pas qu’il y en ait eu des millions.
Vous ne le croyez pas ?
Non.
Je vais maintenant vous interroger sur un autre point, à savoir le traitement des prisonniers de guerre soviétiques. Je n’ai pas l’intention de vous poser des questions sur la marque au fer rouge des prisonniers de guerre soviétiques et autres méfaits qui sont suffisamment connus du Tribunal. Je voudrais vous interroger au sujet d’un document qui vous a été présenté hier, le rapport de l’amiral Canaris.
Vous vous souvenez que votre avocat vous l’a soumis hier ; il est daté du 15 septembre 1941 et porte le numéro EC-338. Comme vous pouvez vous en souvenir, un officier allemand a, lui-même, attiré l’attention sur l’arbitraire et l’illégalité exceptionnelle qui étaient tolérés à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques. Dans ce rapport, Canaris signalait les exécutions massives de prisonniers de guerre soviétiques et parlait de la nécessité d’éliminer à tout jamais cet arbitraire.
Étiez-vous d’accord avec les déclarations faites par Canaris dans son rapport, en ce qui vous concerne ?
Je n’ai pas compris la dernière phrase. En ce qui me concerne ?
Ma question est la suivante : Étiez-vous personnellement, vous Keitel, d’accord avec les propositions faites par l’amiral Canaris dans son rapport, à savoir la suppression du traitement arbitraire toléré à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques ?
J’ai répondu hier à mon avocat.
Vous pouvez répondre brièvement. Étiez-vous d’accord ?
Oui. Je serai bref. Après avoir reçu cette lettre, je l’ai immédiatement présentée au Führer, Adolf Hitler, en insistant tout particulièrement sur le rapport des Commissaires du peuple, datant du début de juillet, et en demandant qu’une nouvelle décision soit prise. Dans l’ensemble, je partageais les objections de Canaris, mais je dois ajouter que…
Vous les partagiez ? Fort bien. Je vais maintenant vous présenter l’original du rapport de Canaris, sur lequel figure votre décision.
Monsieur le Président, je vais maintenant présenter à l’accusé le document contenant sa décision. Celle-ci n’a pas été lue à l’audience et j’en présente le texte au Tribunal.
Avez-vous l’original ?
Oui, je l’ai remis à l’accusé.
Accusé Keitel, voulez-vous suivre le document ?
Je connais ce document, ainsi que les notes marginales.
Écoutez-moi et suivez le texte de la décision. C’est le document de Canaris, que vous considérez comme justifié. Voici votre décision : « Ces objections sont le résultat de la conception de la guerre chevaleresque. Il s’agit ici de la destruction d’une idéologie. En conséquence, j’approuve ces mesures et je les couvre de mon autorité. Signé Keitel ».
Avez-vous écrit cela ?
Oui, je l’ai écrit après que le document eut été présenté à Hitler pour qu’il en décidât. Je ne l’ai écrit qu’après.
Il n’est pas dit ici ce qu’a décidé le Führer. Il est dit : « Moi, Keitel, je les couvre de mon autorité ».
Et je le déclare sous la foi du serment ; je l’ai déjà dit avant de l’avoir lu.
Vous reconnaissez donc avoir pris la décision.
J’attire maintenant votre attention sur un autre passage de ce document. Veuillez observer qu’à la page 2, le texte de Canaris se lit comme suit : « La séparation des civils et des prisonniers de guerre, qui sont politiquement indésirables, doit faire l’objet d’une décision de la part des Einsatzkommando dépendant de la Police de sûreté et du SD, et ceci à l’insu des services de la Wehrmacht qui n’aura aucun moyen de contrôler les directives suivant lesquelles cette opération aura été effectuée ».
C’est ce que Canaris a écrit. Votre décision, accusé Keitel, est écrite dans la marge. Il y a « Très opportun ». Est-ce exact ?
Veuillez répéter la dernière question. Les derniers mots que j’ai entendus sont : « Canaris a écrit ».
Oui, et je vous montre maintenant que votre décision « Très opportun » figure, écrite de votre main, dans la marge, en face de ce paragraphe. L’avez-vous trouvée ?
Oui. Le mot « opportun » se rapporte au fait que les services de l’Armée n’avaient rien à voir avec ces Einsatzkommando et ne savaient rien d’eux.
Et, de plus, il se réfère au fait que la Police de sûreté et le SD se vengeraient sur les civils et sur les prisonniers de guerre ? Trouvez-vous cela opportun ?
Non, je trouvais opportun que la Wehrmacht n’eut pas connaissance de l’activité de ces commandos. Voilà ce que j’ai voulu dire.
En effet, comme on le voit ici, j’ai ajouté : « inconnu ».
Je vous demande, accusé Keitel, qui passez pour Feldmarschall et qui, devant ce Tribunal, avez affirmé à plusieurs reprises que vous étiez un soldat, si, dans votre résolution altérée de sang, de septembre 1941, vous avez reconnu et approuvé l’assassinat des soldats désarmés tombés entre vos mains ? Est-ce exact ?
J’ai signé ces deux décrets et en porte la responsabilité dans le cadre de mes fonctions.
Très bien. A ce propos, je voudrais vous interroger sur le devoir du soldat, puisque vous en avez parlé plusieurs fois au Tribunal. Voici ce que je voudrais vous demander : le fait de promulguer des ordres de représailles contre des prisonniers de guerre et des civils pacifiques s’accorde-t-il avec les conceptions du « devoir du soldat » et de « l’honneur de l’officier » ?
Oui, en ce qui concerne les représailles d’août et de septembre, étant donné le traitement infligé aux prisonniers de guerre allemands que nous trouvâmes sur le champ de bataille et à Lwow où on en a assassiné par centaines.
Accusé Keitel, vous essayez d’utiliser le même procédé auquel vous avez déjà eu recours, en remettant en question les prétendues exécutions de prisonniers allemands. Nous nous sommes mis bien d’accord sur le fait que, dès mai 1941, avant le début de la guerre, vous aviez signé une directive concernant l’exécution des agents politiques et militaires de l’Armée rouge. J’ai...
Oui, avant la guerre j’ai également signé des ordres, mais qui ne contenaient pas le mot « assassinat ».
Je ne vais pas discuter avec vous : ce serait mettre en doute les documents qui sont suffisamment éloquents. J’ai encore quelques questions à vous poser : vous avez déclaré au Tribunal que les généraux de l’Armée allemande ne faisaient qu’exécuter aveuglément les ordres de Hitler ?
J’ai expliqué que je ne sais pas si des généraux ont élevé des objections, ni quels sont ces généraux ; j’ai dit que je n’ai personnellement jamais entendu élever d’objections lorsque Hitler proclamait les principes de la guerre idéologique et ordonnait qu’ils fussent mis en application.
Et vous savez que des généraux ont, de leur propre initiative, ordonné des atrocités et puis des mesures contraires aux lois et usages de la guerre et furent en cela approuvés par Hitler ?
Je sais que de hautes personnalités de l’Armée ont donné des instructions corrigeant, modifiant, parfois même annulant partiellement l’ordre primitif ; c’est le cas, par exemple, de certaines questions de compétence du décret de mars et d’autres mesures dont on a parlé devant moi.
Vous ne me comprenez pas ; je ne vous demande pas si on a modifié des ordres, mais si des généraux ont, de leur propre initiative, promulgué des ordres incitant à la violation des lois et coutumes de la guerre ?
Je n’en sais rien. Je ne vois pas à quel ordre vous faites allusion, mon général.
Je ne me référerai qu’à un seul ordre : c’est celui qui a été donné par le maréchal von Reichenau sur la conduite à tenir par les troupes à l’Est. Monsieur le Président, ce document a été déposé par le Ministère Public soviétique sous le numéro URSS-12. Les passages auxquels je me réfère sont soulignés, et je vais lire un extrait de cet ordre :
« Donner des vivres à la population et aux prisonniers de guerre est un acte humanitaire mal compris. »
Je connais cet ordre ; on me l’a montré au cours d’un interrogatoire préliminaire.
Cet ordre, donné par le maréchal Reichenau et approuvé par Hitler fut distribué comme un ordre-type à tous les chefs d’Armée sur tous les fronts.
Je ne le connaissais pas ; c’est ici que j’en ai entendu parler pour la première fois. Je ne crois pas l’avoir vu auparavant.
Évidemment, il est de fait que vous considériez que de tels ordres n’avaient absolument aucune importance. Après tout, le sort des prisonniers de guerre soviétiques ou de la population civile pouvait-il intéresser le chef de l’OKW, puisque leur vie n’avait aucune valeur ?
Je n’avais aucun contact avec les commandants du front et je n’avais avec eux aucun rapport officiel de service ; le Commandant en chef de l’Armée de terre était le seul à en avoir.
Je termine votre contre-interrogatoire. Au cours de votre témoignage, vous vous êtes très souvent, comme vos complices les accusés Göring et Ribbentrop, référé au Traité de Versailles, et je vous demande si, avant la conclusion de ce Traité, Vienne, Prague, Belgrade et la Crimée appartenaient à l’Allemagne ?
Non.
Vous avez déclaré ici même qu’en 1944, après la modification de la loi, on vous a proposé d’entrer dans le parti nazi. Vous avez accepté cette offre, présenté vos lettres de créance à la direction du Parti et payé vos cotisations. Dites-moi, votre adhésion au parti nazi n’implique-t-elle pas que vous approuviez son programme, ses buts et ses méthodes ?
Comme j’étais, depuis trois ou quatre ans déjà porteur de l’insigne en or du Parti, j’ai pensé que cette demande n’était qu’une formalité ; j’ai payé au Parti la cotisation nécessaire. J’ai fait ces deux démarches et je le reconnais.
Ce qui revient à dire qu’avant que cette proposition de pure forme ait été faite, vous vous considériez déjà effectivement comme un membre du parti nazi ?
Je me suis toujours considéré comme un soldat et non comme un politicien.
Ne conviendrait-il pas de conclure, après tout ce qui vient d’être dit ici, que vous étiez un général hitlérien non par devoir mais par conviction ?
J’ai déjà dit ici que j’étais un soldat obéissant et fidèle à mon Führer. Et je ne pense pas qu’il y ait en Russie des généraux qui refusent au maréchal Staline une obéissance complète.
Je n’ai plus aucune question à poser.
Accusé, vous souvenez-vous que le 2 octobre 1945 vous avez écrit une lettre au colonel Amen pour lui expliquer votre situation ? C’était après votre interrogatoire et, à vos moments libres, vous avez écrit une lettre pour expliquer votre point de vue. Vous en souvenez-vous ?
Oui, j’ai en effet écrit une lettre mais je ne me rappelle pas son contenu qui, en tout cas, avait trait aux interrogatoires.
Oui.
Et je crois que j’y demandais qu’on me donnât l’occasion de réfléchir plus longuement car j’étais souvent pris de court par les questions qu’on me posait et incapable d’y répondre.
Je veux vous rappeler un passage de cette lettre et vous demander s’il exprime votre point de vue de façon correcte : « En exécutant ces tâches ingrates et difficiles, je devais accomplir le devoir qui m’était dicté par les exigences très pénibles de la guerre, agissant fréquemment contre la voix profonde de ma conscience et contre mes propres convictions. Pour mener à bonne fin les missions qui m’étaient confiées par Hitler, devant qui j’étais directement responsable, il fallait faire preuve d’une abnégation complète ». Vous en souvenez-vous ?
Oui.
Bien. Je voudrais que vous disiez au Tribunal quelles étaient les tâches qui vous inspiraient le plus cruellement le sentiment d’agir contre la voix intérieure de votre conscience. Énumérez-en seulement quelques-unes.
Je me suis souvent trouvé dans une telle situation, mais les sujets qui entraient le plus en conflit avec ma conscience et mes convictions étaient ceux qui s’opposaient à l’éducation que j’avais subie pendant les trente-sept années de ma carrière d’officier de l’Armée allemande. C’était un coup à mes convictions personnelles les plus intimes.
Je voulais que la réponse vienne de vous, accusé. Pouvez-vous dire au Tribunal quels sont les trois actes qui vous coûtaient le plus à réaliser comme étant contraires à la voix intérieure de votre conscience ?
Peut-être, pour commencer par la fin, les ordres donnés sur la conduite de la guerre à l’Est dans la mesure où leurs dispositions étaient contraires aux lois de la guerre : puis, quelque chose qui concerne surtout la Délégation britannique : la question des cinquante officiers de la RAF, qui se rapportait à cette autre question qui m’a particulièrement tourmenté, celle des aviateurs terroristes ; mais, par-dessus tout, le décret « Nacht und Nebel », dont j’ignorais les véritables conséquences éventuelles. Voilà ce qui a causé chez moi les débats de conscience les plus pénibles.
Nous allons prendre le cas des instructions « Nacht und Nebel ». Monsieur le Président, ce document, ainsi que beaucoup d’autres auxquels je vais me référer, se trouve dans le livre de documents britannique n° 7, Wilhelm Keitel et Alfred Jodl, à la page 279 ; c’est le document L-90 (USA-503). Accusé, je vous transmets le livre de documents allemand. C’est la page 279 du livre anglais de documents et la page 289...
Numéro 731 ?
C’est à la page 289 ; je ne sais pas dans quel volume ; je crois que c’est dans la deuxième partie.
Le but du décret est exposé quelques lignes après le début : il y est déclaré que, dans tous les cas où la peine de mort n’est ni prononcée ni exécutée dans les huit jours, « les accusés devront désormais être secrètement déportés en Allemagne où des poursuites ultérieures seront engagées contre eux. L’effet intimidant de ces mesures réside d’abord dans la disparition complète des accusés, puis dans le fait qu’aucun renseignement ne pourra être donné sur l’endroit où ils se trouvent ni sur ce qui leur est arrivé ».
Vous reconnaîtrez que ces deux intentions étaient d’une cruauté et d’une brutalité sans nom.
J’ai déjà dit, aujourd’hui comme hier, que, personnellement, je pensais que la déportation secrète des individus était beaucoup plus cruelle que la peine de mort. J’ai...
Voulez-vous passer à la page 281 du texte anglais (page 291 de votre texte).
Oui, je l’ai.
Vous dites dans votre lettre de transmission, « Le Führer estime... », ligne 4 : « En ce qui concerne de tels délits, les peines privatives de liberté ou les travaux forcés à perpétuité seraient considérés comme signe de faiblesse. Une politique d’intimidation effective et durable ne peut être réalisée que par la peine capitale ou par des mesures telles que les parents du coupable et la population en général soient incertains au sujet de son sort ». Vous reconnaîtrez, là encore, que ces décisions du Führer étaient cruelles et brutales, n’est-il pas vrai ?
Oui.
Maintenant, ce que je...
Puis-je ajouter quelque chose ?
Certainement, mais le plus rapidement possible.
J’ai fait hier une déposition sur ce sujet et j’ai attiré particulièrement votre attention sur les mots : « C’est la volonté bien arrêtée du Führer », qui invitaient les généraux à lire entre les lignes les ordres qu’ils recevaient.
Mais vous savez, accusé, que cet ordre n’est pas du tout le dernier de la série. Cet ordre n’a pas atteint son but malgré la cruauté et la brutalité avec lesquelles il devait le réaliser. Cet ordre « Nacht und Nebel » a été sans aucun effet et n’a pas empêché la réalisation de ce qu’il était destiné à éviter.
Oui, rien n’a cessé pour autant.
Si bien qu’en 1944 vous avez été obligé de rédiger un ordre encore plus sévère ; voulez-vous regarder le document D-762 ? Monsieur le Président, je le dépose sous le numéro GB-298. Il s’exprime ainsi :
« Le développement constant des actes de terrorisme et de sabotage commis dans les territoires occupés, qui devient de plus en plus le fait de bandes organisées sous une même direction, nous oblige à prendre les contre-mesures les plus sévères, à un degré correspondant à la cruauté de la guerre qui nous est imposée ; ceux qui attaquent nos arrières au moment le plus décisif de notre lutte pour la vie ne méritent aucune considération. En conséquence, j’ordonne ce qui suit : tous les actes de violence commis par des civils non allemands dans les territoires occupés contre les Forces armées allemandes, les SS et la Police et contre les installations où s’exercent leurs activités, doivent être considérés comme des actes de terrorisme et de sabotage et réprimés comme suit :
« 1. Les troupes (les SS, etc.) doivent maîtriser sur place... tous les terroristes et saboteurs. 2. Ceux qui sont appréhendés par la suite doivent être remis au service local de la Police de sûreté le plus proche et au SD. 3. Leurs complices, spécialement les femmes, qui n’ont pas participé directement au combat, doivent être mises au travail. Les enfants doivent être épargnés. »
Veuillez passer maintenant au paragraphe 2 :
« Le chef de l’OKW fera connaître les mesures d’exécution nécessaires ; il a tous pouvoirs pour apporter des modifications et des compléments dans la mesure où les opérations militaires l’exigeront. »
Croyez-vous que c’était ou non un ordre cruel et sévère ?
Oui je crois qu’il l’était, mais puis-je ajouter une courte explication ? Je veux rectifier une phrase qui a été probablement mal traduite ; il est dit effectivement que « les femmes seront mises au travail et les enfants épargnés ». Voilà ce qu’il y a dans la version que j’ai sous les yeux.
J’ai dit « épargnés », ce qui veut dire qu’ils devaient être traités différemment ; j’ai pris soin de le dire.
Oui.
Vous aviez donc le droit de modifier ou de compléter les ordres ; avez-vous par là essayé d’en adoucir la sévérité ?
Je ne me souviens pas d’avoir donné des ordres supplémentaires pour adoucir la sévérité du premier ; je dois dire aussi que je n’ai jamais ordonné quelque chose sans l’avoir tout d’abord présenté au Führer.
Nous allons regarder ce que vous avez ordonné. Voulez-vous regarder le document D-764 qui devient le GB-299. C’est votre ordre d’exécution, contresigné, je crois, par le chef de la justice militaire, mettant en vigueur ce décret. Voulez-vous regarder les paragraphes 4 et 5 ?
« 4. Toute procédure légale, actuellement engagée pour tous les actes de terrorisme et de sabotage et tous les autres crimes commis par les civils non allemands dans les territoires occupés, mettant en péril la sécurité et les moyens d’action des autorités d’occupation, doit être suspendue. Il ne faut plus tenir compte des inculpations. Ne plus ordonner d’exécutions. Les coupables, avec un rapport, doivent être remis au service de la Police de sûreté le plus proche et au SD. Au cas où une condamnation à mort aurait été prononcée, les instructions autrefois en vigueur continueront à s’appliquer.
« 5. Les crimes qui nuisent aux intérêts allemands mais ne mettent pas en péril la sécurité ou les moyens d’action des autorités occupantes ne justifient pas la compétence à l’égard des civils non allemands se trouvant dans les territoires occupés. J’autorise les commandants des territoires occupés à édicter de nouvelles règles en accord avec le commandement supérieur des SS et les chefs de la Police. »
Et ainsi vous leur demandez de veiller à ce qu’on transmette les coupables au SD en vue du travail forcé ; ce n’était certainement pas là adoucir le décret. Vous ne le rendiez pas moins sévère.
Il y a certaines phrases à ajouter ici. C’est le résultat des discussions quotidiennes de ces questions que j’ai réglées d’après les principes du premier décret ; j’ai ajouté une note explicative et puis j’ai signé.
Bien, voilà qui concerne ce que vous appeliez terrorisme et sabotage. Regardons ce qui arriva à des gens qui s’étaient rendus coupables d’actes moins graves que le terrorisme ou le sabotage ; consultez le document D-763 qui devient le GB-300 : « Les civils non allemands... »
Oui.
« Les civils non allemands qui, dans les territoires occupés, mettent en danger la sécurité ou les moyens d’action des troupes d’occupation par d’autres moyens que des actes de terrorisme ou de sabotage, doivent être remis au SD. La section I, n° 3 » (c’est la partie qui stipule que les femmes seront mises au travail et les enfants épargnés) « de l’ordre du Führer s’applique également à eux. »
Vous saviez très bien ce qui arrivait à ceux qui étaient remis au SD : on les tuait probablement, ou tout au moins on les mettait dans des camps de concentration, n’est-ce pas ?
Telle n’est pas mon interprétation. On utilisait toujours les mots « affectés comme main-d’œuvre ». Mais il m’était apparu évident, d’après ce que j’avais appris, qu’ils finissaient toujours dans un camp de concentration. Cependant on nous a toujours parlé de camps de travail. L’expression consacrée était « camps de travail de la Police secrète d’État ».
Mais ceci se passait en août 1944 vous conviendrez que c’était un procédé très sévère que d’agir ainsi envers des gens qui s’étaient rendus coupables d’actes moins graves que le terrorisme et le sabotage ?
Oui.
Maintenant, nous...
Je présume que vous ne désirez pas discuter avec moi cette origine et ce développement ; autrement, je pourrais vous les expliquer ; mais je ne ferai que répondre à votre question en disant qu’effectivement la mesure était des plus sévères. L’explication, si je puis en donner une brièvement, est la suivante : Lors de nos interminables discussions journalières sur la situation dans les territoires occupés, je recevais du Führer des instructions et des ordres qui furent par la suite cristallisés dans une forme analogue à celle de ce document : j’ai expliqué en détail la façon dont je discutais de ces questions avec lui et j’ai dit qu’en principe je ne promulguais ni ne signais aucun ordre auquel Hitler n’aurait pas donné son adhésion.
Ce ne fut estimé assez sévère par vous que pendant trois semaines car, le 4 septembre, c’est-à-dire à peine trois semaines plus tard, vous avez donné un autre ordre. C’est le document D-766 (GB-301).
Cet ordre fut promulgué, comme il ressort de ce document, avec l’accord de Hitler, de Kaltenbrunner, du ministre de la Justice et du Dr Lammers. Regardez le n° z1 :
« Les civils non allemands des territoires occupés qui ont été légalement condamnés par des tribunaux allemands pour avoir commis un acte criminel contre la sécurité ou les moyens d’action de la Puissance occupante et qui sont emprisonnés dans les territoires occupés ou à l’intérieur de l’Allemagne doivent être remis, munis de leur dossier, au service local de la Police de sûreté et du SD le plus proche, exception faite pour ceux qui ont été condamnés à mort et dont l’exécution a été ordonnée.
« II
Les personnes convaincues d’avoir commis des actes criminels contre le Reich ou les autorités occupantes sont, en vertu des directives promulguées par le Führer sur la poursuite de tels actes, privées du droit d’avoir tout contact avec le monde extérieur, et doivent être désignées de façon spéciale. »
Saviez-vous à peu près combien de personnes avaient été touchées par cet ordre ?
Je ne peux rien vous répondre là-dessus. Je sais simplement qu’une telle mesure était rendue nécessaire par la situation de plus en plus tendue qui régnait dans les pays occupés en raison du manque de troupes pour maintenir l’ordre.
Laissez-moi vous rappeler que vous avez convoqué une réunion pour examiner cette question. C’est ce qui ressort du document D-765, et je vous montre aussi le numéro D-767 qui est un compte rendu de la conférence ; ne vous occupez pas de 765 qui ne fait que déclarer l’existence de cette réunion. Mais, dans le numéro 767 qui deviendra GB-303, il y en a un compte rendu. Voici ce que dit le second paragraphe : « Le Reichsführer SS Himmler demande dans sa lettre la remise immédiate au SD d’environ 24.000 civils non allemands qui sont sous les verrous ou détenus aux fins d’interrogatoire ».
Écoutez ceci : « Aucune réponse n’a été donnée à la question posée au cours de la discussion sur les raisons de ce transfert immédiat au SD, malgré la somme de travail administratif considérable qu’il entraîne ». Pouvez-vous nous dire maintenant pourquoi les 24.000 personnes condamnées devaient être transférées aux bons soins du SD ?
Puis-je lire cette note ? Je ne la connais pas.
Certainement. Vous pourrez constater que je ne vous ai pas du tout ennuyé avec cette question, mais vous y trouverez ce que je vous avais demandé antérieurement, à savoir qu’en ce qui concerne le terrorisme et le sabotage, le décret « Nacht und Nebel » était devenu insuffisant et que les services juridiques de l’Armée avaient fait examiner la question.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ces 24.000 malheureux condamnés devaient être confiés aux bons soins du SD ?
Je dois dire que toute cette histoire me surprend profondément. Je n’ai pas assisté aux discussions et il semble que je n’ai pas lu le document car, en principe, je marquais de mes initiales tous les documents qui m’étaient présentés. Je ne suis pas au courant des chiffres cités ; c’est la première fois que j’en entends parler.
Je vais vous montrer quelque chose que vous avez lu.
En ce qui concerne les faits, je dois répondre par l’affirmative. Je ne connais pas les chiffres, mais seulement les faits.
Et vous ne pouvez pas répondre à ma question ? Vous ne pouvez pas nous dire pourquoi la Wehrmacht et d’autres services ont envoyé au SD ces 24.000 personnes condamnées par des tribunaux ordinaires ?
Je ne peux pas vous en dire plus que je n’en sais. Je crois qu’il y a un malentendu avec le SD. Il s’agissait d’une détention par la Police. Ce n’est pas la même chose.
Sûrement pas.
Je ne sais pas si cela serait revenu au même.
Vous êtes resté trop longtemps dans l’atmosphère de ce Procès pour croire que la remise d’individus au SD revenait au même que la détention par la Police. Cela signifiait généralement le camp de concentration et la chambre à gaz. C’est à ce propos que je vous demandais si vous le saviez ou non.
Je ne le savais pas, mais il est évident que la dernière étape était le camp de concentration. Je crois que c’est probable. En tout cas, je ne puis pas affirmer qu’il n’en était pas ainsi.
Sir David, l’avant-demier paragraphe traite de l’OKW.
Oui, Monsieur le Président, j’y arrive. Veuillez remarquer, accusé, que deux paragraphes au-dessous il est dit : « Comme l’OKW ne s’occupe pas particulièrement de juger les affaires d’importance secondaire restant à trancher par les tribunaux militaires, celles-ci seront réglées par des décrets qui devront être approuvés par les autorités locales ».
Il est parfaitement clair que vos services prenaient cette affaire entièrement en mains, n’est-ce pas accusé ?
Je ne sais pas exactement ce que cela veut dire mais il est évident qu’on en a parlé lors de la réunion.
Avant de passer au document suivant, je veux que vous compreniez ma façon de procéder. Nous avons commencé par le décret « Nacht und Nebel » que nous venons de laisser de côté, puis nous avons continué par celui qui concerne le terrorisme et le sabotage ; nous sommes ensuite passés aux actes moins graves, considérés cependant comme criminels par les autorités occupantes. Je voudrais maintenant que vous examiniez le traitement infligé aux personnes qui refusaient simplement de travailler.
Voulez-vous regarder le document D-769. C’est le numéro GB-304. C’est un télégramme du général de la Luftwaffe Christiansen, qui commandait les forces aériennes aux Pays-Bas. Écoutez ceci : « En raison de la grève des chemins de fer, toutes les communications en Hollande sont arrêtées. Les cheminots ne répondent pas aux demandes qu’on leur a faites de reprendre le travail. La demande de véhicules automobiles et autres moyens de transport destinés aux déplacements de troupes et à l’acheminement des vivres, n’a pas trouvé d’écho dans la population civile. D’après le décret du Führer du 18 août 1944 » (c’est-à-dire le décret sur le terrorisme et le sabotage que vous avez déjà entre les mains) « et les instructions complémentaires du chef de l’OKW » (également déjà vues) « les troupes n’ont le droit de se servir de leurs armes que contre les personnes qui commettent des actes de violence, se conduisant ainsi comme des terroristes ou des saboteurs, tandis que celles qui mettent en danger la sécurité et les moyens d’action des autorités occupantes autrement que par le terrorisme ou le sabotage doivent être confiées au SD. »
Et le général Christiansen poursuit « Cette réglementation s’est révélée trop compliquée et, partant, inefficace. Avant tout, nous n’avons pas les forces de police nécessaires. Il faut redonner aux troupes l’ordre de fusiller également avec ou sans jugement sommaire, les personnes qui ne sont pas des terroristes ou des saboteurs, au sens du décret du Führer, mais qui mettent en danger les forces combattantes par leur résistance passive. Il est nécessaire que le décret du Führer soit modifié en conséquence car les troupes n’ont pas d’autres moyens de s’imposer d’une façon efficace à la population qui, de son côté, paraît mettre en danger la conduite des opérations. »
Conviendrez-vous, accusé, que l’exécution, avec ou sans jugement, des cheminots qui refusent de travailler, est une mesure dont la brutalité et la cruauté dépassent l’imagination ?
C’est en effet une mesure cruelle.
Qu’avez-vous répondu ?
Je ne puis pas le dire ; je ne me rappelle pas du tout cet incident, mais peut-être la réponse se trouve-t-elle ici.
Regardez le document D-770 qui, je crois, est votre réponse. C’est le numéro GB-305. Vous remarquerez d’après la liste de distribution que ce document a été transmis aux commandants de l’Armée dans les Pays-Bas et au destinataire que nous venons de voir.
Vous dites :
« D’après l’ordre du Führer du 30 juillet 1944, les civils non allemands des territoires occupés qui nous attaquent sur nos arrières au moment où nous luttons pour notre vie, ne méritent aucune considération. Tel est le principe qui doit nous guider pour l’interprétation et l’application du décret du Führer et de celui qui a été promulgué par l’OKW le 18 août 1944. Si la situation militaire et l’état des communications rendent impossible leur transfert au SD, d’autres mesures draconiennes doivent être prises séparément. Naturellement (j’attire votre attention sur le mot « naturellement »), rien ne s’oppose à ce que, dans de telles circonstances, des conseils de guerre prononcent sommairement des peines capitales et les fassent exécuter. »
Je ne puis me rappeler, accusé, si vous avez quelquefois exercé un commandement indépendant. Avez-vous, sans parler de votre division, jamais donné des ordres d’une manière indépendante ? Vous étiez bien indépendant lorsque vous étiez à la tête de votre division ou bien ne l’avez-vous jamais été ?
Est-ce que je me suis clairement exprimé ?
Je n’ai pas compris. Que voulez-vous dire par commandement indépendant ?
Je veux dire que vous n’avez pas été vous-même chef d’une armée, d’un groupe d’armées ou d’une région militaire ?
Non.
Je vous demande de vous mettre à la place du général Christiansen. Votre réponse constituait un encouragement direct équivalant presque à un ordre de tuer ces cheminots sans autre forme de procès, à « prendre séparément d’autres mesures draconiennes ».
Ceci s’explique par la forme de la procédure devant le conseil de guerre. On ne laissait rien à la discrétion d’un individu et on avait prévu une compétence judiciaire.
Regardez comment la situation se présente, accusé.
Je crois que c’est clair. Voici ce que dit une phrase : « Si la situation militaire et l’état des communications rendent impossible leur transfert au SD, d’autres mesures draconiennes doivent être prises séparément ».
Puis, une autre phrase :
« Naturellement ». Regardez ce mot. Je suppose que c’était « natürlich » en allemand. Est-ce exact ?
Je n’ai pas ici le mot « natürlich ». Je puis me rendre compte que deux mots ont été rajoutés.
En tout cas, il y a : « Naturellement, rien ne s’oppose à ce que des tribunaux prononcent sommairement des peines capitales et les fassent exécuter ». Ce que vous lui dites, c’est, bien sûr, que rien ne s’oppose à l’établissement de conseils de guerre, mais vous lui ordonnez, en plus, de prendre séparément des mesures draconiennes.
Si, à la suite de cette lettre, le général Christiansen avait fait fusiller ces cheminots sur-le-champ, ni vous ni aucun de ses supérieurs n’auraient pu l’en blâmer ?
D’après la dernière phrase, il était obligé de remettre l’affaire à la compétence d’un conseil de guerre. Il est dit « dans de telles circonstances, rien ne s’oppose à ce que des conseils de guerre prononcent sommairement des peines capitales et les fassent exécuter ». C’est ainsi que je l’entends.
Mais que vouliez-vous dire par « mesures draconiennes prises indépendamment » s’il ne s’agissait que de procédure ordinaire devant un tribunal militaire ?
Non. La dernière phrase ne fait pas allusion à une procédure d’exception mais à une procédure devant un conseil de guerre. C’est bien ce qu’elle veut dire car il est déjà inhabituel de désigner des conseils de guerre dans des cas analogues.
Mais, à votre avis, c’est aller un peu loin qu’instituer un conseil de guerre pour faire exécuter des cheminots qui refusent de travailler ? C’est quelque peu exagéré, n’est-il pas vrai ?
Évidemment, c’était une mesure très dure.
Prétendez-vous devant le Tribunal que lorsque vous avez procédé à toutes ces modifications, à la suite de celles que vous aviez apportées à l’ordre remplaçant le décret « Nacht und Nebel », que vous aviez désapprouvé, vous alliez chaque fois consulter Hitler ?
Oui, j’ai été le voir à l’occasion de chacun de ces ordres. Je dois insister sur le fait que je ne promulguais aucun ordre sans en avoir référé à Hitler. J’insiste fortement sur ce point.
Monsieur le Président, je crois qu’un malentendu s’est glissé dans la traduction. On a traduit « Standgericht » par « Summary Court ». Je crois que les mots « Summary Court » ne représentent pas exactement la signification du mot allemand « Standgericht ». Je ne sais pas au juste ce que le mot anglais ou américain « Summary Court » signifie, mais j’imagine qu’il sert à désigner un tribunal à procédure sommaire.
C’est en faveur de l’accusé que j’ai interprété la nature du tribunal dans le sens de celui dont il a parlé hier, composé d’un officier et de deux soldats. Si je me trompe l’accusé voudra bien rectifier.
J’ai brièvement parlé hier de ces instances devant les « Standgericht ». Le critérium d’un « Standgericht » c’est que la présence d’une personnalité experte en matières juridiques n’y est pas toujours réalisée, bien qu’elle soit souhaitable.
Puisque nous sommes sur le chapitre de la traduction, l’accusé a semblé suggérer qu’il n’y avait en allemand aucun mot correspondant au mot anglais « naturally ». Est-ce exact ?
Je viens de faire vérifier l’exactitude de la traduction.
Il y a un mot allemand qui correspond à « naturally ». J’aimerais l’entendre dire par le Dr Nelte.
On me dit qu’une conception erronée peut naître du fait que dans le Droit britannique et anglo-américain, une « Summary Court » n’a pas le droit de prononcer des sentences de mort...
Excusez-moi, Docteur Nelte, ce, n’est pas cela que j’ai demandé. Je vous ai demandé s’il y avait un mot allemand correspondant au mot anglais « naturally ». N’est-ce pas clair ? C’était là la question.
Dans le texte allemand, il y a « unter solchen Verhältnissenselbstverständlich ». Je crois que la traduction anglaise est incorrecte en utilisant le mot « naturally » et en le plaçant après « in these circumstances » au lieu de le mettre avant, de sorte qu’on est amené à conclure que cela veut dire : « Naturellement, dans de telles circonstances, rien ne s’oppose à ce qu’un conseil de guerre prononce et fasse exécuter des peines de mort ».
La réponse à ma question est donc « oui ». Il y a un mot allemand correspondant à l’anglais « naturally ».
Oui, mais les mots « naturally » et « under such circumstances » sont séparés dans le texte anglais, tandis qu’ils sont ensemble dans l’allemand. Le mot « naturally » se rapporte à « under such circumstances ».
J’aborde maintenant une autre question : vous nous avez dit hier que vous vous étiez occupé du travail forcé, en raison du manque de main-d’œuvre, et que vous avez dû prélever des hommes travaillant dans l’industrie pour les mobiliser dans l’Armée. Vos services utilisaient les Forces armées pour recruter des personnes pour le travail obligatoire ?
Je crois que ce n’est pas là une conception tout à fait exacte. Le service de placement du Haut Commandement de la Wehrmacht...
Si vous voulez le nier, je vais vous présenter le document. Je vais vous présenter les vues du général Warlimont, nous allons voir si vous les approuvez. Je crois que cela gagnera du temps. Regardez le document PS-3819 qui devient GB-306, à la page 9 du texte anglais. C’est le compte rendu d’une réunion qui se tint à Berlin le 12 juillet 1944 ; vous trouverez après les lettres de l’accusé Sauckel et de l’accusé Speer, le compte rendu de cette réunion de Berlin. C’est à la page 10 du document allemand. Il y eut d’abord un discours du Dr Lammers, puis de l’accusé Sauckel, un autre du témoin von Steengracht ; enfin, un du général Warlimont.
« Le représentant du chef de l’OKW, le général Warlimont, se référa à un ordre récent du Führer ». Avez-vous trouvé ce passage ? Si oui je vais le lire.
Oui, j’ai trouvé le paragraphe « Le représentant du chef de l’OKW... »
« Le représentant du chef de l’OKW le général Warlimont, se référa à un ordre récent du Führer aux termes duquel toutes les Forces allemandes devaient participer au recrutement de la main-d’œuvre. Chaque fois que la Wehrmacht était stationnée quelque part, on devait pouvoir en disposer sauf lorsqu’on l’utilisait exclusivement à des tâches militaires urgentes (comme par exemple la construction de défenses côtières). Toutefois, on ne pouvait l’utiliser expressément pour le service du plénipotentiaire à la main-d’œuvre.
« Le général Warlimont a fait les suggestions pratiques suivantes :
« a) Les troupes utilisées dans les combats contre les partisans doivent, en outre, recruter de la main-d’œuvre dans les zones infestées par ceux-ci ; quiconque ne peut valablement justifier sa présence dans lesdites zones doit être recruté par la force.
« b) Lorsque des grandes villes sont, en raison des difficultés du ravitaillement, totalement ou partiellement évacuées, les membres de la population qui sont en état de travailler doivent être, avec l’aide de la Wehrmacht, mis au travail.
« c) Les réfugiés venant des régions voisines du front doivent être rassemblés afin d’être mis au travail avec l’aide de la Wehrmacht avec une sévérité spéciale. »
Après avoir lu ce compte rendu du général Warlimont, maintenez-vous que la Wehrmacht...
Je ne suis pas au courant du fait que la Wehrmacht ait jamais reçu un ordre ayant un rapport avec le rassemblement des travailleurs, ni que de telles demandes aient été faites. Je n’en ai jamais eu confirmation. Une telle conférence m’est inconnue ainsi que les propositions dont vous avez parlé. Tout cela est nouveau pour moi, dans la mesure où cela me concerne.
Il est très clair que le général Warlimont suggère que la Wehrmacht aide au rassemblement de la main-d’œuvre pour le travail forcé ?
A ma connaissance, cela ne s’est jamais produit ; j’ignore la promulgation d’un tel ordre. D’après le compte rendu, ce n’est qu’une proposition du général Warlimont.
Sir David, dans ce cas, peut-être pourriez-vous lire les trois lignes qui suivent le passage dont vous avez fait mention.
Oui, Monsieur le Président :
« Le Gauleiter Sauckel accepta ces suggestions avec des remerciements et exprima l’espoir qu’un certain succès serait assuré par ces mesures ».
Est-ce que je puis ajouter quelque chose à ce sujet ? Je voudrais qu’en temps voulu on demandât au Gauleiter Sauckel dans quelle mesure la Wehrmacht a effectivement participé à cette affaire. Quant à moi, je n’en sais rien.
Je ne doute pas que l’on pose à l’accusé Sauckel un certain nombre de questions, en temps voulu. Pour le moment, c’est vous que j’interroge. Vous dites que vous ne vous rappelez rien ?
Non, je ne me rappelle pas qu’un ordre ait été promulgué à ce sujet. Je déduis de la déclaration de Warlimont que des discussions ont eu lieu.
Je voudrais maintenant vous poser quelques questions à propos de l’assassinat de certaines catégories de prisonniers de guerre. Je veux éclaircir tout à fait la question. Avez-vous eu hier l’intention de justifier l’ordre promulgué le 8 octobre 1942 d’exécuter les commandos ? Vouliez-vous prétendre qu’il était juste ou non ?
J’ai expliqué hier que ni le général Jodl, ni moi, ne considérions que nous avions le droit ou la possibilité de rédiger ou de soumettre un tel ordre. Nous ne l’avons pas fait, car nous n’avions aucune raison à donner pour sa justification.
La question suivante que je vous pose est celle-ci : avez-vous approuvé et considéré comme juste l’ordre de fusiller les commandos ?
Je cessai de m’y opposer, d’abord par crainte de punition, et ensuite parce que je ne pouvais pas modifier cet ordre sans l’avis de Hitler.
Avez-vous considéré que cet ordre était justifié ?
D’après mes convictions profondes, je le considérais comme injuste, mais après qu’il fut donné, je ne m’y suis nullement opposé et je n’ai pas pris position à ce sujet.
Saviez-vous que vos propres ordres contenaient des dispositions sur les parachutages effectués dans des buts de sabotage ? Ne vous souvenez-vous pas du « Cas Vert » contre la Tchécoslovaquie ? Je puis vous l’expliquer, mais j’aimerais tellement mieux que vous vous en rappeliez vous-même. Ne vous rappelez-vous pas vos propres ordres qui contenaient des instructions en vue de parachutages éventuels en Tchécoslovaquie dans des buts de sabotage ?
Non, je ne me rappelle pas du tout un ordre semblable.
Je vais vous y renvoyer. Monsieur le Président, c’est aux pages 21 et 22 du livre de documents.
De quel livre de documents ?
Ce doit être votre premier livre de documents. Cela fait partie du dossier du « Cas Vert » qui est le document PS-388, article 11. Ce doit être aux environs de la page 15, 16 ou 20. Vous vous rappelez le rapport de Schmundt : il y a ensuite une division en articles. Le Tribunal les trouvera au bas de la page 21. « Pour le succès de cette opération, une collaboration entre la population de la frontière des Sudètes, les déserteurs de l’Armée tchèque, les parachutistes des troupes aéroportées et les unités du service de sabotage sera indispensable ».
Est-ce que je peux lire le paragraphe dont vous parlez ?
Oui. Il porte le titre : « Missions pour les différentes unités de l’Armée ».
Missions des unités A de l’Armée. Il est dit : « En vue du succès de l’opération, il sera important de s’assurer la collaboration de la population frontalière allemande des Sudètes, des déserteurs de l’Armée tchécoslovaque, des parachutistes ou des troupes aéroportées et des éléments du service de sabotage ».
Ces parachutistes et ces troupes aéroportées devaient en réalité être engagés sur les fortifications aux frontières, comme je l’expliquais hier, car, aux dires de l’Armée de terre, les moyens en artillerie étaient insuffisants à venir à eux seuls à bout de ces fortifications.
Il ne s’agit ici ni de parachutistes ni de saboteurs, mais de membres authentiques de l’Aviation allemande et le service du sabotage n’est mentionné qu’à la fin.
Le service de sabotage se composait d’individus qui devaient se livrer au sabotage puisque c’était leur raison d’être ; ils devaient faire du sabotage, n’est-ce pas ?
Sans aucun doute, mais il n’était pas exercé par des troupes aéroportées ni des parachutistes mais par des saboteurs qui, dans les zones frontalières, offraient leurs services pour ce genre de travail.
Je ne veux pas discuter avec vous, mais je voulais éclaircir cette question. J’en viens maintenant à la façon dont cet ordre du Führer fut publié. Le Tribunal trouvera cet ordre à la page 64, mais je voudrais qu’il veuille bien se reporter à la page 66 (page 25 de votre livre, accusé). Voici la deuxième phrase de l’ordre de l’accusé Jodl.
« Aux commandants : cet ordre est uniquement destiné aux commandants et ne doit en aucun cas tomber entre les mains de l’ennemi. »
Était-ce parce que vous-même et l’accusé Jodl aviez honte de cet ordre que vous lui aviez attaché ce caractère secret ?
Je ne l’ai pas encore trouvé : à la page 25, il y a un télétype.
Il provient de l’Oberkommando de la Wehrmacht, à la date du 19 octobre. Avez-vous trouvé cette seconde phrase ?
Du 18 octobre F942 ?
Il est entré en vigueur le 19 octobre, mais a été promulgué le 18. « Cet ordre est uniquement destiné aux commandants et ne doit en aucun cas tomber entre les mains de l’ennemi ». Était-ce parce que vous aviez honte de cet ordre qu’il a été mis sous cette forme ?
Je n’ai pas vu cette lettre et je pense qu’il faudrait interroger le général Jodl à ce sujet. Je n’en connais pas le contenu, mais j’ai déjà expliqué notre commune opinion. Je ne peux pas vous en donner les motifs.
Vous ne pouvez me donner aucune raison justifiant cette demande de garder le secret ?
Je n’en connais pas les motifs, je vous prie de poser la question au général Jodl, je n’ai jamais vu cela. J’ai déjà dit ce que nous en pensions, Jodl et moi.
Je voudrais que vous examiniez la façon dont Hitler lui-même s’exprime à cet égard. A la page 31 de votre livre se trouve un rapport de Hitler, dans lequel il dit :
« L’annonce qui en sera faite dans le communiqué des Forces armées devra déclarer d’une façon brève et laconique qu’une unité de sabotage, de terrorisme ou de destruction a été attaquée et exterminée jusqu’au dernier homme ».
Vous faisiez de votre mieux — quand je dis, « vous » c’est Hitler, vous-même, Jodl et tous ceux qui s’en occupaient — pour que le silence fût fait autour de cette affaire ?
Je n’en ai pas l’impression : au contraire, dans tous les cas les faits étaient abondamment commentés dans le communiqué de la Wehrmacht. Je me souviens qu’on y exposait comment tel ou tel incident s’était produit et quelles étaient les conséquences qui en avaient découlé.
Je vais maintenant vous demander de regarder un autre document. A ce propos, vous vous souvenez que l’Union Soviétique a jugé un certain nombre de personnes à Kharkov alors que vous aviez essayé d’ériger un système de contre-propagande : regardez ce document concernant ces exécutions, il se trouve à la page 308. C’est le document UK-57. Vous en avez un exemplaire. Je vais vous interroger sur deux incidents. Vous voyez qu’il s’agit d’un mémorandum et que le passage auquel je veux que vous vous reportiez se trouve au numéro 2, paragraphe 2, intitulé « Tentative d’attaque contre le cuirassé Tirpitz ». L’avez-vous trouvé ?
Un instant, je ne l’ai pas encore. Cuirassé Tirpitz... ah ! voilà.
Vous l’avez ? Écoutez maintenant : « A la fin d’octobre 1942, un commando britannique qui était venu en Norvège, à bord d’un cotre, avait reçu l’ordre d’attaquer le cuirassé Tirpitz dans le fjord de Trondjheim au moyen d’une torpille humaine jumelée. Cette entreprise n’a pas réussi car les deux torpilles attachées au cotre avaient été perdues au cours d’une tempête. De l’équipage comprenant six Anglais et quatre Norvégiens, trois Anglais et deux Norvégiens ont pu franchir la frontière suédoise. Cependant, seul, le marin anglais Robert Paul Evans, né le 14 janvier 1922 à Londres et qui était en vêtements civils a pu être arrêté ; les autres s’échappèrent en Suède. Evans avait sur lui un étui revolver tel que ceux dont on se sert pour porter une arme sous le bras, ainsi qu’un coup-de-poing américain. »
Et à la page suivante : « Des actes de violence contraires au Droit international n’ont pu lui être reprochés ».
De tels incidents ont-ils été portés à votre connaissance ?
Je ne me souviens pas de cet incident, mais je peux constater que mes services m’en ont rendu compte.
Vous nous avez dit que vous aviez été soldat pendant quarante et un ans et vous nous avez fait part de vos conceptions militaires. Au nom de toutes les traditions militaires, qu’est-ce que ce garçon avait fait de mal en venant attaquer un navire de guerre avec une torpille humaine jumelée ? Quel crime avait-il commis ?
Non. Il s’agit d’une attaque contre une arme de guerre, mais elle n’était pas menée par des soldats agissant en qualité de membres d’une armée. Il s’agissait de supprimer un navire par voie de sabotage.
Mais lorsqu’on se prépare à attaquer un navire de guerre avec une torpille humaine jumelée, qu’y a-t-il à reprocher à un marin ? Je veux comprendre votre état d’esprit. Vous qui avez été soldat pendant quarante ans, que reprochez-vous à un homme qui dirigeait une torpille contre un navire de ligne. Je ne vois pas ce qu’il y a là de répréhensible.
Ce n’est pas plus grave qu’une attaque avec une bombe aérienne, si elle réussit. Je reconnais que c’est, en effet, une attaque régulière.
Si vous n’avez pas eu connaissance de cet incident, je ne vous parlerai pas des autres qui sont analogues, comme le cas, par exemple, des hommes en uniforme qui remontèrent la Gironde pour attaquer des navires allemands. Mais voilà ce que je veux comprendre : vous étiez maréchal, successeur de Blücher, de Gneisenau et de Moltke ; comment avez-vous pu tolérer que tous ces jeunes gens fussent assassinés les uns après les autres sans élever de protestations ?
J’ai déjà donné en détail les raisons pour lesquelles je n’ai pas opposé de résistance ni fait d’objections ; je n’ai rien à changer aujourd’hui à mes déclarations. Je sais que ces incidents se sont produits et j’en connais les conséquences.
Mais, maréchal, je voudrais que vous réfléchissiez : autant que je sache, dans le code militaire allemand comme dans tout code de justice militaire, un soldat n’est pas obligé de se conformer à un ordre qu’il sait être contraire aux lois de la guerre. Il en est ainsi dans votre Armée, dans la nôtre et dans toutes les armées.
Personnellement, je n’ai pas exécuté l’ordre du 18 octobre 1942. Je n’étais présent ni à l’embouchure de la Gironde, ni à l’attaque du Tirpitz. J’ai simplement appris que cet ordre avait été diffusé avec toutes les menaces de sanctions qui ont rendu si difficiles, de la part des chefs, des atténuations ou des modifications. Vous m’avez demandé vous-même, Sir David, si je considérais que cet ordre était justifié ou s’il répondait à un but utile, et je vous ai répondu sans détour que je n’aurais pas pu empêcher les incidents qui se sont produits à l’embouchure de la Gironde et dans le cas du Tirpitz, même si je l’avais voulu.
Vous comprenez la difficulté. Je vous ai donné deux exemples ; il y en a beaucoup d’autres ; nous avons entendu parler de ceux qui ont eu lieu en Italie. Je voudrais savoir ceci : vous étiez le représentant — vous nous l’avez dit plus de cent fois — de la tradition militaire. Vous aviez derrière vous un corps d’officiers...
Non, Sir David. Je dois nier cela. Je n’étais responsable ni de la Marine, ni de l’Armée, ni de l’Aviation ; je n’étais pas un commandant : j’étais chef d’État-Major et je n’avais pas qualité pour intervenir dans l’exécution des ordres donnés dans les différentes parties de l’Armée, dont chacune avait à sa tête un Commandant en chef.
Nous avons entendu parler de vos fonctions de chef d’État-Major ; mais je voudrais que cela soit tout à fait clair. Vous étiez maréchal, Kesselring était maréchal, Milch était maréchal. Vous aviez tous reçu, je suppose, une instruction militaire, et vous aviez tous de l’influence sur les Forces armées allemandes, à défaut d’autorité. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu un seul homme de votre grade, ayant les mêmes traditions militaires que vous, qui ait eu le courage de se dresser et de s’opposer à ces assassinats ? C’est cela que je voudrais savoir.
Je ne l’ai pas fait. Je n’ai pas élevé d’objections à cela ; je n’ai rien à ajouter et je ne puis parler pour les autres.
Si vous ne pouvez rien dire de plus, n’insistons pas. Je vais voir quelle a été votre attitude à l’égard de nos alliés français, car on m’a demandé de traiter certains sujets pour la Délégation française. Vous vous souvenez que sur le front de l’Est vous aviez capturé des Français qui combattaient avec les Russes. Vous vous rappelez avoir rédigé un ordre à ce propos ? Vous aviez capturé des « Gaullistes » — comme vous les appeliez — c’est-à-dire des Français libres combattant dans les rangs russes ; vous rappelez-vous ce que vous avez décidé au sujet de ces hommes ?
Je me rappelle de la transmission d’un ordre du Führer, disant qu’il fallait remettre ces Français à leur Gouvernement légal, celui que nous avions reconnu.
Ce n’est naturellement pas la partie de l’ordre à laquelle je pense :
« Des enquêtes détaillées doivent être faites dans les familles des Français combattant pour les Russes. Si l’enquête révèle que des parents ont facilité à ces hommes leur évasion hors de France, il faudra prendre des mesures très sévères. L’OKW/WR doit faire les démarches nécessaires, en accord avec les commandements militaires compétents et les hautes autorités des SS et de la Police en France. Signé : Keitel. »
Pouvez-vous rien imaginer de pire que ces mesures sévères prises contre une mère qui a aidé son fils à aller combattre avec les alliés de son pays ? Pouvez-vous imaginer quelque chose de plus méprisable ?
Je puis m’imaginer beaucoup de choses, car j’ai perdu mes propres fils à la guerre. Je ne suis pas l’auteur de cette idée ; je n’ai fait que la transmettre.
Vous voyez la différence, accusé, entre mes arguments et les vôtres. Perdre ses fils à la guerre est une terrible tragédie. Prendre de sévères mesures contre la mère d’un enfant qui veut aller combattre avec les alliés de son pays est un acte méprisable. Le premier fait est une tragédie, le second est le comble de la brutalité. Êtes-vous d’accord ?
Je ne peux que vous dire que les conséquences de ces enquêtes ne sont pas indiquées dans ce document. Je les ignore.
Si c’est là tout ce que vous pouvez me répondre, je vais vous demander de regarder autre chose.
Non, je voudrais ajouter que je regrette que des familles aient pu être rendues responsables des méfaits de leurs fils.
Je ne veux pas perdre de temps à discuter sur le sens du mot « méfait » ; si vous croyez qu’il s’agit d’un méfait, ce n’est pas la peine de discuter davantage ; mais je proteste contre ce mot.
Mais ce n’était pas là un cas isolé. Regardez à la page 110 (a) de votre livre de documents, page 122 du texte allemand. C’est un ordre du 1er octobre 1941 : « Les attaques qui ont récemment été commises contre les membres des Forces armées dans les territoires occupés, fournissent l’occasion de faire remarquer qu’il serait désirable que les chefs militaires aient toujours à leur disposition un certain nombre d’otages appartenant à différentes tendances politiques, c’est-à-dire : 1) Nationalistes, 2) Bourgeois démocrates et 3) Communistes. Il est important que parmi ces gens figurent des personnalités bien connues ou des membres de leurs familles dont les noms doivent être publiés. Des otages appartenant à la même tendance politique que le délinquant doivent être fusillés en cas d’attaque. Les commandants recevront des instructions en conséquence. Signé : Keitel. » (Document PS-1590.)
Pourquoi, si vous arrêtiez un bourgeois démocrate, teniez-vous tant à ce que les commandants eussent à leur disposition un nombre suffisant de bourgeois démocrates à fusiller comme otages ? Je croyais que vous n’étiez pas un politicien.
Je n’y tenais pas du tout et cette idée-là n’était pas de moi : elle correspond aux instructions officielles concernant les otages, que j’ai expliquées hier ou avant-hier et qui déclarent que les otages doivent appartenir au même milieu politique que les délinquants. Si mes souvenirs sont exacts, il s’agit là d’un commentaire.
Approuviez-vous le procédé qui consistait à fusiller un certain nombre de démocrates bourgeois pour la raison qu’une famille démocrate bourgeoise avait pris part au sabotage ou à la résistance ? Étiez-vous de cet avis ?
J’ai déjà expliqué comment les ordres d’exécution d’otages devaient être appliqués et en particulier dans le cas des condamnés à mort.
Je vous pose une question tout à fait nette : approuviez-vous ou non que l’on prenne comme otages un certain nombre de bourgeois démocrates parce qu’un bourgeois démocrate...
Le document n’en parle pas. Il mentionne simplement l’arrestation d’otages ; mais il ne dit rien de leur exécution.
Voulez-vous regarder de plus près puisque vous me contredisez tellement bien ? Suivant l’appartenance du coupable, c’est-à-dire qu’il soit nationaliste, démocrate bourgeois ou communiste, « des otages du groupe correspondant doivent être fusillés en cas d’attaque ».
Si cela figure dans le document, j’ai du également l’exécuter. Le document se référant à la réunion des commandants montre clairement comment cela s’est passé dans la pratique.
Maintenant, répondez à ma question : avez-vous approuvé tout cela ?
Personnellement, j’avais des vues différentes sur le système des otages, mais j’ai signé ce document car on m’en avait donné l’ordre.
Vous dites que vous aviez des vues différentes. Voulez-vous vous reporter à une lettre de Terboven qui exerçait ses pouvoirs en Norvège ; c’est le document PS-870, page 85-71-A, déposé sous le numéro RF-281. C’est un compte rendu rédigé par Terboven pour informer le Führer. Regardez le paragraphe II, intitulé « Contre-mesures », sous-paragraphe 4. Vous l’avez trouvé ? Excusez-moi, vous n’avez peut-être pas entendu le numéro que je vous ai donné, c’est à la page 71-A du livre de documents. On m’a dit qu’il avait été déposé par la Délégation française sous le numéro RF-281.
Quel numéro est-ce ?
RF-281. Avez-vous trouvé la section 2, paragraphe 4 ? Il y est dit : « Je viens de recevoir un télégramme du Feldmarschall Keitel, dans lequel il demande la promulgation d’un décret rendant les membres du personnel et, si nécessaire, leurs familles, collectivement responsables des actes de sabotage commis dans les entreprises. Cette demande n’aura de sens et d’effet que s’il est en fait possible, le cas échéant, de procéder à des exécutions. Si ce n’est pas possible, cette prescription aura un effet exactement contraire ».
En face des mots : « ... s’il est en fait possible, le cas échéant, de procéder à des exécutions » vous avez ajouté une note au crayon :
« Oui, c’est la meilleure méthode ».
C’est là un troisième exemple où je soutiens que vous-même approuviez et encouragiez les exécutions de proches parents pour un acte commis par un membre de leur famille. Qu’avez-vous à dire à propos de cette note au crayon ?
J’ai en effet écrit cette note marginale. L’ordre donné était rédigé différemment, ainsi que la réponse qui y a été faite. J’ai bien écrit cette remarque.
C’est ce que je voulais savoir. Pourquoi avez-vous écrit en face : « Oui, c’est la meilleure méthode », approuvant ainsi la méthode du peloton d’exécution pour les parents de ceux qui avaient commis des délits contre les forces d’occupation et en Norvège. Pourquoi trouviez-vous que la meilleure méthode consistait à fusiller les parents ? Pourquoi ?
Rien de pareil ne s’est jamais passé. L’ordre qui a été donné était tout différent.
Ce n’est pas ce que je vous demande et je vais vous donner une autre occasion de me répondre. Pourquoi avez-vous ajouté au crayon sur le document : « Oui, c’est la meilleure méthode » ?
Je ne suis plus capable de vous le dire aujourd’hui, en raison du fait que je voyais journellement des centaines de documents. Je l’ai écrit et je le reconnais.
Et naturellement, à moins que cela ne signifie quelque chose de tout à fait différent de ce que vous avez écrit, cela veut dire que vous approuviez vous-même que l’on envoyât les parents au peloton d’exécution, et que vous pensiez que c’était la meilleure méthode.
Je crois, Monsieur le Président, que le Tribunal désirerait suspendre ?
Oui.
Je n’ai pas fini, Monsieur le Président. Je continuerai lundi matin.
Très bien. L’accusé peut retourner à son banc. Nous allons examiner les autres requêtes.
Sir David, procéderons-nous de la même façon pour ces requêtes ?
Oui, Monsieur le Président. La première est faite au nom de l’accusé Kaltenbrunner et concerne un témoin nommé Hoess, ancien commandant du camp de concentration d’Auschwitz. Monsieur le Président, le Ministère Public n’a pas d’objections à faire.
C’est là une requête qui doit avoir été faite par un grand nombre d’avocats.
Oui, Monsieur le Président, vous avez raison. Le Ministère Public estime qu’en sa qualité de commandant du camp de concentration d’Auschwitz, il pourrait contribuer à renseigner le Tribunal, si aucune objection n’est formulée.
Docteur Stahmer, je vois que vous êtes parmi ceux des avocats qui l’ont demandé. Désirez-vous ajouter quelque chose à ce sujet ?
Je n’ai rien à ajouter à ma demande écrite.
Merci. Le Tribunal va la prendre en considération.
Monsieur le Président, la suivante concerne le Dr Naville, qui a été accordé comme témoin à l’accusé Göring, à condition qu’on pût le retrouver. On l’a trouvé en Suisse et je crois savoir qu’il a informé le Tribunal qu’il ne voyait pas l’utilité de venir témoigner en faveur de Göring ; il est maintenant demandé par le Dr Nelte, avocat de Keitel, pour témoigner que les prisonniers de guerre ont été traités suivant les règlements de la Convention de Genève, le Dr Naville ayant été représentant de la Croix-Rouge. Le Dr Nelte, m’a-t-on dit, se contenterait d’un questionnaire et le Ministère Public n’a pas d’objection à formuler.
Docteur Nelte ?
C’est exact. Je suis d’accord pourvu que je puisse avoir l’autorisation de mettre par écrit les questions que j’ai à poser au Dr Naville. Mais puis-je ajouter quelque chose, non pas à propos de cette requête mais à propos d’une autre que j’ai déjà soumise hier ou avant-hier au Ministère Public par l’intermédiaire de la section de traduction ? Ma demande sur l’admission des sténographes de Hitler comme témoins avait été rejetée par le Tribunal, comme non pertinente. J’ai reçu une lettre d’un de ces sténographes avec un affidavit dans lequel je trouve un passage qui se réfère à la conduite adoptée par Keitel vis-à-vis de Hitler pendant ses conférences. L’opinion publique a critiqué les accusés, et cette tendance s’est manifestée déjà dans cette salle d’audience, parce qu’ils se référaient toujours à des morts lorsqu’ils voulaient apporter quelques éléments à leur décharge. L’accusé Keitel voudrait que la partie de l’affidavit que j’ai l’intention de soumettre au Tribunal soit admise tout comme un affidavit complet, afin que le témoin n’ait pas à comparaître et qu’il me soit alors possible de soumettre ce passage de l’affidavit, en accord avec le Ministère Public.
Si le Dr Nelte, Monsieur le Président, veut bien soumettre le passage, nous étudierons la question, mais je n’ai pas eu l’occasion de le faire jusqu’à présent.
Bien. Si vous voulez procéder ainsi, nous ne faisons pas d’objections.
Très bien. Vous m’en ferez donner un exemplaire ?
Oui.
Monsieur le Président, la requête suivante concerne l’accusé von Schirach, aux fins de soumettre un affidavit du Dr Hans Carossa. Cet affidavit tend à prouver que l’accusé essaya de rester à l’écart des directives du Parti en matière de littérature et d’art et que, tandis qu’il était Gauleiter à Vienne, il intervint à plusieurs reprises en faveur des Juifs et des internés des camps de concentration. Monsieur le Président, le Ministère Public ne s’oppose pas à ce que cet affidavit soit déposé.
La requête suivante est faite au nom de l’accusé Funk pour que des questionnaires soient soumis à M. Messersmith à propos des relations de Funk avec le Parti et de son activité au ministère de la Propagande du Reich. Monsieur le Président, le Ministère Public n’a pas d’objection à formuler mais rappelle au Tribunal que, le 15 mars, l’accusé Funk a déjà demandé l’autorisation de présenter un affidavit de M. Messersmith, se rapportant au précédent affidavit du même M. Messersmith. Le Ministère Public n’élève aucune objection, mais le Tribunal n’a pas encore, autant que nous sachions, donné suite à cette demande. Je voulais donc que le Tribunal ait connaissance de cette demande antérieure...
Vous parlez d’un affidavit ou d’un questionnaire du 15 mars ?
D’un questionnaire.
D’un questionnaire ? Nous nous en sommes sûrement occupés.
C’est tout au moins le renseignement qui m’a été donné par mes services. Ils n’ont pas vu le...
Je comprends.
Au cas où le Tribunal n’aurait pas réglé cette question, nous voulons vous faire connaître qu’il n’y a rien d’exceptionnel. Nous n’avons pas d’objection.
Ensuite, l’accusé Rosenberg demande une instruction qui lui a été adressée par Hitler en juin 1943. Il n’y a pas d’objection de la part du Ministère Public. On me dit que nous ne pourrons revenir sur une demande antérieure, mais en l’état actuel des choses, nous n’avons aucune objection à formuler.
Monsieur le Président, la demande suivante, qui concerne von Neurath, est relative à un questionnaire à adresser au professeur Kossuth, un habitant de Prague. Monsieur le Président, nous n’élevons aucune objection à ce questionnaire.
Puis, Monsieur le Président, il y a une demande contraire, si je puis m’exprimer ainsi, du Dr Dix, pour l’accusé Schacht, la substitution d’un affidavit à l’audition de Hülse, qui fut cité comme témoin. Monsieur le Président, nous n’avons pas d’objection.
C’est le témoin Hülse. Il m’a été accordé comme témoin. Afin de simplifier et de raccourcir les débats, j’ai décidé de renoncer au droit d’entendre le témoin puisqu’il y avait un affidavit. J’ai reçu cet affidavit. Pendant que cette demande était en cours, cependant, le témoin est arrivé à Nuremberg et il est ici maintenant ; je pense donc que le mieux serait qu’il restât et que j’obtienne la permission de l’interroger sur son affidavit, lui demander de le confirmer et de lui poser quelques questions supplémentaires. Je pense que ce serait bien plus pratique que de faire venir le témoin ici sans motif et de le renvoyer ensuite pour ne retenir que l’affidavit. Mon but était simplement d’éviter les complications qu’on aurait eues à le faire venir.
Alors, vous retirez la demande de présentation d’un affidavit...
Le témoin Hülse est-il prisonnier ou non ? Est-il interné ?
C’est un témoin libre. Il n’est pas en prison et circule librement dans Nuremberg.
Peut-il rester ici jusqu’à la présentation du cas de Schacht ?
Je crois. Il m’a dit qu’il pouvait et qu’il désirait rester.
Monsieur le Président, nous n’avons pas d’objection. Le Tribunal l’avait déjà accordé comme témoin. Si le Dr Dix désire se servir de lui, nous n’avons évidemment pas d’objection à élever.
La requête suivante est faite au nom de l’accusé Streicher à propos d’un affidavit du Dr Herold. En résumé, le Ministère Public suggère qu’on remplace l’affidavit par des questionnaires et ne fait ainsi aucune objection.
Monsieur le Président, je n’ai plus qu’une seule chose à dire. J’ai eu avec le Dr Dix, hier soir, une discussion fort utile, à la suite d’une proposition du Tribunal de parcourir les documents. Le Dr Dix m’a beaucoup aidé en expliquant le but de ses documents et ce qu’ils étaient. J’estime que si chaque avocat voulait, en expliquant les documents, donner également les raisons de la comparution de ses témoins (je ne veux les embarrasser en aucune façon), soit à M. Dodd soit à moi-même, cela nous permettrait de gagner beaucoup de temps, en indiquant si la déposition des témoins peut être acceptée ou si l’on doit s’y opposer.
J’expose ce point maintenant car nous allons discuter sur des documents et, si les avocats voulaient étendre le procédé aux témoins, je suis certain que nous pourrions réaliser une coopération des plus profitables.
Vous suggérez, Sir David, qu’ils devraient vous expliquer la nature de la déposition que leurs témoins vont donner ?
Oui.
Et si le Ministère Public n’y voyait pas d’objection, de rassembler ces explications dans un affidavit ?
Oui, on pourrait probablement se passer du témoin et probablement se contenter d’un affidavit. Évidemment, j’ai été informé du but général des témoignages parce que j’ai déjà considéré les requêtes, mais si les avocats pouvaient s’en occuper un peu plus qu’ils ne le font d’habitude quand ils convoquent le témoin et m’expliquer à quelles fins ils le font, je pourrais probablement leur donner mon accord, en tout ou en partie, ce qui leur éviterait ainsi beaucoup de travail et épargnerait les instants du Tribunal.
Je pense que le Tribunal aimerait savoir si les avocats croient que cette méthode est possible et si elle peut abréger leur cause. Le Dr Dix pourrait-il nous dire ce qu’il en pense ?
Naturellement, je ne peux pas faire une déclaration sur les vues de mes collègues, car je ne puis pas lire dans leur esprit. Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est que je recommande à mes collègues le genre de conversation, utile et efficace, que j’ai eu l’honneur d’avoir avec Sir David hier. Personnellement, je suis enclin à croire que mes collègues approuveront cette procédure, à moins qu’il n’y ait quelque objection individuelle, ce qui est toujours possible.
Avez-vous compris que Sir David a suggéré qu’une telle conversation devrait s’appliquer non seulement aux documents mais aussi aux témoins, et que si vous pouviez indiquer d’une façon plus détaillée dans vos requêtes l’objet du témoignage, le Ministère Public pourrait alors probablement dire qu’il ne se propose pas de réfuter le témoignage et, qu’en conséquence, celui-ci pourrait être incorporé dans un affidavit ?
Monsieur le Président, si Votre Honneur m’autorise à intervenir, je puis dire que s’ils désirent produire un commentaire sur un témoignage particulier, le Ministère Public, j’en suis sûr, serait dans la plupart des cas disposé à dire :
« Bien, vous produisez un commentaire sur ce point et nous l’admettrons sans aucune formalité ».
Peut-être, Docteur Dix, vous et les autres avocats pourriez-vous étudier la question ?
Oui, j’avais compris cette suggestion exactement comme vous, Monsieur le Président. Nous avons parlé, Sir David et moi, à la fois des témoins et des documents, et cela nous a été très utile Je...
Si c’est tout ce que nous avions à régler...
Oui, si vous le voulez bien, Monsieur le Président.
L’audience est levée.