QUATRE-VINGT-DIXIÈME JOURNÉE.
Lundi 25 mars 1946.

Audience du matin.

L’HUISSIER AUDIENCIER (colonel Charles W. Mays)

Plaise au Tribunal. Les accusés Streicher et Ribbentrop n’assisteront pas aujourd’hui aux débats.

LE PRÉSIDENT (Lord Justice Sir Geoffroy Lawrence)

Docteur Seidl.

Dr SEIDL (avocat des accusés Hess et Frank)

Monsieur le Président, Messieurs, vendredi dernier j’ai déclaré que je ne lirai rien du premier livre de documents. Cela ne veut pas dire que, dans ma plaidoirie, je ne me référerai pas à l’un ou l’autre de ces documents. Surgit maintenant la question de savoir si, dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de remettre au Tribunal comme preuves les documents dont je ne parlerai pas maintenant, mais auxquels je me référerai ultérieurement, ou s’il suffit que ces documents soient tout simplement reproduits dans le livre de documents, je prierai le Tribunal de vouloir bien m’aider à décider ce que je dois faire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE (Procureur Général adjoint britannique)

Votre Honneur, je suggère que le Tribunal accepte ces documents pour le moment, et lorsque le Dr Seidl prononcera sa plaidoirie, on pourra, s’il y a lieu, discuter de la question d’admissibilité.

Pour ce qui est du troisième livre, par exemple, qui consiste en un certain nombre d’opinions de politiciens et économistes des différents pays, le Ministère Public, en son temps, fera observer que ces opinions n’ont pas de valeur au point de vue preuve et, en fait, se rapportent à un sujet trop ancien pour être pertinentes Je crois que la méthode indiquée consistera à les discuter au moment de l’utilisation définitive des documents par le Dr Seidl ; pour l’instant, je suggère de les accepter comme tels.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, le Tribunal pense que vous devriez déposer ces documents comme preuves maintenant et qu’ils devraient être numérotés. La meilleure méthode serait peut-être d’utiliser la lettre H devant le chiffre : par exemple H-2, H-3, etc. Ensuite, comme Sir David l’a dit, toute objection du fait que vous les présentez tous ensemble pourra éventuellement être soulevée plus tard, afin de savoir si on peut les admettre ou s’ils sont pertinents.

Dr SEIDL

C’est entendu. J’en reviens encore une fois au volume n° 1 du livre de documents. Le premier document est un discours de l’accusé Rudolf Hess du 8 juillet 1934. Ce document portera le n° H-l, page 23 du livre de documents.

Le deuxième document se trouve page 27 du livre de documents...

LE PRÉSIDENT

Un instant, Docteur Seidl ; pourquoi ce discours-là est-il pertinent ?

Dr SEIDL

Vous voulez dire le discours du 8 juillet 1934 ?

LE PRÉSIDENT

Oui, celui du 8 juillet 1934, à la page 23.

Dr SEIDL

Oui, Monsieur le Président, ce discours a trait à la question de la guerre et de la paix. Puisqu’on reproche à l’accusé Rudolf Hess d’avoir participé à la préparation psychologique d’une guerre d’agression et d’avoir ainsi collaboré au complot général, il me paraît que l’opinion de l’accusé Hess au sujet de la question d’une guerre est d’importance capitale.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Nous vous permettrons de le lire.

Dr SEIDL

Monsieur le Président, je n’ai pas l’intention de lire ce discours maintenant. Je veux seulement produire le discours comme document, de façon à pouvoir m’en servir dans ma plaidoirie finale, si je l’estime nécessaire.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr SEIDL

Du premier livre de documents, je ne lirai absolument rien. Je ne citerai et ne produirai que certains documents comme pièces justificatives.

Je passe maintenant à la page 28 de mon livre de documents où il s’agit également d’un discours de l’accusé Hess, du 27 novembre 1934. Ce document portera le n° H-2.

LE PRÉSIDENT

Le discours du 8 décembre 1934 commence à la page 27 ?

Dr SEIDL

Oui, page 27. C’est mal indiqué dans mon livre mais il s’agit de la page 27.

Comme troisième document, je produis un discours, ou plutôt un extrait de discours, du 17 novembre 1938, page 31 du livre de documents ; c’est le document H-3.

Je passe à la page 32, extrait d’un discours du 11 octobre 1935, le n° H-4.

Suit alors un discours du 14 mars 1936, page 33 du livre de documents, qui sera le n° H-5.

Le document suivant est, page 35 du livre de documents, un discours du 21 mars 1936, n° H-6.

Le document H-7 est un discours qui se trouve page 36 du livre de documents.

Le document H-8 est le discours du 6 juin 1936, reproduit à la page 40 du livre de documents.

Je passe ensuite à la page 43 du livre de documents : discours du Reichsparteitag de 1936, à Nuremberg, n° H-9.

Suivent des extraits d’un discours, à la page 59 du livre de documents : document n° H-10.

Un discours du 14 mai 1936, à Stockholm, se trouve reproduit à la page 70 du livre de documents et portera le n° H-11.

Mon document suivant se trouve à la page 78 du livre de documents, n° H-12. Voilà tout pour le premier volume de mon livre de documents.

Je passe au deuxième volume, à l’affidavit que j’ai présenté vendredi dernier et qui se trouve à la page 164 du livre de documents. Cette déclaration émane de l’ancienne secrétaire de l’accusé, Hildegard Fath ; le document portera le n° H-13.

Le document suivant se trouve à la page 86 du deuxième livre de documents. C’est un décret du 3 juin 1936, document n° H-14.

J’en viens maintenant à la citation de divers passages du procès-verbal de l’entretien entre Rudolf Hess et Lord Simon, qui eut lieu le 10 juin 1941. Ce procès-verbal se trouve page 93 et portera le n° H-15.

Messieurs, l’accusé Hess s’est rendu, le 10 mai 1941, en Angleterre en avion. Personne ne savait rien de ce vol, sauf son ancien aide de camp, Hitsch. Le Führer lui-même ne fut informé du vol et des intentions de Hess que par une lettre qui lui fut remise après son atterrissage en Angleterre. Après son arrivée, Hess fut interrogé à diverses reprises par des fonctionnaires du Foreign Office et, comme je l’ai indiqué, le 10 juin 1941 eut lieu un entretien entre Lord Simon et lui. Cet entretien dura deux heures et demie. Lors de cette entrevue, l’accusé Hess informa Lord Simon des motifs qui l’avaient poussé à son entreprise extraordinaire et au cours de l’entretien il soumit quatre propositions, quatre points, qui, déclarait-il, auraient montré les intentions d’Adolf Hitler et qu’il considérait comme le fondement d’une entente et de la conclusion de la paix. L’entretien fut mené par Lord Simon sous un pseudonyme et, peu après l’entretien, un procès-verbal, dans lequel il figure sous le nom de Dr Guthrie, fut remis à Hess. Autant que je le sache, cette mesure a été prise afin d’éviter que les sténographes ou les interprètes ne sachent de quoi il s’agissait. Vous trouvez également dans ce procès-verbal le nom d’un Dr Mackenzie, qui est un fonctionnaire du Foreign Office et celui de M. Kirk-patrick qui avait déjà parlé auparavant à l’accusé Hess.

Après quelques mots d’introduction de Lord Simon, l’accusé Hess commença à expliquer les raisons qui l’avaient conduit à faire cette singulière démarche, et je cite la page 93 de mon livre de documents, au milieu de la page. Je dois encore ajouter que, dans ce procès-verbal, Hess est cité sous la lettre « J ». Après l’introduction, Hess expliqua...

LE PRÉSIDENT

II semble y avoir une erreur de frappe dans les dates. Je vois ici la date du 9 août ; or, vous avez dit le 10 juin, n’est-ce pas ?

Dr SEIDL

Le 10 juin, oui.

LE PRÉSIDENT

Est-ce une erreur, en haut de la page 93 ?... 9 août 1941 ?

Dr SEIDL

Sur la chemise du document se trouve la remarque suivante : « Procès-verbal d’une conversation qui eut lieu le 9 juin 1941, quelque part en Angleterre ». Sur la première page se trouve la date : 9 juin 1941 ; il doit évidemment s’agir ici d’une faute de frappe.

LE PRÉSIDENT

Oui, ce doit être cela ; on a dû écrire 8 au lieu de 6.

Dr SEIDL

Oui.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr SEIDL

« Je sais que probablement personne n’a bien compris ma venue ; mais, étant donné l’extraordinaire démarche entreprise, je ne pouvais guère m’y attendre. Je voudrais donc commencer par expliquer comment j’ai été amené à le faire ». Et je continue à la page 94 : « L’idée me vint en juin de l’année dernière, pendant la campagne de France, alors que j’étais auprès du Führer ». Je crois que je peux sauter les remarques suivantes et poursuivre textuellement la citation : « Je dois avouer que j’allai voir le Führer, convaincu, comme nous l’étions tous, de ce que, tôt ou tard, mais inévitablement, nous allions vaincre l’Angleterre, et j’exprimai au Führer mon opinion que nous devions naturellement exiger de l’Angleterre la restitution de biens matériels — tels que la valeur de notre flotte marchande, etc. tout ce qui nous avait été pris par le Traité de Versailles. »

Je passe ensuite à la page 95 : « Le Führer me contredit immédiatement. Il était d’avis que la guerre pourrait être une occasion d’arriver à un accord avec l’Angleterre, accord qu’il s’était efforcé d’obtenir dès le début de sa vie politique. Je puis attester que, depuis que je connais le Führer, c’est-à-dire depuis 1921, il a toujours déclaré qu’un accord anglo-allemand devrait intervenir. Il disait qu’il voulait le faire aussitôt qu’il serait au pouvoir et, à ce moment-là, en France, il me déclara que, même victorieux, on ne devait pas imposer des conditions sévères à un pays avec lequel on désirait conclure un accord. Je songeai alors que, si en Angleterre, on le savait, il se pourrait que ce pays, de son côté, fût prêt à conclure un accord. »

Je passe à la page 96 du livre de documents :

« A la fin de la campagne de France, le Führer fit son offre à l’Angleterre. Comme on le sait, cette offre fut repoussée, ce qui confirma d’autant plus ma résolution de mettre mon plan à exécution, étant donné les circonstances présentes. Survint, très peu de temps après, la guerre aérienne entre l’Allemagne et l’Angleterre qui, dans l’ensemble, causa, en fin de compte, plus de dommages à l’Angleterre qu’à l’Allemagne. J’eus alors l’impression que l’Angleterre ne pourrait plus céder sans perdre considérablement son prestige et c’est pourquoi je me suis dit à moi-même :

« Je dois plus que jamais maintenant mettre mon plan à exécution, « car si j’étais en Angleterre, ce pays aurait l’occasion d’entreprendre « des négociations avec l’Allemagne sans perdre son prestige. »

Je passe à la page 97 du livre de documents. Après une brève remarque du Dr Mackenzie, Hess continue : « J’étais d’avis qu’en dehors de la question des conditions mêmes d’un accord, il y aurait encore à vaincre en Angleterre, une certaine méfiance de caractère général. Je dois avouer que j’étais placé devant une décision extrêmement grave, la plus grave évidemment de toute ma vie, et je crois que j’ai pu l’envisager parce que je me représentais, toujours, en Allemagne comme en Angleterre, une rangée sans fin de cercueils d’enfants, suivis de mères en larmes... »

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, avez-vous l’original devant vous ?

Dr SEIDL

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Pourriez-vous nous le faire remettre ?

Dr SEIDL

Oui.

(Le document est remis au Président.)
LE PRÉSIDENT

Continuez, s’il vous plaît.

Dr SEIDL

« ... et vice versa, les cercueils des mères suivis par les enfants.

« Je voudrais maintenant mentionner différents points qui, comme je le crois, jouent un certain rôle du point de vue psychologique. Je dois retourner un peu en arrière. Après la défaite de l’Allemagne, dans la guerre mondiale, le Traité de Versailles lui fut imposé et aucun historien sérieux n’est aujourd’hui encore d’avis que l’Allemagne portait la responsabilité de la guerre mondiale. Lloyd George a déclaré que les peuples entrèrent en trébuchant dans la guerre. J’ai lu récemment un livre qu’un historien anglais, Farrar, a écrit au sujet d’Edouard VII et de sa politique. Cet historien, ce Farrar, attribue la plus grande part de responsabilité pour la guerre, à la politique suivie par Edouard VII. Ce traité, imposé à l’Allemagne après son effondrement, fut non seulement un effroyable désastre pour elle, mais aussi pour le monde entier. Toutes les tentatives des politiciens et des hommes d’État allemands, avant là prise du pouvoir par Hitler — c’est-à-dire à l’époque où l’Allemagne était une pure démocratie — en vue d’obtenir un secours quelconque, furent vaines. »

Je renonce à la lecture intégrale de la partie suivante du procès-verbal. Un entretien suivit touchant différents points. Entre autres, on traita de la question des forces aériennes que l’Allemagne possédait alors et des dispositions prises pour la construction de sous-marins. Il ne me semble pas que ces questions sont pertinentes au point où nous en sommes à l’instant et je voudrais de ce fait passer tout de suite au passage du procès-verbal où se trouvent les propositions que Hess fit à Lord Simon. Vous le trouverez à la page 152 du livre de documents. D’après le procès-verbal, nous devinons que Hess avait au préalable écrit les propositions qu’il désirait faire. Il remit ces notes au Dr Mackenzie et à M. Kirk-patrick, qui les lurent et les traduisirent ensuite. Je cite la page 152, au bas de la page, textuellement :

« Base pour une entente... » Je dois prier le Tribunal de passer à la page 152 du livre de documents, à la page 159, parce que le premier point de la proposition, par erreur probablement, a été mal reproduit. A la page 159, au milieu de la page environ, vous trouverez une déclaration du Dr Mackenzie qui exprime exactement le premier point. Je cite textuellement :

« Afin d’éviter des guerres futures entre l’Axe et l’Angleterre, les limites des zones d’intérêt devront être définies. Les zones d’intérêt des pays de l’Axe sont l’Europe, et celles de l’Angleterre sont l’Empire. »

Maintenant, je vous prie de repasser à la page 153 du livre de documents. Vous y trouverez, à la dernière ligne, le second point des propositions de Hess. C’est le Dr Mackenzie qui lit :

« 2. Retour des colonies allemandes » — et je passe à la page 154 du livre de documents ; je cite en haut de la page : II est possible que, dans le livre de documents, le chiffre 2 soit reproduit par erreur ; il faut donc lire :

« 3. Indemnité aux citoyens allemands qui, avant ou pendant la guerre, résidaient dans l’Empire britannique et qui ont souffert dans leur vie ou subi des dommages dans leur propriété, par suite des mesures prises par le Gouvernement de l’Empire ou par suite de pillage, émeute, etc. Indemnisation des citoyens britanniques par l’Allemagne sur les mêmes bases.

« 4. L’armistice et la paix doivent être conclus avec l’Italie en même temps. »

Suit une remarque personnelle de Hess : « Le Führer m’a indiqué ces points à différentes reprises, comme base d’une entente avec l’Angleterre ».

Je ne lirai pas d’autres extraits de ce procès-verbal, et je renonce aux autres passages soulignés en rouge. La conversation prit fin par une déclaration de Lord Simon suivant laquelle il devait porter les propositions de Hess à la connaissance du Gouvernement britannique. C’était donc là mon document H-15.

Messieurs, l’accusé Rudolf Hess est inculpé dans l’Acte d’accusation d’avoir favorisé la prise du pouvoir par les nazis, d’avoir poursuivi la préparation de la guerre du point de vue militaire, économique et psychologique, tel qu’il est indiqué au chef d’accusation n° 1 ; d’avoir pris part à l’élaboration des plans politiques et à la préparation des guerres d’agression et de guerre en violation des traités internationaux, des accords et des promesses, ainsi qu’il est précisé aux chefs d’accusation n° 5 1 et 2 ; d’avoir participé à la préparation et à l’élaboration des plans de politique étrangère des membres du complot nazi, indiqués dans le chef d’accusation n° 1.

C’est autour de cette accusation que se greffe l’ensemble des charges imputées à Rudolf Hess. Il est donc de mon devoir, dans la procédure en cours, de me référer brièvement aux circonstances qui, en 1939, amenèrent le déclenchement des hostilités. Voici ce que je voudrais dire : le 23 août 1939, à Moscou, entre l’Allemagne et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, fut conclu un pacte de non-agression. Ce pacte a déjà été produit par le Ministère Public sous le n° GB-145. Le même jour, mais une semaine seulement avant le début des hostilités et trois jours avant l’invasion de la Pologne qui avait été prévue, un accord secret fut conclu entre ces deux pays. Cet accord secret contenait essentiellement la détermination des zones d’influence des deux États dans le territoire européen qui se trouvait entre l’Allemagne et la Russie.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, vous n’oubliez pas, n’est-ce pas, les prescriptions du Tribunal ? Le moment n’est pas opportun pour faire un discours ; vous n’avez que la possibilité de présenter des documents et des requêtes aux fins de citation de vos témoins. Vous pourrez faire votre discours plus tard.

Dr SEIDL

Oui. Je ne veux pas faire de discours, mais je voudrais exprimer quelques remarques introductives qui concernent un document que je désire présenter au Tribunal. Dans ces documents secrets, l’Allemagne déclarait son intention de se désintéresser de la Lettonie, de la Lituanie, de l’Estonie et de la Finlande.

LE PRÉSIDENT

Mais, Docteur Seidl, nous n’avons pas encore vu le document. Si vous voulez déposer ce document, déposez-le.

Dr SEIDL

Oui. Je dépose immédiatement ce document. Il s’agit d’un affidavit de l’ancien ambassadeur, le Dr Friedrich Gaus, qui, en 1939, était chef des services juridiques du ministère des Affaires étrangères et qui, en qualité d’adjoint à l’ancien plénipotentiaire allemand à Moscou, participa aux négociations. Ce fut lui qui rédigea le Pacte de non-agression, qui a déjà été déposé, de même que l’accord secret que je désire maintenant soumettre au Tribunal comme preuve pertinente.

LE PRÉSIDENT

Bien, voulez-vous présenter ce document ?

Dr SEIDL

Certainement. Cependant, j’ai l’intention de lire des passages de ce document un peu plus tard.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, le Tribunal ne comprend pas très bien ce que représente ce document, car il n’est pas dans votre livre de documents, et il ne semble pas que vous ayez fait une requête à son sujet, ou que vous vous y soyez reporté. En outre, c’est un document en allemand qui n’est pas traduit.

Dr SEIDL

Monsieur le Président, lorsque j’ai préparé le livre de documents pour l’accusé Hess, je n’avais pas encore cet affidavit entre les mains. Il date du 15 mars 1946. Au moment de la discussion sur la pertinence de mes demandes de documents, je ne connaissais pas encore le texte en question, ce qui m’a empêché d’adresser une requête dans les formes. Les passages de ce document que je désire lire sont très brefs ; il sera possible de les faire traduire ici, dans la salle d’audience, par les interprètes présents.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous un exemplaire pour le Ministère Public ?

Dr SEIDL

Oui, une copie en allemand.

LE PRÉSIDENT

Je crains qu’elle ne me soit d’aucune utilité ; je ne sais pas s’il en est de même pour tous les membres du Ministère Public. Le Ministère Public a-t-il une objection à faire à la lecture de passages de ce document ?

GÉNÉRAL R. A. RUDENKO (Procureur Général soviétique)

Monsieur le Président, je ne connaissais pas l’existence de ce document et j’élève une objection formelle contre sa lecture ici. Je souhaiterais que la procédure établie par le Tribunal fût observée par la Défense. Le Ministère Public, quand il présentait ses preuves, remettait toujours des copies des documents aux avocats. L’avocat de l’accusé Hess présente actuellement un document que nous ignorons absolument et le Ministère Public — à juste raison — aimerait au préalable en prendre connaissance. Je ne sais à quels secrets ou à quels accords secrets se réfère l’avocat et sur quels faits il fonde sa déclaration. Je voudrais pour le moins les déclarer dénués de tout fondement. C’est pourquoi je demande au Tribunal de ne pas autoriser la lecture de ce document.

Dr SEIDL

Monsieur le représentant du Ministère Public de l’Union Soviétique déclare qu’il n’a pas connaissance de l’existence de ce document secret, qui est prouvée par mon affidavit. Dans ces conditions, je me vois obligé de réclamer comme témoin le commissaire aux Affaires étrangères de l’URSS, Molotov, afin d’établir d’abord que cet accord secret fut conclu, en second lieu, quel en fut le contenu, et troisièmement...

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, la première chose à faire est d’obtenir les traductions de ce document. Tant que vous ne produirez pas un document traduit, le Tribunal ne pourra vous entendre sur ce point. Nous ne savons pas du tout ce qui figure dans ce document.

Dr SEIDL

Quant au contenu de ce document, je désirais justement l’expliquer tout à l’heure. Il s’y trouve...

LE PRÉSIDENT

Nous ne sommes pas prêts à vous entendre sur le contenu de ce document. Nous voulons voir le document lui-même, et le voir en langue anglaise, et aussi en langue russe. Je ne dis pas que vous deviez le faire vous-même, Docteur Seidl. Si vous voulez bien donner cet exemplaire au Ministère Public, celui-ci le fera traduire dans les différentes langues et, à ce moment-là, nous pourrons prendre cette question en considération.

Dr SEIDL

Oui. Je passerai donc à un autre document contre la lecture duquel il n’y aura pas d’objection, car c’est un document déjà présenté par le Ministère Public. Il s’agit du discours du Führer aux commandants en chef de la Wehrmacht, le 22 août 1939. Le Ministère Public soviétique a produit ce document PS-789 sous le n° USA-29. Je cite un extrait à la page 6 de la photocopie allemande :

« Là-dessus, Hitler déclara... »

LE PRÉSIDENT

L’avez-vous dans votre livre de documents ou non ? C’est du point de vue pratique que je vous pose cette question.

Dr SEIDL

Le document complet a déjà à été produit par le Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Vous voulez dire qu’il n’est pas dans le livre de documents ? Je n’ai pas le document devant moi.

Dr SEIDL

Non, il n’est pas dans le livre de documents. Le Tribunal a déclaré que chaque défenseur était libre de se référer à des documents déjà produits par le Ministère Public.

Je cite : « ... Je suis arrivé graduellement à obtenir un changement dans notre attitude à l’égard de la Russie. A la suite de l’accord commercial, nous avons entamé une conversation politique. Projet d’un pacte de non-agression ; puis proposition générale de la part de la Russie. Il y a quatre jours, j’ai fait une démarche importante qui a eu pour résultat, hier, la réponse de la Russie, disant qu’elle était prête à un accord. Un contact direct avec Staline a été établi ; von Ribbentrop conclura le traité -après-demain. Maintenant, la Pologne se trouve dans la situation où je voulais la voir. »

Monsieur le Président, Messieurs, j’avais l’intention de citer maintenant le témoin Bohle, que le Tribunal a agréé. Cependant, l’accusé Hess m’a demandé de renoncer à la comparution personnelle de ce témoin et de lire un affidavit concernant la preuve des faits sur lesquels le témoin devait être entendu.

J’ai préparé cet affidavit et cela accélérerait sans aucun doute les débats si le Tribunal voulait bien en permettre la lecture. Toutefois, si le Tribunal est d’avis...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir cet affidavit ; comme je l’ai déjà indiqué, si ce témoin traite des questions prévues, j’aimerais qu’il vînt pour être contre-interrogé.

LE PRÉSIDENT

Où est le témoin ?

Dr SEIDL

Il est ici : je cite donc le témoin Bohle, avec la permission du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous le faire comparaître ou bien lire son affidavit ?

Dr SEIDL

Puisque Sir David Maxwell-Fyfe semble faire une objection à la lecture de cet affidavit, je cite le témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je n’ai pas encore vu cet affidavit, Monsieur le Président. Comme je l’ai dit, je désirerais contre-interroger ce témoin au cas où cet affidavit traiterait des points sur lesquels il devait déposer.

LE PRÉSIDENT

A moins que le Ministère Public n’accepte simplement que cet affidavit soit déposé, il faudra citer le témoin ; si le Ministère Public accepte que l’affidavit soit lu et que le témoin soit ensuite convoqué pour être contre-interrogé, le Tribunal est tout à fait d’accord.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je suis tout disposé à accepter cette solution, Votre Honneur. Mais je suis quelque peu gêné par le fait que je ne sais pas ce que contient l’affidavit.

LE PRÉSIDENT

La meilleure chose serait peut-être que le Tribunal suspende l’audience maintenant pendant dix minutes ; cela vous permettrait sans doute de prendre connaissance de l’affidavit.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bien volontiers Monsieur le Président.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal ne voudrait pas faire pression sur le Ministère Public, mais il pense qu’il vaudrait mieux continuer avec les autres témoins jusqu’à ce que ce document puisse être traduit et examiné et peut-être une décision sera prise à son sujet après la suspension d’audience de midi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise au Tribunal. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire la traduction, mais un premier examen de l’affidavit a convaincu mes collaborateurs que cela n’avait pas une très grande importance, et je me demandais s’il ne serait pas plus rapide de lire cet affidavit ; ensuite, je demanderais au Tribunal de me permettre de lire trois documents dont je voulais me servir au cours du contre-interrogatoire du témoin. Cette solution serait peut-être préférable à celle que Votre Honneur suggère, d’attendre jusqu’à ce que nous ayons vu l’affidavit en entier et décidé du meilleur parti à prendre.

LE PRÉSIDENT

Vous avez peut-être vu le document en partie et vous êtes sans doute à même de mieux décider ce qu’il convient de faire. Comme vous voudrez.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je suis d’avis que le Dr Seidl le lise ; mais alors les documents sur lesquels je voudrais contre-interroger le témoin devront être lus également.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal pense qu’il vaut mieux faire comparaître le témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comme il plaira au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Oui, Docteur Seidl ?

Dr SEIDL

Si j’ai bien compris, le Tribunal ne veut pas écouter la lecture de l’affidavit, mais désire la présence du témoin à la barre ?

LE PRÉSIDENT

Dès que cet affidavit aura été traduit et que le Ministère Public aura pu l’examiner, le Ministère Public nous fera savoir s’il suffira de présenter l’affidavit au lieu de faire comparaître le témoin. Il devra être cité pour le contre-interrogatoire, à moins que vous ne préfériez interroger le témoin oralement vous-même.

Dr SEIDL

Je pense que, dans ces conditions, il est préférable d’entendre le témoin immédiatement.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

(Le témoin s’approche de la barre.)
LE PRÉSIDENT

Voulez-vous me dire votre nom ?

TÉMOIN ERNST WILHELM BOHLE

Ernst Wilhelm Bohie.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »

(Le témoin répète le serment.)
Dr SEIDL

Témoin, vous étiez en dernier lieu chef de l’Organisation à l’étranger de la NSDAP et, de plus, vous étiez secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

Dr SEIDL

Monsieur le Président, M. Dodd du Ministère Public américain vient de proposer, pour gagner du temps, de procéder de la même façon qu’avec le témoin Blaha, à savoir : lire d’abord l’affidavit en présence du témoin, puis procéder à l’interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement.

Dr SEIDL

Témoin, vous avez fait sur le sujet suivant une déclaration sous serment que je vais vous lire :

« 1. L’Organisation pour l’étranger de la NSDAP a été créée le 1er mai 1931 à Hambourg sur la demande d’un certain nombre d’Allemands vivant à l’étranger. Gregor Strasser, Reichsorganisationsleiter d’alors, nomma à sa tête le député nazi au Reichstag, le Dr Hans Nieland.

« Moi-même, j’entrai dans cette organisation en qualité de membre actif volontaire en décembre 1931 et, le 1er mars 1932, j’entrai dans le Parti. Le 8 mai 1933, le Dr Nieland résigna ses fonctions car il était devenu membre du Gouvernement de la ville de Hambourg et, en tant qu’Allemand vivant en Allemagne, il s’intéressait moins qu’un autre aux questions allemandes à l’étranger. En raison de mon expérience de l’étranger et de mes relations en dehors de l’Allemagne, car je suis né en Angleterre et j’ai été élevé en Afrique du Sud, je fus chargé de la direction de l’Organisation à l’étranger.

« 2. Le but de cette organisation était le suivant : à la prise du pouvoir il s’agissait de grouper les quelque 3.300 membres du parti national-socialiste qui vivaient alors en dehors des frontières de l’Allemagne en une seule organisation. De plus, par ce moyen, les Allemands vivant à l’étranger, qui n’avaient qu’une très vague idée de la situation politique en Allemagne, pourraient être informés des idées et du programme de l’État nouveau.

« 3. Seuls, les « Reichsdeutschen », ceux qui étaient nés Allemands, pouvaient devenir membres du Parti ; l’admission d’étrangers ou d’ex-Allemands ayant acquis un droit de citoyenneté étrangère était strictement interdite.

« 4. Le principe de base touchant l’attitude de l’Organisation du Parti à l’étranger vis-à-vis des autres pays était inscrit sur la carte de membre de chaque adhérent sous la forme suivante :

« Suis les lois du pays dont tu es l’hôte ; la politique intérieure de ce pays ne regarde que ses propres citoyens ; ne t’en mêle donc pas, même dans la conversation ». Dès le jour de sa création jusqu’à sa suppression, ce principe fut d’importance fondamentale dans l’activité et le rôle de cette organisation envers les autres nations. Moi-même, dans de nombreux discours publics, je me servis bien souvent de cette phrase : « Le national-socialiste honore les peuples étrangers parce qu’il aime le sien. »

« 5. Mes discours au Porchester Hall de Londres, le 2 octobre 1937, et à Budapest, vers la fin de 1938, donnent une analyse exacte du rôle de l’Organisation à l’étranger de la NSDAP, vis-à-vis des pays étrangers.

« Winston Churchill, à la fin de l’été 1937, attaqua à plusieurs reprises l’activité de l’Organisation à l’étranger dans des articles parus dans les journaux et dans son fameux article Amitié avec l’Allemagne, qui parut dans l’Evening Standard du 17 septembre 1937 et qui fut retransmis par radio ; il la désignait comme un obstacle aux relations germano-britanniques. Dans le même article, il disait qu’il était prêt à converser avec moi à ce sujet, sur le ton le plus cordial. L’ambassade d’Allemagne à Londres fit alors savoir au Foreign Office qu’une interpellation de Churchill à la Chambre des Communes sur l’activité de l’Organisation à l’étranger était fort peu souhaitable mais qu’il était extrêmement désirable qu’une conversation eût lieu entre Churchill et moi.

« Cet entretien eut lieu le jour même de mon allocution aux Allemands du Reich à Londres, dans l’appartement de Winston Churchill, et il dura plus d’une heure ; j’eus ainsi, au cours de cette très cordiale conversation, toute possibilité de renseigner Churchill sur l’activité de l’Organisation et de dissiper ses soupçons. A la fin de l’entretien, il me raccompagna jusqu’à ma voiture et fit prendre une photo de lui à mes côtés afin, comme il le disait, de montrer au monde que nous nous séparions bons amis. Il n’y eut pas d’enquête soulevée aux Communes et, depuis ce jour, Churchill n’a jamais fait l’ombre d’une objection à l’activité de l’Organisation à l’étranger.

« Mon discours du même jour, qui fut publié peu de temps après par une maison anglaise, en langue anglaise, sous forme de brochure, fut favorablement accueilli ; des extraits de ce discours furent publiés par le journal The Times sous le titre : « M. Bohle se fait l’avocat d’une compréhension entre les peuples ». Churchill m’écrivit une lettre après cette conversation, dans laquelle il m’exprimait sa satisfaction à la suite de notre entretien.

« 6. Au cours du procès de l’assassin du chef de l’Organisation à l’étranger, pour la Suisse, Wilhelm Gustloff, procès qui eut lieu en Suisse, à Coire, en 1936, le tribunal ordonna une enquête sur la légalité de l’activité de cette organisation. L’accusé, David Frankfurter fut condamné à dix-huit ans d’emprisonnement et, autant que je puis m’en souvenir, les autorités suisses qui n’étaient nullement favorables aux nazis durent confirmer que Gustloff et les Landesgruppen de l’Organisation à l’étranger n’avaient jamais, en aucune façon, donné matière à critique dans leur activité. Le témoignage du conseiller fédéral Baumann qui, à ce que je crois, était alors ministre de l’Intérieur et de la Police de Suisse, fut, à ce moment, décisif.

« 7. J’aimerais aussi indiquer que, même après le début de la guerre, les Landesgruppen de l’Organisation à l’étranger dans les pays neutres continuèrent à fonctionner jusqu’à la fin de la guerre, Cette remarque est particulièrement exacte pour la Suisse, la Suède et le Portugal. Après 1943, tout au moins l’Allemagne n’aurait guère pu intervenir si l’Organisation à l’étranger était entrée en conflit avec les lois intérieures de ces pays, et la dissolution de cette organisation en aurait résulté à coup sûr.

« 8. A côté de ce caractère indiscutable de légalité de l’Organisation à l’étranger, j’ai dit et répété, en ma qualité de chef, que les Ausiandsdeutschen, les Allemands à l’étranger, étaient certainement les derniers à se laisser entraîner à manifester en faveur de la guerre ou à comploter contre la paix. Ils ne savaient que trop bien, par une amère expérience, qu’une guerre signifierait pour eux l’internement, les poursuites, la confiscation de leurs biens et la suppression de leurs moyens d’existence.

« 9. Étant donné leur connaissance de la situation à l’étranger, personne ne savait mieux que les Allemands vivant à l’étranger, qu’une activité quelconque dans le sens d’une Cinquième colonne serait aussi stupide que nuisible aux intérêts mêmes du Reich. L’expression « Cinquième colonne » d’ailleurs, si mes souvenirs sont exacts, apparut pendant la guerre civile espagnole ; c’est en tout cas une invention étrangère. Lorsque Franco attaqua Madrid avec quatre colonnes de troupes, on prétendit qu’une cinquième colonne, composée d’éléments nationalistes, se trouvait dans l’enceinte de la ville assiégée et y exerçait une activité séditieuse clandestine.

« 10. L’emploi du terme « Cinquième colonne » pour désigner l’Organisation à l’étranger de la NSDAP est sans fondement. Si cette assertion était exacte, cela signifierait que les membres de cette organisation, en liaison avec les éléments locaux d’opposition, auraient été chargés, dans un ou plusieurs pays étrangers, ou auraient essayé d’eux-mêmes de miner de l’intérieur l’existence de cet État. Une telle affirmation serait de la pure invention.

« 11. Ni de l’ancien adjoint du Führer, Rudolf Hess, ni de moi-même, en tant que chef de l’Organisation à l’étranger, les membres de cette organisation ne reçurent mission d’exercer une activité quelconque dans le sens d’une Cinquième colonne. Hitler lui-même ne me donna jamais aucune directive de cette sorte. En résumé, je peux dire que l’Organisation à l’étranger, à aucun moment, aussi longtemps que je fus son chef, ne participa à aucune activité dans le sens d’une Cinquième colonne ; jamais l’adjoint du Führer ne donna d’ordres ni de directives qui auraient pu conduire l’Organisation à l’étranger dans une telle voie. Rudolf Hess, bien au contraire, désirait instamment que les membres de l’Organisation à l’étranger n’intervinssent, en aucun cas, dans les affaires intérieures du pays dans lequel ils vivaient.

« 12. Il est connu, naturellement, que, de même que des ressortissants des pays hostiles, les Allemands furent employés pour des missions d’espionnage ou de renseignements à l’étranger ; mais cette activité n’a rien à voir avec les membres de l’Organisation à l’étranger, organisation qui travaillait légalement et au grand jour ; et pour ne pas mettre en danger l’existence de celle-ci, j’ai toujours demandé qu’aucun de ses membres ne fût employé à des activités de ce genre ou qu’on me donnât au préalable la possibilité de les relever de leurs fonctions comme membres de l’Organisation à l’étranger. »

Voilà la fin de l’affidavit du témoin Bohie. Pour l’instant, je n’ai aucune question à poser à ce témoin, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Est-ce qu’un avocat désire poser des questions au témoin ?

Dr FRITZ SAUTER (avocat des accusés Funk et von Schirach)

J’aurai plusieurs questions à poser à ce témoin, Monsieur le Président.

Témoin, je représente l’accusé von Schirach, l’ancien chef de la Jeunesse du Reich et j’aimerais beaucoup savoir si la Jeunesse hitlérienne, la HJ, a existé aussi à l’étranger ou si elle n’a existé que sur le territoire du Reich ?

TÉMOIN BOHLE

Elle existait également parmi les Allemands à l’étranger.

Dr SAUTER

Veuillez me dire si cette Jeunesse hitlérienne à l’étranger était soumise aux instructions politiques des dirigeants de l’Organisation à l’étranger, ou est-ce inexact ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, la Jeunesse hitlérienne à l’étranger était politiquement sous la direction des détenteurs de souveraineté du Parti.

Dr SAUTER

Au cours des débats, on a dit que des membres de la Jeunesse hitlérienne avaient été employés comme agents et aussi en vue de missions d’espionnage à l’étranger, pour lesquelles ils avaient reçu une formation spéciale. Il est vrai qu’on n’a pas donné de faits précis, je veux dire qu’on n’a pas cité de cas individuels ; on a simplement donné une assertion d’ordre général et on a même ajouté que des membres de la Jeunesse hitlérienne à l’étranger avaient été employés comme parachutistes, après avoir été entraînés à cet effet en Allemagne. Telle est l’affirmation que je vous soumets. Je vous prie donc de me dire votre opinion à ce sujet et, en tant que chef compétent de l’Organisation à l’étranger, si de tels faits se sont produits ou s’ils étaient le moins du monde possibles ?

TÉMOIN BOHLE

Je voudrais donner la réponse suivante : je considère qu’il est absolument impossible que des membres de la Jeunesse hitlérienne à l’étranger aient pu être utilisés pour de telles activités ; je puis le dire d’autant mieux qu’étant en rapport avec les chefs du Parti dans les différents pays étrangers, j’aurais été au courant de tels faits. Je n’ai jamais entendu quoi que ce fût au sujet de l’entraînement de la Jeunesse hitlérienne en vue de parachutages ou autres activités semblables ; ces assertions me paraissent dénuées de toute espèce de fondement.

Dr SAUTER

Donc, je peux tirer de votre témoignage la certitude que, en raison du caractère même de cette organisation, de tels faits eussent été portés à votre connaissance s’ils s’étaient réellement produits ou même s’ils avaient été seulement envisagés. Est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, c’est exact.

Dr SAUTER

Maintenant, témoin, j’ai une autre question à vous poser : on a encore affirmé ici autre chose sur la Jeunesse hitlérienne ; on a prétendu qu’à Lemberg des membres de la Jeunesse hitlérienne s’étaient servis de jeunes enfants comme cibles. Cette fois encore, on ne donna aucun détail permettant d’établir le fait ; ce ne fut qu’une affirmation. La question m’intéresse d’autant plus que la Jeunesse hitlérienne, ainsi que vous le savez, avait, vers la fin, un effectif d’environ 7.000.000 à 8.000.000 de membres...

LE PRÉSIDENT

Docteur Sauter, est-ce que votre question a quelque chose à voir avec l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

Dr SAUTER

Oui, dans la mesure où l’on reproche à mon client, l’accusé Schirach, chef de la Jeunesse hitlérienne, d’avoir laissé certains de ses membres commettre à l’étranger de telles atrocités.

LE PRÉSIDENT

On n’a pas prétendu qu’ils aient commis de tels actes à l’étranger et que les membres de la Jeunesse hitlérienne se soient servis d’enfants comme cibles à l’étranger ?

Dr SAUTER

Certainement, et on a même dit qu’à Lemberg, dans le Gouvernement Général, c’est-à-dire non pas en Allemagne mais en Pologne, à l’étranger...

LE PRÉSIDENT

Vous voulez dire pendant la guerre ?

Dr SAUTER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Je croyais que ce témoin parlait de cette organisation à l’étranger avant la guerre.

Dr SAUTER

Je ne sais pas s’il parlait également de l’Organisation des Allemands à l’étranger pendant la guerre, mais en tout cas, Monsieur le Président, le témoin connaît ces faits, puisqu’il était le chef de cet organisme, et c’est pourquoi il me semble qu’il est particulièrement indiqué pour nous donner des informations sur ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Continuez, bien que ce débat me paraisse hors du sujet.

Dr SAUTER

Oui, Monsieur le Président, car si je ne pouvais continuer, je me verrais obligé de citer à nouveau ce témoin au nom de mon client.

Témoin, vous souvenez-vous de la dernière question que je vous ai posée : avez-vous eu connaissance que la Jeunesse hitlérienne ou des membres de la Jeunesse hitlérienne à l’étranger, puisqu’ils étaient sous vos ordres, aient commis de telles atrocités ?

TÉMOIN BOHLE

Je dois vous dire, maître, que le Gouvernement Général de Pologne ne faisait pas partie de l’Organisation des Allemands à l’étranger, que je n’y suis jamais allé et que, par conséquent, je ne suis pas en mesure de dire quoi que ce soit sur ce point. On a prétendu, suivant une conception erronée, que le Gouvernement Général de Pologne était, au point de vue du Parti, en rapport avec l’Organisation des Allemands à l’étranger ; mais ce n’était pas le cas. Je n’avais là-bas aucune compétence.

Dr SAUTER

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

Dr ROBERT SERVATIUS (avocat de l’accusé Sauckel et du Corps des chefs politiques)

Témoin, dans quelle mesure étiez-vous informé des intentions du Führer en matière de politique étrangère, étant donné vos fonctions de chef de l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN BOHLE

Je n’étais pas Reichsleiter, mais Gauleiter, et n’ai jamais été informé des intentions du Führer en matière de politique étrangère.

Dr SERVATIUS

Savez-vous si, en principe, le Führer a préconisé pour votre organisation une entente avec l’Angleterre ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne comprends pas très bien votre question.

Dr SERVATIUS

Avant la guerre, Hitler a-t-il souvent insisté devant vous et devant d’autres Gauleiter sur le fait qu’il voulait à tout prix arriver à une entente avec l’Angleterre et a-t-il ordonné que votre action soit dirigée dans ce sens ?

TÉMOIN BOHLE

A cet égard, je n’ai pas reçu d’ordres du Führer, mais certainement de son adjoint. Pendant les douze années de mon activité, le Führer ne m’a jamais entretenu de questions de politique étrangère.

Dr SERVATIUS

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Est-ce qu’un autre membre de la Défense désire poser des questions ? (Pas de réponse.)

LIEUTENANT-COLONEL J. M. G. GRIFFITH-JONES (substitut du Procureur Général britannique)

Votre Organisation des Allemands à l’étranger était organisée de la même manière que le Parti en Allemagne, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Pas sur tous les points, parce qu’il y avait de nombreuses organisations dans le Parti, en Allemagne, qui ne concernaient pas les pays étrangers : par exemple, le Bureau de la politique municipale. .

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je puis peut-être résumer ma question : aviez-vous à l’étranger des Hoheitsträger, des détenteurs de souveraineté comme vous en aviez en Allemagne ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

L’organisation, dans chaque pays, dépendait d’un Landesgruppenleiter, est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Dans presque tous les pays, oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Et sous cette autorité, il y avait des Hoheitsträger de rang inférieur ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, les Ortsgruppenleiter.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

En est-il résulté que votre population allemande, dans les pays étrangers, était bien organisée et connue de ses chefs dans ces pays ?

TÉMOIN BOHLE

C’est exact jusqu’à un certain point, mais l’organisation n’était pas parfaite et ne pouvait pas l’être, parce que le chef du Parti ne connaissait pas tous les ressortissants allemands dans les pays en question.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ne vous est-il jamais venu à l’idée que, dans le cas où votre armée envahirait un de ces pays où fonctionnait une organisation aussi parfaite, cette dernière aurait une valeur militaire incomparable ?

TÉMOIN BOHLE

Non, ce n’était pas là le sens ni le but de l’Organisation des Allemands à l’étranger et aucun service ne m’a jamais fait de propositions à cet effet.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Êtes-vous en train de déclarer devant ce Tribunal que, lorsque les différents pays d’Europe furent en fait envahis par les armées allemandes, vos organisations locales ne firent rien pour les aider avec des moyens militaires ou semi-militaires ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, certainement.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Permettez-moi de vous demander quelque chose d’autre pour le moment : vous aviez, n’est-ce pas, un système très efficace pour transmettre les rapports de vos Landesgruppenleiter à votre office principal de Berlin ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je crois que vous avez dit vous-même, dans vos interrogatoires, que vous tiriez une grande fierté de la rapidité avec laquelle vos rapports étaient transmis ?

TÉMOIN BOHLE

Je n’ai pas dit cela, je crois, pour la rapidité, mais plutôt pour la justesse de leurs vues politiques.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Mais, en fait, vos rapports parvenaient avec la plus grande rapidité, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Il m’est difficile de parler d’un point de vue général. Tout dépendait des possibilités que nous avions de les envoyer rapidement à Berlin ; et je ne puis dire, aujourd’hui, si ce fut le cas dans toutes les occasions particulières. Mais, en tout cas, je n’avais pas à ma disposition de mesures spéciales d’accélération.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

En fait, vous avez dit, au cours d’un interrogatoire — je puis vous le montrer si vous le désirez — que parfois vous avez reçu des renseignements avant Himmler ou le ministère des Affaires étrangères.

TÉMOIN BOHLE

Il y a là un malentendu : il s’agit de rapports politiques provenant des Landesgruppenleiter que je transmettais de Berlin aux différents bureaux.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien, nous allons abandonner cette question de rapidité ; je tiens de vous que vous aviez un système d’information très efficace, est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Pour répondre à cette question, il faudrait d’abord que je sache pour quels rapports j’aurais été censé avoir eu un système d’information efficace.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’est justement la question que je voulais vous poser : qu’avaient à vous rapporter les Landesgruppenleiter ?

TÉMOIN BOHLE

Les Landesgruppenleiter, de leur propre initiative, me faisaient un rapport s’ils désiraient transmettre quelque chose d’important aux autorités compétentes du Reich.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ne vous ont-ils jamais rien rapporté qui ait pu avoir une valeur militaire ou semi-militaire ?

TÉMOIN BOHLE

Ce fut peut-être vrai dans quelques cas, bien que pour l’instant je ne puisse me rappeler aucun cas particulier.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ils n’ont jamais reçu d’instructions pour faire des rapports sur ce genre de renseignements ?

TÉMOIN BOHLE

En général, non.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Comment receviez-vous ces rapports ? Aviez-vous des relations radiophoniques avec vos organisations dans les pays étrangers ?

TÉMOIN BOHLE

Non, nous n’avions pas de postes émetteurs. Dans certains cas, ces informations arrivaient par courrier spécial ou étaient apportées spécialement en Allemagne.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Après le début de la guerre, vos organisations ont-elles continué leurs activités dans les pays neutres ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

N’ont-elles jamais eu de postes émetteurs pour transmettre leurs informations ?

TÉMOIN BOHLE

Je n’en sais rien, mais je ne crois pas qu’elles en aient eu car je l’aurais su.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je voudrais maintenant vous poser quelques questions sur un ou deux documents ; voulez-vous regarder le n° PS-3258. — Monsieur le Président, c’est le document déposé comme preuve sous le n° GB-262 — En voici des exemplaires d’extraits que je mets à la disposition du Tribunal et de la Défense. Le livre suivra bientôt. Je crois que vous pouvez lire l’anglais ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous avez devant vous quelques extraits du livre. Voudriez-vous regarder au bas de la première page, le dernier paragraphe, commençant par :

« En 1938... »

Aviez-vous en Hollande un Landesgruppenleiter du nom de Butting ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Écoutez ce que je dis un instant avant de regarder le document. Saviez-vous que Butting partageait une maison à La Haye avec le service de renseignements militaires ?

TÉMOIN BOHLE

Non, je ne le savais pas.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je voudrais citer deux paragraphes de ce document, qui est un rapport publié dans une brochure officielle éditée aux États-Unis, Le national-socialisme, ses principes fondamentaux et leur application par l’Organisation à l’étranger du parti nazi et l’emploi des Allemands à l’étranger dans des buts nazis. Je voudrais savoir ce que vous pensez de ce rapport publié dans ce livre :

« En 1938, la légation d’Allemagne possédait deux maisons à La Haye. Toutes deux étaient naturellement protégées par l’immunité diplomatique et par conséquent inviolables autant au point de vue perquisition qu’un point de vue saisie, par la Police hollandaise. J’appellerai maison n° 2 celle dans laquelle le Dr Butting avait son bureau. Que se passait-il dans la maison n° 2 ? Elle avait été transformée, puis divisée comme une maison à l’usage de deux familles, dans le sens vertical et non horizontal. Entre les deux parties se trouvait une porte de communication. Un côté de cette maison constituait l’habitation du Dr Butting, l’autre abritait l’agent militaire nazi de renseignements pour la Hollande... » Vous dites que vous ne saviez rien de tout cela ?

TÉMOIN BOHLE

Butting était Landesgruppenleiter de l’Organisation des Allemands à l’étranger. C’est la première fois que j’entends parler de cette maison ou, plutôt, de ces deux maisons ; c’est tout à fait nouveau pour moi.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien : continuons à lire.

« S.B. (c’est-à-dire l’agent militaire de renseignements) peut avoir eu environ douze subordonnés travaillant en Hollande, tous agents du service de Canaris. C’étaient des espions professionnels, sachant leur métier. Mais ils ne pouvaient naturellement pas connaître la Hollande aussi bien qu’il l’aurait fallu pour les besoins de la stratégie du Haut Commandement allemand, comme il est apparu à la suite de l’invasion de mai 1940. On avait donc besoin, non pas d’une douzaine, mais de plusieurs centaines de sources d’information. C’est à ce moment-là que Butting est entré en rapports avec l’espionnage militaire. Par l’intermédiaire de son association de citoyens allemands, Butting avait des yeux et des oreilles nazis dans tous les hameaux et toutes les villes de Hollande. C’étaient les yeux et les oreilles des fonctionnaires subalternes du Parti. Chaque fois que l’agent militaire de renseignements avait besoin d’informations sur un endroit quelconque de Hollande, encore inconnu de ses agents, ou qu’il voulait contrôler des renseignements qui lui avaient été donnés par ses propres agents, il pouvait se référer à Butting. »

Saviez-vous que Butting fournissait cette aide à l’agent du service d’espionnage militaire en Hollande ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, je l’ai su plus tard, mais il m’est impossible de savoir dans quelle mesure il l’a fait. Il n’a jamais reçu d’ordre de moi dans ce sens.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Si je comprends bien, il n’avait pas d’instructions, mais il le faisait.

Venons-en maintenant au dernier paragraphe de cette page :

« Je connais chaque pierre de Hollande, disait S.B. Par pierres il entendait canaux, viaducs, grandes routes, petites routes, aéroports, aérodromes d’urgence et le nom et la situation des sympathisants nazis en Hollande qui aideraient l’armée d’invasion quand le temps serait venu. Si l’organisation du Parti du Dr Butting n’avait pas existé sous le couvert innocent d’une union de citoyens, les renseignements de S.B. concernant la Hollande n’auraient en rien été comparables à ce qu’ils furent en fait. Ainsi, l’union des citoyens avait un double but : elle était d’une grande valeur pour l’espionnage et en même temps elle remplissait sa fonction primordiale d’agence de la Cinquième colonne. »

Savez-vous si les membres de votre organisation en Hollande avaient reçu des instructions pour faire des rapports sur les canaux, les écluses, les ponts, les viaducs, les voies ferrées ?

TÉMOIN BOHLE

Non, je n’en avais pas la moindre idée.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Je veux que ce soit tout à fait clair. Je reproche à votre organisation d’avoir été, en premier lieu, un système d’espionnage donnant des renseignements importants au Reich ; en second lieu, d’avoir été destinée à aider, et d’avoir aidé en fait, les armées allemandes quand elles envahirent le pays. Vous comprenez ces deux points, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Est-ce que votre service publiait un annuaire de l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Cette publication contenait-elle des renseignements sur les activités de votre organisation durant l’année ?

TÉMOIN BOHLE

En partie, oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je pense que le Tribunal pourrait présumer, à juste titre, que les renseignements publiés dans cet annuaire étaient exacts ?

TÉMOIN BOHLE

On peut le présumer.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous regarder l’annuaire de 1942 ? Je dispose de quelques copies d’extraits. Veuillez vous reporter à la page 37 de ce livre. Si vous regardez une ou deux pages en arrière, vous verrez un article intitulé : « Le travail de la branche norvégienne de l’Organisation des Allemands à l’étranger pendant la guerre ». A-t-il été rédigé par votre Landesgruppenleiter de Norvège ?

TÉMOIN BOHLE

Je le suppose, je ne m’en souviens pas exactement.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous regarder la page 37 ? Vous verrez que certains passages sont marqués au crayon.

TÉMOIN BOHLE

Oui, j’ai trouvé.

LIEUTENANT - COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez - vous regarder le paragraphe commençant par : « En conséquence, peu de temps après le début de la guerre, en septembre 1939... ». L’avez-vous trouvé ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT- COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous avoir la bonté de me suivre :

« En conséquence, peu de temps après le début de la guerre, en septembre 1939, l’agrandissement et l’extension de la légation allemande à Oslo et des consulats de Bergen, Trondheim, Stavanger, Kristiansand, Hamgesund, Narvik et Kirkenes, furent d’une importance essentielle. Cette extension des organes du Reich eut pour résultat que l’organisation locale de la NSDAP de Norvège dut également étendre son champ d’activité dans les mêmes proportions, afin d’aider dans leurs tâches les organes du Reich avec notamment, des membres du Parti et d’autres Allemands qui possédaient une connaissance approfondie du pays et de la langue. »

Pourquoi, en septembre 1939, a-t-il été nécessaire pour le Parti de développer son organisation en Norvège à l’aide de personnes ayant des connaissances approfondies du pays et de la langue ? Répondez à cette question avant de continuer à lire. Ne vous inquiétez pas du reste, nous allons nous en occuper. Pourquoi a-t-il été nécessaire, en 1939, de développer votre organisation ?

TÉMOIN BOHLE

En Norvège, si je me rappelle bien, il n’y avait en tout, pour tout le pays, que 80 membres du Parti, et il va sans dire qu’après le début de la guerre, les représentations officielles, non seulement de l’Allemagne mais aussi des autres pays, se sont étoffées et qu’elles furent aidées par des éléments nationaux qui connaissaient le pays. Cela ne s’appliquait pas seulement à l’Allemagne, mais à tous les pays belligérants.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Oui, mais je ne comprends toujours pas pourquoi votre organisation, parfaitement innocente, a jugé nécessaire d’augmenter ses effectifs à l’aide de personnes qui avaient une connaissance approfondie de la langue et du pays. Pourquoi l’Organisation des Allemands à l’étranger l’a-t-elle jugé nécessaire ?

TÉMOIN BOHLE

Parce que les agences du Reich avaient besoin d’Allemands connaissant le pays et les gens, principalement en vue de donner des renseignements sur les buts d’attaque allemands en Norvège, tout comme les autres nations l’ont fait.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous dites, donc, qu’ils devaient vous indiquer des objectifs en Norvège ; c’est bien ce que vous répondez ?

TÉMOIN BOHLE

Non, je n’ai pas dit cela. J’ai dit que ces gens, en Norvège, devaient se tenir à notre disposition au cas où l’on aurait besoin d’eux pour des informations, c’est-à-dire pour la propagande allemande parmi le peuple norvégien. Je voudrais souligner encore une fois que ce système n’a absolument pas été employé uniquement par l’Allemagne, mais également par tous les autres pays belligérants.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien, poursuivons et voyons ce qui se passe ensuite :

« Le choix et la nomination de ces collaborateurs supplémentaires ont été effectués par le chef local de l’organisation, en collaboration étroite avec les représentants du Reich. Aussi, dès le début de la guerre, un grand nombre de membres du Parti furent enlevés à leurs occupations et employés au service de la nation et de la patrie. Sans hésiter et sans prendre en considération leurs intérêts personnels, leur famille, leur carrière ou leurs biens, ils sont entrés dans nos rangs et se sont lancés, corps et âmes, dans leur tâche nouvelle et souvent dangereuse. »

Dites-moi, le fait de fournir des rapports sur la population norvégienne constituait-il une « tâche souvent dangereuse » ?

TÉMOIN BOHLE

Certainement pas.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Quelles étaient donc les « tâches souvent dangereuses » dont votre Landesgruppenleiter parle, et que les membres de l’organisation devaient entreprendre au moment où la guerre éclata, en septembre 1939 ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne peux rien dire à ce sujet, car je n’en sais rien et je ne peux imaginer de quelles tâches dangereuses il s’agit. J’ai l’impression, en lisant cet article — que d’ailleurs je ne connaissais pas — que le Landesgruppenleiter a eu le désir, parfaitement compréhensible, de donner à cette organisation beaucoup plus d’importance qu’elle n’en avait en réalité.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous dites que vous n’êtes pas au courant ; pourtant, cet article a été publié dans l’annuaire officiel de votre organisation. Vous ne lisiez donc pas cette publication ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne l’ai certainement pas lue en entier, car je n’ai pas eu connaissance de cet article.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous nous avez dit que les membres de votre organisation n’ont eu aucune part dans ces activités. Et ceux qui étaient responsables de la publication de cet annuaire ? N’ont-ils jamais attiré votre attention sur des articles de ce genre ?

TÉMOIN BOHLE

Évidemment non.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voyez maintenant le paragraphe suivant :

« Les résultats heureux de leur travail, accompli dans le secret le plus absolu, se manifestèrent lorsque, le 9 avril 1940, les troupes allemandes débarquèrent en Norvège et devancèrent l’attaque de flanc projetée par les Alliés. »

Quel est ce travail qui se manifesta le 9 avril 1940 ? Quel était le travail accompli par les membres de votre organisation, dans le secret le plus absolu, dont les résultats se sont révélés le 9 avril ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne peux malheureusement pas le dire, parce que je n’en sais absolument rien.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je comprends, Voudriez-vous vous reporter maintenant au dernier paragraphe de cette page ? C’est la deuxième phrase, quatrième ou cinquième ligne avant la fin. Je vous demande pardon, vous avez le livre devant vous, j’oubliais ; veuillez vous reporter à la page 40 du livre, au centre d’un paragraphe, la ligne commençant par les mots : « D’après le plan d’action... ». Je vais lire ce paragraphe :

« D’après le plan d’action... » Vous trouvez ce passage ? Page 40. (Le témoin fait un signe de dénégation.)

Afin d’épargner nos instants, laissez-moi lire :

« D’après le plan d’action qui avait été prépare dès le début de la guerre, les chefs de l’organisation locale donnèrent des ordres, le 7 avril, pour la première phase de la participation active... »

Ne semble-t-il pas, n’est-ce pas, qu’il s’agisse là de plans des différentes phases d’une opération ? Il ne semble pas, n’est-ce pas, que le travail de votre organisation se soit limité à des renseignements sur le peuple norvégien ?

TÉMOIN BOHLE

Tout cela est tout à fait nouveau pour moi, mais il est possible que ces faits se rapportent à une entreprise organisée dans le pays même, en corrélation avec les milieux militaires ou autres. En tout cas, je n’ai jamais eu connaissance de ces faits avant ce jour.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’est ce que j’entends. Mais vous étiez pourtant le chef de cette organisation ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous avez comparu devant ce Tribunal International et vous avez témoigné devant lui comme si vous étiez capable de faire une déposition exacte et véridique, c’est bien cela ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous m’avez entendu ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, j’ai entendu.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Alors, si je comprends bien, vous dites maintenant que vous ne savez pas ce qui se passait dans votre organisation et que, par conséquent, vous n’êtes pas à même de nous déclarer si oui ou non ces faits constituaient un travail de Cinquième colonne ?

TÉMOIN BOHLE

Il est parfaitement clair que, dans une organisation aussi importante, le chef, qui a son bureau à Berlin, ne peut pas savoir exactement tout ce qui se passe à l’étranger et, en particulier, ce qui se passe contrairement aux ordres qu’il a donnés. Je n’avais pas les mêmes pouvoirs, au point de vue disciplinaire, sur les membres de l’organisation à l’étranger, qu’un Gauleiter à l’intérieur du Reich par exemple. Inutile de m’étendre là-dessus, c’est absolument clair et compréhensible.

Il est clair également et cela je le sais, que certains Allemands à l’étranger, auxquels on fit appel dans certains cas particuliers à cause de leurs sentiments patriotiques, furent utilisés dans des desseins ignorés de l’organisation et contre ses ordres formels.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Pour gagner du temps, nous n’allons pas poursuivre cette question particulière de l’activité déployée en Norvège, puisqu’il s’agit, par exception, d’une situation dont vous n’étiez pas au courant. Veuillez vous reporter à la page 65 de ce livre. C’est bien un article de votre Landes-gruppenleiter en Grèce ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Sous la forme d’un journal quotidien sur les activités de l’Organisation des Allemands à l’étranger en Grèce, au moment de l’invasion des troupes allemandes ? C’est bien cela ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous regarder à la page 65 ?

« Dimanche 27 avril, la croix gammée sur l’Acropole ».

C’est le titre. Je vous demande pardon. Je ne sais si la suite figure sous ce titre. Le Landesgruppenleiter parle :

« Je suis parti immédiatement et j’ai visité rapidement les autres quartiers où la colonie allemande avait été internée, le Philadelphie et l’Institut. J’enjoignis aux habitants de la rue de l’Académie de renoncer à rentrer chez eux et de se tenir prêts. Somme toute, nous désirions aider les troupes allemandes immédiatement, avec notre connaissance de la langue et du pays ; le moment était venu, nous devions le faire immédiatement. »

Saviez-vous...

TÉMOIN BOHLE

Oui, je suis parfaitement au courant de tout cela. Il était parfaitement normal qu’au moment où des troupes allemandes occupaient une ville étrangère et libéraient les Allemands internés, ces derniers se missent à la disposition de ces troupes pour leur servir de guides, d’interprètes, etc. Il me semble que c’est la chose la plus naturelle du monde.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’est en fait ce qu’ils devaient faire et l’aide que votre organisation semble leur avoir donnée consiste à les avoir préparés pour les mettre à même de remplir ces tâches. C’était ce qu’avait fait votre Landesgruppenleiter, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Je n’ai pas compris cette question. Voulez-vous la répéter s’il vous plaît ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’était donc le Landesgruppenleiter qui donnait des ordres aux membres de votre organisation, les organisait de telle manière qu’ils puissent aider efficacement les armées d’invasion ?

TÉMOIN BOHLE

Non, c’est une interprétation tout à fait fausse. Le Landesgruppenleiter en Grèce, qui occupait son poste depuis 1934, ne pouvait absolument pas savoir si l’invasion de la Grèce était projetée ou non. Cela n’avait aucun rapport avec son organisation. Mais, au moment où les troupes allemandes sont arrivées dans le pays, il est évident que leurs compatriotes les ont accueillies et les ont aidées dans la mesure de leurs possibilités. C’était un devoir patriotique à remplir.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Bien. Passons maintenant à la page 66, au paragraphe commençant par : « Entre temps, j’ai organisé l’incorporation de tous les membres du Parti dans les services auxiliaires de la Wehrmacht... ?

Avez-vous trouvé ce passage ?

TEMOIN BOHLE

Je le comprends sans avoir besoin de le lire.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Il serait préférable que vous trouviez ce passage.

TÉMOIN BOHLE

Où se trouve-t-il ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Page 66, c’est un nouveau paragraphe.

TÉMOIN BOHLE

Oui, je l’ai trouvé.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

« Entre temps, j’ai organisé l’incorporation de tous les membres du Parti dans les services auxiliaires de la Wehrmacht. »

Il en ressort vraiment que le Landesgruppenleiter a pris cette fois, n’est-ce pas, des mesures d’organisation ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, dans cette circonstance.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

« Bientôt nos filles et nos garçons traversaient la ville, fiers et radieux dans leurs uniformes de la Jeunesse hitlérienne, au côté des soldats allemands, sur des motocyclettes et des voitures militaires... »

Connaissiez-vous les activités de votre Landesgruppenleiter en Grèce, dans l’aide semi-militaire qu’il porta à vos armées ? Ou bien les ignoriez-vous, comme dans le cas de la Norvège ?

TÉMOIN BOHLE

Le Landesgruppenleiter de Grèce ne créa pas d’organisations semi-militaires ; mais, en cette circonstance, il établit naturellement un organisme pour aider les troupes allemandes entrant en Grèce, dans un domaine qui était entièrement civil.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Je voudrais encore vous demander autre chose. Avez-vous le document constitué par un télégramme d’un certain Stohrer, de Madrid ?

TÉMOIN BOHLE

Stohrer, oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Stohrer avait-il quelque chose à faire avec l’ambassade d’Allemagne à Madrid ?

TÉMOIN BOHLE

Stohrer était l’ambassadeur d’Allemagne en personne ; c’était le Dr von Stohrer.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ce télégramme porte la date du 23 octobre 1939. Voici comment il est rédigé :

« Le Landesgruppenleiter peut obtenir une maison très convenable pour son Landesgruppe, y compris le Front allemand du travail, l’Ortsgruppe, la Jeunesse hitlérienne et la Maison allemande de Madrid. On pourra également disposer de locaux supplémentaires au cas où l’ambassade devrait étendre ses services et notamment d’une chambre isolée très convenable pour établir un second poste émetteur clandestin, ce qu’il n’est plus possible de faire dans l’école maintenant réouverte.

« Le Landesgruppenleiter me demande de louer la maison par l’intermédiaire de l’ambassade pour éviter la dépense de taxes considérables. Je n’hésite pas, en vue de l’usage partiel anticipé par l’ambassade, comme mentionné ci-dessus. Si vous n’êtes pas d’accord, prière de télégraphier aussitôt.

« Prière de soumettre également ce télégramme au Gauleiter Bohie. »

Disiez-vous la vérité au Tribunal, quand vous lui avez déclaré, il y a une trentaine de minutes, que vous ignoriez que des postes émetteurs étaient employés par votre organisation ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, car j’ignorais tout de ces postes émetteurs et de leur usage. Je pense qu’il s’agissait d’appareils appartenant à l’ambassade.

Dr SEIDL

Sur la copie de ce télégramme qui m’a été remise, ne figure pas le destinataire. La dernière phrase, en tout cas, me permet de supposer qu’il n’était pas adressé au témoin. Il me semble qu’il faudrait tout d’abord demander au témoin s’il a eu connaissance de ce télégramme et s’il sait à qui il était adressé.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Peut-être pourriez-vous dire au Dr Seidl à qui l’ambassadeur d’Allemagne à Madrid avait probablement adressé ce télégramme sur de tels su jets ?

TÉMOIN BOHLE

Au Ministère des Affaires étrangères du Reich à Berlin.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Et, à cette époque, vous étiez secrétaire d’État aux Affaires étrangères à Berlin, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, en octobre 1939.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Sous la signature, se trouve la notice de distribution, plusieurs personnes et sections du Ministère des Affaires étrangères sont mentionnées n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Prétendez vous maintenant que, parmi tous ces départements qui devaient vous soumettre ce télégramme, aucun ne l’a fait ?

TÉMOIN BOHLE

Non je ne peux pas le dire, ils l’ont certainement fait.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous rappelez-vous avoir vu ce télégramme auparavant ?

TÉMOIN BOHLE

Non. Je ne peux pas me le rappeler. Je l’aurais remarqué, car je n’avais jamais entendu parler de deux postes émetteurs secrets en Espagne. Il serait d’ailleurs tout à fait juste que je l’admette mais je ne puis le faire si je ne le sais pas. La distribution cite sous le n° 3 le « secrétaire d’État », mais il n’est pas question de moi, il s’agit du secrétaire d’État politique du Ministère des Affaires étrangères ; la désignation qui me concernait était « Chef A.O. ».

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ce n’est pas la peine de parler de cette question. Je n’ai pas dit que le secrétaire d’État dont il est question ici était vous, autrement on n’aurait pas demandé que ce télégramme vous fût soumis. Ce que je voudrais savoir c’est ce que vous ou votre ambassade ou tous les deux réunis, vouliez faire de deux postes émetteurs clandestins en Espagne, en octobre 1939 ? Maintenez-vous encore que votre organisation n’avait rien à faire avec la transmission de renseignements d’importance militaire ?

TÉMOIN BOHLE

Que voulez-vous dire ? Qu’entendez-vous par transmission ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Déclarez-vous au Tribunal — je voudrais que vous répondiez très clairement — que votre organisation n’était pas utilisée à des fins d’espionnage en Espagne ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, certes, c’est ce que j’affirme. Il faut faire une différence entre certains membres de l’Organisation des Allemands à l’étranger qui, naturellement à mon insu, étaient employés dans de tels buts ; j’ai protesté bien souvent contre ce système. Je ne m’opposais pas à ce que des Allemands à l’étranger fussent utilisés ainsi, pendant la guerre, comme cela fut fait par plus d’un autre pays ; mais je ne voulais pas que des membres ou des fonctionnaires de l’Organisation des Allemands à l’étranger y fussent impliqués. Il faut faire une différence...

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne désire pas vous interrompre, continuez si vous avez quelque chose à dire, mais pour gagner du temps, parlez aussi brièvement que possible.

TÉMOIN BOHLE

J’ai l’impression que l’on confond ici l’activité de l’Organisation des Allemands à l’étranger, en tant qu’organisation, avec ce qui a pu être fait pendant la guerre par certains Allemands à l’étranger dans l’accomplissement de leur devoir patriotique. Voilà le point crucial de la question.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne veux pas discuter sur ce point. Nous constatons que votre organisation a reproduit officiellement ce qu’elle faisait dans son annuaire. (Au Président.) J’ai encore un document à présenter au témoin.

LE PRÉSIDENT

Bien, continuez.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’est un document que je viens de trouver. Je n’ai pas eu le temps d’en faire tirer des exemplaires pour le Tribunal. Permettez-moi d’en lire quelques extraits. (Au témoin.) C’est un document original que vous avez entre vos mains, c’est une copie au carbone d’une lettre...

LE PRÉSIDENT

Le Dr Seidl a-t-il un exemplaire ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Oui, il en a un en allemand. (Au témoin.) C’est bien une lettre de votre Landes-gruppenleiter Konradi ?

TÉMOIN BOHLE

Il semble que ce soit une directive de Konradi, mais elle n’est pas signée de lui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Si vous regardez la fin de la lettre, vous verrez qu’elle est signée Konradi ; après l’habituel « Heil Hitler »...

TÉMOIN BOHLE

Non, l’exemplaire que j’ai là n’est pas signé.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez vous me rendre cet exemplaire ? Peut-être que ces documents...

(Le document est rendu au lieutenant-colonel Griffith-Jones.)
LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’est bien signé Konradi. Montrez-le lui.

(Le document est remis à nouveau au témoin.)
TÉMOIN BOHLE

Non, ce n’est pas signé par Konradi. C’est une signature dactylographiée.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je m’excuse de ne pas m’être fait mieux comprendre. Je vous ai dit que c’était une copie au carbone dactylographiée d’une lettre envoyée et signée par Konradi, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Je n’en sais rien, car je ne connais naturellement pas toutes les lettres écrites par Konradi.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous pouvez admettre que c’est un document allemand saisi. Le papier que vous tenez dans votre main a été trouvé par les troupes alliées et porte la signature, à la machine, de Konradi, votre Landesgruppenleiter en Roumanie, n’est-ce pas ? Vous vous souvenez que vous aviez un Landesgruppenleiter en Roumanie ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, il s’appelait Konradi.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Et c’est bien là une lettre contenant des instructions pour le Zellenleiter de Constanza ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Elle est datée du 25 octobre 1939. Nous allons lire le premier paragraphe :

« Du 9 au 12 octobre, des conférences ont réuni les hauts détenteurs de souveraineté ou leurs représentants des groupes sud et sud-est de l’Europe, dans les bureaux de la direction de l’Organisation des Allemands à l’étranger. »

C’est-à-dire à Berlin, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, à Berlin.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Dans votre propre bureau, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, dans mes bureaux, mais pas dans mon bureau personnel.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Mais c’était dans un bureau dont vous aviez la direction ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Avant de continuer, je pense qu’aucun ordre, contraire à vos directives, n’aurait été émis par votre bureau à une telle conférence, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Certainement pas dans des affaires importantes.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Merci. « J’ai reçu, par la suite, des instructions directes du bureau supérieur de la direction de l’Organisation des Allemands à l’étranger ». Ainsi, il semble que les instructions données à la conférence furent confirmées par écrit.

« Pendant la guerre, tous les nationaux-socialistes à l’étranger doivent servir directement leur patrie, soit par la propagande pour la cause allemande, soit en contrecarrant les mesures ennemies. »

Passons plus loin, et nous allons prendre le paragraphe commençant par « Comme partout ailleurs, il est extrêmement important de savoir où est l’ennemi et ce qu’il fait... » Je désire qu’il soit parfaitement clair pour vous et présent à votre esprit que ces instructions viennent directement de votre bureau central de Berlin.

« On a constaté que l’IS (Intelligence Service) a tenté souvent, avec le plus grand succès, de faire admettre, pour participer aux activités du Parti et des organisations associées, des personnes qui paraissent de toute confiance. Il est donc nécessaire que vous fassiez une enquête approfondie au sujet de toutes les personnes au contact desquelles vous serez et que vous ne connaissez pas très bien, mais avant tout vous devrez examiner avec soin toutes les nouvelles personnes et tous les visiteurs approchant votre voisinage immédiat. Si possible faites-les prendre en main par un camarade dont les convictions nazies absolues ne sont pas très évidentes... »

Je pense que nous pouvons omettre le reste.

« Vous devez faire des rapports sur tout ce qui vient à votre connaissance, même si, à première vue, les faits vous paraissent sans importance. Les rumeurs tombent dans cette catégorie, si fausses qu’elles puissent être. »

Vous souvenez-vous qu’on enjoignit à vos membres en Roumanie de faire un rapport sur tout ce qu’ils voyaient ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, évidemment.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

« Une partie importante de votre travail, à vous et à vos camarades, doit se rapporter aux firmes industrielles et aux entreprises commerciales, non seulement parce que vous pouvez très bien faire votre propagande de cette manière, mais aussi parce que c’est dans ces firmes que vous pouvez aisément recueillir des renseignements sur les visiteurs étrangers. On sait que les organisations d’espionnage ennemies sont spécialement actives dans les milieux industriels, à la fois pour recueillir des renseignements et pour exécuter des actes de sabotage. Les membres ayant des relations étroites avec des compagnies de messageries maritimes sont particulièrement indiqués pour ce genre de travail. Il va sans dire que vous devez être prudent et soigneux dans le choix de vos collaborateurs. »

LE PRÉSIDENT

Avez-vous encore quelque chose à lire dans ce document ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Oui.

LE PRÉSIDENT

Alors, nous allons suspendre l’audience maintenant.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)