QUATRE-VINGT-DIXIÈME JOURNÉE.
Lundi 25 mars 1946.

Audience de l’après-midi.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal. L’accusé Streicher a été autorisé à ne pas assister à cette audience.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Témoin, voulez-vous regarder encore une fois le document que nous lisions avant la suspension d’audience ? Veuillez regarder le paragraphe qui commence par : « Comme partout ailleurs, il est extrêmement important de savoir où est l’ennemi et ce qu’il fait. »

Votre Honneur, je ne suis pas absolument certain de ne pas avoir lu déjà ce document.

LE PRÉSIDENT

Oui, vous l’avez lu ainsi que le paragraphe suivant et celui qui se trouve en haut de la page 3 dans le texte anglais ; tout au moins, je crois que vous les avez lus. Vous avez lu celui commençant par : « Une partie importante... »

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je vais relire le paragraphe qui commence par : « Une partie importante... ». L’avez-vous ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

« Une partie importante de votre travail, à vous et à vos camarades, doit se rapporter aux firmes industrielles et aux entreprises commerciales, non seulement parce que vous pouvez très bien faire votre propagande de cette manière, mais aussi parce que c’est dans ces firmes que vous pouvez aisément recueillir des renseignements sur les visiteurs étrangers. On sait que les organisations ’d’espionnage ennemies sont spécialement actives dans les milieux industriels, à la fois pour recueillir des renseignements et pour exécuter des actes de sabotage. Les membres ayant des relations étroites avec des compagnies de messageries maritimes sont particulièrement indiqués pour ce genre de travail. Il va sans dire que vous devez être prudents et soigneux dans le choix de vos collaborateurs. En cette occurrence, il est opportun de se reporter aux organisations internationales d’échanges ». Je désire que vous preniez bonne note de la phrase suivante : « Il a été prouvé que ces organisations se camouflent souvent sous le couvert d’activités innocentes et doivent en réalité être considérées comme faisant partie du service de renseignements étranger. »

Témoin, ce texte ne définit-il pas exactement la façon selon laquelle votre Organisation des Allemands à l’étranger poursuivait son travail ? Relisez-le.

« Il a été prouvé que ces organisations se camouflent souvent sous le couvert d’activités innocentes et doivent en réalité être considérées comme faisant partie du service de renseignements étranger. »

Est-ce que cela ne concorde pas avec les instructions que votre Landesgruppenleiter envoyait à ses membres, dans ce document ?

TÉMOIN BOHLE

Au contraire, je trouve que c’est une preuve évidente du fait que les organisations citées étaient au service de l’espionnage étranger et non au service de l’espionnage allemand. Mon interprétation est exactement contraire à celle du Ministère Public anglais.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ne donnez-vous pas d’instructions ici, ou du moins votre Landesgruppenleiter ne donne-t-il pas d’instructions pour inviter les intéressés à exercer des activités de contre-espionnage, telles qu’en poursuit généralement un service de renseignements ? N’est-ce pas le sujet qui a, jusqu’à ce moment, été traité dans cette lettre ?

TÉMOIN BOHLE

La lettre, qui ne m’est pas personnellement familière, demande apparemment aux Allemands à l’étranger de faire un rapport toutes les fois qu’ils rencontrent l’Intelligence Service à l’œuvre ; je ne crois pas que l’on puisse élever d’objections à ce sujet, en temps de guerre.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Nous n’allons pas continuer à discuter sur ce sujet. Je crois comprendre que vous ne savez rien sur les instructions contenues dans cette lettre et que vous n’avez jamais vu ou entendu parler de cette lettre. Ai-je raison ?

TÉMOIN BOHLE

Non, je n’ai jamais vu cette lettre et je ne sais même pas si elle est authentique, car ce n’est pas un original.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Dois-je comprendre alors que, parmi tous les pays environnant l’Allemagne, dans lesquels travaillait votre organisation, vous n’avez jamais eu connaissance des activités poursuivies en Belgique ? Vous ne saviez rien des activités poursuivies en Norvège ? Rien des activités poursuivies en Espagne ? Et très peu de chose sur ces activités en Roumanie ? Est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Non, ce n’est pas exact. Naturellement, j’avais connaissance de l’activité de ces groupes à l’étranger ; mais l’activité spéciale dont le Ministère Public anglais veut faire le but de l’Organisation des Allemands à l’étranger n’est pas du tout claire pour moi.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Si vous aviez connaissance de ces activités, vos déclarations me laissent entendre que vous ne savez rien de celles publiées dans l’annuaire de votre organisation. Deux articles mentionnent des activités en Norvège et en Grèce. Vous n’en saviez rien, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

J’ai déjà dit que je n’étais pas au courant de l’activité en Norvège. J’étais au courant de l’activité en Grèce ; elle s’exerçait dans un domaine tout à fait normal.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Je vais laisser ce point et vous poser deux questions sur un autre sujet.

Ai-je raison de dire que les renseignements — et je ne veux pas discuter maintenant avec vous du genre de renseignements que vos organisations envoyaient en Allemagne — étaient ensuite transmis à l’accusé Hess ?

TÉMOIN BOHLE

Parfois oui, parfois non. Cela dépendait de la nature de l’information. Si c’était un renseignement sur la politique étrangère, on l’envoyait à un autre service.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous faisiez office de centre de renseignements, n’est-ce pas ? Laissez-moi expliquer ce que je veux dire : vous transmettiez aux SS les renseignements que vous receviez ?

TÉMOIN BOHLE

Parfois oui ; sinon aux SS, alors probablement...

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Au ministère des Affaires étrangères ?

TÉMOIN BOHLE

Parfois aussi au ministère des Affaires étrangères.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Et au service du contre-espionnage, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Très rarement, mais cela arrivait à l’occasion.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous avez dit « très rarement ». N’aviez-vous pas un officier de liaison du service de contre-espionnage attaché à votre organisation ?

TÉMOIN BOHLE

Non, j’avais seulement un collaborateur qui, le cas échéant, se mettait en rapport avec le service de contre-espionnage tout à fait officieusement.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Peut-être parlons-nous de la même personne. N’aviez-vous pas un capitaine Schmauss attaché à votre bureau principal à Berlin ?

TÉMOIN BOHLE

M. Schmauss n’a jamais été capitaine de sa vie, mais il était chef politique et chef SS à titre honoraire. Dans l’Armée, je crois qu’il était adjudant. Il ne venait pas du service de contre-espionnage ; il était simplement chef du personnel de l’Organisation des Allemands à l’étranger, et ses fonctions de liaison étaient absolument officieuses.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous dites qu’il n’était pas officier de liaison entre votre organisation et le service de contre-espionnage ?

TÉMOIN BOHLE

Non, il n’était pas officier du tout. Il ne faisait pas partie de la Wehrmacht.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne veux pas discuter de son grade. Quel que soit ce grade, remplissait-il les fonctions de liaison entre vous-même et le service de contre-espionnage ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, c’est exact.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Bien. Maintenant, outre les renseignements que Hess obtenait par le système des rapports de votre Organisation des Allemands à l’étranger, en recevait-il d’autres par l’intermédiaire des organisations qui s’occupaient des « Volksdeutschen », c’est-à-dire des citoyens non Allemands, des gens de race allemande à l’étranger, qui n’étaient pas membres de votre organisation, parce que vous n’aviez l’autorisation de ne compter dans votre organisation que des citoyens allemands ? Mais les autres, les Volksdeutschen, comme vous les appeliez je crois, Hess recevait-il sur leurs activités des renseignements qui provenaient d’autres sources ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne saurais vous le dire, étant donné que je n’en ai jamais parlé avec Hess ; les affaires des Volksdeutschen échappaient à ma compétence.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Le Dr Karl Haushofer a été pendant quelque temps, en 1938-1939, président du VDA, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Je crois que oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’était une organisation s’occupant des activités des Volksdeutschen à l’étranger ? Est-ce bien exact ?

TÉMOIN BOHLE

Je crois que oui. Je ne suis pas très au courant de cette question-là.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Comme vous le savez, Hess et Karl Haushofer étaient de grands amis, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, c’est exact.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Haushofer avait été élève de Hess à l’université de Munich, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

C’est le contraire.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ne saviez-vous pas que Hess recevait des renseignements de Haushofer sur les activités de ces autres organisations ?

TÉMOIN BOHLE

Je n’en sais absolument rien.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne veux pas vous tendre un piège. Est-ce vraiment votre réponse ? Dites-vous la vérité en ce moment ?

TÉMOIN BOHLE

Je voulais préciser que l’adjoint du Führer avait très soigneusement séparé les « Ausiandsdeutschen », c’est-à-dire les citoyens du Reich qui travaillaient à l’étranger, des « Volksdeutschen » ; et poussé par le même souci, il fit en sorte que je n’eus pas à m’occuper des « Volksdeutschen ». C’est pourquoi je ne sais rien à ce sujet.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Hess, en tant qu’adjoint du Führer, était chargé en fait de toutes les questions concernant les Allemands de l’étranger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, en effet, sans doute parce qu’il était né à l’étranger. Cependant, à ma connaissance, il n’en avait pas été chargé en sa qualité d’adjoint du Führer. Je ne pense pas qu’il y eût un rapport entre les deux.

LIEUTENANT - COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez - vous dire au Tribunal que du simple fait qu’il était né à l’étranger, il était chargé de toutes les affaires concernant les Allemands de l’étranger ?

TÉMOIN BOHLE

Je le crois, car tout autre Reichsleiter du Parti aurait aussi bien pu faire ce travail à sa place. Je suppose que Hess se chargea de ces fonctions simplement parce qu’il connaissait bien l’étranger.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je tiens à être clair. Quelle qu’en soit la raison, c’est lui qui, en fait, s’occupait de ces questions ? C’est bien ce que vous avez déclaré ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je veux vous rappeler un passage de votre interrogatoire du 9 novembre 1945. Vous souvenez-vous d’avoir été interrogé ici le 9 novembre de l’année dernière ?

TÉMOIN BOHLE

En novembre, oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous avez été interrogé par un lieutenant Martin, l’après-midi du jour en question.

TÉMOIN BOHLE

J’ai en effet été interrogé par le lieutenant Martin.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je vais lire un court extrait de cet interrogatoire, et je vous demanderai s’il est exact.

On vous interrogeait au sujet des renseignements provenant de l’Organisation des Allemands à l’étranger :

« Question

Il (Hess) devait compter sur vous pour des renseignements de ce genre ?

« Réponse

Pas entièrement. Je crois que Hess avait beaucoup de relations à Hambourg ; il en obtenait des renseignements qu’il ne me transmettait pas.

« Question

Quelles étaient ses relations à Hambourg ?

« Réponse

Les compagnies de navigation.

« Question

Semblables à celles décrites dans les instructions de votre Landesgruppenleiter en Roumanie ?

« Réponse

Il y connaissait beaucoup de personnes. J’ai toujours eu l’impression qu’il les connaissait.

« Question

Heifferich en était-il une ?

« Réponse

Heifferich en faisait partie, mais Hess recevait des renseignements de beaucoup d’autres personnes. De son vieux professeur Haushofer, je crois, qui était un de ses grands amis. Mais il faisait exprès de ne jamais nous renseigner sur cette question des Volksdeutschen. Il disait : « Ce n’est pas votre affaire. »

Est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

C’est tout à fait exact.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Et comme vous l’avez dit ici, est-ce une description fidèle de la façon dont Hess obtenait ses renseignements en provenance de ses agents à l’étranger ? Les faits sont-ils exactement exposés ?

TÉMOIN BOHLE

Autant que je puisse m’en rendre compte, c’est sans doute exact. Je ne peux juger ici que dans la mesure où les rapports concernent l’Organisation des Allemands à l’étranger. Pour les autres, je ne puis faire que des suppositions ; je ne puis donner des renseignements exacts car je n’étais pas au courant de leurs affaires.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je n’ai plus de questions à poser.

Je pourrais peut-être mettre un peu d’ordre dans les pièces dont je me suis servi. L’annuaire de l’Organisation des Allemands à l’étranger, dont j’ai extrait les récits sur la Norvège et la Grèce devient la pièce GB-284 ; les deux traductions que vous avez en mains et numérotées M-153 et M-156 sont déposées sous le n° GB-284. Le télégramme secret reçu par radio qui était le document n° M-158 devient le n° GB-285 ; et la lettre du Landesgruppenleiter Konradi, qui était le document n° PS-3796, devient le n° GB-286.

TÉMOIN BOHLE

Puis-je demander au Tribunal la permission d’ajouter quelque chose sur un sujet dont a traité le Ministère Public britannique ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

TÉMOIN BOHLE

Puis-je commencer ?

LE PRÉSIDENT

Oui, vous pouvez donner une brève explication, mais vous n’êtes pas ici pour faire des discours.

TÉMOIN BOHLE

Non, je ne veux pas faire de discours, je voudrais seulement ajouter quelque chose sur la question des émetteurs secrets qui a été traitée ce matin. Bien que je ne sois pas au courant de la technique de ces appareils, je suppose qu’un émetteur clandestin n’aurait été d’une utilité quelconque à l’étranger que s’il s’était trouvé à Berlin un appareil récepteur. Or, je sais parfaitement que, dans mon bureau à Berlin ou dans n’importe quel autre bureau des services de l’Organisation des Allemands à l’étranger, il n’y a jamais eu d’appareil récepteur secret ; je peux donc affirmer qu’un tel appareil n’y était pas installé.

COLONEL JOHN HARLAN AMEN (Procureur adjoint américain)

Vous rappelez-vous avoir été interrogé, le 11 septembre 1945, par le colonel Brundage ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

COLONEL AMEN

Je vais vous lire quelques questions et réponses de votre interrogatoire et vous demanderai si vous vous souvenez avoir répondu aux questions qui vous ont été posées.

« Question

Lorsque vous avez commencé, quel était votre supérieur immédiat ?

« Réponse

Rudolf Hess, jusqu’en 1941, lorsqu’il est parti pour l’Angleterre.

« Question

Qui lui a succédé ?

« Réponse

"Martin Bormann. Martin Bormann. a succédé automatiquement à Hess, mais il n’avait pas vraiment la même compétence que Hess, qui, lui, était né à l’étranger, en Egypte. Comme Bormann ne comprenait rien aux affaires de l’étranger, il n’y prêtait aucune attention ; mais il était cependant devenu mon supérieur.

« Question

Mais, nominalement, il était votre chef ?

« Réponse

II était mon chef au point de vue technique, mais il ne m’a jamais donné aucun ordre ni directive, ni quoi que ce soit de ce genre, car il ne comprenait rien à ces affaires.

« Question

Ainsi vous étiez entièrement responsable de tout ce qui se passait dans votre service ?

« Réponse

Absolument.

« Question

Et vous en acceptez la responsabilité ?

« Réponse

Naturellement. »

COLONEL AMEN

Vous rappelez-vous que ces questions vous ont été posées et que vous y avez ainsi répondu ?

TÉMOIN BOHLE

C’est absolument exact.

COLONEL AMEN

Et ces réponses étaient-elles exactes au moment où vous les avez faites ?

TÉMOIN BOHLE

Absolument exactes.

COLONEL AMEN

Et sont-elles encore vraies à l’heure actuelle ?

TÉMOIN BOHLE

Toujours.

COLONEL AMEN

De telle sorte que vous acceptez la responsabilité de toutes les activités de votre service, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Certainement, c’est exact.

COLONEL AMEN

Qui était von Strempel ?

TÉMOIN BOHLE

Von Strempel, autant que je sache, était conseiller d’ambassade au ministère des Affaires étrangères. Je ne le connais pas très bien.

COLONEL AMEN

N’a-t-il pas été premier secrétaire de l’ambassade d’Allemagne aux États-Unis, de 1938 jusqu’à Pearl-Harbour ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne peux pas vous le dire exactement. Je le connaissais très peu et je n’ai jamais eu de relations avec lui.

COLONEL AMEN

Eh bien, il a été interrogé à propos de l’aide fournie au Bund germano-américain par l’Organisation des Allemands à l’étranger avant 1938. Je voudrais simplement vous lire une ou deux questions et réponses de son interrogatoire et vous demander si elles concordent avec ce que vous savez des faits. Vous comprenez ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

COLONEL AMEN

« Question

Le Bund germano-américain était-il soutenu par l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

« Réponse

Je suis certain qu’il était en relation avec la section étrangère du Parti. Par exemple, le Bund recevait des instructions du Parti sur la façon dont il devait établir son organisation politique, où et comment les réunions publiques devaient être tenues, comment manier la propagande. Personnellement, je ne sais pas s’il recevait une aide financière. »

Est-ce que cela concorde avec ce que vous savez à ce sujet ?

TÉMOIN BOHLE

Non, c’est une description tout à fait fausse. L’Organisation des Allemands à l’étranger n’a jamais donné d’appui financier au Bund germano-américain et n’avait aucune relation avec cet organisme. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises lors de mes interrogatoires à Nuremberg et même dans un affidavit.

COLONEL AMEN

Je le sais. Ainsi, si von Strempel a juré que c’est un fait, vous déclarez qu’il n’a pas dit la vérité ? Est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Mon avis est que si von Strempel était secrétaire de légation ou d’un autre service, à ce titre, il ne pouvait absolument rien savoir de cette affaire ; il a donc témoigné sur une question dont il n’était pas au courant. De toute façon, ce qu’il a dit n’est pas vrai.

COLONEL AMEN

Savez-vous qu’en 1938 un ordre fut donné au personnel des ambassades allemandes et des consulats de cesser tous rapports ou relations avec le Bund ?

TÉMOIN BOHLE

C’était un ordre général enjoignant aux citoyens allemands à l’étranger de démissionner du Bund s’ils en étaient membres. Mais, autant que je sache, cet ordre fut donné par l’adjoint du Führer, sur ma demande, quelques années avant, vers 1935 ou 1936.

Dr SEIDL

Je proteste contre cette question ; elle n’a rien à voir avec le sujet pour lequel le témoin Bohie a été appelé ici. Pendant son interrogatoire, on ne lui a posé aucune question sur un sujet qui ait eu le moindre rapport avec la question de l’activité du Bund germano-américain. Je ne crois pas que cette façon de procéder soit utilisée pour éprouver si ses déclarations sont dignes de foi, car elle n’a aucun rapport avec le sujet.

COLONEL AMEN

II me semble, au contraire, qu’il y a là un rapport très direct avec la question de savoir si oui ou non cette organisation faisait de l’espionnage à l’étranger et aux États-Unis.

LE PRÉSIDENT

Certainement ; le Tribunal est d’avis que les questions sont parfaitement pertinentes.

COLONEL AMEN

N’est-il pas vrai que, malgré cet ordre, la section étrangère du parti nazi a continué à soutenir le Bund ?

TÉMOIN BOHLE

Non, je n’étais pas au courant et je considère que c’est impossible.

COLONEL AMEN

J’aimerais vous lire encore un extrait ou deux de l’interrogatoire de von Strempel et vous demander si ces déclarations concordent avec ce que vous savez :

« Question

Est-ce que la section étrangère du Parti continua à soutenir le Bund après que fut donné l’ordre que vous mentionnez ?

« Réponse

Je suis sûr que M. Dräger, consul à New-York et représentant de la section étrangère du Parti a continué à avoir des relations avec les responsables du Bund. »

Cela concorde-t-il avec ce dont vous vous souvenez ?

TÉMOIN BOHLE

Non, à mon avis, cela ne correspond pas aux faits. Je ne peux naturellement pas déclarer si le consul, Dr Dräger, a maintenu le contact à rencontre de mes ordres, avec le Bund. Mais l’ordre très strict avait été donné de se retirer complètement de ce Bund, car, dès le début, j’avais élevé de fortes objections contre les activités du Bund et j’étais soutenu dans mon attitude par l’adjoint du Führer.

COLONEL AMEN

Vous connaissiez Dräger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

COLONEL AMEN

Quelle était sa situation aux États-Unis, en ce qui concernait votre organisation ?

TÉMOIN BOHLE

II était homme de confiance de l’Organisation des Allemands à l’étranger pour les membres individuels du Parti qui se trouvaient aux États-Unis.

COLONEL AMEN

II était ce qu’on appelle un agent secret, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Non, il ne l’était pas, mais nous avions naturellement...

COLONEL AMEN

Mais vous l’avez qualifié d’agent secret au cours de votre interrogatoire ?

TÉMOIN BOHLE

Non, je l’ai appelé homme de confiance et on a traduit agent secret. Je...

COLONEL AMEN

J’accepte cette correction. C’était l’homme de confiance de votre organisation aux États-Unis, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

COLONEL AMEN

Et, en plus de lui, il y avait d’autres hommes de confiance de l’organisation, aux États-Unis ?

TÉMOIN BOHLE

Oui, c’est exact.

COLONEL AMEN

Voulez-vous dire au Tribunal comment ils se nommaient et où ils se trouvaient ?

TÉMOIN BOHLE

C’étaient le consul général Wiedemann, à San-Francisco ; le consul Dr Gissling, à Los Angeles ; puis le consul von Spiegel, à la Nouvelle-Orléans, je crois, mais je ne sais pas exactement, peut-être à Boston. C’était l’un des deux. Je crois que c’était tout.

COLONEL AMEN

Et chacun d’eux vous envoyait des comptes rendus, de temps à autre, qui vous parvenaient par l’intermédiaire de Dräger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Non, ils ne m’ont jamais fait de rapports ; je ne puis me rappeler avoir jamais reçu un rapport soit de Wiedemann, soit de Spiegel ou de Gissling. Ce n’était pas là leur travail.

COLONEL AMEN

Dräger, lui, vous envoyait des rapports, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Dräger adressait des rapports à l’Organisation des Allemands à l’étranger, à Berlin, ou à moi personnellement. Le plus souvent à mes bureaux.

COLONEL AMEN

Et, dans ces rapports, se trouvaient les différents renseignements que les autres informateurs avaient recueillis, n’est-ce pas ?

TEMOIN BOHLE

Je n’en sais rien, car je n’ai pas vu ces rapports et je ne puis pas dire s’il y avait quelque chose à rapporter ou non. Nous n’avions pas d’organisations du Parti aux États-Unis, depuis que Hess, en avril 1933, les avaient dissoutes.

COLONEL AMEN

C’est ce que vous dites. Mais, néanmoins, vous aviez quelqu’un en Allemagne dont la tâche était de lire et d’apprécier ces rapports qui lui venaient de Dräger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Autant que je sache, et je crois mes renseignements exacts, les rapports que nous recevions étaient d’ordre purement technique. Nous avions quelques membres du Parti aux États-Unis, dont il fallait vérifier les fiches et les cotisations afin de préserver leurs privilèges en tant que membres du Parti. Toute activité politique aux États-Unis était interdite et il n’y en avait pas.

COLONEL AMEN

Mais je prétends que, malgré les ordres, l’activité de votre organisation a néanmoins continué ; n’est-ce pas un fait qu’il y avait quelqu’un de votre organisation en Allemagne qui recevait ces rapports des États-Unis à intervalles réguliers ?

TÉMOIN BOHLE

C’était mon collaborateur, M. Grothe, qui...

COLONEL AMEN

Exact. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit avant, quand je vous demandais qui lisait les rapports venant des États-Unis ?

TÉMOIN BOHLE

Veuillez répéter la question je vous prie, je ne l’ai pas comprise.

COLONEL AMEN

Je retire cette question. Après avoir reçu ces rapports régulièrement des États-Unis, à qui Grothe en transmettait-il la substance ?

TÉMOIN BOHLE

Autant que je sache, il les gardait, habituellement, parce qu’ils ne contenaient rien d’intéressant, et lui-même n’était pas en mesure de s’en servir. M. Grothe avait une situation honorifique parmi nous, en raison de son grand âge, et il tenait cette branche du service parce qu’elle n’avait aucune importance dans l’Organisation des Allemands à l’étranger.

COLONEL AMEN

Ainsi, vous ne pouviez pas savoir ce que contenaient ces rapports ? Est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Somme toute, oui, c’est exact.

COLONEL AMEN

Ainsi, vous ne savez pas s’ils étaient importants ou non et vous ne savez pas s’ils contenaient des renseignements relatifs à l’espionnage ou non, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Je suis sûr que s’ils avaient contenu de tels renseignements, Grothe me les aurait soumis.

COLONEL AMEN

Bien ; en dehors de cela, vous n’en avez eu aucune connaissance en quoi que ce soit, est-ce exact ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

COLONEL AMEN

Permettez-moi de vous lire encore un ou deux extraits de l’interrogatoire de von Strempel :

« Question

Ces relations semblent avoir enfreint l’ordre dont vous parliez plus haut. Avez-vous rendu compte de ces violations au ministère des Affaires étrangères ?

« Réponse

Oui, à plusieurs reprises. Dans des rapports que j’ai faits pour Thomson, quand j’étais à l’ambassade, nous attirions l’attention de Berlin sur le fait que ces relations avec le Bund étaient très préjudiciables et nous déclarions que l’aide maintenue au Bund par la section étrangère du Parti nuisait à nos relations diplomatiques avec les États-Unis.

« Question

Quelles mesures furent prises à Berlin pour arrêter les activités dont vous vous plaigniez ?

« Réponse

Je n’ai entendu parler d’aucune mesure prise à ce sujet. »

Cela correspond-il avec votre connaissance des faits ?

TÉMOIN BOHLE

Je ne sais absolument rien de ce rapport de M. von Thomson. C’est la première fois que j’entends parler de protestations de l’ambassade à Washington sur des relations interdites entre le Dr Dräger et le Bund.

COLONEL AMEN

Vous savez qui était Thomson, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Thomson était chargé d’affaires à Washington.

COLONEL AMEN

Et vous saviez que, de temps en temps, différents fonctionnaires du Bund venaient en Allemagne pour assister à des conférences avec des représentants de votre organisation et du Führer, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

J’ai su qu’ils avaient vu le Führer, mais ils ne sont pas venus me voir et nous n’avons eu aucune espèce de conférence.

COLONEL AMEN

Je n’ai pas dit avec vous. J’ai dit avec des représentants de vos bureaux, peut-être avec votre ami, M. Grothe ?

TÉMOIN BOHLE

C’est possible, mais je ne peux le dire avec précision, car il ne m’a pas fait de rapports à ce sujet. Ces fonctionnaires du Bund ne pouvaient avoir parlé d’aucun sujet officiel avec Grothe, parce que celui-ci savait parfaitement que je désavouais complètement les activités du Bund en Amérique.

COLONEL AMEN

De toute façon, cependant, vous prenez la responsabilité de tout ce qui a été fait dans votre organisation, n’est-ce pas ?

TÉMOIN BOHLE

Naturellement.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que l’un des autres procureurs généraux désire contre-interroger le témoin ? (Pas de réponse.)

Alors, Docteur Seidl, vous pouvez l’interroger, si vous le désirez.

Dr SEIDL

Témoin, vous avez déjà répondu à une question que je voulais vous poser : on vous a demandé s’il n’y avait pas un poste émetteur secret en Allemagne qui aurait pu transmettre des communications secrètes aux pays étrangers. Je vous demande maintenant : aviez-vous, vous-même, un poste émetteur en Allemagne.

TÉMOIN BOHLE

Je n’avais pas, personnellement, de poste émetteur.

Dr SEIDL

Est-ce que l’Organisation des Allemands à l’étranger en avait un ?

TÉMOIN BOHLE

Je considère que c’est absolument impossible ; s’il y en avait eu un, je l’aurais su. Je n’en ai jamais vu un.

Dr SEIDL

Est-il exact, que, pour communiquer par radio, avec les Allemands au delà des mers, vous ne vous serviez pas du langage clair ?

TÉMOIN BOHLE

C’est exact.

Dr SEIDL

Vous avez dit, antérieurement, que l’adjoint du Führer, Hess, était votre supérieur immédiat ?

TÉMOIN BOHLE

Oui.

Dr SEIDL

Est-ce que l’adjoint du Führer vous donnait des instructions d’ordre général, ou entrait-il dans les détails du travail de l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN BOHLE

L’adjoint du Führer ne donnait que des instructions générales et me laissait le soin des détails, car j’avais son entière confiance. Dans ses instructions générales, il me répétait souvent, de la façon la plus catégorique, que c’était mon devoir d’éviter que l’Organisation des Allemands à l’étranger prît aucune mesure qui put s’avérer préjudiciable aux relations étrangères.

Dr SEIDL

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

(Le témoin se retire.)
Dr SEIDL

Messieurs, avant d’interroger mon prochain témoin, le témoin Strölin, je voudrais suggérer au Tribunal ou plutôt lui adresser la requête que l’affidavit du témoin Gaus soit traité de la même façon que l’interrogatoire du témoin Bohie. Gaus a déjà été admis comme témoin pour un autre accusé. Mais l’avocat de cet autre accusé a renoncé à son droit de citer ce témoin. La situation est donc la même que dans le cas de Bohie. C’est pourquoi, selon moi, il serait préférable d’entendre le témoin Gaus maintenant et de lui lire son affidavit au cours de son interrogatoire, comme on l’a fait en d’autres cas, par exemple dans celui de Blaha.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que l’affidavit a été traduit et soumis au Ministère Public dans les différentes langues ?

Dr SEIDL

Je ne sais pas si la traduction est complète. En tout cas, j’ai donné à midi six exemplaires de l’affidavit au service de traduction.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que Sir David ou le colonel Pokrovsky pourrait me le dire ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, je n’ai pas vu cet affidavit et, pour ce qui est du questionnaire de Bohie, nous l’avons eu, traduit à la hâte en anglais ; l’amabilité de mes collègues soviétiques nous a permis de poursuivre ces débats, en dépit de l’absence d’une traduction russe, en me déléguant le pouvoir d’agir en leur nom. Sans quoi ils auraient demandé au Tribunal de remettre tout l’interrogatoire. La remise de ces affidavits à la dernière minute, sans que nous ayons eu la possibilité de les voir, complique beaucoup les choses.

LE PRÉSIDENT

Le colonel Pokrovsky pourra peut-être me dire s’il a vu cet affidavit ou s’il l’a fait traduire ?

COLONEL Y. V. POKROVSKY (Procureur Général adjoint soviétique)

Messieurs, je partage entièrement le point de vue de Sir David Maxwell-Fyfe. Il me semble absolument inadmissible que ce document soit présenté immédiatement au Tribunal.

Si j’ai bien compris Sir David, il n’a pas reçu cet affidavit. La Délégation soviétique est dans le même cas. De plus, je voudrais vous rappeler que la question de ce témoin a déjà été discutée, qu’elle a été nettement résolue, et il ne me semble donc pas qu’il y ait lieu de reconsidérer la question.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, le Tribunal estime que cet affidavit doit être traduit et soumis au Tribunal afin qu’il puisse le prendre en considération ; car ce témoin avait été accordé à l’accusé Ribbentrop, je crois, qui a, par la suite, retiré sa requête. Vous n’avez pas demandé le témoin Gaus et je tiens à vous faire remarquer, ainsi qu’aux autres avocats, qu’il est très gênant que des documents de cette sorte — après que la question des témoins et des documents a été complètement réglée par le Tribunal — soient présentés au dernier moment et sans traduction d’aucune sorte. Nous n’allons pas y revenir maintenant ; le document devra être traduit et soumis au Tribunal dans les trois langues.

Dr SEIDL

Peut-être pourrais-je faire une courte remarque sur le dernier point. Jusqu’à présent, je pensais qu’une requête dans les formes n’était pas nécessaire pour un témoin qui avait déjà été accordé par le Tribunal à un autre accusé. C’était, sans aucun doute, le cas de Gaus, qui avait été cité à la demande de l’accusé von Ribbentrop. En conséquence, je n’avais pas de raison de faire une demande dans les formes, étant donné que j’aurais eu l’occasion de toute façon de contre-interroger le témoin. Je viens d’être informé par l’avocat de l’accusé von Ribbentrop que, comme son représentant l’a déclaré samedi dernier, il renonçait au témoin Gaus ; et maintenant, à mon tour, je demande à citer l’ambassadeur Dr Gaus comme témoin, au sujet des déclarations contenues dans son affidavit.

LE PRÉSIDENT

Je ne sais ce que vous voulez dire par le citer. Vous pouvez demander à le citer, si vous voulez, mais vous ne pouvez pas le citer sans l’avoir demandé.

Dr SEIDL

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Quand nous aurons vu le document, nous réglerons la question.

Dr SEIDL

Le témoin suivant accordé par le Tribunal à l’accusé Hess est le témoin Karl Strölin. Pour gagner du temps, j’ai également préparé un affidavit pour ce témoin et je demande au Tribunal de me dire si nous suivrons avec lui la même procédure qu’avec le témoin Bohie, ou si le Ministère Public accepte que l’on ne présente que l’affidavit.

LE PRÉSIDENT

Est-ce gué le Ministère Public a vu l’affidavit ?

Dr SEIDL

J’ai donné l’affidavit au Ministère Public ce matin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’ai eu une traduction anglaise de l’affidavit. Il y a une ou deux questions que le Ministère Public désire poser au témoin ; aussi, je pense que ce qui conviendrait le mieux serait que le Dr Seidl procédât de la même façon que pour le dernier témoin : qu’il lise l’affidavit et que le Ministère Public pose les quelques questions qu’il désire.

LE PRÉSIDENT

Oui, très bien.

COLONEL POKROVSKY

Je dois dire, Monsieur le Président, que, pour ce qui est de ce document, la Défense n’a pas respecté la procédure que vous aviez établie ; l’Avocat Général soviétique a seulement reçu cet affidavit il y a très peu de temps, environ une ou deux heures, et non en russe, mais en anglais. Je n’ai donc pu examiner le document que très superficiellement. C’est pourquoi je demande que l’on diffère sa présentation jusqu’à ce qu’on se soit conformé aux ordres du Tribunal, c’est-à-dire jusqu’à ce que nous ayons le document dans une traduction russe.

LE PRÉSIDENT

Mais, colonel Pokrovsky, pour épargner les instants du Tribunal, ne serait-il pas préférable de continuer maintenant ? Sir David a vu l’affidavit et l’a lu dans une traduction anglaise, et s’il s’en contente, ne vaudrait-il pas mieux continuer que de différer ? Le Dr Seidl a été autorisé à citer ce témoin, de sorte que ce n’est qu’une question de temps ; il lira l’affidavit lorsqu’il le citera et il pourra ensuite lui poser des questions.

COLONEL POKROVSKY

Je dois répéter que je n’ai examiné que très superficiellement ce document. Si je comprends bien, il n’est pas d’un intérêt particulier pour la Délégation soviétique ; il intéresse davantage la Délégation britannique...

LE PRÉSIDENT

Colonel Pokrovsky, le témoin était accordé au Dr Seidl qui aurait pu le citer à la barre et lui poser des questions. La seule raison de procéder par affidavit réside dans une question de précision et de rapidité. Si nous décidions de renoncer à cet affidavit, le Dr Seidl poserait directement ses questions au témoin ; je crains que cette façon de procéder nous prenne plus de temps que pour lire l’affidavit. Vous n’auriez pas d’objection à élever contre cette méthode ?

COLONEL POKROVSKY

Le Tribunal sera peut-être d’accord pour que le Dr Seidl pose au témoin les questions qui ont leur réponse dans l’affidavit ? Il me semble que ce serait la meilleure solution, d’autant plus qu’il n’y a que peu de questions et les trois premières, si je comprends bien, ont plutôt un caractère historique et ont trait à la fondation de l’Institut de Stuttgart en 1917.

LE PRÉSIDENT

Je n’ai pas encore lu l’affidavit, colonel Pokrovsky, je crains donc de ne pouvoir poser les questions que vous souhaitez que je demande.

COLONEL POKROVSKY

Très bien, je retire mon objection.

LE PRÉSIDENT

Bien, citez votre témoin. (Le témoin Strölin se présente à la barre.) Quel est votre nom ?

TÉMOIN KARL STRÖLIN

Karl Strölin.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité, et que je cèlerai ni n’ajouterai rien.

(Le témoin répète le serment.)
LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir.

Dr SEIDL

Témoin, vous avez été le dernier maire de Stuttgart ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

Dr SEIDL

En cette qualité vous étiez aussi président honoraire de l’Institut des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

Dr SEIDL

Ce matin, vous avez signé l’affidavit que je vais vous lire :

« 1. L’Institut des Allemands à l’étranger a été fondé à Stuttgart en 1917. Le fait que Stuttgart ait été choisi comme siège de cet Institut vient de ce que la Souabe a toujours fourni un pourcentage élevé d’émigrants. C’est la raison pour laquelle se fit sentir à Stuttgart le besoin de créer un institut pour resserrer les liens patriotiques entre la mère patrie et la nouvelle patrie.

« L’Institut des Allemands à l’étranger avait les buts suivants :

a) Recherches scientifiques sur le germanisme à travers le monde ;

b) Maintien des liens culturels avec les émigrants ;

c) Informer la patrie sur le germanisme à l’étranger et sur les pays étrangers.

« Pour la recherche scientifique, l’Institut disposait d’une bibliothèque de plus de 100.000 ouvrages sur le folklore et des archives très complètes de journaux sur le germanisme à l’étranger. Dans ce but, presque tous les journaux de langue allemande publiés à l’étranger et un grand nombre de journaux en langues étrangères étaient conservés et utilisés. Il y avait aussi une grande collection de tableaux. A mesure que l’intérêt des Allemands à l’étranger pour leur mère patrie allait grandissant, des recherches généalogiques avaient lieu sur une échelle de plus en plus vaste. En plus de ses activités de collections et de publications, l’Institut des Allemands à l’étranger avait aussi des fonctions consultatives d’information. L’un des sujets importants de recherche fut pendant longtemps celui de l’émigration. L’Institut devait se procurer des renseignements sur les possibilités de travail et les conditions de vie, dans les zones d’émigration.

« Les archives de l’Institut des Allemands à l’étranger étaient à la disposition de différentes organisations ou autorités, sur leur simple demande. Une des activités typiques de l’Institut des Allemands à l’étranger consistait principalement dans l’organisation d’expositions. Le centre de cette activité était le musée du germanisme à l’étranger, de Stuttgart. Le travail scientifique de l’Institut des Allemands à l’étranger s’exprimait surtout dans les livres, périodiques et calendriers qu’il publiait. Les relations avec les Allemands à l’étranger étaient maintenues par l’envoi de ces publications. Le principe fondamental suivi par l’Institut dans ses rapports avec les Allemands de l’étranger résidait dans le fait que ceux-ci devaient être les liens entre les nations et servir à approfondir les sources de compréhension et le désir de collaboration entre elles. Les Allemands à l’étranger devaient ainsi créer des liens d’amitié entre leur nouvelle et leur ancienne patrie.

« Comme président de cet Institut des Allemands à l’étranger, j’ai, tout particulièrement, insisté sur cette idée dans mon discours d’octobre 1936, à Madison Square Garden à New-York, à l’occasion de la « Journée allemande ». D’autre part, l’Institut n’avait aucun agent ou représentant à l’étranger qui faisait la liaison avec ses membres. L’Institut des Allemands à l’étranger ne s’occupait pas du bien-être direct ou individuel des nationaux allemands à l’étranger. Cette tâche était entreprise par l’Organisation des Allemands à l’étranger de la NSDAP. Les rapports avec les Volks-deutschen étaient maintenus par le « Volksbund für das Deutschtum im Ausland » (Association pour le germanisme à l’étranger).

« 2. L’Institut des Allemands à l’étranger n’a jamais poursuivi d’activité qu’on pourrait qualifier d’activité de Cinquième colonne. Personne n’a jamais fait de demandes de cette nature, ni à moi-même, ni à l’Institut.

« 3. Rudolf Hess, adjoint du Führer, n’a jamais exercé aucune influence sur l’activité de cet Institut. Il n’a jamais donné aucune directive ou instruction qui aurait pu amener l’Institut à entreprendre une activité quelconque ressemblant au travail de la Cinquième colonne. »

Témoin, est-ce que ces déclarations sont exactes ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, ces déclarations sont exactes.

Dr SEIDL

Pour le moment, je n’ai plus de questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

D’autres avocats de la Défense ont-il des questions à poser au témoin ?

Dr OTTO FREIHERR VON LUDINGHAUSEN (avocat de l’accusé von Neurath)

Témoin, avec l’autorisation du Tribunal, je voudrais vous poser quelques questions.

D’abord, de quelle date à quelle date êtes-vous resté maire de Stuttgart ?

TÉMOIN STRÖLIN

De 1933 jusqu’à la fin de la guerre.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Depuis quand connaissiez-vous l’accusé von Neurath ? Quelles étaient alors sa situation et sa réputation ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je connais M. von Neurath depuis la première guerre mondiale. A cette époque, il était chef de cabinet du roi du Wurtemberg et jouissait d’une excellente réputation. En ma qualité de maire j’eus fréquemment l’occasion de rencontrer M. von Neurath. En 1938, il fut nommé citoyen d’honneur de la ville de Stuttgart.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Avez-vous eu des relations plus étroites avec lui à son retour de Tchécoslovaquie ?

TÉMOIN STRÖLIN

Lorsqu’il revint de Tchécoslovaquie, M. von Neurath se retira dans sa propriété de Leinfelden près de Stuttgart et j’eus alors des relations plus étroites et plus fréquentes avec lui.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Que savez-vous de son origine, de sa famille, de son éducation je veux dire enfin de sa personnalité en général ?

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath est issu d’une vieille famille de Souabe. Son père était grand chambellan du roi de Wurtemberg. Son grand-père et son arrière-grand-père étaient ministres. Von Neurath était très estimé pour la dignité de son caractère, sa personnalité très distinguée ; il était très serviable, extraordinaire-ment humain, très consciencieux, honnête et franc.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Lors de son activité comme ministre des Affaires étrangères et, plus tard, avez-vous eu l’occasion de discuter de politique avec lui et, en particulier, de connaître ses vues sur la politique étrangère ?

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath m’a souvent parlé de questions politiques, mais naturellement seulement en termes généraux. En sa qualité de ministre des Affaires étrangères du Reich, il était convaincu que l’Allemagne réussirait par des moyens pacifiques à reprendre dans le monde la place qui lui revenait. Il condamnait toute autre voie. Il s’efforçait d’édifier et de renforcer des relations de confiance mutuelle avec les autres puissances européennes, et tout particulièrement avec l’Angleterre. Il était convaincu que tous ses efforts avaient tendu précisément dans ce sens.

J’ai eu plus tard l’occasion de parcourir avec lui le livre de Henderson, Deux ans avec Hitler, qui soulignait la popularité de von Neurath à Londres à ce moment-là ; je me rappelle que nous avons discuté ensemble le passage dans lequel Henderson admirait son dévouement sincère à la paix et aux relations pacifiques et amicales avec l’Angleterre.

Von Neurath s’intéressait aussi grandement à l’entretien de meilleures relations avec les États-Unis. Je me rappelle que nous en avons discuté après mon voyage aux État-Unis et il disait que j’avais bien fait, dans mes différents discours, d’insister sur le désir d’amitié de l’Allemagne à l’égard des États-Unis. Je me souviens aussi de la critique sévère que von Neurath avait fait du ton du discours de Hitler du début de 1939, en réponse au message de Roosevelt. Il déclara alors que la tension internationale avait été accrue par ce discours de Hitler. Von Neurath parla alors des accords de Munich auxquels il avait pris une part active. Plus tard, il déplora très fréquemment le tait tragique que, malgré tous les efforts déployés, les relations entre l’Angleterre et l’Allemagne ne fussent pas restées celles d’une confiance persistante. Il faisait remarquer combien c’était une tragédie pour l’Europe et pour le monde entier.

Toutes mes conversations avec von Neurath m’ont convaincu qu’il désirait une entente et un règlement pacifique et que jamais il n’aurait poursuivi une politique pouvant mener à la guerre.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Quelles furent les raisons pour lesquelles il fut nommé citoyen d’honneur de Stuttgart ? Ceci se passa après sa démission de ministre des Affaires étrangères du Reich ; n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Cette nomination eut lieu en 1938, à l’occasion de ses 65 ans, le 2 février 1938, pour lui témoigner la reconnaissance, non seulement de la ville de Stuttgart, mais aussi de tout le pays souabe pour son évident amour de la paix et le calme et la prudence avec lesquels il avait dirigé les affaires étrangères. C’était aussi une preuve de respect pour son caractère honnête et incorruptible.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Témoin, le Ministère Public britannique affirme qu’à plusieurs reprises von Neurath a donné des assurances aux gouvernements étrangers ou à leurs représentants, disant que l’Allemagne n’avait aucune intention agressive envers ces États, mais que ces assurances n’avaient été données que pour les tromper et pour les bercer de l’illusion d’une fausse sécurité, car von Neurath aurait parfaitement su et approuvé à ce moment-là que Hitler avait en réalité des intentions agressives à l’égard de ces États. D’après votre connaissance de la personnalité de von Neurath, pensez-vous qu’il soit capable d’une pareille infamie ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non. Je le considère comme incapable d’agir de la sorte.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Est-ce que von Neurath vous a informé, à l’époque, qu’il avait démissionné de son poste de ministre des Affaires étrangères ?

TÉMOIN STRÖLIN

Tout à fait par hasard, le 4 février 1938, je me suis trouvé avec von Neurath au ministère des Affaires étrangères au moment même où sa démission fut acceptée. Il me raconta comment les choses s’étaient passées. Jusqu’à la fin de l’année 1937, il avait été convaincu que Hitler était entièrement d’accord avec la politique étrangère qu’il poursuivait ; que Hitler, comme lui-même, n’avait aucune intention d’en venir à un conflit armé. Mais, à la fin de 1937, Hitler avait modifié son attitude, d’une façon fort inattendue. Il avait adopté soudain un tout autre ton, on ne pouvait pas savoir s’il fallait le prendre au sérieux ou non. Von Neurath me dit ensuite que, lors d’un entretien personnel avec Hitler, il avait essayé de le faire revenir à son attitude précédente. Mais il eut l’impression qu’il avait perdu toute influence sur Hitler, ce qui le poussa à offrir sa démission.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Peu après, ou plutôt en même temps que sa démission du ministère des Affaires étrangères, von Neurath fut nommé président du Conseil de Cabinet secret. Savez-vous quelque chose sur cette nomination ? Comment et pourquoi lui a-t-on donné ce poste et quelle était son activité ?

TÉMOIN STRÖLIN

Il reçut sa nomination de président du Conseil de Cabinet secret au moment même où sa démission fut acceptée, mais ce cabinet ne fut jamais convoqué, de même que le Cabinet du Reich. Le Cabinet secret devait être convoqué par Hitler lui-même ; il ne l’a jamais fait. Von Neurath crut plus tard qu’on lui avait donné ce poste de président afin de cacher aux pays étrangers que, lui, von Neurath, ancien ministre des Affaires étrangères, n’avait plus du tout d’influence sur la politique du Reich.

LE PRÉSIDENT

Docteur Lüdinghausen, je ne vois pas comment ce témoin peut savoir si, oui, ou non, le Conseil de Cabinet secret a jamais été convoqué. En tout cas, nous l’avons déjà appris par Göring et, vraisemblablement, nous l’entendrons de nouveau de la bouche de l’accusé von Neurath, ce qui fait nettement double emploi. J’estime qu’il ne faut pas gaspiller le temps du Tribunal avec ce sujet.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Avez-vous parlé parfois à von Neurath de son attitude envers le parti nazi et de ses rapports avec celui-ci ?

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath critiquait et désapprouvait le Parti. Tout d’abord, il se contenta de désapprouver, en attendant de voir ce qui arriverait. Ses rapports avec le Parti étaient très mauvais. Le Parti, lui, estimait que von Neurath n’était pas un vrai national-socialiste.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Avez-vous jamais discuté avec lui de la politique nazie envers les Églises chrétiennes, protestante ou catholique ?

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath était un chrétien sincère et désapprouvait la politique du Parti à l’égard de l’Église. Il a soutenu en particulier les efforts de l’évêque Bohr pour maintenir la liberté de la religion. A plusieurs reprises, il usa de son influence pour faire évacuer des séminaires qui avaient été réquisitionnés. A la suite d’une conversation avec von Neurath, je me rendis personnellement auprès du ministre des Cultes, Kerrl, et discutai avec lui la question de la politique du Gouvernement envers l’Église. Je me rendis compte que le ministre des Cultes Kerrl faisait de son mieux pour représenter et exposer les idées d’un christianisme positif. Il ne réussit cependant pas, car son œuvre était continuellement compromise, surtout par Himmler et Bormann.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Plus tard, lorsque von Neurath se retira dans sa propriété de Leinfelden, avez-vous discuté avec lui au sujet de ses activités comme Protecteur du Reich ?

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath me dit avoir pris le poste de Protecteur du Reich en Bohême et en Moravie de très mauvais gré, mais finalement après deux refus il avait décidé qu’il devait faire ce sacrifice. Il pensait que c’était justement là qu’il pourrait le mieux agir comme intermédiaire et amener la réconciliation. Il eut maintes difficultés à cause de Himmler et de Frank. Il me décrivit ses efforts pour obtenir un meilleur traitement pour les Tchèques et les protestations qu’il avait adressées, en vain, à Hitler. Un jour, je rendais visite à von Neurath à Prague ; on m’invita à aller voir le Président Hacha, qui me dit avec force combien il était heureux que von Neurath eût été envoyé en Bohême et Moravie, qu’on pouvait avoir confiance en lui et qu’il remplissait au mieux ses fonctions de conciliateur.

Von Neurath me déclara qu’il avait été rappelé et remplacé, parce que le Führer l’avait trouvé trop doux à l’égard des Tchèques, préférant mettre à sa place un chef SS éprouvé.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Qui fut nommé à ce poste ?

TÉMOIN STRÖLIN

Ce fut Heydrich.

Dr VON LUDINGHAUSEN

C’est ce qui obligea von Neurath à donner sa démission ?

TÉMOIN STRÖLIN

Vraisemblablement.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Von Neurath fut aussi Gruppenführer SS à titre honoraire ; vous a-t-il dit comment il avait obtenu cet « honneur », si l’on peut dire ?

TÉMOIN STRÖLIN

II me dit qu’il avait été nommé chef SS à titre honoraire, sans même avoir été consulté. Quand il en demanda la raison à Hitler, celui-ci déclara que Mussolini devait bientôt lui rendre visite et qu’il désirait que son entourage, portât l’uniforme. Von Neurath ne le portant pas, Hitler le nomma chef SS à titre honoraire, afin qu’il fût en uniforme. Von Neurath déclara qu’il n’avait pas l’intention de devenir un des subordonnés de Himmler ; Hitler lui répondit que cela n’était pas nécessaire, que ce n’était qu’une question d’uniforme.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Quelle était l’attitude de M. von Neurath envers la guerre ?

TÉMOIN STRÖLIN

Le premier jour de la guerre, j’accompagnai von Neurath à la gare. Il était abattu et fortement troublé. Il déclarait que la guerre était « un terrible malheur », disait qu’on jouait avec l’existence de la nation ; que toute son œuvre de 1932 jusqu’en avril 1938 avait ainsi été détruite. J’ai su que, pendant la guerre, il avait vu le Führer à plusieurs reprises et que chaque fois il avait saisi l’occasion pour lui demander d’envisager la paix Que lui, von Neurath...

LE PRÉSIDENT

Comment le témoin peut-il dire cela ? Il n’était pas présent à ces entretiens. Comment le témoin peut-il dire ce que l’accusé von Neurath disait au Führer ?

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Ainsi que vous le comprendrez, c’est ce que l’accusé lui a dit. Ceci fut dit au témoin, directement par l’accusé.

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath me l’a dit à plusieurs reprises. Il m’a dit...

LE PRÉSIDENT

Tout ceci me paraît très cumulatif.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Je ne le crois pas. Le témoin n’a qu’à le confirmer lui-même au Ministère Publie.

LE PRÉSIDENT

Docteur Lüdinghausen, le Tribunal présume que l’accusé von Neurath en témoignera lui-même, et il ne veut pas entendre le témoin déposer sur ce qui lui fut raconté.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Je renonce donc à ce qui devait suivre. Je voudrais seulement poser encore une question. (Au témoin.) Von Neurath a-t-il tenté un effort, avec vous ou d’autres personnes, pour mettre fin à la guerre et au régime hitlérien ; ou tout au moins, a-t-il envisagé cette possibilité ? Ce sont là des faits que le témoin a pu observer de lui-même.

TÉMOIN STRÖLIN

Von Neurath discuta cette question avec moi à plusieurs reprises après son retour de Prague. Il essaya, en particulier, d’obtenir que l’on convoquât le Cabinet du Reich, de même que les autres ministres, mais il n’y parvint jamais, étant donné que Hitler considérait ce cabinet comme un « club de défaitistes ».

Comme première tentative pour mettre fin à la guerre, von Neurath essaya d’amener un changement ministériel et de faire nommer un chancelier du Reich, mesure également réclamée de façon générale. Ceci échoua aussi. Pendant l’année 1943, Neurath devint de plus en plus convaincu...

LE PRÉSIDENT

C’est encore la même chose qui se répète... Rien de ce que faisait von Neurath, mais seulement ce qu’il disait à ce témoin.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Je vous demande pardon ; ce sont seulement des remarques préliminaires, qui vont éclairer ce qui suit.

LE PRÉSIDENT

Je croyais que vous n’aviez qu’une dernière question à poser ?

Dr VON LUDINGHAUSEN

Oui, nous y venons. La question a rapport aux tentatives qu’il fit pour mettre ses projets à exécution.

TÉMOIN STRÖLIN

Lorsque ces tentatives de réforme de von Neurath échouèrent, qu’il constata que les résultats étaient nuls, car l’attitude de Hitler était négative et intransigeante au début de 1944, von Neurath acquit la conviction que les possibilités de sauver l’Allemagne d’une destruction complète ne devaient pas être perdues à cause de Hitler. Il envisagea la façon de parler à Hitler, une fois de plus, pour le persuader de terminer la guerre. Il songea au maréchal Rommel et me demanda de lui en parler. Rommel était très populaire à ce moment-là en Allemagne et à l’étranger et von Neurath pensait que, grâce à sa position, il était tout désigné pour remplacer Hitler, si besoin en était.

Au début de mars 1944, je suis allé voir le maréchal Rommel et j’ai discuté avec lui de ces questions. Rommel critiquait aussi la situation. Je le connaissais depuis la première guerre mondiale, de sorte que je pouvais m’entretenir avec lui très franchement. Il partageait le point de vue de von Neurath : si la guerre ne pouvait être gagnée militairement, ce serait une perte inutile de sang et une destruction insensée...

LE PRÉSIDENT

Docteur von Lüdinghausen, nous ne désirons pas entendre toute cette conversation entre le témoin et Rommel, nous ne voulons pas l’entendre.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Je ne désire pas non plus que le témoin traite ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Alors, pourquoi ne l’arrêtez-vous pas ?

Dr VON LUDINGHAUSEN

Je ne voulais pas l’entendre de l’accusé lui-même, je voulais l’entendre de la part de celui que l’accusé employa pour faire cette démarche. Selon moi, cette déclaration a plus de poids que si l’accusé l’avait faite lui-même. C’est pourquoi j’ai interrogé le témoin là-dessus. Mais c’est presque terminé maintenant.

LE PRÉSIDENT

Lorsque nous arriverons au tour de l’accusé, nous ne l’entendrons donc pas à ce sujet.

Dr VON LUDINGHAUSEN

C’est bien ce que j’ai envisagé. Néanmoins, je suis sûr que le témoin va terminer en quelques mots. Je vous en prie, témoin, continuez.

TÉMOIN STRÖLIN

Sur l’instigation de von Neurath, le maréchal Rommel adressa une lettre à Hitler pour lui dire qu’étant donnée la situation militaire, il était impossible à son avis de continuer la guerre et qu’il suggérait à Hitler d’entreprendre des négociations politiques. Par la suite, ainsi qu’il me le dit, Rommel tomba en disgrâce après son accident, à cause de cette démarche, et ainsi échoua également la tentative de von Neurath de mettre fin à la guerre avec l’aide de Rommel.

Dr VON LUDINGHAUSEN

C’est alors qu’advint l’affaire du 20 juillet et ce fut bientôt la fin.

Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Est-ce qu’un autre membre de la Défense désire poser des questions au témoin ? le Ministère Public ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Pourrait-on passer au témoin le document n° GB-262 (PS-3258) ? Votre Honneur, c’est le document dont on a déjà donné un extrait au Tribunal lorsque j’ai contre-interrogé le dernier témoin.

Témoin, je voudrais être entièrement certain de ce que vous dites au sujet de l’Institut des Allemands à l’étranger. Dites-vous que cet Institut n’avait aucun rapport ni avec Hess, ni avec l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Cet Institut n’avait aucune relation avec Hess. Les rapports avec l’Organisation des Allemands à l’étranger venaient du fait que cet organisme tenait ses réunions à Stuttgart.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

De sorte que cet Institut et l’Organisation des Allemands à l’étranger tenaient tous les deux leurs réunions à Stuttgart. C’est le seul rapport entre les deux organisations, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

L’Organisation des Allemands à l’étranger, autant que je sache, n’a jamais consulté l’Institut des Allemands à l’étranger sur les questions pratiques car elle avait ses archives personnelles. Cette Organisation fut fondée en 1932, je crois, etc.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne veux pas vous interrompre, mais si vous pouviez répondre à ma question par un simple oui ou non, cela nous ferait gagner du temps. Au cas où elle ne serait pas claire à votre esprit, je la répète : est-ce que vous dites que le fait que ces deux organisations tenaient leurs réunions à Stuttgart représente le seul rapport entre les deux ? Vous pouvez répondre à cela par oui ou par non.

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne peux répondre par oui ou non ; je dois dire que ce qui rapprochait les deux organisations était le fait que la ville de Stuttgart était le siège des Allemands à l’étranger, et pour ainsi dire les représentait, à cause de son passé historique.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Lisez-vous l’anglais ?

TÉMOIN STRÖLIN

Un peu.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous regarder la page 461 du livre qui est devant vous, au bas de la page ; vous y verrez la reproduction d’un article du Stuttgarter Neues Tageblatt du 21 septembre 1933. Le Tribunal trouvera l’extrait en question à la page 4 de la traduction qui a été présentée.

Cet article décrit la réunion de votre institution, après sa réorganisation en 1933 et l’arrivée au pouvoir du parti nazi. Je voudrais seulement en lire quatre extraits très brefs et demander ensuite vos commentaires :

« Le président de l’Institut des Allemands à l’étranger, Dr Strölin, a ouvert la cérémonie... »

C’est vous-même, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

« II a salué notamment parmi les personnalités présentes, le président du Conseil et ministre des Cultes pour le Wurtemberg, Mergenthaler, en tant que représentant des autorités de contrôle, le général Haus-hofer de Munich comme représentant de Rudolf Hess, qui avait été chargé par le Führer de la direction suprême de toutes les questions concernant les Allemands à l’étranger... »

Aviez-vous dit cela ?

TEMOIN STRÖLIN

Je ne m’en souviens plus. Haushofer était pour moi le représentant de la VDA et je ne peux pas concevoir qu’il pût, à cette occasion, représenter Hess. Toutefois, c’est probablement vrai.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Croyez-vous que le Tribunal puisse présumer que le Stuttgarter Neues Tageblatt, au lendemain de cette cérémonie, ait donné un rapport exact de ce que vous avez dit dans votre allocution d’ouverture ?

Ce n’est pas la peine de regarder la suite pour le moment. Il n’est guère probable que cet article soit faux ou inexact, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, cet article est probablement exact, mais je ne me souvenais pas que Haushofer fut à ce moment le représentant de Hess, car Rudolf Hess n’avait rien à voir avec l’Institut des Allemands à l’étranger à proprement parler.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Il est évident que vous dites là, et que vous dites dans un discours, que Haushofer représentait Hess, et que Hess avait été chargé par le Führer de la direction suprême de tout ce qui concernait les Allemands à l’étranger. Comprenez-vous bien ce que vous dites ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, cela peut avoir été exprimé de cette façon à l’époque, mais, en pratique, je n’ai jamais reçu d’instructions d’aucune sorte de Rudolf Hess.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

On peut affirmer que votre institution s’occupait de questions relatives aux Allemands à l’étranger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je n’ai pas compris la question.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Votre institution, l’Institut des Allemands à l’étranger, s’occupait-elle des questions relatives aux Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien ; alors je vais laisser cette question. Voulez-vous regarder au bas de la page...

TÉMOIN STRÖLIN

Je voudrais ajouter quelque chose à ce que j’ai dit. C’était la première fois que je faisais un discours pour l’Institut des Allemands à l’étranger, et ce discours était naturellement rédigé avec l’approbation des personnalités présentes. Je ne puis plus me rappeler si Haushofer, en cette occasion, était présent à ce titre, mais je puis simplement répéter ma déclaration que, moi-même, en tant que président honoraire de cet Institut, je n’ai jamais su que Rudolf Hess ait donné des instructions à l’Institut des Allemands à l’étranger.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous pouvez n’en avoir rien su, mais vous étiez le nouveau président de l’Institut des Allemands à l’étranger à cette époque, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je n’étais pas président. Le président de l’Institut était un chef spécial. Mais, en ma qualité de maire, c’était simplement une de mes nombreuses obligations accessoires que d’agir comme président de l’Institut. Il m’est impossible de me rappeler quelles furent les personnalités que j’ai saluées à cette occasion, ni de quelle façon je l’ai fait.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Limitez-vous, je vous en prie, à répondre aux questions que je vous pose. Étiez-vous, oui ou non, président de l’Institut des Allemands à l’étranger, le 20 septembre 1933 ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, je fus nommé alors à ce poste.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous veniez d’être nommé parce que vous étiez un bon nazi, que le parti nazi était au pouvoir et réorganisait cet Institut ?

TÉMOIN STRÖLIN

On m’a nommé parce que j’étais maire de Stuttgart et que Stuttgart avait reçu récemment le nom de « Ville des Allemands à l’étranger », du fait que par son histoire et ses traditions elle maintenait des rapports très serrés avec les Allemands à l’étranger.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Nous continuons. Voulez-vous sauter le paragraphe suivant et revenir à celui qui commence par : « Le Gauleiter Schmidt, représentant le Dr Goebbels... », page 462 : « Le Gauleiter Schmidt représentant le Dr Goebbels déclara : « La direction locale du Parti (Gauleitung) « est prête à coopérer à tout prix avec les nouveaux fonctionnaires « de l’Institut. »

Hess, comme vous le savez, était chargé de la direction du Parti, n’était-il pas le Gauleiter ? Continuons :

« Le national-socialisme revendiquera la communauté de sang de tous les Allemands comme son droit historique. » Passons à la page 463...

TÉMOIN STRÖLIN

Puis-je dire quelque chose à ce sujet ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Si vous le voulez.

TÉMOIN STRÖLIN

Le Gauleiter adjoint Schmidt n’était là qu’en qualité de délégué du Gauleiter, mais non comme représentant de Hess.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Non. Mais ce que je tiens à préciser, c’est que la Gauleitung, qui dépendait de Hess, devait coopérer avec les fonctionnaires de votre Institut à tout prix. Vous admettez cela ?

TÉMOIN STRÖLIN

Évidemment.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voyez la page 463, le second paragraphe :

« Dans son discours, le nouveau directeur de l’Institut, le Dr Csaki, déclara : « Nous avons suivi avec une peine profonde la désunion intérieure du peuple allemand. Depuis qu’elle a été vaincue et que nous voyons que toutes les associations des Allemands à l’étranger (Volksdeutsche) se serrent les coudes, nous sommes remplis de fierté pour notre patrie allemande et d’un sentiment de bonheur devant l’Allemagne unie. Au cours des siècles, de nombreuses positions ont été perdues. Nous devons éviter toute autre perte. Nous sommes les « ponts » de l’espace vital allemand, nous en sommes fiers et nous avons confiance en nous. »

Était-ce, en fait, le but de l’Institut des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Dans cette citation, le Dr Csaki dit que les Allemands de l’étranger sont les « ponts » de l’espace vital allemand. Cette expression s’appliquait aussi aux Allemands de Hongrie et de Roumanie et, dans cette mesure, c’est exact quand il dit que les Allemands sont les « ponts » de cet espace vital, c’est-à-dire de l’espace dans lequel les Allemands vivent. Cela a toujours été l’attitude de l’Institut des Allemands à l’étranger, de construire des « ponts » pour l’espace vital dans lequel vivent ces Allemands.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Bien. Avez-vous jamais vu ou lu un livre du Dr Emil Erich intitulé : L’Organisation à l’étranger de la NSDAP ? Vous n’avez pas besoin de regarder cela. Avez-vous jamais lu ce livre, ou même seulement son titre ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne le crois pas.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Savez-vous que le Dr Emil Erich était le conseiller personnel de Bohie ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je crois qu’à un moment donné il fut l’adjoint de Bohie.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous regarder à la page 305 du livre qui est devant vos yeux ? Votre Honneur, ce passage apparaît à la page 5 du document qui est en la possession du Tribunal et qui est une reproduction du livre d’Emil Erich. Voulez-vous regarder le second paragraphe, à la page 305, vers le milieu du paragraphe qui commence par : « Le 27 août 1936, le Führer désigna Stuttgart comme la « Ville des Allemands à l’étranger » et le Gauleiter de l’Organisation des Allemands de la NSDAP à l’étranger assuma la protection de cette ville magnifique qui abrite également dans ses murs l’Institut des Allemands à l’étranger, qui travaille en cordiale coopération avec l’Organisation des Allemands à l’étranger. »

Peut-on dire que, pendant toute la période à partir de 1933, l’Institut des Allemands à l’étranger a travaillé en coopération très cordiale avec l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Cela n’est pas exact, en ce sens qu’il n’existait pas de collaboration pratique ou scientifique entre l’Institut des Allemands à l’étranger et l’Organisation des Allemands à l’étranger. La cordiale coopération, je l’ai mentionné, se rapportait au fait que les Allemands à l’étranger se réunissaient en congrès à Stuttgart. C’était là leur cordiale coopération. Il n’y avait pas de coopération pratique, car ce n’était pas nécessaire.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous voir ce qui est dit à la page 127 de ce livre ? Je voudrais que vous me disiez, en regardant le dernier paragraphe si c’est un rapport exact que nous avons là : « Toutes les personnes qui à l’avenir... » Je vous demande pardon ; c’est là un rapport confidentiel sur le travail spécial d’instruction, dirigé par l’Institut, à l’intention des organisations étrangères. Vous aidiez en fait, n’est-ce pas, les organisations étrangères dans la formation de leurs Landesgruppenleiter et autres chefs à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Puis-je demander qui a signé ce rapport ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne peux pas vous le dire. Je vous pose une question : l’Institut des Allemands à l’étranger a-t-il aidé à la formation de chefs pour l’Organisation des Allemands à l’étranger ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne suis pas renseigné à ce sujet.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je tourne la page. Prenez, page 128, le second paragraphe que je vais vous lire brièvement : « L’Institut des Allemands à l’étranger joue un rôle dans l’établissement des programmes pour les camps d’entraînement « Schulungslager » et sert d’intermédiaire entre les autorités du Parti qui dirigent les camps et les Allemands à l’étranger qui suivent ces cours. »

Vous dites toujours que ce rapport est...

TÉMOIN STRÖLIN

Puis-je demander de quand date ce rapport ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je vous ai dit que c’était un rapport...

TÉMOIN STRÖLIN

Je n’ai pas eu connaissance de ce rapport.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Très bien. Je voudrais alors vous poser une ou deux questions très brèves sur le témoignage que vous avez donné au sujet de l’accusé von Neurath. Vous nous avez dit que c’était un homme pacifique, qui avait un caractère excellent et d’une grande bonté. Savez-vous que, le 5 novembre 1937, il a assisté à une réunion où Hitler s’est adressé aux chefs de la Wehrmacht ? Avez-vous jamais entendu parler de cette réunion du 5 novembre 1937 ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je n’en ai jamais entendu parler, en tous les cas, pas avant d’avoir été ici, en captivité.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Eh bien, je pourrais peut-être vous dire brièvement ce qui s’est passé. Hitler a dit à cette réunion, entre autres choses, que la seule issue pour les difficultés allemandes était d’obtenir un plus grand espace vital et il déclara que ce problème ne pouvait être résolu que par la force. Ayant affirmé cela, il continua en disant qu’il avait décidé d’attaquer l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Vous n’avez jamais entendu parler de cette réunion ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je n’ai jamais entendu parler de cette réunion et je n’ai conclu que plus tard...

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Mais...

TÉMOIN STRÛLIN

Puis-je finir ma phrase ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je voudrais seulement savoir...

TÉMOIN STRÖLIN

Je disais seulement que von Neurath m’avait indiqué qu’il avait des divergences de vues sérieuses avec Hitler et ce, depuis fin 1937. Ce n’est que plus tard que j’ai pu me rendre compte qu’il avait voulu faire allusion à cette conférence et à l’opinion de Hitler exprimée le 5 novembre. Mais c’est seulement en captivité que j’ai entendu parler de cette conférence, en lisant les journaux.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

J’en viendrai là dans un moment. Je voudrais que vous ayez une idée de ce qui s’est passé à cette conférence et je vais citer quatre lignes du procès-verbal :

« Hitler pensait que l’Angleterre et probablement la France avaient déjà secrètement abandonné la Tchécoslovaquie et qu’elles s’étaient faites à l’idée que cette question serait réglée un jour par l’Allemagne. »

Hitler continua alors en disant que l’incorporation de la Tchécoslovaquie et de l’Autriche constituerait un gain de nourriture pour 5.000.000 ou 6.000.000 de personnes et qu’il envisageait l’émigration forcée de 2.000.000 de Tchécoslovaques. Voilà ce qui s’est passé à cette conférence.

Savez-vous que, quatre mois plus tard, le 12 mars 1938, von Neurath assurait M. Masaryk, de la part de Hitler, que l’Allemagne se considérait toujours comme liée par la Convention d’arbitrage germano-tchécoslovaque de 1925. Saviez-vous qu’il avait dit cela ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je ne m’en souviens pas.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Pouvez-vous comprendre, maintenant que je vous ai dit que cela était un fait ? Pouvez-vous comprendre qu’ayant assisté à cette conférence et entendu ce que Hitler déclarait le 5 novembre, l’on soit capable de donner, quatre mois plus tard, une pareille assurance à la Tchécoslovaquie ? Concevez-vous qu’il soit possible à un honnête homme de faire cela ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne peux pas juger de la situation qui régnait alors. J’ignore de qui von Neurath avait reçu des ordres.

LIEUTENANT - COLONEL GRIFFITH-JONES

Je ne vous demande pas de juger de la situation d’alors. Je vous demande quelle est votre opinion actuelle sur un homme qui est capable d’un tel acte ? Je vous demande de le dire au Tribunal.

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne peux pas donner de réponse car je ne peux pas me rendre compte de la situation dans son ensemble.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Monsieur le Président, je dois protester contre de telles questions. Il n’est pas admissible que l’on pose une telle question au témoin sans lui dire exactement comment cette assurance fut donnée. Le fait est exactement le suivant : Dans son discours du 5 novembre 1937, Hitler a développé pour la première fois des projets qui n’avaient plus rien de commun avec la politique pacifique de M. von Neurath. M. von Neurath en saisit d’ailleurs l’occasion, en décembre ou au début de janvier, pour discuter à fond cette question avec Hitler, lui exposant le caractère impraticable de cette politique dans laquelle il semblait vouloir s’engager et le persuader de s’en abstenir.

Lorsque, par les réponses qu’il lui fit, von Neurath fut obligé de se rendre compte que Hitler persévérait dans cette voie qui conduisait vers une politique d’agression, il présenta sa démission. Le 4 février 1938, M. von Neurath obtint de résigner ses fonctions et ne participa plus à la politique d’une façon active.

Le 11 ou 12 mars, lorsqu’eut lieu l’invasion de l’Autriche dont von Neurath n’avait pas eu le moindre soupçon avant ce jour-là, Hitler l’appela...

LE PRÉSIDENT

Docteur Lüdinghausen, veuillez attendre un instant s’il vous plaît. On a posé une question au sujet du 5 mars 1938 ; celle de savoir si quelqu’un, qui avait assisté à la conférence du 5 novembre 1937, aurait pu donner cette assurance le 5 mars.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Cela aussi, je puis l’expliquer, si vous me le permettez, Monsieur le Président. La question soulevée par l’ambassadeur Mastny était : à la suite de l’invasion de l’Autriche, des mesures militaires allaient-elles être prises contre la Tchécoslovaquie ? M. von Neurath crut vraiment qu’il pouvait, honnêtement, répondre à cette question par la négative. Il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles cette assurance a été donnée. D’abord, Hitler, dans son discours du 5 novembre, parla des années à venir. Lorsque, le 12 mars, il envahit l’Autriche, ce fut un événement qui n’avait pas été fixé et qu’on ne pouvait pas prévoir le 5 mars...

LE PRÉSIDENT

Un moment. Nous ne voulons pas entendre tous ces arguments. La question était la suivante : quelle est l’opinion du témoin sur un homme qui aurait fait cela ? Telle était simplement la question demandée...

Dr VON LUDINGHAUSEN

Monsieur le Président, je vous demande pardon, personne ne peut répondre à cette question, s’il ne connaît pas l’ensemble de la situation. M. Mastny a demandé si l’invasion de l’Autriche déclencherait des mesures militaires contre la Tchécoslovaquie. C’est à cette question que von Neurath a répondu, ni plus ni moins. Il n’a pas voulu donner de réponse pour les années à venir. L’ambassadeur voulait savoir si, du fait de l’invasion de l’Autriche par les troupes allemandes une action militaire quelconque était à craindre vis-à-vis de la Tchécoslovaquie.

D’après les renseignements de mon client, il pouvait répondre négativement à cette question en toute conscience. Donc, la question qui vient d’être posée au témoin n’est admissible que si celui-ci est informé de ce que je viens de dire à l’instant. Le fait est non pas qu’il a déclaré une fois pour toutes que l’Allemagne n’envahirait jamais la Tchécoslovaquie, mais qu’il a simplement répondu à la question de l’ambassadeur Mastny : « Y a-t-il un danger quelconque que, du fait de l’invasion de l’Autriche, des mesures militaires soient prises contre la Tchécoslovaquie ? » A cela, il pouvait répondre comme il l’a fait. Donc, à mon sens, la question telle qu’elle a été posée par le représentant du Ministère Public britannique n’est pas admissible.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal pense que cette question est parfaitement admissible.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Nous ne poursuivrons pas ce sujet. Je voudrais vous poser encore une question, pour qu’il ne subsiste pas d’incertitude. Vous avez dit, dans votre témoignage, ainsi que je l’ai noté, que l’accusé von Neurath était bien considéré, digne et de caractère noble. Après avoir entendu ce que je vous ai dit, êtes-vous toujours disposé à dire au Tribunal que vous pensez qu’il doit être bien considéré, qu’il est digne et de noble caractère ? Êtes-vous toujours de cet avis ? Je veux simplement apprécier la valeur de votre témoignage. Après ce que vous avez entendu, êtes-vous toujours de cet avis ?

TÉMOIN STRÖLIN

J’estime toujours que M. von Neurath est un homme de caractère noble et digne. Je ne puis juger des circonstances qui le firent agir alors, ni quelles étaient les considérations qui le poussèrent à faire ce qu’il a fait.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous dites qu’il était pour la paix et qu’il a fait tout ce qu’il a pu pour éviter la guerre. Appelez-vous une tromperie de cette sorte faire tout ce qui est possible pour éviter la guerre ? Pensez-vous que ce soit une politique pacifique de donner des assurances de paix quatre mois après avoir pris connaissance des intentions allemandes d’envahir le pays ? Est-ce là ce que vous appelez faire tout ce qui est possible pour éviter la guerre ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne puis que répéter que je ne connais pas suffisamment l’ensemble de la question et que je ne puis me permettre de jugement. Il semble évident que cela ne pouvait certainement pas être aussi simple que vous venez de l’exposer.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Passons à un autre aspect de la question. Nous avons entendu tout au long qu’il désapprouvait la politique de Hitler et qu’il a démissionné. Savez-vous qu’après avoir démissionné il a été nommé « Reichsprotektor » de Bohême et Moravie, en mars 1939 ? Saviez-vous cela ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Cela, après que le reste de la Tchécoslovaquie eut été envahi et occupé.

TÉMOIN STRÖLIN

J’ai déjà déclaré tout à l’heure que von Neurath m’avait dit qu’il n’acceptait ce poste que contre son gré, qu’il l’avait refusé déjà deux fois, mais que, par la suite, il avait cru devoir faire un sacrifice pour arriver à ses fins. Comme le Président Hacha me l’a dit plus tard, l’influence personnelle de von Neurath fut très heureuse et son activité, sans aucun doute, eut un effet d’équilibre et de réconciliation. D’ailleurs, ainsi que je l’ai déjà dit, il fut renvoyé parce qu’il était trop doux.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous avez déjà dit cela et nous l’avons entendu. Nous nous en souvenons, c’est tout a fait inutile de le répéter. Essayez de répondre brièvement à mes questions. Permettez-moi de vous poser la question suivante : Avez-vous jamais pensé que la raison de cette nomination pût être une récompense de l’aide qu’il avait apportée lors de l’occupation de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je n’y ai jamais songé. Si vous me le permettez, j’ajouterai que j’ai lu dans le livre de Henderson une version tout à fait différente : que von Neurath aurait été nommé à ce poste pour nuire à sa réputation internationale. Je voulais mentionner cela afin de signaler qu’il y avait d’autres possibilités qui pouvaient être envisagées.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Vous souvenez-vous d’avoir décrit von Neurath comme un être discipliné, humain et consciencieux ?

TÉMOIN STRÖLN

Oui.

LIEUTENANT - COLONEL GRIFFITH-JONES

Voulez-vous regarder cette affiche ? (L’affiche est présentée au témoin.)

Je regrette, Votre Honneur, mais je n’ai pas d’exemplaire de ce document pour le Tribunal. Il est très bref. Il est contenu dans le rapport tchécoslovaque sur l’occupation allemande. C’est le n° URSS-60. (Au témoin.) Vous avez vu qu’il était signé par l’accusé von Neurath, l’homme humain et consciencieux ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, je vois que les universités tchèques furent fermées pendant trois ans et que neuf coupables furent fusillés. Cependant, cette affiche n’indique pas pourquoi on a pris ces mesures. Je ne peux donc pas me prononcer à son sujet, ne sachant pas ce que von Neurath y a proclamé. Cette affiche ne me dit absolument rien si je n’en connais pas les raisons. La fermeture des universités et la fusillade de neuf coupables ont certainement dû résulter de raisons convaincantes.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Monsieur le Président, puis-je dire encore quelque chose ? Je voudrais ajouter ce qui suit, afin de gagner du temps.

Cette question de la Tchécoslovaquie et cette affiche, que je connais, sera évidemment traitée lorsque j’exposerai le cas de von Neurath. A ce moment de la procédure, j’aurai l’occasion de prouver que cette affiche n’émane pas de l’accusé von Neurath. Ce témoin n’étant pas à Prague, il ne peut témoigner que de ce que M. von Neurath lui a raconté et non pas de ce qu’il connaissait personnellement. Il me semble donc que cette question est inopportune et qu’elle serait une source de perte de temps car elle m’entraînerait à soulever des objections et à décrire la situation réelle. Nous ne devrions pas poser de questions au témoin qui, bien que faites en toute bonne foi, sont fausses. En effet, celles-ci sont basées sur des faits mal rapportés, qui se sont passés d’une tout autre manière. Je prouverai qu’au moment où cette affiche fut rédigée et parut, M. von Neurath n’était pas à Prague et n’était pas informé de ce qui s’y passait. Par conséquent, je pense que nous ne devrions pas traiter cette question aujourd’hui puisque, comme je l’ai dit, le témoin ne peut rien en connaître de sa propre observation.

LE PRÉSIDENT

Il vous sera loisible de prouver que cette affiche fut apposée quand von Neurath n’était pas à Prague et qu’il n’en avait pas donné l’autorisation. Cela le libérera naturellement de cette accusation. Mais ce que demande le procureur est ceci : en admettant que cette affiche fut émise par von Neurath, est-il juste de le décrire comme un homme humain ? C’est tout.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Mais, Monsieur le Président, le témoin ne sait rien sur cette affiche. Il ne peut répondre à la question s’il ne connaît pas l’ensemble de la situation et s’il ne sait pas que, en réalité, cette affiche n’émane pas de M. von Neurath.

LE PRÉSIDENT

Le témoin a été longuement interrogé par vous et il a décrit von Neurath comme un homme humain et d’un très bon caractère. Le Ministère Public peut à son tour présenter au témoin certains documents qui tendent à prouver qu’il n’était pas cet homme humain. C’est tout ce que l’on fait.

Dr VON LUDINGHAUSEN

Mais alors, dans ce cas, le témoin ne peut que répondre : « Je ne sais pas », ou « Si cela est vrai, nous ne pouvons pas le considérer comme humain. » Tous ici, nous pouvons dire ceci, nous n’avons pas besoin du témoin pour cela.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut dire : « Si cela est vrai, c’est incompatible avec ce que je connais de von Neurath ».

Dr VON LUDINGHAUSEN

Mais cela, il ne peut pas le dire non plus car il ne connaît pas du tout les circonstances de la publication de cette affiche. Je ne vois pas du tout ce que cette question peut nous apporter, car si l’on pose la question de cette façon, tout homme convenable doit dire que c’est inhumain. Mais cela ne changerait pas le fait que le témoin jugerait de faits qui n’existent pas et ne sont pas véridiques.

LE PRÉSIDENT

Colonel Griffith-Jones, ne pensez-vous pas que cela nous fait perdre beaucoup de temps, si le témoin ne sait rien à ce sujet ? Je comprends que le but du contre-interrogatoire est de déconsidérer le témoin.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je remercie le Tribunal. Le but de ce contre-interrogatoire était, permettez-moi de le dire, le suivant : l’accusé a cité ce témoin devant ce Tribunal. Si son témoignage n’est pas contesté et qu’il est enregistré, rien ne pourra empêcher le Tribunal de considérer que ce témoin est à même de fournir une déposition en laquelle on puisse avoir confiance. C’est pourquoi ce contre-interrogatoire a pour but de montrer que ce témoin, qu’il soit sincère ou non, est certainement inexact dans ses déclarations. Le témoignage qu’il a donné au sujet du bon caractère de l’accusé ne supporterait pas un examen approfondi, cela est clair, et le Tribunal ne dit pas que nous n’ayons pas le droit d’interroger à ce sujet. Cependant, je ne pense pas devoir abuser des instants du Tribunal pour cela.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

COLONEL AMEN

Témoin, quand êtes-vous allé pour la dernière fois à New-York ?

TÉMOIN STRÖLIN

J’étais à New-York pour la dernière fois en 1936.

COLONEL AMEN

Et c’est alors que vous avez fait un discours à Madison Square Garden, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, c’est exact.

COLONEL AMEN

C’était une réunion ?

TÉMOIN STRÖLIN

C’était la « Journée allemande », le 6 octobre 1936.

COLONEL AMEN

Oui, c’est cela, la « Journée allemande ».

TÉMOIN STRÖLIN

C’était la réunion annuelle des Allemands, qui avait lieu le 6 octobre.

COLONEL AMEN

Et un bon nombre des membres du Bund germano-américain y prirent part, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

COLONEL AMEN

En fait, cette réunion fut tenue sous les auspices du Bund germano-américain, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

A vrai dire, un comité de toutes les associations allemandes avait été créé — je crois qu’il y en avait 2.000 à New-York — et ces associations s’unirent en un comité spécial qui se chargea d’organiser la « Journée allemande ». Je ne connaissais pas dans le détail la composition de ce comité.

COLONEL AMEN

Et ce fut sur l’invitation du Bund germano-américain que vous fîtes ce discours, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, ce fut sur l’invitation du comité spécial des associations allemandes de New-York.

COLONEL AMEN

Oui, et à ce comité appartenaient plusieurs membres du Bund germano-américain. Est-ce vrai, oui ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

COLONEL AMEN

Et en réalité il y avait beaucoup de membres de votre organisation, à cette époque, qui étaient membres actifs du Bund germano-américain, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

COLONEL AMEN

Et vous aviez eu personnellement plusieurs conférences avec eux, en Allemagne comme à New-York, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, cela n’est pas exact.

COLONEL AMEN

Qu’est-ce qui est exact alors ?

TÉMOIN STRÖLIN

II est exact que j’y ai été invité, mais il n’y eut pas d’autres conférences.

COLONEL AMEN

Mais vous admettez que beaucoup de membres de votre organisation étaient, à cette époque, membres du Bund germano-américain, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je n’en sais rien.

LE PRÉSIDENT (au témoin)

Mais je viens de noter que vous aviez dit que c’était ainsi.

COLONEL AMEN

Précisément.

TÉMOIN STRÖLIN

Veuillez répéter la question, s’il vous plaît ?

COLONEL AMEN

Ne venez-vous pas de nous dire, en répondant à une précédente question, que beaucoup de membres de votre organisation étaient également membres du Bund germano-américain, au moment de votre discours de Madison Square Garden ?

TÉMOIN STRÖLIN

Par membres d’une « organisation », voulez-vous dire membres de l’Institut des Allemands à l’étranger ?

COLONEL AMEN

« Votre organisation », ai-je dit.

TÉMOIN STRÖLIN

Je n’avais pas une organisation, mais un Institut.

COLONEL AMEN

Exactement, et qui vous a demandé de faire ce discours à Madison Square Garden ?

TÉMOIN STRÖLIN

On m’a invité à faire ce discours parce que, peu de temps auparavant, j’avais été nommé maire de la « Ville des Allemands à l’étranger ». C’est pour cette raison que l’on m’avait demandé de faire ce discours. Stuttgart était devenue la « Ville des Allemands à l’étranger », parce que les Souabes avaient contribué pour une grande part à l’émigration allemande ; c’est pourquoi elle était considérée comme le « berceau des Allemands à l’étranger. »

COLONEL AMEN

N’est-il pas vrai que beaucoup de membres de l’Organisation des Allemands à l’étranger étaient, à cette époque, également membres du Bund germano-américain ? Oui ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui.

COLONEL AMEN

N’est-ce pas aussi un fait qu’à cette époque beaucoup de membres de l’Institut étaient en même temps membres du Bund germano-américain ? Oui ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, car certains de ces Allemands étaient venus d’Amérique. C’étaient des étudiants qui avaient étudié en Amérique et étaient revenus en Allemagne.

COLONEL AMEN

Et n’est-ce pas également un fait que beaucoup de ces membres du Bund germano-américain, qui étaient aussi membres de l’Organisation des Allemands à l’étranger et de l’Institut, furent poursuivis, jugés et condamnés pour activité d’espionnage aux États-Unis ? Oui ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je n’en sais rien.

COLONEL AMEN

Vous n’en avez jamais entendu parler ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, je n’en ai jamais entendu parler. Je connais le cas de Kappe, mais cela n’a aucun rapport avec l’Institut des Allemands à l’étranger.

COLONEL AMEN

C’est bien là un cas ; mais il y a encore d’autres cas que vous connaissez, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Peut-être pourriez-vous me donner quelques précisions ?

COLONEL AMEN

Je le pourrais, mais je préfère vous poser des questions plutôt que de vous suggérer les réponses.

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne me souviens d’aucun autre cas. Veuillez me poser des questions.

COLONEL AMEN

Non, je passerai maintenant à un autre sujet, car il commence à se faire tard. Connaissez-vous un certain M. Alfred Weninger, W-e-n-i-n-g-e-r ?

TÉMOIN STRÖLIN

Weninger, oui, je connais ce nom.

COLONEL AMEN

Et qui est-ce ?

TÉMOIN STRÖLIN

Alfred Weninger, autant que je sache, est actuellement en France. Je crois qu’il est juriste.

COLONEL AMEN

Eh bien, ne savez-vous pas s’il est juriste ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Si, il est juriste.

COLONEL AMEN

Quelle est sa nationalité ?

TÉMOIN STRÖLIN

Il est Français.

COLONEL AMEN

Est-ce un de vos amis ?

TEMOIN STRÖLIN

Oui.

COLONEL AMEN

Êtes-vous intervenu en sa faveur, au moins en une occasion ?

TÉMOIN STRÖLIN

J’ai pris des mesures pour sa libération de prison.

COLONEL AMEN

C’était en mars 1943, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Non, ce doit être une erreur. Je veux parler d’un Alfred Weninger qui est Français, auquel j’ai évité une condamnation à mort pendant la guerre et que j’ai fait sortir de prison. Mais c’était entre 1942 et 1944. Je ne connais pas d’autre Alfred Weninger. Il y a peut-être deux Alfred Weninger.

COLONEL AMEN

Non, non, c’est exact. Il était condamné, avec douze autres camarades, pour espionnage et intelligence avec l’ennemi ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, c’est bien celui que j’ai aidé.

COLONEL AMEN

Et vous êtes intervenu auprès du Procureur général du Tribunal du peuple ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, je suis intervenu auprès de Freisler.

COLONEL AMEN

Et également au ministère de l’Intérieur et de la Justice à Berlin ?

TÉMOIN STRÖLIN

Au ministère de l’Intérieur, j’ai remis un rapport au sujet de la situation existant à l’époque en Alsace et visant à la libération de ces Alsaciens.

COLONEL AMEN

Et comme résultat de vos tentatives, ces personnes furent libérées temporairement, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui. Puis-je souligner que j’ai prié M. von Neurath d’intervenir et que c’est grâce à une lettre écrite par lui à Hitler que ces Alsaciens furent graciés.

COLONEL AMEN

De sorte que cet individu a envers vous une dette considérable, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je l’admets.

COLONEL AMEN

Vous lui avez sauvé la vie, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui. Je l’ai fait pour beaucoup d’autres aussi, mais je ne sais pas s’ils en sont tous reconnaissants.

COLONEL AMEN

En tout cas, je considère que vous ne contesteriez pas la véracité de ce qu’il aurait pu rapporter comme étant une conversation avec vous ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne doute pas qu’il s’en souvienne.

COLONEL AMEN

Vous souvenez-vous avoir eu une conversation avec lui en juin 1940 ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne puis le dire, tant que vous ne m’aurez pas indiqué de quoi il s’agissait.

COLONEL AMEN

Bien, je vais vous dire ce que vous avez dit selon lui et je vous demanderai si vous vous rappelez le lui avoir dit, soit textuellement, soit en substance. Comprenez-vous ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, je comprends.

COLONEL AMEN

Voici ses mots : « Je vous mets en garde contre le national-socialisme, qui ne recule devant rien et qui se sert de la justice comme d’un agent servile. Ce sont des criminels et je n’ai qu’un seul désir, c’est d’en sortir ». Avez-vous dit cela à Weninger textuellement ou en substance ?... Oui ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je n’ai pas compris exactement ce que vous avez dit. Voulez-vous le répéter, je vous prie ?

COLONEL AMEN

Vous comprenez l’anglais, n’est-ce pas, témoin ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je le comprends un peu, très peu.

COLONEL AMEN

A vrai dire, vous avez été interrogé en anglais par un de nos enquêteurs, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

J’ai dit à une occasion seulement quelques mots d’anglais, mais je ne pense pas que l’on m’ait compris.

COLONEL AMEN

Et vous avez parfaitement bien compris ce que je viens de vous lire, n’est-ce pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je n’ai pas entièrement compris la traduction allemande de ce que vous venez de dire et je ne saisis pas le sens de votre question.

COLONEL AMEN

Je vais vous relire cette phrase, mais je crois que vous voulez seulement gagner du temps pour décider de la réponse que vous ferez. Je vous demande de nouveau si vous avez dit à Weninger, textuellement ou en substance, en juin 1940, ce qui suit : « Je vous mets en garde contre le national-socialisme, qui ne recule devant rien et qui se sert de la justice comme d’un agent servile. Ce sont des criminels et je n’ai qu’un seul désir, c’est d’en sortir ». Vous comprenez ?

TÉMOIN STRÖLIN

Oui, j’ai compris, mais je ne me souviens pas avoir fait cette déclaration.

COLONEL AMEN

Niez-vous avoir fait cette déclaration quand je vous dis que Weninger l’affirme, Weninger, dont vous venez de dire qu’il avait une grande dette envers vous ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne m’en souviens pas. Que j’aie parlé de façon critique, c’est possible, mais je ne me souviens pas des termes exacts.

COLONEL AMEN

Niez-vous avoir fait cette déclaration ? Répondez par oui ou non.

TÉMOIN STRÖLIN

Je nie l’avoir faite sous cette forme.

COLONEL AMEN

Mais l’avez-vous faite en substance, avez-vous fait cette déclaration ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne me souviens pas du tout de cet entretien.

COLONEL AMEN

Vous souvenez-vous avoir fait une autre déclaration à Weninger, en 1936, à Strasbourg ? Étiez-vous à Strasbourg avec Weninger en 1936 ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne peux pas m’en souvenir pour le moment.

COLONEL AMEN

Mais vous ne le niez pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne m’en souviens pas.

COLONEL AMEN

Mais c’est possible.

TEMOIN STRÖLIN

Oui, c’est possible, mais je ne puis m’en souvenir. Je ne peux pas me souvenir instantanément à quel moment je me suis trouvé à Strasbourg.

COLONEL AMEN

N’avez-vous pas dit à Weninger à Strasbourg en 1936, textuellement ou en substance, ce qui suit : « Quand je suis à l’étranger, je suis honteux d’être Allemand » ? Avez-vous dit cela ? Oui ou non ?

TÉMOIN STRÖLIN

Il est absolument impossible que j’aie dit cela, car en 1936 j’étais très fier d’être Allemand.

COLONEL AMEN

Vous niez donc avoir fait cette déclaration à Weninger ?

TÉMOIN STRÖLIN

En 1936, je n’ai certainement pas fait cette déclaration.

COLONEL AMEN

Alors quand l’avez-vous faite ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne me souviens pas du tout avoir fait une telle déclaration à Weninger, en tout cas, pas en 1936.

COLONEL AMEN

Quand avez-vous fait cette déclaration, à Weninger ou à quelqu’un d’autre ? En quelle année vous êtes- vous résolu à vous exprimer de la sorte ?

TÉMOIN STRÖLIN

Je ne me souviens pas du tout avoir fait une telle déclaration.

COLONEL AMEN

Mais vous ne le niez pas ?

TÉMOIN STRÖLIN

J’avoue très franchement qu’à un moment donné nous n’étions plus fiers de l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

Un autre membre du Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?

Dr SEIDL

Je n’ai pas de questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Alors le témoin peut se retirer. (Le témoin se retire.)

Est-ce que cela termine votre affaire, Docteur Seidl, ou avez-vous encore des preuves à administrer ?

Dr SEIDL

Oui, j’ai d’abord à lire pour le procès-verbal le questionnaire du témoin Alfred Hess que je viens de recevoir. Le Tribunal a admis que cette déposition soit reçue sous forme de questionnaire. Je voudrais ensuite parler de certains documents du livre de documents n° 3 ; mais, auparavant, afin de conclure les débats de cette journée, je voudrais établir, sur la demande de l’accusé Hess (ceci se réfère au livre de documents n°  z2) que Lord Simon était venu à la réunion en qualité de représentant officiel du Gouvernement britannique, et c’est pour cela que je lirai quelques phrases de la page 93.

« Lord Simon déclara : « Monsieur le Ministre du Reich, on m’a informé que vous étiez venu ici en vous estimant chargé d’une mission spéciale et que vous désiriez en parler à un représentant du Gouvernement. Vous savez que je suis le Dr Guthrie et que je suis chargé par mon Gouvernement de vous écouter et de discuter avec vous dans la mesure où ce que vous souhaitez déclarer est susceptible d’intéresser mon Gouvernement. »

C’est là ce que j’avais à lire pour en terminer avec les notes de Lord Simon.

LE PRÉSIDENT

Vous serait-il possible de terminer ce soir, si nous continuions encore pendant quelques minutes ?

Dr SEIDL

Monsieur le Président, les réponses à ce questionnaire sont assez longues. Le témoin a été contre-interrogé et je crois que le Ministère Public désirerait lire également ces réponses. Je pense donc qu’aujourd’hui ce ne serait pas possible.

LE PRÉSIDENT

Très bien, nous allons suspendre l’audience.

(L’audience sera reprise le 26 mars a 10 heures.)