QUATRE-VINGT-ONZIÈME JOURNÉE.
Mardi 26 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Je me permets d’avertir le Tribunal que l’accusé Streicher ne sera pas présent à cette audience.
Le Tribunal a décidé que les preuves tendant à établir l’injustice du Traité de Versailles ou son imposition par la force sont inadmissibles et rejette, en conséquence, le livre de documents n° 3 de l’accusé Hess.
Monsieur le Président, Messieurs les juges, étant donné que le livre de documents n° 3 de l’accusé Hess s’est vu refuser valeur probatoire, j’en ai terminé en ce qui concerne la présentation des documents.
J’en viens maintenant à l’affidavit de l’ambassadeur Gaus, que j’ai déjà présenté, et je prie le Tribunal de ne pas se prononcer sur l’admissibilité de ce document avant que je n’aie eu l’occasion de présenter des arguments tendant à établir sa pertinence ainsi que celle des clauses secrètes du Traité de Versailles. Je voudrais pourtant signaler que, seul, cet affidavit peut prouver l’existence et le contenu desdites clauses : je n’en lirai donc que des extraits, évitant ainsi d’évoquer des événements historiques antérieurs au Traité.
Docteur Seidl, nous croyons savoir que cet affidavit est actuellement en cours de traduction et qu’il sera présenté aux différents Ministères Publics ; ceux-ci nous feront alors connaître leur point de vue et nous serons à même de nous prononcer sur son admissibilité ; le Ministère Public aura également la possibilité de nous dire s’il veut qu’on fasse venir ici l’ambassadeur pour le soumettre à un contre-interrogatoire.
Bien.
Nous devons donc écarter cette question jusqu’à ce que nous recevions les traductions.
J’avais alors l’intention de faire comparaître l’accusé à la barre des témoins. Conformément à l’opinion qu’il se fait de la compétence de ce Tribunal, il m’a cependant prié de renoncer à cette comparution. Je n’ai donc, sous ce rapport, plus de preuves à présenter.
Merci. Le Tribunal va alors s’occuper du cas de l’accusé von Ribbentrop.
Plaise au Tribunal. Mon client, Joachim von Ribbentrop, m’a chargé de faire la déclaration suivante avant de passer à la présentation des preuves :
« En ma qualité de ministre des Affaires étrangères du Reich, j’étais chargé d’exécuter les ordres et instructions donnés par Hitler en matière de politique extérieure. J’accepte la pleine responsabilité des mesures que j’ai pu prendre dans ce domaine. »
Docteur Horn, je pensais que les avocats connaissaient le règlement que nous avons établi et d’après lequel aucune plaidoirie ne serait prononcée à cette phase du Procès, mais que l’on procéderait à des interrogatoires en présentant les documents après s’y être brièvement reporté. Étiez-vous au courant de ce règlement ?
Je ne savais pas, Monsieur le Président, qu’on ne pouvait pas faire une déclaration au nom de son client.
Le Tribunal a stipulé oralement à plusieurs reprises et au moins une fois par écrit, que les plaidoiries ne devraient en aucun cas être faites maintenant, mais au moment prévu par l’Acte constitutif. Il s’agit actuellement de présenter les témoignages et les documents, avec les brefs commentaires indispensables.
Joachim von Ribbentrop, ancien ministre des Affaires étrangères du Reich est, suivant l’Acte d’accusation et le dossier d’audience du Ministère Public britannique et les charges spéciales présentées oralement, rendu responsable de tous les crimes prévus dans l’article 6 de l’Acte constitutif du Tribunal Militaire International.
Sir David Maxwell-Fyfe, à l’audience du 8 janvier 1946, a présenté comme suit les faits reprochés à mon client : Premièrement : Utilisation de ses fonctions, de son influence personnelle et de ses relations étroites avec Hitler, pour faciliter la prise du pouvoir par la NSDAP et la préparation de la guerre.
Deuxièmement : Participation à la préparation politique du complot national-socialiste en vue de guerres d’agression...
Docteur Horn, recommencez-vous ou non une plaidoirie ?
Non, Monsieur le Président. J’explique seulement la façon dont j’ai l’intention de présenter mes preuves et je vous demande l’autorisation de procéder ainsi.
Très bien.
Deuxièmement : Sir David a mentionné la participation à la préparation politique du complot national-socialiste, destiné à mener aux guerres d’agression et aux guerres violant les traités internationaux.
Il est donc accusé d’avoir réalisé le plan de politique extérieure conçu par les conspirateurs.
Troisièmement : Participation ou approbation des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité et, en particulier, des crimes commis contre les personnes et les biens dans les pays occupés.
L’accusé a plaidé non coupable pour tous les crimes qui lui sont imputés. Pour réfuter ces accusations, je vais maintenant procéder à la présentation des preuves.
Monsieur le procureur, en commençant à citer des passages du document USA-5 (PS-2829), a déclaré que l’accusé von Ribbentrop était SS-Obergruppenführer. Il a prétendu que ce grade ne lui avait pas été conféré à titre honorifique.
Contrairement à cette assertion, l’accusé prétend que le grade de SS-Gruppenführer et, plus tard, celui d’Obergruppenführer, lui ont été conférés par Hitler au seul titre honorifique, car ce dernier désirait que les membres du Gouvernement soient en uniforme dans les occasions officielles et avait estimé que le grade de SS-Gruppenführer était à la hauteur des fonctions remplies par l’accusé.
L’accusé n’a ni servi dans les SS, ni commandé d’unité de SS. Il n’a jamais reçu de formation militaire ad hoc, il n’a jamais été préparé à remplir un rôle militaire si important. Pour établir ces faits, je vais présenter des preuves fournies par l’accusé pris comme témoin.
Le Ministère Public a prétendu qu’après la prise du pouvoir Ribbentrop avait été, pendant un très court laps de temps, conseiller du Parti pour la politique extérieure. Cette assertion est réfutée par le document PS-2829 qui se trouve dans le livre de documents que possède le Tribunal.
Je lis le paragraphe 3, qui déclare : « Collaborateur du Führer pour la politique extérieure, de 1933 à 1938 ».
D’après cette première pièce du livre de documents concernant Ribbentrop, celui-ci aurait été, entre 1933 et 1938 le seul conseiller de Hitler en matière de politique extérieure.
En se référant au document D-472 (GB-130), seconde pièce du livre de documents de l’accusé Ribbentrop, qui est un extrait des Archives Biographiques Internationales, Monsieur le procureur a prétendu que l’accusé aurait travaillé pour la NSDAP dès avant 1932, c’est-à-dire après son entrée au service du Parti en 1930.
Il a cité le paragraphe II, lignes 6 à 9, de ce document :
« Poursuivant ses relations avec l’étranger, il établit de nouveaux rapports avec la France et la Grande-Bretagne ; ayant été au service de la NSDAP depuis 1930, il savait comment les étendre aux milieux politiques. »
Cette déclaration est inexacte. Jusqu’en 1932, l’accusé n’a appartenu à aucun parti politique allemand, encore moins à la NSDAP. Ses opinions politiques l’eussent plutôt porté à se tourner vers le parti populaire allemand, c’est-à-dire le parti de Stresemann.
En 1932, l’accusé fut présenté à Hitler. Ses conceptions sur la politique intérieure et extérieure l’amenèrent...
Docteur Horn, je ne veux pas vous interrompre inutilement, mais je ne comprends pas ce que vous faites en ce moment ; il me semble que vous faites valoir une partie des preuves que, je présume, l’accusé présentera lui-même ; ses déclarations risqueront ainsi de faire double emploi avec les vôtres. Il me semble également que vous vous référez à des documents qui ont déjà été présentés par le Ministère Public et auxquels vous répondez par-vous-même. Cela ne cadre pas avec les vues du Tribunal sur la procédure à suivre à cette phase du Procès. Il est tout à fait compréhensible que vous désiriez présenter en temps utile les arguments qui, selon vous, seront susceptibles de compléter les documents déposés pour l’accusé von Ribbentrop. Mais j’ai déjà dit, très clairement je crois, que le Tribunal désirait maintenant entendre les témoignages en faveur de cet accusé ; il désire également que lui soient présentés les documents sur lesquels vous vous appuierez, avec un bref commentaire sur leur signification. De même, vous êtes libre d’utiliser tout passage d’un document déjà présenté par le Ministère Public, qui n’aurait pas été cité par lui, si vous jugez nécessaire de vous y référer pour expliquer, par un bref commentaire, la partie du document qu’il a utilisée. Mais je ne comprends pas ce que vous faites maintenant, si ce n’est une plaidoirie.
Monsieur le Président, je présentais les faits pour réfuter les assertions du Ministère Public qui, selon mes documents et les renseignements que j’ai reçus, ne sont pas conformes à la réalité.
En ce qui concerne le premier point visé par Monsieur le Président, je voudrais déclarer ce qui suit : L’état de santé de mon client von Ribbentrop est actuellement très médiocre. Le médecin m’a déclaré ce matin qu’il souffrait de troubles vasomoteurs. J’ai voulu faire à sa place une partie de ses déclarations et montrer au Tribunal l’attitude qu’il adoptait. Je ne sais pas si, étant donné son état de santé actuel, c’est-à-dire ses troubles de la parole, l’accusé pourrait donner ses explications plus rapidement que je ne le fais. Lorsqu’il sera à la barre, il pourra confirmer mes déclarations sous serment.
Si l’accusé von Ribbentrop est trop malade pour témoigner aujourd’hui, il pourra le faire à une date ultérieure. Si vous voulez appeler d’autres témoins que l’accusé, vous pouvez le faire aujourd’hui.
En ce qui concerne les documents, la solution la plus simple est que vous adoptiez le procédé suivi par les Docteurs Stahmer et Seidl, et dont le Tribunal n’a cessé de rappeler le mécanisme.
J’avais l’intention de présenter tout d’abord ces documents et de n’appeler mes témoins que plus tard. J’ai appris que l’état de santé de von Ribbentrop ne faisait qu’empirer ; je ne sais donc pas si, après avoir présenté les preuves, je serai à même de le faire comparaître : je dois être préparé à cette éventuelle impossibilité. Les rectifications que j’ai à apporter ne concernent qu’un très petit nombre de points d’ordre très général.
Docteur Horn, vous ne devez en aucun cas administrer les preuves et si vous ne pouvez pas citer von Ribbentrop, il vous faut, dans la mesure du possible, convoquer un autre témoin qui déposera à sa place. S’il était malheureusement impossible de procéder ainsi, votre cause en souffrirait, mais le Tribunal vous donnerait toutes facilités pour citer l’accusé à un stade ultérieur. Si vous estimez qu’il est réellement trop malade pour déposer aujourd’hui, cette déposition pourra être reculée jusqu’à la fin de l’examen de son cas à condition, bien entendu, qu’un certificat médical soit produit.
Si le Tribunal consent à entendre l’accusé plus tard, je différerai la question en demandant que, si je ne puis l’entendre entièrement (car j’insiste sur les troubles de la parole dont il est affecté), il ait au moins la possibilité de confirmer les preuves en tant que témoin.
Vous pouvez appeler n’importe quel témoin ; le Tribunal n’a jamais dit que l’accusé devait être appelé en premier lieu. Vous aviez, je crois, demandé la comparution de huit témoins en plus de l’accusé ; vous pouvez appeler n’importe lequel d’entre eux ou présenter vos documents mais, quoi que vous fassiez, vous devez adopter la procédure imposée par le Tribunal.
Je vais alors m’occuper de la question de l’occupation de la Rhénanie.
Le 27 février 1936, fut ratifié un pacte d’assistance mutuelle entre la France et l’Union Soviétique, essentiellement dirigé contre l’Allemagne, et dont le contenu était une violation flagrante du Traité de Locarno et du Pacte de la Société des Nations. En même temps...
Docteur Horn, vous venez de parler de violation du Droit international ; ceci n’est pas une référence à un document présenté par vous, ni le commentaire d’un témoignage oral. Si vous avez un document à présenter, veuillez avoir l’obligeance de le faire et de procéder aux commentaires nécessaires.
Je me référerai donc tout d’abord au document n° 1 du livre de documents de von Ribbentrop. Il s’agit d’un mémorandum du Gouvernement allemand aux Puissances signataires du Pacte de Locarno ; il est daté du 7 mars 1936.
A quelle page ?
A la page 6 du livre de documents. Je me permets de dire, à titre d’explication, que ce mémorandum a été présenté aux Puissances signataires du Pacte de Locarno, parce que le Gouvernement français et l’Union Soviétique avaient ratifié un pacte d’assistance mutuelle et qu’au même moment, le ministère des Affaires étrangères allemand eut connaissance d’un plan élaboré par l’État-Major général français, qui prévoyait la progression de l’Armée française le long de la ligne formée par le Main, coupant ainsi l’Allemagne en deux et établissant le contact avec l’Armée russe par la Tchécoslovaquie.
Docteur Horn, il est nécessaire, pour le procès-verbal, de donner un numéro à chaque document présenté. Tous doivent avoir une cote. Vous n’avez, je crois, encore ni présenté ni numéroté aucun document.
J’ai donné à ce document le n° 1 Ribbentrop. Le chiffre se trouve en haut, à droite du document.
Très bien.
Je vous demande, pour gagner du temps, de bien vouloir accepter tous les documents que je vous présente sous la rubrique Ribbentrop.
Ils seront numérotés dans leur ordre de présentation ? Très bien.
Oui, c’est cela. A propos des détails que je viens de donner sur ce mémorandum et pour établir le fait que je reproche à l’État-Major général français, je vais citer von Neurath, que je me propose d’interroger comme témoin sur ce seul point. Pour justifier la position allemande exprimée dans ce mémorandum et selon laquelle le Pacte de Locarno et celui de la Société des Nations avaient été violés, je voudrais me reporter à la page 3 du document et citer ce qui suit (page 8 du livre de documents).
Docteur Horn, ce document n° 1 est-il l’un de ceux dont on a autorisé la présentation sur votre requête ?
Oui, Monsieur le Président. Il fait partie d’extraits de Dokumente der Deutschen Politik, volume IV. J’insiste sur le fait que la présentation de cette collection de documents m’a été accordée en même temps que celle des deux livres de documents.
Le Tribunal voudrait bien voir l’original de ce document.
Monsieur le Président, nous ne sommes pas en mesure de présenter des documents originaux, les archives du ministère des Affaires étrangères ayant été saisies par les Armées victorieuses avec une grande partie des documents. Je devrais alors présenter une requête pour que les Puissances en question consentent à produire elles-mêmes ces documents originaux, ce que nous sommes incapables de faire. Nous ne pouvons nous référer qu’à des collections de documents.
D’où vient cette copie ?
Cette copie, Monsieur le Président, provient des Dokumente der Deutschen Politik, volume IV, comme le montre le livre de documents que vous avez devant vous. Ce passage se trouve à la page 121 de cette collection de documents.
Permettez-moi d’ajouter ceci à titre explicatif : si le Tribunal désire consulter l’original, je serai obligé de me procurer la collection qui se trouve dans la salle des documents. Ces documents sont rédigés en langue allemande, et je ne crois pas qu’ils soient d’une utilité quelconque au Tribunal dans la phase actuelle des débats.
Puis-je encore mentionner...
Voyez-vous, Docteur Horn, par formalisme et par souci d’exactitude, le Tribunal doit posséder tous les documents qui font partie intégrante du procès-verbal, que ce soit sous forme d’original ou de copie. Quel que soit le document versé aux débats, il doit être remis au Tribunal et rester en sa possession. Il doit être déposé comme preuve et remis au Secrétaire général ou à son représentant. Le Tribunal a alors, dans son dossier, tous les documents déposés comme preuve. Nous ne pouvons, au contraire, accepter des documents tels que celui-ci, qui est simplement la copie du document original qui devrait être présenté. S’il est au centre de renseignements, il peut fort bien être produit ici.
Monsieur le Président, le Tribunal a décidé que nous avions le droit de faire recopier des documents et de les certifier conformes, de façon à ce qu’ils puissent être présentés comme preuve au Tribunal. C’est pourquoi nous avons comparé chaque document avec l’original et certifié qu’il était conforme à celui-ci.
Je crois que le Tribunal possède cinq exemplaires de ce document, dont j’ai certifié moi-même l’authenticité.
Docteur Horn... Oui, Monsieur Dodd.
Je crois que nous pouvons vous aider. Nous désirons accepter la citation du volume en question ; je crois que nous avons nous-mêmes présenté des documents en appelant l’indulgence du Tribunal sur une situation analogue. Je me permets de suggérer que le Tribunal agisse de même à propos de ce document. Je ne me suis encore entretenu de cette question qu’avec Sir David, mais je suis sûr que mes collègues français et russe seront d’accord.
Je crois, Monsieur Dodd, que la question — et c’est naturellement une question de forme — est celle-ci : le seul document qui nous est présenté est une copie qui ne porte pas la signature du Dr Horn, et rien ne peut, par conséquent, prouver son authenticité. Nous serions sans aucun doute prêts à admettre celle-ci, si la copie portait la signature du Dr Horn. Nous n’avons devant nous que la simple copie ronéotypée d’un document qui ne nous a pas été présenté.
Bien, Votre Honneur. Je n’ai pas pu l’examiner attentivement. Soit dit en passant, nous n’avons reçu ces documents que tard dans la soirée d’hier ; nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour les examiner. J’ai proposé toutefois qu’on les admette, quitte à les faire certifier par le Dr Horn et à produire ultérieurement l’original.
Très bien.
Docteur Horn, vous comprenez ce que je veux dire : si, à une date ultérieure, vous nous présentez le document authentique après l’avoir signé pour le certifier conforme, tout ira bien.
Monsieur le Président, dans tout ce livre de documents, il n’y en a pas un seul qui n’ait été signé et distribué en cinq exemplaires pour être traduit. Il m’est naturellement impossible de signer toutes les traductions. Le document qui se trouve dans le livre que vous avez devant vous, porte ma signature dans le texte allemand.
Vous voulez dire que vous avez donné vos documents allemands à la traduction, après les avoir certifiés conformes par votre signature, et que vous ne savez pas où ils se trouvent, car ils sont partis à la section de traduction ? Est-ce exact ?
En partie seulement, Monsieur le Président. Je sais que j’ai remis ces documents en allemand, avec ma signature, au service compétent ; ce service les a gardés et fait traduire. Depuis le moment où je les ai remis, je ne sais naturellement plus ce qu’ils sont devenus.
Permettez-moi d’insister sur le fait que les livres de documents dont nous nous sommes servis n’existent qu’en un seul exemplaire et doivent être, dès maintenant, utilisés par tous les avocats pour préparer leur tâche future.
Je ne puis donc produire l’original qui n’est pas en ma possession. Ceci ne peut être fait qu’en accord avec la personne responsable du service des documents, le lieutenant Schrader.
Docteur Horn, si à l’avenir vous pouviez, vous et les autres avocats, préparer à temps votre livre de documents, vous pourriez peut-être convenir de déposer matériellement votre livre de documents au moment où vous le présentez ; il pourrait, dans cette hypothèse, être remis à l’officier attaché au Tribunal.
Je ne crois pas, Monsieur le Président, que cette possibilité existe, car ces Dokumente der Deutschen Politik, pour citer ce seul exemple, n’existent qu’en un seul exemplaire et sont nécessaires à tous les avocats. Je ne puis me séparer de ces livres pour les présenter au Tribunal, s’ils leur sont nécessaires pour faire leur travail. Je reçois ces livres uniquement pour les utiliser et en tirer des extraits. Je dois ensuite les rendre.
Oui, mais vous présentez en ce moment un certain extrait du livre, et tout ce que le Tribunal désire, c’est que cet extrait soit certifié conforme soit par vous, soit par une autre personne digne de confiance. Ce n’est qu’avec une telle signature que ce document pourra être présenté. Il peut être difficile de le présenter maintenant, parce que vous l’avez transmis à la section de traduction, mais on peut s’arranger pour qu’il le soit à l’avenir. Je ne parle pas de ce document en particulier, mais à l’avenir tous les avocats peuvent produire les documents certifiés par eux-mêmes ou par une autre personne faisant autorité.
Cela a déjà été fait, Monsieur le Président. Cinq livres de documents identiques, revêtus de ma signature, ont été remis au Tribunal.
Oui. Le règlement établi par le Tribunal est qu’ils doivent être présentés à l’audience au moment où on les utilise, de même qu’on les remet à des personnes compétentes pour les besoins de la traduction ; c’est la règle.
Mais peut-être ferions-nous mieux de continuer, car cette question nous fait perdre beaucoup trop de temps.
On vient de me dire que les documents allemands que j’ai signés me parviennent du Secrétariat général, de sorte que je vais pouvoir les présenter en allemand et signés, au Tribunal.
Très bien.
Je continue les explications sur les conséquences juridiques du traité signé en 1936 entre la France et l’Union Soviétique, et je me réfère à la page 3 (page 8 du livre de documents).
Je cite :
« Par conséquent, la seule question qui importe est celle de savoir si la France, en acceptant les responsabilités qui découlaient de ce traité, est restée dans les limites qui lui ont été imposées par le Pacte rhénan dans ses relations avec l’Allemagne.
« Le Gouvernement allemand doit répondre par la négative.
« Le Pacte rhénan était destiné à assurer la paix dans l’ouest de l’Europe, en prévoyant que l’Allemagne d’une part, la France et la Belgique d’autre part, renonceraient pour toujours à l’emploi de la force militaire dans leurs relations mutuelles. Si, au moment de la conclusion du Pacte, certaines réserves avaient été faites à propos de cette renonciation à la guerre, dépassant le cadre de la légitime défense, la raison politique en était due, comme on le sait, au seul fait que la France avait déjà contracté certaines obligations envers la Pologne et la Tchécoslovaquie qu’elle ne voulait pas sacrifier à l’idée d’une paix absolue dans l’Ouest. L’Allemagne accepta alors de bonne foi ces restrictions apportées au principe de renonciation à la guerre. Elle ne fit pas d’objections aux traités avec la Pologne et la Tchécoslovaquie, présentés à Locarno par les représentants de la France, car elle supposait tout naturellement que ces traités s’adaptaient au Pacte rhénan et ne contenaient aucune disposition sur l’application de l’article 16 du Pacte de la Société des Nations, telles que celles prévues dans les nouveaux accords franco-soviétiques. Ceci était également vrai du contenu de ces accords spéciaux, qui furent alors portés à la connaissance du Gouvernement allemand. Il est vrai que les exceptions admises dans le Pacte rhénan ne visaient pas expressément la Pologne et la Tchécoslovaquie, mais elles étaient formulées en termes généraux. Le but de toutes ces négociations était de trouver un compromis entre l’accord franco-allemand de renonciation à la guerre et le désir de la France de maintenir les obligations qu’elle avait contractées antérieurement. Si donc la France tire maintenant parti de la formule abstraite du Pacte rhénan laissant entrevoir la possibilité d’une guerre, pour conclure avec un État puissamment armé une nouvelle alliance dirigée contre l’Allemagne, si elle restreint ainsi d’une façon décisive la portée des accords de non-agression avec l’Allemagne et si, comme il est exposé ci-dessus, elle ne respecte même pas les limites formelles légalement fixées, elle crée ainsi une situation entièrement nouvelle et détruit aussi bien en théorie qu’en pratique le système politique établi par le Pacte rhénan. »
Je saute le paragraphe suivant et cite, à la page 9 du livre de documents :
« Au cours des négociations des dernières années, le Gouvernement allemand a toujours insisté sur le fait qu’il respecterait les obligations découlant du Pacte rhénan, aussi longtemps que les autres parties du Pacte respecteraient les leurs.
« Cette condition ne peut plus être considérée comme ayant été remplie par la France. En violation du Pacte rhénan, la France a répondu aux propositions amicales et aux assurances pacifiques qui lui ont été prodiguées d’une façon réitérée par l’Allemagne, en concluant avec l’Union Soviétique une alliance militaire dirigée uniquement contre l’Allemagne. C’est ainsi que le Pacte de Locarno a perdu tout son sens profond et a pratiquement cessé d’exister.
C’est pour cela que, de son côté, l’Allemagne ne se considère plus liée par ce Pacte qui est devenu caduc. »
En raison du Pacte franco-soviétique et des intentions de l’État-Major général français, Hitler fit venir l’accusé von Ribbentrop pour lui demander ce qu’il pensait de l’attitude qu’adopterait l’Angleterre à l’égard d’une réoccupation allemande...
Vous lisez toujours le document, n’est-ce pas, Docteur Horn ? Vous commencez à nous parler de Hitler.
Oui, j’ai interrompu la lecture du document aux mots « qui est devenu caduc », pour parler du rôle joué par Ribbentrop.
En raison de ce Pacte et des intentions de l’État-Major général français, Hitler fit venir l’accusé von Ribbentrop...
Von Ribbentrop nous le dira lui-même.
Monsieur le Président, nous avons le droit d’ajouter quelques remarques explicatives aux documents. Je désire maintenant...
Oui, colonel Pokrovsky.
Je crois comprendre que le Tribunal a déjà expliqué au Dr Horn que la Défense présente actuellement un document. Bien que le Dr Horn n’estime pas nécessaire de nous prévenir lorsqu’il termine sa citation pour passer aux commentaires, j’ai eu l’occasion de remarquer que dans le document qu’il vient de présenter sous le n° 1 Ribbentrop, il n’y a aucune référence aux plans de l’État-Major français. Parmi les documents se trouvant dans le livre déposé par l’avocat de von Ribbentrop, je n’ai pas pu trouver de copies de ces plans. Je ne comprends absolument pas pourquoi il se trouve que le Dr Horn connaisse les plans de l’État-Major général français, ni la raison pour laquelle il s’y réfère en présentant le cas von Ribbentrop, alors qu’ils ne sont pas mentionnés dans le texte des documents auxquels il se reporte.
Monsieur le Président...
Docteur Horn, ce que vous venez de dire n’apparaît pas au Tribunal comme étant un commentaire du document. Vous nous disiez ce que Hitler avait fait et comment, en conséquence, Ribbentrop avait agi ; ce ne sont pas là des preuves. Vous ne pouvez nous donner que des remarques explicatives nécessaires à la compréhension du document.
Monsieur le Président, von Ribbentrop est accusé d’avoir dirigé toute la politique extérieure. Le Ministère Public a décrit cette activité selon la conception qu’il s’en fait ; quant à nous, on nous a accordé le droit, non pas de faire une plaidoirie mais, à l’aide des documents présentés, d’exposer la conception opposée.
Pour mener à bien cette tâche, je dois me référer à certains documents et certaines citations. Il m’est impossible de donner une image complète si je ne puis que déposer simplement un document, sans pouvoir le placer dans son cadre ni tracer une vue d’ensemble de cette politique.
Docteur Horn, le Tribunal n’attend pas de vous que vous lui présentiez la question dans son ensemble à cette phase des débats. Votre tâche consiste actuellement à présenter les preuves. Vous donnerez une vue d’ensemble au moment de votre plaidoirie. Ce document est très clair ; il est bien connu, et vous n’avez pas à nous dire ce qu’ont fait Hitler ou Ribbentrop.
En ce qui concerne la question soulevée par le procureur soviétique, j’ai déjà demandé la comparution à la barre des témoins de l’accusé von Neurath. Je ne pourrai procéder à cet interrogatoire qu’autant que l’accusé von Neurath sera à la barre. Cependant, je puis encore me référer à ces faits, qui constituent des preuves contraires.
Mais si vous nous dites par avance ce que, d’après vous, l’accusé von Neurath dira en réponse aux questions que vous lui poserez, vous faites là une déclaration préliminaire publique. Cela n’a pas été prévu par l’Acte constitutif. Vous devez attendre l’interrogatoire de von Neurath.
Je lirai donc le document que je viens de mentionner, à la page 10 du livre de documents :
« Le Gouvernement allemand se voit obligé de faire face à la nouvelle situation créée par cette alliance, situation qui est rendue plus critique du fait que le pacte franco-soviétique a été complété par un pacte analogue entre la Tchécoslovaquie et l’Union Soviétique.
« Dans l’intérêt du droit le plus élémentaire d’un peuple à la sécurité de ses frontières et à la garantie de ses possibilités de défense, le Gouvernement allemand a donc rétabli la souveraineté pleine et entière du Reich dans la Rhénanie et ce, à partir d’aujourd’hui ».
Je prie le Tribunal de bien vouloir recevoir comme preuve l’ensemble de ce document.
Par cette mesure du Gouvernement allemand, un certain nombre d’articles du Traité de Versailles qui se rapportaient à la démilitarisation de la Rhénanie perdaient leur objet.
Puisque, ce matin, une décision du Tribunal a interdit qu’on prenne position au sujet du Traité de Versailles, je saute les documents qui se rapportent à cette question et je passe au document Ribbentrop n° 8, qui se trouve à la page 21 du livre de documents. Me permettez-vous de poser d’abord une autre question, Monsieur le Président ?
Certainement.
Est-il permis de présenter les documents officiels concernant le Traité de Versailles, qui furent échangés avant la conclusion de ce Traité, entre les différents gouvernements ? Ce sont des documents officiels et nullement des critiques du Traité lui-même. Peuvent-ils être présentés, compte tenu de la décision prise ce matin par le Tribunal ?
Quels sont ces documents ? Celui de la page 21 ?
Il s’agit du document Ribbentrop n° 3.
Où se trouve-t-il ?
Il se trouve à la page 14 du livre de documents.
Docteur Horn, le Tribunal voudrait savoir à quelle question se rapporte ce document.
Je voulais expliquer le point de vue adopté par l’Allemagne à l’égard du Traité de Versailles. Le document Ribbentrop n° 2 est une note, adressée par l’Allemagne aux États-Unis, et contenant une proposition d’armistice et de paix.
Je me proposais également de montrer que, dans la seconde note, cette proposition était basée sur les Quatorze Points de Wilson. De plus, en présentant le document Ribbentrop n° 4, je voulais prouver que la paix et l’armistice auraient été conclus sur la base des Quatorze Points de Wilson, à deux exceptions près. Je voulais également montrer, par le moyen du document Ribbentrop...
Je ne voulais pas interrompre les débats, mais il s’agit vraiment ici d’une question que le Tribunal a réglée il y a quinze jours lorsque l’accusé Göring, si je ne me trompe, fit une demande analogue à propos de certains documents. Le Tribunal y est revenu, je crois, ce matin. La question est parfaitement claire : il s’agit uniquement de savoir si le Traité de Versailles avait été conclu en accord avec les Quatorze Points du président Wilson et, dans la négative, si ce Traité était injuste ; C’est cette question que le Tribunal a eu à résoudre il y a une heure.
Puis-je ajouter un mot ? Dans la mesure où mes collègues et moi-même avons compris la décision prise ce matin par le Tribunal, la seule interdiction qui nous a été faite porte sur les déclarations que nous pouvions faire sur l’injustice du Traité ou sur le fait qu’il a été signé sous l’empire de la violence ; nous n’avons pas interprété autrement cette décision.
C’est la raison pour laquelle je vous ai demandé à quelle question cela se rapportait et vous m’avez répondu que cela mettait en lumière l’opinion des Allemands à l’égard du Traité. Ces documents sont antérieurs au Traité et ne semblent se rapporter qu’à la question de savoir si celui-ci était juste ou non.
Personnellement, je n’avais pas l’intention de présenter ce document pour montrer si le Traité était juste ou injuste, mais pour établir qu’il avait de nombreuses conséquences juridiques inopportunes, puisque le Traité principal n’était pas dans la ligne des accords préliminaires.
Si le Traité principal n’était pas conforme aux accords préliminaires, il constituait donc un traité injuste ? C’est précisément sur ce sujet que le Tribunal a pris une décision.
C’est la raison pour laquelle, Monsieur le Président, j’ai sauté ces documents en déclarant que je ne m’y référerais pas à ce propos. Je passe maintenant au document n° 8.
Puisque vous allez présenter un bon nombre de documents, nous pourrions suspendre l’audience dix minutes.
Je ne veux pas abuser des instants du Tribunal mais, à propos de la déclaration du Dr Horn concernant la condition de l’accusé von Ribbentrop, je pense que nous nous devons d’informer le Tribunal de notre conception qui est tout à fait différente de celle du Dr Horn.
J’ai parlé au colonel Andrus et à un des médecins militaires de service. Le colonel Andrus s’est entretenu avec ces deux médecins ; de ces conversations, il ressort que Ribbentrop n’est pas malade et qu’il peut fort bien venir témoigner ; il est nerveux, semble avoir peur, mais rien ne s’oppose à ce qu’on le fasse comparaître.
J’en viens maintenant à la page 21 du livre de documents et je prie le Tribunal de bien vouloir admettre d’office le document n° 8 : il s’agit également d’une copie provenant des Dokumente der Deutschen Politik, volume IV, que j’ai présentée signée au Tribunal : c’est le discours prononcé le 19 mars 1936 par l’ambassadeur von Ribbentrop à la 91e session du Conseil de la Société des Nations à Londres à propos du Pacte soviétique, du Pacte de Locarno et du Plan de paix allemand. Je me réfère à la page 3 du discours et commence ma citation au paragraphe 5 :
« Aux termes de cette alliance, la France et la Russie s’érigent en juges de leurs propres affaires, en déterminant elles-mêmes l’agresseur éventuel, sans prendre l’avis de la Société des Nations ; Elles se rendent ainsi à même d’entreprendre de leur propre initiative une guerre contre l’Allemagne.
« Cette obligation stricte des deux États est mise en relief, clairement et sans équivoque, par le paragraphe n° 1 du protocole de signature relatif au traité d’alliance. Celui-ci dispose que la France peut, de son propre chef, décider qui, de l’Allemagne ou de la Russie soviétique, est l’agresseur. Elle se réserve simplement le droit de ne pas s’exposer, en raison d’une entreprise militaire menée à la suite d’une telle décision, aux sanctions que pourraient prendre les Puissances garantissant le Pacte rhénan, à savoir : l’Angleterre et l’Italie.
« Si on la considère du point de vue juridique et sur le plan des faits, cette réserve ne signifie rien du tout. Pour parler en termes juridiques : comment la France sera-t-elle à même de prévoir, après avoir déterminé elle-même l’agresseur, l’attitude qu’adopteront par la suite à son égard les Puissances garantes du Pacte de Locarno ? La réponse à la question de savoir si, en pareil cas, la France aurait à redouter des sanctions, dépend non seulement de l’observation loyale du traité par les Puissances garantes (chose que le Gouvernement allemand ne veut nullement mettre en doute), mais encore des facteurs les plus variés, de nature purement matérielle, dont la probabilité ou l’improbabilité ne peuvent être prévues à l’avance.
« En outre, l’examen des relations qui existent entre le nouveau traité d’alliance et le Pacte rhénan, doit être fait en dehors des relations contractuelles existant entre la France et l’Allemagne d’une part, et les Puissances garantes d’autre part, mais seulement par rapport aux relations contractuelles existant directement entre la France et l’Allemagne. Autrement, il faudrait attendre de l’Allemagne qu’elle tolère en silence toutes les violations, par la France, du Pacte rhénan dans l’espoir que les Puissances garantes s’occuperaient de sa sécurité.
« Ce n’est certainement pas là l’esprit dans lequel le Pacte rhénan a été conclu.
« Pour exprimer une politique réaliste, je dirai ceci : lorsqu’une nation est attaquée par une coalition militaire d’une supériorité aussi écrasante à la suite d’une décision injuste, parce que prise à l’avance dans le seul intérêt d’une des parties, c’est pour elle une maigre consolation que de pouvoir faire valoir son droit grâce aux sanctions qui pourraient être prises contre les agresseurs après leur condamnation par la Société des Nations. Car quelles sanctions pourrait-on prendre contre une coalition si gigantesque, s’étendant de l’Asie orientale jusqu’à la Manche ? Ces deux États sont des membres si puissants, si importants de la Société des Nations, leur puissance militaire est si considérable, que leur influence rendrait à priori, des sanctions inimaginables.
« Si donc on se place sur le plan d’une politique réaliste, cette seconde réserve concernant la prise probable de sanctions ne tire nullement à conséquence.
« Je prie maintenant les membres du conseil de ne pas seulement se représenter la portée juridique et purement politique de cet engagement de la France à une action indépendante, mais de se demander avant tout si on pourrait soutenir l’opinion que le Gouvernement allemand d’alors, signataire du Traité de Locarno, devait assumer les responsabilités découlant de ce Pacte qui contenait des stipulations si nettement unilatérales du fait de leurs développements ultérieurs. »
Je me réfère maintenant à la page 26 du livre de documents et, pour expliquer plus clairement le point de vue allemand, j’ajoute ce qui suit :
« Mais le Pacte franco-soviétique signifie également (conformément à la conception que le Gouvernement allemand se fait de l’Histoire) une suppression complète de l’équilibre européen tel qu’il a existé jusqu’à ce jour et, partant, une élimination des conditions politiques et juridiques fondamentales, qui ont présidé à la conclusion du Pacte de Locarno. »
L’Allemagne avait ainsi exposé le fondement juridique de son attitude vis-à-vis du Pacte de Locarno et des conditions du Traité de Versailles concernant la démilitarisation de la Rhénanie ; et pour bien prouver sa volonté de désarmement, je me réfère à la page 7 du même document, c’est-à-dire à la page 27 du livre de documents, qui est consacrée à un projet de désarmement complet et détaillé. Je demande au Tribunal d’accepter ce document comme preuve, de façon que je puisse m’y référer ultérieurement.
J’en ai ainsi terminé avec mon exposé sur les raisons qui ont incité l’Allemagne à réoccuper la Rhénanie. J’aborderai le rôle joué dans cette affaire par l’accusé Ribbentrop, lorsque je l’appellerai à la barre des témoins.
Après l’occupation de la Rhénanie, l’accusé von Ribbentrop retourna à Londres où il était alors ambassadeur. Le 4 février 1938, il fut nommé ministre des Affaires étrangères et, à partir de ce moment, conduisit la politique extérieure selon la ligne tracée par Hitler. Pour prouver mes dires, je me réfère au document Ribbentrop n° 10, qui se trouve dans le livre de documents.
Il s’agit d’un document très court que je demande au Tribunal d’admettre d’office. C’est un extrait d’un discours prononcé par le Führer devant le Reichstag allemand, à l’Opéra de Berlin, le 19 juillet 1940. Je cite :
« Je ne saurais terminer ces louanges sans remercier l’homme qui, pendant des années, a guidé ma politique extérieure, infatigablement, loyalement et dans un esprit de dévouement et d’oubli de soi.
« Le nom du militant du Parti, von Ribbentrop, restera toujours attaché à l’essor de la politique de la nation allemande, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères. »
Je présente cet extrait au Tribunal pour montrer selon quels principes l’accusé von Ribbentrop devait conduire la politique extérieure.
Puis-je demander maintenant au Tribunal de bien vouloir entendre comme témoin le secrétaire d’État von Steengracht ?
Veuillez nous dire quel est votre nom ?
Adolf Freiherr Steengracht von Moyland.
Veuillez répéter le serment après moi :
« Je jure devant Dieu, tout puissant et omniscient, que je dirai la vérité, que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Vous pouvez vous asseoir si vous le désirez.
Quelles furent vos dernières fonctions au ministère des Affaires étrangères ?
Depuis mai 1943, j’étais secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères.
Quelles étaient vos activités ?
Pour pouvoir donner une idée claire de mes activités, je dois faire les remarques préliminaires suivantes : Depuis le début de la guerre, le siège des activités du ministre des Affaires étrangères se trouvait dans le voisinage de l’État-Major de Hitler, c’est-à-dire à plusieurs centaines de kilomètres de Berlin. Le personnel de ces services était extrêmement réduit. Le ministre des Affaires étrangères à Berlin s’occupait des tâches administratives et des affaires courantes et, avant tout, des relations régulières avec les diplomates étrangers.
J’étais, en ma qualité de secrétaire d’État, responsable des activités déployées dans ce domaine à partir de mai 1943. L’entretien de l’opinion politique étrangère d’une part, les décisions de politique extérieure d’autre part, constituaient la tâche du Quartier Général, la plupart du temps sans que le ministère des Affaires étrangères y eût pris part, souvent même sans qu’il en eût été informé.
Qui déterminait les grandes lignes de la politique étrangère ?
La politique étrangère était non seulement guidée dans son ensemble, mais aussi très souvent dans ses plus petits détails, par Hitler lui-même. Ribbentrop a dit bien souvent que le Führer n’avait pas besoin d’un ministre des Affaires étrangères, mais simplement d’un secrétaire de politique étrangère.
A mon avis, Ribbentrop aurait aimé cette situation car, soutenu par Hitler, il aurait tout au moins eu la possibilité d’éliminer partiellement les néfastes influences politiques venues de l’étranger, auxquelles Hitler était soumis. Il aurait pu même avoir l’occasion d’influencer les discours de Hitler que celui-ci avait l’habitude de prononcer sans le concours de Ribbentrop, même lorsqu’il s’agissait de politique extérieure.
En dehors du ministre des Affaires étrangères, y avait-il des personnalités ou des services qui s’occupaient de politique extérieure ?
Oui. Il n’y avait pratiquement pas dans le Parti de service ou d’organisation qui, à partir de 1933, n’ait eu des visées sur la politique extérieure. Chacune de ces organisations avait une sorte de bureau d’affaires extérieures qui entretenait des relations avec les pays étrangers dans le but d’avoir ses propres « canaux » d’information en politique étrangère. On peut dire qu’il y avait au moins une trentaine de ces organisations : la Jeunesse hitlérienne, les SA, le Front du Travail allemand, les SS, les services de Rosenberg avec ses bureaux de politique extérieure, le ministère de la Propagande, les services de Waldech, de Ribbentrop, la Société nordique ; puis la VDA, l’académie allemande, la Reichsbahn et bien d’autres encore.
A côté de ces organisations, l’entourage immédiat de Hitler et des personnalités telles que Himmler, Goebbels et Bormann, avaient une influence sur le sens donné à la politique étrangère. Göring lui-même a peut-être eu une certaine influence dans le domaine extérieur mais seulement jusqu’en 1938 ; après cette date, elle devint presque inexistante.
Ribbentrop s’est-il efforcé d’écarter ou de supprimer ces influences ?
D’après ce que j’ai pu observer, je ne puis que porter le jugement suivant : Presque toutes ces personnes, qui n’avaient jamais vécu à l’étranger et qui, à l’occasion d’un voyage d’affaires effectué en temps de paix pour le compte du Troisième Reich ou après l’occupation d’un pays étranger, avaient mené la bonne vie dans la capitale du pays en question, se considéraient comme des experts très qualifiés des questions s’y rapportant. C’était pour eux une grande joie que d’aller apporter à Hitler les fruits de leurs observations. Malheureusement, plus ils s’étaient tenus à l’écart des conditions réelles de la situation du pays, plus ils se trouvaient en contradiction avec les nécessités politiques. Plus ils approuvaient le principe d’autorité, plus leur attitude était opposée aux sentiments d’humanité les plus élémentaires, et plus ils plaisaient à Hitler. Car celui-ci considérait leurs déclarations et leurs rapports comme émanant d’un jugement solide, ce qui avait parfois un effet déplorable et créait dans l’esprit de Hitler, avec le concours de sa soi-disant intuition, la base de quelque idée directrice. A l’objection possible qu’il aurait été facile à un expert de critiquer telle opinion ou tel point de vue, je répondrais ceci : Tant que le futur ambassadeur à Paris fut professeur de peinture, Hitler lut ses rapports avec un grand intérêt ; mais lorsqu’il devint le représentant officiel du Reich, ses rapports furent pour la plupart jetés au panier sans avoir été lus.
Les rapports de Himmler, les vues intéressées de Goebbels et l’influence de Bormann, jouaient d’autre part un rôle prépondérant, au même titre que les rapports de certains agents qui n’étaient pas susceptibles de vérification et qui avaient plus de poids que les opinions des experts en la matière.
Le ministre des Affaires étrangères était-il aussi responsable des relations avec les pays étrangers ?
Puis-je vous faire remarquer que je n’ai pas encore répondu à la deuxième partie de votre question, celle concernant la suppression de ces influences ? D’après les méthodes de travail de Hitler, ces soi-disant influences contraires ne pouvaient être éliminées purement et simplement. Ribbentrop mena une guerre âpre et sans restrictions contre la plupart des organisations allemandes ; 60 % au moins de son activité était consacrée à ce seul travail.
Le ministre des Affaires étrangères était-il responsable des relations avec les pays étrangers ?
En temps de paix, oui.
La position du ministre des Affaires étrangères changea-t-elle avec la déclaration de guerre ?
Oui, effectivement, le ministère des Affaires étrangères perdait sa compétence à l’égard du pays intéressé au moment où la baïonnette allemande franchissait la frontière. Le droit exclusif de maintenir des relations directes avec les Gouvernements étrangers était supprimé dans tous les territoires occupés : il en était de même dans la plupart des cas du droit d’avoir un représentant du ministère dont la tâche fût uniquement celle d’un observateur sans compétence spéciale. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des territoires occupés de l’Est et de la Norvège. Là où Ribbentrop avait essayé, malgré l’occupation, de conserver au pays un certain degré d’indépendance, comme en Norvège, cette activité diplomatique fut considérée comme une faiblesse, une traîtrise et une sottise, et ceux qui l’avait menée durent, sur l’ordre de Hitler, la suspendre immédiatement et disparaître du ministère des Affaires étrangères.
En général, le changement d’attitude du ministère des Affaires étrangères est bien caractérisé par cette déclaration de Hitler : « Le ministère des Affaires étrangères devra, autant que possible, disparaître de la scène politique jusqu’à la fin de la guerre ». Hitler voulait en réduire le personnel à vingt ou quarante personnes. Il fut même partiellement interdit de créer ou d’entretenir des relations avec le ministère des Affaires étrangères. Hitler détestait le ministère et son personnel. Il les considérait comme des juristes raisonnant dans l’abstrait, des défaitistes, des internationalistes, à qui on ne devait confier une affaire que lorsqu’on ne pouvait vraiment s’en charger soi-même.
Existait-il en Allemagne, au sens propre du mot, une politique extérieure traditionnelle ?
Non ; ou du moins je ne m’en suis jamais aperçu, car Hitler avait dit : « La diplomatie est une duperie, les traités sont des enfantillages. Ils ne sont respectés que tant qu’ils semblent être utiles aux parties ». Telle était l’opinion que Hitler se faisait de toute la diplomatie mondiale.
Le ministère des Affaires étrangères avait-il une influence quelconque dans les territoires de l’Est et dans ceux soumis à l’administration civile ?
J’ai déjà abordé cette question. J’ai déjà dit que dans les régions où il y avait un gouvernement militaire ou une administration civile, il y avait un représentant du ministère des Affaires étrangères qui, s’il était toléré, ne l’était que comme observateur et pas à un autre titre. Telle était la règle. Je craindrais de m’étendre trop en décrivant la situation de chaque pays, car elle n’était pas la même partout.
Considérez-vous von Ribbentrop comme un parfait national-socialiste ?
A en juger par son attitude générale, Ribbentrop n’était pas un représentant typique du national-socialisme. Il était très peu au courant du dogme et des doctrines nationales-socialistes. Il se sentait lié personnellement à Hitler à qui il obéissait militairement ; il était en quelque sorte hypnotisé par lui, mais je ne peux pas le considérer comme un représentant typique du national-socialisme.
Hitler était-il accessible aux suggestions et aux objections ?
Dans les années qui suivirent 1933, on dit qu’il l’a été, mais au für et à mesure que les années passèrent il se ferma de plus en plus aux objections et aux conseils.
Depuis ma nomination au poste de secrétaire d’État, je ne l’ai vu que deux fois dans des circonstances officielles ; je ne peux donc vous parler que des résultats ou des échecs de nos efforts. Au cours de mes activités, qui couvrent une période de presque deux ans, je ne me souviens pas que Hitler ait une seule fois donné suite à une de nos suggestions. Bien au contraire, on avait toujours à craindre que telle ou telle suggestion ne l’entraînât à prendre brusquement une décision en sens inverse. Le trait dominant de son caractère était probablement la méfiance, ce qui donnait des résultats sans précédent. C’est ainsi que les experts et les gens sérieux qui essayaient d’amener Hitler à leur façon de penser s’engageaient, à mon avis, dans un travail stérile. D’autre part, des individus irresponsables qui l’incitaient à prendre des mesures violentes ou qui lui faisaient part de leurs doutes trouvaient, hélas, grand crédit auprès de lui. Ces hommes étaient alors considérés comme énergiques alors que la conduite de certains autres, qui pouvait être assez logique, était blâmée pour faiblesse ou défaitisme. L’influence d’un homme pouvait être anéantie à jamais pour avoir émis une seule fois une opinion raisonnable.
Quelles conclusions Hitler tirait-il des contradictions découlant du fait que les avis de ceux qui cherchaient à l’influencer étaient partagés ?
Je ne peux pas répondre à cette question d’une façon générale. J’ai déjà donné des explications dans mes réponses précédentes. La réaction dépendait beaucoup, à mon avis, de l’humeur dans laquelle le dictateur se trouvait alors. Ce qui importait aussi, c’était la personnalité du contradicteur et la mesure dans laquelle il avait déjà fait preuve, ou semblait faire preuve, d’énergie ou de faiblesse. Mais pour montrer quelle était l’atmosphère, on peut citer l’exemple suivant, qui se place peu après la mort du Président Roosevelt et qui est rapporté par l’agent de liaison de Ribbentrop auprès de Hitler, un certain Hewel :
« Aujourd’hui, j’ai cru que ma dernière heure était arrivée. Goebbels sortait de chez le Führer et commentait les effets que la mort du Président Roosevelt aurait sur la situation future de l’Allemagne. Il considérait l’avenir avec optimisme. Je pensais, moi, Hewel, que ce point de vue n’était pas justifié et le fis remarquer très prudemment à Goebbels. Celui-ci entra dans une violente colère, me traita d’esprit démoralisateur, foulant aux pieds les joies et les espoirs de toute personne raisonnable. Je fus obligé — rapporte Hewel — de faire un voyage spécial pour aller trouver Goebbels et lui dire de garder la chose pour lui. Car si jamais il avait informé Hitler de mon attitude, celui-ci aurait simplement appuyé sur un bouton pour appeler Rattenhuber, chef de son service de Sécurité, qui m’aurait emmené et fusillé. »
Comment expliquez-vous le fait que tant de personnes demeuraient dans l’entourage de Hitler, bien qu’elles aient été en désaccord avec lui sur des questions fondamentales ?
Il est exact que beaucoup de personnes restèrent à leur poste bien que désapprouvant au fond d’elles-mêmes les méthodes de gouvernement de Hitler et les considérant même avec hostilité. Les raisons en sont très diverses.
D’abord, il faut dire que la NSDAP était arrivée au pouvoir selon les règles du jeu parlementaire, comme étant le parti le plus nombreux au Reichstag. A la suite de ce changement de gouvernement, les fonctionnaires en service n’avaient aucune raison de quitter leur poste. En raison du passage à la dictature et du concept de l’État tout à fait nouveau qu’avait entraîné ce changement de gouvernement, l’individu prit soudain conscience du fait qu’il n’aurait plus le droit désormais d’adopter une attitude personnelle à l’égard du régime. Le fameux règne de la terreur commençait. Partout, dans les ministères et les chancelleries, les appartements privés et les restaurants, des espions rôdaient qui, par fanatisme ou pour de l’argent, rapportaient volontiers tout ce qu’ils entendaient. Cependant, beaucoup auraient risqué les pires conséquences si le fait de démissionner avait servi à quelque chose.
Mais il devint évident que de telles personnes ne faisaient que se nuire inutilement à elles-mêmes et surtout à leurs familles car de tels faits étaient soigneusement passés sous silence et n’avaient par conséquent aucun effet. Le plus fâcheux était que le poste vacant était confié à un homme plus convaincu. Beaucoup de gens avaient compris la situation et restaient à leur poste pour éviter le développement du processus que je viens de décrire.
Le nombre élevé des atrocités commises ou ordonnées par Hitler ou par Himmler ont conduit beaucoup d’étrangers à croire que le peuple allemand dans sa totalité en a partagé la responsabilité ou en a tout au moins eu connaissance. Cette croyance est erronée La majorité des gens, même ceux qui étaient haut placés, n’ont eu connaissance qu’à la fin de la guerre des détails de ces actes ou de l’échelle à laquelle ils furent commis. L’explication de cette situation se trouve peut-être dans le discours que Himmler tint à Posen le 3 octobre 1943 devant ses Gruppenführer, discours dont j’ai eu seulement connaissance ici. Il déclara que ses consignes spéciales — c’est-à-dire concernant les Juifs et les camps de concentration — devaient être tenues aussi secrètes que l’avaient été les événements du 30 juin 1934, dont le peuple allemand n’a appris que maintenant l’histoire authentique.
La responsabilité de tous ces événements n’incombe qu’à un groupe relativement restreint, que l’on peut évaluer à quelques milliers de personnes. Ce sont eux qui exercèrent cette terreur sans précédent contre le peuple allemand.
Il faut cependant remercier ceux qui restèrent à leur poste malgré leurs opinions différentes ; nous leur sommes redevables, par exemple, du fait que la Convention de Genève n’ait pas été dénoncée, que des dizaines et des centaines de milliers d’aviateurs anglais et américains n’aient pas été exécutés, qu’on ait pu renvoyer dans leurs foyers et dans leur patrie les malheureux prisonniers qui étaient grièvement blessés. Grâce à eux, la Grèce affamée a pu recevoir du ravitaillement, le change a pu être stabilisé, dans la mesure du possible, comme dans le cas de la France et de la Belgique ; les destructions militaires sans objet, ordonnées dans les pays étrangers et en Allemagne furent partiellement évitées ou réduites ; enfin les principes de justice et d’humanité furent respectés, du moins en certains endroits. De très bonne heure, ces milieux furent découragés par le fait qu’aucune puissance étrangère n’avait utilisé les conditions qui régnaient en Allemagne comme un prétexte pour rompre les relations diplomatiques. Au contraire, jusqu’à la déclaration de guerre, presque tous les pays traitèrent avec le national-socialisme, conclurent des traités et envoyèrent même leurs représentants diplomatiques aux journées du Parti à Nuremberg.
Il est à remarquer tout particulièrement que l’Allemagne nazie fut l’objet, tout au moins apparemment, de beaucoup plus de considération, de compréhension et de respect de la part des pays étrangers, que ne l’avait jamais été la république de Weimar, malgré son intégrité et sa fidélité aux traités. Puis la guerre survint, avec les devoirs qu’elle imposa aux fonctionnaires, aux officiers et à chaque Allemand. Quand et comment ces personnes, qui se sentaient encore les serviteurs de la nation, auraient-elles pu quitter leur poste ? En prenant une telle initiative, auraient-elles été, après tout, utiles au pays et à l’humanité ? Auraient-elles pu faire peur à Hitler ou même l’avertir ?
Après la campagne de France, aviez-vous suggéré à Ribbentrop une paix sur le plan extérieur ?
Oui. Je n’avais alors aucune fonction officielle. Je sentais pourtant le besoin — et je crois que c’était le désir profond de beaucoup d’Allemands, sinon de tous — de voir la paix régner sur le monde le plus tôt possible. Le jour de la capitulation du roi des Belges, je proposai d’abord la création des États-Unis d’Europe sur une base démocratique, ce qui aurait entraîné l’indépendance de la Belgique, de la Hollande, de la Pologne, etc. ; deuxièmement, je suggérai, au cas où Hitler n’aurait pas voulu donner suite à cette première proposition, que l’on n’empiétât sur l’autonomie des pays occupés qu’aussi peu que possible.
Von Ribbentrop en a-t-il parlé à Hitler ?
Oui, mais Hitler considérait alors que ces plans étaient bien prématurés.
Dans le cours de l’hiver 1942-1943, avez-vous abordé le même sujet avec Ribbentrop ?
Oui. Ribbentrop s’occupait alors également de propositions positives ; elles concernaient la souveraineté et l’indépendance de tous les pays occupés, y compris la Pologne, ainsi qu’une collaboration économique très étendue.
Quelle fut la réaction de Hitler devant ces propositions ?
Hitler repoussa ces propositions sous prétexte que le moment n’était pas opportun, que la situation militaire n’était pas assez favorable et qu’on les aurait interprétées comme un signe de faiblesse.
Une autre question : von Ribbentrop a-t-il, avant l’entrée en guerre contre la Russie, rappelé à Hitler la déclaration faite par Bismarck sur le danger d’une guerre préventive ?
Ribbentrop m’a dit à plusieurs reprises qu’il s’occupait beaucoup du Pacte avec la Russie. A propos de la guerre préventive, il avait dit à Hitler : « Le bon Dieu n’autorise personne à lire dans ses cartes ». Je sais aussi que Ribbentrop s’efforça de présenter à Hitler des experts des affaires russes pour lui expliquer la situation et lui conseiller de ne pas faire la guerre. Hitler a refusé de les recevoir.
Une courte entrevue fut accordée au seul ambassadeur comte Schulenburg. Lui, qui considérait qu’une telle guerre était inopportune et en écartait l’idée avec force, ne put naturellement ni faire valoir son point de vue sur la Russie, ni expliquer les raisons qui s’opposaient à la guerre car Hitler, après avoir exposé ses propres vues sur la question, le renvoya brusquement au bout de vingt minutes sans lui avoir laissé le temps de placer un mot.
Docteur Horn, le Tribunal avait décidé que les témoins pouvaient se rafraîchir la mémoire à l’aide de notes, mais il semble que ce témoin a lu pratiquement tout ce qu’il a dit.
Ce n’est pas là ce que j’appelle se rafraîchir la mémoire ; c’est lire un discours que vous avez rédigé auparavant. Si ceci se prolongeait, le Tribunal se verrait obligé d’examiner s’il y a lieu d’écarter ce principe pour adopter le principe ordinaire, suivant lequel aucun témoin n’a le droit de se référer à des notes, sauf à celles qu’il a prises sur l’instant.
Monsieur le Président, je me suis entretenu de ces questions avec le témoin, mais ces notes ont été rédigées exclusivement par lui et sans que je sache de quoi elles traitaient. Je vais demander au témoin de me répondre maintenant sans se reporter à ses notes.
Je ne connais pas ses réponses, je tiens à le spécifier encore une fois.
Témoin, savez-vous que von Ribbentrop a utilisé son influence sur Hitler pour refréner chez lui les instincts destructeurs qu’il manifestait à l’égard de l’Église et des Juifs ?
Oui. Je sais que Ribbentrop s’est fréquemment entretenu sur ce sujet avec Hitler. J’étais vraiment désolé de voir quelle politique on avait adoptée à l’égard de l’Église et des Juifs ; c’est pourquoi, comme je l’ai déjà dit, j’ai souvent eu l’occasion d’en parler avec lui. Mais il me disait toujours à la suite de ses entrevues avec Hitler : « On ne peut pas aborder ce sujet avec Hitler. Il déclare que ces problèmes doivent être résolus avant sa mort ».
Von Ribbentrop et le ministère des Affaires étrangères avaient-ils connaissance des plans militaires ?
Ribbentrop m’a dit bien souvent qu’il n’était nullement au courant des questions militaires. Au ministère des Affaires étrangères, on n’avait aucune idée des plans stratégiques.
Quelles étaient les relations entre Ribbentrop, Goebbels, Himmler et Bormann ?
Les relations qui existaient entre Ribbentrop et les personnes que vous venez de nommer étaient aussi mauvaises qu’on peut les imaginer. Ils étaient en lutte perpétuelle. A mon avis, Ribbentrop aurait été la première victime de Himmler si quelque chose était arrivé à Hitler. Ils étaient en état de conflit permanent et leurs échanges de lettres se faisaient sur un ton particulièrement âpre.
Quelles étaient, en général, les relations entretenues par les services du Parti avec ceux du Reich ?
Naturellement, ces relations variaient avec le caractère et l’origine des chefs de service. Mais on peut dire qu’elles étaient généralement mauvaises. En particulier, les échanges de renseignements, si nécessaires à la conduite des affaires d’État, n’avaient pratiquement jamais lieu. Il était presque plus difficile à un ministre de parler au téléphone à un autre ministre que de demander à l’archange Gabriel de descendre des cieux pour parler avec l’un d’entre nous. Une entrevue ne pouvait jamais être ménagée, même pour discuter des questions les plus importantes. En, d’autres termes, il n’y avait pratiquement pas de relations entre ces services ; de plus, chacun d’eux était composé d’individus de caractère et d’idées très différents.
Avez-vous connaissance des objections présentées par le Vatican, surtout à propos du clergé polonais ?
J’ai appris plus tard qu’il s’agissait de deux protestations concernant le clergé polonais, transmises par le Nonce au secrétaire d’État. Celui-ci le transmit, selon la règle, à von Ribbentrop qui, à son tour, les présenta à Hitler. Étant donné que le Vatican n’avait pas reconnu le Gouvernement Général et que, par conséquent, le Nonce n’avait aucune compétence pour ces régions, Hitler déclara, lorsque ces notes lui furent présentées : « C’est un pur mensonge, renvoyez ces notes au Nonce par l’intermédiaire du secrétaire d’État et dites-lui que vous n’accepterez plus jamais rien de tel. »
Ces notes avaient-elles été rédigées par le ministère des Affaires étrangères ?
Nous avions reçu des instructions catégoriques et précises, selon lesquelles dans tous les cas où des représentants de pays étrangers soulevaient des questions qui ne relevaient pas de leur compétence, soit au cours de conversations, soit dans des notes verbales ou écrites ou autres documents, il fallait les repousser et rejeter sèchement les protestations.
Savez-vous si von Ribbentrop empêcha l’exécution de 10.000 prisonniers de guerre après la terrible attaque aérienne sur Dresde ?
Voilà ce que je sais : un jour, l’agent de liaison de Ribbentrop auprès de Hitler m’appela ; il était très agité. Il m’apprit que, sur la proposition de Goebbels, le Führer avait l’intention, à titre de représailles pour le bombardement de Dresde, de faire exécuter des prisonniers de guerre anglais et américains, aviateurs pour la plupart.
Je me rendis aussitôt chez Ribbentrop et lui en fis part. Il s’énerva, devint pâle comme un mort et, accablé, déclara que c’était impossible. Il décrocha le téléphone et demanda à son agent de liaison de vérifier l’exactitude de son rapport. L’agent de liaison en donna confirmation. Von Ribbentrop se précipita chez Hitler et revint une demi-heure après en me disant qu’il avait obtenu de Hitler qu’il annulât son ordre.
Voilà tout ce que je sais sur cette affaire.
Que savez-vous de la convocation d’un congrès antisémite ?
Je suis au courant de cette question. Je crois que notre agent de liaison auprès de Hitler nous informa que celui-ci, inspiré par Bormann, avait chargé les services de Rosenberg d’organiser un congrès antisémite. Ribbentrop ne voulait pas le croire, mais après s’être entretenu avec son agent de liaison, il dut se rendre à l’évidence.
Puisque cette décision nous enlevait tout moyen d’empêcher la chose par la voie officielle, nous nous efforçâmes donc de la rendre impossible par une politique d’hésitation, de lenteur et d’obstruction. Et bien que l’ordre en ait été donné au printemps 1944 et que la guerre ne fût pas encore terminée en avril 1945, ce congrès n’eut jamais lieu.
Avez-vous pu observer si von Ribbentrop, pour des raisons d’État, agissait sévèrement vis-à-vis de son personnel, bien qu’étant au fond de lui-même assez bien disposé ?
C’est là porter un jugement de valeur. Mais je crois pouvoir affirmer ceci : il me semble que par loyauté envers Hitler, von Ribbentrop, lorsqu’il allait chez lui avec une opinion déterminée et revenait avec une conception différente, essayait après coup de nous exposer le point de vue de Hitler. Il le faisait toujours avec une violence particulière. Je suppose donc que ceci était contraire à ses convictions les plus intimes.
Ribbentrop a-t-il, au cours de la guerre, demandé que l’on épargnât Rome et Florence ?
Oui, autant que je le sache ; il s’est entretenu de cette question avec Hitler.
Êtes-vous au courant d’un article que Goebbels aurait écrit dans Dos Reich ou dans le Völkischer Beobachter sur la justice du lynch ?
Oui. Je vins un jour par hasard voir Ribbentrop, qui lisait un journal et semblait très nerveux. Il me demanda si j’avais déjà lu cet article, cet ignoble article de Goebbels sur la justice du lynch.
Von Ribbentrop protesta-t-il auprès de Goebbels à ce propos ?
Je crois savoir qu’il chargea le chef de la Presse, qui était en rapport avec Goebbels, d’élever une protestation contre cet article. Mais à sa grande surprise, il fut obligé de constater l’inutilité de cette protestation, car l’article avait été non seulement inspiré mais, je crois, ordonné par Hitler. Il n’y avait donc plus rien à faire.
Quelle fut l’attitude du ministre des Affaires étrangères à l’égard de la tendance manifestée par cet article ?
Le ministre des Affaires étrangères rejeta violemment cet article qu’il considérait comme une infraction au Droit international et qui nous engageait sur un terrain différent. Il faisait, au surplus, appel aux plus bas instincts de l’homme et nous causait du tort, tant au point de vue intérieur qu’au point de vue international. Enfin, un tel article, qui avait été lu par des centaines de milliers ou des millions de personnes, avait certainement causé un préjudice irréparable. Nous insistâmes donc pour qu’en aucun cas plus rien de tel ne fût imprimé dans la presse. Cependant, je dois déclarer à mon grand regret que notre position était très délicate, surtout depuis que les aviateurs ennemis attaquaient, souvent à basse altitude, les paysans dans les champs et les piétons dans les rues, c’est-à-dire la population civile, avec leurs engins meurtriers. Les arguments que nous présentions sur notre volonté d’observer, quant à nous, le Droit international dans toutes les circonstances, n’étaient pris en considération ni par les services allemands, ni surtout par Hitler lui-même. Au contraire, nous étions, là encore, considérés comme des juristes formalistes. Mais, plus tard, nous essayâmes, dans la mesure de nos moyens et avec l’aide des organismes militaires, d’empêcher l’exécution de cet ordre.
Savez-vous quelque chose du bataillon Günsberg ?
Je ne connais pas le bataillon Günsberg ; je connais bien un ancien conseiller de légation Günsberg au ministère des Affaires étrangères. Autant que je puisse m’en souvenir (je n’avais alors rien à voir à la question), il reçut de Ribbentrop l’ordre de suivre les troupes avec quelques fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et quelques chauffeurs, et de veiller à ce que les troupes ne pénètrent pas dans les locaux occupés par les missions étrangères (de Bruxelles, de Paris, etc.) qui étaient placées sous la sauvegarde des Puissances protectrices. En même temps, Günsberg était chargé de la protection des dossiers des ministères étrangers qui se rapportaient à des questions de politique extérieure.
A la fin de la campagne de France, Günsberg, autant que je sache, n’a pas repris de service actif au ministère des Affaires étrangères, mais a été incorporé dans la Police secrète de l’Armée. On lui donna un uniforme, car il ne pouvait pas aller en civil dans les pays étrangers.
Comment et quand se terminèrent les activités de Günsberg ?
Ribbentrop, à la suite de cela, se désintéressa de Günsberg et de ses fonctions premières. Puis, après le début de la campagne de Russie, Günsberg demanda à reprendre ses fonctions et déclara qu’il désirait poursuivre la même activité dans l’Est. Ribbentrop lui dit : « C’est entendu ; vous pouvez partir avec quelques personnes auprès des formations de l’Armée pour voir si vous pouvez trouver là-bas quelque chose d’intéressant pour nous et veiller à ce que, à notre arrivée à Moscou, les ambassades soient protégées et les documents mis en sûreté ». Mais il ne se considérait plus comme faisant partie du ministère des Affaires étrangères et recevait apparemment des ordres d’autres organismes.
Puis, comme je l’appris plus tard, il eut sous ses ordres un grand nombre de personnes et avait à sa disposition de nombreuses automobiles qui ne pouvaient lui avoir été fournies par le ministère des Affaires étrangères. Il en était de même pour son uniforme : il travaillait donc vraisemblablement pour le compte d’autres organismes.
Il n’appartenait plus au ministère des Affaires étrangères, en tout cas pas à titre militaire ?
Non. De plus, quand von Ribbentrop apprit qu’il avait eu la charge d’une fonction aussi importante, il me chargea d’entrer immédiatement en contact avec les SS et de leur dire que lui, von Ribbentrop, ne voulait plus s’occuper de Günsberg. Je dis à l’Obergruppenführer Wolff que je désirais souligner que nous n’avions plus rien à faire avec Günsberg et que c’était à lui de s’en occuper dans le cadre des SS.
C’est tout ce que je sais de l’affaire Günsberg.
Dois-je suspendre maintenant mon interrogatoire ou continuer à poser des questions ?
A moins que vous ne terminiez tout de suite, nous ferions mieux de suspendre l’audience. Avez-vous encore beaucoup de questions à poser au témoin ?
J’ai encore toute une série de questions à poser.