QUATRE-VINGT-TREIZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 28 mars 1946.

Audience du matin

Dr HORN

Conformément au vœu exprimé par le Tribunal, je vais présenter maintenant les documents qui n’ont pas encore été nommés, en les groupant dans l’ordre suivant : Premièrement, documents concernant la question polonaise. Dans le livre de documents que je soumets au Tribunal, document Ribbentrop n° 200 : le premier ministre Chamberlain, dans une lettre adressée à Hitler le 22 août 1939, prend position sur les questions litigieuses entre l’Allemagne et la Pologne. Il déclare à ce propos qu’un des éléments essentiels du conflit est le problème des minorités. Pour prouver que cette question des minorités a joué un rôle prépondérant dès la naissance de l’État polonais, je présente le document Ribbentrop n° 72, que je verse au dossier. Il contient un certain nombre d’observations sur les conditions de paix par la délégation allemande à la conférence de la Paix.

Dans un autre document, document Ribbentrop n° 74, dont je demande au Tribunal de prendre acte, le président du Conseil suprême des puissances alliées et associées, Clemenceau, attire l’attention du président du Conseil polonais Paderewski sur ce problème. Puis-je soumettre comme preuve...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, je voudrais expliquer la position du Ministère Public.

Nous n’avons pas encore reçu ces documents et, par conséquent, nous n’avons pu faire qu’un choix approximatif des documents contre lesquels nous présentons une objection. Nous avons, je crois, des objections à la présentation de tout ce livre de documents. Je précise que nous admettons sans protestation la procédure adoptée par le Dr Horn, selon les directives que Votre Honneur a données hier, c’est-à-dire qu’il verse ces documents en bloc au dossier, tandis que nous nous réservons le droit d’élever des objections lorsque nous recevrons les documents.

Il me paraît donc juste de réserver notre position, car j’ai décidé, avec l’accord de tous mes collègues, de formuler des objections contre certains de ces documents, sur la seule base de nos renseignements actuels.

Dr HORN

Puis-je vous prier, Monsieur le Président, de m’entendre un instant ?

LE PRÉSIDENT

Désirez-vous ajouter quelque chose à ce qu’a dit Sir David ?

Dr HORN

En considération des objections que vient de présenter le Ministère Public, je demande au Tribunal de prendre une décision de principe et de dire si la Défense doit supporter les inconvénients causés par des insuffisances techniques dont elle n’est pas responsable, et si la présentation de nos preuves, déjà restreinte, ne sera pas encore réduite et même rendue impossible du fait que nous ne pouvons jamais discuter de la documentation soumise avec le Ministère Public ni même avec le Tribunal ?

En conséquence, je demande la permission de retarder la présentation des documents, même sous la forme restreinte exigée hier par le Tribunal, jusqu’à ce que les livres de documents soient prêts.

LE PRÉSIDENT

La difficulté semble découler uniquement du fait que vos livres de documents ne sont pas prêts. C’est ce qui cause ces difficultés. Si les livres de documents avaient été prêts et mis à la disposition du Ministère Public, celui-ci aurait été en mesure de formuler ses objections. Voilà pourquoi Sir David a fait cette réserve. Mais si vous avez des témoins à citer, pourquoi ne les citez-vous pas pendant que l’on prépare vos livres de documents ? Le Tribunal estime que c’est la procédure la plus raisonnable.

Citez donc vos témoins, vous produirez vos documents plus tard, quand nous pourrons les considérer. C’est la seule procédure raisonnable et je me demande pourquoi vous ne voulez pas l’adopter.

Dr HORN

Un officier de la section de traduction m’a fait savoir récemment que le personnel mis à sa disposition n’était pas en mesure de terminer les traductions à temps. Voilà la cause de ces difficultés, mais je n’y suis pour rien, car j’avais remis les documents en temps voulu à la section de traduction.

LE PRÉSIDENT

Ce n’était pas le point que je soulevais. Peut-être l’interprétation n’a-t-elle pas été faite correctement. Je disais que, si vous avez des témoins à citer, pourquoi ne les citeriez-vous pas maintenant ?

Dr HORN

Je voulais citer les témoins au fur et à mesure de la présentation des preuves ou de l’exposé des questions sur lesquelles les témoins auront à faire des déclarations.

LE PRÉSIDENT

Évidemment, mais, étant donné que vos documents ne peuvent pas être présentés au Tribunal, il vous faut continuer, et la seule façon de continuer votre exposé est de citer vos témoins.

Dr HORN

Dans ce cas, puis-je vous demander de bien vouloir m’accorder cinq minutes, afin que je puisse me mettre d’accord avec un de mes témoins ; après quoi, je le ferai venir à la barre ?

LE PRÉSIDENT

Certainement. Attendez un instant... Oui,... M. Dodd ?

M. DODD

Monsieur le Président, en principe, je ne refuserais pas cinq minutes à un avocat. Toutefois, le témoin en question est là depuis longtemps ; il a attendu de comparaître toute la journée d’hier. Je pense que le Dr Horn lui a déjà parlé ; il a eu suffisamment d’occasions de conférer avec lui. Il savait qu’il allait le citer, car il en a demandé la permission au Tribunal. Je crois qu’il s’agit presque d’un cas d’obstruction.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal décide que le témoin doit être appelé immédiatement.

Dr HORN

Je demande alors l’autorisation de faire comparaître Mademoiselle Blank comme témoin.

(Le témoin Margarete Blank vient à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Voulez-vous me dire votre nom ?

TÉMOIN MARGARETE BLANK

Je me nomme Margarete Blank.

LE PRÉSIDENT

Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »

(Le témoin répète le serment.)
LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir.

Dr HORN

Depuis quand connaissiez-vous M. von Ribbentrop ?

TÉMOIN BLANK

J’ai fait sa connaissance au début de novembre 1934 à Berlin ; il était alors délégué aux questions de désarmement.

Dr HORN

Quand êtes-vous devenue la secrétaire de l’ancien ministre des Affaires étrangères von Ribbentrop ?

TÉMOIN BLANK

Le 1er novembre 1934, j’entrai comme secrétaire dans le service de Ribbentrop. Sa secrétaire personnelle ayant donné sa démission et sa remplaçante ne s’étant pas présentée, M. von Ribbentrop me demanda si j’étais disposée à prendre ce poste. J’acceptai et je devins sa secrétaire particulière le 1er février 1935.

Dr HORN

Quelle était l’attitude de von Ribbentrop vis-à-vis de Hitler ?

TÉMOIN BLANK

Dans la mesure où j’ai pu l’observer, M. von Ribbentrop a toujours eu pour Hitler la plus grande admiration et le plus grand respect. Jouir de la confiance du Führer et la justifier par son travail et son attitude était le but suprême auquel il vouait tous ses efforts. Pour atteindre ce but, aucun sacrifice n’était trop grand. Dans l’exécution des tâches que lui confiait le Führer, il ne se ménageait absolument pas. Il ne parlait jamais de Hitler à ses subordonnés qu’en exprimant la plus vive admiration. Les distinctions que lui a accordées le Führer, par exemple l’insigne d’or du Parti, la mention de ses services dans un discours au Reichstag, une lettre de félicitations et de reconnaissance pour son 50e anniversaire, étaient pour von Ribbentrop la plus belle récompense de son dévouement.

Dr HORN

Est-il exact que Ribbentrop se rangeait aux opinions de Hitler, même s’il était d’un autre avis ?

TÉMOIN BLANK

Comme je l’ai déjà dit, en cas de divergences d’opinions avec le Führer, Ribbentrop subordonnait son propre avis à celui du Führer. Lorsque Adolf Hitler avait pris une décision, il devenait impossible de la critiquer. Vis-à-vis de ses subordonnés, M. von Ribbentrop présentait les opinions du Führer comme les siennes propres. Quand le Führer exprimait sa volonté, il la considérait comme un ordre militaire.

Dr HORN

A quoi attribuez-vous cette attitude ?

TÉMOIN BLANK

J’attribue cette attitude au fait que M. von Ribbentrop était convaincu que le Führer était le seul qualifié pour prendre des décisions en matière politique et, d’autre part, que M. von Ribbentrop, en sa qualité de fils d’officier et d’ancien officier lui-même, était lié au Führer par son serment de fidélité et se considérait comme un soldat chargé d’exécuter les ordres donnés et non point de les critiquer ou de les modifier.

Dr HORN

Avez-vous jamais entendu parler d’offres de démission présentées à plusieurs reprises par von Ribbentrop ?

TÉMOIN BLANK

Oui, c’est arrivé plusieurs fois ; à vrai dire, Ribbentrop n’avait pas l’habitude de parler de ses affaires personnelles à ses subordonnés. Je me rappelle seulement son offre de démission en 1941. Cette fois-là, comme les autres, la lettre de démission fut rédigée par Ribbentrop lui-même. Cette offre de démission était motivée par des conflits de compétence avec d’autres départements, dont l’ingérence dans le domaine des Affaires étrangères était telle que M. von Ribbentrop ne croyait plus pouvoir assumer la responsabilité de la politique étrangère du Reich.

Dr HORN

Comment furent accueillies ces offres de démission ?

TÉMOIN BLANK

Ces offres de démission furent refusées.

Dr HORN

Étiez-vous avec Ribbentrop pendant son ambassade en Angleterre ?

TÉMOIN BLANK

Oui.

Dr HORN

Est-il vrai que von Ribbentrop ait, pendant des années, travaillé à l’établissement d’une alliance étroite entre l’Allemagne et l’Angleterre ?

TÉMOIN BLANK

Oui. C’est pour cette raison que, durant l’été 1936, von Ribbentrop demanda au Führer de l’envoyer comme ambassadeur à Londres. L’accord naval de 1935 n’avait été qu’un début ; on envisageait pour plus tard un pacte de l’Air, mais, pour des raisons qui me sont inconnues, ce pacte ne fut pas conclu.

Dr HORN

Peut-être connaissez-vous le point de vue de von Ribbentrop sur la théorie anglaise de l’équilibre des forces sur le continent ?

TÉMOIN BLANK

Je sais, d’après de nombreuses déclarations de von Ribbentrop, qu’il croyait que l’Angleterre faisait encore sa politique traditionnelle d’équilibre. Sur ce point, sa conception était opposée à celle du Führer qui pensait que le développement de la Russie à l’Est constituait un facteur nouveau nécessitant une révision de l’ancienne politique d’équilibre ; en d’autres termes, que l’Angleterre avait un intérêt vital au renforcement de l’Allemagne. En raison de sa conception, von Ribbentrop, au moment de la crise polonaise, s’attendait à ce que l’Angleterre tînt ses engagements vis-à-vis de la Pologne.

Dr HORN

Quel but politique poursuivait von Ribbentrop en concluant le Pacte Tripartite ?

TÉMOIN BLANK

Le Pacte Tripartite devait empêcher l’extension de la guerre.

Dr HORN

Savez-vous si Ribbentrop s’efforça de tenir les États-Unis en dehors de la guerre ?

TÉMOIN BLANK

Oui, le Pacte Tripartite fut conclu dans ce but.

Dr HORN

Une autre question : quelle était l’attitude de von Ribbentrop dans les questions religieuses ?

TÉMOIN BLANK

Dans la mesure où j’ai pu en juger, l’attitude de von Ribbentrop vis-à-vis de l’Église était très tolérante.

Je crois savoir qu’il abandonna l’Église dès 1920, mais il n’a jamais exercé aucune pression dans ce sens sur son personnel ou plutôt il ne s’en occupait pas du tout. La tolérance allait si loin qu’il laissa vers 1935 les deux aînés de ses enfants suivre leur penchant et rentrer dans l’Église. A sa tolérance dans les questions personnelles de religion correspondait son point de vue en politique religieuse. Je me souviens par exemple d’un mémorandum adressé au Führer dans lequel von Ribbentrop préconisait une politique religieuse tolérante. Au cours de l’hiver 1944, il reçut l’évêque Heckel pour traiter avec lui des questions religieuses. A l’occasion d’un voyage à Rome en 1941 ou 1942, il eut une longue audience auprès du Pape.

Dr HORN

Von Ribbentrop n’était-il pas un homme de caractère fermé et peu communicatif ?

TÉMOIN BLANK

Oui. Bien qu’ayant été sa secrétaire personnelle pendant dix ans, je l’ai rarement vu d’humeur communicative. Son temps et sa pensée étaient si complètement absorbés par son travail, auquel il se dévouait corps et âme, qu’il n’y avait place pour rien d’autre. En dehors de sa femme et de ses enfants, von Ribbentrop n’avait pas d’amis intimes. Cela n’exclut pas qu’il ait été extrêmement soucieux du bien-être de ses subordonnés et que, dans des périodes difficiles, il ait fait beaucoup pour eux.

Dr HORN

Est-il vrai qu’à plusieurs reprises vous ayez remarqué certaines divergences de vue entre Ribbentrop et Hitler ?

TÉMOIN BLANK

Oui. Suivant son attitude habituelle, il ne parlait jamais de ces divergences avec ses subordonnés, mais je me souviens parfaitement qu’il y eut des moments où ces divergences de vue se sont fait sentir. Il arrivait alors que le Führer refusât pendant plusieurs semaines de recevoir von Ribbentrop. M. von Ribbentrop souffrait physiquement et moralement d’un tel état de choses.

Dr HORN

Dans la réalisation de sa politique étrangère, von Ribbentrop était-il indépendant ou devait-il suivre les ordres et directives de Hitler ?

TÉMOIN BLANK

Ribbentrop a souvent dit, en propres termes, qu’il n’était que le ministre responsable de la réalisation de la politique étrangère du Führer, signifiant par là qu’il n’était pas libre de déterminer sa politique. Par surcroît, même dans l’exécution des directives du Führer, il était lié par les instructions de Hitler. Ainsi par exemple, les rapports quotidiens d’information transmis par l’agent de liaison du ministère des Affaires étrangères auprès du Führer, l’ambassadeur Hewel, étaient souvent accompagnés de demandes de décision du Führer sur des questions de détail et de projets de télégrammes contenant les instructions pour les chefs de missions à l’étranger.

Dr HORN

Ribbentrop souffrait-il de ne pas pouvoir élaborer la politique étrangère dont il était responsable ?

TÉMOIN BLANK

Ribbentrop n’en a jamais parlé en ma présence ; mais j’en avais l’impression.

Dr HORN

Que pensait Hitler du ministère des Affaires étrangères ?

TÉMOIN BLANK

Il considérait les Affaires étrangères comme un corps de fonctionnaires fossiles, insuffisamment touché par le national-socialisme. J’ai su par des gens de son entourage qu’il se moquait souvent des Affaires étrangères. Il y voyait le refuge de la réaction et du défaitisme.

Dr HORN

Comment Ribbentrop a-t-il essayé de rapprocher les Affaires étrangères de Hitler ?

TÉMOIN BLANK

En février 1938, lorsqu’il prit les Affaires étrangères, Ribbentrop avait l’intention de transformer radicalement toute la diplomatie allemande. Il voulait aussi entreprendre des réformes fondamentales dans la formation des jeunes diplomates. Mais à cause de la guerre, ces mesures restèrent à l’état de projets. Pendant la guerre, elles furent reprises quand le problème du recrutement des fonctionnaires des Affaires étrangères devint aigu. Ribbentrop, toujours désireux de diminuer l’animosité du Führer envers les Affaires étrangères, le laissa pourvoir quelques-uns des postes de chefs de missions à l’étranger non par des diplomates professionnels, mais par d’anciens chefs SS et SA.

Dr HORN

Quelles étaient les opinions de Ribbentrop et ses intentions vis-à-vis de la Russie ?

TÉMOIN BLANK

Les intentions de von Ribbentrop vis-à-vis de la Russie sont exprimées par le Pacte de non-agression et d’amitié conclu au mois d’août 1939 et par l’accord commercial de septembre 1939.

Dr HORN

Saviez-vous qu’on avait conclu à Moscou autre chose qu’un pacte de non-agression et un accord commercial ?

TÉMOIN BLANK

Oui, il y eut également un pacte secret.

GÉNÉRAL RUDENKO

Messieurs, il me semble que le témoin, cité en sa qualité de secrétaire de l’ancien ministre des Affaires étrangères du Reich, von Ribbentrop, ne peut témoigner que sur la personnalité de l’accusé, son genre de vie, son caractère, etc. Mais ce témoin est absolument incompétent en matière de politique étrangère, d’accords, etc. C’est pourquoi je considère que cette question est absolument inadmissible et je demande qu’elle soit retirée.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, la même question s’est posée au sujet de l’affidavit du Dr Gaus, n’est-ce pas ? Vous avez dit, je crois, que vous deviez produire un affidavit du Dr Gaus sur un accord secret entre... Vous ne me comprenez pas ? Je vous demande pardon, c’est le Dr Seidl qui devait produire un affidavit du Dr Gaus concernant cet accord. C’est exact, n’est-ce pas ?

Dr HORN

Je crois que oui.

LE PRÉSIDENT

Le Procureur Général soviétique s’est opposé à ce qu’on se référât à cet accord avant que l’affidavit, au cas où il serait admis, soit examiné. Cet accord est-il écrit ?

Dr HORN

Non.

LE PRÉSIDENT

Cet accord entre le Gouvernement soviétique et l’Allemagne n’a pas été rédigé ?

Dr HORN

Parfaitement, c’est un accord écrit, mais je ne suis pas en possession d’une copie de cet accord ; je prierai donc le Tribunal, au cas où la décision dépendrait de l’affidavit du Dr Gaus, de me permettre de présenter en temps voulu un affidavit de Mademoiselle Blank qui a vu l’original. Votre Honneur accepte-t-il cette proposition ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, avez-vous une copie de l’accord lui-même ?

Dr SEIDL

Monsieur le Président, il n’existe que deux copies de cet accord. Le premier exemplaire est resté à Moscou le 23 août 1939 ; l’autre a été apporté à Berlin par Ribbentrop. Suivant un communiqué publié dans la presse, toutes les archives des Affaires étrangères ont été saisies par les troupes de l’Union Soviétique. Je demande donc que l’on propose au Gouvernement soviétique ou à la délégation soviétique de soumettre au Tribunal l’original de ce traité.

LE PRESIDENT

Je vous ai posé une question, Docteur Seidl, je ne vous ai pas demandé une argumentation. Je vous ai demandé si vous aviez à votre disposition une copie de cet accord.

Dr SEIDL

Je n’ai pas de copie du traité. L’affidavit de l’ambassadeur Gaus donne seulement le contenu de ce traité secret. Il peut le faire parce que c’est lui qui a rédigé le brouillon de ce traité secret. Ce traité a été signé par le commissaire aux Affaires étrangères Molotov et par M. von Ribbentrop exactement dans la forme dans laquelle il avait été rédigé par l’ambassadeur Gaus. C’est tout ce que j’avais à dire.

LE PRÉSIDENT

Oui, Général Rudenko ?

GÉNÉRAL RUDENKO

Monsieur le Président, je voudrais donner l’explication suivante : je puis renvoyer maître Seidl à la presse qui a publié ce Pacte germano-russe de non-agression du 23 août 1939, quand il déclare que le texte en a été saisi par l’Armée soviétique au moment où elle s’est emparée des archives du ministère des Affaires étrangères. C’est de notoriété publique.

En ce qui concerne les autres accords, le Ministère Public soviétique estime que la requête du Dr Seidl, aux fins de mention au procès-verbal de l’affidavit du Dr Gaus, doit être rejetée pour les raisons suivantes : le témoignage du Dr Gaus sur ce pacte et sur les pourparlers précédant immédiatement la conclusion du pacte germano-soviétique de 1939 n’est pas pertinent. La présentation de telles déclarations qui, d’ailleurs, jettent une lumière absolument fausse sur les événements, ne pourrait être considérée que comme un acte de provocation. C’est confirmé clairement par le fait que Ribbentrop lui-même a refusé ce témoin alors que ses déclarations portent sur l’activité de Ribbentrop, tandis que l’avocat de Hess a accepté cet affidavit et a demandé qu’il figurât au procès-verbal, bien qu’il n’ait aucun rapport avec l’activité de Hess.

C’est pour ces motifs que je prie le Tribunal de rejeter la requête présentée par maître Seidl et de considérer la question posée par maître Horn comme étrangère aux faits qui retiennent actuellement notre attention.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, voulez-vous dire quelque chose ?

Dr SEIDL

Puis-je ajouter encore quelques mots ? Les déclarations du Ministère Public soviétique ne nous sont parvenues que partiellement dans la traduction. Je n’ai pas très bien compris si le général Rudenko conteste la signature de ce traité secret ou s’il prétend seulement que le contenu de ce traité n’est pas pertinent. Dans le premier cas, je réitère ma demande de citation à la barre des témoins du commissaire soviétique aux Affaires étrangères Molotov. Dans le second cas, je demande qu’on me donne la possibilité de développer maintenant mes arguments sur la pertinence de ce traité secret.

LE PRÉSIDENT

Pour l’instant, nous allons considérer l’objection présentée contre la déposition du témoin présent. Nous ne nous occuperons pas de votre question. L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal désire faire remarquer à la Défense qu’on n’a pas fait mention du traité allégué dans la requête relative au témoin qui se trouve actuellement à la barre. Mais, comme le sujet a été soulevé, le Tribunal décide que le témoin peut être interrogé sur ce point.

Dr HORN

Vous veniez de parler de ce traité secret. Comment avez-vous eu connaissance de la conclusion de ce traité ?

LE PRÉSIDENT

On me communique que mes paroles ont été mal traduites en russe. Je ne sais pas si elles l’ont été correctement en allemand. En tout cas, j’ai dit que le témoin pouvait être interrogé, et non qu’il ne pouvait pas l’être. C’est bien clair ?

Dr HORN

Je vous remercie, Monsieur le Président ; j’avais bien compris la réponse. (Au témoin.) Puis-je maintenant vous demander, au sujet de cet accord secret, comment vous avez eu connaissance de la conclusion de ce traité ?

TÉMOIN BLANK

Pour des raisons de santé, je n’ai pu accompagner M. von Ribbentrop lors de ses deux voyages en Russie J’étais absente également lors des travaux préparatoires de ces deux traités. J’ai appris l’existence de l’accord secret par enveloppe spécialement cachetée qui, suivant les instructions, était classée séparément et qui portait la mention : « Accord germano-russe supplémentaire ou secret ».

Dr HORN

Vous étiez bien responsable de la conservation des documents secrets ?

TÉMOIN BLANK

Oui.

Dr HORN

Je vais maintenant passer à un autre domaine en vous posant la question suivante : von Ribbentrop s’efforça-t-il de maintenir à tout prix l’accord avec la Russie ?

TÉMOIN BLANK

En tant que signataire des accords germano-soviétiques, von Ribbentrop s’efforça évidemment de maintenir ces traités. En outre, il était convaincu du danger que présentait pour l’Allemagne une guerre germano-soviétique et c’est dans ce sens qu’il a donné des informations et des avertissements au Führer. Si je me souviens bien, il a rappelé de Moscou le conseiller d’ambassade Hilger et l’attaché Schnurre, et les a fait venir à Berchtesgaden dans ce but. C’est dans le même but qu’au printemps 1941, l’ambassadeur von der Schulenburg dut venir faire un rapport pour soutenir et corroborer les avertissements donnés au Führer par M. von Ribbentrop.

Dr HORN

Savez-vous si von Ribbentrop savait à l’avance que Hitler avait l’intention de réunir l’Autriche au Reich ?

TÉMOIN BLANK

Au moment de l’invasion de l’Autriche, l’ambassadeur von Ribbentrop qui, en février, avait été nommé ministre des Affaires étrangères, était à Londres pour prendre congé. C’est là que le surprit l’annonce de l’Anschluss. Il avait personnellement envisagé une autre solution de la question de l’Autriche, sur la base d’une union économique.

Dr HORN

Savez-vous si Ribbentrop a fait des tentatives pour mettre fin à la guerre par la voie diplomatique ?

TÉMOIN BLANK

Oui. C’est ainsi, par exemple, qu’il envoya l’ambassadeur Professeur Berber en Suisse, au cours de l’hiver 1943-1944. Plus tard, il intensifia ses efforts en envoyant M. von Schmieden à Berne et le Dr Hesse à Stockholm. Comme le Führer n’avait donné aucune autorisation officielle pour ouvrir des négociations, il ne pouvait s’agir que d’établir à quelles conditions des pourparlers pourraient être entamés entre l’Allemagne et les Alliés.

L’ambassadeur von Bibra, chargé d’affaires à Madrid, le Consul général Möllhausen à Lisbonne et l’ambassadeur d’Allemagne auprès du Vatican, von Weizsäcker, reçurent des missions semblables. Un ancien membre des services de Ribbentrop, qui vivait à Madrid, fut chargé de sonder le Gouvernement britannique.

Le 20 avril, M. von Ribbentrop me dicta encore un mémorandum détaillé pour le Führer dans lequel il demandait l’autorisation officielle d’entamer des négociations. Ayant quitté Berlin, je n’ai pas su le résultat de cette demande.

Dr HORN

Avez-vous su, dans votre service, quelle fut l’attitude de principe de Hitler à ce sujet ?

TÉMOIN BLANK

D’après ce que j’ai pu entendre dire par des personnes de son entourage, je sais que le Führer ne se promettait rien de pareilles démarches et qu’il n’eût été favorable à de tels pourparlers que si nous avions eu des succès militaires. Mais lorsque nous avions des succès militaires, il s’opposait encore à toute initiative diplomatique. Pour la mission du Dr Hesse, Hitler, après l’échec de cette mission, aurait dit que, de toute façon, il n’en attendait rien.

Dr HORN

Encore une question : est-il vrai que von Ribbentrop n’ait eu connaissance de l’invasion imminente de la Norvège et du Danemark que très peu de temps avant le début de cette opération ?

TÉMOIN BLANK

Oui, seulement quelques jours avant.

Dr HORN

Saviez-vous si von Ribbentrop pensait que l’Angleterre combattrait pour la Pologne ?

TÉMOIN BLANK

Oui. Étant convaincu que l’Angleterre maintiendrait sa politique d’équilibre traditionnelle, il pensait qu’elle tiendrait ses engagements envers la Pologne.

Dr HORN

Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Un autre avocat désire-t-il poser des questions au témoin ? Le Ministère Public le désire-t-il ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le Ministère Public a examiné en détail cette question. Il espère que le Tribunal ne considérera pas qu’il a accepté toutes les déclarations du témoin, mais il estime que ces sujets seront mieux traités par l’accusé lui-même ; c’est pourquoi il n’a pas l’intention de contre-interroger le témoin.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

(Le témoin quitte la barre.)
Dr SEIDL

Monsieur le Président, le Tribunal a autorisé la question se rapportant au traité secret. Le témoin connaissait seulement l’existence du traité, mais ne connaissait rien de son contenu. Je prie le Tribunal de me dire si, en permettant que la question soit posée au témoin, le Tribunal a également pris une décision en ce qui concerne l’admissibilité de l’affidavit de l’ambassadeur Gaus et s’il m’est possible, en conséquence, de citer un extrait de cet affidavit.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que l’affidavit a été soumis au Ministère Public ?

Dr SEIDL

Lundi dernier, c’est-à-dire il y a trois jours, j’ai transmis six copies de cet affidavit à la section de traduction et au lieutenant Schrader, du centre de documentation de la Défense, et je suppose qu’après trois jours le Ministère Public en a reçu une copie.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, le Ministère Public n’a pas reçu les exemplaires de cette déclaration. Je ne l’ai pas encore vue, pas plus que mon ami M. Dodd, ni mes autres collègues, le général Rudenko ou M. Champetier de Ribes.

LE PRÉSIDENT

Je pense qu’il vaut mieux alors attendre que le document soit entre les mains du Ministère Publie. A ce moment, nous considérerons la question.

Dr SEIDL

Monsieur le Président, je crois avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire remettre cet affidavit au Ministère Public. Je ne puis exercer aucune influence sur le fonctionnement des services du Secrétariat général, et je demanderai l’aide du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Personne n’a dit que vous aviez tort en la matière, Docteur Seidl.

Oui, Docteur Horn ?

Dr HORN

Je cite ensuite comme témoin le ministre Paul Schmidt.

(Le témoin vient à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Quel est votre nom ?

TÉMOIN Dr PAUL OTTO SCHMIDT

Je me nomme Schmidt.

LE PRÉSIDENT

Votre nom complet ?

TÉMOIN SCHMIDT

Dr Paul Otto Schmidt.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »

(Le témoin répète le serment.)
Dr HORN

Témoin, vous avez participé, avant le début de la guerre, à un certain nombre d’entretiens décisifs entre l’ambassadeur anglais Sir Nevile Henderson et des membres du Gouvernement du Reich. Est-il vrai que vous avez assisté à l’entretien du 30 août 1939 entre l’accusé von Ribbentrop et Sir Nevile Henderson ?

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue jusqu’à 13h45.

(L’audience est suspendue jusqu’à 13 h. 45.)