QUATRE-VINGT-TREIZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 28 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Témoin, est-il exact que vous ayez assisté à la conférence du 30 août 1939, entre l’accusé von Ribbentrop et l’ambassadeur de Grande-Bretagne, Sir Nevile Henderson ?
Oui, c’est exact.
Où cette conférence eut-elle lieu ?
Cette conférence eut lieu dans le cabinet de travail du ministre des Affaires étrangères, au ministère, à Berlin.
En quelle qualité avez-vous participé à cette conférence ?
J’ai participé à cette conférence en tant qu’interprète et rédacteur du procès-verbal.
Depuis quand remplissiez-vous ces fonctions au ministère des Affaires étrangères et auprès de qui étiez-vous affecté ?
Depuis l’année 1923, j’ai travaillé au ministère des Affaires étrangères en tant qu’interprète de conférence, et en cette qualité j’ai travaillé pour tous les ministres des Affaires étrangères, depuis Stresemann jusqu’à von Ribbentrop, de même que pour un certain nombre de chanceliers du Reich, tels que Hermann Millier, Marx, Brüning, Hitler, et pour d’autres membres du cabinet et délégués, qui représentaient l’Allemagne à des conférences internationales. J’ai donc, depuis 1923, participé comme interprète à toutes les conférences internationales où l’Allemagne était représentée.
Avez-vous eu l’occasion, au cours de cet entretien entre von Ribbentrop et Sir Nevile Henderson, de servir d’interprète ?
Non. Je n’ai pas eu l’occasion de le faire, cette conversation ayant eu lieu en allemand.
L’ambassadeur Henderson savait-il parfaitement l’allemand ?
L’ambassadeur Henderson savait assez bien l’allemand, mais pas parfaitement, de sorte qu’il pouvait arriver qu’à des moments d’énervement, il ne comprît pas parfaitement certaines choses, ce que démontre justement un incident qui eut lieu lors de cette conférence. De même, il ne lui était pas toujours facile de s’exprimer en allemand, mais pour ses entretiens avec des Allemands, il préférait en général se servir de la langue allemande.
Au cours de cet entretien, von Ribbentrop a lu à l’ambassadeur Henderson un mémoire contenant les propositions allemandes, au sujet d’un règlement des questions pendantes entre l’Allemagne et la Pologne. Je vous demande, maintenant, témoin, si, au cours de cet entretien, Henderson vous a demandé de lui traduire le contenu du mémoire lu par M. von Ribbentrop ?
Non, il ne me l’a pas demandé.
Avez-vous eu l’impression, d’après l’attitude de M. Henderson, qu’il avait complètement compris le contenu de ce mémoire ?
C’est évidemment très difficile à dire. On ne peut pas voir ce qui sa passe dans l’esprit de quelqu’un, mais je doute qu’il ait compris tous les détails de ce document.
En lisant ce document, von Ribbentrop a-t-il donné à Sir Nevile Henderson des commentaires explicatifs ?
Oui, pendant la lecture de ce document, le ministre des Affaires étrangères donnait, de temps en temps, des explications sur certains points qui pouvaient paraître obscurs.
Sir Nevile Henderson demandait-il lui-même ces explications ?
Non, Sir Nevile Henderson était assis et il écoutait la lecture du document, ainsi que les explications qui furent fournies.
Quelle était l’atmosphère de cette conférence ?
L’atmosphère de cette conférence, je peux bien le dire, était assez chargée d’électricité. Les deux hommes d’État étaient extraordinairement nerveux, Henderson était très agité ; quant au ministre des Affaires étrangères, je ne l’avais jamais encore vu et plus tard je ne l’ai vu qu’une seule autre fois, aussi nerveux que ce jour-là. Pour donner une idée de cette atmosphère, je pourrais peut-être citer un incident qui a eu lieu pendant la première partie de cet entretien. Il s’agissait, du côté allemand, de préciser une fois de plus les différents points de contestations à l’égard de la Pologne et du Gouvernement polonais, et le ministre des Affaires étrangères venait de le faire en détail et il avait terminé ses explications par les paroles suivantes : « Vous voyez donc, Sir Nevile Henderson, que la situation est diablement grave ». Lorsque Sir Nevile Henderson entendit ces mots « diablement grave », il sursauta, se souleva à moitié sur son siège, et levant le doigt d’un air menaçant vers le ministre des Affaires étrangères, il lui dit :
« Vous avez dit « diablement », ce n’est pas là le langage d’un homme d’État dans une situation aussi grave ».
A quelle charge de l’Accusation ces questions se rapportent-elles ?
Elles se rapportent à la charge selon laquelle Ribbentrop aurait lu cet important mémoire du 30 août 1939 si rapidement que l’ambassadeur Henderson n’aurait pas été en mesure d’en saisir le contenu pour le transmettre à son Gouvernement et demander à son Gouvernement de le transmettre au Gouvernement polonais, pour permettre ainsi de continuer les négociations entre l’Allemagne et la Pologne. La Grande-Bretagne avait alors offert sa médiation aux deux Gouvernements. L’Allemagne...
A quel passage de l’Acte d’accusation faites-vous allusion ? Vous avez peut-être raison, je n’en sais rien. Je veux simplement savoir à quel passage de l’Acte d’accusation vous faites allusion.
Cela se rapporte à l’accusation d’avoir préparé ou de n’avoir pas empêché la guerre d’agression, et, sous ce rapport, Ribbentrop est accusé comme co-conspirateur.
C’est bien à la page 9, le point F 4 ? Il n’y a rien sur la façon dont ce document a été transmis à Sir Nevile Henderson. Vous avez sans doute l’Acte d’accusation. Où se trouve ce passage dans l’Acte d’accusation ?
Le Ministère Public a exposé cette affaire, ici, à l’audience, et elle a également été évoquée à la Chambre des Communes où M. Chamberlain a déclaré que ce mémoire avait été lu par M. von Ribbentrop si vite qu’il avait été impossible d’en enregistrer le contenu et de le transmettre par la voie diplomatique, conformément aux offres expresses de l’Angleterre. En conséquence, l’accusé von Ribbentrop est directement accusé d’avoir fait obstacle à la dernière possibilité de négociation avec la Pologne. Le témoignage que je me propose d’obtenir du témoin doit démontrer que l’accusation portée contre Ribbentrop n’est pas fondée.
Docteur Horn, vous voulez parler de la façon dont a été lu le mémoire. Mais ce point n’est absolument pas mentionné dans l’Acte d’accusation. Peut-être le Ministère Public y a-t-il fait allusion, mais ce n’est probablement pas la peine d’en parler plus longuement.
Vous me permettez donc de continuer. (Au témoin.) Vous aviez donc l’impression que les deux hommes d’État étaient très énervés ?
Oui, c’est l’impression que j’avais.
Quelles étaient, selon vous, les raisons de cet énervement ?
L’atmosphère tendue des négociations, les nombreux entretiens qui avaient eu lieu pendant les jours précédents d’une manière presque ininterrompue et qui demandaient de la part de tous les participants une grande dépense nerveuse.
Est-il exact que von Ribbentrop, comme le prétend dans son livre Sir Nevile Henderson, ait dit en termes vraiment inélégants, que jamais il ne demanderait à l’ambassadeur de Pologne de lui rendre visite.
Je ne m’en souviens pas. Le ministre des Affaires étrangères a dit simplement qu’il ne pouvait recevoir l’ambassadeur de Pologne pour des négociations ou des discussions que si cet ambassadeur était muni des pleins pouvoirs.
Et ces pleins pouvoirs, l’ambassadeur Lipski les possédait-il ?
A la question que lui posa le ministre des Affaires étrangères, au cours de sa visite, l’ambassadeur Lipski répondit très clairement : non. Il n’avait pas de pouvoirs pour négocier.
Et c’est alors que Ribbentrop a déclaré à Sir Nevile Henderson qu’il ne pouvait pas recevoir l’ambassadeur, n’est-ce pas ?
Non, je parle d’un entretien du ministre des Affaires étrangères avec l’ambassadeur de Pologne, au cours duquel von Ribbentrop demanda à l’ambassadeur de Pologne s’il avait les pleins pouvoirs pour négocier ; ce dernier répondit à cette question par la négative, sur quoi le ministre des Affaires étrangères déclara qu’il ne pouvait alors être question de discussion entre eux.
Von Ribbentrop n’a pas remis à l’ambassadeur Henderson le mémoire dont nous avons parlé. Avez-vous l’impression que Ribbentrop n’a pas remis le texte de cet ultimatum à l’ambassadeur de Grande-Bretagne parce qu’il ne voulait pas, ou parce qu’il ne pouvait pas le faire ?
Il m’est difficile de donner une réponse précise à cette question, parce que je n’ai pas assisté aux entretiens préliminaires que dut avoir Hitler avec le ministre des Affaires étrangères avant cette conférence avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne. Je ne peux donc parler que de mes impressions au cours de l’entretien avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne, et je ne peux qu’en tirer des conclusions à posteriori sur les instructions qui peuvent avoir été données à Ribbentrop par Hitler. Je peux néanmoins dire ceci : lorsque Henderson a demandé qu’on lui remette le document contenant les propositions allemandes, le ministre des Affaires étrangères a dit textuellement : Non, je ne peux pas vous donner ce document ». Ce procédé était évidemment assez inhabituel, car Sir Nevile Henderson pouvait s’attendre normalement à ce qu’on lui remît le document qui venait d’être lu. J’ai été moi-même très étonné de cette déclaration, et j’ai levé les yeux car j’ai eu l’impression d’avoir mal compris ; j’ai regardé le ministre des Affaires étrangères et je l’ai entendu répéter :
« Je ne peux pas vous remettre ce document ». Mais j’ai vu qu’il lui était pénible d’avoir à le dire, et qu’il devait être conscient de la situation difficile dans laquelle il se mettait par cette réponse, car il avait un sourire assez gêné, tout en disant d’une voix calme « Je ne peux pas vous remettre le document ». J’ai alors regardé Sir Nevile Henderson, parce que je m’attendais à ce qu’il me demande de lui traduire ce document, mais il ne me le demanda pas. J’ai pris alors l’initiative de regarder Henderson avec insistance parce que je désirais traduire ce document, car je savais qu’il était d’une extrême importance que le contenu de ce document fût transmis rapidement et complètement au Gouvernement britannique. Si l’on m’avait demandé de le faire, j’aurais traduit très lentement, presque dicté, pour pouvoir au moins, par ce moyen détourné, donner à l’ambassadeur de Grande-Bretagne la possibilité de noter non seulement la ligne générale, mais encore les détails des propositions allemandes, afin qu’il pût les transmettre à son Gouvernement. Mais, malgré mes égards insistants, Sir Nevile Henderson ne réagit pas, de sorte que l’entretien fut rapidement terminé et que les événements suivirent leur cours.
C’est vous qui, au matin du 3 septembre 1939, avez reçu l’ultimatum anglais au Gouvernement allemand ?
Oui, c’est exact.
A qui avez-vous transmis cet ultimatum ?
Le matin du 3, l’ambassade de Grande-Bretagne a téléphoné entre 2 et 3 heures, à la Chancellerie du Reich, où je me trouvais encore avec le ministre des Affaires étrangères, afin d’être disponible en cas d’entretien éventuel, pour nous communiquer que l’ambassadeur de Grande-Bretagne avait reçu des instructions de son Gouvernement, selon lesquelles il devait le matin à 9 heures précises, faire une communication importante au ministre des Affaires étrangères du Reich au nom du Gouvernement britannique ; il demandait donc à être reçu, à cette heure, par M. von Ribbentrop. Ce dernier lui fit répondre que lui-même n’était pas libre, mais qu’il chargerait un membre du ministère des Affaires étrangères — il s’agissait en l’occurrence de moi — de prendre connaissance à sa place de la communication du Gouvernement de Grande-Bretagne par l’intermédiaire de son ambassadeur. C’est ainsi que le matin à 9 heures je reçus l’ambassadeur de Grande-Bretagne dans le cabinet de travail du ministre des Affaires étrangères du Reich. Henderson refusa de s’asseoir et lut debout l’ultimatum bien connu adressé par le Gouvernement britannique au Gouvernement allemand, aux termes duquel si un certain nombre de conditions n’étaient pas remplies par l’Allemagne, l’Angleterre se considérerait à 11 heures du matin comme étant en état de guerre avec l’Allemagne.
Après avoir échangé avec lui quelques paroles d’adieu, je pris possession de ce document et me rendis à la Chancellerie du Reich.
A qui avez-vous remis ce document ?
A la Chancellerie du Reich, j’ai remis ce document à Hitler, c’est-à-dire que je l’ai trouvé en train de s’entretenir dans son cabinet avec le ministre des Affaires étrangères du Reich, et je lui ai traduit ce document en allemand. Lorsque ma traduction fut terminée, il y eut d’abord un grand silence.
Hitler était-il seul dans cette pièce ?
Non, comme je viens de le dire, il se trouvait dans son cabinet de travail avec le ministre des Affaires étrangères. Lorsque ma traduction fut terminée, ils restèrent tous les deux silencieux pendant environ une minute. Je pouvais voir que ce développement de la situation ne leur était pas agréable. Hitler est resté pendant un certain temps assis sur sa chaise, pensif, fixant son regard dans l’espace, d’un air soucieux. Puis, il rompit le silence en demandant brusquement au ministre des Affaires étrangères : « Que devons-nous faire maintenant ? » Alors, ils ont commencé à s’entretenir des mesures diplomatiques à prendre d’urgence, à voir s’il fallait convoquer tel ou tel ambassadeur, etc. Je quittai la pièce puisque je n’avais plus rien à y faire. En arrivant dans l’antichambre, j’ai trouvé, je l’avais d’ailleurs déjà remarqué en entrant, un certain nombre de membres du Cabinet du Reich et d’autres hauts fonctionnaires qui m’avaient lancé des regards interrogateurs au moment où j’étais entré, car ils savaient que j’avais eu un entretien avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne, et auxquels j’avais répondu qu’il n’y aurait pas de second Munich. En sortant, je vis à leurs regards soucieux qu’ils avaient bien compris ce que j’avais voulu dire et quand je leur ai appris que je venais de remettre un ultimatum britannique à Hitler, un silence consterné régna dans la pièce. Les visages devinrent graves et je me souviens encore par exemple que Göring qui se trouvait devant moi, s’est retourné et m’a dit : « Si nous perdons cette guerre, que Dieu ait pitié de nous ». Goebbels était seul dans un coin, l’air très grave, pour ne pas dire consterné. Cette atmosphère déprimante se traduisait sur les visages de tous les assistants. Je conserve encore aujourd’hui l’impression précise de cette ambiance qui régnait, le premier jour de la guerre, dans l’antichambre de la Chancellerie du Reich.
Vous n’avez donc pas eu l’impression que ces hommes s’attendaient à une déclaration de guerre ?
Non, je n’ai pas eu cette impression.
Témoin, avez-vous eu l’occasion d’observer les réactions de Ribbentrop à l’annonce de l’attaque japonaise contre Pearl-Harbour ?
Je n’ai pas pu le voir directement. Mais au ministère des Affaires étrangères, il était bien connu que le ministre des Affaires étrangères et tout le ministère avec lui avaient été surpris par la nouvelle de l’attaque de Pearl-Harbour. Cette impression m’a été confirmée par une information reçue d’un membre de notre service de presse. Le service de presse possédait une station d’écoute radiotélégraphique. Quand il s’agissait d’informations importantes, l’officier de service avait ordre d’aviser immédiatement le ministre en personne. Lorsque cette station d’écoute reçut la première information sur Pearl-Harbour, l’officier de service jugea que la nouvelle était d’une importance suffisante pour nécessiter un rapport direct à son chef, le chef du service de presse, qui devait transmettre à son tour cette information au ministre des Affaires étrangères. Ce dernier aurait renvoyé l’officier assez rudement en disant qu’il s’agissait certainement d’une invention de la presse, d’un « bobard » et que le service de presse ne devait pas le déranger pour des histoires de ce genre. Puis, arrivèrent une deuxième, puis une troisième information sur Pearl-Harbour. Je crois que la station d’écoute capta également une information de l’agence Reuter. Le chef du service de presse rassembla alors tout son courage et malgré la défense qui lui avait été faite, annonça à nouveau la nouvelle au ministre.
Docteur Horn, le Tribunal estime que ce témoignage n’est absolument pas pertinent.
Mais on accuse également von Ribbentrop d’avoir préparé la guerre d’agression contre les États-Unis.
Oui, mais vous parlez de la réaction de la presse. En quoi cette réaction vous intéresse-t-elle ?
Le témoin a montre comment avait réagi von Ribbentrop à l’annonce de l’attaque de Pearl-Harbour. Il ne savait pas que le Japon devait attaquer Pearl-Harbour ni surtout l’Amérique. Il n’y a jamais eu d’accord entre l’Allemagne et le Japon à ce sujet. Il n’est donc pas exact de dire que von Ribbentrop ait préparé une guerre d’agression contre les États-Unis.
Vous parliez de la presse. Je ne dis pas que vous ne deviez pas demander au témoin si le ministère des Affaires étrangères était au courant ou non de l’attaque de Pearl-Harbour, mais je dis que le Tribunal ne s’intéresse pas aux réactions de la presse et les juge non pertinentes.
Témoin, vous avez assisté en Angleterre aux entretiens qui ont mené à la conclusion de l’accord naval entre l’Allemagne et l’Angleterre. Pouvez-vous nous dire comment se sont déroulés ces entretiens, si Ribbentrop était vraiment sincère et quels étaient les buts qu’il poursuivait ?
J’ai assisté à ces entretiens comme interprète. On peut dire qu’ils se sont déroulés normalement après qu’un certain nombre de difficultés eussent été surmontées.
Votre Honneur, si j’ai bien compris, il s’agit de l’accord naval de 1935. Si je me souviens bien, c’est une des questions que nous avons discutées au moment des demandes de témoins. Le Tribunal a décidé de ne pas considérer les négociations antérieures à la conclusion de ce traité. Deux ou trois témoins devaient parler de ces négociations préliminaires et, Je crois, traiter le point précis sur lequel le Dr Horn a posé sa dernière question, c’est-à-dire l’état d’esprit de l’accusé Ribbentrop. Il y en a un ou deux, dont Lord Monsell, qui figuraient sur la liste des témoins refusés par le Tribunal ; une grande quantité de témoins allemands ont été refusés pour la même raison. Cela se trouve dans la déclaration du Tribunal du 26 février et Votre Honneur verra à la page 2, je crois, le nom du témoin Monsell que je me trouve connaître, mais je suis sûr qu’il y a aussi d’autres témoins. Nous avons longuement discuté cette question, lors de la présentation des témoins.
Sir David, quels étaient les autres témoins ?
J’ai ici une liste des témoins refusés. Il y avait l’amiral Schuster, qui figurait en tant qu’initiateur du traité, Sir Robert Craigie, n° 24, et Lord Monsell.
Oui, il a été refusé.
Toujours pour la même raison, c’est le n° 25. Je crois que c’étaient là les trois témoins.
Docteur Horn, qu’en dites-vous ? Ces trois témoins, Schuster, Craigie et Monsell, que vous avez proposés pour apporter un témoignage sur ce traité de 1935, ont tous été refusés. Le témoin que vous êtes en train d’interroger n’a pas à parler de cette question. Il n’a été cité qu’en sa qualité d’interprète aux Affaires étrangères.
Je croyais que les autres témoins avaient été refusés parce que leurs déclarations étaient susceptibles de faire double emploi. Je n’ai d’ailleurs pas l’intention de questionner le témoin sur l’accord naval, mais seulement sur l’attitude de Ribbentrop au moment de la conclusion de cet accord et après, afin de montrer au Tribunal, qu’à ce moment-là du moins, Ribbentrop n’a pas agi de propos délibéré dans le sens d’une guerre d’agression et que, à ce moment-là du moins, il ne participait pas à un complot pour préparer une guerre d’agression. De plus, je veux démontrer que cette convention n’était pas un leurre comme l’a prétendu l’ambassadeur anglais, Sir Nevile Henderson.
Voici la requête que vous avez présentée au sujet de l’ambassadeur Craigie : le témoin peut déclarer qu’en 1935, Ribbentrop avait fait des avances à l’Angleterre pour la signature d’un traité naval et Ribbentrop avait obtenu de sa propre initiative l’accord de la France à ce traité qui était lié au Traité de Versailles. Ainsi ce traité a été réalisé.
N’est-ce pas sur ce point que vous vouliez interroger le témoin ?
Non.
Si vous ne voulez rien lui demander sur le traité naval de 1935, vous pouvez continuer.
Témoin, en 1944, vous avez assisté à un entretien entre Horthy et Hitler à Klessheim, auquel a participé également von Ribbentrop et au cours duquel il a été question de la solution du problème juif en Hongrie. Que dit Ribbentrop à ce sujet ?
Au cours même de l’entretien, surgirent des difficultés, Hitler insistant auprès de Horthy pour que celui-ci prenne des mesures plus énergiques. Horthy lui répondit avec chaleur : « Mais que dois-je faire ? Je dois peut-être les tuer tous ! » Cela jeta un froid ; le ministre des Affaires étrangères s’adressant alors à Horthy lui dit : « Oui, il n’y a que deux possibilités : celle-ci ou l’internement », puis — c’était assez exceptionnel — il me dit par derrière que les exigences de Hitler dans ce sens allaient tout de même un peu loin.
Le 25 août 1939, vous avez assisté à une conférence entre Hitler, Henderson et Ribbentrop au cours de laquelle Ribbentrop et Hitler ont exprimé une fois de plus leur désir d’arriver à une entente avec la Pologne par l’intermédiaire de la Grande-Bretagne. Est-il exact que Ribbentrop vous ait ensuite envoyé, avec le compte rendu de cette conférence, chez l’ambassadeur Henderson pour le prier de faire tous ses efforts pour réaliser ce projet ? Est-ce exact ?
Oui, c’est exact.
Puis-je présenter au Tribunal une copie de ce télégramme de Sir Nevile Henderson à Lord Halifax, document TC-72 (69). (Au témoin.) Est- il exact, témoin, que le 28 août 1939, M. von Ribbentrop, au cours d’un nouvel entretien avec Sir Nevile Henderson, ait insisté une fois de plus sur la nécessité d’une entente entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne pour le règlement de la question polonaise, selon le vœu le plus cher de Chamberlain tel que le Premier Ministre anglais l’avait exprimé à Ribbentrop, qui l’avait alors répété à Henderson. Est-ce exact ?
C’est exact.
Puis-je transmettre au Tribunal la note correspondante, à titre de preuve ?
Vous déposez une copie comme preuve ?
Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire au document.
La référence ?
Le premier numéro a déjà été communiqué par le Ministère Public. Il porte le n° TC-72 et un autre numéro, qui a été également communiqué par le Ministère Public. Je le présente à nouveau au Tribunal parce que je m’y suis référé, document TC-72 (76). (Au témoin.) Une dernière question, témoin : au cours de votre importante carrière d’interprète, vous avez certainement été à même d’observer Hitler dans ses rapports avec les diplomates étrangers. Quelle est, à votre avis, l’impression produite par Hitler sur les hommes d’État étrangers ?
Il n’est pas facile de répondre à cette question, car on ne lit pas dans le cœur ni dans le cerveau des gens, mais un observateur, cependant, peut tirer des conclusions de certaines attitudes...
Docteur Horn, le Tribunal ne pense pas que cette question soit vraiment pertinente. L’influence que le comportement de Hitler pouvait avoir sur des hommes d’État étrangers ne nous intéresse pas.
Je retire donc cette question. Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Un autre avocat désire-t-il poser des questions ?
Témoin, avez-vous assisté à un entretien qui eut lieu environ un an avant le début de la guerre, entre Lord Londonderry et le Feldmarschall Göring à Karinhall ?
Oui, j’ai assisté à cet entretien.
Veuillez nous parler très brièvement de cet entretien.
Je ne puis me souvenir des détails après si longtemps ; cependant, je me rappelle encore que cet entretien avait pour but le rapprochement germano-britannique ou plutôt l’élimination de certains points de conflit entre l’Allemagne et l’Angleterre ; naturellement, nombre de questions techniques concernant le trafic aérien et l’Aviation furent traitées accessoirement.
J’ai gardé en particulier le souvenir d’une déclaration de Göring au cours de cet entretien quand, à la fin d’une discussion destinée à prouver combien il était souhaitable que l’Allemagne et l’Angleterre restassent en paix et en bonne intelligence, il dit à peu près ceci : « Si nos deux pays devaient entrer en conflit, il y aurait naturellement un vainqueur et un vaincu, mais le vainqueur de ce terrible conflit, au moment de la victoire, aurait tout juste la force de porter le coup fatal au vaincu avant de tomber lui-même grièvement blessé ; c’est pourquoi nos deux pays devraient s’efforcer d’aboutir à une entente sans conflit et sans guerre. »
Avez-vous participé aux négociations de Munich au cours de l’automne 1938 ?
Oui, j’ai pris part à ces négociations.
Göring, alors Feldmarschall, y assistait-il aussi ?
Il n’était pas là pendant la première partie des négociations, mais plus tard, quand le nombre des participants s’accrut, il prit part aux négociations.
Comment a-t-il participé aux négociations ?
Il a exprimé son avis sur des questions de détail d’importance secondaire, mais la manière dont il le faisait montrait qu’il s’efforçait, par ses interventions, d’éliminer toutes les difficultés techniques susceptibles d’empêcher la poursuite de la conférence. Autrement dit, il tenait à éviter un échec de cette conférence de Munich sur des points techniques de procédure qui jouèrent un rôle important dans la seconde partie des négociations.
Avez-vous assisté à la conversation qui eut lieu en octobre 1937, entre Lord Halifax et le Feldmarschall Göring, à la suite d’un entretien entre Lord Halifax et Hitler au Berghof ?
Oui, j’y ai assisté.
Je vous prie de résumer brièvement cet entretien.
Je dois dire d’abord que l’entretien entre Hitler et Lord Halifax à l’Obersalzberg n’avait abouti à aucun résultat. Les deux interlocuteurs n’avaient pu se rapprocher d’aucune manière ; par contre, dans l’entretien avec Göring, l’atmosphère était meilleure. Pourtant, on y traita des mêmes questions qu’à l’Obersalzberg, les-problèmes d’actualité du moment, l’Anschluss, la question des Allemands des Sudètes, et finalement le problème du Corridor et de Dantzig. Hitler avait traité toutes ces questions sans montrer aucune intention de compromis et avait exigé plus ou moins que la solution qu’il envisageait fût acceptée par l’Angleterre, tandis que Göring, pendant cette conversation, a toujours insisté sur la préférence qu’il accordait à une solution pacifique ; c’est-à-dire obtenue par la voie des négociations, déclarant que tout devait être mis en œuvre dans ce but et qu’il était persuadé que, si ces négociations étaient menées d’une manière convenable, on pourrait trouver une solution aux trois questions envisagées.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Témoin, vous avez assisté à de très nombreuses conférences politiques du Führer. En ces occasions, avez-vous eu l’occasion de constater que des chefs militaires importants aient essayé de pousser Hitler à agrandir le territoire de l’Allemagne par des moyens pacifiques ou par la guerre ?
Non, je n’ai pas constaté de tentatives de ce genre de la part de personnalités militaires car, lors des négociations politiques, les militaires n’assistaient généralement pas au début des conférences où l’on traitait des grands problèmes et on ne les faisait venir que lorsqu’on traitait de problèmes purement militaires ; même dans ce cas, ils n’avaient à prendre position que sur des questions de caractère purement militaire et ils n’avaient pas à donner leur avis sur les questions politiques.
J’ai encore une autre question à poser :
à l’occasion de pareils entretiens, avez-vous pu constater si les hautes personnalités militaires s’efforçaient d’exercer une influence politique sur le Gouvernement du Reich ?
Non, je ne l’ai pas constaté, il était d’ailleurs impossible de faire une telle constatation, car, en général, les militaires n’assistaient pas aux conférences.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
Témoin, je voudrais tout d’abord que vous exposiez très brièvement au Tribunal, le caractère général de vos opinions. Vous souvenez-vous de l’affidavit que vous avez donné le 28 novembre à Oberursel ? Vous vous en souvenez ?
Je ne me souviens plus de la date, mais je me rappelle avoir rédigé un affidavit.
Voulez-vous le voir ? (Le document est remis au témoin.)
Au paragraphe 1, vous faites le bilan de l’expérience que vous avez acquise : nombre de conférences, etc.
Votre Honneur, j’ai omis de dire que ce document portait le n° PS-3308 (GB-288). (Au témoin.) Au paragraphe 2, vous donnez les fondements mêmes de votre expérience ; voulez-vous suivre pendant que je lis :
« Mon succès et la situation que j’ai occupée au ministère des Affaires étrangères, je les dois au fait que je me suis toujours fait un devoir de connaître à fond les sujets qui étaient en discussion. Je me suis toujours efforcé d’acquérir une connaissance précise de la mentalité de Hitler et des autres personnalités dirigeantes. Pendant tout le régime de Hitler, je me suis toujours efforcé de me tenir très au courant des événements touchant aux Affaires étrangères et aux organisations similaires. Ma situation me permettait d’abord de parler directement aux personnalités qui occupaient les positions-clefs, dans leurs bureaux mêmes. »
Voulez-vous maintenant suivre le troisième paragraphe où, vous donnez l’opinion que vous en avez déduite sur les objectifs de la politique étrangère :
« Dès le début, les objectifs principaux des chefs nazis furent manifestes : c’était la domination du continent européen, premièrement par l’incorporation au Reich de tous les groupes de langue allemande et, deuxièmement par une expansion territoriale sous le slogan d’« espace vital ». La réalisation de ces objectif s fondamentaux semble avoir été caractérisée par l’improvisation. Chaque pas en avant était apparemment provoqué par le développement de la situation, mais l’ensemble s’accordait avec l’objectif final que j’ai mentionné plus haut. »
C’est bien cela, Monsieur Schmidt ? Cela rend bien votre pensée ?
Oui.
Maintenant, avant de passer à des points particuliers, je voudrais que vous développiez ces impressions personnelles. Vous nous avez dit que vous aviez travaillé sous ou avec tous les ministres de Affaires étrangères depuis Stresemann. Avez-vous remarqué une différence considérable entre le train de vie des ministres nazis et celui des ministres qui les avaient précédés ?
Il y avait une certaine différence de train de vie.
Prenons l’accusé Ribbentrop : l’accusé Ribbentrop, avant d’entrer dans la politique, n’avait-il pas une maison à Berlin-Dahlem, Lenze Allée, 19, je crois. Cette maison lui appartenait-elle ?
Oui, c’est exact.
Puis une fois ministre des Affaires étrangères, il eut six maisons ? Je vais vous les remettre en mémoire en les énumérant et vous me direz si je me trompe. Il avait une maison à Sonnenburg, dans les environs de Berlin, avec un domaine de 750 hectares et un golf privé.
Oui, je sais qu’il avait une maison à Sonnenburg mais je ne sais pas de quelle importance.
Puis un autre domaine à Tanneck par Düren, près d’Aix-la-Chapelle, dans lequel il élevait des chevaux.
Je ne suis pas au courant.
Puis une autre maison près de Kitzbühel pour chasser le chamois.
Je ne connais pas bien cela non plus.
Pas en détail, mais vous connaissiez son existence ?
Il est bien possible qu’il ait eu cette maison, mais je ne sais rien de plus précis.
Puis, évidemment, le château de Fuschl, en Autriche, n’est-ce pas ?
Près de Salzbourg, oui.
Près de Salzbourg, c’est exact. C’était une résidence officielle ; je vous demanderai des détails un peu plus tard.
Puis il avait une propriété de chasse en Slovaquie appelée « Pustepole » n’est-ce pas ?
Je connais ce nom. Je sais aussi que M. von Ribbentrop y allait parfois chasser, mais je ne sais pas qui en était propriétaire.
Enfin il avait aussi un pavillon de chasse qui avait appartenu au comte Czernin, près de Podersan en Bohême, dans le pays des Sudètes ?
Il y avait un rendez-vous de chasse dont je ne connais pas le nom où l’on reçut différentes personnalités, par exemple le comte Ciano ; mais je crois que c’était un autre nom.
Oui, celle où fut reçu Ciano c’est celle que je vous indique ; je crois qu’elle avait effectivement appartenu au comte Czemin.
Dites-moi, les ministres du Reich avaient-ils un traitement fixe ?
Je n’ai pas compris la question.
Je vais vous la poser clairement : y avait-il un traitement, c’est-à-dire une rémunération fixe annuelle prévue pour les ministres du Reich ?
Oui, c’est exact.
De combien ?
Je ne peux pas le dire.
Le montant en était-il tenu secret ?
Non, ce n’est pas parce que je ne puis pas vous donner de renseignements, mais je ne m’intéressais pas du tout au montant du traitement des ministres du Reich.
Vous ne le savez pas ?
Non.
Si vous me dites que vous ne le savez pas, cette réponse me suffit. Je pense que vous pouvez peut-être répondre à une autre question. Y a-t-il eu précédemment un ministre des Affaires étrangères du Reich qui ait été capable d’entretenir six maisons de campagne et propriétés d’importance différente avec son traitement, parmi ceux avec lesquels vous avez travaillé ?
Je ne peux vous dire s’ils avaient la possibilité de le faire, mais ils ne l’ont pas fait.
Ils ne l’ont pas fait. Mais laissons cela pour l’instant.
Maintenant, je voudrais que vous pensiez aux événements de mai 1939, à peu près quatre mois avant la guerre, au moment où la question polonaise commença à se poser, je veux dire où elle devenait de première importance. Vous souvenez-vous que Ribbentrop ait donné alors ce que les gens du ministère des Affaires étrangères allemand appelaient, je crois, une « conduite de langage » à l’usage du baron von Weizsäcker ?
Non, je n’en ai pas entendu parler ou tout au moins je ne m’en souviens pas.
Je vais vous aider, peut-être allez-vous vous le rappeler ?
« Le problème polonais sera résolu par Hitler dans les 48 heures ; les puissances occidentales seront incapables d’aider la Pologne ; l’Empire britannique sera hors de cause avant dix ans ; la France se saignera à mort si elle essaie d’intervenir. »
Ne vous souvenez-vous pas d’une « conduite de langage » dans ce sens donnée par le ministre des Affaires étrangères ?
Je ne me souviens pas d’une « conduite de langage » de ce genre. Cela me paraît ressembler plutôt à une « conduite de langage » pour la propagande.
Ne vous souvenez-vous pas que von Ribbentrop donna des instructions interdisant à tout fonctionnaire des Affaires étrangères d’émettre une opinion différente ?
Il est exact que l’on devait s’en tenir aux « conduites de langage ».
Et vous souvenez-vous de ce qu’il dit au baron von Weizsäcker sur le sort qui attendrait celui qui exprimerait des vues différentes ?
Non, je ne m’en souviens pas, mais je puis imaginer que de sévères punitions menaçaient l’intéressé. Mais je ne me souviens pas du terme précis.
Ne vous souvenez-vous pas qu’il ait dit qu’il le tuerait de ses mains ?
Il est parfaitement possible qu’il ait tenu un tel propos dans un moment de colère, mais je ne crois pas qu’il ait pu le dire sérieusement.
Mais vous pouvez sans doute vous souvenir — je vous le suggère — de la détresse et de l’embarras du baron von Weizsäcker qui ne savait comment exposer cette décision à la conférence officielle du ministère des Affaires étrangères ; vous en souvenez-vous ?
A cette époque, je n’étais pas encore admis aux conférences du matin ; n’ayant pas assisté à cette conférence, je ne peux donc rien dire, mais je peux imaginer dans quel embarras se trouva le secrétaire d’État pour traduire cette décision en langage officiel.
Maintenant, je vais revoir rapidement les questions qui vous ont été posées au sujet des événements d’août 1939. Je veux simplement éclaircir les faits.
Vous souvenez-vous vous être trouvé avec Hitler au moment où il attendait les réactions des puissances occidentales après le pacte soviétique ?
Non, je me trouvais avec la Délégation à Moscou et non pas aux côtés de Hitler.
Vous êtes donc revenu le 24 avec l’accusé Ribbentrop ?
Oui, mais je suis resté à Berlin sans aller à Berchtesgaden.
Bien, Maintenant vous souvenez-vous que Hitler reçut Sir Nevile Henderson le 25 à 1h30 et lui remit ce qu’on a appelé une « note verbale » ; vous en souvenez-vous ?
Je crois que je n’ai pas assisté à cette conférence parce que j’étais alors à Moscou. Il doit être possible d’établir la date. Je n’ai pas assisté à une conférence entre Hitler et l’ambassadeur britannique à l’Obersalzberg qui eut lieu pendant notre voyage à Moscou ; je crois que c’est de cette conférence que vous parlez ?
C’est le jour qui suivit le retour de l’accusé de Moscou ?
Non, je n’y étais pas ; j’étais resté à Berlin.
Je voulais seulement vous rappeler la date ; si vous n’y étiez pas, je passe à autre chose ; mais étiez-vous présent quand M. Attolico, l’ambassadeur d’Italie, remit une communication de Mussolini ?
Oui.
Vous y étiez ?
Oui.
C’est le jour dont je vous parle. Vous souvenez-vous d’une communication remise par M. Attolico cet après-midi-là dans laquelle il était dit que l’Armée et l’Aviation italiennes n’étaient pas en état de faire la guerre ?
Oui.
Je vous demande d’essayer de m’aider parce que la date et l’heure sont très importantes : n’était-ce pas vers 3 heures de l’après-midi ?
C’est possible, mais étant donné le nombre de conférences qui eurent lieu à cette époque, je mélange un peu les heures et les dates.
Et vous souvenez-vous qu’on apprit vers 4 heures que le traité anglo-polonais serait signé le même soir ?
Oui, certainement, je m’en souviens.
Et vous souvenez-vous que M. Coulondre, l’ambassadeur de France, eut, vers 4 heures, un entretien avec Hitler ?
Oui, je m’en souviens.
Maintenant saviez-vous que ce jour-là, les ordres d’attaque de la Pologne pour le matin suivant avaient été rapportés ?
Je me souviens en effet que des ordres militaires ont été rapportés, mais je n’ai évidemment pas pu savoir de quoi il s’agissait exactement.
Je ne vous le demande pas, Monsieur Schmidt, mais vous avez su que des ordres avaient été annulés. Peut-être pouvez-vous m’aider sur ce point : le retrait de ces ordres n’a-t-il pas eu lieu à 6h15 (18h15), c’est-à-dire après l’entrevue avec l’ambassadeur de France, M. Coulondre. Est-ce à cette heure-là ?
Je ne sais vraiment plus si c’était à cette heure.
Pouvez-vous également aider le Tribunal à éclaircir le point suivant : est-ce que ces ordres n’ont pas été donnés vers 2 heures (14 heures), après l’entrevue avec Sir Nevile Henderson ? Vous en souvenez-vous ?
Non.
Je vois, vous ne pouvez pas nous aider sur ce point.
Bien, maintenant, je ne veux pas m’attarder sur l’entretien de la nuit du 30 au 31 août entre Sir Nevile Henderson et l’accusé Ribbentrop, excepté pour une question : vous nous avez dit que l’accusé Ribbentrop était très énervé ; en lisant les conditions a-t-il élevé la voix, crié ?
Non.
Comment se manifesta donc sa nervosité ?
Par quelques incidents survenus auparavant, au cours de l’entretien ; j’ai parlé de l’un d’eux ; c’est alors que sa nervosité s’est manifestée, mais pas durant la lecture du document.
Bien. Mais vous vous souvenez, et vous en avez été abasourdi, qu’il refusa de donner ce document de première importance à l’ambassadeur de Grande-Bretagne ?
Oui, certainement.
Je voudrais savoir si vous pouvez nous renseigner sur un ou deux autres incidents ? Un témoin que nous avons entendu hier a déclaré que l’accusé Ribbentrop ne savait à peu près rien des camps de concentration ; je veux éclaircir cette assertion. Je crois que vous pouvez peut-être nous renseigner au sujet d’un ou deux internés qu’il connaissait particulièrement. Vous souvenez-vous d’un homme du nom de Martin Luther ? Pas l’homme religieux, mais un contemporain.
Oui.
Vous souvenez-vous que l’accusé Ribbentrop le fit entrer dans ses bureaux du service Ribbentrop en 1936 ?
Je ne suis pas sûr de l’année, mais je sais qu’il est entré au service.
Bien, je pense qu’il n’a pas été reçu avec enthousiasme par les fonctionnaires plus anciens du ministère des Affaires étrangères allemand ?
Non, certainement pas.
M. Luther avait eu précédemment quelques ennuis à propos d’une somme de 4.000 Reichsmark.
Oui, nous l’avons appris plus tard.
Mais, cependant, il entra au ministère des Affaires étrangères et eut un avancement rapide, il fut nommé conseiller d’ambassade puis sous-secrétaire d’État, n’est-ce pas exact ?
Oui.
Vous souvenez-vous qu’en 1943 il eut une discussion violente avec l’accusé Ribbentrop ?
Oui.
Et il suggéra à Himmler — par l’intermédiaire du lieutenant Büttner je crois — que l’état mental de Ribbentrop ne lui permettait plus de conserver son poste de ministre des Affaires étrangères proposant de nommer à sa place Werner Best, je crois. Vous en souvenez-vous ?
Oui, je m’en souviens, mais je ne me rappelle pas qu’il ait proposé Best comme successeur.
En tous cas, il suggéra que Ribbentrop devrait s’en aller ; je crois qu’il a parlé sans ambages ; il déclara, je crois, que ses facultés mentales n’étaient plus à la hauteur.
Je n’ai pas vu le texte en question. J’en ai seulement entendu parler.
Et en conséquence, après une entrevue avec lui, Ribbentrop fit envoyer Luther dans un camp de concentration ?
Je ne sais pas si ce fut sur l’initiative de Ribbentrop ou autrement, mais on a dit au service que Luther avait fini par aller dans un camp de concentration.
Bien. Les événements se sont déroulés comme suit : Luther entre en désaccord avec Ribbentrop et peu après on le retrouve dans un camp de concentration. Et non seulement il alla dans un camp de concentration, mais n’est-il pas exact que les SS elles-mêmes demandèrent son élargissement et que Ribbentrop ne voulut pas l’accorder ?
Je ne peux pas le dire parce que toute l’affaire fut naturellement traitée assez discrètement dans le service et par Ribbentrop ; le ministre n’avait pas assez de confiance dans les membres de l’ancien ministère des Affaires étrangères, dont j’étais, pour les mettre au courant de tous ces détails. Donc, pour cette affaire Luther, je n’ai pu que recueillir différentes rumeurs par des moyens plus ou moins réguliers ; je ne puis donc vous donner d’authentiques renseignements ; je ne puis que répéter ce que j’ai entendu dire officieusement.
Je suis sûr que vous voulez être parfaitement franc vis-à-vis du Tribunal ; je prétends que tout le monde au ministère des Affaires étrangères savait que Luther avait été envoyé dans un camp de concentration et que l’accusé Ribbentrop le savait sûrement. Est-ce vrai ?
Oui. Certainement.
Eh bien ! Passons à un autre incident qui se rapporte aussi, si je puis dire, à son extraordinaire naïveté en ce qui concerne les camps de concentration. Vous vous souvenez de ces deux infortunés, Monsieur et Madame von Rämitz à qui le château de Fuschl appartenait ? Je crois qu’ils s’appelaient Rämitz ou Ränitz ; vous souvenez-vous de ce nom ?
Oui.
Bien le château de Fuschl... Comment prononce-t-on ce mot ?
Pour cette question, je ne suis...
Je vous demande comment ce mot se prononce ?
Fuschl.
Merci.
Le château de Fuschl appartenait aux gens que je viens de mentionner. Madame von Rämitz était la sœur d’August Thyssen, n’est-ce pas ?
Je ne peux rien dire là-dessus car toutes ces questions concernent la vie privée de M. von Ribbentrop et je n’avais rien à voir dans ce domaine. Mes rapports avec lui étaient purement officiels, limités aux questions de routine administrative et à mon activité d’interprète au ministère des Affaires étrangères. J’ai seulement entendu parler des autres questions ; aussi ne puis-je donner de renseignements authentiques sur ces questions.
Bon, je veux simplement vous poser une question. Après que le château fut devenu la propriété ou tout au moins ait été mis à la disposition du ministre des Affaires étrangères, M. von Rämitz ne passa-t-il pas quelques années dans un camp de concentration où il finit par mourir ? Vous le saviez n’est-ce pas ?
Je savais que c’était un bruit qui courait ; On m’a dit que les choses s’étaient passées ainsi.
Et n’a-t-il pas pu entendre d’autres histoires sur les camps de concentration bien plus terribles que celles-ci ?
Je ne crois pas qu’on ait eu des renseignements authentiques sur les conditions de vie dans les camps de concentration, car naturellement, et surtout vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères, ces questions étaient tabou pour les responsables des camps de concentration, car ils considéraient que, n’étant pas absolument sûrs, nous devions rester en dehors de ces affaires. Aussi ces faits nous étaient-ils soigneusement cachés, si bien qu’aucun détail précis et concret ne nous est jamais parvenu.
Mais vous saviez, même au ministère des Affaires étrangères, qu’il existait un grand nombre de camps de concentration dans lesquels étaient enfermés une immense quantité de gens ?
Nous le savions, mais notre principale source d’information était la presse étrangère que nous lisions naturellement et la radio étrangère dont nous trouvions chaque matin sur notre table le texte des émissions.
Puisque vous étiez mis au courant par la presse et la radio étrangères même si aucun de ceux qui sont sur ce banc des accusés ne connaissait ces camps de concentration, l’accusé Ribbentrop au moins, en tant que ministre des Affaires étrangères, en savait quelque chose. C’est exact ?
Je veux dire qu’il avait naturellement ces informations de l’étranger. Mais il m’est difficile de dire quelle valeur il leur attribuait, s’il en tenait compte ou s’il les jugeait complètement fausses ou exagérées. Il recevait ces informations en tant que telles et, puisque nous étions en état de guerre, en tant qu’informations émanant de pays ennemis.
Je ne veux pas pousser plus loin, mais je voudrais que vous me disiez encore ceci : vous nous avez donné un compte rendu de l’entrevue avec Hitler, Ribbentrop et Horthy, le 17 avril 1943, au cours de laquelle fut discutée la question des Juifs. Je voudrais seulement que le procès-verbal de ces débats mentionne que votre rapport est basé sur le fait que vous avez rédigé ce compte rendu et que vous l’avez signé.
Oui.
Je voudrais passer à un autre point. De 1943 à 1945, continuiez-vous toujours à aller au Quartier Général de Hitler pour, servir d’interprète ou pour assister à des réunions ?
Oui.
Par exemple — je ne sais si vous vous en souvenez, mais je suis sûr que vous essayerez — le 27 février 1944, vous rappelez-vous une visite du maréchal Antonesco ?
Oui.
Assistiez-vous à cette visite ?
Je me souviens que j’assistais toujours aux visites d’Antonesco, puisqu’il n’aurait pas été possible autrement de mener la discussion, mais je ne peux pas vous dire maintenant la date précise.
C’était le 27 février. Je veux essayer de fixer cette date par un incident qui pourrait vous rappeler qu’Antonesco y était ; maintenant, vous souvenez-vous que l’accusé Dönitz assistait à cette réunion ?
C’est possible, mais je n’ai pas de souvenir précis ; pendant les discussions d’ordre militaire, il est très possible qu’il ait été présent, oui.
Votre Honneur, le document est le GB-207 (Tome V, page 256). Il portait primitivement le n° D-648. (Au témoin.) Je voudrais que vous disiez au Tribunal ce que vous savez de l’organisation du Gouvernement. On a présenté au Tribunal beaucoup de documents établissant que la Reichs-regierung ne s’est pas réunie à partir du début de la guerre. Plusieurs personnes en ont témoigné. Le Gouvernement de l’Allemagne n’était-il pas assuré, au lieu de réunions de cabinet, par les réunions régulières tenues au Quartier Général du Führer ?
C’est possible, mais je ne puis le savoir de façon précise, puisque je n’ai jamais assisté à une de ces conférences privées ; je n’allais au Grand Quartier Général que lorsque j’avais à y accompagner un étranger.
Vous y alliez seulement quand il y avait un étranger. Mais vous saviez qu’avaient constamment lieu des réunions auxquelles assistaient l’accusé Göring, l’accusé Speer, l’accusé Keitel, l’accusé Jodl, l’accusé Dönitz.
Je ne sais pas si l’on peut qualifier de réunions ces conférences.
Je n’ai pas l’intention de jouer sur les mots. Je me sers du mot pour qualifier un fait ; si vous préférez appeler cela des conférences, je n’y vois pas d’inconvénients.
J’admets que des conférences pouvaient avoir lieu à l’occasion quand les personnes que vous venez de nommer se trouvaient au Quartier Général.
Je pense que nous sommes d’accord sur le fait que dans la mesure où l’on peut parler d’un organisme ou d’une organisation qui gouvernait l’Allemagne, ces conférences ou réunions au Quartier Général de Hitler représentaient bien ce Gouvernement de l’Allemagne, n’est-ce pas ?
Oui, mais je ne sais pas si l’on peut les considérer comme un organisme gouvernemental parce que si je peux les comparer aux conférences auxquelles j’assistais avec des personnalités étrangères, je puis dire que la seule personne qui parlât et prît les décisions était Hitler. S’il en était de même à ces conférences, on peut les qualifier de conférences gouvernementales, mais c’était le gouvernement d’un despote ; les autres n’étaient là qu’en tant qu’auditeurs ou pour être entendus sur des points de détails. C’est ainsi que je l’imagine, mais je n’assistais pas à ces réunions.
Je comprends ce que vous voulez dire. Mais cependant c’était au cours de ces conférences que les services, les ministères et les organisations — tels les SS, par l’intermédiaire du Reichsführer Himmler — pouvaient exposer leur point de vue à Hitler et lui présenter les faits d’après lesquels il prenait alors les décisions ? C’est ce qui s’est passé pendant les deux dernières années de la guerre, n’est-ce pas ?
C’est ce qu’on aurait pu conclure de la présence des personnalités en question, mais, comme je viens de le dire, il se pourrait aussi qu’ils n’aient été appelés au Quartier Général que pour recevoir des ordres. Il y a donc ces deux possibilités et je ne peux pas dire celle qui est la plus vraisemblable.
En tout cas, je crois que vous êtes d’accord sur le fait qu’il n’y avait pas d’autre lieu où le Gouvernement allemand aurait pu se réunir ?
Oui, c’est exact.
Voulez-vous avoir la bonté de suivre encore sur votre déclaration. Je vais lire le reste de cette déclaration. C’est très bref, mais je voudrais qu’elle figure au procès-verbal. Paragraphe 4 :
« Le putsch d’Autriche et l’assassinat de Dollfuss, le 25 juillet 1934, ont profondément troublé le personnel du ministère des Affaires étrangères parce que ces événements discréditaient l’Allemagne aux yeux du monde. Il était notoire que le putsch avait été préparé par le Parti et ce putsch suivait de si près l’épuration sanglante en Allemagne qu’on ne pouvait s’empêcher de penser à l’analogie des méthodes nazies en politique intérieure et en politique extérieure. Le souci que leur causaient les répercussions du putsch s’augmenta bientôt quand ils reconnurent que ces événements conduisaient au Pacte franco-soviétique du 5 décembre 1934, un accord défensif que les nazis ne voulurent pas considérer comme un avertissement.
« 5. L’annonce, en mars, de la création d’une Armée de l’air allemande et de l’introduction de la conscription fut suivie, le 2 mai 1935, de la conclusion d’un pacte d’assistance mutuelle entre la France et l’Union Soviétique. Le personnel du ministère des Affaires étrangères a considéré ce fait comme un avertissement sérieux sur les conséquences possibles de la politique étrangère allemande. Mais les chefs nazis ont seulement raidi leur attitude envers les puissances de l’Ouest en déclarant qu’ils ne se laisseraient pas intimider. A cette époque, les fonctionnaires de carrière ont au moins exprimé leurs réserves au ministre des Affaires étrangères, von Neurath. Je ne sais pas si oui ou non von Neurath, à son tour, a rapporté ces avis à Hitler.
« 6. La réoccupation de la Rhénanie a été précédée en février, de préparatifs sur le plan diplomatique de la part des nazis. Un communiqué allemand du 21 février 1936 a réaffirmé que le Pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle était incompatible avec le Traité de Locarno et le Statut de la Société des Nations. Le même jour, Hitler a déclaré dans une interview qu’il n’y avait aucun motif de conflit entre l’Allemagne et la France. Si l’on pense aux déclarations de Mein Kampf, offensantes pour la France, on voit que la scène avait été réglée pour justifier des actes ultérieurs. Je ne sais pas combien de temps à l’avance on avait décidé de la réoccupation de la Rhénanie.
« Personnellement, je le savais et j’en avais parlé environ deux ou trois semaines avant l’événement. On avait exprimé des craintes, notamment dans les cercles militaires, au sujet des risques de cette entreprise. Au ministère des Affaires étrangères on éprouvait des craintes analogues. Il était cependant notoire au ministère des Affaires étrangères que Neurath, la seule personnalité des cercles gouvernementaux consultée par Hitler, pensait que la Rhénanie pourrait être remilitarisée sans qu’il y ait d’intervention armée de la Grande-Bretagne et de la France. La position de Neurath pendant toute cette période conduisit Hitler à avoir plus confiance en Neurath qu’en tous les diplomates de la vieille école pour lesquels Hitler n’avait pas grande considération. »
Vient ensuite un paragraphe concernant les sanctions contre l’Italie, ce qui, je crois est hors du sujet ; puis le paragraphe 8 continue ainsi :
« Les plans d’annexion de l’Autriche formaient dès le début une partie du programme nazi. L’opposition de l’Italie après l’assassinat de Dollfuss a obligé temporairement à traiter avec plus de prudence ce problème, mais l’application des sanctions contre l’Italie par la Société des Nations ainsi que l’augmentation rapide de la puissance militaire allemande, rendirent plus certaine la reprise du programme autrichien. Lorsque Göring se rendit à Rome au début de 1937, il déclara que l’union de l’Autriche et de l’Allemagne était inévitable et devait se produire tôt ou tard. Mussolini, entendant ces mots en allemand, resta silencieux et ne protesta que faiblement lorsque je les eus traduits en français. La réalisation de l’Anschluss était essentiellement une affaire du Parti dans laquelle le rôle de Papen était de maintenir superficiellement des relations diplomatiques calmes, tandis que le Parti usait de voies détournées pour créer les conditions du mouvement attendu. Le discours de Papen du 18 février 1938, à la suite de la réunion de Berchtesgaden, interprétait l’accord de Berchtesgaden comme un premier pas vers l’établissement d’une fédération d’États de l’Europe centrale sous la direction de l’Allemagne. Ceci fut généralement tenu aux Affaires étrangères comme l’annonce prophétique d’une plus grande Allemagne qui comprendrait l’Autriche. »
Il est dit au dernier paragraphe que ces déclarations sont vraies et que vous avez fait cet affidavit volontairement et sans contrainte. C’est exact, n’est-ce pas Monsieur Schmidt ?
Encore une question et j’en aurai fini. Il est exact que, pendant la période où il a été ministre des Affaires étrangères, l’accusé Ribbentrop a fait entrer au ministère des Affaires étrangères beaucoup de gens qui avaient occupé un rang dans les SS ou les SA ?
Oui, il s’agissait là surtout de membres de ce qu’on a appelé le service Ribbentrop, c’est-à-dire son ancienne organisation. Un certain nombre d’entre eux furent pris au ministère, mais pas tous.
Merci.
Est-ce qu’un autre membre du Ministère Public désire procéder à un contre-interrogatoire ?
Docteur Horn, désirez-vous interroger à nouveau le témoin ?
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, je voudrais poser une question au témoin.
Pouvez-vous me dire qui vous représentez ?
Dr Loeffler, défenseur des SA. (Au témoin.) Témoin, vous avez assisté à la visite d’hommes d’État étrangers.
Étiez-vous également présent lors de la visite des hommes d’État pendant les Jeux Olympiques de 1936 ?
Oui.
Un de ces hommes d’État a-t-il exprimé le désir de visiter des installations allemandes et en particulier les créations sociales du national-socialisme, avant ou après 1936 ?
Je ne me souviens plus si quelqu’un a exprimé ce désir au moment des Jeux Olympiques, mais que ces désirs aient été exprimés et qu’on y ait donné suite, c’est ce qui ressort clairement d’un certain nombre de faits, par exemple de la visite de Lloyd George à l’Obersalzberg qui fut suivie de la visite des réalisations sociales en Allemagne et des visites de nombreuses personnalités étrangères qui semblaient s’intéresser vivement aux créations sociales allemandes.
Avez-vous assisté personnellement à ces inspections ? Vous souvenez-vous d’une visite à laquelle vous ayez assisté ?
Non, je n’assistais généralement pas à ces visites. Je me souviens simplement que le Front du Travail avait une organisation nommée « Joie et Travail ». C’était une organisation internationale qui tenait un grand congrès annuel à Hambourg. J’ai souvent servi d’interprète à ces congrès.
Savez-vous quelle était l’impression faite sur les hommes d’État étrangers par ces institutions ?
A mon avis, l’impression était presque toujours favorable.
Vous souvenez-vous de la visite du Prince de Galles en Allemagne ?
Oui. J’y assistais également comme interprète.
Quel rapport ces faits présentent-ils avec les charges de l’Acte d’accusation ? Docteur Loeffler, vous auriez dû poser ces questions au moment où j’ai demandé si d’autres avocats avaient des questions à poser. Vous aviez dit non ou vous l’aviez laissé entendre. Vous dites que vous allez poser une seule question et vous en avez posé je ne sais combien, vous allez en poser encore ; je crois que, de l’avis du Tribunal, toutes ces questions sont hors du sujet.
Monsieur le Président, les questions que je pose ont été motivées par le contre-interrogatoire de Sir David. Sir David a mentionné les SA et je dois questionner le témoin dans ce sens.
Sir David n’a posé aucune question concernant les conditions sociales en Allemagne et les Jeux Olympiques de 1936. De toute manière, ce n’est pas à vous de mener un contre-interrogatoire.
Monsieur le Président, les questions que j’ai posées ici sont importantes, car ces visites et les déclarations auxquelles elles donnèrent lieu de la part des hommes d’État étrangers donnèrent à beaucoup de membres de nos organisations l’impression que les hommes d’État étrangers exprimaient leur reconnaissance aux chefs nationaux-socialistes de l’Allemagne ; c’est d’une importance décisive pour la question de la culpabilité ou de l’innocence de millions d’Allemands que je représente ici, car des millions d’Allemands ont considéré l’attitude de ces hommes d’État comme faisant autorité. Ce n’est donc pas seulement recevable mais décisif pour nous et c’est le seul témoin qui puisse donner des informations authentiques sur ce sujet. Mais j’en ai déjà terminé avec ces questions sur les Jeux Olympiques et je n’en ai plus que deux à poser. Je vous prie de bien vouloir me les accorder, car Sir David...
Le Tribunal pense que les questions que vous posez n’ont pas été provoquées par le contre-interrogatoire et qu’elles ne sont pas pertinentes. Le Tribunal n’entendra pas d’autres questions.
En ce qui concerne...
Docteur Kubuschok, vous savez très bien que ce n’est pas le moment de poser des questions au nom de l’accusé von Papen. Vous avez eu l’occasion de le faire et vous ne l’avez pas saisie.
Monsieur le Président, il ne s’agit que de rectifier quelques mots qui ont probablement été mal traduits ; je n’ai pas reçu de copie de l’affidavit, mais j’ai entendu que cet affidavit mentionnait un discours de Papen du 8 ou du 18 février 1938...
Très bien. Si c’est exact, vous pouvez corriger toutes les fautes de traduction que vous voulez.
Je voudrais indiquer qu’ici les noms de Hitler et de von Papen ont été confondus. J’ai entendu dans la traduction le nom de Papen. Mais Papen n’a jamais fait de discours et toutes les conclusions qu’on en tire sont fausses.
Docteur Kubuschok, vous allez recevoir cet affidavit. Vous pourrez l’examiner.
Je considérerai cet affidavit et, le cas échéant, je rédigerai une requête aux fins de rectification.
Très bien. S’il y a une erreur dans la déclaration sous serment, cette erreur doit être rectifiée.
Dans le texte, il y a effectivement « Papen ». C’est absolument faux, car Papen n’a jamais fait un tel discours. Je vois dans le texte à la page 4 : « Discours prononcé par Papen ».
Votre Honneur, c’est ce que nous trouvons en fait dans cet affidavit. L’éminent avocat prétend que c’est faux, que l’accusé n’a jamais prononcé ce discours ; mais, avec tout le respect que je dois à mon éminent contradicteur, je propose qu’il puisse, pour réfuter l’affidavit, citer von Papen et le faire déposer.
Monsieur le Président, dans ce cas, ne serait-il pas opportun de demander au témoin s’il a vraiment voulu dire « Papen » ?
Oui, posez la question au témoin.
Témoin, croyez-vous avoir dit que Papen avait prononcé un discours le 18 février 1938 ? Où aurait-il fait ce discours ?
Je crois que c’est une erreur qui a pu m’échapper au moment où j’ai fait cet affidavit, car ce discours n’a peut-être pas été prononcé ; en tout cas, je ne me souviens plus de ce discours que j’ai mentionné dans cet affidavit. Il est donc parfaitement possible que je me sois trompé ; l’erreur est excusable étant donné que cet affidavit m’a été demandé à un moment où je me trouvais à l’hôpital assez gravement malade, et il est possible qu’en relisant je ne me sois pas aperçu de mon erreur.
Cela enlève-t-il toute valeur à la constatation du fait et aux conclusions qui en ont été tirées ?
Après ce que j’ai dit, oui. Je ne me souviens pas de ce discours et je crois que c’est une erreur de ma part que j’attribue aux circonstances dans lesquelles j’ai signé cet affidavit, alors que j’étais assez gravement malade.
Oui, Docteur Horn. Le témoin peut se retirer maintenant.
Puis-je demander au Tribunal s’il est possible d’avoir pour demain matin les traductions des documents ? Je voudrais baser là-dessus ma prochaine présentation de témoignage. Si j’ai les documents demain matin, je commencerai dès maintenant l’interrogatoire de von Ribbentrop en tant que témoin. Mais si les traductions ne sont pas prêtes demain matin, je prierai de Tribunal de bien vouloir m’autoriser à produire mes documents maintenant
Docteur Horn, ce Procès se poursuit depuis plusieurs mois et il a pris beaucoup plus de temps qu’il n’était prévu, un temps plus long en tout cas que ne le pensait n’importe quel membre du Tribunal. On ne peut pas repousser encore les débats. Vous devez continuer. Avez-vous encore d’autres témoins ?
Non, je n’ai pas d’autres témoins à citer, Monsieur le Président.
N’allez-vous pas citer l’accusé ?
Si.
Alors, pourquoi ne pouvez-vous pas le citer maintenant à la barre des témoins ?
Je peux l’interroger, mais j’avais demandé, Monsieur le Président, l’aide du Tribunal, afin de recevoir les documents demain matin, de façon à pouvoir interroger l’accusé en tant que témoin dès maintenant et produire les documents demain à un moment où le Ministère Public aurait eu lui aussi ses documents et pu donc faire valoir ses objections.
Vous aurez évidemment les documents dès qu’ils seront traduits. Nous nous renseignons pour savoir s’ils seront prêts demain, mais nous avons encore 35 minutes avant 5 heures. Nous voudrions occuper ce temps.
Oui, Monsieur le Président. Je vais donc citer l’accusé comme témoin.
Voulez-vous continuer, s’il vous plaît, Docteur Horn ?
Oui. Alors je continuerai par la présentation des documents.
Docteur Horn, vous avez dit que vous vouliez citer l’accusé Ribbentrop. Nous n’avons pas les documents sous les yeux ; par conséquent, faites ce que vous aviez dit.
Dans ce cas, je demande l’autorisation de citer l’accusé comme témoin.
Voulez-vous nous dire votre nom complet ?
Joachim von Ribbentrop.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Vous pouvez vous asseoir.
Voulez-vous donner au Tribunal quelques brèves indications sur les points essentiels de votre vie ?
Je suis né le 30 avril 1893, à Wesel. Je suis originaire d’une vieille famille de soldats. Ma mère était campagnarde. Mes années de classe se passèrent à Kassel et à Metz en Lorraine. C’est en Alsace-Lorraine que je nouai mes premières relations avec les milieux culturels français et à cette époque que nous avons appris à aimer ce pays.
En 1908, mon père prit sa retraite. Celle-ci était motivée par des divergences de vue sur la personne de l’Empereur. Mon père prenait déjà un grand intérêt à la politique étrangère et aux questions sociales. J’avais pour lui une profonde vénération. Nous avons déménagé pour aller en Suisse et, après un séjour d’un an environ en Suisse, je me rendis à Londres. Là, pendant un an, j’étudiai surtout les langues. C’est alors que j’ai reçu ma première impression de la ville de Londres et de l’importance de l’Empire britannique.
L’année suivante, en 1910, je me rendis au Canada. A l’origine, je devais aller dans les colonies allemandes, mais j’ai préféré l’Amérique. Je voulais voir le monde. Je suis resté environ deux ans au Canada, comme ouvrier, comme cheminot, puis dans une banque et dans des entreprises de construction.
En 1914, la première guerre mondiale me surprit au Canada. Comme tous les Allemands de cette époque, nous n’avions qu’une seule pensée : « On a besoin de tous les hommes au pays ; comment aider la Patrie ? » Je me rendis à New-York et finalement, après pas mal de difficultés, en septembre 1914, j’ai pu me rendre en Allemagne. Après être resté au front pendant quatre ans, je fus blessé et on m’envoya à Constantinople en Turquie, d’où je vis l’écroulement de l’Allemagne dans la première guerre mondiale. C’est là que je vis pour la première fois les conséquences terribles d’une guerre perdue. L’ambassadeur comte Bemstorff et plus tard le Dr Dieckhoff étaient les représentants du Reich en Turquie. On les rappela à Berlin afin d’utiliser les relations du comte Bernstorff avec le président Wilson et de voir — c’était notre espoir à tous — s’il était possible d’établir une paix sur la base de ces points et d’amener ainsi la réconciliation.
Après quelques difficultés, je revins à Berlin au mois de mars 1919, et je devins l’aide de camp du général von Seeckt à la Délégation à la Conférence de la Paix de Versailles. Après la signature du Traité de Versailles, je l’ai lu en une nuit et j’ai eu l’impression qu’aucun Gouvernement au monde ne pourrait signer un tel document. Ce fut ma première impression sur la politique étrangère de ma patrie.
En 1919, je me retirai de la Wehrmacht avec le grade de lieutenant et j’entrai dans le commerce. Par mes relations commerciales, j’ai surtout pu connaître assez bien la France et l’Angleterre dans les années qui suivirent. Dès cette époque, j’ai eu pas mal de relations avec des hommes politiques. J’essayai d’aider ma patrie en prenant position contre Versailles. D’abord ce fut très difficile, mais dès 1919, 1920 et 1921, j’ai rencontré une certaine compréhension dans ces pays, dans le modeste domaine qui m’était dévolu.
J’ai vu qu’à partir de 1929-1930 environ, l’Allemagne, après une période d’apparente prospérité pendant les années 1926, 1927, 1928, subit brusquement de graves troubles économiques et que la situation empirait rapidement.
En 1931-1932, je pouvais me rendre compte, en tant qu’homme d’affaires, que les conséquences pratiques de Versailles étaient telles que la vie économique allemande était de plus en plus paralysée. J’ai alors regardé autour de moi. J’étais alors assez près du parti national allemand (deutsche Volkspartei) et je voyais toujours s’accroître le nombre des partis. Je me souviens que nous avions finalement plus de trente partis en Allemagne, que le chômage augmentait constamment et que le Gouvernement perdait de plus en plus la confiance du peuple. Je me souviens très fidèlement des efforts du chancelier Brüning, qui étaient certainement sincères et honnêtes, mais qui ne furent pourtant pas couronnés de succès.
Puis vinrent d’autres gouvernements, qui, comme on le sait, n’eurent pas plus de succès. Les exportations n’étaient plus rentables. Les réserves d’or de la Reichsbank s’amenuisaient, on ne payait plus les impôts, on n’avait plus aucune confiance dans les mesures prises par le Gouvernement. Voilà à peu près l’image que je garde de l’Allemagne en 1930-1931. J’ai vu les grèves s’étendre, j’ai vu le mécontentement des gens, j’ai vu les manifestations dans les rues devenir de plus en plus fréquentes, tout cela nous menant chaque jour davantage vers le chaos.
Je ne crois pas exagérer en disant que ce que j’ai vu en. Allemagne en 1930, 1931, 1932, et surtout en 1932, ressemblait singulièrement aux signes précurseurs d’une guerre civile. En tant qu’Allemand — et je crois avoir toujours été, comme beaucoup d’autres Allemands, un patriote — je ressentis une impression terrible. J’étais en fait loin du monde politique, mais pendant ces années, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose et que chacun, quelle que soit la place qu’il occupait, devait aider à créer un front national sur une large base, qui retrouverait la confiance des gens et en particulier celle de la masse du peuple, de la masse des travailleurs. En même temps, je me rendais compte que, j’en suis sûr, la plupart des hommes qui ont fait Versailles n’avaient pas voulu cette situation, mais c’était un fait, que personne ne peut plus discuter aujourd’hui.
J’ai déjà indiqué la déception que m’avaient causée les contacts personnels que j’avais eus, jeune officier, en particulier avec l’ancien ambassadeur Dieckhoff, qui m’était un parent éloigné, déception que nous ressentions tous dans la Wehrmacht, dans le peuple allemand et encore bien plus dans les milieux gouvernementaux — à la pensée que ces points de Wilson aient été si rapidement abandonnés. Je n’ai pas l’intention de faire ici un discours de propagande, je voudrais exposer les faits sobrement, tels que je les ai vus alors. Sans aucun doute, l’impuissance dans laquelle se trouvait alors le peuple allemand a malheureusement permis à nos ennemis de suivre leur voie qui ne menait pas à la réconciliation, mais à la haine et à la vengeance. Je suis convaincu que ce n’était certainement pas dans les intentions de Wilson qui était alors Président des États-Unis. Je crois même que, dans les années qui ont suivi, il en a personnellement souffert. Quoi qu’il en soit, ce fut mon premier contact avec la politique allemande.
Ce Versailles devint alors…
Mais on sait que même les dures conditions de Versailles, telles que nous les avons connues par expérience personnelle, ne furent pas observées. C’est peut-être aussi une conséquence, un contre-coup d’une guerre dans laquelle les hommes se sont engagés dans une certaine voie et ne peuvent ou ne veulent pas tenir leurs promesses. Le Traité de Versailles — c’est un fait connu — ne fut pas respecté, pas plus dans ses clauses territoriales que sur d’autres points très importants. Je dois mentionner que l’une des plus importantes parmi les questions territoriales était à cette époque celle de la Haute-Silésie et surtout de Memel, ce petit territoire. Les événements qui s’y déroulèrent m’impressionnèrent particulièrement. La Haute-Silésie notamment, parce que j’y avais beaucoup de relations personnelles et parce que, tous, nous ne pouvions pas comprendre que ces sévères dispositions de Versailles ne fussent pas elles-mêmes respectées. La question des minorités joua également un grand rôle. Au cours de mon exposé, je serai obligé d’en parler plus en détail surtout en traitant de la crise polonaise. Mais dès le début, les minorités allemandes ont été exposées à de sérieuses difficultés. A ce moment, il s’agissait encore de la Haute-Silésie et des territoires alentour qui souffraient de ce traitement. Enfin, un des points essentiels du Traité de Versailles était la question du désarmement. Cette question a été également traitée dans cette salle d’audience. C’est pourquoi je ne veux pas en parler davantage. C’est parce qu’on nous refusait tout aussi bien le principe de l’égalité des droits que son bénéfice, dans tous les domaines, que je me vis porté, cette année-là, à prendre une part plus active à la politique. A cette époque — je voudrais le dire ici ouvertement — j’ai souvent parlé avec des amis français et anglais. Il était déjà notoire — après 1930, le parti national-socialiste avait déjà plus de cent sièges au Reichstag — que s’exprimait là le désir naturel du peuple allemand de s’opposer à ce traitement, ce qui après tout ne signifiait rien de plus que sa volonté de vivre. Ces amis m’ont questionné à cette époque sur Adolf Hitler que je ne connaissais pas encore. Ils m’ont demandé : « Quelle sorte d’homme est Hitler ? Que peut-on attendre de lui ? » J’ai répondu très franchement : « Donnez à l’Allemagne une chance et vous n’aurez pas Adolf Hitler. Refusez-lui sa chance, et Adolf Hitler prendra le pouvoir ». C’était vers 1930 ou 1931. On refusa sa chance à l’Allemagne et c’est ainsi que, le 30 janvier 1933, les nationaux-socialistes prirent le pouvoir.
Quand et comment avez-vous fait la connaissance de Hitler ?
J’ai rencontré Adolf Hitler pour la première fois le 13 août 1932 au Berghof. Je connaissais à Berlin, depuis 1930-1931 environ, le comte Helldorf, national-socialiste notoire. C’était un ancien camarade de régiment ; nous étions du même escadron et avions fait quatre ans de guerre ensemble. C’est par lui que j’ai été pour la première fois en contact avec le national-socialisme à Berlin. Je le priai de m’obtenir une entrevue avec Hitler. Il le fit, autant que je m’en souvienne, par l’entremise de M. Röhm. Je rendis visite à Adolf Hitler et j’eus une longue conversation avec lui, c’est-à-dire qu’Adolf Hitler m’exposa ses idées sur la situation, telle qu’elle se présentait en cet été 1932.
Je le revis en 1933 — mon camarade Göring l’a déjà exposé — dans ma maison de Dahlem que j’avais mise à sa disposition afin de faire tout mon possible pour aider à la création d’un front national. Adolf Hitler me fit déjà une impression considérable. Je fus particulièrement frappé par ses yeux bleus et ses cheveux noirs ; son trait le plus caractéristique était probablement son attitude renfermée — non qu’il fût d’un caractère renfermé, mais il avait une attitude renfermée — et sa façon d’exprimer ses pensées. Ses pensées et ses déclarations avaient toujours quelque chose de définitif et semblaient venir du plus profond de lui-même. J’avais l’impression de me trouver en face d’un homme qui savait ce qu’il voulait et qui était animé d’une volonté inébranlable, servie par une personnalité très forte. Je peux résumer ces impressions en disant que je quittai Adolf Hitler convaincu que c’était le seul homme capable de sauver l’Allemagne si quelqu’un pouvait encore le faire au milieu des difficultés et de la détresse dans lesquelles elle se débattait alors. Je n’ai pas besoin de parler des événements de janvier ; je ne voudrais citer qu’un épisode : il se passait dans ma maison de Dahlem, alors qu’il s’agissait de savoir si Adolf Hitler allait ou non devenir Chancelier du Reich. Je savais qu’on lui avait offert la vice-chancellerie, et j’ai pu entendre avec quelle force et avec quelle conviction — si l’on veut même avec quelle brutalité et dureté — il exprimait son assurance qu’il allait se former des foyers de résistance qui permettraient la renaissance et le salut de son peuple.
Croyiez-vous à la possibilité d’une révision du Traité de Versailles par une entente mutuelle ?
Je dois dire que les nombreux voyages d’affaires que j’ai faits à l’étranger de 1920 à 1932, m’ont prouvé combien il était ou devait être difficile, dans le système de l’époque, d’arriver par voie de négociations à une révision du Traité de Versailles. J’ai senti malgré tout combien, d’année en année, s’élargissaient en Angleterre et en France les milieux qui étaient convaincus qu’il fallait, d’une façon ou d’une autre, venir en aide à l’Allemagne. Pendant ces années, j’ai eu beaucoup de relations avec des hommes du monde commercial et politique, des arts et des sciences, surtout des universitaires, en Angleterre et en France. Je pus ainsi connaître l’attitude des Français et des Anglais. Je voudrais déclarer ici que, tout de suite après Versailles, j’étais convaincu qu’on ne pourrait obtenir révision de ce Traité que par une entente avec la France et avec l’Angleterre. Je croyais également que par là, la situation internationale ne pourrait qu’être améliorée et que les graves sujets de conflit qui s’étaient accumulés après la première guerre mondiale pourraient être éliminés. Il était donc clair qu’une révision de Versailles n’était possible que par une entente des puissances de l’Ouest : l’Angleterre et la France. Dès cette époque, je sentais nettement qu’une telle entente pouvait, seule, maintenir la paix en Europe. Nous, jeunes officiers, avions vécu trop de choses. Je songe au corps franc de Silésie, aux affaires de la Baltique, etc. Je voudrais ajouter, et je le dis ouvertement, que dès le premier jour, après avoir lu le Traité de Versailles, je me sentis obligé, en tant qu’Allemand, de prendre position contre ce Traité et à tenter tout ce qui était en mon pouvoir pour le faire remplacer par quelque chose de meilleur. C’est justement la position d’Adolf Hitler contre le Traité de Versailles qui me rapprocha d’abord de lui et du parti national-socialiste.
Avez-vous essayé de faire connaître à Hitler vos opinions sur ce sujet ?
Docteur Horn, il est 5 heures ; nous ferions mieux de suspendre l’audience maintenant.