QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 29 mars 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Avant de poursuivre l’interrogatoire de l’accusé von Ribbentrop, le Tribunal désire que j’attire l’attention du Dr Horn et de l’accusé von Ribbentrop sur les décisions de ces derniers jours.

Tout d’abord, le Tribunal a autorisé l’accusé Göring, qui a témoigné en premier et qui s’est déclaré responsable en tant que second chef de l’Allemagne, à déposer sans aucune interruption. Celui-ci a exposé toute l’histoire du régime nazi, depuis ses débuts jusqu’à la défaite de l’Allemagne. Le Tribunal n’est pas disposé à permettre à un seul des autres accusés d’exposer des faits relatifs aux mêmes questions, sauf si cela s’avère nécessaire pour leur propre défense.

Deuxièmement, le Tribunal a décidé que les témoignages tendant à prouver l’injustice du Traité de Versailles, ou voulant montrer qu’il a été signé sous la contrainte sont inadmissibles.

Troisièmement, quoique ce point ne constitue pas une décision du Tribunal, je dois faire remarquer qu’à plusieurs reprises les accusés ou leurs défenseurs ont exprimé l’opinion que le Traité de Versailles constituait une injustice. En conséquence, tout témoignage de cette sorte, en dehors du fait qu’il est irrecevable, fera double emploi et le Tribunal ne l’entendra pas.

Enfin le Tribunal désire que je fasse remarquer au Dr Horn que tout avocat doit interroger ses témoins et ne pas les laisser tout simplement faire des discours. Il est du devoir de la Défense d’interrompre les témoins dont elle sait que les déclarations sont irrecevables aux termes de la décision du Tribunal. C’est tout ce que j’ai à dire.

Docteur Seidl, si vous voulez parler de la déclaration sous serment de Gaus, je dois vous dire que le Tribunal ne s’occupera pas de cette question maintenant ; il s’en occupera après avoir entendu le témoignage de l’accusé von Ribbentrop.

Dr SEIDL

Monsieur le Président, j’étais convenu avec le Dr Horn, défenseur de l’accusé von Ribbentrop...

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, ce que vous avez décidé avec le Dr Horn ne m’intéresse pas. Il ne convient pas au Tribunal d’entendre en ce moment le témoignage du Dr Gaus. Le Tribunal désire continuer à entendre le témoignage de Ribbentrop.

Dr HORN (avocat de l’accusé Ribbentrop)

Vous parliez hier, en fin de journée, de vos impressions sur la politique en Angleterre et en France. Je voudrais, à ce sujet, vous poser la question suivante : vous êtes-vous efforcé d’exposer à Hitler vos opinions sur la politique anglaise et française à cette époque ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Depuis le 30 janvier 1933, j’ai souvent revu Adolf Hitler et, naturellement, je l’ai entretenu des impressions que j’avais rapportées de mes fréquents voyages, surtout en Angleterre et en France.

Dr HORN

Quelle était à cette époque l’attitude de Hitler envers la France et l’Angleterre ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

La suivante : il considérait la France comme un adversaire pour l’Allemagne, par suite de la politique qu’elle avait eue à l’égard de l’Allemagne depuis la fin de la première guerre mondiale et surtout à la suite de l’attitude qu’elle adopta vis-à-vis de la question de l’égalité des droits. Cette opinion d’Adolf Hitler a été exprimée dans son livre Mein Kampf.

Je connaissais bien la France, car j’y avais depuis longtemps des relations. J’ai beaucoup parlé de ce pays au Führer et cela l’intéressait. Je vis que son intérêt pour les questions françaises grandit au cours de l’année 1933 et j’ai suscité des entrevues entre lui et certains Français. Je crois que certaines de ces visites, ainsi que ce que je lui avais dit de l’opinion de beaucoup de Français et de façon générale, de la culture française...

Dr HORN

Quels étaient ces Français ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

C’étaient des économistes français, des journalistes et quelques hommes politiques. Ces récits intéressaient le Führer et il eut peu à peu l’impression qu’il existait peut-être en France des hommes qui ne repoussaient pas l’idée d’une entente avec l’Allemagne.

J’ai présenté ensuite au Führer une argumentation de mon expérience de ces dernières années et de mes propres convictions. Le Führer, on le sait, désirait beaucoup arriver à une entente définitive avec l’Angleterre et signer un accord avec elle. Au début, le Führer séparait nettement cette idée de la politique franco-allemande mais je crois avoir réussi à le persuader qu’une entente avec l’Angleterre n’était possible qu’après une entente avec la France. Cela, je me souviens très exactement encore de nos conversations sur ce sujet, l’impressionna vivement et il me conseilla de persévérer dans mes efforts pour arriver à une entente entre l’Allemagne et la France, efforts que je faisais autrefois de ma propre initiative. Il me dit en outre de le tenir au courant.

Dr HORN

Vous étiez donc conseiller du Führer en matière de politique étrangère et non pas conseiller du Parti ? Comment cela se faisait-il ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

J’ai déjà dit que j’avais exposé à Adolf Hitler mes expériences de voyages. Ces impressions d’Angleterre et de France l’intéressaient et, sans solliciter des conférences ou des entretiens particuliers à ce sujet, je fus reçu par Hitler à plusieurs reprises. Je lui ai souvent parlé et ainsi, presque automatiquement, en dehors de la politique officielle, il reconnut ma collaboration et accepta mes conseils sur ce que j’avais vu et entendu dans ces pays.

Il portait surtout évidemment un intérêt manifeste aux questions anglaises. Je le renseignai sur l’opinion publique, sur certaines personnalités, et je lui présentai, en plus des Français, certains Anglais, avec lesquels il pouvait échanger des idées, en dehors de la vie officielle, ce qui lui plaisait énormément.

Dr HORN

En quoi consista votre aide personnelle aux efforts de Hitler pour arriver à une entente avec la France, entre 1933 et 1935 ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

La solution de la question sarroise était à cette époque une des questions primordiales. J’ai essayé, à l’aide de mes relations personnelles à Paris, de faire connaître aux Français qu’une solution pacifique du problème sar-rois dans le sens des clauses du Traité de Versailles, serait de bon augure pour les relations entre les deux pays. Au cours de ces années, j’ai eu des entrevues avec de nombreuses personnes à Paris et je pris également contact pour la première fois avec des membres du Cabinet français. J’ai vu l’ancien président Doumergue, le ministre des Affaires étrangères M. Barthou, qui fut assassiné plus tard, M. Laval et surtout M. Daladier. Je me souviens que je rencontrai chez ce dernier une grande compréhension, en particulier sur la question sarroise. Puis, plus tard, je m’aperçus que les Français qui rendaient visite à Hitler avançaient toujours l’argument suivant : « Oui, mais il y a votre livre, Mein Kampf, où vous exposez votre politique à l’égard de la France ». J’ai essayé d’obtenir du Führer une révision officielle de ces passages de Mein Kampf , mais le Führer m’a répondu — je m’en souviens textuellement — qu’il était décidé, par ses actes, à prouver au monde qu’il avait changé d’avis à ce sujet ; que ce qui était écrit ne pouvait être effacé car cela constituait des données historiques, mais que sa première attitude envers la France avait été motivée par la politique française de l’époque à l’égard de l’Allemagne et que l’on pouvait maintenant ouvrir une nouvelle page dans l’Histoire de ces deux pays.

Je priai alors Adolf Hitler de recevoir un journaliste français pour consacrer par une déclaration officielle ce changement dans les idées qu’il avait exprimées dans Mein Kampf et pour que le monde en fût averti. Il fut d’accord et reçut un journaliste français. Je ne sais plus exactement quand. Je crois que cet article parut dans Le Matin en 1933 ; il fit sensation à l’époque. J’en fus très content, car un grand pas était ainsi accompli dans la voie d’une entente avec la France. Je réfléchis à ce qui pourrait encore se faire et comment, en débutant par la publication de ce seul article, on pourrait aboutir à une entente entre hommes d’État français et allemands.

Dr HORN

N’avez-vous pas essayé, à cette époque, d’obtenir une entrevue Hitler-Daladier ? Quels furent vos efforts dans ce sens ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

J’allais précisément en parler. Daladier était à cette époque président du Conseil. J’ai eu plusieurs entrevues avec lui et je lui proposai de rencontrer Adolf Hitler, d’avoir avec lui une entrevue d’homme à homme et de voir si les relations germano-françaises ne pourraient pas avoir une base nouvelle. Cette idée plut à M. Daladier. Je rapportai cet entretien à Hitler qui se déclara prêt à le rencontrer.

Le lieu de rendez-vous avait été fixé dans la forêt allemande de l’Odenwald ; nous étions déjà d’accord. Je partis pour Paris, afin de fixer lès derniers détails avec Daladier...

M. DODD

Plaise au Tribunal. Je suis désolé d’interrompre l’interrogatoire de l’accusé, mais mes collègues et moi nous sommes d’avis que cette question est traitée avec beaucoup trop de détails et que nous n’arriverons jamais à terminer l’interrogatoire à temps. Il faudrait traiter la question beaucoup plus rapidement et sans détours.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, le Tribunal estime que cette objection est bien fondée. L’accusé traite de la période qui va de 1933 à 1935 et des efforts qu’il a faits pour entretenir de bonnes relations avec la France. Voilà qui nous entraîne très loin des questions qui doivent être traitées ici. Il semble au Tribunal que ce n’est qu’une inutile perte de temps de traiter cette question avec tant de détails.

Dr HORN

Je poserai donc d’autres questions se rapportant au rôle joué directement par l’accusé.

Qu’est-ce qui a incité Hitler à vous nommer plénipotentiaire au désarmement ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je crois avoir été nommé plénipotentiaire au désarmement en mars ou avril. Hitler était partisan de l’égalité des armements et il croyait qu’elle ne serait possible qu’après l’aboutissement de négociations avec la France et l’Angleterre. C’était également mon point de vue à cette époque. Au cours de mes efforts pour améliorer surtout les relations germano-anglaises, car c’était là surtout le désir du Führer, je vins alors à Londres où je nouai des relations avec des hommes politiques influents, et surtout avec Lord Baldwin.

Je lui ai parlé ainsi qu’au Premier Ministre, Mac-Donald, de ce désir de l’Allemagne de l’égalité des droits et j’ai trouvé une oreille bienveillante chez ces deux ministres. A la suite d’une longue entrevue que j’ai eue avec Lord Baldwin, celui-ci fit un discours aux Communes, je crois que ce fut le 1er décembre 1933, conseillant d’aller à la rencontre de l’Allemagne. On lui avait promis une égalité d’armement, et cette promesse devait être tenue d’une façon ou d’une autre. Trois possibilités s’offraient pour réaliser ce projet : ou bien l’Allemagne armait comme les autres, ce qui n’était pas souhaitable ; ou les autres puissances désarmaient pour en arriver au niveau de l’Allemagne — ce qui était impossible —  ; ou bien encore, troisième possibilité, il fallait arriver à un compromis : permettre à l’Allemagne un réarmement limité et obtenir des autres pays un certain désarmement. Adolf Hitler fut très content de ce point de vue car il estimait que ce serait un moyen pratique d’obtenir que l’Allemagne fût traitée sur un pied d’égalité avec les autres pays. Malheureusement, au cours des années qui suivirent, il s’avéra impossible de réaliser ces souhaitables projets, si raisonnables, de Lord Baldwin. Adolf Hitler décida alors, étant donné le système politique mondial, qu’il semblait impossible à l’Allemagne d’obtenir cette égalité des armements par des négociations.

LE PRÉSIDENT

Un instant. L’interprète ne vous entend pas bien ; pourriez-vous rapprocher un tout petit peu le microphone et répéter ce que vous venez de dire ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Adolf Hitler vit que malheureusement, le système international de l’époque ne pouvait conduire à la réalisation des bonnes idées de Lord Baldwin par voie de négociation.

Dr HORN

Quelle réalisation pratique de limitation des armements aviez-vous obtenue à Londres ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

On sait qu’Adolf Hitler, l’Allemagne, quitta la Société des Nations et la Conférence du Désarmement parce qu’il était impossible, par voie de négociations, d’obtenir la réalisation des désirs allemands. Hitler ne voyait pas d’autre possibilité que la propre force du peuple allemand pour atteindre cet objectif. Il savait évidemment que cela comportait un risque mais, après les expériences des dernières années, il n’avait pas le choix. L’Allemagne commença donc à réarmer, indépendamment...

Dr HORN

Mais...

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je voudrais bien terminer ma réponse à votre question. Il en résulta sur le terrain pratique, au cours de l’année 1934, un contact plus intime entre le Gouvernement allemand et le Gouvernement britannique. Il y eut de nombreuses visites d’hommes d’État anglais à Berlin, Sir John Simon et M. Eden entre autres. Au cours de ces visites, on aborda la question d’un accord possible ou au moins d’une entente dans le domaine naval. Hitler s’intéressa vivement à cette idée et, après les premières conversations entre le Gouvernement britannique et le Gouvernement allemand, il fut décidé que je serais envoyé à Londres afin d’essayer de conclure un accord naval avec le Gouvernement britannique.

Je n’ai pas besoin de parler ici des détails de cet accord. Hitler lui-même avait dit, dès le début, que pour arriver à une entente définitive avec l’Angleterre, on serait obligé de reconnaître, une fois pour toutes, la suprématie navale de la Grande-Bretagne. Ce fut lui qui suggéra une proportion de 100 à 35 entre les deux marines, ce qui était un chiffre absolument différent de celui qui fut discuté entre l’Allemagne et l’Angleterre avant 1914.

Après des négociations relativement brèves, l’accord naval fut signé à Londres. Ce pacte était très important pour les relations anglo-allemandes ultérieures et il constituait, à l’époque, le premier résultat pratique d’une réelle limitation des armements.

Dr HORN

Est-ce que la France était d’accord avec ce réarmement et quel fut votre rôle personnel dans cette affaire ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je dois ajouter que Hitler et moi-même fûmes particulièrement heureux de cet accord. Je sais que, dans certains milieux, on le traita de leurre, ou pour reprendre le terme anglais, de « Eye wash », mais pour ma part, je puis témoigner de ce que j’ai vu personnellement : jamais Adolf Hitler n’a paru aussi heureux qu’au moment où je lui ai annoncé moi-même, à Hambourg, la conclusion de cet accord.

Dr HORN

Quelle fut l’attitude de la France à l’égard de cet accord ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

En ce qui concerne la France, la situation était évidemment un peu difficile. Je m’en rendis compte au cours des négociations, car nous nous étions écartés des limitations des armements du Traité de Versailles. J’ai moi-même proposé aux représentants du Foreign Office, je puis citer leurs noms : Sir Robert Craigie, en particulier, et l’ancien amiral anglais Little, de me rendre en France, afin d’exploiter mes relations avec des hommes d’État français et de les convaincre de l’utilité de cet accord, pour une entente ultérieure franco-anglo-allemande.

Je voudrais insister sur un point. Dans cette salle d’audience, on a montré un film au cours duquel je prononce un discours après la conclusion de l’accord naval. Ce discours a été présenté comme un exemple de la duplicité de la diplomatie allemande. J’ai prononcé ce discours à l’époque, spécialement afin de déclarer devant le monde entier qu’il ne s’agissait pas là simplement d’un accord entre l’Allemagne et l’Angleterre, mais que le désir de Hitler — et c’était bien là l’esprit de cet accord naval — était d’amener une limitation générale des armements et que cet accord naval pouvait améliorer les relations entre la France et l’Allemagne. Ce désir était sincère et réel.

Je me suis rendu alors en France, et j’ai parlé aux hommes d’État français. Je crois avoir contribué un peu à ce que ce premier pas dans la limitation des armements fût considéré par beaucoup de Français comme une mesure raisonnable, étant donné, en se plaçant sur un plan plus élevé, qu’on ne pouvait pas éternellement refuser l’égalité des droits au peuple allemand.

Dr HORN

Vous avez ensuite été nommé ambassadeur à Londres. Comment cette nomination se fit-elle ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Pendant un certain temps, après la conclusion de l’accord naval, qui fut agréé par les milieux les plus variés en Angleterre, je m’efforçai de faire rencontrer Lord Baldwin et le Führer. Je puis même dire qu’un des amis de Lord Baldwin, un M. Jones, avait déjà pris certaines dispositions, et le Führer était d’accord pour se rendre en avion aux Chequers et y rencontrer Lord Baldwin. Mais, malheureusement, au dernier moment, Lord Baldwin s’excusa. J’ignore quelle en fut la cause, mais il est certain qu’il y avait à l’époque en Angleterre certains éléments à qui une entente anglo-allemande ne plaisait pas.

Lorsqu’en 1936 l’ambassadeur d’Allemagne von Hösch mourut, je me dis que l’Allemagne devait encore tenter un ultime effort, afin d’obtenir une bonne entente avec l’Angleterre.

Je dois dire qu’entre temps j’avais été nommé par Hitler secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Je le priai d’annuler cette nomination et de m’envoyer comme ambassadeur à Londres. Ce qui détermina la décision de Hitler fut peut-être la chose suivante : Hitler avait une idée très arrêtée sur la politique anglaise de l’équilibre européen, mais mon opinion différait quelque peu de la sienne. J’étais convaincu que l’Angleterre ferait toujours sa vieille politique de l’équilibre, tandis qu’Adolf Hitler estimait qu’elle était périmée et que l’Angleterre allait accepter et même souhaiter une Allemagne bien plus forte en Europe, en raison du changement de la situation générale et surtout du grand développement de la Russie. Donner au Führer une idée claire et précise de la situation telle qu’elle était en Angleterre, voilà probablement une des raisons pour lesquelles il m’envoya en Angleterre. Il y en avait une autre : à ce moment, nous espérions atteindre, par nos relations avec les milieux germanophiles encore assez influents en Angleterre, des relations amicales entre les deux pays sinon même peut-être un accord de longue durée. Le but de Hitler, en dernière analyse, était et demeura toujours l’accord anglo-allemand.

Dr HORN

Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de votre activité diplomatique à Londres ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je dois dire qu’entre 1935 et 1936 principalement, je me suis trouvé souvent en Angleterre où, sur l’ordre du Führer, j’ai sondé l’opinion en vue d’un accord germano-anglais. La base de cet accord, on le sait, était de fixer définitivement la proportion entre les deux flottes sur les bases de 100 à 35. D’autre part, l’intégrité de la Belgique, de la Hollande et de la France devaient taire l’objet d’une garantie permanente et — c’était une idée du Führer — l’Allemagne devrait reconnaître l’Empire britannique et devrait être prête, au besoin, à mettre sa force personnelle au service de l’Empire britannique ; en échange, l’Angleterre admettrait l’Allemagne comme grande puissance en Europe.

On a déjà dit, et je voudrais le répéter, que les efforts déployés au cours des années que je viens de citer n’ont abouti à aucun résultat. Ce fut l’une des plus profondes déceptions de Hitler, je dois le dire, car il était très important pour le développement ultérieur des événements que cet accord, sur lequel il avait fondé de si grands espoirs et qu’il considérait comme la base de toute sa politique étrangère, ne se réalisât pas à cette époque. Quelles furent les forces qui empêchèrent cette réalisation, je ne le sais pas. Dans tous les cas, nous n’allâmes pas plus loin.

En ma qualité d’ambassadeur à Londres, j’ai reparlé à diverses reprises de la question. Je l’ai débattue avec les milieux germanophiles, et je dois dire que beaucoup d’Anglais partageaient ces vues positives.

Dr HORN

Avez-vous également rencontré des gens qui y étaient opposés ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Il y avait naturellement en Angleterre certains milieux influents qui, pour des raisons de principe ou peut-être par traditionalisme politique, n’accueillaient pas favorablement l’idée d’un accord ou d’une entente définitive avec l’Allemagne.

Je voudrais mentionner brièvement ici, quoique cela nous repousse à l’année 1936, que pendant les Jeux Olympiques de 1936, j’ai essayé de convaincre un homme politique britannique influent, Lord Vansittart. J’ai eu une entrevue de plusieurs heures avec lui à Berlin. Adolf Hitler l’a reçu également et lui a parlé dans ce sens. Mais Lord Vansittart, malgré nos bonnes relations personnelles, maintenait une attitude très réservée. En 1937 lorsque j’étais à Londres, j’ai vu que, peu à peu, deux tendances apparaissaient nettement en Angleterre : la première, celle de ceux qui désiraient avoir des relations plus amicales avec l’Allemagne, et la seconde, celle de ceux qui ne souhaitaient pas l’établissement de telles relations. Il y avait — je crois qu’il est inutile de citer des noms, car ils sont bien connus — des hommes qui ne désiraient pas de telles relations, notamment M. Winston Churchill qui devint Premier Ministre par la suite, et d’autres. J’ai fait tous les efforts possibles pour propager cette idée ; malheureusement, des événements surgirent qui me créèrent beaucoup de difficultés : en premier lieu la politique espagnole. On sait qu’à cette époque il y avait la guerre civile en Espagne et que siégeait à Londres un « Comité de non-intervention ». En tant qu’ambassadeur à la Cour de Saint-James, j’avais une tâche très difficile. D’une part, je désirais par tous les moyens obtenir cette entente anglo-allemande. D’autre part, je devais suivre les instructions de mon Gouvernement en ce qui concernait le Comité de non-intervention et l’Espagne. Souvent celles-ci étaient en contradiction avec certains buts de la politique anglaise. De cette façon, il advint que cette espèce de Société des Nations que représentait le Comité de non-intervention à ce moment, et dont j’étais le membre allemand officiel, portât préjudice au but principal que m’avait fixé Adolf Hitler. Mais je dois dire ici — si je puis ou si je dois décrire franchement les événements de cette période, ce qui, je le crois, est ici d’une grande utilité — qu’il n’y eut pas seulement l’affaire d’Espagne, mais qu’au cours de ces années-là, de 1937 au début de 1938, cette fraction de l’opinion qui ne voulait pas d’un accord avec l’Allemagne prit toujours plus d’ampleur en Angleterre : ce qui est aujourd’hui, un fait historique. Pourquoi ? La réponse en est très simple et très claire : ces milieux voyaient dans une Allemagne nationale-socialiste et forte, un élément menaçant pour la politique traditionnelle anglaise d’équilibre sur le continent. Je suis convaincu qu’Adolf Hitler n’avait nullement l’intention, tout au moins à cette époque, d’entreprendre une action quelconque contre l’Angleterre. Mais qu’il m’avait envoyé à Londres avec le plus grand désir de trouver un moyen d’entente avec l’Angleterre. De Londres, j’ai envoyé au Führer des rapports sur la situation, et je demande à pouvoir préciser un point devant ce Tribunal ; c’est un point qui a souvent été traité et qui touche ma défense personnelle.

On a souvent affirmé que j’avais rapporté au Führer que l’Angleterre était dégénérée et qu’elle ne combattrait peut-être pas. Je dois et je désire préciser que, dès le début, j’ai rapporté exactement le contraire au Führer. Je lui ai déclaré qu’à mon avis les chefs anglais et le peuple anglais avaient une attitude tout à fait héroïque et que ce peuple était prêt à n’importe quel moment à lutter pour l’existence de son empire, et à lutter jusqu’au bout. Plus tard, pendant la guerre, dans un discours prononcé en 1941, après une entrevue avec le Führer, j’en ai parlé sans ambages.

Dans tous les cas — pour conclure sur la situation à Londres en 1937-1938, pendant mon activité d’ambassadeur — je puis dire que j’étais pleinement conscient de la difficulté de conclure un pacte avec l’Angleterre. Mais, malgré cela — et je l’ai toujours souligné — il fallait déployer tous les efforts possibles pour obtenir une entente pacifique avec l’Angleterre, car c’était un facteur décisif de la politique allemande. Il fallait créer un rapport tel entre le déploiement de forces de l’Allemagne et les opinions prédominantes britanniques en matière de politique étrangère que ces deux facteurs ne pussent entrer en conflit.

Dr HORN

Pendant votre activité à l’ambassade, vous avez signé avec le Japon ce qu’on a appelé le Pacte anti-Komintern. Comment se fait-il que ce soit vous, ambassadeur, qui ayez conclu ce Pacte ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je dois d’abord dire qu’en 1938, je devins ministre des Affaires étrangères, le 4 février. Le 4 février, je me trouvais à Berlin, lorsque le Führer me convoqua et me dit qu’il m’avait nommé ministre des Affaires étrangères. Ensuite... je ne vois pas. Parlez-vous du Pacte Tripartite ?

Dr HORN

Non, vous m’avez mal compris. Pendant vos fonctions d’ambassadeur, vous avez signé le pacte anti-Komintern, en 1936, Pacte auquel l’Italie adhéra en 1937, puis l’Espagne, ainsi que d’autres pays. Comment se fait-il que vous, en votre qualité d’ambassadeur, ayez conclu ce Pacte ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

A cette époque, Adolf Hitler considérait la divergence d’idéologie qui séparait l’Allemagne nationale-socialiste du communisme, comme un des facteurs décisifs de sa politique. Ainsi se posa le problème de trouver un moyen quelconque pour rallier d’autres pays à l’opposition au communisme. C’était une question de doctrine. Ce fut en 1933, je crois, que Hitler aborda, devant moi, pour la première fois, le sujet d’un rapprochement possible avec le Japon, sous une forme ou sous une autre. Je lui répondis que j’avais certaines relations au Japon et que je pourrais les renouer. Je m’aperçus alors que le Japon avait adopté la même attitude anti-Komintern que l’Allemagne. Je crois que c’est au cours de ces entretiens des années 1933, 1934 et 1935 que se fit jour, peu à peu, l’idée que ces efforts communs pourraient faire l’objet d’un pacte. C’est un de mes collaborateurs, je crois, qui émit l’idée de conclure un pacte anti-Komintern. J’exposai ces vues au Führer qui les approuva. Toutefois, comme il s’agissait, en l’occurrence, d’une question idéologique, il ne voulut pas, à ce moment, qu’elle fût traitée par la voie normale de la politique officielle allemande, et il me chargea de préparer ce pacte qui fut conclu, je crois, dans mon bureau, à Berlin, au cours de l’année 1936.

Dr HORN

Si je vous ai bien compris, ce Pacte fut conclu par vous parce que vous étiez chef du service Ribbentrop, de la Dienststelle Ribbentrop ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

C’est exact ; le service Ribbentrop se composait de moi-même et de quelques collaborateurs. Mais il est exact que le Führer désirait que ce fût moi qui conclût cet accord, car il ne voulait pas lui donner une allure officielle.

Dr HORN

Ce Pacte avait-il des buts politiques objectifs, à côté de ses tendances idéologiques ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Il est certain que la base de ce Pacte était idéologique. Il voulait s’opposer à l’activité du Komintem dans divers pays, mais il avait naturellement aussi un côté politique. Ce côté politique était anti-soviétique à l’époque, car Moscou était le centre du Komintern. Par conséquent, il nous sembla, au Führer et à moi-même, que ce Pacte contrebalançait les efforts de la Russie également dans le domaine politique, car la Russie était, évidemment, en opposition avec l’Allemagne, aussi bien sur ce terrain que dans le domaine idéologique.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, est-ce que vous et l’accusé pensez réellement qu’il faille expliquer aussi longtemps les raisons de la conclusion par Ribbentrop, ambassadeur à Londres, du Pacte anti-Komintern ?

Dr HORN

Je ne vous entends pas bien, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Je vous ai demandé si vous et l’accusé pensez vraiment qu’il soit nécessaire que votre client fasse un long discours en réponse à votre question : pourquoi a-t-il été chargé, en tant qu’ambassadeur à Londres, de signer le Pacte anti-Komintern ? Il en a parlé pendant au moins cinq minutes.

Dr HORN

Le 4 février 1938, vous avez été nommé ministre des Affaires étrangères. Pour quelles raisons ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

J’ai déjà dit que, le 4 février 1938, je me trouvais à Berlin. Le Führer me convoqua et me dit que, vu le remaniement de divers services importants, il comptait nommer un nouveau ministre des Affaires étrangères, et qu’il avait nommé l’ancien ministre des Affaires étrangères, M. von Neurath, président du Conseil de Cabinet secret. Je répondis au Führer que, naturellement, je serais fort heureux d’accepter cette nomination.

Dr HORN

A cette occasion, vous avez obtenu également un grade SS très élevé. Le Ministère Public affirme que ce grade SS n’était pas seulement un grade honorifique. Est-ce exact ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je dois rectifier. J’avais déjà obtenu auparavant un grade dans les SS et je ne sais plus exactement si ce fut lors de ma nomination au poste de ministre des Affaires étrangères ou plus tard que je devins Gruppenführer SS. Le Führer me donna le rang et l’uniforme d’un SS-Gruppenführer ; c’était ce qu’on peut appeler un grade d’assimilation. A cette époque, j’approuvais entièrement l’esprit SS et j’avais d’assez bons rapports avec Himmler. Je voyais alors dans l’idée SS la possibilité de former des cadres enthousiastes, un peu comme cela existait en Angleterre, et comme ce fut symbolisé au cours de cette guerre par la conduite héroïque de nos Waffen SS. Plus tard, il est vrai, mon attitude envers Himmler changea. Mais le Führer m’avait accordé ce grade parce qu’il désirait que, lors des réunions du Parti, je portasse l’uniforme et y tinsse un rang.

Je voudrais qu’on me permette de parler brièvement de mon attitude envers le Parti. Hier ou avant-hier, je crois, on m’a demandé si j’étais un vrai national-socialiste. Je ne puis me permettre d’en juger par moi-même. Il est certain que ce n’est qu’assez tard que j’ai suivi Adolf Hitler. Je me suis assez peu occupé de la doctrine et du programme national-socialiste, ainsi que des théories racistes que je connaissais très vaguement. Je n’étais pas antisémite et je ne comprenais pas très bien les problèmes religieux, bien que j’aie moi-même quitté l’Église depuis longtemps, aux environs de 1920, à la suite de l’évolution de la situation religieuse en Allemagne à cette époque. Mais je crois, malgré cela, avoir toujours été un bon chrétien. Ce qui m’attirait vers le Parti, c’était, comme je m’en suis aperçu à l’époque, qu’il désirait une Allemagne socialiste, forte et prospère. C’est ce que je désirais également et c’est pourquoi, en 1932, après mûre réflexion, je devins membre de la NSDAP.

Dr HORN

Aviez-vous offert vos services au Parti avant cette date, ainsi que le déclare le Ministère Public, c’est-à-dire dès l’année 1930 ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Ce fut en 1930, au moment où eurent lieu les élections au Reichstag qui permirent au parti national-socialiste d’obtenir plus de 100 sièges. J’ai décrit hier, et je crois qu’il est inutile d’en reparler, dans quel état se trouvait l’Allemagne à ce moment-là. Cependant, au cours des années 1930, 1931 et 1932, je me suis rapproché du Parti, et dès 1932 — au mois d’août je crois — j’y adhérai. A partir de ce jour et jusqu’à la fin de la guerre, j’ai mis toute mon énergie au service de l’Allemagne nationale-socialiste. Je voudrais déclarer ouvertement devant ce Tribunal et devant le monde que je me suis toujours efforcé d’être un bon national-socialiste, et que j’étais fier d’appartenir à cette catégorie d’hommes pleins d’idéal qui ne désiraient rien d’autre que rendre à l’Allemagne son prestige dans le monde.

Dr HORN

Sur quels problèmes de politique extérieure Hitler attira-t-il votre attention lorsque vous êtes entré en fonctions, et quelles directives vous donna-t-il pour la conduite de la politique étrangère ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Lors de mon entrée en fonctions, le Führer m’a dit peu de choses. Il me dit simplement que l’Allemagne avait acquis maintenant une nouvelle position, qu’elle avait obtenu l’égalité avec les autres nations, et qu’il était clair qu’à l’avenir certains problèmes devraient être résolus. Il me dit surtout — autant que je me souvienne — qu’il y avait trois ou quatre problèmes particuliers qui devaient tôt ou tard trouver leur solution. Il souligna que de tels problèmes ne pouvaient être résolus qu’avec l’aide d’une Wehrmacht forte, non pas qu’il songeât à en faire usage, mais son existence serait suffisante, car un pays qui n’était pas fortement armé ne pouvait pas avoir de politique étrangère. Les années écoulées nous l’avaient enseigné et un tel pays ne pouvait que travailler dans le vide. Il me dit que nous devions avoir des rapports précis et clairs avec nos voisins. Les quatre problèmes cités par lui étaient d’abord l’Autriche ; puis il parla d’une solution des questions Sudètes et du petit pays de Memel, de Dantzig et du Corridor polonais : tous problèmes qui devaient être résolus sous une forme ou sous une autre. Ce serait ma tâche de l’aider sur le terrain diplomatique. Je m’efforçai, à partir de ce moment, d’aider le Führer à préparer une solution de ces problèmes, solution qui fût le plus possible avantageuse pour l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, je crois que nous pourrions suspendre l’audience maintenant.

(L’audience est suspendue.)
Dr HORN

Quelle fut la politique extérieure de l’Allemagne après votre nomination au poste de ministre des Affaires étrangères ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Tout d’abord, j’essayai d’obtenir une vue d’ensemble de la situation générale en ce qui concernait les Affaires étrangères. La politique extérieure de l’Allemagne, ainsi que je l’ai déjà indiqué, avait atteint un certain niveau : l’Allemagne avait reconquis son prestige dans le monde. La tâche à suivre consistait à trouver, d’une façon ou d’une autre, une solution aux grands problèmes vitaux posés en Europe par le Traité de Versailles. C’était d’autant plus nécessaire que, dans certaines questions d’ordre ethnologique par exemple, se trouvait toujours le germe d’un conflit éventuel en Europe.

Dans la période qui suivit, je me familiarisai avec les affaires du ministère. Ce ne fut pas facile, au début, parce que j’avais affaire à des gens qui m’étaient inconnus. Je dois avouer que l’attitude de Hitler vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères n’était pas toujours très compréhensive et, en voulant poursuivre les efforts de mon prédécesseur, M. von Neurath, j’estimai que ma plus grande tâche était de rapprocher ce ministère de Hitler et de servir de lien entre eux.

Il me fut évident, dès mon entrée au ministère, que je devais travailler à l’ombre d’un titan et que je devais prendre mon parti d’une certaine dépendance d’action, c’est-à-dire que je n’étais pas en mesure de mener la politique extérieure, comme le fait d’habitude un ministre des Affaires étrangères responsable devant un parlement. La personnalité extraordinaire du Führer dominait aussi, naturellement, la politique extérieure. Il s’en occupait jusque dans ses moindres détails. De mon côté, je lui soumettais des propositions et lui envoyais des rapports importants par courrier spécial et Hitler me donnait des ordres précis sur la politique à suivre en ce qui concernait les divers problèmes de politique étrangère, etc.

Au cours de nos discussions, le problème de l’Autriche se présenta comme le premier et le plus important, auquel il fallait trouver une solution d’une façon ou d’une autre. Le Führer avait toujours eu à cœur la question de l’Autriche, car il était né autrichien et, évidemment, son vieux désir d’un plus étroit rapprochement de l’Allemagne et de l’Autriche prenait forme à mesure que la force allemande se développait. A cette époque, je connaissais très peu ce problème, car Hitler s’en occupait presque tout seul.

Dr HORN

En entrant en fonctions, ou par la suite, avez-vous eu connaissance d’un compte rendu d’une conférence du 5 novembre 1937, qu’on a appelée ici du nom de document Hossbach ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, je ne connaissais pas ce document, qu’on a mentionné ici à plusieurs reprises. C’est ici que j’en ai entendu parler pour la première fois.

Dr HORN

Hitler a-t-il exprimé devant vous des idées exposées dans ce document ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je ne me souviens pas en détail du contenu de ce document, mais le Führer avait l’habitude de parler très peu de ses idées, de ses intentions et de ses convictions, tout au moins de m’en parler. Il me déclara seulement, comme je l’ai déjà dit, que l’Allemagne avait certains problèmes à résoudre en Europe et que pour cela il fallait qu’elle fût forte. Il a également envisagé la possibilité de désaccords, mais il ne précisa jamais sa pensée sur ce point. Au contraire, il me disait toujours que son plus grand désir était de résoudre ces problèmes en Europe par la voie diplomatique. Une fois ces problèmes résolus, il voulait créer un État socialiste populaire idéal et faire de l’Allemagne qui naîtrait alors un État socialiste moderne exemplaire, embelli de tous les nouveaux édifices auxquels il tenait particulièrement.

Il a bien envisagé l’éventualité d’un conflit armé, mais il m’a constamment déclaré que son but immuable était et avait toujours été une solution par des moyens pacifiques des problèmes posés par « l’impossibilité de Versailles », comme il l’appelait.

Dr HORN

Peu de temps après votre nomination au poste de ministre des Affaires étrangères, vous avez été appelé par Hitler à Berchtesgaden pour y prendre part à une conférence avec Schuschnigg. De quoi y avez-vous parié ? Quel rôle avez-vous joué au cours de cette conférence à trois ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Le 12 février 1938, Hitler me fit savoir qu’il devait rencontrer à l’Obersalzberg le chancelier fédéral Schuschnigg. Je ne me souviens plus des détails. D’après mes notes, je vois que c’était le 12 février. Il me fit remarquer alors que le problème était le suivant : il fallait aider le parti national-socialiste en Autriche. Des difficultés de toutes sortes avaient surgi dont je ne sais plus aujourd’hui tous les détails. Il me dit que de nombreux nazis se trouvaient en prison et que, étant donné les aspirations naturelles de ces Autrichiens à des rapports plus intimes avec le Reich, le problème autrichien menaçait de devenir une question vraiment grave entre l’Allemagne et l’Autriche. Adolf Hitler me dit alors que je devais être présent au Berghof. Plus tard, on a affirmé, et je l’ai entendu dire ici, qu’Adolf Hitler aurait déclaré, un jour, qu’il avait l’intention de lutter à tout prix pour que ces 6.000.000 d’Allemands puissent librement disposer d’eux-mêmes, dans le courant de l’année 1938. Je ne m’en souviens pas, mais c’est fort possible.

Lors de la réception de Schuschnigg à l’Obersalzberg, j’étais présent. Hitler reçut le Dr Schuschnigg tout seul et eut une longue conversation avec lui. Je ne connais pas les détails de cette conversation, car je n’y ai pas assisté. Je me souviens que Schuschnigg a ensuite longuement conversé avec moi.

Dr HORN

Avez-vous alors, ainsi que le Ministère Public le prétend, exercé une pression politique sur Schuschnigg ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Non, ce n’est pas exact. Je me souviens très bien de ma propre conversation avec Schuschnigg, alors que les autres détails de ce qui se passa à l’Obersalzberg ne sont plus très clairs dans ma mémoire, car je n’ai assisté ni au premier ni au deuxième entretien entre Schuschnigg et Hitler. Ma conversation avec Schuschnigg fut très amicale. Je sentis que Schuschnigg avait été fortement impressionné par la personnalité du Führer. Tout d’abord, je dois dire que je ne connaissais pas en détail ce que Hitler voulait obtenir de Schuschnigg, ce qui fait que je n’ai pu lui parler que fort peu à ce sujet, même pas du tout. Notre conversation se borna plutôt à des thèmes généraux. Je dis à Schuschnigg que, selon moi, nos pays devaient se rapprocher et que c’était peut-être son rôle historique de s’en occuper et d’y travailler. Il était indéniable que nos deux pays étaient allemands et deux peuples allemands ne pouvaient pas demeurer séparés éternellement par des barrières artificielles.

Dr HORN

Au cours de ces conversations, a-t-on parlé d’une dénonciation du traité germano-autrichien de 1936 ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je n’ai pas abordé ce sujet avec Schuschnigg et je crois que le Führer n’en a jamais parlé non plus, car, selon les dires de Schuschnigg, le Führer lui aurait dit simplement qu’il fallait prendre certaines mesures en Autriche pour supprimer les raisons d’un conflit entre les deux pays. C’est ce que j’ai compris, sans me souvenir des détails. Comme je l’ai déjà indiqué, ma conversation avec lui fut très amicale et je peux même dire que, lorsque j’exposai à Schuschnigg la théorie selon laquelle nos deux pays devaient collaborer davantage, il prit une position tout à fait positive à cet égard et exprima la même opinion. J’en fus même assez surpris. Il ne peut être question de pression exercée sur Schuschnigg au cours de notre entretien. Cependant, je crois que la conversation qu’il eut avec le Führer fut très franche, car celui-ci désirait améliorer les rapports existant entre les deux pays, afin de créer un climat favorable à la solution des problèmes qui se posaient. Or, pour atteindre ce but, il fallait bien que les deux hommes d’État pussent exprimer librement leurs pensées.

On a dit ici — c’était je crois une citation du journal de Jodl — qu’une pression militaire et politique très forte avait été exercée sur Schuschnigg. Je crois pouvoir affirmer ici que je n’ai jamais rien su d’une pression militaire ou politique quelconque exercée au cours de cette rencontre Hitler-Schuschnigg. Le Führer a certainement parlé clairement et franchement avec Schuschnigg, mais je n’ai absolument rien remarqué qui pût faire croire à une pression politique ou militaire, voire même à un ultimatum. Je crois donc que l’observation du général Jodl, qui n’était pas présent personnellement, n’est qu’une simple relation de oui-dire.

Je voudrais encore ajouter, et je l’ai dit à l’époque à de nombreuses personnes ainsi qu’au Führer, que j’avais été agréablement surpris par la personnalité de Schuschnigg. Celui-ci a même dit — et je me souviens de ses propres paroles — que nos deux pays étaient liés par le destin et qu’il était prêt à faire tous ses efforts pour arriver à une meilleure compréhension. Dans notre conversation, il n’a pas été question d’un Anschluss quelconque ; je ne sais pas si le Führer en a parlé, mais je ne le crois pas.

Dr HORN

Lorsque, à cette époque ou peu après, Hitler vous a parlé du traité germano autrichien de 1936, vous a-t-il dit qu’il envisageait sa dénonciation ou une autre solution du problème ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Hitler ne m’en a pas parlé. D’ailleurs, j’ai très peu parlé avec lui du problème germano-autrichien. Je ne sais même pas si j’ai abordé ce sujet avec lui. Cela peut vous sembler étrange, mais cela s’explique par le fait que je n’étais au ministère que depuis le 4 février seulement et qu’il me fallait d’abord me mettre au courant de toutes ces questions.

De toute façon, comme je l’ai déjà indiqué, le problème germano-autrichien était une des questions que le Führer se réservait personnellement et qui était donc pour ainsi dire simplement enregistrée au ministère des Affaires étrangères. Je me souviens encore que l’ambassadeur von Papen avait aussi le droit de faire des rapports directs au Führer et le ministère n’en recevait que des copies ; ils parvenaient directement au Führer par la chancellerie, de telle sorte que le problème était davantage du ressort de la Chancellerie du Reich que de celui du ministère des Affaires étrangères.

Dr HORN

Vous êtes parti ensuite pour Londres afin de prendre congé. Qu’avez-vous entendu dire à Londres sur le déroulement de la question autrichienne ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je puis vous dire les choses suivantes à ce sujet. Personnellement, j’avais toujours envisagé une solution de la question autrichienne sous la forme d’un traité d’union douanière et monétaire entre les deux pays. Je pensais que c’était le meilleur et le plus sûr moyen d’arriver à un accord entre les deux pays. Cette question d’union douanière ou, tout au moins, monétaire, était déjà ancienne et avait été envisagée par les gouvernements qui avaient précédé celui de Hitler ; mais elle n’avait pu aboutir, par suite de l’opposition des puissances alliées. Elle était cependant ardemment désirée de part et d’autre.

Je vais d’abord répondre à votre question sur Londres. D’après mes notés, je suis retourné à Londres le 8 mars. Ainsi que je crois l’avoir déjà dit, j’étais à Berlin à l’occasion de l’anniversaire de la prise du pouvoir le 30 janvier, et le 4 février, je fus nommé ministre des Affaires étrangères. Cette nomination m’empêcha de prendre officiellement congé à Londres ; c’est pourquoi j’y suis retourné le 8 mars. Avant de partir, j’eus un entretien avec Hitler, principalement au sujet de l’Angleterre. Mais je me souviens qu’il déclara à cette occasion que la question autrichienne semblait évoluer de façon très satisfaisante, dans le sens des décisions prises avec Schuschnigg à Berchtesgaden. Je voudrais ajouter que je ne connaissais pas tous les détails de cet accord et je me souviens même que mon ministère s’est adressé quelque temps après à la Chancellerie du Reich pour obtenir des renseignements que demandait le fonctionnaire spécialement chargé des affaires autrichiennes.

En arrivant à Londres — c’était un après-midi — j’entendis, par hasard, à l’ambassade, un discours radiodiffusé prononcé par le chancelier Schuschnigg, à Innsbruck ou à Graz. Ce discours, je dois le dire, me surprit énormément. Je n’entrerai pas dans les détails, dont je ne me souviens d’ailleurs pas. Mais je sais que tout le sens du discours et même le ton dont il fut prononcé, me donnèrent immédiatement l’impression que le Führer ne le tolérerait pas et que tout le discours, sans le moindre doute, était contraire à l’esprit dans lequel avait été conclu l’accord avec le Führer à l’Obersalzberg. J’étais convaincu qu’Adolf Hitler réagirait et je dois dire franchement devant ce Tribunal qu’il me paraissait très normal que la question fût tranchée d’une façon ou d’une autre ; je veux dire qu’il me semblait indispensable de tenir un langage très net à Schuschnigg, afin d’éviter une catastrophe, peut-être même une catastrophe pour toute l’Europe.

Le lendemain matin, je m’entretins longuement avec Lord Halifax, qui, avait reçu également des informations d’Autriche. J’essayai, sans connaître à fond la situation, de lui expliquer qu’il était préférable de résoudre ce problème tout de suite, d’une façon ou d’une autre, et que ce serait précisément dans l’intérêt des efforts anglo-allemands en vue d’une entente amicale. On verrait bien, à la longue, que l’amitié entre l’Allemagne et l’Angleterre, désirée par les deux pays, ne pouvait pas être compromise par un tel problème.

Lord Halifax ne parut pas s’alarmer de la situation et il me dit, si je me souviens bien, que j’aurais l’occasion de m’entretenir à ce sujet avec le Premier Ministre Chamberlain au déjeuner qui suivrait. Je déjeunai donc avec le Premier Ministre et au cours du repas, ou tout de suite après, j’eus un long entretien avec lui. Pendant cette conversation, M. Chamberlain souligna de nouveau son désir d’arriver à une entente avec l’Allemagne. Je fus très heureux d’entendre ces paroles et lui dis que j’étais fermement convaincu que c’était également le désir du Führer. Il me chargea alors d’un message spécial pour le Führer, lui exprimant ce désir et l’assurance qu’il ferait son possible pour le réaliser.

Peu de temps après cette conversation, arrivèrent des télégrammes de Vienne, de l’ambassadeur ou du consul anglais. M. Chamberlain et Lord Halifax m’appelèrent dans leur cabinet. Nous déjeunâmes, autant que je m’en souvienne, au 10 Downing street et je les suivis alors dans leur cabinet où nous discutâmes de ces télégrammes. Je leur dis, évidemment, que je n’avais pas d’informations très précises. Puis vint la nouvelle d’un ultimatum, ensuite celle de l’entrée des troupes allemandes en Autriche. Je leur dis que je ferais mon possible pour entrer en contact avec mon Gouvernement. Lord Halifax devait venir me voir à l’ambassade, dans l’après-midi, pour continuer notre conversation. Je désire souligner que M. Chamberlain, à cette occasion, eut une attitude très calme et très raisonnable dans cette question autrichienne.

Dans l’après-midi, Lord Halifax vint à l’ambassade et nous nous entretînmes longuement Pendant ce temps, la nouvelle de l’entrée des troupes allemandes en Autriche se répandit.

Je dois dire que ces conversations avec Lord Halifax furent très amicales et qu’à la fin de cet entretien j’invitai le ministre des Affaires étrangères anglais à faire une nouvelle visite en Allemagne. Il accepta mon invitation, en me faisant remarquer qu’il en serait heureux et que l’on pourrait peut-être organiser, par exemple, une nouvelle chasse.

Dr HORN

Le jour suivant, vous avez eu une conversation téléphonique avec l’accusé Göring. Le Ministère Public l’a présentée comme une preuve de votre double jeu. Qu’en pensez-vous ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

C’est inexact. Le maréchal Göring a déjà dit que c’était une conversation diplomatique. Tous les diplomates du monde agissent de cette façon. Je dois ajouter que cette conversation téléphonique m’a donné pour la première fois des détails sur les événements autrichiens. Sans entrer dans les détails, j’appris que ce plébiscite ne correspondait pas à la volonté du peuple autrichien, ainsi que certains autres points que Göring me pria de mentionner dans mes conversations avec les ministres britanniques. Toutefois, je dois dire qu’en fait ces conversations n’eurent pas lieu, car j’avais déjà pris congé des milieux officiels anglais. Je n’ai plus eu aucune conversation officielle car, après mon entretien avec Göring, quelques heures plus tard, je quittais Londres pour me rendre à Berlin et, immédiatement après, à Vienne.

J’allai d’abord voir Göring à Karinhall, où je m’entretins avec lui et le trouvai fort satisfait de l’Anschluss ou, plutôt, de tout le déroulement des événements en Autriche. Il était aussi content que moi. Nous étions tous très heureux. Je partis le même jour pour Vienne par avion et arrivai là-bas au moment où Adolf Hitler y parvenait lui-même. C’est alors que j’appris que cette idée de l’Anschluss avait pris corps dans l’esprit de Hitler au cours de son entrée en Autriche. Je crois que c’est à la suite d’une manifestation à Linz qu’il s’est décidé brusquement à accomplir l’Anschluss.

Dr HORN

A la suite de l’Anschluss autrichien, quels furent les problèmes que Hitler vous indiqua comme urgents à résoudre ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Le problème suivant par ordre d’importance dont Hitler me parla le 4 février, fut celui de la question du pays des Sudètes. Mais ce n’était pas un problème posé par Hitler ou par le ministère des Affaires étrangères ou un autre ; il se posait de lui-même. Je crois que c’est le Procureur américain qui a dit ici qu’avec la fin de la Tchécoslovaquie un chapitre fut clos, l’un des plus tristes de l’histoire du monde, c’est-à-dire l’oppression et la destruction de la nation tchécoslovaque. Je voudrais déclarer ce qui suit, d’après ce que je sais de cette affaire : On peut parler dans ce sens d’un État tchécoslovaque, mais non pas d’une nation tchécoslovaque, car c’était un État qui se composait de nationalités différentes, de groupements nationaux très divers : pour les mentionner simplement, à part les Tchèques, il s’y trouvait des Allemands, des Hongrois, des Polonais, des Ruthènes, des Ukrainiens, des Slovaques, etc, c’est-à-dire que cet État avait été formé en 1919 d’éléments les plus disparates. Il est donc certain, et c’est probablement un fait historique, que les aspirations des diverses nationalités qui composaient cet État artificiel étaient passablement divergentes et que les Tchèques, suivant leurs propres buts, tentèrent de mener ces éléments par force et je dirai avec intransigeance. D’où résultèrent des pressions et des frictions nombreuses entre les peuples divers de cet État. Or, il est évident que l’Allemagne d’alors, forte et nationale-socialiste, exerçait un attrait puissant sur toutes ces minorités allemandes en Europe, surtout sur celles qui touchaient ses frontières, mais en partie sur d’autres également. C’est ainsi que les minorités allemandes du pays des Sudètes qui, dès 1919, avaient subi une forte pression de la part de Prague, virent cette pression s’aggraver encore.

Je ne crois pas être obligé d’entrer dans les détails mais je sais, d’après des conversations auxquelles j’ai moi-même pris part lorsque j’étais ambassadeur à Londres, que la question des Sudètes était très bien comprise par le Foreign Office et qu’à plusieurs reprises, avant 1938, l’Angleterre elle-même avait soutenu certaines aspirations des Allemands des Sudètes, en même temps que Konrad Henlein, qui était alors chef des Allemands des Sudètes.

Après l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler, la pression exercée sur les minorités allemandes augmenta. Je voudrais également mentionner que le Comité des minorités de la Société des Nations — je le sais d’après les archives des Affaires étrangères du Reich — possédait une documentation importante sur les Allemands des Sudètes et sur toutes les difficultés qu’ils éprouvaient à conserver leur indépendance culturelle. Je crois ne pas exagérer en disant que la façon dont Prague traitait les Allemands des Sudètes n’était absolument pas en accord — même aux yeux des autorités compétentes et impartiales de la Société des Nations — avec les dispositions stipulées par celle-ci à propos des minorités. Je pensais aussi qu’il était indispensable de trouver une solution, pour que ce problème ne devînt pas une cause de conflit, risquant — comme dans le cas de l’Autriche — de s’étendre à toute l’Europe. Je dois souligner que le ministère des Affaires étrangères et moi-même, nous nous sommes toujours efforcés, dès le début, de résoudre la question des Sudètes par la voie diplomatique après nous être mis en rapports avec les principaux signataires du Traité de Versailles. Et, puis-je l’ajouter, j’étais convaincu, comme je l’ai dit d’ailleurs à Hitler, qu’avec du temps et suffisamment d’adresse, une Allemagne comme celle de 1938 pouvait résoudre ce problème par la diplomatie, c’est-à-dire pacifiquement. Le Ministère Public m’a reproché d’avoir suscité des troubles en Tchécoslovaquie par des moyens illégaux et d’avoir ainsi contribué sciemment à la crise qui se produisit. Je ne nie absolument pas qu’il ait existé depuis longtemps, entre le parti des Sudètes et le parti national-socialiste allemand, des relations basées sur les intérêts des Sudètes allemands en face de Prague. Je ne veux pas non plus nier que le Reich allemand ait financé le parti des Sudètes. Je dirais même que je crois que le Gouvernement tchécoslovaque confirmerait que c’était le secret de polichinelle et que Prague était parfaitement au courant. Mais il n’est pas exact que le ministère des Affaires étrangères et moi-même aient fait quoi que ce soit pour canaliser ces efforts et en faire sortir une crise. Je ne voudrais pas donner trop de détails mais je mentionnerai encore ceci : On a parlé ici de documents prouvant que des citoyens tchécoslovaques avaient été arrêtés en Allemagne, en représailles du traitement infligé par les Tchèques aux Allemands des Sudètes. Ces mesures se comprenaient étant donné la situation à l’époque, mais elles ne furent jamais ordonnées par le ministère des Affaires étrangères pour envenimer les choses. Bien au contraire, au cours de ces événements, je me suis efforcé, tant par l’entremise de l’ambassade à Prague que par mes propres services, de contrôler sévèrement le parti allemand des Sudètes. Je crois que les documents présentés ici prouvent clairement la véracité de mes dires. Je n’ai pas ces documents sous les yeux et je ne peux donc en parler en détail, mais je crois que la Défense aura la possibilité de prouver tout cela clairement.

Dr HORN

Comment la crise est-elle apparue en été ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Il est évident, et cela a toujours été ainsi, qu’une telle conception nationale a son propre dynamisme. Cette question des minorités allemandes groupées sur les frontières du Reich était souvent appelée par nous, aux Affaires étrangères, « le problème diabolique », c’est-à-dire un problème que la politique étrangère ne contrôlait pas autant que son intérêt l’eût demandé. Nous avions affaire ici, non pas à des numéros ou à des articles, mais à des êtres vivants qui possédaient une vie et des tendances propres. La situation était la suivante : le parti allemand des Sudètes aspirait de plus en plus à l’indépendance et il est indiscutable que certains de ses chefs influents réclamaient au moins l’autonomie absolue, sinon même une possibilité d’incorporation au Reich. Ce n’est pas niable et c’était bien le but du parti allemand des Sudètes. Pour le ministère des Affaires étrangères, de même que pour Hitler, cela créa évidemment bien des difficultés. Comme je l’ai déjà dit, j’ai tenté, sur le plan de la politique étrangère, de contrôler tout cela. Je reçus Konrad Henlein, une fois ou deux, et je le priai de n’entreprendre vis-à-vis de Prague aucune manœuvre politique susceptible de créer des difficultés à la politique extérieure de l’Allemagne. Ce n’était peut-être pas très facile pour Henlein non plus et je sais que les chefs du parti allemand des Sudètes pouvaient naturellement s’adresser à d’autres services du Reich. D’ailleurs, Adolf Hitler lui-même, qui s’intéressait à ce problème, les reçut quelquefois. La crise, ou plutôt la situation dans son ensemble, prit une tournure de plus en plus grave car, d’une part, les revendications des Allemands des Sudètes à Prague devenaient toujours plus impératives et, d’autre part, l’opposition du Gouvernement tchèque se raffermissait d’une façon continue, ce qui provoqua des excès, des arrestations, etc. La situation ne fit qu’empirer.

A cette époque, j’eus plusieurs entretiens avec l’ambassadeur de Tchécoslovaquie et je le priai de satisfaire la demande d’autonomie des Allemands des Sudètes, ainsi que leurs autres revendications, dans toute la mesure du possible. Cependant, l’affaire se développa de telle façon que l’attitude de Prague devint toujours plus inflexible et celle des Allemands des Sudètes plus intransigeante.

Dr HORN

Qu’est-ce qui provoqua la visite de Chamberlain ? Quels en furent les motifs ? Quel fut votre rôle à cette occasion ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je voudrais faire remarquer que, pendant l’été 1938, la situation devint de plus en plus tendue. L’ambassadeur Sir Nevile Henderson, avec lequel j’avais souvent parlé de la question à Berlin et qui faisait son possible pour arranger les choses de son côté, a adressé fréquemment à son Gouvernement des rapports sur la situation. Je n’en suis plus très sûr aujourd’hui, mais je crois que c’est sur son initiative que Lord Runciman s’est rendu à Prague. Runciman est allé à Prague en toute bonne foi, c’est évident, et a tenté de se faire une idée claire de la situation. Et il en conclut, si je me souviens bien, que le droit de disposer d’eux-mêmes, immédiatement, ne devrait pas être refusé au pays des Sudètes : il était donc favorable aux revendications des Allemands des Sudètes. Toutefois, la crise existait. Je ne me souviens plus exactement de la date, mais je crois que ce fut par l’intermédiaire de l’ambassadeur Henderson que Chamberlain se mit en rapport avec le Gouvernement du Reich. C’est ainsi qu’eut lieu la visite de Chamberlain au Führer à l’Obersalzberg, dans la première quinzaine de septembre.

Il n’y a pas grand-chose à dire de cette visite. Le Führer s’entretint seul avec Chamberlain à cette occasion ; cependant, je sais que cette conversation se déroula dans une atmosphère amicale et agréable. Autant que je m’en souvienne, Hitler me dit alors qu’il avait déclaré clairement à Chamberlain que les revendications d’autonomie et de liberté de la part des Allemands des Sudètes devraient être satisfaites d’une façon ou d’une autre. Chamberlain aurait répondu qu’il ferait part de ces désirs du Gouvernement au Cabinet britannique et qu’il en communiquerait ensuite les résultats ; c’est là l’essentiel de cette conversation.

Dr HORN

Dans quelles circonstances eut lieu la deuxième visite de Chamberlain à Godesberg ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Autant que je m’en souvienne, la question ne s’éclaircit pas et la situation dans le pays des Sudètes aboutit à une véritable crise qui s’étendit non seulement à l’intérieur de la Tchécoslovaquie, mais encore entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie et de là à toute l’Europe. Il s’ensuivit que M. Chamberlain prit de nouveau l’initiative de se rendre à Godesberg, au milieu de septembre ou vers la fin de ce mois, je crois.

Dr HORN

Quelle fut donc la solution du problème des Sudètes ? Et quelle part y avez-vous apportée ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Je vais d’abord parler de Godesberg.

Étant donné la crise et son déroulement, Adolf Hitler communiqua à Chamberlain, à Godesberg, qu’il fallait maintenant trouver une solution à tout prix. Je peux spécifier ici que je n’étais absolument pas au courant des détails d’ordre militaire, mais je sais que le Führer avait envisagé une solution militaire du problème. Je crois qu’il avertit M. Chamberlain à Godesberg qu’une solution devait être trouvée le plus vite possible. M. Chamberlain répondit que ce serait difficile d’amener Prague aussi vite à une telle décision et, finalement, la conférence tomba au point mort. Adolf Hitler dicta alors lui-même un mémorandum qu’il devait ou que je devais remettre à M. Chamberlain. Un ami de M. Chamberlain, Sir Horace Wilson, vint me voir ; c’était un homme qui s’était fait la réputation d’être très habile à arbitrer les différends. Je pus donc arranger une nouvelle rencontre dans la soirée. Au cours de cet entretien, qui débuta dans une atmosphère plutôt froide, on communiqua au Führer la nouvelle de la mobilisation tchèque. C’était un événement infiniment regrettable, qui toucha profondément Adolf Hitler. Il voulut interrompre la conférence, comme d’ailleurs M. Chamberlain. On en était arrivé au moment où l’interprète allait justement lire ce mémorandum de Hitler contenant des propositions pour le règlement de la question des Sudètes. J’eus un court entretien avec Hitler, puis avec M. Chamberlain, et je parvins à arranger les choses. Les négociations furent reprises et, après quelques heures de discussion, M. Chamberlain dit au Führer qu’il voyait bien maintenant que quelque chose allait se passer et qu’il était prêt à communiquer ce mémorandum au Cabinet britannique. Je crois qu’il déclara également qu’il suggérerait au Cabinet britannique, c’est-à-dire à ses collègues, de recommander à Prague d’accepter les conditions de ce mémorandum. Ce mémorandum envisageait comme solution du problème, dans ses grandes lignes, le rattachement du pays des Sudètes au Reich. Je crois que le Führer y déclarait que, étant donné la situation critique, il fallait résoudre la question très rapidement ; il donnait la date du 1er octobre, c’est-à-dire un délai de dix ou quinze jours. M. Chamberlain partit. Quelques jours passèrent. La crise ne s’améliora pas, au contraire, et c’est ainsi que dans la troisième décade de septembre, je ne me souviens plus exactement de la date, l’ambassadeur de France vint un jour me voir en disant qu’il apportait une bonne nouvelle au sujet de la question des Sudètes ; puis, l’ambassadeur de Grande-Bretagne se fit également annoncer. A ce moment, le maréchal Göring en a témoigné, l’Italie elle-même s’attacha à la solution du problème des Sudètes, à la suite du vœu exprimé par Göring à Mussolini. Mussolini proposa une conférence réunissant l’Angleterre, la France et l’Allemagne : ce qui fut fait.

L’ambassadeur de France et plus tard l’ambassadeur de Grande-Bretagne se rendirent auprès de Hitler et lui indiquèrent sur une carte comment on pourrait envisager une solution du problème, d’après les vues de la France, de l’Angleterre et de l’Italie. Le Führer déclara tout d’abord que la proposition de l’ambassadeur de France n’était pas satisfaisante, à quoi celui-ci répondit que l’on pourrait, bien entendu, en discuter et régler plus tard les questions de détail concernant l’étendue du territoire des Sudètes et les régions peuplées d’Allemands. Il donnait le point de vue du Gouvernement français. C’est aussi ce que soutint Sir Nevile Henderson au cours de son entretien avec le Führer. Le Führer pouvait être convaincu que, du côté britannique comme du côté français, on avait le désir de régler le problème des Sudètes conformément au point de vue allemand.

C’est de cette manière qu’on aboutit à la conférence de Munich. Je n’ai pas besoin d’en rapporter les détails ici. Je voudrais simplement en exposer brièvement les résultats. A l’aide d’une carte géographique, le Führer expliqua aux hommes d’État la nécessité pour certaines régions des Sudètes d’être rattachés au Reich en vue d’un apaisement définitif. Cela entraîna une discussion. Le chef du Gouvernement italien, Mussolini, était d’accord en gros avec le Führer. Le Premier Ministre anglais fit d’abord quelques objections et signala qu’on pourrait peut-être soumettre la question aux Tchèques à Prague. Le président du Conseil, Daladier si mes souvenirs sont exacts, dit que puisque les quatre grandes Puissances étaient réunies et s’étaient attaquées à la solution de ce problème, il fallait prendre une décision. Finalement, cette opinion fut adoptée par les quatre hommes d’État. Et c’est ainsi que fut signé le traité de Munich qui stipulait que le pays des Sudètes serait annexé par le Reich, comme l’indiquaient les cartes dont on avait fait usage. Le Führer était très heureux et satisfait de cette solution et je voudrais encore spécifier ici nettement, car certaines dépositions ont prétendu le contraire, que nous étions tous très satisfaits et très contents de la solution donnée au problème.

LE PRÉSIDENT

L’audience reprendra à 14 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)