QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 29 mars 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal siégera demain matin en audience publique de 10 heures à 13 heures. Avant que vous ne repreniez, Docteur Horn, le Tribunal désire vous informer que nous pensons que l’accusé expose de façon beaucoup trop longue et beaucoup trop détaillée les négociations qui ont conduit à un accord, car ce sont là des points d’Histoire que tout le monde connaît. Ce n’est pas là l’accusation à laquelle l’accusé doit faire face. Il doit répondre non pas d’accords qui sont très bien connus, mais de violations de ces accords par l’Allemagne et du rôle qu’il a pu jouer dans la violation de ces accords. Il est très important de ne pas perdre de temps à exposer des détails inutiles.
Quelles furent les conséquences de l’accord de Munich, sur la politique étrangère ?
L’accord de Munich est connu de tous. Il stipulait ce qui suit : l’Allemagne et l’Angleterre ne se feraient jamais plus la guerre ; l’accord naval fixant le rapport de 100 à 35 serait définitif ; les deux pays se consulteraient sur toutes les questions importantes. Il est certain que, grâce à ces accords, les rapports entre l’Allemagne et l’Angleterre devinrent un peu moins tendus. On avait espéré que ce pacte amènerait une entente définitive et la déception fut très grande lorsque, quelques jours plus tard, l’Angleterre annonça le réarmement accéléré à tout prix. L’Angleterre commença alors une politique d’étroite collaboration avec la France. Dès novembre 1938, on prit des mesures commerciales dirigées contre l’Allemagne et, en décembre 1938, le secrétaire d’État britannique aux colonies fit un discours dans lequel il s’éleva contre toute révision de la question coloniale. On prit contact avec les États-Unis. Nos rapports de cette période, je m’en souviens, indiquent une attitude plus intransigeante de l’Angleterre à l’égard de l’Allemagne, et l’impression gagna le Reich qu’une véritable politique d’encerclement de l’Allemagne était en voie d’exécution.
Vous êtes accusé par le Ministère Public d’avoir contribué à la séparation de la Slovaquie du reste de la Tchécoslovaquie, en violation du Droit international. Quel rôle avez-vous joué dans la déclaration d’indépendance slovaque ?
Il est évident qu’il existait des rapports nombreux entre certains Slovaques et des membres du parti national-socialiste. Ils étaient connus du ministère des Affaires étrangères, et il serait faux de dire que nous eûmes à leur égard une attitude hostile. Mais il n’est pas exact que l’autonomie fut réclamée ou provoquée par nous. Au contraire, c’est le Dr Tiso qui proclama l’autonomie, et le Gouvernement de Prague, sous l’influence de l’accord de Munich, la reconnut. Quelle était la situation, au lendemain de Munich ? On en a une idée si l’on se souvient que toutes les minorités de Tchécoslovaquie réclamèrent leur indépendance. Peu après, les Ukrainiens des Carpates proclamèrent leur indépendance et d’autres groupements encore manifestèrent avec vigueur des aspirations semblables.
Dans l’accord de Munich, je tiens à le faire remarquer, il existait une clause stipulant que l’Allemagne et l’Italie donneraient une garantie à la Tchécoslovaquie ; mais cette déclaration ne fut jamais faite, et la raison en est que la Pologne, après l’accord de Munich, envoya un ultimatum à la Tchécoslovaquie et, de sa propre initiative, occupa les zones habitées par les minorités polonaises. Les Hongrois également réclamèrent l’autonomie ou un rattachement à la Hongrie, et là-dessus, certaines zones de Tchécoslovaquie furent cédées à la Hongrie à la suite d’un arbitrage qui eut lieu à Vienne. La situation en Tchécoslovaquie ne s’éclaircit pas, malgré tout ; au contraire, elle se compliqua. C’est alors que le Slovaque Tuka s’adressa à nous. Il voulait obtenir l’accord de l’Allemagne à l’indépendance de la Slovaquie. Le Führer reçut Tuka et, après quelques négociations, la déclaration d’indépendance de la Slovaquie fut proclamée le 13 mars par Tiso. Le Ministère Public a présenté un document prétendant que, pendant la conversation qui eut lieu entre le Führer et Tuka, j’ai déclaré que la Tchécoslovaquie devait prendre une décision dans les heures qui suivraient, que ce n’était pas même une question de jours. C’est qu’à cette époque, les troupes hongroises se préparaient à envahir et à occuper certaines régions de la Slovaquie et de l’Ukraine subcarpatique. Nous voulions prévenir une guerre entre la Slovaquie et la Hongrie ou entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Hitler se faisait beaucoup de soucis à ce sujet et c’est pourquoi il reconnut avec empressement la revendication de Tiso. Plus tard, après la déclaration d’indépendance de la Slovaquie par le Parlement slovaque, il accéda à la demande de Tiso et se chargea de la protection du pays.
Quelles furent les raisons de la visite de Hacha à Berlin, le 14 mars 1939 ?
Les événements en Slovaquie eurent évidemment leurs répercussions, qui se manifestèrent surtout par des excès commis envers des personnes de race germanique dans les régions de Prague, de Brünn et de Iglau, etc. et qui furent rapportés à Hitler. Nombreux furent ceux qui se réfugièrent dans le Reich. Pendant l’hiver 1938-1939, je tentai à maintes reprises d’engager des pourparlers à ce sujet avec le Gouvernement de Prague ; Hitler était convaincu qu’il se tramait quelque chose d’intolérable contre le Reich. Il s’agissait surtout de l’attitude de la presse et des milieux gouvernementaux de Prague. En outre, le Führer voulait que la nation tchèque réduisît sa puissance militaire, mais Prague s’y refusait. Au cours de ces quelques mois, j’essayai à plusieurs reprises de maintenir de bonnes relations entre l’Allemagne et Prague. J’eus de fréquents entretiens avec Chvalkovski, le ministre des Affaires étrangères tchécoslovaque et, en mars, celui-ci s’adressa à notre représentant à Prague pour demander si Hitler accorderait à Hacha un entretien personnel. Je rapportai cette demande au Führer et le Führer accepta de recevoir Hacha. Cependant il m’exprima le désir de traiter cette affaire lui-même. A cet effet, j’eus un échange de télégrammes avec Prague : on aurait une attitude réservée, mais le Führer recevrait Hacha. A ce propos, je voudrais indiquer brièvement que le ministère des Affaires étrangères et moi-même ignorions absolument l’existence de plans militaires. Nous ne le sûmes que très peu de temps avant le début de la crise.
Avant l’arrivée de Hacha, je demandai au Führer si l’on devait préparer un projet de traité. Le Führer répondit — et je m’en souviens très nettement — qu’il avait l’intention d’aller beaucoup plus loin que cela. Après l’arrivée de Hacha à Berlin, je lui rendis d’abord visite et je me souviens qu’il me dit qu’il voulait remettre le sort de la nation tchèque entre les mains du Führer. Je rapportai le propos au Führer qui me dit de préparer un projet d’accord. Le projet lui fut soumis et corrigé par la suite. Hacha fut reçu par le Führer et les résultats de cette conférence, autant que je sache, sont déjà connus et ont été déposés ici comme preuve ; je n’ai donc pas à entrer dans le détail.
Je sais qu’Adolf Hitler, à cette occasion, tint un langage très clair à Hacha et lui déclara qu’il entendait occuper la Tchécoslovaquie : il s’agissait d’une très ancienne terre qu’il entendait mettre sous sa protection. Les Tchèques auraient une autonomie complète et leur vie indépendante, et il pensait que la décision prise ce jour-là amènerait d’heureux résultats pour le peuple tchèque. Peu de temps après, j’eus une longue discussion avec le ministre des Affaires étrangères, Chvalkovski. Il se rangea assez aisément à notre point de vue et je lui demandai de persuader Hacha, afin que la décision du Führer et tout ce qu’elle entraînait pût être réalisée sans effusion de sang. Je crois que ce fut la profonde impression que lui fit sa visite au Führer et les paroles de celui-ci qui décidèrent Hacha à entrer en contact par téléphone avec son Gouvernement à Prague, et également, je crois, avec le chef de l’État-Major général, bien que je ne puisse l’affirmer complètement. Il reçut ainsi l’approbation de son Gouvernement pour signer l’accord déjà mentionné. Cet accord fut signé par Hitler, par Hacha, par son ministre des Affaires étrangères et par moi-même. Puis Hacha, si je m’en souviens bien, donna des instructions pour que l’Armée allemande fût reçue amicalement et, autant que je sache, l’occupation de la Tchécoslovaquie, je veux dire de la Bohême et de la Moravie, eut lieu sans incident d’aucune sorte. Après l’occupation, au cours de mon voyage à Prague avec le Führer ou peut-être bien à Prague même, le Führer me remit un matin une proclamation déclarant que la Bohême et la Moravie devenaient Protectorat du Reich. Je lus cette proclamation qui, je dois l’avouer, me surprit un peu. A Prague, aucune protestation d’aucune sorte ne s’éleva, autant que je me souvienne, et je crois pouvoir dire que l’occupation de la Bohême et de la Moravie, que le Führer considérait comme exigée par les intérêts primordiaux du Reich, s’accomplit pour des raisons historiques et économiques et, par-dessus tout, pour des raisons de sécurité. Je crois que Göring en a donné les détails.
Quelle était, à votre point de vue, la situation européenne, au moment de l’occupation du reste de la Tchécoslovaquie ?
Je puis dire qu’après la proclamation faite à Prague, j’eus avec le Führer une assez longue discussion : je lui fis remarquer que cette occupation aurait évidemment de grandes répercussions en Grande-Bretagne et en France. Dans ce domaine, j’aimerais ajouter qu’en Angleterre, les milieux qui avaient pris position contre l’Allemagne prenaient de plus en plus d’importance et avaient à leur tête de hautes personnalités.
A ce sujet,, je voudrais mentionner brièvement un incident qui eut lieu lorsque j’étais encore ambassadeur à Londres. Je reçus la visite de M. Winston Churchill à l’ambassade. Il ne faisait pas partie du Gouvernement à cette époque et je crois qu’il n’était pas le chef de l’opposition, mais il était une des personnalités les plus marquantes en Angleterre. J’attachais une importance particulière à une rencontre entre lui et Adolf Hitler et dans ce but je l’avais prié de venir me voir à l’ambassade. Nous eûmes tous deux une conversation qui dura plusieurs heures et dont je me souviens exactement. Je crois que le récit de cet entretien nous mènerait trop loin. Mais tandis que des hommes importants comme Lord Vansittart en 1936,...
Les documents se rapportant à la période qui a précédé la participation de M. Winston Churchill au Gouvernement ont déjà été jugés par le Tribunal comme irrecevables, et le Tribunal n’est pas disposé à entendre le contenu de cette conversation.
J’ai déjà dit que j’avais attiré l’attention du Führer sur la réaction britannique. Hitler me démontra la nécessité de l’occupation de la Bohême et de la Moravie du point de vue historique et stratégique. Je me souviens qu’à ce sujet, il cita le ministre de l’Air français, Pierre Cot, qui avait comparé la Bohême et la Moravie à un porte-avions dirigé contre l’Allemagne. Je crois que le maréchal Göring a déjà mentionné qu’à cette époque nous recevions des rapports secrets mentionnant que des pilotes russes ou des missions russes se trouvaient sur les aérodromes tchèques. Hitler me dit et je me souviens nettement de ses paroles — qu’il ne pouvait accepter cette perpétuelle menace contre l’Allemagne. On pouvait assez bien s’entendre avec les Tchèques, mais il était indispensable que l’Allemagne fût chargée de la protection de ces pays. Il indiqua encore que la Russie soviétique, alliée de la Tchécoslovaquie, était un facteur d’une puissance inestimable. Quand je parlai de l’Angleterre, il répondit que l’Angleterre n’était pas à même de se charger de la protection des Allemands en Tchécoslovaquie, que la structure de l’État tchèque s’était désagrégée et que la Slovaquie était devenue indépendante. Par conséquent,- pensait-il, il était dans l’intérêt des bonnes relations anglo-allemandes, et lui-même considérait le fait comme nécessaire, que les pays de Bohême et de Moravie se rapprochent du Reich. Un protectorat paraissait donc être la meilleure solution de ce problème. Hitler ajouta encore que la question était sans intérêt pour l’Angleterre, mais que pour l’Allemagne elle était d’un intérêt vital. Cela saute aux yeux lorsqu’on regarde la carte, et il se servit exactement de ces mots. D’ailleurs, disait-il, il n’arrivait pas à comprendre pourquoi cette occupation pouvait troubler l’entente entre l’Allemagne et l’Angleterre. L’Angleterre avait à peu près 600 dominions, protectorats ou colonies et devait comprendre que de tels problèmes exigeaient une solution. Je fis remarquer à Hitler les difficultés que l’action de l’Allemagne pouvait causer à M. Chamberlain, que l’Angleterre pourrait s’alarmer de l’extension de la puissance allemande, mais le Führer m’expliqua toute la question en invoquant les mêmes raisons que je viens de citer. M. Chamberlain eut une réaction très claire : il déclara à la Chambre des Communes que ce n’était pas une violation du pacte de Munich et que le Gouvernement britannique n’était lié par aucun engagement à la Tchécoslovaquie, que les engagements de garantie pris par l’Angleterre ne jouaient pas car l’État tchèque s’était désagrégé et, par conséquent, l’obligation d’entrer en action n’existait plus. Je puis dire que nous fûmes tous contents de voir la position prise par l’Angleterre. Je crois que c’est deux ou trois jours plus tard que M. Chamberlain à Birmingham...
Qu’avons-nous à voir avec la réaction produite en Angleterre, à moins qu’elle ne se soit traduite par un écrit ? Je ne vois pas ce que tout cela vient faire. Ce que nous voulons savoir c’est le rôle qu’à joué l’accusé Ribbentrop dans la violation du pacte de Munich.
L’accusé von Ribbentrop est accusé d’avoir participé à un complot, en tant que ministre des Affaires étrangères, et d’avoir, par sa politique, favorisé une guerre d’agression. S’il désire et s’il peut se défendre contre ces accusations, il faut lui permettre de décrire les circonstances telles qu’il les a vues et de donner les motifs qui l’ont fait agir. Il doit donc avoir la possibilité de les énumérer et je ne pose des questions que sur ce qui a pu déterminer ses vues et ses opinions.
Je ne vois pas que vous lui ayez posé des questions dans ce sens...
Je n’ai pas très bien compris.
J’ai dit que je ne pensais pas que vous ayez posé des questions se rapportant aux réactions en Angleterre.
J’entends maintenant deux langues y compris l’allemand...
Je crois qu’il est préférable de suspendre l’audience.
Docteur Horn, je vous disais tout à l’heure au moment de l’interruption des débats, que le Tribunal estime que l’accusé devrait pouvoir maintenir son témoignage dans certaines limites et ne pas donner trop de détails. Les réactions politiques de l’Angleterre ne nous intéressent vraiment pas et le rapport qu’elles pourraient avoir avec la question est très éloigné.
Qu’est-ce qui a amené Hitler, en octobre 1938, à vous charger d’entrer en négociations avec la Pologne ?
En Pologne, il existait depuis toujours une question des minorités et celle-ci avait soulevé de très grosses difficultés. L’accord conclu en 1934 n’avait amené aucun changement. En 1938, les mesures de « dégermanisation » contre les minorités allemandes furent continuées. Hitler voulait arriver à une entente définitive avec la Pologne sur ce point, ainsi qu’avec d’autres États. Il me chargea donc — je crois que c’était dans le courant du mois d’octobre 1938 — de m’entretenir avec l’ambassadeur de Pologne pour essayer de trouver une solution aux problèmes existant entre l’Allemagne et la Pologne.
Quels étaient donc les autres problèmes, à part celui des minorités ?
Il y avait deux questions principales : la première était celle des minorités, c’était la plus urgente ; la deuxième était la question de Dantzig et du Corridor, c’est-à-dire d’un lien avec la Prusse orientale.
Quelle était l’opinion de Hitler et la vôtre sur la question de Dantzig et du Corridor ?
Il est évident que ces deux questions étaient celles qui, depuis le Traité de Versailles, avaient créé les plus grosses difficultés. Hitler devait, tôt ou tard, résoudre ce problème d’une façon ou d’une autre. C’était également mon avis. Dantzig était soumis à une pression continuelle de la part des Polonais.
Ils voulaient « poloniser » Dantzig de plus en plus, et, en octobre 1938, environ 800.000 à 1.000.000 d’Allemands en avaient été expulsés ou étaient revenus en Allemagne.
Comment l’ambassadeur de Pologne prit-il vos observations et vos propositions en octobre 1938 ?
L’ambassadeur de Pologne fut d’abord très réservé. Il ne s’engagea pas ; il ne le pouvait d’ailleurs pas. Je lui présentai la question de telle façon qu’il pût la discuter en toute tranquillité avec son Gouvernement et je ne lui demandai pas de réponse définitive. Il me dit qu’il y avait évidemment certaines difficultés en ce qui concernait Dantzig et que la question d’une liaison avec la Prusse orientale était également à étudier de très près. Il demeura très réservé et notre entretien se termina par sa promesse de communiquer à son Gouvernement mes déclarations faites au nom du Gouvernement du Reich, et de me transmettre une réponse sous peu.
Lors de votre deuxième entretien avec l’ambassadeur Lipski, le 17 novembre 1938, que se passa-t-il ?
Le 17 novembre 1938, Lipski se rendit auprès de moi et me déclara que le problème créait d’énormes difficultés et que la question de Dantzig, en particulier, était très difficile à résoudre, vu l’attitude de la Pologne entière.
Avez-vous alors, sur l’ordre de Hitler, demandé à Lipski de vous mettre en rapport direct avec le ministre des Affaires étrangères, Beck ?
J’ai invité le ministre Beck à Berlin.
Quand le ministre Beck vint-il à Berchtesgaden ?
M. Beck n’est malheureusement pas venu à Berlin ; mais il s’est rendu à Londres.
Non ; vous avez mal compris ma question. Quand le ministre Beck se rendit-il à Berchtesgaden ?
Hitler avait dit qu’il voulait discuter ce problème personnellement avec M. Beck. M. Beck vint, je ne sais pas exactement à quelle date...
Je crois que c’était le 5 janvier.
Il vint donc à Berchtesgaden et eut un long entretien avec Adolf Hitler.
Quel fut le résultat de cet entretien ?
J’étais présent à cet entretien. Le résultat fut qu’Adolf Hitler décrivit encore une fois en détail à Beck son désir d’une bonne entente germano-polonaise. Il lui dit qu’il faudrait trouver pour Dantzig une solution entièrement nouvelle, que la question d’un passage vers la Prusse orientale ne devrait pas présenter de difficulté insurmontable.
Pendant cet entretien, Beck parut très compréhensif. Il dit au Führer que la question de Dantzig créait naturellement des difficultés, à cause de l’embouchure de la Vistule, mais qu’il envisagerait le problème dans tous ses détails. Il ne refusa pas du tout de discuter la question, mais il fit simplement ressortir les difficultés créées par l’attitude polonaise dans la solution de ce problème.
Est-il exact que Beck était, en principe, disposé à négocier et qu’il vous invita de ce fait, à la fin de janvier, à vous rendre à Varsovie ?
Pas exactement. Après l’entrevue de Berchtesgaden avec le Führer, j’ai eu un très long entretien avec Beck à Munich. Celui-ci attira à nouveau mon attention sur la difficulté de ce problème, mais m’assura qu’il ferait tout son possible pour le résoudre et en discuterait avec ses collègues du Gouvernement, afin de trouver une solution, car il fallait en trouver une. En même temps, il fut convenu que je lui ferais une visite à Varsovie. Lors de cette visite, nous reparlâmes de la question des minorités, de la question de Dantzig et du Corridor. Nous ne fîmes aucun progrès dans ces discussions, au contraire. M. Beck argua toujours des difficultés de la question. Je lui dis qu’il était absolument impossible de laisser ce problème pendant entre l’Allemagne et la Pologne. Je lui fis remarquer la situation pénible des minorités allemandes, et aussi les démarches humiliantes, si je puis dire, auxquelles étaient soumis les Allemands qui voulaient se rendre en Prusse orientale. Beck me promit son aide dans la question des minorités et m’assura qu’il étudierait plus profondément les autres questions. Le jour suivant, j’eus un court entretien avec le maréchal Rydz-Smygly, mais cette conversation n’eut aucun résultat.
Avez-vous alors demandé à Beck de se rendre de nouveau à Berlin, et cette visite eut-elle lieu ; ou est-ce que le ministre Beck proposa autre chose ?
En effet, j’invitai le ministre Beck à Berlin, parce que sa première visite n’avait pas été officielle.
Malheureusement, Beck ne vint pas à Berlin ; mais il se rendit à Londres, ainsi que je vous l’ai déjà dit.
Quel fut l’effet de sa visite à Londres sur la suite des négociations ?
Cette visite à Londres nous a énormément surpris. L’ambassadeur Lipski me transmit simplement un mémorandum. Je crois que c’était le 21 mars...
Permettez-moi de vous interrompre. Le 21 mars, vous avez eu un entretien avec Lipski au sujet de la Tchécoslovaquie et des problèmes qui se posaient à la suite de l’établissement du Protectorat.
Oui, c’est peut-être exact. Dans ce cas, je voulais dire le 26.
Oui.
En effet, le 21 j’ai eu un entretien avec Lipski, qui me parla de la question de la Slovaquie et de la protection qu’elle devait recevoir de l’Allemagne. Il m’exprima le désir de voir s’établir entre la Hongrie et la Pologne, pays qui avaient toujours eu des relations étroites, une frontière commune, et me demanda si la chose n’était pas possible. Il me demanda aussi, indirectement, si la protection de la Slovaquie était dirigée contre la Pologne. Je lui répondis en l’assurant que cette protection, ni dans l’esprit de Hitler ni dans celui de quelqu’un d’autre, n’était dirigée contre la Pologne. C’était une simple mesure destinée à faire comprendre à la Hongrie que cette question territoriale était maintenant réglée. Mais je crois avoir dit à Lipski de s’attendre à l’établissement d’une telle frontière commune du côté de l’Ukraine subcarpatique.
Est-il exact que des consultations eurent lieu, vers le 20 mars, entre la Pologne, le Gouvernement britannique, le Gouvernement français et le Gouvernement russe ?
Oui, c’est exact. Ces consultations, autant que je m’en souvienne, furent dues à une suggestion de Lord Simon. Une déclaration commune devait être faite au sujet de la Pologne. Mais cette intention n’a pas plu à la Pologne qui déclara à Londres que cette solution n’entrait pas en ligne de compte.
Est-il exact que la Pologne a tenté d’établir un accord concret avec l’Angleterre et la France ?
Il n’y a aucun doute, et c’est un fait historique, que la Pologne essaya de conclure un accord avec l’Angleterre.
Quand le Gouvernement allemand apprit-il que la Pologne avait reçu une promesse d’appui de la France et de l’Angleterre ?
Nous l’apprîmes — je ne sais plus la date exacte — vers la fin du mois de mars. En tout cas, je sais que c’était notre conviction à tous — et c’est aujourd’hui un fait — que ces relations qui s’établirent à la fin de mars entre Varsovie et Londres, déterminèrent la réponse que la Pologne nous communiqua, à notre grande surprise, dans son mémorandum du 26 mars.
Est-il exact que ce mémoire déclarait que si l’Allemagne poursuivait la même politique dans la question de Dantzig et du Corridor, la Pologne la considérerait comme une provocation à la guerre.
Oui, c’est exact. Ce fut pour nous une très grande surprise. Je sais que, lorsque j’ai lu ce mémorandum, j’ai mis un certain temps à comprendre. Il ne faut pas oublier que, pendant des mois, nous avions essayé de trouver une solution que, je puis le spécifier encore ici, Adolf Hitler, seul pouvait obtenir à cette époque, grâce à la grande autorité qu’il exerçait sur le peuple allemand. Je ne veux pas me perdre dans des détails, mais je voudrais tout de même déclarer que la question de Dantzig et du Corridor, devait, comme l’avaient déclaré dès 1919, les hommes d’État les plus éminents, préluder à la révision du Traité de Versailles.
Je voudrais vous rappeler encore les déclarations du maréchal Foch, de Winston Churchill, de Clemenceau, etc. à ce sujet. Tous ces hommes d’État étaient, sans aucun doute, convaincus qu’il faudrait effectivement entreprendre une révision territoriale de cette question du Corridor. Hitler, de son côté, voulait obtenir une révision complète de la situation et une entente avec la Pologne, en acceptant le Corridor, mais à condition que Dantzig revînt au Reich, moyennant quoi la Pologne se verrait accorder de gros avantages dans le domaine économique.
Voilà, en somme, quelle fut la base des propositions que j’ai étudiées pendant quatre ou cinq mois sur l’ordre de Hitler. Notre surprise fut d’autant plus grande, lorsque, tout à coup, l’autre partie nous déclara que la poursuite des négociations sur cette base que nous considérions comme très modérée, ne pourrait signifier que la guerre. J’en informai Hitler qui, je m’en souviens très bien, prit la chose d’une façon très calme.
Est-il exact que le jour suivant vous avez déclaré à l’ambassadeur de Pologne que le mémorandum du 26 mars 1939 ne pouvait être considéré comme base d’un règlement ?
C’est exact. Je viens de dire que Hitler avait pris d’une façon très calme la communication très dure et très grave de l’ambassadeur polonais. Mais il me fit remarquer que, naturellement, aucune solution ne pouvait s’obtenir sur une telle base et que je devais le lui dire. Il ne s’agissait pas d’avoir recours à la guerre.
Est-il exact qu’à la suite de cela, le 6 avril 1939, le ministre des Affaires étrangères polonais, Beck, partit pour Londres pour conclure un accord provisoire d’assistance mutuelle entre l’Angleterre, la France et la Pologne ?
Oui, c’est exact.
Quelle fut la réaction allemande à la conclusion de ce pacte d’assistance mutuelle ?
La réaction allemande s’exprima dans un discours d’Adolf Hitler au Reichstag, dans lequel il prit position en face de ce problème. Nous estimions que ce pacte d’assistance mutuelle entre l’Angleterre et la Pologne était en contradiction avec le pacte germano-polonais de 1934, car le pacte de 1934 spécifiait que l’Allemagne et la Pologne n’auraient jamais recours à la force dans le règlement de leurs différends. Par le pacte anglo-polonais, conclu sans consultation préalable de l’Allemagne, la Pologne s’engageait à attaquer le Reich, en cas de conflit entre l’Allemagne et l’Angleterre. Je sais qu’Adolf Hitler estimait que ce pacte était également contraire aux accords conclus avec M. Chamberlain à Munich, qui excluaient tout recours à la force entre l’Allemagne et l’Angleterre, quoi qu’il arrivât.
Est-il exact que l’Allemagne envoya alors, par votre truchement, un mémorandum à la Pologne, dénonçant le pacte germano-polonais de 1934 ?
C’est exact. C’était, je crois, le même jour que celui du discours du Führer au Reichstag. Le mémorandum spécifiait à peu près ce que je viens de vous résumer ici, à savoir que ce traité n’était pas en accord avec le pacte de 1934 et que, par conséquent, l’Allemagne ne considérait plus ce pacte comme valable.
Est-il exact qu’à la suite de ce mémorandum les rapports germano-polonais devinrent encore plus tendus et que de nouvelles difficultés surgirent dans la question des minorités ?
Oui, c’est exact. La période précédente avait vu l’ouverture de négociations, afin de trouver une nouvelle base pour reprendre le problème des minorités. Je me souviens qu’il n’y eut aucun progrès. Ce fut déjà le cas avant le 28 mai, mais après cette date la situation des minorités allemandes devint encore plus difficile. L’association polonaise des territoires de l’Ouest, en particulier, se montra très active à cette époque : la persécution et l’expulsion des Allemands de leurs foyers furent à l’ordre du jour. Je me souviens que, précisément durant les mois qui ont suivi le 28 mai, c’est-à-dire en été 1939, les camps d’accueil des réfugiés allemands de Pologne se remplirent rapidement.
Comment Hitler et vous-même avez réagi devant la garantie franco-anglaise à la Roumanie et à la Grèce, et plus tard à la Turquie ?
Ces déclarations ne pouvaient être interprétées par la politique allemande que comme signifiant de la part de l’Angleterre une politique systématique d’alliances en Europe dirigée contre l’Allemagne. Ce fut l’opinion de Hitler et la mienne.
Est-il exact qu’à la suite de ces déclarations de garantie et du message de Roosevelt du 14 avril 1939, le traité d’alliance germano-italien fut conclu, le 22 mai 1939 ? Quels en furent les motifs ?
Entre l’Allemagne et l’Italie existaient, naturellement, depuis très longtemps, des relations amicales. Lorsque la situation en Europe s’aggrava, ces rapports, à la demande de Mussolini, devinrent plus étroits. Après une entrevue préalable à Milan entre le comte Ciano et moi-même, un traité d’alliance fut signé sur l’ordre des deux chefs d’État ; ce fut la réponse aux efforts de la politique franco-anglaise.
Est-il exact que la crise avec la Pologne devint aiguë à la suite, d’une grève des douaniers à Dantzig, le 6 août, ce qui obligea le Gouvernement allemand à prendre position ?
Oui, c’est exact. Une discussion avait surgi entre le représentant polonais et le Sénat de la ville de Dantzig. Le représentant polonais avait envoyé une note au président du Sénat l’informant que certains employés des douanes refusaient de se conformer aux directives polonaises. Cette notification, qui plus tard s’avéra fausse, attira la réplique du Sénat et provoqua un échange de notes peu cordiales entre le Sénat et le représentant polonais. Sur l’ordre d’Adolf Hitler, je chargeai alors le secrétaire d’État du ministère des Affaires étrangères de protester à ce sujet auprès du Gouvernement polonais.
Est-il exact que le secrétaire d’État, Weizsäcker, fit venir chez lui, le 15 août, l’ambassadeur de France et l’ambassadeur d’Angleterre, pour leur parler de la gravité de la situation ?
Oui, c’est exact. Il l’a fait sur mon ordre.
Le 18 août, l’ambassadeur Henderson fut-il de nouveau invité à se rendre auprès de votre secrétaire d’État, vu que la situation s’aggravait de plus en plus en Pologne et à Dantzig ?
Oui, quelques jours après, il y eut un entretien entre l’ambassadeur anglais et le secrétaire d’État. Ce dernier a alors exposé très clairement toute la gravité de la situation et montré que les choses prenaient une mauvaise tournure.
Est-il exact que, dans ces jours de crise, vous avez pris la décision, à la suite de renseignements qui vous étaient parvenus, de vous mettre en rapport avec la Russie et d’entreprendre des négociations avec elle ? Quels en furent les motifs ?
Des négociations avec la Russie avaient déjà été entreprises quelque temps auparavant. Le maréchal Staline, en mars 1939, avait prononcé un discours dans lequel il exprimait le désir d’entretenir de meilleures relations avec l’Allemagne. J’en fis part à Adolf Hitler et je le priai de me dire s’il fallait prendre ces propositions au sérieux. Adolf Hitler s’y montra d’abord peu disposé ; puis il se fit à cette idée. On ouvrit des négociations commerciales et, au cours de ces négociations, avec la permission du Führer, je tentai de savoir auprès de Moscou s’il n’était pas possible de trouver un commun dénominateur au national-socialisme et au bolchévisme ou tout au moins de faire coïncider les intérêts des deux pays.
De quelle façon se déroulèrent les négociations de l’agence commerciale soviétique à Berlin avec votre ambassadeur Schnurre ?
Les négociations de l’ambassadeur Schnurre me firent connaître, au bout de peu de temps, que Staline n’avait pas prononcé cette phrase à la légère. Nous eûmes alors un échange de télégrammes avec Moscou, et vers la mi-août, Adolf Hitler adressa un télégramme à Staline qui, en réponse, invita un plénipotentiaire à Moscou. Le but était, après ces préparatifs diplomatiques, la conclusion d’un pacte de non-agression entre les deux pays.
Est-il exact que vous êtes parti pour Moscou nanti de pleins pouvoirs ?
Oui, c’est un fait historique.
Quand êtes-vous parti en avion pour Moscou et quelles négociations avez-vous menées là-bas ?
Je suis arrivé le 22 août au soir à Moscou. L’accueil que j’ai reçu de Staline et de Molotov fut très amical. Tout d’abord, nous eûmes une conversation qui dura deux heures. Au cours de cet entretien, toute la question des relations russo-allemandes fut débattue. Le résultat fut d’abord la volonté des deux pays de placer nos relations sur des bases toutes nouvelles ; Elles devaient s’exprimer dans un pacte de non-agression. En second lieu, les sphères d’intérêts des deux pays devaient être définies dans un protocole secret annexé à l’accord.
Que prévoyait ce protocole secret ? Quel était son contenu et quelle était sa base politique ?
Il me faut d’abord signaler qu’on a déjà souvent parlé ici de ce protocole secret. Pendant les négociations qui eurent lieu avec Staline et Molotov, je leur parlai très ouvertement et ils furent également francs avec moi. Je leur exprimai le désir d’Adolf Hitler de voir nos deux pays conclure un accord définitif et j’abordai, évidemment aussi, la question de la crise en Europe. Je déclarai à ces hommes d’État russes, que l’Allemagne ferait tout pour régler la situation avec la Pologne et pour aplanir les difficultés d’une manière pacifique afin, malgré tout, de parvenir à une entente avec elle. Mais je ne laissai aucun doute sur le fait que la situation était grave et qu’il était possible que cela finît par un conflit armé. C’était clair. Il s’agissait ici, pour Staline comme pour Hitler, de territoires perdus au cours d’une guerre malheureuse. C’est pourquoi il est faux de considérer ces faits sous un autre angle. Je l’ai dit à Moscou, Adolf Hitler estimait qu’il fallait régler cette question d’une façon ou d’une autre et c’était aussi l’avis du parti russe.
Nous discutâmes alors de ce que nous aurions à faire, du côté russe et du côté allemand, en cas de guerre. Nous fixâmes une ligne de démarcation afin qu’en cas de provocations intolérables de la part des Polonais ou en cas de guerre, il existât une frontière commune de façon à éviter des conflits d’intérêts entre la Russie et l’Allemagne. La fameuse ligne de démarcation fut la ligne des fleuves de la Vistule, du San et du Bug en territoire polonais et il fut convenu qu’en cas de conflit, le territoire situé à l’ouest de ces fleuves ferait partie de la sphère d’intérêts allemands, et la partie à l’Est, de la sphère d’intérêts russes. On sait que plus tard, lorsque la guerre éclata, ces deux zones furent occupées, d’un côté par les Allemands et, de l’autre, par les Russes. Je répète que j’ai eu l’impression que Hitler et Staline considéraient tous les deux ces territoires — territoires polonais et autres — inclus dans les sphères d’intérêts comme des pays qui avaient été perdus à la suite d’une guerre malheureuse. Les deux hommes d’État estimaient fermement que si ces territoires, je veux dire si une solution raisonnable de ce problème s’avérait introuvable, Adolf Hitler avait tout à fait le droit d’incorporer ces territoires au Reich par un autre moyen. De plus, on détermina d’autres sphères d’intérêts en Finlande, dans les Pays Baltes et en Bessarabie.
Ce fut donc un règlement important des intérêts des deux grandes puissances, en prévision d’une solution pacifique ou d’une solution qui ferait jouer la force.
Est-il exact que ces dispositions furent prises pour le cas où il ne serait pas possible de résoudre la question polonaise par la voie diplomatique sur la base du Pacte de non-agression et de l’accord politique existant entre la Russie et l’Allemagne ?
Veuillez répéter la question, je vous prie.
Est-il exact qu’il fut expressément spécifié que cette solution était envisagée uniquement pour le cas où, malgré le Pacte de non-agression avec la Russie, le conflit polonais ne pourrait se résoudre par voie diplomatique, et seulement dans ce cas ?
Oui, c’est exact. Je déclarai à l’époque que, du côté allemand, toutes les tentatives seraient faites pour résoudre le problème pacifiquement, par la voie diplomatique.
Est-ce que la Russie vous assura son aide diplomatique dans cette solution, ou tout au moins une attitude de neutralité bienveillante ?
Il ressortait clairement du Pacte de non-agression et de toutes les conversations de Moscou — et nous en fûmes convaincus — que si, en raison de l’attitude de la Pologne, une guerre éclatait, la Russie maintiendrait une attitude amicale à notre égard.
Quand êtes-vous revenu de Moscou et quelle situation avez-vous trouvée à Berlin à ce moment-là ?
Le Pacte de non-agression avec l’Union Soviétique fut conclu le 23. C’est le 24 que je suis reparti pour l’Allemagne. J’ai d’abord pensé que j’allais me rendre auprès du Führer à Berchtesgaden mais, pendant le voyage ou juste avant, on me demanda d’aller à Berlin.
J’arrivai donc à Berlin et je mis Adolf Hitler au courant du résultat des négociations de Moscou. La situation que j’y trouvai était, sans aucun doute, extrêmement tendue. Je l’ai particulièrement remarqué le lendemain.
Pour quelle raison la situation entre l’Allemagne et la Pologne a-t-elle empiré ?
Au milieu du mois d’août, il se passa toutes sortes de choses qui, je puis le dire, avaient alourdi l’atmosphère : il y eut des incidents de frontière, des difficultés entre Dantzig et la Pologne. D’un côté, on reprochait à l’Allemagne d’envoyer des armes à Dantzig et, de l’autre, nous reprochions à la Pologne de prendre des mesures militaires, etc.
Est-il exact que, dès votre retour à Berlin, on vous fit part de la signature du Pacte de garantie anglo-polonais ? Quelle fut votre réaction et celle de Hitler ?
Le 25 août, je pris connaissance de l’entretien qui réunit le Führer et l’ambassadeur Henderson pendant mon absence d’Allemagne, le 22 août, à Berchtesgaden. Ce fut une conversation très sérieuse. Henderson transmit une lettre du Premier Ministre britannique exprimant clairement qu’un conflit armé entre l’Allemagne et la Pologne amènerait l’intervention de l’Angleterre. Alors, ce fut dans la matinée du 25 je crois, le Führer répondit à cette lettre en des termes excluant toute solution par la voie diplomatique. Le même jour, je discutai cet échange de lettres avec le Führer et le priai de réfléchir encore une fois à la question, en lui suggérant que l’on pourrait peut-être faire une ultime tentative auprès de l’Angleterre.
C’était le 25 août : une journée remplie d’événements. Dans la matinée, une communication nous parvint du Gouvernement italien signifiant que l’Italie, dans le cas d’un conflit au sujet de la Pologne, ne se rangerait pas aux côtés de l’Allemagne. Là-dessus, le Führer décida de recevoir l’ambassadeur Henderson encore une fois dans le courant de la journée. Cette entrevue eut lieu vers midi ; j’y assistai. Le Führer entra dans les détails et exprima à Henderson une fois encore le désir ardent qu’il avait de s’entendre avec l’Angleterre. Il lui décrivit la situation extrêmement difficile créée par la question polonaise et le pria, je crois, de prendre l’avion pour l’Angleterre et d’exposer la situation au Gouvernement anglais. L’ambassadeur Henderson fut d’accord et je lui envoyai, je crois, au cours de l’après-midi, une note dans laquelle était résumé ce qu’avait dit Hitler au cours de l’entretien, de façon à ce qu’il fût à même de fournir un rapport exact à son Gouvernement.
Est-il exact que, dès que vous eûtes connaissance du Pacte de garantie anglo-polonais, vous avez tenté, auprès de Hitler, de faire suspendre les mesures militaires entreprises en Allemagne ?
C’est exact. J’allais en parler. J’appris, au cours de la journée, que l’on avait arrêté certaines mesures militaires et un message de presse m’apprit que le Pacte anglo-polonais avait été ratifié à Londres. Je crois qu’une note l’accompagnait disant que l’ambassadeur de Pologne, quoique malade, s’était pourtant rendu au Foreign Office pour la signature.
Ce Pacte fut-il signé avant ou après que l’on eût connaissance du refus de l’Italie de mobiliser ?
Ce traité fut sans aucun doute conclu après. Évidemment, je ne sais ni l’heure, ni le jour exacts, mais je crois que ce fut dans l’après-midi du 25 août, le refus de l’Italie nous étant parvenu vers midi. Autrement dit, je crois sans doute que la décision fut prise à Rome le matin même ou le jour précédent. En tout cas, je déduis cela d’un autre fait encore. Mais je pourrais peut-être répondre d’abord à votre question : ma réaction à cette nouvelle.
Oui.
Lorsque je reçus ce message de presse, qui me fut confirmé à mon arrivée à la Chancellerie du Reich, je priai aussitôt Hitler de suspendre toutes mesures militaires — je n’étais pas du tout au courant des questions militaires — et je lui dis qu’il était bien évident que sans cela la guerre avec l’Angleterre était inévitable et que l’Angleterre ne renierait jamais sa signature.
Le Führer réfléchit un court instant et me dit que c’était exact. Il appela immédiatement son aide de camp, je crois que c’était le maréchal Keitel, qui arriva, et lui dit de réunir les généraux et de suspendre les opérations militaires prévues. A cette occasion, le Führer fit la remarque que nous avions reçu deux mauvaises nouvelles en un jour : celle d’Italie et ce dernier message, et il crut qu’il était possible que la nouvelle de l’attitude de l’Italie eût été connue à Londres immédiatement, d’où la ratification définitive de ce Pacte. Je me souviens parfaitement de cette réflexion du Führer.
Ce jour-là, Hitler et vous, avez-vous déployé des efforts auprès de Henderson pour éviter le conflit ? Quelles furent vos propositions ?
J’ai déjà indiqué que le Führer — tout au début de l’après-midi je crois — eut une entretien avec Henderson, le 25 août, et lui dit qu’il avait encore et toujours l’intention d’aboutir à un accord définitif avec l’Angleterre. La question du Corridor et de Dantzig devait être résolue d’une façon ou d’une autre et il voulait faire à l’Angleterre des propositions générales, que ne faisaient pas la note, afin de régler tout à fait régulièrement la question avec l’Angleterre.
Est-il exact que Hitler mit alors un avion à la disposition de Henderson et lui proposa de se rendre immédiatement auprès de son Gouvernement pour demander à celui-ci l’intervention promise auprès de la Pologne ?
Oui, c’est exact. Je crois que le jour suivant, le 26, Henderson partit pour Londres dans un avion allemand. Je ne sais pas exactement les détails, mais je sais qu’au cours de l’entretien, le Führer lui dit : « Prenez donc un avion et partez tout de suite voir votre Gouvernement. »
Quelle réponse l’ambassadeur Henderson rapporta-t-il à Berlin le 28 août ?
Je dois dire à ce propos que, étant donné la phase critique qu’avaient atteinte les relations entre la Pologne et l’Allemagne, chose que savait l’ambassadeur britannique, Hitler m’exprima sa déception de ne pas avoir vu l’ambassadeur revenir plus tôt avec une réponse, car l’atmosphère était très tendue. Le 28, Henderson eut un nouvel entretien avec le Führer auquel j’assistai également. La réponse que Sir Nevile Henderson rapportait de Londres ne sembla pas, tout d’abord, très satisfaisante au Führer. Il déclara que certains points ne lui paraissaient pas clairs. Mais le point principal était que l’Angleterre était disposée à chercher une solution générale aux problèmes qui la mettaient aux prises avec l’Allemagne à la condition que le problème germano-polonais arrivât à une solution pacifique. Au cours de la conversation, Hitler dit à Sir Nevile Henderson qu’il voulait étudier la note et qu’il lui demanderait alors de revenir. Ensuite, il...
Est-il exact que, dans cette note, l’Angleterre suggérait des négociations directes entre l’Allemagne et la Pologne ?
C’est exact. Un des points de cette note — j’avais l’intention d’en parler — était que l’Angleterre considérait des négociations germano-polonaises comme la voie la plus indiquée pour obtenir une solution ; elle estimait, de plus, que ces négociations devraient commencer le plus tôt possible, car la situation créée par les incidents de frontière et autres, était très grave. En outre, la note spécifiait que, quelle que soit la solution trouvée — je crois que ce sont là les termes mêmes — elle devait être garantie par toutes les grandes puissances.
L’Angleterre a-t-elle proposé sa médiation en déclarant se charger de transmettre à la Pologne les propositions allemandes pour des négociations directes ?
Oui, c’est exact.
Quelles étaient ces propositions allemandes que Hitler remit à Henderson, le 29 août 1939, en réponse au mémorandum britannique ?
La situation était la suivante : le 28 août, Hitler reçut l’ambassadeur britannique et lui dit qu’il était prêt à donner suite à la proposition faite par l’Angleterre le 28 août, c’est-à-dire que malgré la gravité de la situation et l’attitude de la Pologne qui l’avait froissé profondément, il était prêt à faire encore un geste pour que fût résolu pacifiquement le problème germano-polonais, ainsi que le proposait la note britannique du 28 août.
Pour quelles raisons a-t-on adjoint à ces propositions allemandes une demande d’envoyer, avant le 30 août, un plénipotentiaire polonais ?
Dans la communication remise par Hitler à Henderson à l’adresse du Gouvernement britannique, il était dit que le Gouvernement allemand, considérant la situation extrêmement tendue, préparerait immédiatement des propositions pour une solution de la question de Dantzig et du Corridor. Il espérait pouvoir présenter ces propositions à l’arrivée d’un plénipotentiaire polonais, qu’il attendait au cours de la journée du 30 août.
Est-il exact que, dans cette proposition, Hitler avait fixé un délai de 24 heures, parce qu’il redoutait un conflit, étant donné la mobilisation des armées des deux pays ?
C’est absolument exact. Je puis vous dire que, lors de l’entretien du 29 août, l’ambassadeur Henderson demanda au Führer si c’était un ultimatum. Le Führer répondit que ce n’en était pas un, mais simplement une proposition justifiée par la situation, une solution pratique. Je le répète, pendant ces dernières journées d’août, la situation était telle aux frontières de Dantzig et du Corridor qu’on avait l’impression que les canons partiraient d’eux-mêmes, à moins d’agir très rapidement. C’est la raison pour laquelle le Führer spécifia un délai si court. Il craignait qu’un délai prolongé ne fît traîner les choses et accrût le danger de guerre.
Est-il exact que, malgré tous les renseignements donnés à l’ambassadeur Henderson, la réponse du Gouvernement britannique traita ces propositions de déraisonnables ?
J’ai connu la réaction britannique d’après plusieurs documents qui m’ont été communiqués ultérieurement. La première réaction date de mon entretien avec Henderson, le 30 août.
Est-il exact que, le 30 août, vous avez reçu une communication secrète sur la mobilisation de la Pologne ?
C’est exact. Le Führer, au cours de la journée du 30, attendait des nouvelles de Pologne ; elles ne vinrent pas. Par contre, je crois que ce fut vers le soir du 30, nous apprîmes que la Pologne avait ordonné, mais non encore officiellement, la mobilisation générale. Je crois que ce ne fut officiel que le lendemain matin. Tout cela ne fit que compliquer énormément la situation.
Est-il exact que le Gouvernement britannique retira alors son offre de médiation et proposa que l’Allemagne entreprît des démarches directes pour des négociations avec la Pologne ?
Vous voulez parler du 30 ?
Oui.
Le 30, ainsi que je l’ai dit, nous avons en vain attendu toute la journée la venue d’un représentant polonais. Entre temps, Hitler avait préparé les propositions qu’il comptait remettre au représentant polonais qui — ainsi qu’il l’avait promis à Sir Nevile Henderson — serait à même de négocier avec l’Allemagne d’égal à égal. Un peu avant minuit seulement, ou en tout cas très tard dans la soirée, nous reçûmes un message téléphonique disant que l’ambassadeur britannique désirait transmettre une communication de son Gouvernement. Cet entretien, je crois, fut alors remis encore une fois. Alors, à minuit, le 30 août, eut lieu la fameuse conversation entre Henderson et moi-même.
Hier, vous avez entendu le conseiller d’ambassade Schmidt décrire cette conversation. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce qui a été dit ?
Je voudrais ajouter ceci : il est évident que nous étions certes tous très nerveux à ce moment-là, aussi bien l’ambassadeur britannique que moi-même. L’ambassadeur britannique avait eu, le jour précédent, je dois le dire, une petite scène avec le Führer, qui aurait pu se terminer gravement. Je réussis à détourner la conversation. Par conséquent, il y avait aussi une certaine tension dans mes rapports avec l’ambassadeur britannique. Cependant, je m’efforçai de l’accueillir calmement et acceptai sa communication. J’espérais, jusqu’à la dernière minute, qu’elle annoncerait la venue d’un plénipotentiaire polonais, mais il n’en fut rien. Au contraire, Sir Nevile Henderson m’apprit :
1. Que son Gouvernement ne pouvait plus recommander cette procédure, en dépit de la tension qui s’était encore aggravée à la suite de la mobilisation générale polonaise, mais que le Gouvernement britannique conseillait au Gouvernement allemand d’agir par la voie diplomatique.
2. Que si le Gouvernement allemand voulait bien soumettre les-dites propositions au Gouvernement britannique, ce dernier serait prêt à user de son influence à Varsovie, afin de trouver une solution, pour autant que ces propositions lui paraîtraient raisonnables.
Cette réponse était très difficile à accepter, car — ainsi que je l’ai dit — la situation était extrêmement tendue et le Führer attendait depuis le jour précédent un plénipotentiaire polonais. Moi, aussi, je craignais que les canons ne partent d’eux-mêmes si une solution quelconque n’intervenait pas rapidement. Je lus alors à Sir Nevile Henderson les propositions que le Führer m’avait données. Je voudrais déclarer ici encore une fois, sous la foi du serment, que le Führer m’avait expressément interdit de remettre ces propositions à qui que ce fût. Il me dit que je pourrais en communiquer la substance seulement, si je l’estimais utile, à l’ambassadeur britannique. Je fis plus que cela : je lui lus toutes les propositions, du début jusqu’à la fin. Je le fis parce que j’espérais toujours que le Gouvernement britannique voudrait bien user de son influence à Varsovie et aider à trouver une solution. Mais je dois déclarer franchement aussi que, de cet entretien avec l’ambassadeur britannique le 30 août, de toute son attitude, décrite hier par le conseiller d’ambassade Schmidt, ainsi que de la substance de la communication du Gouvernement britannique, j’acquis l’impression que l’Angleterre, à ce moment-là, n’était pas très disposée à se conformer aux exigences de la situation et, disons-le, à faire tout son possible pour obtenir une solution pacifique.
Que fît alors le Gouvernement allemand, après la communication du contenu du mémorandum à l’ambassadeur Henderson ?
Après ma conversation avec l’ambassadeur britannique, je fis mon rapport au Führer. Je lui dis que la conversation avait été extrêmement sérieuse et aussi que je n’avais pas donné le mémorandum à Sir Nevile Henderson, maigre sa demande, mais que j’avais l’impression que la situation était extrêmement grave et que j’étais convaincu que l’Angleterre tiendrait la promesse faite à la Pologne, que c’était là l’impression très nette que j’avais eue de cet entretien.
Alors, durant toute la journée du 31 août, le Führer attendit encore la venue de quelque plénipotentiaire polonais ou la communication d’un nouveau message du Gouvernement britannique. Nous avons entendu ici M. Dahlerus parler de l’intervention du maréchal Göring et dire comment il lui communiqua tous les détails du contenu de cette note. Il ne peut donc pas y avoir de doute : c’est au cours de la nuit ou, au plus tard, le lendemain matin 31 août, que les propositions exactes du Gouvernement du Reich furent entre les mains, aussi bien du Gouvernement de Londres que du Gouvernement de Varsovie. Le Führer attendit toute la journée du 31 août et je suis convaincu, je puis le redire ici ouvertement, qu’il espérait tout de même que l’Angleterre ferait quelque chose. Puis, au cours de la journée du 31 août, l’ambassadeur de Pologne vint me voir. Tout le monde sait qu’il n’était accrédité ni pour entreprendre des négociations ni pour recevoir des propositions d’aucune sorte. Je ne sais pas si, le 31 août, le Führer m’aurait autorisé à lui transmettre de telles propositions ; je crois que c’est possible. Mais l’ambassadeur polonais n’était pas autorisé à les recevoir, ainsi qu’il me l’affirma. Je signalerai brièvement que le témoin Dahlerus a déjà donné des précisions sur l’attitude de Varsovie.
Est-il exact que l’Angleterre ne transmit les propositions allemandes à Varsovie que dans la soirée du 31 août ?
Veuillez répéter la question, je vous prie.
Est-il exact que les propositions allemandes que vous avez remises à l’ambassadeur, Sir Nevile Henderson, le soir précédent, ne furent transmises à Varsovie que dans la soirée du 31 août ?
Vous voulez dire par Londres ?
Oui, par Londres.
Je n’en sais rien, mais je pense que vous le constaterez facilement d’après les documents officiels.
Quelles furent les considérations qui aboutirent finalement à la décision d’attaquer la Pologne ?
Je ne puis vous répondre en détail. Je sais seulement que les propositions que j’avais transmises à l’ambassadeur de Grande-Bretagne, dans la nuit du 30 août, furent radiodiffusées le 31 au soir. La réaction de la radio de Varsovie, je m’en souviens parfaitement, retentit comme un véritable cri de guerre, en réponse aux propositions allemandes qui, d’après ce que j’entendis, furent qualifiées de raisonnables par Henderson. Je crois que la radio polonaise les traita d’insolentes et appela les Allemands des Huns ou quelque chose d’équivalent. Je me le rappelle encore.
Quoi qu’il en soit, peu après l’annonce de ces propositions, une réponse sèchement négative arriva de Varsovie. Je suppose que ce fut cette réponse qui décida le Führer, dans la nuit du 31, à donner l’ordre de marche.
Pour ma part, je puis dire seulement que je me rendis à la Chancellerie du Reich, où le Führer me déclara qu’il avait donné des ordres, que tout était en marche et qu’il n’y avait plus rien d’autre à faire. Là-dessus, je lui répondis simplement : « Je vous souhaite bonne chance ! » Je pourrais ajouter que l’ouverture de ces hostilités fut la fin des efforts qu’avait faits Adolf Hitler pendant des années pour arriver à une entente amicale avec l’Angleterre.
Mussolini fit-il une nouvelle offre de médiation et qu’en est-il advenu ?
Oui, c’est exact. Le 3 septembre au matin, il arriva à Berlin une proposition de ce genre disant que Mussolini était encore en mesure de convoquer une conférence pour débattre la question polonaise et qu’il le ferait si l’Allemagne se déclarait d’accord au plus tôt. On indiquait que le Gouvernement français avait déjà approuvé cette proposition. L’Allemagne aussi fut immédiatement d’accord. Cependant, peu de temps après — je ne puis pas me rappeler l’heure exacte — il fut rapporté que, dans un discours de Lord Halifax à la Chambre des Communes, je crois, ou dans un autre discours officiel anglais, cette proposition avait été refusée par Londres.
Savez-vous si la France la refusa également ?
J’ai déjà dit que nous reçûmes, en même temps que la proposition, un avis du Gouvernement italien, disant que le Gouvernement français était favorable à cette proposition ou l’avait déjà acceptée.
Après la conclusion de la campagne de Pologne, avez-vous entrevu des possibilités de paix et suivi cette voie ?
Après la fin de la campagne de Pologne, j’eus quelques longs entretiens avec Adolf Hitler. A ce moment-là, il y avait sans aucun doute, du côté français, un manque d’enthousiasme marqué pour la guerre. Dans notre jargon militaire on se servait parfois de l’expression de « drôle de guerre à l’Ouest ». Quant à Hitler, autant que je puisse en juger d’après ce qu’il me dit, il ne désirait pas obtenir une décision rapide à l’Ouest et je crois qu’il en était de même pour nous tous, membres du Gouvernement. Je voudrais vous rappeler le discours prononcé dans ce sens par le maréchal Göring à l’époque. Hitler aussi fit un discours, à Dantzig et autre part je crois, au Reichstag peut-être, dans lesquels il indiqua clairement à deux reprises, à l’Angleterre et à la France, qu’il était toujours disposé à engager des négociations. Nous cherchâmes aussi, très prudemment, dans les milieux diplomatiques, à tâter le pouls de l’opinion des capitales étrangères. Mais les réponses officielles aux discours d’Adolf Hitler indiquèrent nettement qu’on ne pouvait songer à faire la paix.
Q’avez-vous fait, dès ce moment, pour empêcher que la guerre ne s’étendît davantage ?
Ce fut mon plus grand désir, je puis l’affirmer, dès la fin de la guerre de Pologne, de tenter de localiser la guerre, c’est-à-dire d’éviter que la guerre ne s’étendît davantage en Europe. Pourtant il me fallut me rendre compte bien vite que, lorsqu’une guerre a éclaté, la politique ne joue pas toujours, ou plutôt plus du tout, un rôle décisif et que, à ce moment-là, les prétendus horaires des États-Majors entrent en jeu. Chacun veut surpasser les autres.
Nos efforts diplomatiques se déployèrent certainement partout, aussi bien en Scandinavie que dans les Balkans et autre part, pour enrayer l’extension de la guerre. Néanmoins, la guerre prit l’aspect que vous savez. Je voudrais dire qu’après mes conversations avec Hitler, et je suis convaincu que les militaires étaient du même avis, Hitler ne voulait en aucun cas étendre la guerre où que ce fût.
Est-il exact que vous avez reçu des renseignements indiquant que les puissances occidentales avaient l’intention d’envahir la Ruhr ?
Oui, c’est exact. Nous avons continuellement reçu de nombreux rapports. Nos services de renseignements avaient des réseaux très étendus qui, tous, aboutissaient au Führer. Le ministère des Affaires étrangères avait un très petit bureau de renseignements ; il comptait plutôt sur les voies diplomatiques officielles. Pourtant, nous avons aussi reçu des rapports prétendant que les puissances occidentales avaient l’intention d’envahir la Ruhr à la première occasion. La ligne Siegfried représentait un obstacle militaire si important du côté de la France, qu’il nous vint évidemment à l’idée qu’une attaque s’effectuerait peut-être par un pays neutre, tel que la Belgique ou la Hollande.
Combien de temps désirez-vous encore parler, Docteur Horn ?
Encore une heure ou une heure et demie, Monsieur le Président.
Le Tribunal a écouté avec beaucoup de patience un récit fort détaillé. Tout ce que je puis dire c’est qu’à mon avis, cette profusion de détails ne pourra servir la cause de l’accusé. Nous suspendrons maintenant l’audience.