QUATRE-VINGT-QUINZIÈME JOURNÉE.
Samedi 30 mars 1946.
Audience du matin.
Plaise au Tribunal. L’accusé Dönitz n’assistera pas à l’audience d’aujourd’hui.
Oui, Docteur Horn.
Le 16 février 1923, une conférence des ambassadeurs attribua la souveraineté sur le pays de Memel à la Lituanie. Memel avait déjà été annexée en 1923, à la suite d’une attaque par surprise des troupes lituaniennes. Quelles furent les raisons qui décidèrent Hitler à vous donner des directives pour le rattachement du territoire de Memel en 1939 ?
Le territoire de Memel est très petit. Ce pays dont parle notre hymne national a toujours été très cher au cœur du peuple allemand. Les faits, du point de vue militaire, sont bien connus. Après la première guerre mondiale, Memel fut soumise au contrôle allié ; plus tard, des soldats lituaniens l’occupèrent à la suite d’une attaque à main armée. Le pays lui-même est un ancien territoire allemand ; il était naturel que ce pays désirât de nouveau revenir à l’Allemagne.
Le Führer, dès 1938, mentionna ce problème en ma présence et me dit qu’il fallait le résoudre un jour ou l’autre. Au printemps de 1939, nous avons entamé des pourparlers avec le Gouvernement lituanien. Ces pourparlers aboutirent à une rencontre entre M. Urbisk, le ministre des Affaires étrangères de Lituanie et moi-même ; un accord fut conclu en vertu duquel le territoire de Memel devait être réincorporé au Reich. Cela se passait en mars 1939. Je n’ai pas besoin de décrire les souffrances subies par cette région au cours des dernières années. De toute façon, il était tout à fait conforme au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que cet accord de 1939 donnât satisfaction au peuple de Memel. On ne faisait que revenir à une situation normale qui, tôt ou tard, aurait dû être rétablie.
Six mois plus tard, vint la guerre avec la Pologne. Quelles furent, à votre avis, les causes décisives qui déclenchèrent ce conflit ?
J’ai témoigné hier à ce sujet. Le facteur décisif fut la garantie anglaise à la Pologne. Je n’ai pas besoin d’insister sur ce point. Cette garantie, alliée à l’attitude adoptée par la Pologne, nous a placés dans l’impossibilité de négocier ou d’arriver à un accord avec les Polonais.
En ce qui concerne le déclenchement de la guerre proprement dit, les faits suivants devraient être mentionnés :
1° Il n’est pas douteux...
Plaise à Votre Honneur. J’ai exposé ce matin des considérations générales et je répète mon affirmation d’hier, suivant laquelle je suis désolé d’interrompre cet interrogatoire. Mais le témoin a dit lui-même que nous avons déjà entendu tout cela hier après-midi, au cours de l’audience.
Je ferai remarquer que le témoin, en personne, avant de donner sa réponse, a déclaré qu’il avait déjà exposé hier après-midi les causes de la guerre. Je suis tout à fait d’accord et je pense qu’il est parfaitement inutile qu’il recommence à le faire aujourd’hui. Je puis ajouter, entre parenthèses, que nous avions des doutes sérieux quant à la pertinence et à l’utilité de son témoignage au cours de l’audience d’hier, mais aujourd’hui nous n’avons certainement pas besoin d’en entendre parler une fois de plus.
Qu’en pensez-vous, Docteur Horn ?
Je voudrais dire à ce propos que l’ex-ministre des Affaires étrangères allemand, accusé d’avoir fomenté une guerre d’agression, pourrait peut-être avoir l’autorisation de dire quelques mots concernant les causes décisives qui, selon lui, ont mené à la guerre. L’accusé, naturellement, ne devra pas répéter ce qu’il a dit hier, mais je voudrais simplement qu’il précise aujourd’hui quelques détails de ce qu’il a exposé hier d’une façon générale. J’assure le Tribunal que cela ne prendra pas plus de temps qu’il ne sera nécessaire.
Très bien, Docteur Horn, à condition naturellement, qu’il ne répète pas ses déclarations d’hier.
Veuillez exprimer ces faits de la façon la plus brève.
Il ne s’agit que de quelques faits très brefs. Je veux simplement parler des deux derniers jours : Premièrement, il n’est pas douteux que, les 30 et 31 août, l’Angleterre savait fort bien que la situation était extrêmement tendue. Hitler en était informé et a déclaré qu’une décision urgente devait être prise en vue de résoudre ce problème le plus rapidement possible. Je parle de la lettre de M. Chamberlain à Adolf Hitler.
Deuxièmement, l’Angleterre savait que les propositions faites par l’Allemagne étaient raisonnables, car nous savons que l’Angleterre était en possession de ces propositions dans la nuit du 30 au 31 août. L’ambassadeur Henderson lui-même avait déclaré que ces propositions étaient raisonnables.
Troisièmement, il eût donc été possible à l’Angleterre, au cours des journées du 30 ou du 31 août, de faire un signe quelconque à Varsovie pour inciter les Polonais à entamer des pourparlers avec nous. Ceci aurait pu se faire de trois manières différentes : ou bien un intermédiaire polonais venait à Berlin par avion (il s’agissait d’un voyage, comme l’a dit le Führer, d’une heure à une heure et demie) ; ou bien une rencontre aurait pu être arrangée entre les ministres des Affaires étrangères ou les chefs d’États intéressés, cette rencontre ayant lieu à la frontière ; ou, plus simplement encore, l’ambassadeur Lipski aurait pu au moins recevoir mission d’examiner une fois de plus les propositions allemandes. Si de telles dispositions avaient été prises, la crise aurait été enrayée et on aurait pu entamer des négociations diplomatiques. L’Angleterre elle-même aurait pu, si tel avait été son désir, envoyer son ambassadeur pour la représenter au cours des négociations ; après ce qui s’était passé, une telle attitude aurait été, sans aucun doute, vivement approuvée par l’Allemagne. Mais cela ne s’est pas produit. D’ailleurs, ainsi que j’ai pu en conclure d’après des documents que j’ai vus ici pour la première fois, rien n’a été fait, durant cette période, pour remédier à cette situation particulièrement tendue. Le chauvinisme est naturel aux Polonais ; or, nous savons, par le témoignage de l’ambassadeur Henderson lui-même et par celui de M. Dahlerus, que l’ambassadeur Lipski s’est exprimé dans un langage fort violent qui définit bien la mentalité polonaise. La Pologne, sachant parfaitement qu’elle aurait l’aide de la France et de l’Angleterre en toutes circonstances, prit une attitude telle, que, virtuellement, la guerre devint inévitable. Je crois que la connaissance de ces faits est indispensable à une étude complète de la situation.
En ce qui me concerne, je voudrais ajouter que, personnellement, j’ai beaucoup regretté l’évolution de ces événements. Tout le travail accompli pendant vingt-cinq ans se trouvait réduit à néant par cette guerre et, jusqu’à la dernière minute, j’ai fait tous les efforts possibles pour éviter la guerre. Je crois que cela se dégage même des documents émanant de l’ambassadeur Henderson démontrant que je fis toutes les tentatives possibles dans ce but. J’ai dit à Adolf Hitler que c’était le grand désir de Chamberlain d’entretenir des relations amicales avec l’Allemagne et d’arriver à un accord avec elle. J’ai même envoyé un chargé de mission spécial à Sir Nevile Henderson à Berlin, pour lui faire part du désir sincère du Führer de s’entendre avec la Grande-Bretagne et le supplier de faire tout son possible pour que ce désir d’Adolf Hitler soit connu de son Gouvernement.
En avril 1940, le Danemark et la Norvège furent occupés. Le 31 mai 1939, vous aviez conclu avec le Danemark un pacte de non-agression. En se basant sur ce fait, le Ministère Public vous accuse d’avoir mené une diplomatie perfide. Quand et comment avez-vous eu connaissance de l’occupation imminente du Danemark et de la Norvège ?
C’était, depuis longtemps, le désir du Führer et le mien de maintenir la Scandinavie en état de neutralité. Conformément à la politique d’Adolf Hitler, j’ai tout fait pour éviter que la guerre ne s’étende davantage. En avril 1940, Hitler me convoqua à la chancellerie. Il me fit part des rapports qu’il venait de recevoir annonçant que les Britanniques étaient sur le point d’occuper la Norvège, ou du moins, d’y débarquer des troupes. Il avait, par conséquent, décidé d’occuper lui-même la Norvège et le Danemark le surlendemain, dans la matinée. C’était la première indication qui m’était donnée à ce sujet ; j’en fus stupéfait. Le Führer me montra alors les divers rapports qu’il avait reçus par l’intermédiaire de son service de renseignements. Il me donna ordre aussitôt d’adresser des notes au Gouvernement danois et au Gouvernement norvégien, afin de leur faire part que les troupes allemandes allaient sous peu entrer dans leur pays. Je fis observer au Führer que nous avions signé un pacte de non-agression avec le Danemark, que la Norvège était un pays neutre et que les rapports venant de notre ambassadeur d’Oslo n’indiquaient pas qu’un débarquement ait été projeté. Toutefois, lorsque les documents me furent présentés, je me rendis compte de la gravité de la situation et je constatai que ces rapports devaient être pris au sérieux.
Le lendemain, je donnai ordre à mes services de préparer des notes diplomatiques en conséquence, notes qui, dans la journée du 8 avril, furent envoyées par avion à Oslo et à Copenhague. Nous travaillâmes toute la journée et toute la nuit pour terminer ces notes. Le Führer avait donné des ordres pour que ces notes fussent remises peu de temps avant l’occupation allemande à Oslo et à Copenhague. Ce qui fut fait.
L’occupation du Danemark se fit, autant que je sache, sans difficulté et je crois même qu’il y eut à peine un coup de feu. Immédiatement, nous pûmes conclure les conditions d’occupation avec le Gouvernement danois, dirigé par, Stauning, et nous arrivâmes à un accord qui permit de maintenir le calme et une atmosphère amicale, autant que cela était possible. Des garanties d’intégrité furent fournies au Danemark et, dans la suite, tout se passa au Danemark dans un ordre et un calme relatifs.
En Norvège, la situation fut un peu différente et nous eûmes à faire face à une certaine résistance. Nous essayâmes de décider le roi de Norvège à rester dans le pays. Nous négociâmes, mais sans succès. Il partit vers le Nord, à Narvik, je crois. Nous n’avions donc plus de possibilités de négociations avec la Norvège. La Norvège fut occupée, comme on le sait, et une administration civile y fut établie. A partir de ce moment, le ministère des Affaires étrangères ne s’occupa plus de la Norvège. Mais je voudrais souligner que le Führer m’a affirmé, à plusieurs reprises, que les mesures qu’il avait prises étaient absolument nécessaires, que des documents avaient été trouvés après le débarquement des Britanniques en Norvège, documents qui furent publiés plus tard et prouvant que l’occupation de ces pays et le débarquement des Britanniques en Norvège avaient été préparés de longue date.
Au cours de ce Procès, on a fait allusion à plusieurs reprises aux grandes souffrances endurées par les peuples danois et norvégien. Quoi qu’on puisse en penser, je suis personnellement d’avis que, sur le plan pratique, l’occupation allemande a empêché que la Scandinavie ne devienne un théâtre d’opérations et a, précisément, épargné aux peuples danois et norvégien des souffrances innombrables, car si une guerre avait éclaté entre les pays Scandinaves et l’Allemagne, les populations de ces pays auraient subi des souffrances encore plus grandes.
Avant l’occupation de la Norvège, avez-vous eu des rapports avec Quisling ?
Je dois dire que le nom de Quisling n’a été connu que beaucoup plus tard. Avant l’occupation de la Norvège, il m’était personnellement inconnu. Il est exact que M. Rosenberg s’était mis en rapport avec moi pour soutenir les germanophiles des pays Scandinaves, en essayant de les réunir dans la « Nordische Bewegung » ou mouvement nordique. C’était tout à fait naturel. A cette époque, nous avons aussi financé certains journaux et certaines entreprises de propagande et encouragé certaines activités politiques en Norvège.
Mais je me souviens fort bien que jamais, au cours de ces pourparlers, il n’a été fait mention d’une prise de pouvoir politique par certains milieux de Norvège, et jamais on n’a parlé d’opérations militaires.
Quels furent les pouvoirs du ministère des Affaires étrangères au Danemark, après l’occupation de ce pays ?
Après l’occupation du Danemark, le ministère des Affaires étrangères était représenté par un ambassadeur auprès du roi du Danemark. Plus tard, à la suite de certains événements qui seraient trop longs à exposer ici, le Gouvernement danois démissionna et un plénipotentiaire du Reich fut nommé. En même temps, il y eut au Danemark un Commandant en chef militaire et plus tard un chef supérieur des SS et de la Police.
L’activité de notre ambassadeur auprès du roi du Danemark était celle d’un ambassadeur normal et influent dans un pays étranger. Il avait pour mission d’essayer d’aplanir toutes les difficultés qui peuvent toujours résulter d’une occupation ; plus tard, les fonctions du plénipotentiaire du Reich, conformément à mes instructions, étaient de traiter le Danemark, non comme un ennemi de l’Allemagne, mais comme un pays ami. Vis-à-vis du Danemark, nous avons toujours pris ce principe pour guide, et même bien plus tard, lorsque de sérieuses difficultés surgirent du fait de l’intensification de la guerre, un calme complet régna, en fait, dans ce pays, durant les longues années de guerre et nous fûmes tout à fait satisfaits des conditions qui y existèrent alors.
Plus tard, en raison des activités d’agents ennemis soulevant l’hostilité du peuple danois, nous avons été poussés, comme je l’ai indiqué, à prendre des mesures plus sévères ; mais le plénipotentiaire du Reich a toujours reçu de moi des instructions en vue de ne pas augmenter les difficultés, d’améliorer la situation et de maintenir des relations amicales entre les Danois et les Allemands. Sa tâche n’a pas toujours été aisée, mais il s’en est acquitté de son mieux, et dans l’ensemble, les résultats ont été heureux.
A quel moment et de quelle façon avez-vous obtenu des renseignements sur les intentions de l’État-Major franco-britannique d’inclure la Belgique et les Pays-Bas dans leur territoire d’opérations militaires ?
Cette question semble avoir toujours été considérée comme importante au cours de ces débats et elle a été soulevée à plusieurs reprises. La situation était la suivante : en 1937, l’Allemagne conclut une entente avec la Belgique, en vertu de laquelle l’Allemagne s’engageait à respecter strictement la neutralité de la Belgique, à condition que cette dernière la maintînt de son côté.
Après la campagne de Pologne, le Führer m’informa à plusieurs reprises que, d’après les rapports émanant de son service de renseignements, l’ennemi avait l’intention de traverser les territoires belge et hollandais, en vue d’attaquer la Ruhr. Nous-mêmes recevions parfois des renseignements de ce genre, mais de nature moins concrète. En tout cas, Adolf Hitler prévoyait la possibilité d’une attaque sur la Ruhr, territoire d’importance vitale pour l’Allemagne. J’eus, à cette époque, de nombreuses discussions avec le Führer sur l’importance de la neutralité de la Belgique pour le monde en général ; mais je savais aussi que nous étions entraînés dans un combat de grande envergure dans lequel des principes complètement différents devraient être adoptés.
Au cours des événements, au printemps de 1940, notre service de renseignements nous avertit qu’une attaque de ce genre se dessinait de plus en plus clairement. Des documents appartenant à l’État-Major général français, découverts par la suite et publiés par le ministère des Affaires étrangères allemand, ont d’ailleurs prouvé que les renseignements qu’avait reçus l’Allemagne étaient véridiques et qu’une attaque sur la Ruhr avait, de fait, été projetée par ceux qui étaient à ce moment-là les ennemis de l’Allemagne.
A ce propos, je voudrais attirer l’attention sur un document relatif à une entrevue qui eut lieu à Paris, entre le Premier Ministre britannique, M. Chamberlain et M. Daladier et au cours de laquelle M. Chamberlain suggéra une attaque sur les zones industrielles d’importance vitale de la Ruhr, par-dessus les « cheminées » de Hollande et de Belgique. Je crois que ce document est ici et a été accordé à la Défense.
Telle était la situation, au moment où l’offensive à l’Ouest fut décidée par le Führer ; une attaque de la part de l’adversaire, à travers ces régions, paraissait imminente. C’est pour cette raison que le Führer prit la décision de lancer l’attaque dans cette région, à travers ces deux territoires neutres, et je crois qu’après l’attaque, les militaires pourront le confirmer, d’autres documents furent découverts montrant qu’une coopération très étroite existait entre l’État-Major général belge et je crois, hollandais, et l’État-Major général franco-britannique.
Il est bien entendu qu’il est toujours très grave, dans une telle guerre, de violer la neutralité de n’importe quel pays ; il ne faut pas croire que nous l’avons fait de gaieté de cœur, si je puis dire. J’y ai passé maintes nuits blanches et je voudrais rappeler que de l’autre côté, nos adversaires avaient des projets analogues et que d’autres hommes d’État ont étudié la même question. Je me rappelle certaine déclaration suivant laquelle « il devenait fatigant de se pencher sur les droits des neutres » ; cette déclaration émanait de l’éminent homme d’État britannique, M. Winston Churchill.
Quelles sont les causes qui ont incité l’Allemagne à violer l’intégrité du Luxembourg ?
Le Luxembourg se trouvait dans une situation similaire à celle de la Belgique et des Pays-Bas. C’est un tout petit pays, et il est évident que, dans une guerre de l’envergure de celle-ci, les armées ne peuvent pas brusquement arrêter leur élan pour contourner un pays. Mais je voudrais signaler au sujet du Luxembourg, que l’été précédent, c’est-à-dire pendant l’été 1939, nous avions entamé des pourparlers avec le Luxembourg et la France, afin d’aboutir à des accords de neutralité bien établis par des traités. Ces pourparlers avec le Luxembourg commencèrent sous des auspices favorables, mais plus tard, ils furent subitement interrompus, de la part du Luxembourg et de la France. Je n’ai pas très bien compris alors la cause de cette rupture, mais lorsque j’en fis mon rapport au Führer, cela le rendit quelque peu méfiant, quant à la tournure d’esprit qui régnait dans le camp adverse. Nous n’avons jamais su les raisons réelles de cette rupture.
Quelles étaient les possibilités d’action que possédait le ministère des Affaires étrangères en France, après l’occupation partielle de ce pays ?
Après l’occupation, l’occupation partielle de la France, le Führer, à ma demande, et bien que nous ne fussions pas encore en état de paix avec la France et que nous n’ayons pas de raison pour entretenir des relations diplomatiques avec elle, seul un armistice ayant été signé, nomma un ambassadeur auprès du Gouvernement de Vichy. Je désirais particulièrement que ceci fût fait, car j’avais toujours eu pour but d’arriver à une collaboration plus étroite avec la France. Je voudrais souligner que je repris tous mes efforts dans ce but, aussitôt après la victoire et l’armistice. Le Führer était prêt à rétablir ces rapports et, sur ma requête, il adopta ce que l’on a appelé la politique de Montoire, en l’inaugurant, après un entretien avec le général Franco, par une entrevue avec le maréchal Pétain à Montoire, à laquelle j’étais présent.
Je crois pouvoir dire ici et préciser dans l’intérêt de la vérité historique, que l’attitude d’Adolf Hitler vis-à-vis du chef de l’État français vaincu a été probablement sans exemple et doit être considérée comme chevaleresque. On trouve probablement peu de cas analogues dans l’Histoire. C’est également Adolf Hitler qui fit aussitôt au maréchal Pétain des propositions de collaboration très étroite entre la France et l’Allemagne, mais le maréchal Pétain, dès le premier entretien, exprima à l’égard du vainqueur d’importantes réserves, de sorte que, à mon vif regret, cet entretien se termina plus rapidement que je ne l’avais espéré. Malgré cela, au cours des événements ultérieurs, nous avons continué d’essayer d’exercer une politique systématique de conciliation et même de collaboration étroite avec la France. Le fait que nous n’y ayons pas réussi est probablement imputable à l’attitude naturelle des Français et à la volonté de certains milieux influents. Du côté allemand, la bonne volonté n’a certainement pas fait défaut.
Quelle influence avez-vous pu exercer vous-même, ainsi que le ministère des Affaires étrangères, sur les conditions qui régnèrent en Belgique après l’occupation.
Nous n’avions absolument aucune influence sur la situation en Belgique et dans les Pays-Bas. Le Führer y avait installé des administrations civiles et militaires et le ministère des Affaires étrangères n’y avait plus aucune activité ; il était simplement représenté par un agent de liaison qui, en pratique, n’avait rien ou presque rien à faire.
Quant à la France, je voudrais ajouter que c’était différent, du fait que nous pouvions naturellement exercer une certaine influence sur le Gouvernement de Vichy, par l’intermédiaire de notre ambassadeur. Je l’ai fait, dans le domaine financier, par exemple.
On a beaucoup parlé ici de l’activité d’un certain M. Hemmen. A ce propos, je voudrais dire simplement que peu importe comment on a défini ses pouvoirs ; je l’ai désigné avec l’intention précise d’éviter que la France fût victime de l’inflation et que sa monnaie s’effondrât. Telle était la mission spéciale confiée à Hemmen. Même si la France n’était plus disposée à coopérer politiquement avec l’Allemagne, elle demeurait indubitablement pour nous d’une grande importance économique. Je désirais donc la maintenir sur des bases saines et conserver intact son système économique. Voilà les raisons exactes de la mission de M. Hemmen.
Quels étaient les plans de politique étrangère de Hitler après la fin de la campagne de l’Ouest ?
Après la fin de la campagne de l’Ouest, je m’entretins avec le Führer à son Quartier Général sur les événements à venir. Je lui demandai quels étaient ses projets en ce qui concernait la Grande-Bretagne, et nous nous demandâmes alors si le moment n’était pas venu de faire une seconde tentative de paix avec la Grande-Bretagne. Le Führer semblait avoir eu la même idée et accueillit favorablement ma proposition de faire une nouvelle tentative d’offre de paix à la Grande-Bretagne. Je demandai au Führer si je devais préparer un projet de traité à cet effet. Le Führer répondit spontanément : « Non, cela n’est pas nécessaire, je le ferai moi-même, c’est-à-dire qu’il n’est pas besoin de le faire du tout » et il dit textuellement : « Si l’Angleterre est prête à la paix, il n’y a que quatre questions à régler. Surtout, je ne voudrais en aucun cas qu’après Dunkerque, l’Angleterre perdît du prestige. Aussi je ne désire pas une paix qui l’impliquerait en quoi que ce soit ».
En ce qui concernait le contenu d’un tel traité de paix, il mentionna quatre points :
1° L’Allemagne est prête à reconnaître à tous les points de vue l’existence de l’Empire britannique.
2° Il faut donc que l’Angleterre, de ce fait, reconnaisse l’Allemagne comme la plus grande puissance continentale, ne serait-ce qu’en raison de l’importance de sa population.
3° Je demande que l’Angleterre nous rende les colonies allemandes — je me contenterai d’une ou deux de celles-ci — pour régler la question des matières premières.
4° Je désire conclure une alliance permanente, à la vie et à la mort, avec l’Angleterre.
Est-il exact qu’à la fin de l’année 1939 vous ayez appris par Hitler que des conférences avaient eu lieu entre les États-Majors généraux grec et français et que des officiers français avaient été envoyés en Grèce ?
Oui, c’est exact. Il était du domaine de la politique pratiquée par le Führer pour éviter l’extension de la guerre, que j’observe attentivement ce qui se passait dans les Balkans. Adolf Hitler désirait à tout prix maintenir les Balkans hors de la guerre.
En Grèce, la situation était la suivante : la Grèce avait accepté une garantie britannique. Il existait également des liens étroits entre la Yougoslavie et l’Angleterre et surtout avec la France. Par le service de renseignements du Führer et par des sources militaires, nous étions informés continuellement de conférences d’états-majors qui étaient censées avoir lieu entre Athènes, Belgrade, Londres et Paris. A cette époque, je convoquai l’ambassadeur de Grèce à plusieurs reprises et j’attirai son attention sur ce sujet ; je lui conseillai d’être très prudent et je lui déclarai que l’Allemagne n’avait aucune intention de prendre des mesures contre le peuple grec, qui avait toujours été très aimé en Allemagne.
Cependant, de nouveaux rapports nous parvinrent, annonçant que la flotte anglaise avait reçu l’autorisation d’établir des bases navales en Grèce. Ces faits aboutirent à l’intervention italienne, que nous ne souhaitions absolument pas et, dont je crois que le Reichsmarschall Göring a déjà parlé ici. Nous n’avons pu empêcher l’Italie d’intervenir car, lorsque nous arrivâmes à Florence — je me trouvais alors avec Adolf Hitler — pour une conférence avec Mussolini, il était déjà trop tard et Mussolini annonça : « Nous sommes déjà en marche ! » Le Führer fut très ennuyé par cette nouvelle et en fut bouleversé. Il s’agissait alors au moins de faire l’impossible en vue d’empêcher que la guerre entre l’Italie et la Grèce ne s’étendît. Il était évident que la politique yougoslave était le facteur décisif dans cette affaire. J’ai donc essayé par tous les moyens de nouer des liens plus étroits avec la Yougoslavie, afin de la persuader d’adhérer au Pacte Tripartite qui venait d’être conclu. Au premier abord ce fut difficile, mais avec l’appui du régent, le prince Paul, et du Gouvernement Tsvetkovitch, nous réussîmes finalement à pousser’ la Yougoslavie à s’unir au Pacte Tripartite. Nous savions très bien, cependant, que des forces importantes étaient à l’œuvre à Belgrade, qui s’opposaient fortement à l’adhésion de la Yougoslavie au Pacte Tripartite et à tout rapprochement germano-yougoslave. Le Führer, qui était alors à Vienne, dit que la signature du Pacte Tripartite lui avait donné l’impression d’un enterrement. Malgré tout, nous fûmes très surpris lorsque — je crois que cela se passait deux ou trois jours après la conclusion de ce Pacte — ce Gouvernement fut renversé par le putsch du général Simovitch et qu’un nouveau Gouvernement prit le pouvoir, dont l’attitude envers l’Allemagne ne pouvait certainement pas être qualifiée d’amicale.
Des rapports nous arrivèrent de Belgrade, concernant une collaboration étroite avec l’État-Major général britannique — je crois même que les observateurs américains dans cette région doivent être au courant, et au cours des derniers mois, je l’ai appris également de sources anglaises — des éléments britanniques jouèrent un rôle dans ce coup d’État. C’était tout à fait normal, puisque nous étions en guerre.
Tous ces événements incitèrent alors le Führer à intervenir dans les Balkans, tout d’abord pour sortir l’Italie de la situation très difficile où l’avait placée la courageuse résistance grecque en Albanie, et, deuxièmement, pour empêcher que la Yougoslavie n’attaquât par le Nord, ce qui aurait compromis sérieusement la situation de l’Italie ou, pis encore, aurait amené la défaite écrasante de nos partenaires italiens. Ce sont donc des facteurs militaires et stratégiques qui déterminèrent le Führer à intervenir et à engager une campagne contre la Grèce et la Yougoslavie.
Si je vous ai bien compris, la Grèce, en dépit d’une déclaration de neutralité et avant même que l’Italie ne l’eût attaquée en octobre 1940, avait mis des bases à la disposition de la Marine britannique dans les îles de son territoire. Est-ce exact ?
C’est ce que disaient les rapports militaires qui me sont parvenus.
En septembre 1939, le général Gamelin, alors Commandant en chef français, approuva le plan du débarquement allié à Salonique. Quand l’Allemagne fut-elle informée de cette intention ?
Nous n’apprîmes les détails exacts de ce projet que lorsque nous découvrîmes les dossiers de l’État-Major général français sur le déclenchement de la guerre. Mais je sais que, dès le commencement, tous les renseignements qui étaient envoyés au Führer par les divers services de renseignements du Reich lui faisaient craindre la possibilité de l’établissement, à bref délai, d’un nouveau front à Salonique, comme dans la première guerre mondiale, et que cela occasionnât une grande dispersion des forces allemandes.
En septembre 1939, vous avez fait un second voyage à Moscou. Quel était l’objet de cette visite et quelle fut la nature des pourparlers ?
Ma seconde visite à Moscou fut nécessitée par la fin de la campagne de Pologne. Je partis en avion pour Moscou, fin septembre, et cette fois j’y reçus un accueil particulièrement cordial. Nous devions arriver à un accord définitif au sujet de la Pologne. Les troupes soviétiques avaient occupé la partie orientale de la Pologne et nous en avions occupé la partie occidentale jusqu’à la ligne de démarcation alors établie. Il fallait que nous fixions une ligne de démarcation précise. Nous tenions également à renforcer nos liens avec l’Union Soviétique et à créer des relations amicales entre nos deux pays.
Au cours de mon séjour à Moscou, nous conclûmes un accord qui définissait une ligne de démarcation définitive en territoire polonais et, d’autre part, nous envisageâmes un accord commercial transformant complètement nos relations économiques. Un traité très large concernant des échanges de matières premières fut projeté et plus tard conclu. En même temps, ce pacte fut étendu politiquement à un pacte d’amitié, dont on connaît la teneur.
Il restait la question de la Lituanie. Afin de renforcer encore la confiance entre Moscou et Berlin, le Führer s’abstint de revendiquer des droits sur la Lituanie et accorda par ce second traité une influence prépondérante à l’Union Soviétique. De cette façon, les relations entre l’Allemagne et la Russie étaient parfaitement nettes, et cela également quant aux questions territoriales.
Est-il exact que le 15 juin 1940, après un ultimatum à la Lituanie, même la partie qui était restée allemande fut occupée par les Russes, sans aucun avertissement au Gouvernement allemand ?
Il n’y avait pas eu d’entente spéciale à ce sujet, mais on sait que ces territoires furent réellement occupés.
Quelles autres mesures russes ont éveillé des soucis dans l’esprit de Hitler, quant à l’attitude et aux intentions de la Russie ?
Plusieurs points éveillèrent des doutes dans l’esprit du Führer, quant à l’attitude russe. L’un fut l’occupation des états baltes, dont nous venons de parler. Un autre fut l’occupation de la Bessarabie et de la Bukovine du nord, qui se produisit à la fin de la campagne de France et qui nous fut notifiée sans consultation préalable. Le roi de Roumanie s’adressa alors à nous pour nous demander conseil. Le Führer, par loyalisme envers l’Union Soviétique à laquelle il était lié par traité, lui répondit de satisfaire les revendications soviétiques et d’évacuer la Bessarabie. Plus tard, la guerre de Finlande, en 1940, créa un certain malaise dans le peuple allemand en raison de la sympathie qu’il éprouvait pour le peuple finlandais. Le Führer se jugea contraint de prendre la chose en considération, dans une certaine mesure. Ensuite, il y eut encore deux autres points. L’un était le fait que le Führer recevait des renseignements sur la propagande communiste dans les usines allemandes, propagande qui semblait avoir son origine dans la délégation commerciale russe. D’autre part, nous entendîmes parler également de certains préparatifs militaires qui se faisaient en Russie. Je sais qu’après la campagne de France, il me parla à plusieurs reprises à ce sujet et me dit qu’environ vingt divisions allemandes avaient été massées près de la frontière de la Prusse Orientale, et que des forces importantes — je me souviens par hasard des chiffres — trente corps d’armée avaient été concentrés par les Russes en Bessarabie. Tous ces faits préoccupaient le Führer et il me demanda d’observer la situation de très près. Il me dit même que le traité de 1939 avait probablement été conclu uniquement en vue de pouvoir nous dicter des conditions politiques et économiques. Mais en tout cas, il avait l’intention de prendre des contre-mesures. De mon côté, je fis observer au Führer le danger d’une guerre préventive, mais il me répondit que les intérêts germano-italiens devaient, le cas échéant, passer au premier plan, en toutes circonstances. Je répondis que j’espérais que l’on n’en arriverait jamais là et que nous devions faire tous nos efforts pour l’éviter par les voies diplomatiques.
En novembre, du 12 au 14 novembre 1940, le commissaire aux Affaires étrangères russe, M. Molotov, se rendit à Berlin. Qui prit l’initiative de cette visite et quel fut le sujet de ces entretiens ?
Les entretiens avec M. Molotov à Berlin se rapportèrent aux sujets suivants. Je voudrais préciser que, dans mes tentatives pour éclaircir la situation diplomatique et arriver à une entente avec la Russie, j’avais adressé, à la fin de l’automne 1940, une lettre au maréchal Staline, avec la permission du Führer, dans laquelle j’invitais M. Molotov à venir à Berlin. L’invitation fut acceptée et, au cours de l’entretien que le Führer eut avec M. Molotov, on parla des rapports germano-russes dans leur ensemble. J’étais présent à ces entretiens. Tout d’abord, M. Molotov parla avec le Führer des rapports germano-russes en général, puis il en vint à la Finlande et aux Balkans. Il dit que son pays avait des intérêts vitaux en Finlande et déclara que, sur la base de la délimitation actuelle des zones d’influence, il considérait que la Finlande faisait partie de la zone d’influence russe.
Le Führer répondit que l’Allemagne possédait également d’importants intérêts en Finlande, en particulier quant au nickel et que, de plus, on ne devait pas oublier que le peuple allemand tout entier éprouvait de la sympathie vis-à-vis des Finlandais. Il demanda donc à M. Molotov d’entrer dans ses vues sur cette question. Ce sujet fut soulevé à plusieurs occasions.
En ce qui concernait les Balkans, M. Molotov dit qu’il serait très heureux de conclure un pacte de non-agression avec la Bulgarie et d’entrer en relations plus étroites avec ce pays. Il pensait également à y établir des bases. Le Führer répondit en demandant si la Bulgarie s’était adressée à M. Molotov, mais apparemment cela n’avait pas été le cas. Là-dessus, le Führer estima qu’il ne pourrait prendre position sur cette question qu’après avoir conféré avec Mussolini, qui était son allié et était également intéressé à la question des Balkans.
D’autres points furent aussi débattus, mais aucune décision définitive ni aucun accord ne furent pris au cours de cette discussion. En réalité, ces entretiens prirent une tournure qui me paraissait peu propice à l’aboutissement d’une solution qui satisfît les deux parties. A la suite de cette entrevue, je demandai au Führer de m’autoriser à reprendre la conversation avec M. Molotov et à discuter avec ce dernier la possibilité pour la Russie de se joindre au Pacte Tripartite. C’était là un de nos buts à cette époque. Le Führer se déclara d’accord et j’eus une longue discussion avec le Commissaire aux Affaires étrangères russe. Au cours de cet entretien, les mêmes problèmes furent discutés. M. Molotov fit allusion à l’importance vitale de la Finlande pour la Russie ; il mentionna également les intérêts de la Russie en Bulgarie, sa parenté avec le peuple bulgare et ses intérêts dans d’autres pays balkaniques. En définitive, nous nous mîmes d’accord sur le fait qu’il verrait M. Staline à son retour à Moscou et qu’il essayerait de parvenir à résoudre toutes ces questions. Je suggérai que la Russie adhérât au Pacte Tripartite et je lui déclarai mon intention de reparler au Führer des divers points qui avaient été soulevés. Peut-être pourrions-nous encore trouver une issue. Cet entretien eut pour résultat que M. Molotov rentra à Moscou avec l’intention de résoudre par la voie diplomatique les différends qui subsistaient entre nous.
Docteur Horn, il est évident que, comme ces négociations n’aboutirent pas à un accord, elles sont très éloignées des questions examinées par le Tribunal. Vous ne prétendez pas qu’il en est résulté un accord, n’est-ce pas ?
Non, je voudrais simplement prouver que, du côté allemand, tous les efforts furent faits en vue d’empêcher un conflit avec la Russie.
Il n’a pas été question au cours de ces négociations d’un conflit avec la Russie ?
Non, mais il se dégage des efforts faits par l’Allemagne et par Ribbentrop, que l’on cherchait à écarter tous les éléments de conflit entre la Russie et l’Allemagne. Le Ministère Public a prétendu que le pacte avec la Russie avait été conclu avec l’intention de le violer un jour et d’attaquer la Russie, que, dès l’origine, il y avait à l’égard de la Russie une intention agressive. Je voudrais démontrer que ce n’était pas le cas.
Il me semble que cette question est vraiment très éloignée du sujet. Vous ne faites que montrer que Ribbentrop a poursuivi avec la Russie des négociations qui n’ont abouti à aucun résultat. C’est tout. Vous pouvez continuer, Docteur Horn.
Dans une de vos réponses précédentes, vous avez mentionné que des troupes étaient concentrées à la frontière de la Prusse Orientale, en donnant le chiffre de vingt divisions allemandes. Je pense qu’il s’agit d’un lapsus linguae de votre part ?
Je voulais dire vingt divisions russes. Je sais que le Führer en a souvent parlé. Il disait que nous n’avions, je crois, qu’une seule division dans toute la Prusse Orientale.
L’occupation de certains territoires dans les Balkans ainsi que dans les Pays baltes par les Russes n’a-t-elle pas été l’une des raisons des conversations avec M. Molotov ?
En ce qui concerne les Balkans non, car il n’existait pas encore de zone d’occupation russe. Mais c’est exact pour la Bessarabie, que l’on ne peut, au sens propre du mot, considérer comme faisant partie des Balkans. Ce furent l’occupation de la Bessarabie, qui se fit avec une rapidité surprenante, en même temps que celle de la Bukovine du nord, qui n’avait pas été désignée à Moscou comme faisant partie de la zone d’influence russe et qui était en vérité — ainsi que l’a dit le Führer à l’époque — une ancienne contrée de la couronne autrichienne, et l’occupation des Pays baltes. Il est exact que ces faits remplirent le Führer d’une certaine inquiétude.
Est-il exact que Hitler et vous-même, au cours de l’été 1940, ayez eu connaissance de la présence à Moscou d’une mission militaire franco-anglaise ?
A quelle date ?
L’été de 1940, c’est-à-dire après le mois de juin 1940.
Oui, c’est exact. De tels renseignements nous parvenaient fréquemment ; toutefois, je ne peux pas dire aujourd’hui si cela s’applique exactement à l’été 1940. En 1939, lorsque j’arrivai à Moscou, il y avait précisément sur place des missions militaires françaises et anglaises, qui étaient chargées par les Gouvernements anglais et français de conclure une alliance militaire entre la Russie, l’Angleterre et la France. C’est là un exemple de la politique que le Führer qualifia de « politique d’encerclement britannique », dans un discours au Reichstag le 28 mai, je crois, et que m’a rendue tout à fait évidente une déclaration de M. Churchill en 1936, à l’ambassade.
Est-il exact qu’au cours de ces entretiens entre...
Monsieur le Président, je m’efforce de suivre tout ceci de mon mieux. Le témoin a-t-il parlé de 1940 ? Je voudrais qu’il me soit précisé s’il s’agit de 1939 ou de 1940. Cela fait une grande différence.
Vous parlez de la mission anglaise ? Je crois qu’il s’agit de 1940.
J’allais répondre à cela. J’ai déjà dit que je n’étais pas certain de 1940. J’ai simplement mentionné que des renseignements dans ce sens nous étaient parvenus, mais je sais cependant qu’en 1939 cette mission était là-bas.
Au cours de la visite de Molotov à Berlin en 1940, n’a-t-on pas fait allusion au fait que la Russie n’était pas satisfaite du dernier traité de paix russo-finlandais et qu’elle avait l’intention d’annexer toute la Finlande ?
Rien d’aussi défini n’a été avancé, mais il était évident, d’après son attitude, que la Russie considérait la Finlande comme faisant partie de sa zone d’influence. Il m’est impossible de dire les mesures que la Russie avait l’intention de prendre vis-à-vis de ce pays.
Le 5 avril 1941 fut conclu un pacte de non-agression et d’amitié russo-yougoslave. Quels furent les effets de cet accord sur l’Allemagne ?
Cela eut pour résultat de confirmer le Führer dans l’opinion que la Russie était en train de s’éloigner de la politique adoptée par elle en 1939. Il considérait cela comme un affront — ce sont ses propres paroles — car, disait-il, il avait conclu un pacte avec l’autre Gouvernement et maintenant la Russie en concluait un avec le Gouvernement qui était nettement hostile à l’Allemagne.
Est-il exact que Hitler vous interdit alors de prendre d’autres initiatives sur le plan diplomatique vis-à-vis de la Russie ?
C’est exact. Je dis au Führer, à ce moment-là, qu’il était bon de déployer les plus grands efforts afin d’arriver à éclaircir l’attitude de la Russie. Il me répondit que c’était parfaitement inutile et qu’il ne pensait pas que l’attitude des Russes s’en trouvât changée.
Quelles furent les causes qui précipitèrent le conflit avec la Russie ?
A ce sujet, je dois déclarer ce qui suit : au cours de l’hiver 1940-1941, le Führer se trouva en face de la situation suivante, et il me semble très important de l’indiquer nettement : l’Angleterre n’était pas disposée à faire la paix, c’est pourquoi il était d’une importance décisive pour le Führer de connaître l’attitude respective des États-Unis d’Amérique et de la Russie. J’eus une longue discussion avec lui à ce sujet et lui demandai de me donner des directives diplomatiques clairement définies. Il me dit que l’attitude du Japon n’était pas complètement sûre à l’égard de l’Allemagne. Bien que nous eussions conclu le Pacte Tripartite, des éléments très puissants travaillaient contre nous au Japon et nous ne savions pas quelle position prendrait ce pays. L’Italie, dans la campagne de Grèce, s’était montrée une alliée très faible ; il pouvait donc arriver que l’Allemagne se trouvât obligée de rester seule en ligne.
Puis il parla de l’attitude des États-Unis. Il me dit qu’il avait toujours désiré avoir de bonnes relations avec les États-Unis, mais qu’en dépit d’une prudence extrême, les États-Unis étaient devenus de plus en plus hostiles à l’Allemagne. Le Pacte Tripartite avait été conclu en vue de maintenir les États-Unis en dehors de la guerre, car nous désirions et nous croyions que, de cette manière, les milieux aux États-Unis qui travaillaient pour la paix et la bonne entente avec l’Allemagne en seraient renforcés. Mais de ce côté ce fut un échec, car l’attitude des États-Unis après la conclusion du Pacte Tripartite ne se manifesta pas en faveur de l’Allemagne. L’idée principale du Führer et la mienne était que si les États-Unis entraient en guerre, ils auraient à tenir compte d’une guerre se déroulant sur deux fronts et, par conséquent, préféreraient ne pas intervenir, mais cette idée ne fut pas réalisée.
Au sujet de l’attitude de la Russie, le Führer fit cette déclaration : « Nous avons conclu un pacte d’amitié avec la Russie ; mais ce pays a pris une attitude — dont nous venons de parler — et qui me cause une certaine inquiétude ; nous ne savons donc pas ce qui peut nous arriver de ce côté-là. » Nous recevions de plus en plus fréquemment des rapports sur des mouvements de troupes et il prit alors des contre-mesures militaires dont j’ignorais et ignore encore la nature exacte. Cependant, il était gravement préoccupé par le fait que, tôt ou tard, la Russie d’un côté et les États-Unis avec l’Angleterre de l’autre se dresseraient contre l’Allemagne ; il devait donc s’attendre, d’une part, à une attaque de la Russie et, d’autre part, à une attaque combinée des États-Unis et de l’Angleterre, ce qui se traduirait par une attaque de grande envergure à l’Ouest. Toutes ces considérations firent que le Führer, après réflexion, décida de faire lui-même le premier pas et de déclencher une guerre préventive contre la Russie.
Quelles étaient les véritables raisons politiques du Pacte Tripartite ?
Le Pacte Tripartite fut conclu en septembre 1940, je crois. La situation était telle que je viens de la décrire, c’est-à-dire que le Führer s’inquiétait de ce que, tôt ou tard, les États-Unis entrent en guerre. C’est pourquoi je voulais faire l’impossible, sur le plan diplomatique, pour renforcer la position de l’Allemagne. Je pensais que nous avions l’Italie comme alliée, mais l’Italie s’était révélée une alliée bien faible. Comme nous ne pouvions avoir la France de notre côté, le seul ami sur lequel nous puissions compter en dehors des Balkans était le Japon. Nous essayâmes donc, durant l’été de 1940, d’entrer en contact plus étroit avec le Japon ; le Japon avait les mêmes préoccupations et cela aboutit à la signature du Pacte. Le but de ce Pacte, ou plutôt je dirais la substance de ce Pacte, était une alliance politique, militaire et économique. Il n’y a aucun doute, cependant, et nous l’avons considéré ainsi dès sa signature, que ce Pacte était de nature défensive. J’entends par là un Pacte qui, en premier lieu, avait pour but de maintenir les États-Unis en dehors de la guerre ; et j’espérais qu’une combinaison de ce genre pourrait, malgré tout, nous donner les moyens de faire la paix avec l’Angleterre. Ce Pacte n’était pas, comme on l’a dit à maintes reprises, basé sur des plans d’agression ou de domination du monde. Son but était, comme je l’ai dit, de constituer une concentration de puissances qui permettrait à l’Allemagne d’introduire un ordre nouveau en Europe et de donner au Japon les possibilités d’arriver à une solution qui lui soit favorable en Asie orientale, spécialement à l’égard du problème chinois.
C’était là mon intention lorsque j’ai négocié et signé ce Pacte. La situation était favorable. Ce Pacte pouvait maintenir les États-Unis en état de neutralité et isoler l’Angleterre, de telle sorte que nous aurions pu parvenir à une paix de compromis, éventualité que nous n’avons jamais perdue de vue durant toute la durée de la guerre, et en vue de laquelle nous avons travaillé assidûment.
Quelle influence, suivant les rapports diplomatiques que vous receviez, eurent l’Anschluss de l’Autriche et l’accord de Munich sur l’attitude des États-Unis ?
Il n’est pas douteux que les États-Unis, après l’occupation de l’Autriche et après le pacte de Munich, devinrent plus hostiles à l’Allemagne.
En novembre 1938, l’ambassadeur américain à Berlin fut rappelé à Washington pour faire un rapport à son Gouvernement et les relations diplomatiques normales avec l’Allemagne s’en trouvèrent interrompues. D’après vos propres observations, quelles furent les raisons du rappel de l’ambassadeur américain ?
Nous n’avons jamais su le fin mot de l’histoire, et nous l’avons vivement regretté car nous fûmes alors obligés de rappeler notre ambassadeur à Washington pour qu’il nous fît un rapport. Mais il était évident que l’attitude générale des États-Unis ne laissait subsister aucun doute. Plusieurs incidents survinrent qui, progressivement, donnèrent au Führer la certitude que, tôt ou tard, les États-Unis entreraient en guerre contre nous. Je voudrais en donner quelques exemples. L’attitude du président Roosevelt se dessina pour la première fois, à l’occasion d’un discours qu’il fit en 1937, le « Quarantine speech ». Il fut suivi d’une énergique campagne de presse. Lorsque l’ambassadeur fut rappelé, la situation devint plus tendue et plus critique et son effet commença à se faire sentir dans tous les domaines des relations germano-américaines.
Je crois qu’entre temps de nombreux documents traitant de ce sujet ont été publiés et qu’un certain nombre d’entre eux ont été présentés par la Défense, tels que ceux, par exemple, qui révèlent l’attitude prise par quelques diplomates américains au moment de la crise polonaise ; puis la politique « cash-and-carry », qui ne pouvait profiter qu’aux ennemis de l’Allemagne ; la cession de destroyers à l’Angleterre ; ensuite la loi « prêt et bail » ; dans d’autres domaines, l’avance continue des États-Unis vers l’Europe : occupation du Groenland, de l’Islande, de l’Afrique, etc. ; l’aide apportée à la Russie soviétique après que la guerre eut éclaté. Toutes ces mesures renforcèrent le Führer dans son opinion que, tôt ou tard, la guerre avec l’Amérique devait bien être considérée comme une certitude. Il n’est pas douteux que le Führer, à priori, ne désirait pas cette guerre ; et je puis dire que moi-même, comme cela ressort, je crois, de nombreux documents présentés par le Ministère Public, j’essayai sur le plan diplomatique de faire l’impossible pour empêcher les États-Unis d’entrer en guerre.
Durant l’été de 1941, le président Roosevelt adressa à la flotte américaine ce qu’on a appelé son « ordre de tir » pour la protection des convois de matériel de guerre à destination de l’Angleterre. Quelles furent les réactions de Hitler et de la diplomatie allemande en face de cet ordre ?
Ce fut un événement très regrettable pour nous. Je ne saurais donner de détails techniques à cet égard, mais je peux me souvenir que Hitler avait l’air très ému à la suite de cet ordre. Je crois que c’est dans un discours fait à quelque réunion, probablement à Munich — je ne me souviens pas au juste — que le Führer répondit à cet ordre par un avertissement. Je me rappelle la forme de la réponse parce qu’elle me sembla très particulière. Il dit : « L’Amérique a donné l’ordre de tirer sur les bateaux allemands ; je n’ai pas donné à ma flotte l’ordre de tirer, mais j’ai ordonné que l’on ripostât ». Je crois que c’est de cette façon qu’il s’exprima.
Dans les services diplomatiques, certains documents relatifs à ces événements nous parvinrent, mais la Marine a des informations plus précises et en sait plus long sur cette matière que moi-même D’autre part, je crois qu’il y eut des protestations et des publications se référant à cette mesure et qui ’ définissaient clairement l’attitude allemande. Je ne saurais vous donner des détails précis sur ces protestations sans m’être référé à des documents.
Le Japon, avant son attaque sur Pearl-Harbour, prévint-il l’Allemagne de ses intentions ?
Non, pas du tout. A cette époque, j’essayai de décider le Japon à attaquer Singapour, car une paix avec l’Angleterre ne paraissait pas possible et je ne voyais pas, sur le plan militaire, les mesures qui permettraient d’atteindre ce but. En tout cas, le Führer me donna l’ordre de faire tout ce nui était en mon pouvoir, par la voie diplomatique, en vue d’affaiblir la position de l’Angleterre de façon à l’obliger à demander la paix. Nous pensions arriver à ce résultat par une attaque du Japon sur les positions-clefs de l’Angleterre en Asie orientale et c’est pourquoi j’essayai d’inciter le Japon à attaquer Singapour.
Après le déclenchement de la guerre contre la Russie, j’essayai également de décider le Japon à attaquer la Russie, car je pensais que cet événement amènerait plus rapidement la fin de la guerre. Le Japon, cependant, n’en fit rien. Il ne fit aucune des deux choses que nous désirions qu’il fît. Mais, en revanche, il en fit une troisième ; il attaqua les États-Unis à Pearl-Harbour. Cette attaque fut pour nous une surprise totale. Nous avions envisagé la possibilité d’une attaque japonaise sur Singapour, c’est-à-dire contre l’Angleterre, ou peut-être sur Hong-Kong, mais nous n’avions jamais considéré une attaque contre les États-Unis comme à notre avantage. Nous savions que dans le cas d’une attaque contre l’Angleterre il y avait des chances pour que les États-Unis intervinssent. C’était une question à laquelle, cela va de soi, nous avions souvent songé. Nous espérions, cependant, que cela ne se produirait pas. J’appris les premières nouvelles de l’attaque sur Pearl-Harbour par la presse de Berlin et par l’ambassadeur du Japon Oshima. Je voudrais affirmer sous la foi du serment que toute autre version, toute autre preuve qui prétendrait le contraire est absolument inexacte. J’irai même plus loin et affirmerai que cette attaque fut une surprise pour l’ambassadeur japonais lui-même ; tout au moins, il me l’a dit au cours de ce premier entretien.
Le Tribunal désire-t-il maintenant suspendre l’audience ?
Docteur Horn, pour combien de temps en avez-vous encore ?
Plus pour très longtemps, disons quinze ou vingt minutes.
Très bien, nous suspendrons l’audience pendant dix minutes.
Quels sont les motifs qui amenèrent Hitler et vous-même à entrer en guerre contre les États-Unis aux côtés du Japon ?
Après la nouvelle de Pearl-Harbour, le Führer dut prendre une décision. Le Pacte Tripartite stipulait que nous étions liés au Japon et devions l’aider uniquement en cas d’une attaque dirigée contre le Japon lui-même. Je me rendis auprès du Führer, lui expliquai l’aspect juridique de la situation et lui exposai que bien que nous accueillions volontiers un nouvel allié contre l’Angleterre, cela signifiait que nous avions en plus un nouvel adversaire, dont il fallait tenir compte, ou auquel nous aurions affaire si nous déclarions la guerre aux État-Unis. Le Führer rétorqua qu’étant donné que les États-Unis avaient déjà tiré sur nos bateaux, l’état de guerre existait pratiquement. Ce n’était plus qu’une question de forme et, de toute façon, l’état de guerre officiel pouvait être déclaré au moindre incident ; du moins un état de choses régnait dans l’Atlantique qui, en fin de compte, provoquerait fatalement une guerre germano-américaine. Il me donna donc des instructions pour rédiger une note qu’il modifia lui-même par la suite, en vue de remettre au représentant américain ses papiers et son sauf-conduit.
Comment se traduisit, pendant la guerre, la collaboration du ministère des Affaires étrangères avec les alliés de l’Allemagne ?
La collaboration avec l’Italie était évidemment étroite. Je veux dire par là qu’au cours de la guerre, nous devions à tous égards diriger les opérations militaires ou, du moins, nous en occuper. La collaboration avec le Japon était très difficile pour la simple raison que nous ne pouvions avoir de relations avec le Gouvernement japonais que par la voie des airs. Nous étions en rapport avec eux, de temps en temps, par l’intermédiaire de sous-marins ; mais il n’existait pas de plan coordonné, soit sur le plan militaire, soit sur le plan politique. Je crois que, sur ce point, l’opinion du général américain Marshall est exacte : il n’y avait pas de collaboration étroite ni de plan d’ensemble du point de vue stratégique. En effet, ce n’était pas le cas.
Comment était la collaboration avec l’Italie ?
Ainsi que je viens de vous le dire, la collaboration avec l’Italie était bien entendu très étroite, mais des difficultés se dressèrent en raison des influences hétérogènes qui s’exerçaient et parce que l’Italie, dès le début, se montra une alliée très faible à tous les points de vue.
Pourquoi, au cours de la campagne de Russie, avez-vous suggéré à Hitler la conclusion d’accords de paix séparés ?
A Moscou avait été créée une atmosphère de confiance entre le Gouvernement soviétique et le nôtre, entre Staline, Molotov et moi, atmosphère qui s’étendait même au Führer. Je me souviens que le Führer me dit une fois qu’il avait confiance en Staline, le considérait comme l’un des plus grands hommes de l’Histoire et qu’il pensait que ce dernier avait accompli une œuvre magnifique en créant l’Armée rouge ; mais que personne ne pouvait prévoir ce qu’il allait advenir. Le pouvoir des Soviets avait grandi et pris d’énormes proportions. Il était donc très délicat de savoir comment s’y prendre et comment trouver un nouveau terrain d’entente avec la Russie. J’ai moi-même toujours fait des efforts, par la voie diplomatique ou autrement, en vue de maintenir certains contacts, car je croyais alors et espérais qu’on pourrait arriver à une sorte de paix qui soulagerait l’Allemagne à l’Est et lui permettrait de concentrer ses forces à l’Ouest, ce qui mènerait peut-être à une paix générale. Dans ce but, je proposai au Führer, pour la première fois, au cours de l’hiver de 1942 — c’était avant Stalingrad — de conclure un accord avec la Russie. Je fis cela après le débarquement anglo-américain en Afrique, qui me causait de grandes inquiétudes. Adolf Hitler, que je rencontrai dans son train à Bamberg, rejeta catégoriquement l’idée d’une telle paix ou de toute tentative de ce genre, car il pensait que si cela se savait, un esprit de défaitisme en naîtrait, et ainsi de suite... Je lui avais suggéré, à ce moment-là, de négocier une paix avec la Russie sur une base très modérée.
D’autre part, en 1943, dans un long exposé écrit, je conseillai de nouveau au Führer de rechercher une telle paix. Je crois que c’était après l’effondrement de l’Italie. Le Führer, à cette époque, était mieux disposé à accepter une paix de ce genre ; il cherchait déjà et traçait une ligne de démarcation éventuelle susceptible d’être adoptée. Il m’en parlerait, m’a-t-il dit, dès le lendemain. Le lendemain, cependant, je ne reçus de lui aucune autorisation. Je pense que le Führer se rendait probablement compte qu’il était impossible de combler le fossé qui existait entre le national-socialisme et le communisme et qu’une paix semblable ne serait qu’un armistice.
Plus tard, je fis à une ou deux reprises de nouvelles tentatives, mais le Führer était d’avis qu’avant tout il fallait un succès militaire décisif en notre faveur, et qu’alors seulement nous pourrions commencer à négocier ; autrement, de telles négociations seraient inutiles.
Si l’on me demandait de donner mon opinion quant au succès possible de telles négociations, je dirais qu’il eût été fort douteux. Je crois qu’étant donné la position très ferme que prirent nos adversaires dès le commencement de la guerre, surtout l’Angleterre, il n’y eut vraiment à aucun moment aucune possibilité pour l’Allemagne de conclure la paix ni à l’Est ni à l’Ouest. Je suis convaincu qu’avec l’exigence formulée à Casablanca d’une reddition sans conditions, cette possibilité cessa d’exister. Je fonde mon opinion non sur des considérations purement abstraites, mais sur le résultat d’enquêtes continuelles faites par des voies indirectes, qui étaient souvent, en raison de leur nature, impossibles à identifier par nos adversaires, et qui nous procuraient les opinions de personnalités importantes exerçant une influence sur la politique de ces pays. Ils étaient déterminés à combattre jusqu’au bout. Je crois que le Führer avait raison lorsqu’il disait que de telles négociations ne serviraient à rien.
Pour passer à un autre sujet, le témoin Lahousen a déclaré ici qu’en septembre 1939 eut lieu dans le train privé de Hitler une conversation, à laquelle vous auriez pris part, et où des plans furent établis en vue d’un soulèvement dans l’Ukraine polonaise.
Comment en vint-on à traiter ce sujet et quel fut votre rôle dans la discussion ?
Je me souviens qu’au cours de la campagne de Pologne, l’amiral Canaris, qui était à cette époque chef du Service de renseignements de la Wehrmacht, vint me voir pour une très courte visite personnelle, ainsi qu’il en avait l’habitude. Je me trouvais à ce moment-là dans ma voiture, dans le train du Führer. Je ne puis me rappeler si le témoin Lahousen était présent, car j’ai eu l’impression en voyant Lahousen ici de ne l’avoir jamais vu auparavant. Canaris venait me voir de temps en temps afin de me rendre compte de ses activités de renseignements et d’autres branches. C’était le cas ce jour-là et je crois que c’est lui qui me dit qu’il avait réuni tous ses agents dans le but de fomenter une révolte parmi les Ukrainiens et autres minorités à l’arrière de l’Armée polonaise. Il ne reçut de moi aucune instruction ni aucune directive — contrairement à ce qui a été avancé ici — et ceci pour deux raisons :
1° Le ministre des Affaires étrangères allemand ne pouvait donner un ordre à un organisme militaire.
2° Le ministère des Affaires étrangères, au début de la campagne de Pologne, ne prenait aucune part aux questions ukrainiennes ou autres questions de ce genre. Du moins je n’en étais pas personnellement au courant. Je n’étais pas même suffisamment au courant des détails pour être capable de donner des directives.
Le Ministère Public a produit une circulaire émanant du ministre des Affaires étrangères...
Puis-je ajouter quelque chose à ce sujet ? Le témoin Lahousen a rapporté ici que j’aurais dit que les maisons devaient être incendiées ou les villages, et qu’il fallait tuer les Juifs. J’aimerais affirmer catégoriquement que jamais je n’ai dit une chose pareille.
Canaris était avec moi dans mon wagon à ce moment-là et il est possible, bien que je ne m’en souvienne pas exactement, que j’aie pu le revoir à sa sortie du train, plus tard. Apparemment, il reçut alors des instructions émanant du Führer sur la façon dont il devait se comporter en Pologne à l’égard de la question de l’Ukraine et d’autres questions. Les déclarations que l’on me prête ici n’ont aucun sens ; car, en premier lieu, il s’agissait de villages ukrainiens habités par des Ukrainiens et qui n’étaient pas nos ennemis, mais nos amis. Cela aurait été un non-sens de ma part, de dire que ces villages devaient être incendiés. En second lieu, en ce qui concerne la question de tuer les Juifs, je ne puis dire qu’une chose, c’est que cela aurait été tout à fait à rencontre de mes sentiments et qu’à ce moment-là il n’était question pour personne de tuer les Juifs. Je dois dire, en un mot, que tout cela est absolument faux. Je n’ai jamais donné une directive de ce genre et je n’aurais pas pu le faire. Je n’ai même jamais donné d’indications générales sur ce point. Puis-je ajouter que je ne crois pas que Lahousen lui-même fût très certain que j’avais fait cette déclaration ; tout au moins telle était mon impression.
Avez-vous quelque chose à dire au sujet de la circulaire du ministère des Affaires étrangères, présentée par le Ministère Public, et qui est intitulée « La question juive en tant que facteur de la politique étrangère en 1938 » ?
J’ai vu cette circulaire ici pour la première fois. Voici les faits : au ministère des Affaires étrangères il y avait un service qui s’occupait des questions du Parti et des questions d’idéologie. Ce service, sans aucun doute, coopérait avec les services compétents du Parti. Ce n’était pas le ministère des Affaires étrangères proprement dit. J’ai vu cette circulaire ici ; elle m’a paru tout à fait conforme au sens de la plupart des circulaires que l’on transmettait à l’époque aux fonctionnaires pour information et avis. Il se peut qu’elle soit passée par mon bureau, mais je crois que le fait qu’elle était signée d’un chef de service et non de moi ou du secrétaire d’État, prouverait que je ne considérais pas cette circulaire comme très importante, même si je l’avais eue sous les yeux. Quand bien même elle serait passée par mon bureau ou me serait parvenue d’une autre manière, je ne l’ai certainement pas lue, car, en principe, je ne lisais jamais de documents aussi longs, mais demandais à mes collaborateurs de me présenter un résumé de leur contenu. Je recevais des centaines de lettres au cours de mon travail quotidien, dont quelques-unes m’étaient lues, ainsi que des circulaires et des décrets que je signais et que je ne lisais pas pour la plupart. Je désire souligner, cependant, que si l’un de mes fonctionnaires a signé cette circulaire, il va de soi que j’en prends l’entière responsabilité.
Le Ministère Public a parlé à plusieurs reprises de la Convention de Genève. Votre nom, à ce sujet, a été cité fréquemment. Quelle était votre attitude vis-à-vis de la Convention de Genève ?
Je crois, et beaucoup de gens pourraient le confirmer, que, dès le début de la guerre, le ministère des Affaires étrangères et moi-même avons toujours tout fait pour que la Convention de Genève soit respectée. Je voudrais ajouter que les autorités militaires ont toujours fait preuve de compréhension et de bonne volonté, tout au moins dans les affaires que j’avais à traiter. Si, plus tard, nous avons pris des libertés sur tel ou tel point, cela n’est dû qu’aux rigueurs de la guerre et peut-être aussi à la dureté du Führer.
En ce qui concerne les aviateurs terroristes, il me faut dire qu’au cours des années 1943 et 1944 les attaques aériennes anglo-américaines devinrent peu à peu une menace terrible pour l’Allemagne. Je m’en rendis compte pour la première fois à Hambourg. Je m’en souviens parfaitement car j’y étais avec le Führer et je lui décrivis l’impression terrifiante que j’en avais éprouvée. Je ne crois pas que quiconque n’a pas subi une telle attaque ou n’en a pas vu les conséquences, puisse se faire une idée de ce que cela représente. Il est évident que les Allemands, et particulièrement Adolf Hitler, recherchèrent continuellement des moyens de faire face à cette menace.
Je dois aussi mentionner la terrible attaque sur Dresde et, si le Tribunal le permet, je demanderai la comparution d’un témoin, l’ancien ambassadeur du Danemark, M. Richard, qui a assisté à cette attaque et me l’a décrite deux jours plus tard. Il était donc clair que le problème des aviateurs terroristes devait être résolu par le Führer d’une manière ou d’une autre. Ce problème était d’autant plus difficile à résoudre que nous voulions trouver une solution qui n’enfreindrait pas les dispositions de la Convention de Genève, ou du moins une solution qui pourrait être proclamée publiquement devant nos adversaires. La question ne concernait pas directement mes services ; elle ne nous regardait qu’indirectement car nous n’avions rien à faire avec l’Abwehr elle-même, car c’était là un problème dont s’occupaient les autorités militaires, la Police et les responsables de la politique intérieure ; mais nous y étions intéressés dans la mesure où le problème touchait à la Convention de Genève. Mon point de vue, que j’ai maintes fois exprimé, était que si, dans de pareilles circonstances, on pouvait faire quelque chose, il fallait le faire sous forme d’une déclaration officielle donnant une définition des bombardements terroristes et déclarant que les aviateurs terroristes accusés d’avoir attaqué la population civile seraient jugés par des tribunaux militaires. Ces mesures ou plutôt ces préparatifs devaient être notifiés officiellement à Genève et à l’ennemi par l’intermédiaire de la puissance protectrice. Les aviateurs jugés coupables par un tribunal militaire seraient condamnés ; s’ils ne l’étaient pas, ils seraient considérés comme de simples prisonniers de guerre. Mais ce projet n’a jamais été mis en pratique. Ce n’était pas une véritable proposition mais une idée que j’avais soumise à Hitler au cours d’une ou deux conversations ; elle ne fut pas utilisée car, en pratique, il fut impossible de trouver une définition pour ces raids.
On a parlé aussi, je crois, d’une conférence qui aurait eu lieu à Klessheim, au cours de laquelle on prétend que j’aurais proposé ou soutenu des mesures de plus grande envergure. Je me souviens tout à fait bien que cette conférence n’a pas eu lieu. Je ne crois pas — ou du moins, je ne me souviens pas — que j’aie jamais discuté de cette question avec Himmler avec lequel je n’entretenais d’ailleurs pas de bons rapports à ce moment-là, ni avec Göring, que je voyais très rarement. Je crois que la question a en effet pu être soulevée durant une visite officielle à Klessheim, comme cela arrivait souvent avec le Führer, mais je n’en suis pas sûr. Je ne sais qu’une chose : si on a fait allusion à des propositions détaillées de ma part, cela ne peut être qu’en connexion avec les faits suivants : à l’époque, nous étions très désireux de trouver une définition claire des attaques faites par les aviateurs terroristes et, au cours de la discussion, des suggestions diverses furent soumises pour la définition de certaines catégories d’attaques, classées comme attaques terroristes. Il est possible, je crois, que cette note, ou quelque écrit que ce soit, ait été rédigée par une personne qui connaissait mes idées, c’est-à-dire une personne qui recherchait une solution pratique qui, plus tard, aurait concordé officiellement avec la Convention de Genève ou, du moins, aurait pu être discutée officiellement avec Genève.
Un autre document a été également présenté à ce sujet. Il s’agit, je crois, d’une suggestion pour se procurer l’opinion d’un expert du ministère des Affaires étrangères. A ce propos, je ne me souviens pas exactement de quelle manière cette opinion fut donnée ; si ce fut par mon ordre, à la suite d’une discussion entre les services intéressés de la Wehrmacht, qui désiraient connaître l’avis du ministère des Affaires étrangères. Ce dont je suis certain, c’est que la Wehrmacht a toujours attaché une grande importance à notre opinion quant à la Convention de Genève. Cependant, je me souviens de cet avis et je ma rappelle en avoir pris connaissance. On a dit que je l’aurais approuvé. Il serait trop long d’entrer dans les détails, mais cette assertion n’est pas exacte. Je me souviens d’avoir soumis au Führer l’opinion de l’expert comme étant une question très importante que je ne pouvais me permettre de traiter seul. Je crois me souvenir assez bien que le Führer ne fit pas bon accueil à l’opinion émise par l’expert et décréta que cela n’avait aucun sens. Par la suite, tout ce que nous apprîmes à ce sujet, car nous n’étions pas intéressés directement à l’affaire, fut qu’aucun ordre quel qu’il fût ne fut donné par le Führer ou quelque autorité de la Wehrmacht, car cette dernière partageait nos idées sur ce point. J’admets que je ne me souviens pas de tout ceci en détail, mais je puis certifier d’une manière absolue que, durant la période où cette question de défense contre les aviateurs terroristes fut à l’étude, et même ultérieurement, pas un cas de lynchage ne me fut rapporté. Je n’en ai jamais entendu parler, jusqu’au jour où je l’ai appris ici.
L’autre jour, le témoin Dahlerus a comparu ici. Depuis quand le connaissez-vous ?
Autant que je sache, j’ai vu M. Dahlerus ici pour la première fois. Il est évident que j’ai pu l’apercevoir de loin ou par hasard à la Chancellerie du Reich, au cours de ses visites au Führer qui ont apparemment été nombreuses, mais je ne me souviens pas de lui et quand je l’ai vu ici, j’ai eu l’impression de ne l’avoir jamais rencontré auparavant.
Aviez-vous des possibilités d’exercer votre influence en ce qui concerne les avions réservés aux visiteurs du Gouvernement du Reich ?
Non. Je ne possédais aucune influence de ce genre.
Encore une question : en qualité de ministre des Affaires étrangères, qu’aviez-vous à votre disposition en fait de biens ?
L’autre jour, le représentant du Ministère Public britannique a déclaré qu’à l’origine je possédais une maison et qu’à la fin j’en possédais six. Je désire mettre au clair cette question pour le Tribunal. Après avoir perdu toute ma fortune en Amérique, je la refis par mon propre travail. D’autre part, j’avais certaines possibilités d’obtenir des fonds par des parents et par ma femme. Je fis construire une maison, en 1922-1923, à Berlin-Dahlem et j’achetai plusieurs terrains. Nous y vécûmes de nombreuses années. De plus, en 1934 — je désire souligner le fait que ceci n’avait rien à voir avec mes activités politiques car, à cette époque, je venais seulement de m’établir — j’achetai une petite propriété appelé Sonnenburg, près de Berlin, avec l’argent dont ma femme avait hérité, je crois, et avec de l’argent dont je disposais. Quant aux autres — je devrais dire plutôt que, depuis ce moment, je n’ai pas acquis un mètre carré de propriété, soit en Allemagne soit ailleurs — quant aux autres maisons mentionnées par le représentant du Ministère Public, il s’agit du château de Fuschl, qui devint célèbre en raison des hommes d’État qui y furent reçus pendant la guerre ; ce n’est d’ailleurs pas exactement un château, mais plutôt un pavillon, un vieux pavillon de chasse des archevêques de Salzbourg que le Führer avait mis à ma disposition afin que j’aie un toit au-dessus de ma tête quand il était à l’Obersalzberg, car il ne voulait pas que je descende à l’hôtel, qui était toujours bondé, et je devais emmener mon personnel avec moi. Le domaine de Fuschi ne m’a jamais appartenu en particulier, mais c’était un domaine d’État entretenu par lui et prêté au ministère des Affaires étrangères. Quant aux propriétaires précédents de ce château, de ce pavillon, j’ignore qui ils étaient ; je connais simplement leur nom, mais je ne puis donner aucun renseignement à leur sujet. J’ai entendu dire que, dans le cadre des réquisitions qui furent faites en Autriche contre les adversaires politiques, cette propriété avait été saisie par le Gouvernement du Reich.
La seconde maison mentionnée ici était, je crois, une maison en Slovaquie. On a parlé aussi d’une troisième maison dans le pays des Sudètes qui aurait appartenu à un comte Czernin. Je pense pouvoir m’expliquer à ce sujet. Voici les faits : le Führer m’avait autorisé à organiser des parties de chasse auxquelles j’invitais des hommes politiques étrangers pour pouvoir m’entretenir avec eux sans trop de cérémonie. J’aimais moi-même la chasse. Le ministère des Affaires étrangères, c’est-à-dire le Gouvernement du Reich, avait donc loué à cet effet des terrains de chasse à quelques fermiers du pays des Sudètes, ainsi qu’une maison d’assez belle apparence. Cette propriété, je crois, ne fut jamais achetée, mais seulement louée pour quelques années. Il en fut de même d’une réserve de chasse en Slovaquie ; je crois qu’elle ne nous appartenait pas mais le Gouvernement slovaque la mettait seulement à ma disposition quelques jours par an pour y chasser le cerf. C’était un pavillon de chasse dans lequel j’ai passé quelques jours, une fois ou deux, mais ceci n’avait rien à voir avec mes biens personnels.
On a aussi mentionné une autre maison située, je crois, en Rhénanie et appelée Tanneck. Je ne l’ai jamais vue. D’après la description qu’on m’en a faite, c’est une petite maison qui était habitée par un homme qui s’occupait de plusieurs chevaux. J’avais été, jadis, dans la cavalerie et m’intéressais à ces chevaux qui avaient été achetés en France, en Normandie, par l’État et qui venaient de la célèbre écurie de courses de l’Agha Khan, car autrement ils auraient été perdus. Je voudrais souligner le fait que les chevaux ont été payés à leur valeur réelle, j’y ai toujours tenu, et je pense que l’Agha Khan pourrait le confirmer. Ces chevaux ont été emmenés en Allemagne avec l’assentiment du Führer, bien qu’il ne s’intéressât pas énormément aux chevaux, mais il comprenait mon point de vue. Ces chevaux devaient, plus tard, être placés au haras de Grabitz qui appartenait au Gouvernement du Reich.
Si le Tribunal le permet, je voudrais ajouter qu’en ce qui concerne mes affaires personnelles, mon avocat peut présenter les témoignages nécessaires. J’ai déclaré à ce moment-là que je désirais ne pas posséder un Mark de plus à la fin de mon service qu’au début, à l’exception de deux dons que je reçus du Führer, mais dont la plus grande partie, ou du moins une partie, a été, je crois, dépensée par l’État dans le cadre du budget.
Une dernière question : au cours de vos activités de politique étrangère avez-vous entrevu des possibilités de réaliser les projets de révision dont le principe avait été accordé à l’Allemagne mais qui n’avaient pas abouti ?
C’était précisément la grande difficulté d’où, en définitive, sortit toute cette guerre. Adolf Hitler me répéta souvent qu’il désirait instaurer en Europe un état social idéal, après la solution des problèmes qu’il considérait comme vitaux. Il voulait construire, entre autres choses ; c’était son but. Pourtant la réalisation de ces problèmes vitaux rencontra de gros obstacles, en raison de la rigidité du système politique qui avait été établi en Europe et dans le monde en général.
Nous avons longtemps essayé — et, longtemps avant moi, le Führer lui-même, puis moi-même, en son nom ; je crois donc pouvoir être le témoin principal à ce sujet — de résoudre ces problèmes par des moyens diplomatiques, amicaux. Jour et nuit, j’ai médité sur le paragraphe 19 du Statut de la Société des Nations, mais la difficulté était que le Führer ne se trouvait pas à même, du moins était-il convaincu qu’il était tout bonnement impossible, d’obtenir des résultats par les voies diplomatiques, tout au moins sans avoir une puissante armée pour le soutenir. L’erreur provenait, à mon avis, du fait que le paragraphe 19, tout en étant un très bon paragraphe du Statut de la Société des Nations et l’un de ceux que nous avons ou aurions tous signé de grand cœur ou que nous avons et que nous aurions appliqué, n’offrait aucun moyen de réalisation pratique. Cela créa peu à peu une situation dans laquelle les puissances — et cela est tout à fait naturel — qui voulaient s’en tenir à cet état de — je dirais « pétrification » — à ce statu quo, s’opposèrent à toutes les mesures prises par l’Allemagne, ce qui, naturellement, provoqua des réactions chez le Führer, jusqu’au jour où en naquit une situation que l’on peut qualifier de tragique, et qui fit que pour une question comme celle de Dantzig et du Corridor, qui aurait pu être résolue d’une façon relativement facile, cette guerre fut déclenchée.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Docteur Horn, je ne crois pas qu’il soit possible de continuer à interroger le témoin aujourd’hui, mais le Tribunal désire faire appel à votre aide et à celle du Ministère Public au sujet de vos documents ; pouvez-vous nous dire quelle est la situation à propos de vos documents, et le Ministère Public peut-il nous faire connaître jusqu’à quel point il a pu examiner ces documents depuis qu’ils sont traduits, ce qu’il a décidé quant aux documents qu’il désire rejeter et quant à ceux qu’il estime admissibles pour nous être présentés comme preuves ? Pouvez-vous nous dire ce qui en est de ces documents ? Quel est le nombre de vos documents qui ont été traduits ?
Un représentant du Ministère Public britannique m’a dit ce matin que le livre de documents anglais serait complètement terminé lundi et que je pourrais alors discuter avec lui la question de la pertinence de ces documents. Il m’a fait comprendre également que le Ministère Public britannique réglerait les autres questions avec les autres délégations du Ministère Public, et qu’ainsi je serais en mesure de présenter mardi les documents qui me restent. Je crois qu’en deux ou trois heures ce travail pourra être terminé. Je présenterai ces documents par groupes et j’en lirai le moins possible. J’exposerai simplement au Tribunal la raison pour laquelle je les présente comme preuve.
Vous avez dit, n’est-ce pas, que vous n’auriez pas besoin de plus de deux ou trois heures pour expliquer les documents, une fois que vous vous serez arrangé avec le Ministère Public ?
Oui.
Avez-vous d’autres témoins à faire comparaître à part l’accusé lui-même ?
Non. Je voudrais simplement présenter un affidavit d’un témoin que j’ai déjà nommé, le conseiller de légation Gottfriedsen ; il est relatif à la situation financière personnelle de l’accusé von Ribbentrop, ancien ministre des Affaires étrangères. Gottfriedsen était le fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères qui s’occupait des revenus officiels du ministre des Affaires étrangères et il était également fort au courant de l’état de sa fortune personnelle. Il est en mesure de fournir des renseignements relatifs aux biens personnels et officiels du ministre des Affaires étrangères et du ministère. J’ai réuni ces renseignements dans un affidavit, sous la forme d’un questionnaire. Si le Ministère Public n’émet aucune objection contre cet affidavit, je pourrai m’abstenir de faire comparaître le témoin Gottfriedsen. Cependant, si le Ministère Public désire qu’il comparaisse, je l’interrogerai sur le contenu de l’affidavit.
Je n’ai pas d’autres témoins pour l’accusé von Ribbentrop ; de cette façon, une fois que mes documents auront été présentés, l’exposé de la Défense sera terminé en ce qui concerne l’accusé von Ribbentrop.
Le Ministère Public voudrait-il nous donner son point de vue à ce sujet ?
Votre Honneur, en ce qui concerne le Ministère Public britannique, nous avons maintenant six livres de documents, je crois, ce qui nous mène jusqu’au n° 214 ; En gros, les deux tiers des documents que le Dr Horn désire présenter ; nous avons pu les parcourir jusqu’au n° 191. J’ai établi une liste des documents que nous n’approuvons pas, avec une brève explication de notre refus. Je pourrais en remettre une au Tribunal et une au Dr Horn.
Je crois que nous formulons des objections contre environ soixante-dix ou quatre-vingt documents, entre les n° 45 et 191 ; peut-être y en a-t-il un peu plus. La Délégation soviétique est à même, je crois, d’émettre ses objections qui concordent presque entièrement avec les nôtres, bien qu’elles aient été préparées séparément. M. Champetier de Ribes a au moins deux lots de documents sur lesquels il a des objections à faire. Je crois pouvoir dire que M. Dodd me laisse plus ou moins traiter cette question et agira en accord avec le point de vue de la Délégation britannique à cet égard.
Voilà la situation telle qu’elle est. Il serait peut-être préférable que je donne une liste très sommaire des objections que j’ai à jour.
Le Tribunal aimerait savoir, Sir David, où en est le Ministère Public quant à la traduction des documents. Vous vous souvenez que le Tribunal avait décidé que le Ministère Public devait, dans la mesure du possible, prononcer ses objections aux documents avant qu’ils ne soient traduits, afin d’éviter des traductions inutiles et afin que, dans le cas d’un désaccord entre le Ministère Public et la Défense, le différend puisse être soumis au Tribunal. Nous avons estimé que, de cette façon, un accord pourrait être réalisé sur un grand nombre de documents et que cela éviterait un travail supplémentaire et des pertes de temps occasionnées par des traductions superflues.
Oui. Les difficultés que nous avons eues pour ces documents résidaient dans le fait que nous avons essayé de notre mieux de formuler notre opinion d’après l’index, mais il est très difficile de le faire lorsqu’on est en face d’une explication d’une ligne ou d’une ligne et demie sur un document. Il semble pourtant que ce soit là la façon la plus pratique d’agir, en dépit des inconvénients que cela présente. Si l’on remettait un index au Ministère Public avec une description aussi complète que possible des documents, le Ministère Public pourrait alors y porter ses objections et le Tribunal pourrait connaître les différences de point de vue avant la traduction des documents. Je crains de ne pouvoir faire cette proposition qu’à titre d’essai, mais cela vaudrait peut-être la peine d’être tenté. Sinon, le service de traduction du Tribunal se trouverait envahi comme il est arrivé cette fois-ci par un trop grand nombre de documents auxquels nous ferions, en définitive, des objections nombreuses et détaillées ; tout ceci retarderait la traduction des documents relatifs aux débats ultérieurs. Aussi serais-je disposé — et je pense que mes collègues appuieront mon idée — à tenter un essai, si le Tribunal le juge convenable, en présentant les objections sur une liste de documents ; Nous jugerons alors si, de cette manière, nous arrivons à éviter de les traduire tous.
Ne serait-il pas utile au Ministère Public que la Défense lui fournisse tous les documents en allemand ainsi qu’un index complet en anglais ? Ainsi, un membre du Ministère Public qui connaît la langue allemande pourrait parcourir les documents en allemand et le Ministère Public prendrait ensuite une décision. Le Ministère Public aurait ainsi non seulement l’index pour le renseigner sur la nature des documents, mais également les documents en allemand.
Je pense que cela serait d’une grande utilité, en particulier si les passages les plus importants étaient soulignés.
Avec la coopération de la Défense, il serait donc possible d’arriver à un accord quant aux documents à présenter au Tribunal ?
Oui, je pense que cela serait possible, Votre Honneur.
Donc, Sir David, en ce qui concerne l’avenir immédiat, lundi, quelques-uns des membres de la Défense désireront peut-être poser des questions à l’accusé Ribbentrop et ensuite le Ministère Public voudra peut-être le contre-interroger. Tout ceci, je pense, prendra probablement la journée de lundi.
Je crois que c’est fort probable.
Dans ce cas, si le plan projeté par le Dr Horn est mis à exécution, il n’y aura pas obligatoirement de retard car, dès mardi matin, ses documents auront été examinés par le Ministère Public et les objections au sujet de ces documents auront été enregistrées ; il pourra alors parcourir, comme il dit, en deux ou trois heures, les documents dont le Tribunal doit prendre acte.
Je suis entièrement d’accord, Votre Honneur.
Maintenant, le Tribunal désire connaître la situation en ce qui concerne l’accusé suivant. Il se peut que mardi, après la suspension d’audience de midi, on aborde le cas de l’accusé Keitel. Ses documents sont-ils prêts ? Pour autant que je m’en souvienne, la plupart de ses documents ont déjà été déposés ?
La plupart d’entre eux.
Est-ce exact ?
Peut-être le Dr Nelte pourrait-il nous aider sur ce point ?
Oui, s’il le désire.
Monsieur le Président, je suis prêt à commencer à n’importe quel moment. Les documents ont été présentés et les affidavits ont été adressés au Ministère Public la semaine dernière. J’attends uniquement la décision du Ministère Public sur la pertinence des documents qui ont été présentés par l’accusé comme constituant ses propres déclarations et qui doivent être soumis en vue d’abréger sa déposition.
Je n’ai pas eu l’occasion de parcourir ces documents moi-même, mais en principe, nous sommes toujours prêts à entendre la lecture d’une déclaration, à condition que le témoin soit là pour être contre-interrogé. Si le Tribunal n’a aucune objection, le Ministère Public ne s’opposera pas à cette procédure.
Le Tribunal ne fait aucune objection à cette méthode de présentation des documents écrits, à condition que le Ministère Public n’en fasse pas non plus et que, par conséquent, un contre-interrogatoire soit inutile.
Le Dr Nelte pourrait-il nous dire si les documents qu’il désire déposer et qui n’ont pas encore été présentés comme preuve auparavant ont déjà été traduits ?
Je les ai envoyés au service de traduction : les deux derniers documents, il y a trois jours ; je suppose donc que les différentes délégations du Ministère Public ont reçu entre temps les traductions.
Sir David, les avez-vous reçues ?
Non, Votre Honneur, nous ne les avons pas reçues.
Peut-être n’ont-ils pas encore été distribués. Plusieurs documents, à peu près les deux tiers, ont été traduits en français et en anglais il y a quinze jours environ et sont prêts. J’ai remis ensuite ces documents à la Délégation russe, afin qu’ils soient traduits en russe.
On m’informe, Votre Honneur, de la part du général Mitchell, que les documents sont traduits mais n’ont pas encore été distribués.
Très bien. Il ne devrait donc plus y avoir aucune raison de retard dans la présentation du cas de l’accusé Keitel.
Je ne pense pas.
Non.
En est-il de même pour l’accusé Kaltenbrunner, qui est le suivant ? Docteur Kauffmann, vos documents sont-ils traduits ?
J’ai très peu d’affidavits, Monsieur le Président, et sans aucun doute ils seront entre les mains du Ministère Public en temps voulu.
Un instant, je vous prie. Vous seriez donc prêt à continuer ?
Après Keitel, oui, Monsieur le Président.
Oui, après Keitel. Très bien. Sir David, vous nous présenterez les objections que vous avez à faire contre les documents du Dr Horn et le procureur soviétique présentera les siennes.
Oui, je compte soumettre immédiatement celles pour lesquelles je suis prêt.
Oui, ainsi que M. Champetier de Ribes, s’il en a.
S’il plaît à Votre Honneur, oui.
Très bien ; l’audience est levée.