QUATRE-VINGT-SEIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 1er avril 1946.
Audience du matin.
Les avocats ont-ils des questions à poser à l’accusé ?
Oui, Monsieur le Président.
Témoin, le 23 août 1939 fut signé le Pacte secret entre l’URSS et l’Allemagne. Le préambule était à peu près ainsi rédigé : « En considération de la tension existant actuellement entre l’Allemagne et la Pologne, au cas où un conflit éclaterait, il est convenu ce qui suit... »
Vous souvenez-vous si ce préambule avait à peu près cette teneur ?
Je ne me rappelle pas la teneur exacte de ce préambule, mais l’idée était celle que vous venez d’exprimer.
Est-il exact que pendant les négociations à Moscou, le 23 août 1939, le chef du Service juridique des Affaires étrangères, le Dr Gaus, ait pris part, en tant que conseiller juridique, aux discussions et ait rédigé les projets des accords ?
L’ambassadeur Gaus a partiellement collaboré aux négociations et a, en effet, rédigé avec moi les projets des traités.
Je vais vous lire un passage contenant les paroles du Dr Gaus et vais vous poser quelques questions à la suite de ce texte.
Docteur Seidl, quel document allez-vous lire ?
Je lirai une partie d’une déclaration de l’ambassadeur Gaus qui figure sous le chiffre III et à la suite de cela je poserai quelques questions au témoin, parce qu’il y a des points de ce traité qui n’ont pas encore été suffisamment éclaircis.
Oui, général Rudenko.
Je ne sais, Monsieur le Président, quel rapport ont ces questions avec l’accusé Hess ou avec l’accusé Frank que défend le Dr Seidi. Je ne veux pas discuter le sens de cet affidavit car je n’y attache aucune importance. Je voudrais simplement attirer l’attention du Tribunal sur le fait que nous ne nous occupons pas de l’examen des questions qui se rapportent à la politique des pays alliés, mais que nous faisons le procès des grands criminels de guerre. Des questions de ce genre de la part de la Défense ne constituent que des tentatives pour distraire le Tribunal des questions qui doivent être examinées dans ce Procès. Je voudrais vous demander de mettre un terme à ces questions car elles ne nous concernent pas.
Docteur Seidl, vous pouvez poser vos questions.
L’ambassadeur Gaus a déclaré dans son affidavit (numéro III) : « Le 23 août 1939 à midi arriva l’avion du ministre des Affaires étrangères du Reich que j’accompagnais en qualité de conseiller juridique dans les négociations projetées. L’après-midi du même jour, les premières discussions eurent lieu entre M. Ribbentrop et M. Staline. Du côté allemand, il y avait encore M. Hilger, conseiller d’ambassade, qui faisait fonction d’interprète et peut-être aussi le comte Schulenburg, mais moi-même je n’y ai pas pris part.
« Le ministre des Affaires étrangères revint très satisfait de ce long entretien et déclara qu’il était à peu près certain que l’on en viendrait à la signature du traité désiré par l’Allemagne. La continuation des pourparlers, ainsi que la signature des documents, étaient envisagées pour le soir même. J’ai pris part moi-même à ces discussions, l’ambassadeur comte Schulenburg y a pris part également, ainsi que le conseiller d’ambassade Hilger. Du côté russe, les négociations furent conduites par MM. Staline et Molotov, qui avaient pour interprète M. Pavlov. Il n’y eut aucune difficulté à nous mettre d’accord sur la teneur du texte du Pacte de non-agression germano-soviétique. M. von Ribbentrop avait inséré lui-même dans le préambule aux accords que j’avais préparés, une phrase à portée lointaine concernant la formation de liens amicaux dans les rapports des deux pays. M. Staline s’y opposa en faisant remarquer que le Gouvernement soviétique ne pouvait pas présenter tout à coup au public allemand et soviétique des assurances d’amitié, après avoir été pendant six ans couvert d’injures nauséabondes par le Gouvernement nazi. Là-dessus, cette phrase du préambule en question fut rayée ou modifiée.
« A côté du Pacte de non-agression, on parla longuement d’un document secret séparé qui reçut le nom de « Protocole secret » ou de « Protocole additionnel secret » et qui prévoyait une délimitation de sphères respectives d’intérêts en Europe. Je ne me souviens plus exactement si l’on a employé l’expression « sphère d’intérêts » ou une autre expression similaire. Dans ce document, l’Allemagne déclarait se désintéresser politiquement de la Lettonie, de la Finlande et de l’Estonie, mais revendiquait la Lituanie comme faisant partie de sa sphère d’influence. Au sujet de l’abandon par l’Allemagne des deux pays baltes, une controverse s’éleva quand le ministre allemand, se conformant à ses instructions, réclama une option sur une certaine partie du territoire balte. Cette proposition fut rejetée par les Soviets, surtout à cause des ports libres de glace de ce territoire. Le ministre des Affaires étrangères du Reich avait déjà discuté ce point au cours de sa première conversation. Il avait appelé Hitler et ne put l’obtenir qu’au cours de la seconde discussion ; il parla alors directement avec Hitler qui lui donna l’autorisation d’accepter le point de vue soviétique.
« Quant au territoire polonais, on se mit d’accord sur une ligne de démarcation. Je ne peux me rappeler si elle figura sur la carte jointe au document ou si elle a seulement été décrite dans ce dernier. En outre, un arrangement fut conclu au sujet de la Pologne, établissant approximativement que les deux Puissances procéderaient d’un commun accord au règlement définitif des questions concernant ce pays. Il serait cependant possible que ces derniers accords concernant la Pologne n’aient été conclus que lorsque les changements indiqués plus loin dans le paragraphe 5 des clauses secrètes ont été introduits.
« Quant aux pays balkaniques, il fut confirmé que l’Allemagne y avait seulement des intérêts économiques. Le Pacte de non-agression et les clauses secrètes furent signés à une heure avancée de la même nuit. »
Témoin, l’affidavit de l’ambassadeur Gaus fait mention d’une convention suivant laquelle les deux Puissances régleraient en accord l’une avec l’autre la question de la Pologne. Cet accord était-il déjà conclu le 23 août ?
Oui, c’est exact. La crise germano-polonaise était déjà sérieuse, et, naturellement, cette question fut discutée. Je tiens à préciser, ici, qu’il ne faisait aucun doute, dans l’esprit du Führer comme dans celui de Staline, que si les négociations avec la Pologne échouaient, les régions qui avaient été arrachées par la force des armes à nos deux Puissances, pouvaient bien être reprises par la même méthode. C’est ainsi qu’après la victoire, les régions de l’Est furent occupées par les troupes soviétiques et les régions de l’Ouest par les troupes allemandes. Cola ne fait aucun doute que Staline, pour cette raison, ne pourra jamais faire à l’Allemagne le reproche d’une agression ou d’une guerre d’agression pour son action en Pologne. Si l’on parle ici d’agression, alors les deux pays sont coupables.
Est-ce que la ligne de démarcation prévue par ces clauses secrètes a été seulement décrite ou bien a-t-elle été tracée sur une carte jointe au Protocole secret ?
La ligne de démarcation fut dessinée approximativement sur une carte. Dans ses grandes lignes, elle passait le long des rivières Rysia, Bug, Narev et San. Je me souviens très bien de ces cours d’eau. C’était cette ligne de démarcation qui devait être adoptée en cas de conflit armé avec la Pologne.
Est-il exact que, d’après ce traité, la plus grande partie de la Pologne revenait, non pas à l’Allemagne, mais à l’Union Soviétique ?
Je ne connais plus maintenant les proportions exactes, mais en tout cas, l’accord spécifiait que les territoires situés à l’est de ces rivières seraient occupés par l’Union Soviétique, et ceux situés à l’ouest par les troupes allemandes, à un moment où l’organisation de ces territoires, telle qu’elle fut entreprise par l’Allemagne, n’avait pas encore été prévue et n’avait pas été discutée entre Hitler et moi-même. Par la suite, le Gouvernement Général fut formé, quand les régions perdues par l’Allemagne après la première guerre mondiale lui furent de nouveau incorporées.
Maintenant, autre chose ; vous avez dit vendredi dernier que vous désiriez obtenir l’adhésion de la- Russie au Pacte Tripartite. Pourquoi avez-vous échoué ?
A cause des exigences de la Russie. J’étais convenu avec M. Molotov à Berlin de poursuivre des négociations par la voie diplomatique. Je voulais essayer d’influencer le Führer pour arriver à trouver un accord ou un compromis sur les exigences que M. Molotov avait formulées à Berlin. C’est alors que Schulenburg nous envoya une note de Moscou nous transmettant les exigences russes. Elle contenait tout d’abord une demande renouvelée pour la Finlande. Le Führer répondit alors à M. Molotov qu’il ne voulait pas que la campagne d’hiver de 1940 fut suivie d’une autre guerre dans le Nord. Cependant, on nous renouvela des exigences relatives à la Finlande et nous supposâmes qu’il s’agissait de l’occupation de ce pays. Ceci compliqua le problème car le Führer l’avait déjà refusé. Les Russes présentaient encore une autre exigence au sujet des Balkans et de la Bulgarie. La Russie voulait avoir là-bas des bases et entretenir d’étroites relations avec la Bulgarie. Le Gouvernement bulgare, que nous avions pressenti, ne le désirait pas. D’ailleurs, cette pénétration russe dans les Balkans inquiétait beaucoup le Führer et Mussolini à cause des intérêts économiques que nous avions là-bas : céréales, pétrole, etc. Mais par-dessus tout, il y avait la volonté du Gouverne-ment bulgare lui-même qui s’y opposait. Enfin, troisièmement, il y avait les exigences russes concernant les Détroits et les bases militaires des Dardanelles et le vœu que Molotov m’avait déjà exprimé à Berlin de s’assurer au moins quelques intérêts dans les détroits de la Baltique. M. Molotov m’avait dit lui-même que la Russie s’intéressait beaucoup au Skagerrak et au Kattegat. J’ai fait part de ces exigences et de ces désirs au Führer qui me dit d’entrer en relation avec Mussolini qui était fortement intéressé lui-même par certaines de ces exigences. Ce qui fut fait. Mais ni pour les Balkans, ni pour les Dardanelles, Mussolini ne se déclara d’accord. Pour ce qui est de la Bulgarie, j’ai déjà dit que la Bulgarie ne voulait rien entendre ; quant à la Finlande, ni le Führer, ni la Finlande elle-même ne voulaient accepter ces exigences de l’Union Soviétique.
On discuta pendant des mois. Je me souviens qu’à la réception d’un télégramme émanant de Moscou en décembre 1940, j’eus un très long entretien avec le Führer. J’avais l’impression que si, sous une forme quelconque, nous pouvions arriver à un compromis entre les exigences russes et les désirs des différents intéressés, nous pourrions alors former une coalition si forte qu’à la fin elle déciderait quand même l’Angleterre à accepter la paix.
C’est une réponse à quelle question ? Quelle question avez-vous posée ?
Il a déjà répondu à la question.
Docteur Seidl, si l’accusé a déjà répondu à la question vous devriez l’arrêter.
Très bien. J’en arrive à une autre question : quelle était l’opinion de Hitler sur la force militaire de l’Union Soviétique ?
Adolf Hitler m’a dit un jour les paroles suivantes, à une époque où il avait des inquiétudes sur ce qui allait se passer en Russie et sur les préparatifs qui étaient en cours contre l’Allemagne. Il me dit : « Nous ne savons naturellement pas ce qui se cache derrière cette porte, si nous nous voyions un jour dans l’obligation de l’enfoncer ». J’en ai conclu, ainsi que d’autres déclarations que fit le Führer à ce moment, que, prenant pour base les informations qui lui étaient transmises sur la Russie, il avait de très grands soucis sur la puissance et l’accroissement possible de la puissance de l’Union Soviétique.
Encore une dernière question : quels sont les motifs qui ont amené Hitler à prévenir une offensive de l’Union Soviétique ?
Voilà comment les choses se sont passées...
Ce sujet n’a-t-il pas été traité sous toutes ses faces par l’accusé Göring ? Vous représentez ici l’accusé Hess.
Si le Tribunal est convaincu que la question a déjà été traitée, je renonce à le faire à nouveau.
Avant de vous asseoir, Docteur Seidl, je suppose que vous avez présenté un affidavit de Gaus à l’accusé dans l’intention de lui demander de confirmer l’exactitude du contenu de cet affidavit ?
Oui.
Vous ne lui avez pas présenté le paragraphe 4 de l’affidavit.
Je n’en ai lu que le paragraphe 3 ; je n’ai pas lu les paragraphes 1, 2, 4 et 5 afin de gagner du temps.
La réponse à ma question était donc négative. Vous ne lui avez pas présenté cet affidavit. Ne pourriez-vous pas lui présenter la fin du paragraphe ainsi rédigé : « Le ministre des Affaires étrangères du Reich avait choisi ses mots de telle façon qu’un conflit armé entre l’Allemagne et la Pologne n’apparût pas comme un fait sur le point de se réaliser, mais seulement comme une possibilité menaçante. Les hommes d’État soviétiques ne donnèrent aucune explication susceptible de constituer une approbation d’un tel conflit ou un encouragement à le faire. Les représentants soviétiques se sont bornés à prendre connaissance des explications des représentants allemands ». Est-ce exact ?
C’est exact.
Je pose la question à l’accusé. Est-ce exact ?
Je peux répondre ceci : lorsque je partis pour Moscou, aucune décision définitive n’avait été prise par le Führer...
Ne pourriez-vous répondre à ma question de façon directe ? Je vous ai demandé si ce que dit l’affidavit est exact ou non. Vous pourrez donner des explications par la suite.
Pas tout à fait, Monsieur le Président.
Maintenant vous pouvez vous expliquer.
Ce n’est pas tout à fait exact, en ce sens que la décision d’attaquer la Pologne n’avait en aucune façon été prise par le Führer. Cependant, il n’y a aucun doute qu’il devînt parfaitement clair au cours des discussions à Moscou, qu’il subsistait à tout moment la possibilité d’un tel conflit si le dernier effort de négociation échouait.
Quelle différence y a-t-il entre vos paroles et ce que je viens de vous lire ? Je vous ai lu le passage suivant :
« Le ministre des Affaires étrangères du Reich avait choisi ses mots de telle façon qu’un conflit armé entre l’Allemagne et la Pologne n’apparût pas comme un fait sur le point de se réaliser, mais seulement comme une possibilité menaçante ».
Votre explication est exactement la même. C’est tout.
Monsieur le Président, puis-je dire quelques mots à ce sujet ? Le témoin Gaus n’était présent qu’au second entretien. Il n’a pas assisté à la très longue première conversation qui a eu lieu entre le témoin Ribbentrop, d’une part, et MM. Molotov et Staline d’autre part. A cette conversation, précisément, assistait le conseiller d’ambassade Hilger et je prie le Tribunal, étant donné l’importance de ce sujet, de bien vouloir entendre le témoin Hilger dont l’audition a été admise.
Docteur Seidl, vous savez que vous pouvez faire par écrit toutes les demandes de comparution de témoins que vous voulez. En outre, je tiens à faire remarquer, selon le désir du Tribunal, que le témoin Gaus est à la disposition du Ministère Public.
Je me réfère à l’attestation sous la foi du serment faite par le témoin Gaus et je la dépose sous le numéro Rudolf Hess-16.
Oui, très bien.
Plaise au Tribunal. Autant que je sois bien informé, le témoin Gaus pourrait quitter Nuremberg. Je tiens à dire que nous aimerions qu’il soit retenu ici assez longtemps pour permettre de le contre-interroger, éventuellement.
Très bien. D’autres avocats ont-ils des questions à poser ?
L’accusé Keitel déclare qu’en automne 1940, lorsque l’idée d’une guerre contre l’Union Soviétique fut exprimée par Hitler, il se rendit à Fuschl afin de vous parler de cette question. Il croyait que vous aviez aussi des craintes à ce sujet. Vous souvenez-vous si Keitel, à la fin d’août ou au début de septembre, se rendit à Fuschl ?
Oui, c’est exact. En effet il m’a rendu visite à ce moment-là.
Vous souvenez-vous si Keitel vous fit alors connaître son point de vue sur le grand danger que présenterait une guerre éventuelle ?
Oui, c’est exact. En effet il m’en a parlé à ce moment-là ; je crois qu’il m’a dit que le Führer lui en avait parlé.
Je voudrais savoir ce qui est alors arrivé : Keitel prétend vous avoir parlé d’un mémorandum qu’il avait l’intention de soumettre à Hitler et qui se rapportait aux considérations dont il fallait tenir compte en cas de guerre avec l’Union Soviétique.
C’est exact. Le Feldmarschall Keitel m’a dit à ce moment qu’il avait l’intention de présenter un mémorandum au Führer et il exprima ses craintes au sujet d’un conflit éventuel qui opposerait l’Allemagne à l’Union Soviétique.
Aviez-vous l’impression que le Feldmarschall Keitel était opposé à cette guerre, à cette époque ?
Oui, c’est exact. J’avais absolument cette impression.
Est-il vrai qu’il vous ait demandé, comme suite à cette conversation, de soutenir son point de vue auprès de Hitler ?
Oui, cela aussi est exact et je lui ai dit que je le ferais, que je parlerais à Hitler et qu’il devait le faire également.
Une autre question concernant l’évasion du général français Giraud : est-il exact que Keitel, lorsque le général Giraud s’évada de Königstein, vous demanda de prendre des mesures pour préparer, par la voie du Gouvernement français, le retour volontaire du général Giraud ?
Oui, c’est exact. A ce moment, il m’a demandé s’il ne serait pas possible, en négociant avec le Gouvernement français, d’obtenir le retour du général en captivité.
Est-ce qu’à la suite de ces faits, grâce à l’intervention de l’ambassadeur Abetz, une rencontre eut lieu avec le général Giraud, en France occupée ?
Oui, en effet, cette rencontre a eu lieu. Je crois que l’ambassadeur Abetz a rencontré M. Giraud qui, si mes souvenirs sont exacts, était accompagné de M. Laval. L’ambassadeur a tout tenté pour convaincre le général Giraud, mais il n’y est pas arrivé. On avait autorisé le général à venir librement ; il est ensuite reparti avec M. Laval.
Le Ministère Public a parlé ici d’un ordre relatif à la marque au fer rouge infligée aux prisonniers de guerre russes. L’accusé Keitel en est rendu responsable. Il déclare avoir examiné cette question avec vous au Quartier Général qui se trouvait alors à Vinnitza, ce qui était normal car toutes ces questions de prisonniers de guerre concernaient également le ministère des Affaires étrangères et son service du Droit international. Vous souvenez-vous si, en cette occurrence, le Feldmarschall Keitel vous a demandé si cette marque au fer rouge que désirait Hitler pouvait se concilier avec le droit des gens.
Voilà ce qui s’est passé. J’avais entendu parler de ce projet de marquer les prisonniers de guerre et je suis allé au Grand Quartier Général m’en entretenir avec le Feldmarschall Keitel. Je pensais que c’était une chose impossible.
Le Feldmarschall Keitel était de cet avis et, si je m’en souviens bien, je crois qu’il a donné plus tard des ordres pour que cette proposition n’ait pas de suite.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Témoin, quand avez-vous fait la connaissance de l’amiral Dönitz ?
J’ai fait sa connaissance après sa nomination de Commandant en chef de la Marine de guerre.
C’était en 1943 ?
Oui, je crois.
Est-ce que l’amiral Dönitz, soit avant, soit après, a eu ou a essayé d’avoir une influence quelconque sur la politique extérieure du Reich ?
Je n’ai jamais entendu dire que l’amiral Dönitz ait tenté d’exercer une influence, quelle qu’elle fût, sur la politique allemande.
Vous souvenez-vous d’une visite du maréchal Antonesco au Quartier Général du Führer le 27 février 1944 ?
Je me souviens de cette visite, mais pas de la date. Le maréchal Antonesco venait fréquemment voir le Führer, à peu près deux fois par an. Vous disiez au début de 1944 ?
Oui, le 27 février 1944.
Oui, je crois que c’est exact et qu’il est venu au début de 1944 chez le Führer.
Vous souvenez-vous si le maréchal Antonesco fut invité à la discussion sur la situation militaire.
Oui, j’en suis à peu près sûr, car la plupart du temps, lorsque le maréchal Antonesco venait, le Führer lui expliquait toujours la situation militaire, c’est-à-dire qu’il l’invitait à prendre part aux discussions militaires qui avaient lieu l’après-midi. Je ne peux pas donner de date exacte, mais il n’y a pas de doute que le maréchal Antonesco ait pris part à la discussion militaire en février.
Eh dehors des questions militaires, est-ce que le maréchal Antonesco a pris part à des discussions politiques ?
Oui, lors des visites du maréchal Antonesco, le Führer, immédiatement, s’entretenait avec lui, soit seul, soit quelquefois en ma présence. Mais la plupart du temps, il parlait seul avec lui car il était chef d’État et ils avaient ensemble des discussions politiques très détaillées. Généralement, je ne’ les rejoignais qu’après ces discussions.
L’amiral Dönitz a-t-il pris part à ces discussions politiques ?
Certainement pas, car le Führer a rarement admis la présence des chefs militaires à ces discussions avec le maréchal Antonesco. Plus tard, cependant, il fit quelques exceptions, mais je ne me souviens pas que l’amiral Dönitz ait jamais pris part à une discussion avec le maréchal Antonesco.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Témoin, le Ministère Public a présenté un document concernant un entretien que vous avez eu avec le ministre des Affaires étrangères japonais, Matsuoka, le 29 mars 1941. Le document porte le n° PS-1877 (USA-152). Une partie de ce document, qui a été lue au cours de l’audience par les soins du Ministère Public, figure au procès-verbal des débats (Tome III, page 389). Je lis ce passage qui concerne le Grand Amiral Raeder :
« Puis le ministre des Affaires étrangères du Reich revint à la question de Singapour. Les Japonais ayant exprimé leurs craintes au sujet d’éventuelles attaques de sous-marins partant des bases des Philippines, ou d’une intervention de la flotte britannique de la Méditerranée ou de la Home Fleet, il avait envisagé la question avec l’amiral Raeder. Celui-ci lui avait affirmé que la Marine anglaise aurait tant à faire cette année dans les eaux territoriales britanniques et en Méditerranée qu’elle ne pourrait pas envoyer un seul bateau en Extrême-Orient ; à son avis, les sous-marins américains étaient si mauvais que les Japonais n’avaient pas à s’en inquiéter. »
Témoin, l’accusé Raeder affirme qu’en votre qualité de ministre des Affaires étrangères, vous n’avez jamais parlé avec lui de questions stratégiques concernant le Japon, ou tout au moins de la valeur ou de la non-valeur des sous-marins américains. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir éclaircir ce point ici. Peut-être y a-t-il une erreur de personne ?
C’est très possible. Je ne me souviens pas avoir jamais parlé avec l’amiral Raeder de la stratégie germano-japonaise ; le fait était que nous nous consultions assez rarement avec le Japon sur ces questions.
Je l’ai peut-être dit au ministre des Affaires étrangères Matsuoka, mais il est possible que je n’aie fait que répéter les paroles du Führer. De moi-même, je n’aurais pas pu le dire, parce que je n’en savais rien, mais je sais que le Führer m’a fréquemment entretenu de ces différentes questions, particulièrement du Japon. Il serait donc possible que ces paroles n’aient pas été prononcées par le Grand Amiral Raeder, mais par le Führer.
Ce document porte le titre : « Conférence entre le ministre des Affaires étrangères du Reich et le ministre japonais Matsuoka. »
Oui, je l’ai vu, mais il est possible que le Führer me l’ait dit. Je pense même que c’est probable. Il est possible aussi qu’une erreur se soit glissée dans le compte rendu ; cela, je n’en sais rien.
Témoin, avez-vous parlé à l’accusé Raeder des conversations politiques que vous avez eues avec Matsuoka et avec Oshima ? L’avez-vous mis au courant de ces questions ?
Non, cela n’a pas été le cas.
Avez-vous quelquefois, avec le Grand Amiral Raeder, discuté d’autres questions politiques ? L’avez-vous mêlé à des négociations politiques ?
Non, ce n’est pas exact. Cela n’existait pas chez nous. Généralement, le Führer séparait nettement la politique des questions militaires. Ainsi, moi-même, comme ministre des Affaires étrangères, je n’ai jamais eu la possibilité de discuter de questions militaires ou stratégiques dans mon bureau, mais quand il y avait des discussions de politique étrangère, elles avaient lieu chez le Führer. Comme je l’ai vu ici pour la première fois d’après les documents déposés, les questions étaient tenues nettement séparées, même là. Autrement dit, s’il y avait de telles discussions, ce dont je ne peux me souvenir actuellement, elles ne pouvaient avoir lieu que chez le Führer lui-même.
Je vous remercie.
Témoin, Steengracht, secrétaire d’État aux Affaires étrangères que l’on a entendu ici comme témoin, m’a répondu négativement quand je lui ai demandé si on traitait devant les chefs militaires de questions politiques ; je vous demande si vous, en votre qualité de ministre des Affaires étrangères, parliez fréquemment de questions politiques avec les grands chefs militaires ?
Non ; je dois répondre à cette question de la même façon que pour la précédente. Ce n’était pas la coutume chez nous : toutes les questions politiques et les questions militaires étaient exclusivement traitées par le Führer ; le Führer me donnait des directives dans le domaine diplomatique et politique et il disait également aux chefs militaires ce qu’ils devaient faire.
Les informations militaires qui pouvaient m’être données très occasionnellement, l’étaient par le Führer, mais le fait se produisait rarement. Ce que les chefs militaires devaient savoir au point de vue politique, ils ne l’ont jamais appris par moi mais directement par le Führer.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Témoin, avez-vous reçu un ordre ou des instructions selon lesquels vous deviez informer les chefs SA de l’évolution et de la conduite de la politique étrangère ?
Non, cet ordre n’existait pas et je n’ai reçu aucune instruction de ce genre.
La direction des SA avait-elle une influence quelconque sur la politique étrangère ?
Absolument aucune.
Je voudrais encore vous poser une question au nom de mon très estimé collègue, le Dr Sauter, actuellement souffrant : en 1943, avez-vous été témoin d’un entretien entre Himmler et Hitler au cours duquel on examina la question de savoir si von Schirach, qui était alors Reichsleiter, serait traduit devant le Tribunal du peuple ?
Oui, c’est exact.
Quelles suites aurait eues pour Schirach un pareil procès devant le Tribunal du peuple ?
Je ne puis évidemment le dire exactement car je ne suis pas tout à fait au courant de l’affaire. Je sais simplement que Himmler, en ma présence, a proposé au Führer de le faire comparaître devant ce tribunal, pour un motif quelconque. Je ne connais pas les détails, ils ne m’intéressaient pas. J’ai dit au Führer qu’à mon avis, cela ferait une très mauvaise impression à l’étranger et je sais que le Führer n’a pas répondu à Himmler ; en tout cas, il ne lui a donné aucun ordre et je ne puis vous dire quelles auraient été les suites de cette affaire, mais quand une telle proposition venait de Himmler, les conséquences en étaient toujours très sérieuses.
Comment se fait-il que vous ayez été témoin de cette conversation et comment avez-vous réagi ?
C’était par pur hasard et je viens de vous dire que j’ai dit au Führer et à Himmler que cela ferait une très mauvaise impression.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Les avocats ont-ils d’autres questions à poser ?
Témoin, lorsque vous avez commencé à conseiller Hitler dans le domaine de la politique étrangère, en 1933, connaissiez-vous la déclaration de la Société des Nations de 1927 ?
Je ne sais pas du tout de quelle déclaration de la Société des Nations vous parlez.
Vous ne vous souvenez pas de la déclaration de la Société des Nations de 1927 ?
La Société des Nations a fait beaucoup de déclarations ; voulez-vous me dire de quelle déclaration il s’agit ?
C’est une déclaration importante faite en 1927 et concernant les guerres d’agression.
Je ne connais pas cette déclaration en détail mais il est évident que la Société des Nations, comme tout le monde, était opposée aux guerres d’agression et, à ce moment, l’Allemagne faisait partie de la Société des Nations.
L’Allemagne était membre de la Société des Nations. Le préambule de cette déclaration est le suivant : « ...constatant que la guerre d’agression ne doit jamais servir comme moyen de régler des différends entre États et que, de ce fait, elle constitue un crime international... » Connaissiez-vous ce préambule ?
Je ne connais pas cette déclaration en détail.
C’est pourtant une question très importante, qui aurait dû vous être familière puisque vous deviez conseiller Hitler, qui était alors Chancelier, dans le domaine de la politique étrangère.
Cette déclaration est certainement importante ; elle correspondait à mon opinion, mais malheureusement l’avenir a montré que la Société des Nations n’était pas en mesure de sauver l’Allemagne du chaos.
Avez-vous toujours été de cet avis ?
Je n’ai pas très bien compris votre question ?
Avez-vous toujours été d’accord avec les idées exprimées dans ce préambule ?
Oui, j’étais d’accord sur le principe, mais d’autre part j’étais d’avis qu’il fallait aider l’Allemagne sous une forme quelconque.
Bien, j’ai compris : en dehors de cela vous ne connaissiez pas très bien la déclaration en question, mais connaissiez-vous en détail le Pacte Briand-Kellogg ?
Oui, je le connaissais.
Étiez-vous d’accord avec les idées exprimées dans le préambule et dans le Pacte lui-même prévoyant une renonciation à la guerre considérée comme instrument de politique nationale ?
Oui.
Voulez-vous nous exposer comment vous avez réalisé ce point de vue ? Je prends un premier exemple. Direz-vous devant ce Tribunal que, dans la mesure où vous êtes informé, aucune pression ne fut exercée et aucune menace formulée à rencontre de M. von Schuschnigg ?
Vous parlez de la conférence qui eut lieu à l’Obersalzberg avec Hitler ?
Oui, le 12 février.
A cette conférence...
Témoin, répondez d’abord à la question et ensuite vous donnerez vos explications. Est-ce que vous affirmez qu’aucune pression ne fut exercée et aucune menace proférée à l’encontre de M. von Schuschnigg le 12 février ? Répondez par oui ou par non et vous donnerez votre explication ensuite.
Dans le sens où vous l’entendez, non. Je crois que la puissante personnalité du Führer avait fait une telle impression sur Schuschnigg ainsi que les arguments qui lui avaient été donnés, que Schuschnigg, de lui-même, accepta finalement les propositions de Hitler.
Maintenant nous allons entrer dans le détail.
Puis-je continuer ? Après la première conversation avec Adolf Hitler, j’eus personnellement une conversation avec Schuschnigg au cours de laquelle je vis comment il avait réagi aux paroles du Führer. Profondément impressionné par Hitler et ses arguments, Schuschnigg dit devant moi au cours de cette conversation, qui fut extrêmement cordiale, que lui-même — et je cite ses paroles — considérait cette rencontre comme une date historique marquant une étape dans le rapprochement des deux peuples.
Qui était présent au Berghof, je ne dis pas dans la salle même, mais dans le bâtiment ou aux environs ? Hitler, vous-même, l’accusé von Papen et l’accusé Keitel, le général Sperrle et le général von Reichenau ?
Je crois que c’est exact, oui.
Et le matin du 12 ? Je crois que Hitler et von Schuschnigg restèrent ensemble environ deux heures avant le déjeuner. N’est-ce pas exact ?
Je ne me souviens pas exactement du temps, mais en tout cas ils eurent une longue conversation.
Et après le déjeuner ? Von Schuschnigg fut autorisé à s’entretenir brièvement avec son ministre des Affaires étrangères, Guido Schmidt, est-ce exact ?
Je ne peux pas le dire exactement, mais c’est très possible.
Et après cela von Schuschnigg et Guido Schmidt ont été convoqués par vous et l’accusé von Papen ? Est-ce exact ?
Je ne m’en souviens pas et je ne le crois pas.
Vous ne vous en souvenez pas ? Réfléchissez.
Je ne vois pas. Est-ce que vous dites... Peut-être ai-je mal compris la question ?
Je la pose de nouveau. Après une conversation que Schuschnigg eut avec Guido Schmidt, vous avez fait appeler Schuschnigg et Schmidt en présence de l’accusé von Papen et c’est de cette conversation que je parle. Est-il exact que vous et von Papen avez parlé à Schuschnigg et à Schmidt ?
Non, je ne crois pas que ce soit exact.
Ne vous souvenez-vous pas d’avoir montre à von Schuschnigg un document dactylographié contenant les exigences qu’il devait accepter.
C’est très possible. Hitler avait dicté un mémorandum et il est possible que je l’aie donné à Schuschnigg, mais je ne me rappelle pas les détails.
Que contenait ce mémorandum ?
Je n’en sais rien. Et pour mieux faire comprendre la chose, je voudrais déclarer que je n’étais pas du tout au courant, à cette époque, du problème autrichien, car Hitler s’occupait personnellement de ces questions et je n’étais ministre des Affaires étrangères que depuis quelques jours.
Si vous avez remis à Schuschnigg un mémorandum au cours d’une réunion que vous qualifiez d’historique, il me semble que vous pourriez donner en tout cas au Tribunal un aperçu de ce que contenait ce mémorandum ou tout au moins ses points importants.
Cela peut paraître bizarre, mais je ne me rappelle vraiment pas les détails. Cette rencontre avait eu lieu entre le Führer et Schuschnigg et tout ce qui fut conclu pendant cet entretien fut dicté par le Führer lui-même ou proposé par l’autre partie. Je ne connais pas les détails, je sais seulement qu’il s’agissait avant tout d’améliorer d’abord les relations entre l’Allemagne et l’Autriche, car à la suite de l’arrestation en Autriche de nombreux nationaux-socialistes, les rapports entre les deux pays étaient assez tendus.
Vous vous souviendrez peut-être des trois points suivants si j’attire votre attention là-dessus :
1. Réorganisation du cabinet autrichien y compris la nomination de l’accusé Seyss-Inquart au poste de ministre de la Sûreté intérieure.
2. Amnistie politique générale pour les nazis condamnés pour crimes.
3. Déclaration conférant aux nationaux-socialistes autrichiens l’égalité des droits avec les Allemands et les intégrant dans le Front patriotique.
Étaient-ce là les points que vous avez proposés à Schuschnigg ?
C’est peut-être cela, je ne me souviens pas exactement, mais cela correspond à peu près à mes très vagues connaissances des questions autrichiennes à cette époque.
Avez-vous informé von Schuschnigg que ces exigences de Hitler, il vous l’avait dit personnellement, étaient définitives et qu’il ne voulait pas les discuter ?
Je ne me souviens pas des termes exacts, mais cela me paraît possible. J’ai peut-être dit à Schuschnigg quelque chose de semblable, mais pour l’instant je ne m’en souviens pas.
Avez-vous dit : « Vous devez accepter ces conditions en totalité » ?
Non, je ne le crois pas. Je n’ai exercé aucune pression sur Schuschnigg car je me souviens que, pendant cette conversation qui a duré environ une heure ou une heure et demie, nous en sommes restés aux généralités et aux questions tout à fait personnelles. J’ai d’ailleurs retiré de cette conversation une impression très favorable sur la personnalité de Schuschnigg et je l’ai souvent dit à mes collaborateurs par la suite. Je n’ai cherché à exercer aucune pression sur Schuschnigg.
Vous nous avez déjà dit tout cela ; je prétends qu’au cours de cette conversation, vous avez essayé de faire signer à Schuschnigg le document contenant ces propositions. Je désire que vous nous en rappeliez la réponse. Vous rappelez-vous que M. von Schuschnigg s’est tourné vers l’accusé von Papen et lui a dit : « Vous m’aviez pourtant affirmé qu’on ne me ferait aucune demande si je venais à Berchtesgaden » et M. von Papen s’est excusé en disant ; « C’est vrai, je ne savais pas que l’on vous mettrait en face de ces exigences ». Vous en souvenez-vous ?
Je ne m’en souviens pas du tout, mais cela ne doit pas être exact.
Bien, nous allons voir. Vous souvenez-vous que von Schuschnigg fut rappelé pour parler à nouveau à Hitler et que Guido Schmidt resta avec vous pour apporter quelques modifications au document en question ?
C’est possible, il a été en effet modifié, mais je ne me souviens plus des détails.
Mais avez-vous entendu dire qu’au cours de cette deuxième conversation, Hitler avait annoncé à Schuschnigg qu’il lui donnait trois jours pour répondre ?
Non, c’est la première fois que je l’entends dire ; je ne le savais pas, mais je n’ai pas assisté à cette deuxième conversation.
Réfléchissez un peu avant de répondre que c’est, aujourd’hui, la première fois que vous entendez dire cela, car je vais vous montrer un document dans un instant. Êtes-vous certain de n’avoir jamais entendu Hitler dire à Schuschnigg qu’il devait céder dans les trois jours, sinon il donnait l’ordre d’envahir l’Autriche ?
Je le tiens pour impossible.
Supposons qu’il l’ait dit, vous reconnaissez qu’on ne peut exercer de pression militaire et politique plus forte ; cette menace d’envahir l’Autriche constituait bien la pression la plus forte, n’est-ce pas ?
Les relations entre les deux pays étant à cette époque très tendues, c’eût certainement constitué une pression, mais il faut comprendre qu’il aurait été impossible de trouver une solution sans un rapprochement quelconque et je veux insister sur le fait que, dès le début, je voulais que ces deux pays entrassent en relations plus directes. J’avais dans l’esprit une union douanière...
Vous en avez déjà parlé trois fois. Laissez-moi revenir à l’interview dont je vous ai parlé et qui se situe le 12 février. Vous rappelez-vous ces paroles de Schuschnigg : « Je ne suis que le Chancelier fédéral, je dois en référer au Président Miklas et je puis seulement agir en accord avec le Président Miklas. » ?
Je ne me souviens pas de ce détail.
Vous souvenez-vous que Hitler est allé ouvrir la porte pour appeler Keitel ?
Non, je ne l’ai entendu dire qu’ici, dans cette salle.
Mais vous savez que c’est exact.
J’en ai entendu parler pour la première fois ici.
Mais je répète, vous savez que c’est exact ?
Non, je ne le sais pas.
Ne vous souvenez-vous pas que Keitel est entré pour parler à Hitler ?
Je répète que je ne le sais pas.
Savez-vous que von Schuschnigg signa ce document à condition que, dans les trois jours, ces exigences seraient remplies, sinon l’Allemagne envahirait l’Autriche ?
Non, je ne le sais pas.
Je crois qu’il serait bon que le témoin ait le livre de documents allemands devant lui ; j’ai fait correspondre, dans la mesure du possible, les numéros des pages.
Sir David, peut-être pourrions-nous suspendre l’audience pendant dix minutes.
Témoin, voulez-vous regarder d’abord le journal de l’accusé Jodl à la date du 13 février ; il se trouve dans le livre de documents Ribbentrop, page 9, US-72 (PS-1780) ; en voici le début : « Dans l’après-midi, le général K. — il s’agit de Keitel — demande à l’amiral C c’est l’amiral Canaris — et à moi-même, de venir dans son appartement. Il nous dit que le Führer avait ordonné de maintenir la pression militaire par des mouvements de troupes jusqu’au 15. Les propositions, pour ces mesures de camouflage, ont été élaborées et soumises au Führer par téléphone pour approbation ».
Vous parliez vendredi de bavardages recueillis au Berghof par Jodl ; il ne s’agit pas de bavardages, il s’agit d’un ordre de son supérieur, le général Keitel, n’est-ce pas exact ?
Je ne sais rien des mesures militaires, aussi ne puis-je apprécier en aucune façon la valeur de cette note. Le Führer ne m’a jamais tenu au courant des mesures militaires concernant l’Autriche.
Voulez-vous prétendre devant le Tribunal que vous étiez présent, que vous avez eu le document entre les mains et que Hitler ne vous a jamais dit un mot de ce qu’il avait décidé avec l’accusé Keitel, qui était également présent ?
Oui, c’est exact.
Bien, voulez-vous, je vous prie, regarder la note du 14 février : « A 2 h. 40, l’accord du Führer arriva. Canaris alla à Munich au service VII du contre-espionnage et commença l’exécution des mesures annoncées. L’impression fut rapide et très forte. En Autriche, on avait l’impression que l’Allemagne entreprenait de sérieux préparatifs militaires ». Pouvez-vous affirmer devant ce Tribunal que vous ne saviez rien de ces mesures militaires et de l’effet qu’elles ont produit en Autriche ?
Pour ce qui est des mesures militaires, je les ignorais, mais il est en effet tout à fait possible que le Führer, pour augmenter les chances de réussite, ait fait quelque action dans ce sens...
Témoin, un instant...
... et que cela ait contribué à la solution de ce problème.
Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais en tant que ministre des Affaires étrangères du Reich, vous deviez savoir ce qui se passait en Autriche et, comme Jodl le dit : « L’effet fut rapide et brutal et la rumeur se répandit que l’Allemagne entreprenait de sérieuses mesures militaires ». Pouvez-vous affirmer sous serment, devant ce Tribunal, que vous n’en saviez rien ?
Je voudrais souligner à nouveau que je ne savais rien de ces mesures militaires ; si je les avais connues, je n’aurais pas la moindre raison de les nier ici ; mais au cours des journées qui ont précédé la réunion Hitler-Schuschnigg et qui l’ont suivie, j’étais tellement occupé aux Affaires étrangères que je ne pouvais accorder à la question autrichienne qu’une place secondaire. Je n’ai pas joué un rôle de premier plan dans l’affaire autrichienne.
Vous nous avez dit souvent que vous travailliez beaucoup au ministère des Affaires étrangères. Ma question est parfaitement claire ; je la répète : prétendez-vous, devant ce Tribunal, que vous, ministre des Affaires étrangères, ne saviez rien de l’effet produit par ces mesures en Autriche ?
Parfaitement. Je ne savais rien de cet effet et d’ailleurs je ne l’ai pas observé en détail.
C’est là votre version et vous voulez qu’on la considère comme un critérium pour juger que vous dites la vérité : vous, ministre des Affaires étrangères du Reich, vous ignoriez l’effet qu’avaient produit en Autriche les mesures militaires prises par Keitel sur les ordres du Führer ? C’est votre réponse définitive ?
Je puis vous répéter de façon très précise que j’en ai entendu parler par le Führer, après mon voyage à Londres un peu plus tard. J’ai su que les affaires autrichiennes se déroulaient, en général, dans le cadre des entretiens de Berchtesgaden. Je n’ai fait aucune observation personnelle et il est normal que je ne me souvienne plus aujourd’hui de certains détails, car des années nous séparent de ces faits.
Je prends deux citations dans le journal de Jodl :
« 15 février. Le soir, un communiqué officiel a été publié sur les résultats positifs de la conférence qui s’est tenue à l’Obersalzberg. »
« 16 février. Changement dans le Gouvernement autrichien et amnistie politique générale. »
Vous souvenez-vous que je vous ai dit que M. von Schuschnigg avait signé à la condition que les mesures entreraient en vigueur dans les trois jours ? Dans les trois jours, il y eut une conférence et ces changements furent annoncés en Autriche en accord avec la note que vous aviez fournie à Schuschnigg. Vous le voyez, c’est très clair : trois jours... Prétendez-vous encore...
Je vous ai déjà dit que je ne savais rien de ces trois jours, mais il était naturel que cette réunion eût pour résultat d’apaiser l’opinion publique.
Ainsi, vous appelez cela un apaisement. Voulez-vous vraiment faire croire au Tribunal que c’est là votre opinion mûrement réfléchie ? Supposons que l’accusé Jodl dise la vérité et que Keitel lui ait dit que ces préparatifs militaires devaient être commencés. N’est-ce pas là la pression militaire et politique la plus sévère qui pouvait être exercée sur le chancelier d’un autre État ?
Si l’on se place à un point de vue plus élevé, non ; je ne suis pas de cet avis. Ce problème aurait pu amener une guerre, une guerre européenne, et j’estime qu’il valait mieux — je l’ai expliqué plus tard à Lord Halifax à Londres — le résoudre que le laisser sans solution, comme un abcès dans le corps de l’Europe.
Je ne veux pas vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire, mais entendez-vous par cette dernière réponse que cette pression militaire et politique envers Schuschnigg était préférable tant que le problème n’était pas résolu ? Est-ce vraiment votre point de vue ?
La question ne m’est pas bien parvenue. Voulez-vous la répéter ?
Estimiez-vous qu’il valait mieux qu’une pression militaire et politique fût faite sur M. Schuschnigg si, par ce moyen, on pouvait résoudre le problème ?
Si l’on pouvait, de cette façon, éviter une conflagration générale, je veux dire une guerre, je trouve que ce moyen était le meilleur.
Pourquoi, vous et vos amis, avez-vous maintenu Schuschnigg en prison pendant sept ans ?
Je ne sais pas. En tous cas, je crois qu’à ce moment — je ne connais pas les détails — M. Schuschnigg avait dû commettre certains actes contraires aux intérêts de l’État ; mais vous parlez de « prison » et je sais — ce sont des souvenirs personnels — que le Führer avait insisté à plusieurs reprises pour que M. Schuschnigg fût particulièrement bien traité ; il n’était d’ailleurs pas en prison, mais dans une maison et je crois même que sa femme était avec lui. Mes souvenirs personnels ne vont pas plus loin.
Vous dites « prison » ; or il a été à Buchenwald et à Dachau. Croyez-vous qu’il s’y soit remarquablement trouvé ?
C’est ici seulement que j’ai appris que M. Schuschnigg avait été interné dans un camp de concentration. Je ne le savais pas auparavant.
Maintenant, essayez de répondre à ma question : pourquoi, vous et vos amis, avez-vous gardé Schuschnigg en prison pendant sept ans ?
Je ne puis rien vous dire à ce sujet. Je ne sais qu’une chose : il n’était pas en prison mais consigné dans une villa où il jouissait de tout le confort possible. C’est tout ce qu’on m’avait dit à cette époque et j’en avais été très content car, je l’ai déjà dit, il m’était très sympathique.
Ce qui lui manquait, témoin, c’était la possibilité de donner son point de vue sur ce qui s’était passé à Berchtesgaden à propos de l’Anschluss, car il ne put communiquer avec personne pendant ces sept années. Vous dites qu’il était très bien à Buchenwald ou à Dachau, mais où qu’il fût, il n’avait pas la possibilité de donner au monde sa version des événements.
Je ne puis en juger.
Ah, vous ne pouvez en juger 1 Vous saviez parfaitement que M. von Schuschnigg n’a pu faire aucune déclaration pendant qu’il était incarcéré ; et cela a duré sept ans. Vous le saviez parfaitement.
On peut l’admettre...
Maintenant...
... A moins que cette mesure ait été prise dans l’intérêt de l’État.
Bien, c’est votre point de vue ; nous passerons donc à un autre sujet. Je voudrais vous poser quelques questions sur le rôle que vous avez joué dans la question de Tchécoslovaquie : m’accordez-vous qu’en mars 1938, le ministère des Affaires étrangères — c’est-à-dire vous, par votre ambassadeur à Prague — avait assumé le contrôle des activités du parti allemand des Sudètes placé sous l’autorité de Konrad Henlein ?
Ce n’est malheureusement pas exact. Puis-je expliquer...
Avant de nous donner votre explication — et pour épargner du temps — si vous voulez regarder le livre de documents, page 20 (page 31 dans le texte anglais) et écouter la lecture d’une lettre adressée au ministère des Affaires étrangères par votre ambassadeur à Prague.
Quel numéro ?
Page 20. C’est une lettre adressée par votre ambassadeur à Prague au ministère des Affaires étrangères. Puis-je expliquer au Tribunal qu’il ne s’agit pas du livre de documents de l’accusé, mais de celui du Ministère Public ; je ferai en sorte que vous le receviez régulièrement à l’avenir. (Au témoin) Cette lettre de votre ambassadeur au ministère des Affaires étrangères...
Je connais le contenu de cette lettre. Puis-je fournir des explications ?
Tout d’abord, référez-vous au paragraphe 1, je m’occuperai ensuite du paragraphe 3 ; ne craignez donc pas que je le saute.
« Paragraphe 1. — Le parti allemand des Sudètes doit se conformer à la ligne générale de la politique allemande donnée par l’ambassade. Mes directives — c’est-à-dire celles de votre ambassadeur — doivent être suivies en tous points.
« Paragraphe 2. — Les discours publics et la presse seront coordonnés uniformément d’après mes directives ; le personnel rédacteur du journal Zeit devra être amélioré.
« Paragraphe 3. — Les dirigeants du Parti doivent abandonner la ligne intransigeante qu’ils ont suivie jusqu’à présent et qui pourrait aboutir à des complications politiques. Ils doivent adopter une attitude qui favorise les intérêts des Allemands des Sudètes. Les buts généraux ne doivent être fixés qu’avec ma participation et leur réalisation favorisée par une action diplomatique parallèle. » (Document PS-3060.)
Êtes-vous maintenant d’accord avec ce que je vous ai dit il y a un moment : que les activités du parti allemand des Sudètes devaient se réaliser selon les ordres donnés ?
Puis-je maintenant donner mon opinion à ce sujet ?
Je voudrais que vous répondiez d’abord à la question ; le Tribunal vous entendra ensuite. Vous pouvez parfaitement répondre à cette question par oui ou par non. Cette lettre montre-t-elle, oui ou non, que le parti allemand des Sudètes devait agir d’après vos directives ? Est-ce exact ?
Non.
Pourquoi non ?
C’est ce que je voudrais expliquer et cette lettre est la preuve du contraire. Entre le parti allemand des Sudètes et beaucoup de services du Reich, existaient des relations qui étaient tout à fait naturelles, car il y avait une tendance très forte au sein du parti des Sudètes vers une réunion plus intime avec le Reich, surtout après la prise du pouvoir par Hitler. Ces tendances pesaient lourdement sur les relations germano-tchèques et cette lettre prouve justement que j’essayais graduellement de placer sous un contrôle ces relations jusqu’alors incontrôlées existant entre les Sudètes allemands et le Reich.
Ce n’est pas ce que je vous demande, témoin, et ce que je vous ai demandé trois fois. C’était pourtant clair : cette lettre montre-t-elle que le parti allemand des Sudètes agissait à ce moment selon vos directives, le niez-vous toujours ?
Oui, je le nie absolument, car c’est exactement le contraire qui est vrai ; cette lettre révèle une tentative tendant à diriger les relations germano-tchèques (ce qui était devenu très difficile à cause du désir naturel des Allemands des Sudètes d’établir des relations plus étroites avec le peuple allemand) à les diriger dans des voies claires et raisonnables, ce qui toutefois échoua malheureusement peu après.
Si vous niez ceci, comment expliquez-vous que votre ambassadeur ait écrit au ministère des Affaires étrangères pour lui dire que le parti allemand des Sudètes devait se conformer à la ligne générale de la politique allemande. Ceci me paraît pourtant clair : le parti agissait selon vos directives. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire d’autre ?
Cela veut dire exactement ce que je viens d’expliquer : l’ambassade devait essayer d’engager les chefs des Allemands des Sudètes à adopter un programme raisonnable de telle façon que les tendances illégales existantes n’amenassent pas de difficultés dans les relations germano-tchèques ; c’était là la raison de nos échanges de lettres avec l’ambassade et cette lettre l’exprime on ne peut plus clairement.
Maintenant, examinons le programme raisonnable que vous suggériez. Le lendemain 17 mars, Konrad Henlein vous écrit et vous demande un entretien privé. Si vous passez à la page 26 du livre de documents allemands — page 33 du livre de documents anglais — vous trouvez une note sur l’entretien personnel que vous avez eu au ministère des Affaires étrangères le 29 mars, avec Henlein, Karl Hermann Frank et deux autres personnages dont les noms ne sont pas connus, document PS-2788 (USA-95) ; je voudrais seulement que vous regardiez quatre phrases, après la première :
« Le ministère du Reich commença par insister sur la nécessité de tenir cette conférence absolument secrète ». Vous mentionnez ensuite la conférence que le Führer avait eue avec Konrad Henlein l’après-midi précédent, ceci à titre de précision. Si vous regardez au bas de la page, après 1 et 2, vous trouverez un paragraphe qui commence ainsi : « Le ministère des Affaires étrangères... » A la seconde phrase vous voyez :
« Il est essentiel de proposer un programme maximum qui ait pour but final la liberté complète des Sudètes allemands. Il semble dangereux de se contenter prématurément de l’assentiment du Gouvernement tchécoslovaque. Ceci, d’une part, donnerait l’impression à l’étranger qu’une solution a été trouvée et, d’autre part, ne satisferait que partiellement les exigences des Sudètes allemands. »
Si vous regardez alors la phrase suivante, après quelques remarques peu flatteuses sur Bénès, vous lisez :
« Le but des négociations entre le Gouvernement tchécoslovaque et le parti allemand des Sudètes est en définitive le suivant : empêcher toute participation au Gouvernement... » Remarquez les mots suivants : « ... en présentant des revendications savamment graduées. »
Puis vous indiquez clairement la position du Cabinet du Reich :
« Le Cabinet du Reich lui-même — nous sautons une phrase — doit refuser d’apparaître au Gouvernement de Prague ou à ceux de Paris ou de Londres, comme le défenseur — remarquez les mots suivants — ou le démarcheur des Allemands des Sudètes ».
La politique que je vous prête était bien alors de diriger les activités des Sudètes allemands ; ils devaient éviter un accord avec le Gouvernement tchécoslovaque, refuser toute participation au Gouvernement tchécoslovaque, et le Cabinet du Reich, en retour, éviterait d’agir en arbitre en la matière. En d’autres termes, vous, témoin, par votre influence sur les Allemands des Sudètes, vous preniez toutes les mesures nécessaires et faisiez tout votre possible pour qu’aucun accord ne pût être conclu sur la question des minorités. N’est-ce pas ce que vous leur disiez dans cette entrevue ?
Non, ce n’est pas exact.
Donnez vos explications. Que prétendez-vous que ces mots signifiaient ?
J’ai convoqué Konrad Henlein à ce moment et je crois que ce fut la seule fois — ou peut-être l’ai-je vu encore une autre fois, malheureusement une fois ou deux seulement — pour préparer une solution pacifique du problème des Sudètes. Les Allemands des Sudètes allaient déjà très loin dans leurs revendications, ils demandaient le rattachement au Reich de façon plus ou moins explicite. Cela me semblait une solution dangereuse qu’il fallait empêcher d’une façon ou d’une autre, car elle aurait pu conduire à la guerre. C’est alors que Henlein est venu me voir, mais je désire faire remarquer à l’avance que ce fut la seule fois, je crois, que j’ai discuté à fond le problème avec Henlein et que, peu après, je perdis le contrôle de l’affaire. Tout le problème des Allemands des Sudètes — c’est-à-dire ce qui se trouve dans cette lettre et sur lequel il ne peut y avoir de doute — tient en ceci : d’abord, j’ai voulu apaiser les Allemands des Sudètes de façon à pouvoir les soutenir sur le plan diplomatique, ce qui me semblait parfaitement justifié ; ensuite, éviter le développement subit d’une situation qui, par des actes de terreur ou d’autres incidents violents, aurait conduit à une crise germano-tchèque et européenne. Telles furent les raisons pour lesquelles je convoquai Henlein.
Maintenant, pour ce qui est des phrases lues par M. le représentant du Ministère Public, il est clair que le parti allemand des Sudètes avait des exigences très étendues. Il aurait préféré voir Hitler envoyer un ultimatum à Prague disant : « Vous devez faire cela et c’est tout ». Nous ne le voulions pas évidemment, nous espérions une solution tranquille et pacifique de cette affaire. Je me suis entretenu avec Henlein afin de trouver, pour le parti allemand des Sudètes, un moyen d’obtenir peu à peu la réalisation de ses exigences. Je pensais à une vaste autonomie dans le domaine culturel et, peut-être même, dans d’autres domaines.
Si vous pensiez à une autonomie culturelle et sociale, pourquoi ne leur avez-vous pas conseillé de conclure un accord avec le Gouvernement de Prague ?
Je ne peux plus le dire avec précision. Cela devait provenir de considérations d’ordre tactique. Je crois que Henlein avait fait une proposition de ce genre à laquelle j’avais donné mon accord. Je ne connaissais pas le problème dans les détails et cette note peut vouloir dire que — je pense que Henlein lui-même se contenta d’exposer son programme (les détails ne sont pas indiqués ici) — j’y souscrivis plus ou moins. Je pense donc qu’alors, il lui semblait peut-être sage, pour des raisons tactiques, de ne pas entrer dans le Gouvernement et prendre des responsabilités, mais plutôt d’essayer d’abord de procéder autrement.
C’était le 29 mars et vous venez de dire au Tribunal quelle était alors votre anxiété au sujet de la paix ; ainsi vous avez très vite reconnu qu’il n’y avait plus de solution par les moyens pacifiques, n’est-ce pas ? Vous en souvenez-vous ? Essayez de vous concentrer, car vous y avez certainement réfléchi. Pouvez-vous vous rappeler quand Hitler vous a dit qu’il faisait des préparatifs militaires pour l’occupation de la Tchécoslovaquie à l’automne ?
Hitler me parlait très peu de questions militaires. Je ne me souviens pas d’une telle déclaration, mais je sais que le Führer était déterminé à résoudre ce problème dans un temps fixé et d’après les expériences faites dans les années précédentes, et il lui semblait naturel, pour y arriver, d’emprunter n’importe quelle voie, de prendre même, je dois le dire, des mesures militaires afin de donner plus de poids à ses exigences.
Laissez-moi vous aider. Regardez à la page 31 de votre livre de documents, page 37 du livre de documents anglais, document PS-2360 (GB-134).
Page 31 ?
Page 31 de votre livre de documents. C’est une citation du discours de Hitler de janvier 1939, qui se trouve éclaircir ce point. Il dit... Avez-vous trouvé le passage, témoin ?
Oui, je l’ai.
« En raison de cette provocation insupportable, accentuée encore par une persécution véritablement infâme de nos compatriotes et par les moyens de terreur employés, j’ai décidé de résoudre la question des Sudètes allemands de façon radicale et définitive. Le 28 mai, j’ai donné : premièrement : l’ordre de faire des préparatifs militaires contre cet État, préparatifs qui devaient être terminés le 2 octobre ; deuxièmement : j’ai ordonné d’achever rapidement et vigoureusement la construction de notre ligne de fortifications à l’Ouest. » (Document PS-2360.)
Je vous l’ai rappelé parce qu’il y eut une conférence le 28 mai et c’est le propre compte rendu de Hitler. Il dit en d’autres termes : Je veux que la Tchécoslovaquie disparaisse de la carte, puis il parla de la défense du front de l’Ouest. Vous souvenez-vous maintenant de cette réunion du 28 mai ?
Je crois avoir vu ici un document sur ce sujet, mais je ne me souviens pas de cette réunion.
Si le capitaine Fritz Wiedemann, qui était encore adjoint du Führer à ce moment, avant de partir à l’étranger, dit que vous y étiez, le nierez-vous ?
J’ai vu cela, mais je crois que c’est une erreur de M. Wiedemann.
Vous croyez que vous n’y étiez pas ?
J’incline à croire que c’est une erreur. En tout cas, je ne me souviens pas de cette réunion ; je ne puis l’assurer avec certitude. En principe, je ne m’occupais pas de questions militaires mais, dans ce cas précis, je ne peux le dire avec certitude. Toutefois, on déclarait couramment que le Führer, au cours de l’année 1938, était de plus en plus décidé à assurer, comme il disait, les droits des Allemands des Sudètes, qu’il avait fait certains préparatifs militaires dans ce but, mais j’en ignorais la nature et l’importance.
Pour exprimer clairement votre point de vue — je ne voudrais pas dépasser votre pensée — vous saviez que des préparatifs militaires étaient faits, mais vous ne connaissiez pas les détails de ce que nous appelons maintenant le « Fall Grün ».
Non, je n’en ai connu aucun détail, je n’en ai jamais entendu parler. Mais je savais que dans les derniers mois et les dernières semaines de la crise...
Monsieur le Président, je proteste contre cette question. Je crois que, pour gagner du temps, je puis indiquer que toute la politique allemande au sujet des Sudètes a été sanctionnée par les quatre grandes Puissances : Angleterre, France, Italie et Allemagne, et par l’accord de Munich qui a réglé la question. Je n’y vois donc pas de possibilité de violation du Droit international.
Le Tribunal estime que la question est parfaitement pertinente.
En tout cas, vous en saviez alors assez pour discuter du développement éventuel d’une guerre avec différentes personnalités étrangères. Voulez-vous passer à la page 34, page 40 du texte anglais. Ce sont des notes sur une discussion avec l’ambassadeur d’Italie. Je ne sais quel est celui de vos fonctionnaires qui y participa, mais je voudrais que vous regardiez l’endroit où se trouve l’indication manuscrite : « Seulement pour M. le ministre du Reich ».
« Attolico fit encore remarquer que nous avions clairement révélé aux Italiens nos intentions vis-à-vis des Tchèques. Même en ce qui concerne les dates, il savait qu’on pouvait encore compter sur deux mois de délai, mais certainement pas davantage. » (Document PS-2800.)
Or, vous pouvez voir que ces notes sont datées du 18 juillet. Deux mois plus tard, c’était le 18 septembre. Un mois plus tard, nous trouvons une note du 27 août que vous avez, je crois, signée vous-même :
« Attolico m’a rendu visite pour me faire la communication suivante :
« Il a reçu de Mussolini une instruction écrite demandant que l’Allemagne communique à temps la date probable de l’action contre la Tchécoslovaquie, afin, m’assura Attolico, de pouvoir prendre en temps utile les mesures nécessaires sur la frontière française.
« Note
Je répondis à l’ambassadeur Attolico, comme lors de sa démarche antérieure, que je ne pouvais lui donner cette date mais qu’en tout cas Mussolini serait le premier informé de la décision. » (Document PS-2792.)
Il est donc très clair, n’est-ce pas, que vous saviez que les préparatifs généraux pour une attaque contre la Tchécoslovaquie étaient commencés, mais que la date n’était pas fixée autrement que par les directives générales de Hitler, selon lesquelles ces préparatifs devaient être terminés vers le début d’octobre. C’était bien la situation en juillet et août, n’est-ce pas ?
En août, le 27 août, il y avait déjà naturellement une sorte de crise entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie à ce sujet ; il était clair qu’on songeait alors à l’issue de cette crise. Et apparemment, d’après ce document, j’ai dit à l’ambassadeur d’Italie que si la crise se résolvait en une action militaire, Mussolini en serait naturellement prévenu.
Et Mussolini aurait été prêt à faire une démonstration sur la frontière française pour favoriser vos plans militaires, n’est-ce pas ?
C’est ce qui se trouve dans ce document, mais je n’en sais rien. Attolico a dû le dire ; si c’est indiqué ici, il doit l’avoir dit.
Passons maintenant aux pages 36 à 38 qui se rapportent à cette période, pages 41 à 43 dans le texte anglais. Je ne voudrais pas perdre du temps en en lisant la totalité, mais c’est le compte rendu de votre entretien avec les ministres hongrois Imredy et Kanya. Je vous serais reconnaissant si, pour gagner du temps, vous pouviez répondre à une question générale : n’avez-vous pas essayé, au cours de votre entretien avec Imredy et Kanya, d’entraîner les Hongrois à préparer une attaque de la Tchécoslovaquie en cas de guerre ?
Je ne connais pas exactement le contenu du document ; pouvez-vous me permettre de le lire.
Je vais vous lire...
Je peux peut-être répondre de mémoire. Je ne connais pas exactement le contenu du document, mais je me souviens que la crise était alors en pleine évolution. Il était naturel que si un conflit armé pouvait éventuellement éclater à propos des Allemands des Sudètes, l’Allemagne prît contact avec les États voisins. C’est tout à fait naturel. Je crois d’ailleurs...
Mais vous avez été un peu au delà d’un simple contact, n’est-ce pas ? Je cite le document à la fin du sixième paragraphe : « M. von Ribbentrop répéta que quiconque désirait une révision devait se servir de cette occasion et y mettre du sien ». (Document n° PS-2796.)
Il y a là un peu plus qu’une simple prise de contact. Vous déclarez aux Hongrois : « Si vous désirez la révision de vos frontières, faites la guerre à nos côtés ». C’est clair, n’est-ce pas, témoin. C’est bien ce que vous disiez ; c’est bien ce que vous essayiez de faire ?
Cela correspond à ce que je viens de dire. Je ne sais si l’on se servit de cette expression, mais, en tout cas, je me souviens très bien à cette époque avoir parlé à ces Messieurs de la possibilité d’un conflit. Il était donc raisonnable de chercher un accord réglant nos intérêts.
Je voudrais indiquer que la Hongrie, pendant les années précédentes, avait considéré comme l’une des plus dures conditions du Traité de Paix celle qui la privait de la région du Nord, et il était naturel que cet accord l’intéressât.
Vous étiez très intéressé à la révision. Regardez les deux derniers paragraphes du procès-verbal, page 38 du livre de documents, à la date du 25. Cela commence à la fin de cette déclaration : « Au sujet des préparatifs militaires de la Hongrie en cas de conflit germano-tchèque, von Kanya avait dit, plusieurs jours avant, que son pays aurait besoin d’un an ou deux pour pouvoir suffisamment développer ses forces armées. Au cours de la conversation d’aujourd’hui, von Kanya a fait une rectification et a dit que la situation militaire de la Hongrie était bien meilleure et que son pays serait prêt (en ce qui concerne les armements) à prendre part au conflit le 1er octobre de cette année. » (Document PS-2797.)
Vous voyez ce que je vous disais : votre position était parfaitement claire : D’abord, vous avez réussi à contrôler les Sudètes allemands. Ensuite vous avez appris que Hitler avait entrepris des préparatifs militaires. Vous entraînez avec vous les Italiens, puis les Hongrois et vous les préparez à une attaque contre la Tchécoslovaquie. Voilà les faits que je vous reproche. Je veux éviter tout malentendu. Maintenant...
Puis-je répondre ?
Oui. Naturellement. Si vous le désirez.
J’ai déjà dit que le parti allemand des Sudètes n’était malheureusement pas sous mon contrôle, mais j’estime que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes donnait aux Allemands des Sudètes le droit incontestable de se prononcer pour l’un ou l’autre pays. Quand Hitler vint, cette tendance à rejoindre le Reich devint très forte et Hitler était résolu à donner à ce problème une solution quelle qu’elle fût, diplomatique ou autre. J’en étais de plus en plus persuadé. Personnellement, j’ai toujours fait tout ce que j’ai pu afin de résoudre le problème diplomatiquement, mais d’un autre côté, afin de provoquer la situation qui a conduit à Munich, j’ai tout fait pour réunir des amis autour de l’Allemagne, pour rendre notre position aussi forte que possible en face de ce problème.
Vous saviez parfaitement, n’est-ce pas, que les plans militaires de Hitler et en particulier le « Fall Grün », envisageaient la conquête de la Tchécoslovaquie tout entière ? Le saviez-vous ?
Non, je l’ignorais. En ce qui concerne le problème des Allemands des Sudètes, le Gouvernement britannique lui-même a signé l’accord qui donnait à ce problème une solution conforme à celle qu’a toujours cherché à obtenir la diplomatie allemande.
Témoin, je ne veux pas discuter politique avec vous. Je vous rappelle seulement ceci : le « Fall Grün » et les plans de Hitler relatifs à cette question ne furent connus du Gouvernement de Sa Majesté qu’à la fin de la guerre, lorsque le document tomba en notre possession. Ma question était la suivante : vous dites qu’en qualité de ministre des Affaires étrangères du Reich vous ne connaissiez pas ces plans militaires vous ne saviez pas qu’on envisageait la conquête de la Tchécoslovaquie, et vous demandez au Tribunal de vous croire ?
Je répète à nouveau que j’ai rencontré, ici, pour la première fois l’expression « Fall Grün » et le contenu du « Fall Grün ». Je ne connaissais pas cette expression auparavant et cela ne me concernait pas. Je me suis naturellement rendu compte que le Führer cherchait une solution plus large lorsqu’il a fondé le Protectorat de Bohême-Moravie.
Nous y arriverons dans un moment. Je voudrais que vous regardiez le dernier acte préparatoire auquel vous procédiez en vue, je le prétends, d’une agression pure et simple. Lisez la page 45 du livre de documents qui est devant vous et vous verrez une note des Affaires étrangères à l’ambassade de Prague :
« Je vous prie d’informer le député Kundt, qu’à la demande de Konrad Henlein, il doit entrer en contact avec les Slovaques immédiatement et les pousser à commencer à réclamer leur autonomie dès demain. » (Document PS-2858.)
C’était un autre acte de votre service, n’est-ce pas, tendant à provoquer des difficultés à Prague ? Vous demandiez à vos amis de pousser les Slovaques — selon vos propres paroles — à réclamer leur autonomie, n’est-ce pas ? N’était-ce pas ce que votre service faisait ?
Oui, c’est sans aucun doute un télégramme des Affaires étrangères. Je ne me rappelle pas les détails mais, d’après le contenu, Henlein nous a demandé d’envoyer pour lui ce télégramme car il estimait apparemment, à cette époque, que les demandes d’autonomie devaient être transmises au Gouvernement de Prague.
Je ne me souviens plus avec précision maintenant comment cela s’est passé, mais je voudrais souligner encore une fois que l’activité de Konrad Henlein échappait malheureusement à mon contrôle. Je n’ai vu Henlein qu’une ou deux fois pendant toute cette période.
Je ne veux pas examiner avec vous tous les détails. Vous comprenez ce que je veux dire : vos bureaux prenaient alors une de leurs dernières mesures (le 19 septembre nous étions en pleine crise), essayant d’affaiblir le Gouvernement tchèque par cette demande d’autonomie des Slovaques. Vous disiez que vous ne faisiez que traduire les désirs exprimés par Henlein. Si vous voulez laisser ce sujet, nous allons passer maintenant aux événements du printemps. Je voudrais vous poser une ou deux questions.
Au printemps, Hitler était absent et vous acquiesciez à ses désirs — j’allais dire sans sourciller, mais je veux choisir mes mots soigneusement — pour obtenir l’adhésion de la Bohême et de la Moravie au Reich, pour détacher d’elles la Slovaquie. Lisez la page 65 du livre qui se trouve devant vous. C’est un télégramme en code secret du ministère des Affaires étrangères émanant en fait de vous et adressé à l’ambassade de Prague. « Comme suite aux instructions données télégraphiquement par Kordt aujourd’hui, au cas où vous recevriez des communications écrites du Président Hacha, je vous prie de ne pas faire de commentaires écrits ou oraux et de ne prendre aucune mesure, mais de me les transmettre par télégrammes chiffrés. De plus, je vous demande, à vous et aux autres membres de l’ambassade, de ne pas être libres, si le Gouvernement tchèque veut communiquer avec vous durant les prochains jours. » (Document PS-2815.)
Pourquoi teniez-vous tellement à ce que votre ambassadeur ne puisse pas vaquer à ses fonctions habituelles et communiquer avec le Gouvernement tchèque ?
En voici les raisons, je m’en souviens très bien : le ministre des Affaires étrangères tchèque, Chvalkovski, s’était adressé à l’ambassadeur à Prague en disant que le Président Hacha voulait parler au Führer. J’avais annoncé cela au Führer qui était d’accord pour recevoir le Président de la Tchécoslovaquie. Le Führer avait dit en même temps que ces négociations seraient conduites directement par lui et qu’il ne désirait pas que quelqu’un d’autre, fût-ce l’ambassade, s’en occupât. C’était là la raison de ce télégramme. On ne devait rien entreprendre à Prague ; tout ce qui serait entrepris le serait par le Führer personnellement. Puis-je dire qu’à cette époque apparurent les signes d’une crise imminente entre Prague et l’Allemagne ? C’est pour cette raison que le Président Hacha avait exprimé le désir de rendre visite au Führer.
Je voudrais vous rappeler ce que vous et le Führer faisiez ce jour-là. Lisez la page 66, page 71 du texte anglais. Vous aviez une conférence, vous et le Führer, avec Meissner, l’accusé Keitel, Dietrich et Keppler, et avec les Slovaques, avec M. Tiso. Vous vous souvenez de cette conférence ?
Oui, je m’en souviens très bien
Bien ; je vais donc vous poser une question générale, sans entrer dans le détail. Au cours de cette conférence, vous avez dit aux Slovaques : « Si vous ne déclarez pas votre indépendance vis-à-vis de Prague, nous vous abandonnerons à la sollicitude des Hongrois ». N’est-ce pas un résumé de ce que vous-même et Hitler avez dit au cours de cette conférence ?
C’est exact dans une certaine mesure, mais je voudrais faire une déclaration complémentaire.
Voici quelle était la situation, il faut la comprendre dans un esprit politique : les Hongrois étaient très mécontents et désiraient récupérer les territoires qu’on leur avait arrachés par le traité de paix et qui avaient été incorporés à la Tchécoslovaquie, à la partie slovaque de la Tchécoslovaquie. Il en résultait de grandes difficultés entre Presbourg et Budapest, et surtout entre Prague et Budapest. On pouvait s’attendre à tout moment à ce qu’éclatât une guerre. Une demi-douzaine de fois, au moins, le Gouvernement hongrois nous avait fait comprendre que cela ne pourrait continuer, qu’il fallait réviser cet état de choses. Il existait parmi les Slovaques de grands courants en faveur de l’indépendance. Nous avions été pressentis à ce sujet très souvent d’abord par M. Tuka, puis par M. Tiso. Lors de la conférence rapportée ici, le Führer qui connaissait depuis des semaines les efforts constants des Slovaques pour obtenir leur indépendance a reçu M. Tiso, qui devint ensuite président de l’État, et lui dit, je crois, au cours de cette conversation, que la question ne l’intéressait pas pour lui-même. Cependant, s’il se produisait un événement quelconque, il fallait que les Slovaques proclamassent sur-le-champ leur indépendance. Car il est évident que nous comptions alors sur une intervention hongroise. Cependant il est exact...
Vous pouvez voir combien les Slovaques tenaient à leur indépendance et quelles mesures Hitler et vous-même preniez pour la garantir. C’est à la page 67 à la fin du paragraphe commençant par : « Il avait alors fait venir le ministre Tiso... » Plus loin, au milieu de ce paragraphe, Hitler déclare qu’il ne peut tolérer cette instabilité intérieure et qu’en conséquence il a fait venir Tiso pour lui faire connaître sa décision. Ce n’était pas une question de jours, mais d’heures. Il a déclaré alors que, si la Slovaquie voulait son indépendance, il soutiendrait ses efforts et même la garantirait. Il tiendrait sa parole tant que la Slovaquie exprimerait hautement sa volonté d’indépendance. Mais si elle hésitait ou ne voulait pas se désolidariser de Prague, il l’abandonnerait à des événements dont il cesserait d’être responsable. Puis, au paragraphe suivant, il vous demande si vous n’avez rien à ajouter et vous déclarez (document PS-2802, USA-117) : « Le ministre des Affaires étrangères du Reich souligna également que c’était une question d’heures et non de jours. Il présenta au Führer un message qu’il venait de recevoir et qui signalait des mouvements de troupes hongroises à la frontière slovaque. Le Führer lut le message et en donna le contenu à Tiso en exprimant l’espoir que la Slovaquie se déciderait bientôt. »
Niez-vous, témoin, que Hitler et vous-même ayez exercé une forte pression sur la Slovaquie pour lui faire rompre ses relations avec Prague et isoler les Tchèques afin d’exercer librement votre contrainte sur Hacha, deux jours plus tard ?
Non, ce n’est pas exact. Nous n’avons pas exercé une forte pression. Il est bien évident que la Hongrie... je veux parler de la possibilité d’un conflit armé avec la Hongrie... ; mais depuis longtemps les Slovaques nous avaient fait part, à plusieurs reprises, de leurs désirs d’indépendance. Il est possible, c’est ce qui ressort du document, que Tiso ait été hésitant, car il s’agissait d’une démarche d’importance. Mais, étant donné que le Führer désirait nettement résoudre de quelque façon que ce fût la question de Bohême-Moravie, il était évidemment de l’intérêt du Führer d’obtenir l’indépendance de ce pays.
Une dernière question, avant de passer à votre entrevue avec le Président Hacha. Ne vous souvenez-vous pas que, deux jours avant, M. Bürckel — si je ne me trompe — un autre nationaliste autrichien, l’accusé Seyss-Inquart, et un certain nombre d’officiers allemands se rendirent le 11 mars, vers 10 heures du soir, à une réunion du Cabinet de Bratislava et déclarèrent au soi-disant Gouvernement slovaque qu’il devait proclamer l’indépendance de la Slovaquie ? Le savez-vous ? Ce fait nous a été rapporté par notre consul.
Je ne m’en souviens pas dans les détails, mais je crois qu’il est survenu quelque chose de semblable sous l’impulsion, il me semble, du Führer. Je ne crois pas avoir eu grand-chose à voir là-dedans, je ne m’en souviens plus très bien.
Je vais traiter très brièvement...
Sir David Maxwell-Fyfe il est une heure moins le quart. Nous allons suspendre l’audience jusqu’à 14 heures.